Le Nouvel Educateur n° 94

Décembre 1997

Dire, voir, comprendre et faire avec Jilou, la revue des tout petits

Décembre 1997

Découvrir un nouveau support d'expression : le kamishibaï

Décembre 1997

            Un "outil Freinet" se caractérise par l'immédiateté avec laquelle les enfants peuvent le mettre au service de leurs projets. Parfait moyen de valorisation de l'expression, le Kamishibaï permet mise en scène et présentation de pages de contes ou de B. D. où l'écrit trouve place par exemple sous forme de légendes.

                Surtout si associé à d'autres outils (photocopieur, fax, scanner et modem, site WEB (1), etc...) il peut merveilleusement relayer des visées pédagogiques de communication et d'ouverture au monde.
 
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Le Kamishibaï est un petit théâtre d'images d'origine japonaise. Les conteurs de rues se déplaçaient avec pour raconter des histoires aux enfants.
                Mini-castelet repliable pour être mieux portable, il est encore aujourd'hui très utilisé dans les écoles maternelles nipones.
                Réalisé en bois, il sert de support à des fiches de format traditionnel 27,7 x 37 cm, donc un peu inférieures au format A3. Elles sont glissées entre deux cadres maintenus écartés par des tasseaux.
                Le cadre du modèle traditionnel se découvre par ouverture de 3 volets repliables qui peuvent être de forme arrondie. Deux, sur les côtés, assurent une fois dépliés la stabilité de l'ensemble Un troisième peut servir de frontispice. Découpés dans du carton ou du contreplaqué ils peuvent être peints ou habillés. Voire faire l'objet d'une décoration adaptable à chaque histoire.
 
Editions du commerce
            Les images disponibles en France (2) sont fortement cartonnées, avec une belle illustration au recto et, au verso, le texte correspondant à l'image affichée reproduite en réduction noire et blanche.
                Souvent le texte n'est pas derrière l'image qu'on est en train de voir : le texte N°1 se trouve derrière l'image N°7, le texte N°2 derrière l'image N°1, le texte N°3 derrière l'image N°2, le texte N°4 derrière l'image N°3, ...etc... le texte N°7 derrière l'image N°6.
                Avec cette formule toutes les images sont empilées dans le cadre, dans l'ordre des numéros des textes. On lit le texte N°1, puis on enlève l'image que l'on glisse derrière les autres et derrière laquelle se trouve le texte de l'image suivante... Et l'on revient ainsi au point de départ.
 
De nouvelles pistes à partir du Kamishibaï
 
Je construis, je fabrique
                 Avec leurs élèves de cinquième, Bernadette Sauzee et sa collègue d'arts plastiques ont établi un remarquable projet. Elles leur ont donné accès à un travail manuel faisant appel à imagination pour la création de modèles originaux et la personnalisation de prototypes de kamishibaï à deux volets latéraux : chinois (peints en rouge avec idéogrammes noirs), provençaux (habillage et décoration tissu), de versions travaillées en marquetterie ou plus romantiques avec rideau en dentelle, etc...
               
Un travail interdisciplinaire
                Un travail interdisciplinaire est possible entre ateliers technologie, arts plastiques, cours de Français, etc... des présentations inter-classes de contes, des échanges inter-scolaires voire internationaux de fichiers éventuellement à continuer, des présentations à l'extérieur, voire des animations etc...
                Les grands peuvent réaliser des castelets pour de plus jeunes ou venir leur présenter des spectacles. Comme des petits à leurs parents, à des pensionnaires en maison de retraite, etc... etc...
 
La communication, les échanges 
            On peut échanger des histoires (par exemple "à continuer") avec les correspondants. En format A3 par la poste. Ou bien par fax, réduites en A4, quitte à les remettre à l'arrivée en A3 par photocopie avant de les coloriser et coller sur carte rigide.
Rien n’interdit à partir de suites diverses données par plusieurs correspondants, d’articuler des cheminements de contes variables, type"aventure dont vous êtes le héros"...
 
Mélanger les techniques
                Il y a certainement possibilité de combiner le Kamishibaï avec ces "livres animés" . On peut y réfléchir...
                Egalement imaginable, une interruption du défilement des images pour laisser place, dans un mini castelet ainsi libéré, à des "marionnettes deux doigts" (confectionnées par exemple selon les fiches diffusées avec la multi lettre du secteur C.M.T.,(3)
 
Alex Lafosse
 
Pour aller plus loin à propos du Kamishibaï
:
(1) Site Web : la galerie inter établissement de jeunes : «on s’affiche» http://www.ac-toulouse.fr/affiche/ ou journaux scolaires sur le webwww.interpc.fr/freinet/valence/ www.cur.archamps.fr www.interpc.fr/freinet/six-fours/ ...
          (2)Aux éditions "La Nacelle" (diffusion Le Seuil & le Chardon bleu) 14 018 CAEN Cedex : "Le tour du Monde en Nacelle", "Petit Noël deviendra grand", "Le dragon de Cracovie", Je suis un gros ours velu" et, par PEF et Albert JACQUARD autour du Big Bang : "Deux sacrés grumeaux d'étoiles"
          (3) pour info : fiches de fabrication, copies ou échanges interscolaires de pages kamishibaï ou au sein du réseau "ON S'AFFICHE" ou multi lettre du secteur Création Manuelle & Technique : Alex LAFOSSE 2, impasse de la marjolaine 31 320 CASTANET TOLOSAN Tél/fax : 05 61 81 94 91
On pourra commander des kamishibaï ou en demander les plans aux élèves du Collège de l'Europe à Bourg de Péage auprès de leur professeur de techno : Bernadette SAUZEE 47, rue Francis Chirat 26 100 ROMANS.
 
 
"Nous cultiverons avant tout ce désir inné chez l'enfant de communiquer avec d'autres personnes, avec d'autres enfants,
surtout de faire connaître autour de lui ses pensées, ses sentiments, ses rêves et ses espoirs."
Célestin FREINET - La pédagogie du travail
 
 
Histoire inventée utilisée pour un Kamishibaï
               
Sur une idée de Laetitia, l’histoire à suivre des deux petites filles, faxée par les élèves de C.P.CE1 de Denise Fouquer (76 HATTENVILLE).
- Les deux petites filles se promènent dans le jardin public et veulent faire du toboggan (dessin 1/6)
- Agressées par un malandrin qui leur dérobe leurs "colliers de perles en or"(2/6)
(Une chaînette dorée, sortant du carton autour du cou des fillettes, matérialise les mirifiques parures dans les premières images !)
- "Que dire à papa ?" "Que dire à maman?" (3/6)
- Retour à la maison : "Maman, papa ; on a volé nos colliers !" "Quel scandale !"(4/6)
- Ils téléphonent au commissariat (5/6)
- La police débarque, phare tournoyant, et exige des explications ... (6/6)
Imaginez la suite ...
 
Comment utiliser le Kamishibaï ? 
Au niveau de la présentation deux options principales sont concevables. L'une, traditionnelle, consiste à disposer le kamishibaï sur un couffin devant soi pour illustrer l'histoire que l'on conte à son public les yeux dans les yeux. Un castelet à deux volets latéraux peut convenir.
                L'autre approche, plus orientée sur une volonté pédagogique de développement de l'écrit-lire, peut préfèrer le modèle de kamishibaï plus classique à trois volets, plutôt posé sur table, et derrière lequel le montreur peut se dissimuler pour déclamer un texte à lire....      Ce qui n'empêche nullement le même texte (légende et/ou bulles) de figurer au recto avec l'image, pour lecture silencieuse éventuelle en rappel des spectateurs...
 
 
Ce travail me semble intéressant tant au niveau de la production d'écrits que de la lecture et aussi, puisque l'on peut envisager des décors différents selon les histoires, de la création artistique.
Denise Fouquer (76)

 

La classe à cours multiples, où en est-on ?

Décembre 1997

I Position du problème

                - Les classes à plusieurs cours, des réalités différentes
                - les écueils
                - les classes à plusieurs cours, quelques principes de base
 
II Les classes à cours multiples et la pédagogie coopérative
                - démarrer en cours multiple en pédagogie Freinet
                De l’intérêt des classe à cours multiple : deux témoignages en classe rurale    
                - de l’intérêt des classes à cours multiple, le témoi gnage d’une équipe pédagogique en école urbaine
 
III Tranches de vie en classe de cycle
                - moment d’apprentissages individualisés
                - moment de projets individuels
                - moment de projet collectif
 
IV La coopération dans les apprentissages en classe de cycle vue par les enfants
 
Conclusion : une autre façon de travailler

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I Position du problème*
 
 
Les classes à plusieurs cours, des réalités différentes
 
L’existence de classes à plusieurs cours recouvre des réalités très différentes qui méritent d’être distinguées :
            - Organisation “subie” par les maîtres pour des questions d’effectifs dans des écoles urbaines ou suburbaines dont le nombre de classes élémentaires par exemple est différent de 5 ou 10.
Dans ce cas le projet d’école prend rarement en compte cet élèment qui pourtant devrait être la règle si c’est “l’enfant qui est au centre des préocupations” et non le confort du maître.
 
                - Structures habituelles dans les petites écoles rurales à faible effectif.
Un problème de gestion de la classe épineux se pose au maître lorque la classe ne compte que 2 ou 3 parfois un seul élève d’un niveau considéré. La classe unique par exemple peut être la meilleure des situations, lorsque la commune dispose de quelques moyens, qu’un maître expérimenté et stable dans son poste est titulaire de la classe, la pire aussi lorsque le maître change chaque année, que l’isolement est très grand et que l’école dispose de très peu de moyens.
 
                - Organisation choisie sur des écoles à 5 classes et plus par l’équipe dans le cadre d’un projet pédagogique réfléchi et concertré. C’est souvent le cas des écoles qui comptent une majorité de maîtres militants de la pédagogie coopérative (Freinet).
 
 
Les écueils
 
Au cours d’un rapide sondage d’opinion effectué auprès d’instituteurs concernés, les personnes évoquent souvent le même type d’écueils :
- La tentation parfois avouée dans certaines écoles de rassembler dans le cours double les moins bons du niveau supérieur (CM1 par exemple) avec les meilleurs de l’autre niveau (CE2 par exemple) afin de retrouver une “vraie classe”.
 
- La nécessaire maîtrise par le maître des contenus et objectifs des différents niveaux concernés.
 
- Une gestion du temps et de l’espace difficile à maitriser pour le maître, vécue comme quasiment insoluble lorsque les effectifs de chaque niveau sont déséquilibrés.
 
- Le manque de crédits pour équiper rapidement les petites écoles des outils pédagogiques adaptés, fichiers, B.C.D, informatique..
 
- Le sentiment que “l’autonomie” des élèves, lorsque le maître conduit une séquence avec un des niveaux, est plus un abandon obligé qui ne permet pas de leur apporter toute l’aide utile dans leurs apprentissages.
 
 
Les classes à plusieurs cours, quelques principes de base
 
Pour la constitution et la gestion des classes à plusieurs cours, on peut définir quelques invariants méthodologieques :         
- Conserver une hétérogénéité dans chaque niveau pour éviter les tentations d’écrasement des progressions.
 
- Equilibrer les effectifs des différents groupes.
 
- Instaurer des temps et des lieux (au moins symboliquement définis) facilitant la mise en place d’une alternance entre :
                wles temps collectifs (pour mener à bien les projets concernant tout le groupe classe).
                wles temps de travail en groupes restreints travaillent séparèment (selon les niveaux sur les taches prévues).
                 wles temps de travail individualisé et leur nécessaire articulation.
 
- Doter la classe d’outils de suivi et de régulation des apprentissages et de la vie du groupe :
- contrats de travail et d’objectifs
- brevets d’évaluation
- tableaux de suivi des activités des réalisations individuelles et collectives
 
- Négocier avec la municipalité, le SIVOM, la circonscription (crédits globalisés, amicales), l’Inspection Académique, les associations péri-éducatives... l’achat ou le prêt du matériel pédagogique approprié dans des délais raisonnables.
 
- Ne pas hésiter au départ à consacrer un temps important à l’acquisition de savoir faire méthodologique (gérer son plan de travail, savoir utiliser les fichiers, les ressources documentaires, le cheminement d’une recherche).
 
- Utiliser les compétences des plus grands ou des plus débrouillés en organisant l’entr’aide et les responsabilités dans la classe.
 
II Les classes à cours multiples et la pédagogie coopérative
 
Démarrer en cours multiple en pédagogie Freinet
 
Rien n’est facile...
Au début, même pour un enseignant sensibilisé à la pédagogie Freinet, le cours multiple, ce n’est pas si facile!
Mais donnons plutôt la parole à Corinne Causse.
 Corinne nous évoque les difficultés auxquelles elle s’est confrontée, elle nous parle des points d’ancrage sur lesquels elle s’est appuyée pour les surmonter et les questions nouvelles qui en surgissent.
 
Premier poste, une classe à plusieurs niveaux (des 2 ans jusqu’au CP). J’en rêvais,. Mais les 3 premiers mois furent un vrai cauchemar.
 
Gérer plusieurs niveaux ? Prendre en charge la direction de l’école ? S’occuper de la mise en place des CATE, d’un voyage ? Créer une programmation à l’année (il faut que je tienne 9 mois !) Organiser des réunions de parents d’élèves (Quoi ? les élèves ont des parents ?). J’ai beau chercher dans mes 2 années de formation à l’IUFM, je ne découvre rien s’y rattachant. Alors, que faire ?
 
Prendre le taureau par les cornes, mais attention, une erreur est difficilement pardonnée. Je me fixe des priorités prioritaires, des priorités urgentes et des priorités que j’oublie. Mais bon, finalement tout s’organise et je peux enfin me pencher sur un cas sommes toutes plus intéressant, mes élèves !
 
Pour eux, tout est sens
Et là, je découvre des enfant merveilleux, si, si je vous l’assure ! Curieux, ouverts, heureux d’être dans cette école . “Super” me dis-je, “Je vais enfin pouvoir appliquer ce que j’ai appris : travailler sur le sens.” Mais pour eux, ce n’est pas nécessaire, tout est sens. On n’écrit pas pour écrire, on ne lit pas pour lire, on le fait par et pour les autres.
 
Mais qui sont les autres me dires-vous ? Je les ai découverts par les enfants, ce sont eux qui me les ont imposés car ils sont pour eux partie prenante de l’école. Je parle des autres élèves que l’on rencontre par la lecture des FAX (“Dis maîtresse, je peux lui répondre ?”), par le courrier (“C’est quand qu’on aura des correspondants ? C’est quand qu’on leur écrit, c’est quand qu’on va les voir ?”)
 
Ils ont un réel besoin de transmettre ce qu’il font dans leur école, ce qu’ils y découvrent. Pour eux la communication n’est ni un concept téhorique, ni une révolution de notre société (internet, la communication de demains !), mais une réalité vraie, un besoin.
 
Alors, quand “on” me dit de mettre les fax de côté, de faire à la place des exercices plus traditionnels de lecture (sinon mes élèves n’apprendront pas à lire), un doute sérieux s’installe dans ma tête. Ne plus écrire de fax ? Ne plus raconter aux autres ce que l’on vit ? Je m’imagine très mal dire cela à mes élèves, je les entends d’ici :”Dis maîtresse, pourquoi tu ne veux plus qu’on parle avec les autres ?
 
N’empêche, je me sens partagée entre ce qu’on m’a appris et ce que je vois. Et si vraiment mes élèves n’apprenaient pas à lire ? Jusqu’où puis-je faire confiance à mon intuition ? Et si je faisais quelques petits exercices pour me rassurer ? En espérant ne pas entendre un élève me demander “Dis maîtresse, pourquoi on fait ça ? A quoi ça sert? ”
                        Corinne Causse
07 St Fortunat
 
De l’intérêt des classe à cours multiple : deux témoignages en classe rurale
 
Premier témoignage
Annette et Jocelyne sont enseignantes dans une école à 2 classes.
quand on en a fait le choix, nous voyons dans l’hétérogénéïté de grands avantages pour les enfants :
 
La petite taille des structures entraîne l’existence du groupe et la richesse des relations (pas d’anonymat).
On donne une grande importance au temps et à l’espace. Les lieux éducatifs (BCD, ordinateurs... ) sont accessibles de façon permanente.
Des relations de communication “vraie” s’y développent : prise de parole, échanges avec d’autres classes (correspondance traditionnelle ou télématique, journaux...)
 
Dès leur plus jeune âge, les enfants participent aux réunions, décisions. La construction du langage n’est pas “artificielle”.
 
Cela conduit aussi naturellement à la construction de la citoyenneté :
L’enfant est reconnu comme citoyen dès son entrée à l’école. Citoyen dès maintenant nous pensons qu’il deviendra citoyen adulte c’est-à-dire quelqu’un capable de décider librement de l’avenir collectif et personnel.
 
Observations sur l’adaptation au collège de nos élèves :
Au niveau du travail, les enfants sont autonomes et les résultats ne subissent aucune variation significative mais ils se trouvent souvent confrontés à des difficultés provenant du manque de dialogue dans les classes. (entre élèves ou avec les professeurs)
                Climat souvent agressif pour des enfants habitués à régler les conflits par la parole et non par la violence.
 Annette HIDEL
 Jocelyne DUCATEZ
Ecole du Grand Chemin
 LA GORGUE (59)
 
 
Deuxième témoignage
A mon sens, la classe unique est intéressante pour plusieurs raisons :   
La durée du passage (> 1 an) dans un même espace avec le même maître peut être perçue aussi positivement que négativement par les 2 parties.
 
L’apprentissage de l’autonomie y est facilité : c’est une composante. Egalement : l’enfant y est plus acteur que récepteur.
 
Les enfants, rapidement, peuvent se “distraire” des autres séquences. Aspiration vers le haut; possibilité de raccourcir le cycle (exemple : dans une classe CE2/CM : C3 en 2ans)
 
Ces mêmes enfants peuvent être des enfants aidants; des parrainages sont possibles avec des enfants plus lents.
Les enfants qui ont besoin d’une présence lourde sont “frustrés”, il faut compenser.
 
Les enfants plus lents peuvent souffrir de ne pas trouver tout le temps souhaitable. Mais “temporiser” ne prend jamais un caractère négatif.
 
                                                                                              Gérard DEVOS
 école de Sec Bois (59 )
 
 
 
CLASSES A PLUSIEURS COURS ET MISE EN PLACE DES CYCLES
LA POSITION DU MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE
- La classe à plusieurs cours est une des modalités possibles d’organisation préconisées par
le ministère dans sa brochure “Les cycles à l’école primaire” de 1991.
C’est la première fois qu’un texte officiel du ministère évoque la classe à plusieurs cours comme un choix pédagogique volontaire facilitant le fonctionnement de l’école en cycles.
 
Le chapître consacré à l’organisation pédagogique des écoles (pages 15 à 17) s’intitule :
“Choisir l’organisation la mieux adaptée” Ce choix est donc dévolu à l’équipe pédagogique dans le cadre du projet d’école. Le ministère se contente d’ouvrir des possibilités :
                - répartition en groupes classes selon les ages
                - un maître pendant un cycle
                - la classe à plusieurs cours
                - les échanges de service d’enseignement et le décloisonnement
 
Le seul impératif affirmé :” l’organisation et le fonctionnement des écoles doit viser à assurer la continuité de la construction et de l’acquisition des savoirs par l’enfant, qui est un des garants de sa réussite scolaire”.
 
 
Les résultats scolaires meilleurs dans les classes à plusieurs cours :
 
Une série d’enquêtes commandées par le Ministère de l’Education Nationale tendrait à prouver que, contre bien des idées reçues, ces classes à cours multiples présenteraient bien des avantages. Ainsi, l’Inspection Générale, dans un rapport daté du 15 mai 1993, déclare : “Les dernières études réalisées aussi bien par la direction de l’Evaluation et Prospective, que par l’Institut de Recherche sur l’Economie de l’Education de DIJON aboutissent aux mêmes résultats : la classe qui n’a qu’un seul cours obtient des résultats un peu moins bons que la classe à deux cours et dans la classe à deux niveau, les performances des élèves sont nettement moins bonnes que dans la classe à trois cours”.
 
                Citons d’autres passages de ce rapport :
                “Il est évident que la classe homogène (par exemple, 25 enfants du même âge) paraît plus facile à gérer que la classe à plusieurs cours. Pour autant, la structure dite homogène ne devrait constituer ni un modèle, ni un exemple. D’abord il n’existe pas de classe vraiment homogène et le maître devrait diversifier sa pratique selon les groupes d’élèves. Par ailleurs, les classes à plusieurs cours facilitent la continuité des apprentissages.
               
Ces résultats vont à l’encontre de bien des discours, que ce soit ceux des enseignants ou ceux des parents des élèves des villes. Ils vont même à l’encontre des instructions qui ont été données aux Inspecteurs d’Académie au milieu des années soixante. Il faut dire que l’on ne disposait pas, à l’époque, des moyens qui existent aujourd’hui pour mesurer l’efficacité de telle ou telle structure. Il faut y ajouter que l’écart entre les performances des élèves des classes à un cours et celle des classes à trois cours est loin d’être négligeable!”
On pourra reprocher à ce genre d’enquête (c’est la loi du genre) d’être trop globalisante et de ne pas tenir compte des situations particulières. Les résultats ne font pas état, par exemple, des différents contextes géographiques (rural ou urbain) ou sociaux (écoles de centre- ville ou de ZEP).
 
                Cependant, on imagine bien que ce rapport en a troublé plus d’un dans le monde pédagogique mais aussi dans les bureaux du Ministère.
 
Equipe pédagogique de l’école
 L. Grimault de Rennes
 
Une pédagogie plus propice à la coopération :
 
                Dans les textes, le système éducatif a fait une grande avancée ces dernières années, en mettant l’enfant au centre de l’acte pédagogique. On demande à chaque maitre(ses) de différencier les apprentissages, de s’adapter aux rythmes de chaque enfant. Cela implique parfois des révolutions douloureuses dans les manières d’enseigner.
 
                Aucune classe, même à un seul cours, n’est vraiment homogène et cette différenciation des apprentissages s’impose partout. Cependant, on peut considérer un effet de structure. Dans une classe à un seul cours, on aura tendance malgré tout, parce qu’on a en face de soi des enfants du même âge censés être à un niveau de développement sensiblement égal, à uniformiser son enseignement.
 
                Dans une classe à plusieurs cours, on est obligé de différencier, on n’a pas le choix. Dans ce contexte, plus “naturellement”, les enfants auront le loisir de naviguer d’un groupe à l’autre suivant leurs besoins dans les différents domaines. Tel enfant en difficulté sur une notion précise pourra bénéficier d’un soutien dans le cours inféieur, tel autre “en avance” pourra profiter des apprentissages du cours supérieur, sans que pour cela les groupes soient figés. Les classes à cours multiples imposent plus qu’elles n’offrent peut-être cette souplesse de fonctionnement.
 
                Ce n’est sans doute pas un hasard si la Pédagogie Freinet est née et reste surtout implantée aujourd’hui dans de telle structures. Dans sa petite école de Provence, Freinet fut un des premiers pédagogues à sentir l’obligation d’inventer des pratiques qui tiennent compte de l’hétérogénéité des enfants qui lui étaient confiés. Il est vrai que toutes ses innovations furent toujours guidées par une approche politique et philosophique qui mettait la personne de l’enfant du peuple au centre de sa pédagogie.
 
                Il est vrai aussi qu’une classe à cours multiples est propice à la coopération et à toutes les attitudes impliquées par celle-ci. Le développement de l’autonomie s’impose de lui-même, les comportements d’entraide sont favorisés, notamment des grands vers les plus jeunes et le philosophe G. Bachelard ne disait-il pas que c’est en expliquant qu’on comprend. On pourrait évoquer aussi les diverses stimulations dont bénéficient notamment les plus jeunes dans ce genre de classe.
Equipe pédagogique de l’école L. Grimault de Rennes
 
De l’intérêt des classes à cours multiple en école urbaine, le témoignage d’une équipe pédagogique
               
Chaque début d’année, certains parents dont les enfants se retrouvent dans des classes à double-cours viennent nous voir pour nous exprimer leur inquiétude. “Est-ce que cela va lui convenir ? Ce genre de classe n’est-elle pas trop difficile à mener ? Ne risque-t-il (elle) pas de moins en faire ? Est-il (elle) dans cette classe parce qu’il (elle) a des difficultés?...” Il nous faut souvent les rassurer et nous comprenons les inquiétudes de ces parents quand le discours et le modèle dominants depuis des années sont la classe à un seul cours.
                Il faut aussi savoir que la structure de notre école primaire (8 classes) imposera toujours des classes à double-cours, sauf à imaginer certaines classes à 35 ou 40 élèves et d’autres à 15 ou 20.
 
Plus de continuité dans
l’apprentissage :
 
     La classe à cours multiples favorise la continuité des apprentissages. A l’heure où nous devons de plus en plus raisonner en terme de cycles de 3 ans, on perçoit mieux l’adéquation de ce genre de structures avec les nouvelles orientations. Une classe à plusieurs cours peut permettre de se donner du temps, ce temps qui nous fait souvent si curellement défaut en pédagogie. Suivre un enfant ou un groupe d’enfants sur plusieurs années donne la possibilité de mieux le cerner, de construire des apprentissages en continuité, sans rupture. Et puis que de temps gagné en début d’année scolaire quand il s’agit de relancer la machine. Chacun est en terrain connu.
 
L’équipe pédagogique Léon Grimault de Rennes
 
Tranches de vie en classe de cycle
 
A l’école Guépin de Nantes, nous avons décidé, il y a maintenant quelques années, par un choix tout à fait délibéré, de répartir les élèves de notre école en classes de cycle.
Le contexte de notre école est particulier, nous n’avons pas de maternelle. Dans la mesure du possible, et évidemment selon le nombre d’enfants par niveau, nous essayons de répartir nos classes ainsi: deux classes de cycle 2 (CP-CE1) et trois classes de cycle 3 (CE2-CM1-CM2).
 
                Je vais essayer ici-même de vous décrire quelques moments de la vie de nos classes de cycle 3:
 
Moment d’apprentissages individualisés:
                              
Ce moment a lieu tous les matins de 9H à 10h15.
Les élèves ont prévu en début de semaine en liaison avec l’enseignant leur contrat.(Le contrat représente les activités correspondant à la fois aux « envies » et aux « besoins » de chacun.) Il est négocié entre chaque enfant et l’enseignant.
 
D’autres enfants, dit « autonomes », effectuent leurs activités au fur et à mesure. Ils n’ont pas de contrat. Leur liberté de choix est plus grande.
 
D’autres encore peuvent travailler sous tutelle ou sous tutorat.
Pour la tutelle, il s’agit de travailler sous la tutelle de l’enseignant qui vérifie chaque activité et indique les activités à effectuer.
Pour le tutorat, il s’agit d’un enfant « dit autonome » qui choisit d’aider un enfant sous tutelle et qui est donc présent dans le choix et suivi des activités.
 
Evidemment, ces différents statuts dans la classe ne sont jamais définitifs. Ils évoluent tout au long de l’année selon les diverses prises de conscience, selon les avancées, régressions, progrès, difficultés sur le chemin de l’autonomie et selon le degré de responsabilisation face aux apprentissages.
 
« Il est 9H. Chacun inscrit sur son cahier du jour l’heure, puis l’activité qu’il a décidé de faire.
Lucie(CE2) démarre la matinée par la préparation d’un brevet; elle s’est arrangée avec Louise pour travailler ensemble sur le même brevet, il s’agit du brevet sur les mots contraires.
Jordi(CM2), quant à lui, écrit un texte libre sur son cahier d’aventure.
Benjamin M.(CM1) et Benjamin T.(CM2) ont décidé de finir leur recherche car elle doit être terminée cette semaine.
Etienne(CM1) est déjà sollicité pour aider Emilie sur un travail de lecture.
Raphaël(CE2) et Jan(CM1) discutent de leur projet du lendemain, car ils ont des choses à prévoir et du matériel à apporter.
Ludivine(CM2) vient me voir pour me demander à passer un brevet.
(voir encart «pour passer un brevet») Je le lui donne. Elle s’isole et se met à travailler sur son brevet.
Aziza(CE2), Lucie(CM2) et Marjorie(CM1) préparent le « Super c’est samedi » ( Moment de communication dans lequel tous les enfants de l’école sont rassemblés: présentations diverses de chants, musique, théâtre, poésies, recherches ...). Elles sortent pour faire le tour des classes afin de préparer leur ordre du jour.
 
 
Ainsi, chacun se met au travail ... avec plus ou moins de rapidité et de conviction, mais on peut dire que quelques minutes plus tard, chacun est dans son activité. Quand on regarde les cahiers, on se rend bien compte que certains ont démarré leur travail 10 mn au moins après les autres ... c’est la loi de l’organistion et de la mise au travail.
On se rend également compte qu’un certain nombre d’enfants travaillent seuls, d’autres à deux et d’autres encore en petit groupe. La durée de l’activité peut être longue, mais elle peut être brève, dans le cadre d’une aide ou d’un dépannage par exemple.
 
« Il est 9H30.
Lucie et Lousie ont terminé leur travail sur le brevet. Elles semblent avoir compris, elles se sont entraînées et ont réussi le test. Louise est, depuis, partie lire en BCD ...tiens, avec Lucie d’ailleurs!
Jordi est toujours sur son texte. Ah quand il démarre à écrire, il nous fait des romans d’histoires abracadabrantes. Et puis, il a été entretemps beaucoup sollicité pour l’aide.
Benjamin M. et T. sont toujours sur leur recherche. Ils n’auront pas le temps de la finir, mais ils ont prévu de la mettre au propre durant le temps de projet de l’après-midi.
Emilie, maintenant, travaille sur les opérations et se heurtent à quelques difficultés avec les retenues. Elle sollicite encore de nombreuses aides.
Jan recopie un texte pour le journal et Raphaël est rendu à l’ordinateur pour se familiariser avec le clavier.
Ludivine a réussi son brevet, elle l’a donc collé dans son cahier du jour et a pointé sa nouvelle réussite sur son livret de formation. En ce moment, elle tente d’aider Hermann(CE2) (car elle est sa tutrice), mais semble avoir des difficultés car elle ne paraît pas être beaucoup écoutée.
Lucie met au propre l’affiche pour le « Super c’est samedi ». Marjorie termine la lettre pour sa correspondante et Aziza corrige son dernier texte.
...                                            ...                                            ...
Et pendant ce temps là, qu’est-ce que je fais?
Je suis intervenu dans la perte de temps de certains et j’ai donc pressé le rythme.
J’ai aidé Emilie qui ne savait plus comment se débrouiller de ses opérations, malgré les nombreuses aides sollicitées.
J’ai corrigé des brevets, des tests d’opérations. Beaucoup d’outils sont auto-correctifs, mais pas tous.
Je suis intervenu dans des groupes, quand je sentais la perte de temps ou la baisse de motivation de certains.
J’ai circulé dans la classe pour jeter un coup d’oeil sur les cahiers.
 
Moment de projets individuels:
                       
                        Ce temps a lieu deux après-midis par semaine de 15H30 à 16H10. Ces projets ont été prévus par chacun en début de semaine.
Chacun démarre son projet juste en revenant de la récréation. Certains ont déjà pris de l’avance pendant la récré.
Valentin(CE2) travaille sur sa recherche en histoire. Valentin est un passionné d’histoire. Il a commencé, l’année dernière, une collection en histoire. Après avoir abordé la guerre de sécession, le voilà sur Napoléon. Vaste sujet!
Miguel, Etienne et Benjamin sont au théâtre avec une maman qui est disponible ce jour-là pour les aider à mettre en scène leur sketch.
Marjorie et Lucie écrivent à leurs correspondantes de Géorgie et du Burkina.
Dans l’atelier, les choses s’animent: certains font de la peinture, d’autres des objets en bois.
Et puis, il y a Jordi et Ludivine qui passent des brevets dans la classe où le silence règne.
Aujourd’hui, dans le cadre du marché des savoirs ( arbres de connaissance), Benjamin apprend à un autre enfant les départements et leur numéro; il connaît cela sur le bout des ongles
Marie apprend à trois autres enfants à dessiner des caricatures.
 
Les lieux occupés pendant ces temps de projets sont la classe, la salle atelier, la BCD, la salle polyvalente et les couloirs.
Les projets, une fois terminés, sont présentés à la classe au bilan du soir.
 
 
Moment de projet collectif
 
                        Nous avons un courrier à envoyer en Géorgie. Le lettres individuelles sont pratiquement terminées. Il faut maintenant étudier ce que nous leur envoyons.
Des enfants décident de répondre aux questions, d’autres écrivent la lettre collective, d’autres encore décident de rechercher des documents sur Nantes, d’autres sur notre pays ...
Le groupe-classe s’organise. Les « plus petits » donnent leurs idées, les « grands » reformulent, écrivent, complètent. Les échanges sont nombreux. On n’est pas d’accord avec les questions, on rectifie, on supprime, on ajoute, on corrige.
Et puis retour au petit groupe pour réaliser les affiches et la mise au propre. Chacun y participe: en écrivant, en décorant, en illustrant, en ajoutant des documents.
 
 
 
                               Les interactions sont incessantes dans une classe de cycle. Elles permettent d’utiliser les compétences de chacun et de mettre chacun dans un état de confiance envers les autres et envers l’adulte.
Les références deviennent multiples. L’enseignant n’est qu’une ressource parmi beaucoup d’autres (mais cela ne signifie pas qu’il perde son statut).
 
Je pense alors à ce que disait Paul Le Bohec dans un article intitulé « Interdire la classe à un seul cours »: « Quand les enfants entrent dans de telles classes (à plusieurs cours), lls se trouvent insérés dans un tissus de relations, insérés dans des systèmes de comportements licites ... qui leur permettent de se situer dans le groupe et de se construire une personnalité plus recentrée, plus homogène ... »
 
 
IV La coopération dans les apprentissages en classe de cycle vue par les enfants
 
Lors d’un bilan de fin d’année, alors que nos élèves avaient vécu leur année dans une classe de cycle 3 hétérogènes, nous avions recueilli quelques une de leurs réflexions qui tournaient autour de «On apprend plus collectivement». Ce qui apparaissait dans les réflexions était «qu’on ne se sent plus isolé dans ses apprentissages» :
« On apprend plus en groupe. On travaille ensemble. »
« On travaille plus facilement parce qu’on travaille avec les copains. »
« On peut travailler ensemble même si c’est un peu dur. »
« C’est mieux de mélanger parce que c’est plus collectif. »
« Ca permet de communiquer avec des enfants de niveaux différents, c’est difficile autrement. »
L’hétérogénéité, les interactions, la communication entre pairs paraissent donc, dans leur esprit, être un facteur favorisant leurs apprentissages ... ou du moins leur accès au savoir et au désir d’apprendre.
La valeur des interactions entre pairs nous est maintenant connue. Je pense à une intervention de G. Chauveau au Salon (Salon des apprentissages individualisés et personnalisés, organisé tous les ans à Nantes au mois de novembre) et à un exemple qu’il donnait au sujet des expériences de Piaget.
Les expériences bien connues de conservation des liquides et des quantités ont été reprises dans les années 70, mais cette fois-ci on met deux enfants en situation de coopération face à la tâche, y compris des enfants de niveau cognitif peu avancé. Les enfants sont mis en situaton d ’échange et l’on s’aperçoit dans certaines conditions que des enfants « non conservants » acquièrent cette notion en une seule séance de coopération.
Il est intéressant alors d’observer les conditions requises pour qu’il y ait une véritable coopération:
-Que les deux enfants aient des rapports positifs entre eux (sans domination ni dévalorisation).
-Qu’ils partagent le même projet.
-Qu’ils aient des rapports d’égalité, de symétrie.
-Qu’il y ait des conditions minimales sur le plan cognitif,...qu’ils ne soient pas trop éloignés du but à atteindre.
Dans nos classes coopératives, nous réunissons un certain nombre de ces conditions de par la vie même du groupe-classe.
Il n’y a peut-être que la 4ème condition qui n’est pas toujours évidente, surtout dans une classe de cycle...mais je n’y crois pas non plus systématiquement. En effet, combien de fois n’avons-nous pas vu un CM2 travailler une notion avec un CE2. Celui-ci pouvait apparaître perdu, largué...mais l’apprentissage faisait son chemin et la notion certainement pas maîtrisée avait cependant laissé des traces.
 
De nombreuses réflexions tournaient évidemment autour de l’entraide:
« On peut aider, on peut se faire aider. »
« On explique aux autres. On peut apprendre des choses en les expliquant. »
« On met des choses en commun. »
« Les grands peuvent aider les petits parce qu’ils ont rencontré ces difficultés avant. Les petits nous apprennent aussi des choses. »
Les valeurs de l’entraide en tant que dynamique à la fois sociale, intellectuelle et cognitive nous apparaissent encore une fois.
Quels mécanismes entrent alors en ligne de compte? G. Chauveau nous explique là aussi les mécanismes:
- s’interroger sur un problème conduit à s’apercevoir qu’il y a des réponses différentes voire opposées. Ils découvrent alors que leur point de vue n’est pas unique
- envisager un autre point de vue: décentration.
...et donc questionnement sur son propre fonctionnement mental-processus de métacognition, dont parlait Joel mardi après-midi.
 
De nombreuses réflexions sont apparues autour de « l’amitié entre enfants ».
« On apprend à respecter les autres. »
« On ne se moque pas des autres. » 
« Cela permet l’amitié entre petits et grands. »
« Ca permet des points de vue différents sur la vie. »
Cet aspect relationnel n’est pas anodin dans la mise en perspective de bonnes conditions à l’apprentissage.
 
Il est intéressant de terminer par leur perception du rôle du maître. Les réflexions, alors, tournent essentiellement autour des difficultés de l’enseignant:
« Pour l’instituteur, c’est difficile de s’occuper de trois niveaux. »
« Parfois un niveau est laissé à travailler tout seul, c’est difficile. »
« C’est difficile pour l’instit de donner du travail aux différents niveaux. »
« Pour les maîtres ça doit être dur. »
Il faudrait affiner ces remarques pour en tirer une analyse plus approfondie, mais on peut sans doute percevoir une gestion du temps parfois difficile à maîtriser et une charge de travail leur paraissant importante de la part du maître.
Et là, on ne peut que se rappeler un principe de Vigotsky qui a beaucoup développé ses recherches sur la coopération adulte-enfants:
« L’enseignant n’est ni celui qui transmet, ni celui qui suit les enfants et laisse libre cours à leur créativité et leur spontanéité, il est celui qui va guider et qui va partager l’activité intellectuelle et l’activité de recherche des enfants. »
Nous avons donc certainement à travailler dans ce sens : ne pas être seulement attentif au conditions et à la mise en place des apprentissages, mais être également présent dans le cheminement intellectuel de chacun.
 
                François Le Ménahèze
                                                              
Conclusion : Une autre façon de travailler
      Bien sûr aucune solution n’étant jamais parfaite, on pourra objecter une coexistence de plusieurs années sera parfois pesante pour certains maîtres ou enfants que changer régulièrement de référent(s) d’environnement n’est pas forcément un mal. On pourra se plaindre du surcroît de travail que les classes à plusieurs cours surtout avec les plus jeunes ne manquent pas de créer. Pour l’instit, c’est la sensation d’être “au four et au moulin”. On pourra aussi postuler que la classe à un seul cours n’empêche pas de développer toutes les capacités ou attitudes évoquées plus haut que c’est en fait plus une affaire d’approche pédagogique. Le débat ne pourra jamais être tranché complètement même si on peut penser, à un seul cours ne peut plus être considéré comme la panacée.
 
                En fait, le problème qui reste majeur, au-delà de cette opposition cours unique/cours multiples, c’est bien le nombre d’enfants par classe et l’espace disponible. Les petites classes rurales bénéficient souvent de petits effectifs pour un espace disponible important, conditions autrement satisfaisantes que celles de nos grandes structures.
 
                Car, quelque soit le type de classes, la personnalisation des apprentissages devient une véritable gageure quand on doit concentrer les activités des 25 enfants ou plus dans un espace de 40 m2.
 
Ce dossier a été réalisé par Jean-Robert Ghier et Patrick Pierron (comité de rédaction) avec la participation de :
- François Le Ménahèze,
école A. Guépin 44000 Nantes
- Equipe pédagogique de
l’école L. Grimault de Rennes
- Corinne Causse
 école publique 07 St Fortunat
-   Annette Hidel et Jocelyne Ducatez Ecole du Gd Chemin 59 LA GORGUE
- Gérard Devos
 école publique 59 Sec Bois
 
 
Cri du coeur
           
Septembre 1997, c’est la rentrée...
18 enfants de CP... et mes CE1 ? partis chez d’autres collèges...
Me voilà pour la première fois depuis 8 ans devant un cours simple. Seulement des CP..., et je cherche mes CE1 qui m’empêchaient de radoter et de me répéter chaque année devant mes nouveaux venus ; qui s’occupaient de l’approche de l’imprimerie, qui expliquaient le journal, qui présentaient la correspondance, qui aidaient à l’élaboration de notre “mini-société”...
                J’ai l’impression d’avoir vieilli, ça bouge moins autour de moi, “ils” n’osent pas encore... Je suis à fond pour l’hétérogénéité dans les classes et les cours doubles et les CP-         CE1.
            Lucette AGOSTINI
Ecole de Ceyreste (13)
 
L’ENTRAIDE EN CLASSE
 
Comment aide t’on?
                Ne pas dire la réponse.
                Ne pas se moquer.
 
Je dois utiliser le tableau des brevets ou le tableau d’aide.
 
Je peux:
                - donner un exemple.
                - expliquer avec mes mots
                - dire ce qu’il faut faire.
                - lire la consigne avec lui.
                - aider à observer.
                - le laisser deviner.
                   ...           ...
Celui qui aide :
Il faut déjà comprendre de quoi il s’agit.
Sinon, je renvoie à quelqu’un d’autre ou au maître.
 
Celui qui se fait aider :
Il faut d’abord essayer de comprendre par soi-même.
Il faut écouter celui qui aide.
 
Affiche dans la classe de F Le Ménahèze
 
POUR PREPARER UN BREVET
Je travaille absolument avec quelqu’un.
 
Nous choisissons un brevet que nous avons envie de travailler.
Nous essayons de bien comprendre ce que nous lisons.
Nous observons bien les exemples.
Nous nous entraînons.
 
Nous faisons le test auto-correctif séparément.
Si je le réussis, je pourrai passer le brevet un autre jour.
Si je le rate, je devrai m’entraîner à nouveau.
 
POUR PASSER UN BREVET
Avant de passer un brevet, je dois m’être entraîné.
 
Je me concentre.
Je travaille tout seul.
Je fais corriger par le maître.
extrait de cahier
 
 
Mes projets pour la semaine
du............au..............................
     en cours                   terminé
 
lundi________________________________________________
mardi________________________________________________
jeudi________________________________________________
vendredi
________________________________________________
 

 

Le conseil, clé de voûte de ma section de moyen-grands

Décembre 1997

Définir et ajuster l’organisation de la classe, établir les règles de vie commune, réguler les conflits, favoriser l’entraide et l’accès à l’autonomie, chez Muriel Quoniam, le conseil est un moment privilégié de la vie de la classe. Qui plus est, la mise en place d’un conseil, avec tous ces objectifs appporte à l’enseignant une possibilité de décentration particulièrement bénéfique: «La mise en place d’un conseil dans ma classe maternelle m’a obligée à renoncer à une certaine idée du pouvoir.» M. Q

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La force du conseil : s’exprimer en tant que sujet
 
Il m’a fallu parfois accepter de me placer en retrait, sans perdre de vue mes objectifs et laisser expérimenter des situations que je n’aurais pas choisies.
Par exemple, Clément (4 ans et demi) avait lors d’un conseil proposé d’établir un calendrier de la météo (inscrire le temps qu’il fait sur le calendrier offert par les correspondants). La décision avait été qu’il le fasse seul, tous les jours. Quelques conseils plus tard l’organisation fut remise en cause. Je vous livre une transcription de la discussion brute (voir encart 1) : les enfants apprennent à échanger, à s’écouter, à se respecter, ils tâtonnent, ils s’expriment et cherchent à se mettre d’accord. Enfin ils décident.
 
Si j’avais, d’emblée, refusé l’organisation initiale en suggérant par exemple le tour de rôle qui me semblait plus juste, cette discussion n’aurait jamais eu lieu... Or, la solution que les enfants ont adoptée est un compromis entre le «moi tout seul» de Clément, et le «chacun son tour» quasi obligé de la démocratie. Voilà qui est bien plus formateur et plus satisfaisant pour ce groupe que n’importe quelle autre forme imposée.
 
Clément (un des plus jeunes de la classe) a trouvé ainsi la possibilité de s’affirmer sans danger et de modifier progressivement sa position pour trouver un terrain d’entente avec les autres tout en préservant son désir !
La force du conseil réside dans cette capacité qu’il offre aux individus de s’exprimer en tant que sujet. Le «je» prend un sens, chacun s’exprime en son nom propre.
 
Le travail de la langue
 
Le travail de la langue est un objectif majeur de la maternelle. Dans le sillage de Laurence Lentin nous essayons tous de trouver des stratégies permettant à l’enfant de «parler».
Au sein de la classe coopérative, lorsque les lieux de parole fonctionnent, les «séances de langage» sont inutiles : la structuration de la langue et de la pensée s’élaborent par la force des choses.
Pour parler, il faut avoir quelque chose à dire, à communiquer. La vie de la classe et la gestion des conflits sont les meilleurs supports de langage qui soient, sans faux semblant. Même s’il ne maîtrise pas bien la langue, l’enfant se trouve personnellement impliqué. Il a besoin de se faire comprendre, alors il tâtonne, essaie, recommence et s’il n’arrive pas à articuler clairement son propos (pour des problèmes de syntaxe, d’articulation... ) un autre enfant ou la maîtresse l’aide, renvoie en feed-back et au besoin reformule le message et le complète.
En fait, le contenu du conseil dépasse la simple résolution de problèmes organisationnels ou relationnels...
 
 
 
Encart 1
Extraits d’un conseil.
Débat : le calendrier de la météo.
Alice : Je voudrais qu’on fasse le calendrier, que..., qu’on... j’ai envie qu’on change.
Amandine : Un petit peu tous les jours, chacun son tour.
Clément : Ca ne me plaît pas ça, parce que c’est moi qui avait proposé ça.
Anaïs : Je propose que ça soit Clément, et parfois un grand.
Nicole : Ouais, les grands d’abord et puis après les moyens.
Antonin : D’abord les moyens parce que Clément est un moyen.
Maxime (s’adressant à moi) : T’as qu’à faire comme pour Coquine (notre lapine), tu prends des feuilles et tu les passes dans ton ordinateur et puis tous les jours, tu appelles un enfant par jour.
Clément : J’aime pas ça.
Nicolas : Il faut faire chacun notre tour parce que toi, tu le fais beaucoup de fois.
Pierrick : Oui, mais c’est son métier, hein dis Clément ?
Valentin : C’est pas un métier !
Justine : Il faut être à deux pour les métiers.
Clément : Si j’y arrive pas, quelqu’un... je voudrais que quelqu’un m’aide, mais je voudrais le faire tout le temps.
La maîtresse : Clément propose d’être responsable de la météo avec quelqu’un qui l’aide. Maxime propose que celui qui l’aide change tous les jours. Seriez-vous d’accord pour que je fasse une liste avec tous les jours quelqu’un qui aide Clément ?
 
 
Lancer le conseil dans la classe
 
Matériellement, comment introduire cette réunion alors que les enfants n’en connaissent même pas l’existence ? En d’autres termes : comment créer le besoin ?
Le jour de la rentrée, à chaque fois qu’un enfant vient me rapporter une agression, un problème ou émet une proposition, ma réponse se fait toujours énigmatique : «Tu en parleras au conseil» ou «On règlera ça au conseil»... Inévitablement cela débouche sur des questions :
- «C’est quoi ?»
- «Une réunion.»
- «C’est quand ?»
- «Cet après-midi, après la récréation !»
Ainsi, le conseil existe et a un but... les enfants savent, en gros, ce qu’on va y faire !
Pour le premier jour, c’est moi qui installe les tables pendant la récréation (après deux responsables s’en chargeront) et qui fixe les points de l’ordre du jour de la vie de la classe : élaboration de la liste des métiers (souvent ébauchée, puis achevée à un autre moment), trouver un nom au journal de la classe (idem, les noms sont lancés, on y réfléchit et le vote se fera plus tard)... Les enfants comprennent vite qu’il peuvent lancer des idées et s’investissent très rapidement.
 
La «routine» du conseil
 
En m’appuyant sur quelques mots-clé, j’ai cherché à dégager les «invariants», les ingrédients indispensables à la bonne réussite d’un conseil quelque soit l’âge des participants. :
- régularité, le conseil est inscrit à l’emploi du temps, une fois par semaine.
- ritualisation, j’énonce les règles au début de chaque réunion, ainsi que l’heure, accompagnée de la phrase magique «le conseil est commencé !». J’écris la date et l’heure sur mon grand cahier où je note ensuite toutes les prises de parole ainsi que les décisions.
- Gestion de choses concrètes et application des décisions, la discussion précède l’action.
- Protection de la parole et de l’individu, possibilité pour chacun de s’exprimer et exigence d’écoute.
- Temps limité, 50 minutes maximum (l’heure de la sortie oblige à avoir terminé...)
- L’ordre du jour est toujours le même :
 
              Vie de la classe
- la parole aux responsables.
- la classe fonctionne-t-elle bien ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?
- les propositions de projets ou d’activités.
- les critiques (entre enfants)
- les félicitations (entre enfants)
 
 
Entrer dans la citoyenneté dès la maternelle
 
Pour conclure, je voudrais dire que j’ai dû abandonner une ceretaine forme de pouvoir, j’y ai gagné en tranquillité et calme : ce n’est pas moi qui sanctionne, mais je fais respecter une règle que émane du conseil, mon rôle est clairement défini. La différence est de taille pour moi... et pour les enfants !
A l’heure où l’instruction civique redevient très en vogue : élaborer et s’approprier les règles de vie en groupe, respecter, tenter de comprendre et aider ceux qui ont des difficultés, n’est-ce pas une solution pour abandonner la violence comme mode de relation et entrer dans la citoyenneté dès la maternelle ?
 
Muriel Quoniam
école Franck Innocent
76 113 Sahurs
 
 
Règles de conseil
 
On parle de ce qui concerne la classe :
                - les responsabilités
                - ce qu’on a envie de faire, pas envie : les propositions, les questions, les critiques ou les râlages. On en discute et on    décide.
On parle de ce qui est bien ou pas bien avec les copains :
                - les félicitations
                - les critiques
Le conseil nous aide à grandir, à décider tous ensemble des règles et à les respecter :
                - on demande la parole
                - on écoute celui qui parle
                - on ne se moque pas
                - on ne dit que ce qu’on sait
                - ce qui est décidé doit être appliqué : la maîtresse est là        pour faire respecter les décisions du conseil.
 

 

Les cellules école-milieu au Sénégal

Décembre 1997

L’Association Sénégalaise de l’Ecole Moderne (ASEM) regroupe au Sénégal des enseignants qui pratiquent une pédagogie coopérative s’inspirant des idées de C.Freinet et de l’I.C.E.M. Elle travaille en écoles publiques, dans le cadre de la réforme de l’Education au Sénégal. Depuis plusieurs années, des liens ont été tissés entre des militants de l’ICEM et de l’ASEM ainsi que de la Coordination Africaine de l’Ecole Moderne (CAMEM). Ces relations se tissent au sein de la FIMEM. Dans le cadre de la réforme de l’enseignement au Sénégal, des Cellules Ecole - Milieu (CEM) ont été conçues, elles permettent des échanges entre les enfants dans l’école et le village.

 
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L’expérience de Diawar dans la région de Saint-Louis est à ce titre exemplaire. Un plan de développement d’école a été élaboré, plan dont les axes forts sont:
-le jardin scolaire,
-la formation pratique, qui permet à l’école de mettre en place des activités comme les tresses traditionnelles, la couture, le tricotage,l’éducation artistique...grâce à la participation des habitants du village.
 
                Sans vouloir transférer ceci en France par exemple, il me semble que l’on se rapproche des Réseaux d’Echanges de Savoirs (RES) et de l’utilisation pratique des compétences de chacun dans le milieu existant. En voici un compte-rendu sommaire.
 
Le jardin 
 
                L’école dispose d’un terrain de 6 400 m2.L’école ne pouvant à elle seule exploiter cette surface, les tâches ont été partagées entre la coopérative scolaire gérée par les élèves, l’équipe pédagogique et la cellule école-milieu.
                La coopérative scolaire assure la gestion des finances et achats de semis, matériels... Les enfants veillent à ce que les délais des travaux soient respectés. Ils mettent en pépinières, repiquent, désherbent. Ils assurent aussi la propreté du jardin et nettoient les alentours.
                L’exécution de toutes les phases sont annoncées à l’école et sont gérées avec les enfants par une commission “maraîchage” de la coopérative d’école.
                L’équipe pédagogique qui comprend les 6 maîtres de l’école (y compris le directeur) choisit après l’assemblée générale de la coopérative de suivre les différentes commissions que les enfants ont souhaité mettre en place. Ainsi :
- la commission boutique scolaire est “supervisée” par M.Seck,
- la commission théâtre par M.Fall,
- les commissions maraîchage et journal par M.Hanne et ainsi de suite... L’équipe pédagogique peut remplir son rôle de co-gestion et de suivi des commissions et permettre une mise en relation avec les personnes -ressource du milieu, comme le maraîcher, le commerçant, les sportifs, l’agent d’hygiène, l’artisan, la matrone, le chef de village, les notables, l’agriculteur ou l’éleveur ...
                La Cellule Ecole-Milieu est elle composée de toutes les personnes et structures sociales : union de paysans, comité des femmes, etc. Elle apporte la part du milieu à l’éducation des enfants.
                La C.E.M. participe à la gestion de l’école, à son extension, son équipement et à l’amélioration des conditions de vie des enfants.
                Il se trouve alors que le savoir n’est plus uniquement dans les “mains” de l’instituteur, que l’insertion de l’enfant dans son milieu passe par une meilleure connaissance de celui-ci.
                Les enseignants membres de l'ASEM retrouvent aussi l’importance que prend la correspondance inter scolaire qui a “relié” l’école de Ragon (près de Nantes) à partir de 1987/88 puis avec Lille et Courcelles les Lens (Pas de Calais) depuis 1991. Des correspondances entre parents et adultes de France et du Sénégal ont même vu le jour. Des constitutions d’”albums de vie” par les enfants en France et au Sénégal se sont échangés et ont beaucoup enrichi les courriers respectifs.
 
                Des actions communes coopérative scolaire - cellule école-milieu ont pu élargir les ouvertures de l’école vers le milieu et la prise en compte des activités scolaires par le village. Citons par exemple le nettoyage de l’école et du village et un apprentissage de la gestion des déchets chaque vendredi à 10 h 30 ... ou également la cooptation par les enfants de personnes-ressource dans le village afin de pouvoir repiquer des légumes, désherber et savoir quels sont les produits phytosanitaires les mieux indiqués...
 
                Le “faire ensemble”, le “chercher ensemble” a jeté dans le village des ponts entre des mondes qui parfois ne faisaient que co-habiter.
                “Notre petite expérience est importante par les réussites qu’elles entraînent dans l’école et dans le village. Les prestations des enfants aux différentes journées portes ouvertes et forums ont impressionné beaucoup de gens” soulignent Papa Meïssa Hanne et Cheikh Makhfousse Seck, enseignants de l’école de Diawar et membres de l’ASEM.
 
Propos recueillis par Sylvain Hannebique auprès de P.M.Hanne (école moderne de DIAWAR - B.P.12 Ross Béthio - SENEGAL).
               

 

Motivation... Démotivation

Décembre 1997

"On ne fait point boire le cheval qui n'a pas soif..." (1)

Revenir sur ces concepts de motivation naturelle ou artificielle et de non - motivation nous paraît plus important que jamais. L'actualité montre, en effet, que beaucoup de problèmes concernant les apprentissages généraux et professionnels chez les jeunes adultes en formation qualifiante, chez les adolescents et même chez les enfants à l'école élémentaire, proviennent d'une "résignation apprise" face à des situations de contrainte, de surcharge mentale, d'absences d'objectifs ou de perspectives.
 
 
               
Nous croyons retrouver dans les analyses d'Alain Lieury sur "la motivation intrinsèque" et "la motivation extrinsèque" (3), un parallèle possible avec les réflexions de C. Freinet.
"La motivation "intrinsèque" est liée à la curiosité, à l'intérêt qu'on prend à faire une chose pour elle - même. On l'oppose à la motivation "extrinsèque" qui dépend des récompenses à obtenir ou des punitions à éviter." (3)
"Alain Lieury (2) et son équipe ont élaboré un modèle permettant d'expliquer le comportement de sujets en fonction de l'image qu'ils ont d'eux - mêmes et de la situation dans laquelle ils se trouvent.
Ce modèle est construit autour de deux axes (voir le schéma ci - contre) : un axe horizontal allant de la contrainte à l'autodétermination (sentiment de liberté dans l'action) ; un axe vertical allant d'une "forte compétence perçue" (image de soi dans une activité) à une compétence perçue nulle. En croisant les deux axes on crée quatre pôles." (2)
"... Selon cette approche, une forte motivation serait la résultante de deux besoins humains fondamentaux : la compétence perçue - ou estime de soi - et le sentiment d'autodétermination ou inversement de contrainte, c'est - à - dire de liberté dans l'action. Quand la compétence perçue et le sentiment d'autodétermination sont réunis, l'individu se trouve en motivation intrinsèque. Mais dès que l'un de ces deux facteurs baisse, il se dirige vers la motivation extrinsèque.
La non - motivation est le produit de l'association de l'incompétence perçue et du sentiment de containte. C'est le cas, par exemple, du mauvais élève : d'une part, il se sent nul, d'autre part, il perçoit l'école comme une pure contrainte." (3)
Il nous semble que pour renforcer "la motivation intrinsèque", la pédagogie Freinet apporte une réponse, parmi d'autres, en proposant des activités authentiques qui exaltent le travail vrai, la communication, la coopération, qui développent l'autonomie et redonnent à chacun l'estime de soi. C.Freinet, dans l'extrait ci- dessous (4), précise bien cette satisfaction interne qu'elles apportent naturellement.
"...Certaines activités sont spécifiques au petit d'homme, comme la course après la souris est spécifique au petit chat. Elles sont la satisfaction normale de nos besoins naturels les plus puissants : intelligence, union profonde avec la nature, adaptation aux possibilités physiques ou mentales, sentiment de puissance, de création et de domination, efficacité technique immédiatement sensible, utilité familiale et sociale manifeste, grande amplitude de sensations, peines, fatigues et souffrances incluses. Il ne s'agit pas ici d'une vulgaire joie, d'un superficiel plaisir, mais d'un processus fonctionnel : la satisfaction de ces besoins procure par elle - même la plus salutaire des jouissances, un bien - être, un sentiment de plénitude, au même titre que la satisfaction normale de nos autres besoins fonctionnels. Et cette satisfaction se suffit à elle - même. C'est pourquoi de telles activités sont en même temps des jeux, dont elles ont les caractéristiques générales, et qu'elles détrônent et remplacent le jeu..
... Si nous voulons ressouder puissamment la nature humaine, il nous faut, à cette profondeur, tâcher de réaliser une activité idéale que nous appellerons travail - jeu pour bien montrer qu'elle est les deux à la fois, répondant aux multiples exigences qui nous font d'ordinaire supporter l'un et rechercher l'autre. La chose n'est certainement pas impossible puisqu'elle se réalise spontanément en certains milieux, dans certaines circonstances. A nous de la généraliser et d'en étendre le bénéfice à notre effort scolaire..."(4)
"Toute méthode est regrettable qui prétend faire boire le cheval qui n'a pas soif. Toute méthode est bonne qui ouvre l'appétit de savoir et aiguise le besoin puissant de travail." (1)
                                                                                              Montage réalisé par Janou et Edmond Lèmery
 
(1) C. Freinet - Les dits de Mathieu : Donner soif à l'enfant - Oeuvres pédagogiques - Tome 2 - p.114 - Editions : Seuil.
(2) Jacques Lecomte, rédacteur de la revue Sciences Humaines N° 70 Mars 1997
(3) Alain Lieury* - propos recueillis dans ce numéro de Sciences Humaines par J. Lecomte
(4) C. Freinet - L'éducation du travail - Oeuvres pédagogiques - Tome 1 - p.167 - Editions : Seuil
* Professeur de psychologie, directeur du laboratoire de psychologie expérimentale à Rennes II

 

Une technique de communication : les trois minutes

Décembre 1997

La technique des trois minutes est une technique qui a vu le jour dans la commission second degré autour des années 80. Vraisemblablement introduite par R. Favry au cours d’un stage. Cette technique a trouvé sa place dans les classes de collège et de lycée.

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Les consignes de base
 
Lorsqu’on introduit la technique des 3 minutes dans la classe il s’agit de donner le minimum d’explications et de consignes pour pouvoir démarrer.
Dans un premier temps les élèves ne comprennent pas tout à fait ce qui leur est proposé fait à à fois d’exigence dans la forme et de liberté dans le fond.
Il suffit de présenter un texte oral, préparé à l’avance, sur un sujet libre (il n’y a pas de sujet tabou). Les règles en vigueur sont celles de la classe lorsqu’on s’exprime, seules les grossièretés et les diffamations sont interdites.
Il s’agit d’une recherche collective sous des apparences de travail présenté individuellement. Comme pour les reste des techniques il n’y a pas dans la classe des spectateurs et des acteurs. Tout le monde passera pour s’affronter à cette difficulté.
Le temps est IMPERATIVEMENT limité à TROIS minutes. Du reste, un gardien du chronomètre sera désigné.
La limitation dans le temps est voulue pour obliger les intervenants à dégager l’essentiel de leur propos, à préciser leur pensée dans un temps donné. Il est bien entendu possible de faire plus court à condition que le propos fasse un tout cohérent et qu’on trouve une introduction, un développement argumenté et émaillé d’opinions personnelles et une conclusion. C’est le moment de réinvestir toutes les connaissances apprises par ailleurs.
Avant l’intervention deux «critiques» sont désignés.
Ces premiers jalons étant posés, le planning des interventions est fixé et l’heure nécessaire pour écouter entre trois et quatre interventions est programmé au plan de travail de quinzaine.
 
La phase de critique
 
L’intervenant ayant terminé sa prestation dont la durée est entre 0 et 3 minutes, nous passons à la phase suivante : la parole est aux deux critiques désignés au départ. Ils interviennent en utilisant la grille d’observation minimale qui pour la première fois comprend les consignes de départ données plus haut, plus les remarques qui pourront être faites soit par les critiques soit par le reste de la classe.
Comme il s’agit de faire progresser le groupe sur une technique donnée, toute erreur relevée est à corriger par le groupe et doit devenir une remarque à prendre en compte par les intervenants suivants. C’est ainsi que toute critique doit être assortie de conseil du type : «Pour la prochaine fois, il faudra que le suivant ne lise pas son texte mais regarde l’auditoire sinon ceux qui écoutent ne se sentent pas concernés». Une fois discuté ce conseil est inclus dans la grille d’observation des trois minutes qui s’enrichit ainsi petit à petit au fil des passages. Les grilles ne sont pas préétablies et sont donc évolutives.
Lorsque les deux critiques désignés ont terminé leur intervention, la parole est donnée à la classe qui s’adresse à l’intervenant.
Le verdict de la classe est alors prononcé : «oui, on te donne le label des trois minutes ou alors on ne te le donne pas».
 
L’évaluation
 
Il y a donc évaluation mais pas notation. Depuis l’introduction de cette technique dans les classes de quatrième et troisième, après discussion, aucun groupe classe n’a accepté d’être noté. Le motif qui revient de façon presque constante est : «Nous avons suffisamment peur comme ça, si en plus il faut nous noter nous serons paralysés et nous n’oserons plus essayer des choses».
Certaines classes, avec d’autres collègues, notent cette prestation. Il n’y a donc pas de règle en la matière.
La notation n’apparaît pas comme un moteur, bien au contraire. Le fait de dire on t’accorde ou on ne t’accorde pas les trois minutes est une évaluation suffisante alors que ceci n’est noté nulle part et n’est même pas affiché sur un quelconque planning dans la classe.
 
La construction d’un savoir commun
 
Effectivement toutes les présentations ne sont pas bonnes et tous les intervenants ne réussissent pas, soit parce que ce choix de sujet n’est pas original, soit parce que la prestation est faite sans conviction, soit parce que l’opinion personnelle ne transparaît pas, soit parce qu’il y a régression pure et simple par rapport aux avancées précédentes, soit...soit...
Mais, le fait de construire une grille d’observation commune et de stratifier les remarques procède de la construction et de l’appropriation commune. Si les réussites sont collectives, les régressions le sont aussi et les culpabilités éventuelles sont supportées par l’ensemble du groupe. La notion d’équipe est ici présente dans une technique qui présente tous les attributs de l’exercice solitaire.
La présentation est certes importante mais peu à peu les critiques prennent une importance tout aussi grande car le fait d’analyser la prestation d’autrui, et ce faisant, d’être capable d’autoréguler sa propre prestation est une acquisition particulièrement précieuse.
 
En conclusion
 
La technique des trois minutes est particulièrement adaptée aux contraintes de l’enseignement du second degré. S’il ne faut pas la proposer trop tôt, pour bien la différencier des exposés souvent utilisés en 6ème et en 5ème, c’est une technique qui, par contre, peut-être introduite jusqu’en terminal et dans plusieurs disciplines pas seulement littéraires. Sa souplesse et sa simplicité ne nécessitent pas de contraintes matérielles en temps, en espace et en matériel. Elle apparaît donc commmme parfaitement adaptée aux difficiles exigences de l’enseignement dans le second degré.
 
André MATHIEU (44 Nantes)
 
 
Pourquoi «les 3 minutes» ?
 
 
Certes, une technique ne vaut que par l’utilisation qui en est faite, toutefois il apparaît que «les 3 minutes» correspondent bien aux fondements théoriques de la pédagogie Freinet :
- L’expression libre, Même si le cadre est strict (durée, rigueur dans le niveau de langage...) la forme n’est pas imposée, les supports peuvent être variés : magnéto, diapos, vidéo, jeu dramatique, objets...
- Tâtonnement expérimental, est à la fois individuel, chacun essaie comme il l’entend cette technique, et en groupe, la réussite ou l’échec peuvent profiter à l’ensemble du groupe (voir grille d’observation),
- La socialisation, le groupe modifiera par ses interventions, soit le propos émis, soit la forme de présentation. Ces remarques profiteront à l’ensemble. Dire à l’autre et en retour accepter son opinion est très formateur pour l’adolescent.
 
 
GRILLE D’OBSERVATION
(cette grille est évolutive)
 
Forme : une introduction
                un développement
                une conclusion
                introduction original
                temps
Fond :    avis personnel
                sujet original
                pertinence des remarques
                ouverture sur un débat
Attitude : regarde son auditoire
                bonne diction
                tenue correcte sur le siège
                tonicité dans le discours
                supports adaptés
                bonne exploitation des docu   ments
               
 
Trois minutes accordées    Oui Non
 
 
La mise en route suit les règles de la rhétorique classique, à savoir :
               
                Inventio : les idées - le scoop !
Un sujet précis, concis, concret. Vous lisez des revues, vous regardez la télévision. Vous avez un CDI. Vous avez les BT2, très utiles pour ce travail, etc...
               
                Dispositio : le plan.
Aidez l’auditeur, vous vous donnez une problématique : une question précise, au champ limité. Proposez à votre auditoire un plan personnel et logique, ceci les aidera à prendre des notes.
               
                Elocutio : du style ! du charme !
Etre concret, style imagé si possible, phrases bien rythmées. Il est plus prudent, au moins la première fois, de rédiger la prise de parole. Ce texte peut être lu de manière expressive.
 
                Actio : diction. Encore du charme !
Il faut que vous lisiez ce texte à haute voix («le gueuloir» de Flaubert) pour repérer les passages qui ne vous plaisent pas et les réécrire. Entraînez-vous chez vous , chronométrez-vous.
 
                Mémoria : mémoire
Au bout de ce travail vous connaissez pratiquement le texte par coeur. Vous pouvez prononcer votre prise de parole selon trois modalités différentes :
- vous êtes sûr de vous, donnez l’impression d’improviser,
- vous connaissez votre sujet mais vous avez un peu peur, préparez deux ou trois fiches avec l’essentiel,
- vous avez vraiment peur, alors lisez votre exposé en vous arrêtant à chaque paragraphe pour regarder votre auditoire.
 
                Le grand jour arrive, du    punch !
Faîtes vous plaisir, ce n’est qu’un jeu !
 
Roger Favry
article paru dans «Second Degré Liaisons»
bulletin de liaison du secteur ICEM Second Degré.
Titre original de l’article : «Une minute pour convaincre»