L'école "libre " au Japon

Novembre 1995

Quand Célestin Freinet a jeté les premières bases de sa méthode, il existait d'autres mouvements de péda­gogie nouvelle, y compris au Japon. Il y avait plusieurs écoles de péda­gogie nouvelle dans les grandes villes ; c'étaient des écoles privées pour les petits bourgeois intellec­tuels. Ces écoles ont été fermées ou écrasées lors de la militarisation du Japon et du renforcement du système impérial. Dans les années 30 existait un mouvement de pédagogie nouvelle né dans les zones agricoles pauvres du Japon : le Mouvement du Texte de la Vie. Il consistait à demander aux en­fants de décrire le plus fidèlement possible leur vie quotidienne. Il y avait des échanges de textes entre classes...

 
Dans les autres matières existaient des manuels scolaires (contrôlés très sévèrement) qui de­vaient être utilisés. Par-contre, la liberté était totale en ce qui concerne les textes. En 1937, lors de l'invasion de la Chine, les institu­teurs qui pratiquaient cette tech­nique furent arrêtés, d'où la dispa­rition du mouvement. Jusqu'en 1945, il n'y eut aucune possibilité d'innovation en quelque domaine que ce soit. Vu l'effort de guerre, le contrôle de la population était to­tal.
 
Recherches et re­mous : 1945 - 1955
 
Après la défaite de 1945, sous l'occupation américaine, s'instaura un système démocratique. C'est à ce moment que fut connue la théorie pé­dagogique de Dewey. J'ai connu ce changement radical d'éducation au Ja­pon en tant qu'enfant. Les institu­teurs ont remis en question leurs mé­thodes d'enseignement : arrêt de l'enseignement imposé, recherches libres... Il y avait une demande très forte au niveau pédagogique, mais la Pédagogie Freinet était absente car elle-même en reconstruction en France. Le gouvernement était prêt à offrir la liberté pédagogique, mais peu d'enseignants y étaient prêts. Il faut du temps pour que l'éducation libre prenne pied ! D'autre part, les familles avaient peur que le niveau baisse.
A partir de 1950, le Japon sert de base aux Américains pour la guerre de Corée. Devant la demande des nouveaux capitalistes d'avoir des ouvriers avec des connaissances de base éle­vées, l'expérimentation Dewey dispa­raît rapidement. En 1952/53, on as­siste à la renaissance du Mouvement du Texte de la Vie redécouvert par les enseignants libéraux. Il est très proche des théories de C. Freinet : imprimerie, textes d'enfants, corres­pondance entre les classes, mais uni­quement centré sur l'expression écrite. Vers la fin des années 50, la demande d'ouvriers qualifiés devient vraiment forte et les capitalistes demandent à l'enseignement de s'adapter aux nécessités de la méca­nisation. Les enseignants syndiqués (500 000) contrecarrent cette pres­sion en mettant en avant les acquisi­tions de base. Dans les années 60, les mouvements de modernisation de l'éducation (libéraux) parlent de transmission de connaissances. Les mouvements innovateurs se divisent par matières disciplinaires. Les chercheurs prennent la parole en orientant leurs travaux sur la trans­mission des connaissances et devien­nent quelque peu hégémoniques. Ces mouvements ont une forte audience : 10000 participants lors de certaines réunions. On assiste à des manifesta­tions de la droite contre celles-ci ! Beaucoup d'enseignants cherchent à changer quelque-chose dans leur en­seignement, mais peu connaissent C. Freinet. Les changements portent donc sur des domaines très partiels, très divisés. Ces enseignants, au demeu­rant sincères, progressistes, sympa­thiques, sont responsables de la mise en place d'une éducation sans autono­mie, de l'incapacité de réfléchir des enfants et de leur incapacité à ap­prendre par eux-même.
 
Crise actuelle et perspectives
 
L'éducation est devenue catastro­phique. Tout y est contrôlé, y com­pris le langage, l'habillement, et un malaise se traduit dans les actes : refus d'aller à l'école, suicides, brimades. D'où l'importance d'apprendre à apprendre et donc que la Pédagogie Freinet marque sa pré­sence.
Beaucoup de mouvements innovateurs d'enseignants se posent des ques­tions, mais ils sont très divisés. Un mouvement plus global serait souhai­table, mais la portée du Mouvement de l'Ecole Moderne risque d'être limitée si le nom de Freinet est utilisé. Il est donc inutile d'en faire une éti­quette, mais il est important qu'il soit présent sous la forme d'éditions, par exemple. Le livre de Satomi (autre participant aux RIDEF), consacré à Freinet, a été tiré à 3000 exemplaires avec réédition possible. A l'occasion de la sortie de ce livre (février 95) a eu lieu un symposium.
D'après Murata Elichi