Le Nouvel Educateur n° 76

Février 1996


 

 

Un espoir d'alternative au libéralisme

Février 1996

 



Apprendre son corps, apprendre par son corps

Février 1996

"Lorsqu'on sait que l'enfant forge son tonus postural entre six et huit ans, que c'est l'âge du primaire, et que ces enfants là sont très souvent assis à leur table pendant six heures par jour, cela pose un problème...

On demande à la fois à l'enfant d'être réceptif à un enseignement et on le met dans un état de tension tel qu'il ne peut pas être réellement ré­ceptif. En fait, le mouvement est une nécessité physiologique, c'est un be­soin, c'est la pulsion de vie de l'enfant, et le supprimer, couper l'enfant de cette pulsion de vie, c'est lui couper son état d'être..."
Véronique Girard (1)
 
Heureusement, les enseignants sont persuadés aujourd'hui dans leur im­mense majorité qu'il faut "faire du sport" à l'école, même si les pra­tiques sont très diverses : sport, éducation physique, sportive, éduca­tion corporelle, culture physique, expression corporelle, danse... au­tant de vocables qui recouvrent des réalités et des pratiques bien diffé­rentes. Comment s'y retrouver ? Que faire ? L'ambition de ce dossier est d'apporter quelques éléments de ré­flexion... 

 

 
Les textes de 1969 à au­jourd'hui
 
Jusqu'en 1969, l'horaire hebdomadaire consacré à l'éducation physique était de 2 H 30. Horaire peu respecté d'ailleurs...
En 1969, l'arrêté du 7 août fixait cet horaire à 6 heures, c'est à dire autant que pour les champs discipli­naires dits "fondamentaux" : appren­tissage de la langue, mathéma­tiques... C'est ce que l'on a appelé le "tiers temps pédagogique" : déjà l'idée émergeait que la pratique du sport et du plein air devait être utile à quelque-chose...
Peu d'enseignants, pourtant, se sont montrés suffisamment convaincus pour affronter les critiques des parents (et quelquefois de l'institution même !) envers ces classes qui "étaient toujours dehors".
L'éducation physique appartient au­jourd'hui, depuis août 1990, au troi­sième groupe de disciplines (avec les enseignements ar­tistiques) dont l'horaire hebdoma­daire varie de 5 heures 30 (cycle 3) à 6 heures (cycle 2).
Les programmmes précisent que "la répartition des horaires par champs disciplinaires sur plusieurs semaines et selon des rythmes diffé­rents est possible..." (2)
 
 
A propos des ins­tructions offi­cielles
 
 Si une évolution est indéniable, on constate malgré tout, et bien qu'elles s'en défendent, que les ins­tructions officielles de 1995 ris­quent de véhiculer encore le vieux dualisme corps-esprit :
"La rubrique "éducation physique et sportive" signifie qu'il doit y avoir, par ailleurs, une éducation intellectuelle. Bien sûr des indica­tions contraires s'y trouvent en grand nombre (en particulier dans les considérations générales), mais il n'empêche que, de fait, la majorité des enseignants a tendance à faire un classement simple, voire simpliste : d'une part les disciplines intellec­tuelles, porteuses de savoirs (arithmétique, géométrie, ortho­graphe, grammaire...) dont les conte­nus sont à maîtriser en tant que tels, d'autre part les disciplines dites secondaires (éducation esthé­tique, musicale, physique...) qui permettent la mise en place de sa­voir-faire et dont les contenus d'enseignement sont laissés au libre choix des praticiens (...)
Certains maîtres proposent alors les activités pour les activités, tablant parfois sur d'hypothétiques vertus morales intrinsèques aux sports."
G. Pagès (3)
 
L'éducation phy­sique
 
L'éducation physique a pour objet d'apprendre (ou de réapprendre) et de maîtriser les gestes naturels pour lesquels notre corps semble avoir été conçu, de multiplier et d'amplifier les expériences. Tous les enfants sa­vent courir : mais notre travail consiste à leur apprendre à connaître leurs propres possibilités (évidemment différentes pour chacun) pour savoir doser, adapter leur ef­fort, courir vite ou longtemps.
Tout le monde sait sauter : mais l'éducation physique apprendra les gestes utiles pour une meilleure ef­ficacité : sauter plus loin, plus haut, avec ou sans élan, oser, mesu­rer le danger ...
Nous avons tous constaté, en passant avec les enfants à côté d'un plan d'eau, d'une rivière ou d'un étang, que lancer (des cailloux en l'occurence) est une activité on ne peut plus naturelle. Là encore, l'éducation physique fait prendre conscience des gestes qui permettent de lancer haut, loin, de viser etc...
Nous pourrions multiplier les exemples : les gestes sont naturels en situation incitatrice, mais l'éducation physique donne aux en­fants les compétences nécessaires pour lutter, rouler, tenir en équi­libre, se déplacer en fonction des circonstances, des obstacles, glis­ser, attraper... Elle permet la dé­couverte des gestes les plus appro­priés et les plus économiques à cha­cun, en fonction de ce qu'il est. Il s'agit de prendre conscience de l'acte pour le maîtriser et en user par rapport à ses projets personnels, en toute connaissance de ses possibi­lités... et de ses limites.
 
Le sport
 
D'abord à but hygiénique, puis mili­tariste, le sport est aujourd'hui un véritable fait social. Dans cette so­ciété de quasi-disparition de l'acte physique, l'accès aux sports-loisirs intéresse de plus en plus le monde de l'économie et le monde politique : lobbies, médias. Le sport est au­jourd'hui avant tout un jeu, que ce soit pour le pratiquant ou pour le spectateur.
L'idée de sport nous paraît induire des objectifs de dépassement, de per­formance :
- le dépassement de soi en premier lieu : chercher à faire toujours mieux, plus vite, plus loin, plus précis, plus efficace.
- le dépassement des autres, inévi­table et qu'on ne peut ignorer : mar­quer des points ou des buts à l'adversaire, à l'équipe adverse, al­ler plus vite ou plus haut que... Le sport se situe délibérément dans un système compétitif, qui lui donne bien souvent sa raison d'être :
"Les enfants aiment se mesurer entre eux, ils aiment la compétition. Si le but n'était pas de gagner, de vaincre, l'intérêt serait bien sou­vent bien moindre. Jouer au ballon sans marquer de but, faire des échanges de tennis de table sans compter les points, courir sans faire la course... tout cela les ennuie bien vite"
D. David (4)
 
Plutôt que de rejeter ou de nier l'intérêt de la compétition, n'est-il pas préférable d'apprendre aux en­fants à penser en termes de dépasse­ment (de lui ou des autres...) et non en termes de supériorité ou d'infériorité ? Le sport peut être la meilleure ou la pire des choses, et c'est là que l'éducation doit prendre toute sa place.
 
Dans E.P.S, il y a "Education"
 
La philosophie d'un certain nombre de clubs, relayée bien souvent hélas par les médias, se limite trop souvent à "il faut gagner coûte que coûte !" (l'enjeu étant bien souvent plus l'argent ou la gloire que le sport lui-même).
Les (pseudo) suporters se montrent très souvent prêts à tout ; en tout cas les médias n'en parlent que dans ce cas. Mais le phénomène est avant tout un phénomène social : les matches sont devenus les exutoires, les paliatifs qui permettent d'oublier sa propre condition et d'en faire peser sur l'adversaire (qui de­vient alors l'ennemi) la responsabi­lité.
L'argent pourrit trop souvent le sys­tème, transformant en demi-dieux les acteurs et ouvrant la porte à toutes les corruptions.
L'arbitre, resprésentant de la loi, devient celui qu'il faut haïr et tromper, voire soudoyer...
Oui, nous pouvons encourager les en­fants à vouloir gagner. Mais pas coûte que coûte ! Le but du jeu est de gagner, mais sans mépriser l'adversaire, en respectant les règles... en se respectant soi-même. La compétition, si elle trouve sa juste place, mais rien que sa place, fournit le prétexte au jeu, à la per­formance.
Les compétitions sportives sont pour nous, éducateurs, un excellent pré­texte pour confier des responsabili­tés aux enfants :
- qui forment les équipes
- qui établissent, modifient coopéra­tivement les règles
- qui occupent à tour de rôle tous les postes : joueurs, observateurs, arbitres...
- qui participent à l'organisation matérielle des rencontres.  
"Quand nous faisons des équipes, nous nous arrangeons pour qu'elles soient de niveau égal, afin que l'une n'écrase pas l'autre. Ce n'est pas si naturel pour les enfants : les "bons" ont tendance à avoir envie de jouer entre eux, à vitupérer contre les "mauvais". Mais ce qui est important, c'est que l'on discute de tout cela ensemble et alors se font des prises de conscience, il y a des évolutions dans les comportements, dans les ré­actions. De nouvelles règles inso­lites démolissent les valeurs trop bien établies... C'est une relation vraie montrant que l'enfant évolue réelle­ment vers un respect du droit à la différence chez ses partenaires." (5)
 
Ce n'est pas en fonction du point d'arrivée que s'organise une pédago­gie du développement, mais du point de départ. Elle se donne pour objec­tif de favoriser l'épanouissement de ce que tel enfant porte en lui, d'aider tel autre à devenir ce qu'il peut être, et d'abord à le découvrir. Car son avenir doit être son affaire ! Pour entrer en relation avec son propre corps, avec le monde exté­rieur, avec autrui, pour exercer sa sensibilité physique aussi bien qu'intellectuelle, l'enfant a besoin du regard et de l'aide des autres, et cette aide c'est l'éducation.
Là comme ailleurs, en lecture ou en mathématiques, chaque enfant est dif­férent, de par ses aptitudes phy­siques, mais aussi de par son his­toire, son statut social, son vécu. Ses aptitudes intellectuellles et physiques sont en relation avec ses expériences personnelles. Les appren­tissages ne peuvent être qu'individuels, même et surtout à travers des activités collectives : chaque enfant s'apprend en apprenant les autres (voir encadré : expres­sion-création sportive au CE2).
 
L'éducation corpo­relle
 
Pour que le développement du corps soit l'une des conditions de l'apprentissage, L'EPS, trop sou­vent centré sur la performance, ne suffit pas : il faut une autre ap­proche plus fondamentale : l'éducation corpo­relle, qui permettra à l'enfant de modifier ses relations à l'environnement.
Nous ne ferons qu'aborder dans ce dossier l'expression corporelle, pourtant intimement liée et à ne pas délaisser, mais qui mériterait à elle seule un dossier complet. Lire à ce sujet l'article de G. Mons (rubrique "recherches ouverture" de ce numéro).
Quels objectifs pour une éducation corporelle ?
- développer les capacités percep­tives, pour permettre les prises d'informations qui permettront à l'enfant d'agir sur l'environnement.
On pourrait penser que le développe­ment des sens se fait naturellement. C'était partiellement vrai autrefois. Mais nous savons bien que les enfants issus des H.L.M, les petits campa­gnards même, rivés de plus en plus devant le petit écran, les uns et les autres bousculés par la course perma­nente des parents, bénéficient de moins en moins des expériences natu­relles qui développent ces capacités. Ecouter, sentir, ressentir, goûter et même regarder... sont des compétences dont il faut prendre conscience et qu'il faut développer.
- développer les capacités d'expression et de communication
" Il en va du corps comme du langage : un corps expressif est un corps chargé de vocabulaire dont on maî­trise le sens et la profondeur. Un sujet auquel on aura permis de vivre des actions très diversifiées avec le souci de l'éveiller aux sensations nées de l'action, aura plus de moyens pour fonctionner parce qu'il aura un pouvoir d'autorégulation".
Béatrice Foucteau (6)
Se connaître, maîtriser son comporte­ment corporel, savoir adapter son comportement au milieu, s'"autoréguler", sont les bases d'une expression libre et consciente si im­portante pour les enfants et les adultes. Les sciences de la communi­cation accordent une grande place au corps, au geste et à son effet sur l'autre.
- offrir le pouvoir de l'action
Agir sur le milieu, sur les êtres ou sur les objets (sur le monde). Cette capacité dé­coule bien-sûr des deux précédentes, mais on pourrait en ajouter d'autres, plus fonction­nelles, comme courir, sauter, grim­per, attaquer et se dé­fendre, lan­cer... sans oublier les capacités de motricité fine (utiles aux apprentis­sages "intellectuels" comme tracer, décou­per, coller...) qui font partie éga­lement, même si on les développe aussi à d'autres moments, de l'éducation corporelle.
Il parait donc souhaitable, à chaque fois que les conditions le permet­tent, d'emmener les enfants hors l'école, dans la campagne, dans la forêt, dans les parcs des villes même (à condition qu'on ait le droit de marcher ailleurs que dans les allées !) pour qu'ils apprennent à connaître et utiliser toutes les ressources de leur corps. Les en­fants redécouvri­ront, pour peu qu'on le leur per­mette, nombre d'activités naturelles.
Toutes les écoles ne bénéficient pas de la proximité de ces terrains d'aventure naturels. Faute de mieux, et les enseignants de ville le savent bien, on peut mettre en place des parcours artificiels.
Lorsqu'on voit alors ces enfants (qu'on amène en voiture jusqu'au por­tail) re­découvrir les gestes fonda­mentaux, on se dit que ce n'est pas du temps perdu...
Citons, parmi les autres lieux per­mettant une éducation corporelle : la piscine, la patinoire, la cour de l'école même, qui offre souvent des possibilités insoupçonnées et inuti­lisées (odeurs, bruits, obstacles, ...), et bien-sur les lieux de classe transplantée toujours très riches. Tout milieu inconnu des enfants leur offre de nouvelles situations d'apprentissage de leur corps.

 

 
Expression-création sportive au CE2
Expression, communication, tâtonne­ments, coopération, personnalisation des apprentissages, ces activités rassemblent, plus que toutes les autres peut-être, les grands prin­cipes de la pédagogie Freinet.
Je considère mon approche du sport à l'école dans la droite ligne des autres langages (écriture, mathéma­tique, dessin, peinture...). Pour se développer pleinement, l'expression-création doit être envisagée trans­versalement (...)
En règle générale, le schéma d'une séance se décline ainsi :
- au début, une consigne minimale du genre : "vous inventez toutes sortes de jeux avec votre balle en utilisant seulement le haut de votre corps" ou "vous cherchez différentes façons de marcher". Par la suite, j'introduis des variantes sur les parties du corps à mobiliser, les objets utili­sables, le nombre de partenaires dans la création ou encore l'espace de jeu. Les enfants créent selon la consigne pendant quelques minutes. J'observe, je participe parfois (le fait que le maître "se mouille" et tâtonne lui-même dans ses essais lève souvent des inhibitions et suggère accessoirement des nouvelles pistes). Certains inventent, d'autres recréent ou imitent tout simplement.
Au bout de quelques minutes, je pro­voque un regroupement et propose à chacun (chacune) ou chaque groupe, sinon à quelques-uns dont les créa­tions me semblent ouvrir des pistes, de présenter leur création tout en l'expliquant.
- Ensuite je propose, soit à tout le monde de reprendre et de développer une des créations présentées en cher­chant à la complexifier dès que les gestes seront maîtrisés, soit de choisir parmi ce qui a été présenté afin de le développer. Certains ne manquent pas de dériver à partir des idées de départ et d'explorer d'autres pistes. C'est aussi le mo­ment où je peux porter mon attention sur ceux qui ne sont pas les plus à l'aise dans ces activités motrices (...)
- Je sélectionne parfois quelques idées parmi les plus intéressantes qui ont émergé pendant la phase d'expression-création et je propose autant d'ateliers tournants sur la base de fiches explicatives, sur une ou deux séances.
- Certaines créations collectives peuvent aussi servir de bases pour l'invention de jeux collectifs dont on élaborera progressivement et co­opérativement les règles.
Il m'arrive aussi de puiser dans le fonds de jeux collectifs classiques qui demandent un minimum de consignes pour être lancés et présentent donc l'intérêt d'être évolutifs. Nous construisons d'autres règles ensemble au fur et à mesure du jeu, suivant les difficultés et conflits qui sur­gissent."
P. Descottes
 
Education physique et démocratie
 
"Vivre sa petite enfance dans un lo­gement exigu et surpeuplé expose à la fois aux retards psychomoteurs, aux troubles du comportement et à une pauvreté intellectuelle fréquemment définitive. Faute d'espace, l'enfant n'y peut déployer l'activité psycho­motrice qui lui permettrait de prendre conscience et possession de soi. Il dérange inévitablement des parents eux-mêmes mal à l'aise, il entre en conflit, fait de l'opposition ou se replie sur soi... bref il accumule toutes les chances d'échec scolaire, d'échec social, il s'engage à son tour dans le cycle in­fernal..."
Mme Chombard de Lauwe (7)
Autrement dit, la pratique d'une édu­cation physique à l'école est un fac­teur d'égalité pour les enfants, elle évite que le "riche" devienne plus riche et le "pauvre" plus pauvre. Elle permet à celui qui n'a pas la possibilité de le vivre à l'extérieur de parvenir à la connaissance et à l'estime de soi, y compris de son schéma corporel. Elle le met en confiance, le réconcilie avec lui-même. Nous avons tous constaté que bien souvent, les enfants "en échec scolaire" sont aussi ceux qui présen­tent des troubles moteurs. Parce qu'elle apporte là une juste connais­sance de ses aptitudes, ses compé­tences, ses possibilités, parce qu'elle apprend à se surpasser, parce qu'elle représente une véritable édu­cation de l'effort, parce qu'elle ap­prend à créer des lois justes avec ses pairs, à les accepter, à les vivre, l'éducation physique et spor­tive est un facteur de démocratisa­tion.
Aujourd'hui, alors que la violence est quotidienne, l'éducation physique peut représenter un moyen privilégié de lutter contre cet état de fait, elle peut être un élément moteur d'une véritable éduca­tion à la ci­toyenneté. L'emploi de jeux à carac­tère coopératif peut à ce titre ren­forcer les moyens pour atteindre cet objectif. (voir l'encadré : "De l'utilité des jeux collectifs et co­opératifs" ) (12).
 
De l'utilité des jeux collectifs... et coopératifs
 
L'instituteur arrive tout droit de la Capitale et de ses écoles-casernes : il découvre que bandes organisées, chef de bande, souffre-douleur et ra­cket peuvent aussi être le lot des écoles de campagne. Il propose, entre autres activités, trois jeux choisis pour leur apti­tude à générer des atti­tudes de coopération :                                        
"L'essentiel réside dans le fait que la pratique de ces jeux, alliée à la vie coopérative de la classe a permis une transformation des comportements observés dans la cour au moment des récréations, c'est à dire en situa­tion de jeu libre. Les agressions in­dividuelles ont quasiment disparu (au moins de l'école...) et les jeux sont devenus moins violents. Bien sûr, en une année, tout n'a pas été réglé, mais des améliorations notables ont pu être repérées. La plus importante à mes yeux étant que les plus jeunes (CE2) ont pu prendre leur place dans les jeux : le Conseil leur a permis de réclamer; la pratique des trois jeux en question leur a permis de sa­voir quoi réclamer."(8)
Philippe Wain
 
Une civilisation du savoir et du corps
 
De tous temps, les hommes se sont in­téressés à leur corps (au niveau es­thétique et sportif) : représenta­tions artistiques ou/et religieuses, condamnation ou exaltation des jouis­sances physiques. "Le refus de la temporalité du corps, de la vieil­lesse et de la mort va engendrer deux mythes permanents : l'immmortalité (ou la vie éternelle), l'éternelle jeunesse" (9)
Pendant des siècles, seule une élite privilégiée avait les moyens finan­ciers et en temps de se préoccuper matériellement de son corps. Au­jourd'hui, il est devenu l'affaire de tous : on soigne son aspect, sa ligne, son bronzage, sa tenue vesti­mentaire, les sports d'entretien sont à la mode...
Mais cette fin de siècle se caraté­rise aussi par une civilisation du savoir : le nombre d'étudiants et de chercheurs va croissant, les tech­niques et les sciences explosent, ainsi que leur médiatisation, et les applications courantes font leur en­trée dans la vie de chacun (voir l'informatique). Il faut apprendre de plus en plus vite et de plus en plus. (4)
Tous ceux qui se préoccupent de l'enfant aujourd'hui sont d'accord : l'école doit donner (redonner ?) sa place, toute sa place au corps , parce que connaissances et maîtrise de son corps et apprentis­sages sont indissociables.
Connaître ses possibilités, savoir se surpasser, acquérir une confiance justifiée (et non excessive) en soi, tout cela fait, comme le dit si jus­tement l'expression, que si l'on est "bien dans ses baskets", on est aussi "bien dans sa tête".
L'éducation physique et sportive et les apprentissages intellectuels ne peuvent se passer l'un de l'autre.
"On est passé de l'idée d'une éduca­tion physique visant la détente à l'idée d'une éducation physique utile aux apprentissages fondamentaux dans le système scolaire. Aujourd'hui, on aurait même tendance à considérer qu'il y a une intelligence motrice et qu'il n'y a pas de hiérarchie entre le sensori-moteur et le cognitif. Tout cela forme l'unité de la per­sonne qui a besoin de développer les deux aspects pour s'épanouir totale­ment"
Michel Ledorze, professeur d'éducation physique (10)
 
 
 
La tête et les jambes
 
Les activités d'apprentissages (écriture, mathématiques, éveil...) peuvent trouver leur déclencheur par­tout, et pour cela les pratiques cor­porelles sont souvent particulière­ment propices.
Dans le témoignage qui suit, l'activité piscine, étalée sur de nombreuses séances tout au long de l'année pour cette classe de CE1, a été le prétexte, la motivation à des écrits... qui eux mêmes ont eu une influence certaine sur l'activité. Citons quelques-unes des questions-consignes proposées aux enfants, et qui leur ont permis, par la formula­tion de leurs réponses, de s'approprier l'activité physique, les possiblités et problèmes corporels et même psychiques, et par là même de les dépasser :
Séance 1 : que pensez-vous de la pis­cine ?
Séance 2 : choix de phrases (du genre : j'ai peur dans l'eau, j'ai un peu peur dans l'eau, j'ai très peur dans l'eau, je n'ai pas peur dans l'eau)
Séance 3 : mon meilleur moment et mon plus mauvais moment à la piscine.
Séance 7 : ce que j'aimerais faire à la piscine.
Séance 11 : ce que je ressens à la piscine : mes sentiments, ce que j'éprouve.
Séance 20 : quelles sont les qualités nécessaires pour nager ?"
Les textes libres, mais aussi les textes écrits d'après "question-consigne" et les nombreux dessins montrent bien que le l'éducation du corps et celle de l'esprit sont inti­mement liées parce que complémen­taires.
 
"Premiers éléments de réflexion pour justifier ces écrits :
- les enfants s'impliquent dans l'activité.
- l'écrit est une réflexion sur l'activité (réflexion qui devra si possible être argumentée).
- l'écrit peut constituer une soupape qui libèrera l'angoisse (il s'agit d'un premier contact avec la piscine pour 18 enfants sur 21).
- l'écrit peut permettre une meil­leure connaissance de soi.
- l'écrit sur une activité physique prouve aussi que la tête "marche", que la réflexion, la pensée, l'analyse offrent un plus, consti­tuent un moyen d'avancer plus vite dans l'activité.
- l'écrit responsabilise, dans la me­sure où il est pris en compte dans la préparation : avant le départ, je donne le contenu de la séance aux en­fants (trois groupes de niveau), en leur montrant que leur écrit a été pris en compte.
- L'équipe de formation (deux mamans et la maîtresse) disposera d'éléments (d'ordre pédagogique, mais surtout affectif) pour construire les pro­chaines séances.- l'écrit permet de faire le point, le bilan de l'apprentissage
- l'écrit permet de faire le point, le bilan de l'apprentissage.
- Par cette implication, l'enfant se prend plus facilement en charge : il pourra se situer sur un panneau d'apprentissage comportant les diffé­rentes étapes.
En outre, ces écrits serviront de support à la correspondance.
Il s'agit, par le choix et la formu­lation des consignes, d'amener l'enfant à écrire et à dessiner pour raconter, argumenter, expliquer
- ce qu'on lui demande de faire
- ce qu'il fait
- ce qu'il souhaiterait faire
- ce qu'il ressent..."
Mado Deshours
 
"J'aime bien la piscine. J'aime les activités parce qu'on change de per­sonne. Je n'aime pas les cabines. Je ne sais pas nager. Les directrices sont gentilles. Il y a Katerine, Mado et Brigitte. Le plus profond fait 1,90 et le moins 1,50.
Benjamin
 
Enfant très angoissé par l'eau (la profondeur !). Cet écrit lui permet de se libérer. Les intervenants et la maîtresse sont appelées "directrices" : il a besoin d'un recours, d'une sorte de pouvoir pour se raccro­cher... à moins qu'il ne s'agisse d'un reproche déguisé ?
Tout comme Benjamin, beaucoup d'enfants n'aiment pas les cabines : on utilisera désormais le vestiaire collectif.
Cet enfant a besoin par écrit d'insister sur son incapacité à nager : c'est une forme de demande, et nous jouerons davantage avec lui les séances suivantes.
 
 
Dessinez vous en train de nager et décrivez ce qui se passe.
Eulalia, à la fin de ce travail, me dit : "maîtresse, je viens de com­prendre comment il faut faire pour nager".
Effectivement, à la séance suivante, elle fera ses premiers pas dans le grand bassin sans planche.
 
              
 
En conclusion
 
"Pour apprendre à penser, il faut donc exercer nos membres, nos sens, nos organes, qui sont les instruments de notre intelligence ; et pour tirer tout le parti possible de ces instru­ments, il faut que le corps qui les fournit soit robuste et sain. Ainsi, bien que la véritable raison de l'homme se forme indépendamment du corps, c'est la bonne constitution du corps qui rend les opérations de l'esprit faciles et sûres.
Les premières facultés qui se forment et se perfectionnent en nous sont les sens. Ce sont donc les premières qu'il faudrait cultiver..."
Non, il ne s'agit pas de la conclu­sion d'une thèse d'un chercheur en Sciences de l'Education contemporain, ni du discours d'un Docteur en méde­cine. Cet écrit visionnaire a plus de deux cents ans, puisque c'est un ex­trait de "L'Emile" de J.J Rousseau.
Dès ses débuts, C. Freinet avait, parmi ses objectifs prioritaires la santé de l'enfant, le respect de ses rythmes biologiques et réclamait, dans les pages de la revue "L'éducateur prolé­tarien" une poli­tique du travail, de l'exercice et du sport".
Heureusement le besoin de mouvement des enfants et la nécessité d'une éducation physique sont aujourd'hui reconnus, au moins dans les textes:
"Le besoin de mouvement est fondamen­tal, aussi indispensable que de res­pirer, et l'écolier qui supporte ai­sément le régime scolaire actuel qui exige de sa part des heures d'immobilité est anormal. Le besoin de mouvement est partiellement satis­fait par des exercices d'éducation physique contrôlés. Mais il lui faut aussi des moments d'activité libre et désordonnée. Les deux types d'activité sont indispensables et ne se remplacent pas l'une l'autre."
Dr Guy Vermeil (11)
 
 
La nécessité de l'éducation physique est indiscutable, mais comment ? La récréation, indispensable, irrempla­çable (voir l'encadré), ne suffit pas. Le sport, même de compétition n'est pas, nous l'avons vu, à reje­ter, à la condition qu'il soit pris dans sa dimmension éducative. L'éducation et l'expression corpo­relles sont à pra­tiquer. Ce sont toutes des activités complémentaires, comme il en existe dans les autres champs disciplinaires.
"L'activité cérébrale est d'autant meilleure que la secrétion d'adrénaline par l'exercice physique est plus forte. Certaines entreprises modernes, notamment aux USA et au Ja­pon paient une heure de sport à leurs employés dans les horaires de tra­vail. Pourtant, la juxtaposition d'une multitude d'activités ne suffit pas à constituer une véritable éduca­tion physique ; encore faut-il que ces activités soient prises dans les différents domaines d'actions aux­quels l'enfant doit être confronté dans sa scolarité. Notre objectif d'enseignant polyvalent n'est pas l'enseignement de la danse ou du bas­ket mais la construction chez l'enfant de ce qui lui permettra d'apprendre le basket ou la danse."
J. Querry
 
Nous pourrions ajouter : ...d'apprendre les mathématiques, le pouvoir de la parole, l'orthographe ou la géographie ; d'apprendre son corps pour exister, pour avoir les moyens de connaître le monde qui l'entoure , d'y trouver sa place et d'agir sur ce monde pour le faire évoluer.
Dossier de C. Bizieau, avec la parti­cipation de D. David, P. Descottes, M. Deshours, J.Querry, Ph. Wain.
Les dessins sont issus de la classe de M. Deshours
 
 
De l'utilité de la récréation
"A l'école, il faut agitation, cri, respiration violente, activité de jeu. Cette activité un peu explosive et essentiellement libre n'est pas remplaçable par le leçon de gymnas­tique. Elle est la seule qui mette en jeu tous les muscles du corps dans un désordre utile."
Professeur Robert Debré (12)
 
 
Les cinq domaines d'action
Les programmes fixent les compétences fondamentales à faire acquérir et dé­finissent cinq domaines d'action dans lesquels peuvent entrer les supports d'activités :
- activités en domaine stable (gym, athlétisme...)
- activités de coopération et d'opposition (jeux collectifs)
- activités dans un rapport inter-in­dividuel d'opposition (jeux de com­bat, de raquettes...)
- activités à visée esthétique (danse, GRS...)
- activités en environnement instable (voile, piscine, ski, patinoire, es­calade...)
 
 
 
Notes bibliogra­phiques
 
(1) Véronique Girard, psycho-socio­logue, in : Guy Decroix, Gérard de Vecchi, "Le corps de l'enfant à l'école", Centre National de Documen­tation Pédagogique, 1980
(2) : "programmes de l'école pri­maire" M.E.N1995
(3) : " La didactique et l'école, Re­vue EPS1n° 54 1991
(4) : LireLe Nouvel Educateurn° 71 sept 95 p. 31
(5) extrait de "à corps retrouvé" parsecteur éducation corporelle de l'ICEM. Ed Casterman E3 1982
(6) Cahiers Pédagogiquesn° 288, No­vembre 1990 : "Apprendre par corps"
(7) "Le sport à l'école", G. Belbe­noît, collection Enfance, Education-Enseignement. Ed Casterman poche
(8) : "Aux 4 coins des jeux" Editions du scarabée(CEMEA)Collection "en-jeu"
lire aussi :"une éducation à la paix" Florence Saint Luc, p. 24 Nouvel Edu­cateur n° 75 janvier 95
(9) MT Delannet, Doctorante en Sciences de l'Education. Université de Caen. Thèse en cours de rédaction, intitulée : "éducation des adultes vieillissants. Corps, vécu du temps présent et intégration sociale"
(10) Animation & éducation, n° 125 mars 1995
(11) : Dr Guy Vermeil. "La fatigue à l'école" Ed. ESF
(12) Robert Debré, Rapport au Conseil de la Recherche Pédagogique, INRDP 1962
 

 

Education corporelle et pratiques chorégraphiques

Février 1996

Education corporelle  et pratiques chorégraphiques
données actuelles

 
 
 
L'intégration des activités artis­tiques à l'école se pose en termes spécifiques vis-à-vis des paradigmes de l'enseignement, du travail sco­laire, de l'apprentissage, de l'évaluation... Tout enseignement ar­tistique se heurte aux résistances des rationalités des disciplines dites "fondamentales" essentiellement structurées par les codes linguis­tiques aux logiques avérées, admises et contrôlables.
S'agissant de l'éducation corporelle en "Education Physique et Sportive" (E.P.S) dans ses visées "expressives", ses contenus quasi-ex­clusifs actuels sont représentés par "la danse" qui s'est confrontée dans l'histoire de son institutionnalisa­tion à deux espèces d'enjeux. D'abord les enjeux scolaires l'ont interrogée sur le statut du corps dans la cul­ture, la place des activités ges­tuelles dans les compétences du sujet et la définition du rapport appren­tissages gestuels / apprentissages conceptuels. Ensuite des enjeux dis­ciplinaires proprement internes à l'E.P.S ont provoqué une réflexion et une mutation du statut des gestuali­tés à finalité artistique par rapport à celui des gestualités sportives.
 
Un contexte histo­rique
 
Très schématiquement les activités gestuelles à "visées expressives et esthétiques" ont été représentées par des figures typiques de pratiques corporelles, symboles des idéologies éducatives du moment :
- les années 1970 ont vu fleurir "l'expression corporelle" (inventée dans les années 50).
- les années 1980 ont vu naître le vocable d'Activités Physiques d'Expression (A.P.Ex), qui a consacré les objectifs scéniques des pratiques de danse, de mime et d'expression corporelle.
- les années 1985 ont institutionna­lisé sans ambiguïté les A.P.Ex dans les I.O pour les collèges et les ly­cées.
- les années 1990 donnent naissance à un "domaine d'action" avec ses pro­grammes spécifiques en matière d'"expression".
 
Des enjeux éduca­tifs
 
Pour comprendre les événements, il faut exhumer leurs enjeux éducatifs. Pour quelles finalités et pour quels contenus les enseignants se sont-ils mobilisés ? Quelles sont leurs va­leurs de référence ?
Pour répondre, il faut un modèle d'interprétation des pratiques. Nous avons choisi celui de Michel Bernard concernant le système mythique de "l'expressivité du corps". La notion tient son sens de quatre valeurs ma­jeures qui définiraient l'authenticité d'une expression cor­porelle et par extension, l'excellence d'une gestualité théâ­trale :
- la SPONTANEITE     
- le LANGAGE DU CORPS
- la PRESENCE de l'acteur
- le PLAISIR du jeu
Nous avons déjà montré que les termes de cette matrice sont plus ou moins investis par les discours sur la Danse à trois moments de son évolu­tion :
- période magique de l'"expression corporelle" : l'expression du sujet vers la technique sportive (dominance de la "spontanéité", de la "présence" et du "plaisir").
- période de didactisation et d'invention des A.P.Ex (émotion et symbolique du geste).
- période de reconnaissance : tenta­tive de résolution du paradoxe du co­médien (intégration de l'émotion et du savoir dans le jeu, processus de symbolisation).
L'ensemble de l'évolution permet de remarquer une régression des idéolo­gies expressivistes et l'émergence de questions sur le sens des apprentis­sages chorégraphiques et des produits gestuels qu'ils génèrent.
 
L'actualité didac­tique de la "danse" à l'école
 
Aujourd'hui, les praticiens sont mis en demeure de produire des "programmes" en énonçant les contenus d'apprentissage sous les espèces de "Principes d'Action, Principes Opéra­tionnels et Principes de Gestion". Ces énoncés caractérisent des en­sembles de conduites motrices dénom­més "domaines d'action". Celui qui nous préoccupe est actuellement dé­fini comme l'ensemble des "actions motrices se caractérisant par la création et la maîtrise de forme avec ou sans engin, destinées à être per­çues par autrui, auxquelles le sujet donne une ou des significations à travers différents registres d'expression esthétique". (document "projet EPS" IGEN p.2)
Or jusqu'ici, les praticiens de danse en milieu scolaire restent maîtres de leur discours avec ses codes spéci­fiques. La nécessité de répondre à la pression institutionnelle des "programmes" donne lieu à un renver­sement de procédure de définition de la discipline :
- phase 1 : les experts ont imposé leur modèle à l'institution, tout en faisant entrer "la danse" dans un schéma méthodologique orthodoxe de l'E.P.S.
- phase 2 : les experts doivent for­mater leurs contenus en respectant le "logiciel" de la discipline.
Quelles influences les nouvelles contraintes institutionnelles exer­cent-elles sur les finalités et les contenus d'enseignement et par consé­quent sur les valeurs véhiculées par les pratiques chorégraphiques dans le système scolaire ?
 
Données actuelles
 
Un bilan global
 
Les tendances didactiques sont assez lourdes pour nous permettre d'affirmer que l'objet qui est en jeu dans les apprentissages opérationnels reste le langage. Son "code" demeure flou. Les images de la "cohérence", du lien entre les "signifiants" et les "signifiés" qui relaient la méta­phore "langage" ne lèvent pas les am­biguïtés majeures.
Une nécessité d'implication du sujet dans son jeu semble demeurer ("gestuelle personnelle", "donner du sens à son langage corporel").
La présence de l'acteur semble donc requise dans son geste, celle du cho­régraphe dans sa composition (son "langage poétique"). Mais cette pré­sence reste ambivalante dans les conceptions pédagogiques. D'une part il est demandé au danseur d'"engager son identité corporelle" et d'autre part il est contraint de "gérer ses émotions".
 
Le bilan didac­tique
 
La théâtralisation du geste comme ob­jet d'apprentissage scolaire est mas­sivement définie comme l'apprentissage d'un langage que l'on qualifie furtivement de "poétique".
Le processus de composition des cho­régraphies est traité schématiquement en termes de "contrastes", de "ruptures", d'"élimination des gestes parasites", de tri des "éléments per­tinents", de respect de règles ("un début et une fin").
La communication est abordée en termes d'"images fortes", d'"exploit" et surtout d'"effets réussis". La va­leur d'excellence de la communication est, conformément au texte officiel, "l'efficacité", voire la "performance" qui est mesurée au "nombre d'images fortes repérées par 75% des spectateurs" (Nantes, n° 10, 1994, p. 54). Dans ce cas, l'effet scénique devient une performance et la valeur artistique une affaire de quantité. Soit, mais de quantité de quoi ?
Le code disciplinaire unique n'aurait-il pas pour effet d'entraîner des amalgames symboliques ?
 
Les nouveautés disciplinaires ap­parentes
 
La disparition totale des idéologies expressivistes se repère à l'évacuation de deux mythes majeurs de l'expression corporelle, la "spontanéité" et le "plaisir".
La "spontanéité" était encore une ressource pédagogique en 1990 ; elle est désormais désignée comme la borne dont il convient de s'éloigner pour "passer du mouvement au geste", pour "passer d'une gestualité habituelle (ou anecdotique) à une gestualité originale, authentique, stylisée (dansée)".
L'apparition surréaliste d'une pensée théâtrale qui ignore tout d'une ap­proche sémiotique de la gestualité (pourtant classée parmi les "sémiocinèses" depuis 1984 par J.C Serre en référence aux propositions de Julia Kristeva de 1968), mais qui voudrait malgré tout en faire ap­prendre les principes.
L'initiation poétique est réduite à l'apprentissage d'un langage dont personne ne se risque à définir le code.
L'idée que l'élaboration poétique d'une chorégraphie doit être efficace constitue, dans les propositions édu­catives actuelles, un contre sens ma­jeur sur les valeurs symboliques des activités "esthétiques".
Comment alors s'étonner que les en­seignants d'E.P.S spécialistes de danse participent activement à la contestation de l'ambiguïté et de l'autoritarisme des propositions de programmes ?
Gil Mons,
Centre de Recherches Européennes
en Education Corporelle (C.R.E.E.C)
67000 Strasbourg
 

 

 

L'enfant s'interroge sur son corps

Février 1996

Au cours de l'année scolaire 92/93, les élèves de cours moyen deuxième année de Michel Bonnetier (Ecole Ka­rine. Strasbourg) se sont intéressés au problème de la respiration. Plu­sieurs séances de travail se sont suc­cédées, sur environ un trimestre. Le premier travail de l'enseignant a été de rassembler les connaissances des enfants, les représentations qui étaient les leurs. Pour en savoir plus, de nombreuses activités ont été orga­nisées: expériences, recherche documentaire, observation de radiogra­phies et même... dissection.

 
Première étape
 
On parle de "la respiration" :
- La respiration rentre par le nez puis va vers le corps jusqu'au ventre et ressort par la bouche.
- D'abord on respire, puis l'air passe vers le cerveau pour le faire fonctionner.
- D'abord on respire par le nez, après la respiration va vers le coeur, après vers le poumon et après au cer­veau.
- Quand j'ai couru, mon ventre gonfle, mon coeur bat vite, l'air passe par le ventre.
- C'est la bouche et le nez qui fa­briquent l'air.
- L'air rentre dans le nez, passe tout autour du coeur et sort par la bouche.
- L'air entre par le nombril et sort par la bouche.
- L'air descend jusqu'au ventre.
- L'air se forme dans les poumons."
 
Deuxième étape
 
On dessine "la respiration". J'ai re­pris les dessins "premier jet" de mes élèves.
 
 
La bouche fabrique de l'air
 
L'air se forme dans le ventre puis remonte, va au coeur et ressort par la bouche.
 
L'air entre par le nez, passe par le coeur, les poumons et va au cerveau.
 
Les représentations apportent des éléments intéressants : la présence des poumons, l'apparition de l'oxygène, du gaz carbonique.
 
L'air monte et descend de la gorge aux poumons.
 
On respire pour ramener l'oxygène
 
Premières représentations du va et vient :
 
La "circulation", le trajet de l'air est représentée dans divers croquis de ce genre :
 
L'air rentre par le nez et ressort par la bouche.
 
L'air rentre dans le nez, va dans les poumons et ressort par la bouche.
 
Ce qui est mis en évidence après ces moments de libre parole et de libre représentation :
- On manque de mots, de vocabulaire précis, pour dire, décrire (par exemple : "la respiration va vers le coeur").
- On ne sait pas dessiner l'intérieur de notre corps.
- Tout le monde a pris conscience de l'entrée et du rejet de l'air.
- Et a également pris conscience de son importance : "si l'air n'entre pas, c'est comme les noyés".
 
Troisième étape
 
Mise au point d'un "canevas".
Si les représentations orales et des­sinées ont pu paraître pauvres, le canevas montre que dans la classe, cer­tains élèves possèdent des connaissances, même si elles ne sont pas toujours précises.
"L'oxygène, c'est dans l'air... Le gaz carbonique ne sent pas bon..."
On comprend, avec ce canevas, l'idée d'"appareil respiratoire". Deux ques­tions apparaissent :
"- Est-ce que les animaux respirent ?
- Est-ce que les amygdales ont quelque-chose à voir avec la respira­tion ?"
 
Quatrième étape
 
Une dizaine d'élèves observe le stock de radiographies du musée scolaire.
On identifie facilement les mains, les pieds, les crânes puis la colonne vertébrale. Deux élèves disent avoir été radiographiés à l'hôpital, mais ils n'ont pas vu les radios. Personne ne sait identifier les radios des poumons.
J'en présente de différentes gran­deurs. On ne trouve pas tout de suite le rapport grand-petit (radio de pou­mons d'adulte ou radio de poumons de bébé, d'enfant).
On ne comprend pas la réduction (format 8 cm sur 7 cm) de la radio jointe à un électrocardiogramme.
Les élèves parlent librement : on se demande le pourquoi des radios et on aborde tout de suite le thème des ma­ladies. Je demande lesquelles. On me répond "le cancer" et les témoignages fusent : "on perd les cheveux..."
Je prononce le mot "tuberculose" : personne ne réagit. On prend le dic­tionnaire (Editions Hachette) : on ne comprend rien, mais tout à coup, les élèves s'éveillent : "le BCG, moi, je sais ce que c'est : c'est quand on a une piqûre !"
On expose les radiographies sur une table. Puis on fait le point. De nou­velles remarques sont énoncées :
"- Si on court, le coeur bat plus vite, on respire plus vite.
- Quand on dit une longue phrase, on est obligé de respirer.
Un choc coupe la respiration.
- Quand on siffle, de l'air sort de la bouche.
- Quand on parle aussi.
- Quand on chante, on a besoin de respirer".
L'intérêt grandit. De nouvelles ques­tions apparaissent à propos de l'air, à propos des maladies dûes au tabac, et on veut savoir aussi si l'air em­pêche "le vomi" de remonter (pendant les sorties en autocar, je fais faire des exercices d'inspiration et d'expiration forcées et, habituelle­ment, les malaises disparaissent). On parle aussi d'un petit élève de l'école qui porte un respirateur, pe­tit tube de plastique adapté directe­ment au la­rynx.
 
Cinquième étape
 
Nous organisons la recherche documen­taire.
Très vite, nous constatons
- le petit nombre de documents pré­sents au Centre de documentation.
- les difficultés de lecture.
Je prépare une fiche de vocabulaire, à l'aide du dictionnaire d'éveil. Les mots soulignés sont travaillés collectivement, ora­lement. On réalise également une fiche de mots qui iront rejoindre le répertoire orthographique.
On observe aussi les schémas des livres, mais tout cela paraît encore bien mystérieux : ces schémas sont bien différents des représentations dessinées par les élèves.
Une fille permet d'aller plus loin : "l'autre jour, ma mère avait acheté un lapin au supermarché. J'ai soufflé dans les poumons du lapin, c'était rigolo".
 
Sixième étape
 
J'achète une fressure de porc au su­permarché voisin, pour 15 francs (une fressure, c'est l'ensemble "coeur-poumons-trachée", le plus souvent de porc ou de mouton).
A la vue de l'objet, plusieurs élèves quittent la salle en disant "je ne veux pas voir ça !"
Il est vrai que les schémas des livres sont agréables à regarder, la couleur rose paraît douçâtre. Sur la table, la fressure, qui dégage une odeur spéciale, est moins agréable à regarder.
Des élèves osent la manipuler. On re­marque le coeur ; les poumons sont comme "les grandes oreilles du coeur". La trachée retient l'attention de certains. Quelqu'un propose d'enfoncer un tuyau en plas­tique dans la trachée et de souffler dedans.
Les résultats sont immédiats et spec­taculaires.
Quelqu'un remarque ensuite le struc­ture de la trachée : "on dirait du plastique !" On découpe un poumon, on voit nettement une bronche et di­verses ramifications.
Mon manque d'expérience en ce do­maine, des instruments peu cou­pants... tout cela est bien sanguino­lent... On arrête la découpe. Une élève emportera les restes et le coeur pour les donner à son chien.
Souffler dans une fressure donne des résultats impressionnants. On perçoit bien que le sang a un rôle impor­tant dans la respiration, que le coeur est la machine qui fait fonctionner tout cela...
Et c'est une avalanche de questions :
"- Est-ce qu'on respire comme les porcs ?
- Est-ce que nos poumons ressemblent à ceux des porcs ? Sont-ils plus gros ? Plus petits ?
- Combien de litres d'air peuvent-ils contenir ?
- Est-ce que les animaux respirent tous de la même façon ?"
Alors commence une recherche intéres­sante au Centre documentaire. On veut savoir comment respire un oiseau, un lézard, une mouche, un ver de terre, un poisson.
 
Les poissons posent problème tout de suite, les remarques fusent :
"- Les poissons meurent à l'air.
- ils sortent un tout petit peu la tête de l'eau pour respirer.
- Les poissons avalent de l'eau, ils devraient gonfler.
- Ils ont des trucs qui s'ouvrent sur le côté.
- Il y a de l'oxygène dans l'eau..."
A propos des serpents, les élèves re­pèrent des informations du genre :
"Le serpent possède des poumons, mais pour beaucoup d'espèces, seul le pou­mon droit fonctionne. Le poumon gauche n'est pas développé ou parfois même absent. Il respire aussi par la peau : les écailles souples permet­tent le passage de l'air à travers la peau."
A propos des vers de terre :
" Un ver privé de toute humidité ne tarde pas à mourir. Il n'a en effet ni branchies, ni poumons et ne res­pire que par le peau. Mais cette res­piration n'est possible que si la peau est humide".
 
Cette recherche, intéressante, n'aboutit pas toujours à du concret. Lire que le ver de terre ou le ser­pent respirent par la peau est insuf­fisant. Je suis souvent obligé de dire : "vous apprendrez plus tard...". Le problème de la respira­tion des plantes n'a pas été abordé.
 
Septième étape
 
On essaie de "mesurer" la respira­tion.
On se propose donc d'effectuer un certain nombre de petites expériences à partir des questions :
- "Combien de litres d'air contien­nent mes poumons ?
- Est-ce que l'air est lourd ?
- Combien de temps peut-on tenir sans respirer ?"
J'ai répondu à cette dernière ques­tion en évoquant les plongeurs en apnée. Je n'avais pas de données pré­cises sous la main. Des élèves ont dit : "c'était à la marche de le Gloire à la télé, il est resté 24 heures dans l'eau sans respirer". Heureusement, d'autres ont corrigé ces données.
Il est difficile de présenter ici des résultats précis. Notre salle de "sciences" (ou de bricolage...) ne pos­sède pas d'appareil genre spiro­mètre. Nous avons travaillé avec du matériel simplifié du type "boite en plas­tique, bouteille d'eau minérale, balance peu précise...".
- essai de mesure de la capacité tho­racique en chassant l'eau de plu­sieurs bouteilles.
- transvaser de l'air.
- aspirer de l'air : un élève a pro­posé : "on gonfle un ballon de bau­druche, on le met sur le plateau d'une balance, on le pèse". On a es­sayé... mais le ballon ne tenait pas en place sur le plateau !
- comptage de nos inspirations et ex­pirations au repos et après un ef­fort.
Ces petites expériences sont assez faciles à mettre en oeuvre. Les élèves expriment des résultats du genre : "j'ai soufflé environ 3 litres d'air dans les bouteilles" ou bien " l'air contenu dans un ballon de baudruche pèse entre 1 et 2 grammes".
Les mesures effectuées sont approxi­matives, faute d'un matériel de plus grande précision.
Nous avons rencontré des difficultés
pour comprendre le tableau suivant, tiré d'un manuel scolaire :
pour 100 cm3 d'air     air inspiré    air expiré
 
oxygène                  21 cm3         16 cm3
dioxyde de carbone       très peu       4 à 5 cm3
azote                    79 cm3         79 cm3
 
J'ai constaté tout de suite la confu­sion cm3/centilitre
Certains élèves ont même parlé d'aire.
Nous avons dû retravailler la notion de volume à partir du matériel uti­lisé en base dix : cubes de 1 cm3, barres de 10 cm3, plaques de 100 cm3, cubes de 1000 cm3 ou 1 dm3.
Ce matériel a été "critiqué" par cer­tains élèves : "quand on souffle, on ne souffle pas des petits cubes, des barres ou des plaques !"
Des élèves ont voulu représenter leur souffle sous forme de boules. Alors, on a essayé de mesurer le volume d'une boule de billard plongée dans une éprouvette graduée contenant de l'eau. Cela a donné l'occasion de nou­veaux tâtonnements.
Des élèves ont proposé de calculer la quantité d'oxygène inspirée en classe, dans une journée. Ces calculs n'ont pas abouti. D'autres ont pris le relais.
D'autres questions, d'autres constats apparaissent à tout moment :
- "Si on gonfle un ballon de bau­druche, c'est mouillé dedans.
- On court, on respire plus vite et on sue : pourquoi ?
- L'air ne sent pas. Parfois il y a des odeurs, du parfum ou de la puan­teur. Comment se forment les odeurs.
- Comment on les sent ?
- est-ce que l'air odorant pèse plus que l'air normal ?
- A quoi sert le nez ?
- Pourquoi le nez pique à la piscine ?
- Si on ne fume pas, on grossit.
- Qu'est-ce que c'est qu'une ciga­rette ultra-légère ?
- Comment se fait la pollution dans les villes ?
- Pourquoi on rote quand on boit de la limonade ou du coca-cola ?
- Comment se fait la voix ?
- etc..."
 
Pour conclure...
 
La classe a connu d'autres inté­rêts... Les problèmes respiratoires ont baissé d'intensité. Je pensais, à un moment donné, construire un bel édifice de connaissances qu'on aurait pu évaluer... Il n'en a rien été, plus on avançait, plus on découvrait de nouvelles pistes, de l'inconnu.
Beaucoup trop de questions n'ont pas eu de réponses. Les expériences sont restées trop approximatives.
Cette recherche m'amène à plusieurs constats :
- je dois intensifier les moments d'étude sur le corps humain, son fonctionnement, les maladies...
- j'ai senti chez mes élèves une vé­ritable soif de savoir, le désir de faire des choses nouvelles, principa­lement des expériences.
Même imparfait, incomplet, le travail mené aura peut-être aidé certains élèves à clarifier quelques-unes des questions qu'ils se posent à propos de leur corps.
Michel Bonnetier
Ecole Karine, Strasbourg   
 
 

 

 

Tâtonnement expérimental : l'expérience tâtonnée

Février 1996

Après avoir situé une méthode naturelle, fon­dée sur le processus du tâtonnement expéri­mental, par rapport aux méthodes analytique et globale (1), nous envisageons d'éclairer ce processus d'apprentissage central en péda­gogie Freinet (2), par la confrontation de textes fondateurs avec certains éléments des recherches en psychologie cognitive.

Nous souhaitons, au cours des numéros sui­vants, lever quelques ambiguités :
- le tâtonnement expérimental est-il un pro­cessus d'apprentissage efficient ?
- se confond-il avec l'apprentissage aveugle par essais - erreurs (2), au hasard, cepen­dant commun à l'homme et à l'animal (3) ?
J & E. Lèmery
 
Nous symbolisons le comportement par une fi­gure en escalier : le trait vertical, c'est l'acte d'expérience tâtonnée, suivie d'une sorte de palier au cours duquel l'enfant ré­pète l'acte réussi au cours de l'expérience tâtonnée. Cette répétition peut se faire sous forme de travail utile si les circonstances de milieu le permettent ; sinon elle conti­nuera sans autre finalité qu'un besoin natu­rel d'acquérir la maîtrise de l'outil et de faire passer les actes dans l'automatisme.
Cette expérience tâtonnée se poursuit par le truchement des outils dont l'enfant dispose. Nous indiquons un outil nouveau à chaque ex­périence tâtonnée. Mais, dans la pratique, cette maîtrise demande de nombreuses expé­riences tâtonnées qui s'interfèrent, se chevau­chent...
...Il n'y a pas, d'une part expérience tâton­née, et d'autre part répétition pour acquisi­tion des automatismes. Ce ne sont là que deux temps inséparables du même processus. L'expérience tâtonnée suivante ne peut être menée à bien tant qu'un minimum d'automatisme n'est pas venu consolider l'acquisition opérée. La maîtrise de la main ne pourra pas s'opérer tant que l'on n'a pas appris la maî­trise du bras ; le langage articulé ne sau­rait apparaître tant qu'une infinité d'expériences tâtonnées n'ont pas fixé dans votre automatisme la maîtrise suffisante des outils précédents : pharynx, lèvres, langue.
Il se peut que l'ordre que nous donnons ne soit pas parfait et que, à l'expérience, on doive, sur certains points, le remanier. Comme il se peut que d'autres outils méritent de prendre place dans notre série.
Ces imperfections inhérentes à toute oeuvre qui remue ainsi un fonds entièrement nouveau, ne changent rien aux principes que nous avons établis. Et ce principe de procession normale de l'expérience tâtonnée en est un des plus importants.
Pour être plus précis et mieux compris, for­mulons sous forme de lois ces diverses conclusions :
- 1ère loi : Le processus de croissance est tout entier basé sur l'expérience tâtonnée.
- 2ème loi : Chez le tout jeune enfant, comme;chez l'animal, cette expérience tâton­née ne sort pas du              cadre des be­soins et des réactions instinctifs.
- 3ème loi : L'homme a précipité et différen­cié son expérience tâtonnée par l'emploi des outils.
- 4ème loi : L'action se fait en deux temps :
1er temps : expérience tâtonnée qui tend à trouver une solution satisfaisante en face d'une situation nouvelle.
2ème temps : la répétition des expériences réussies jusqu'à la maîtrise automatique de          l'outil.
- 5ème loi : Cette répétition peut, dans les circonstances les plus favorables, concourir à la                                  satisfaction di­recte des besoins (je charrie de l'eau pour aider mon père qui arrose le                                       jardin). C'est alors un jeu - travail . A dé­faut, la répétition se fait sans cette fina­lité, le seul        but étant la maî­trise de l'outil et la conquête de l'automatisme. C'est alors un travail - jeu.
- 5 ème loi (bis) : Cette répétition peut s'échelonner sur un long espace pour un même outil, sur                                    plu­sieurs années, pendant que se poursuit ce­pendant la montée subséquente par                             expérience tâtonnée et répétition. Il y a alors comme une sorte de retour en arrière                    très caractéristique dans le jeu.
- 9ème loi : Le progrès dans le comportement est une conséquence des deux fonctions alter­nées :                     expérience tâtonnée et ré­pétition. Si, pour des raisons que nous avons exposées,                                  l'expérience tâtonnée n'est pas possible, l'individu en reste à la phase animale                                          d'automatismes suscités par les instincts vitaux. S'il y a expérience tâ­tonnée sans                            possibi­lité d'inscription dans l'automatisme par les jeux - travaux ou les travaux - jeux,      l'expérience tâtonnée est à recommencer et tout progrès est, de même, impossible.
Texte extrait de la brochure BENP (N ° 36 pa­rue en 1948) reproduite dans la BTR 18/19 (avril 76)
 
(1) Nouvel Educateur n°72 Octobre 1995
(2) On trouve aussi une description détaillée du tâtonnement expérimental dans C.Freinet -   Oeuvres pédagogiques - Ed.Seuil - Tome 1 p.355 et p.371 - Tome 2 p.211
(3) d'après Olivier Reboul - Qu'est - ce qu'apprendre ? - Ed.PUF - p.51/52 
 

 

 

Atelier géométrie de transformation au cycle II

Février 1996

" J'ai les mêmes baskets que mon frère, mais elles sont plus petites ! "

" J'ai mis mes moufles à l'envers. C'est difficile ! Elles se ressemblent beaucoup. "
" A la foire, j'ai fait des tours de manège. Je voyais maman puis je ne la voyais plus. "
" Sur mon nouveau pull, on voit le même dessin. C'est comme la tapisserie de ma chambre. "
 
Ces événements de la vie quotidienne des enfants ainsi que l'intérêt qu'ils suscitent peuvent
être pris en compte en classe dans le domaine des mathématiques par une approche transformationnelle
de la géométrie (on aura reconnu dans les remarques ci-dessus des situations en rapport
avec l'homothétie, la symétrie, la rotation et la translation).
 
Destiné en priorité aux enfants de cycle II (mais ce n'est pas exclusif), cet atelier propose
une approche de ces quatre transformations à partir de gestes fondamentaux (reporter une figure
par pochoir, découpage, transparence, quadrillage,etc.).
 
A travers ces activités mathématiques les enfants vont accumuler une expérience sensible qui
leur permettra par la suite d'affiner leurs connaissances par l'étude plus approfondie de ces
transformations.
 
 
PERMETTRE DES ITINERAIRES PERSONNALISES D'APPRENTISSAGES
 
     Pour donner des chances mathématiques à tous les enfants, il faut, dès le plus jeune âge, enrichir leur " champ expérienciel ", amener chacun à exploiter au maximum ses potentialités, c'est à dire l'aider à faire ce qu'il n'aurait pu faire seul à condition que la maturation et le désir lui permettent de franchir le pas (...).
 
Cela devient possible en institutionnalisant l'expérience médiée
- par des approches collectives sensibilisatrices,
- par l'alternance entre activités de groupes et activités individuelles au cours desquelles l'outil est aussi un moyen de favoriser à bon escient cette médiation (...).
 
L'enfant engagé dans une géométrie dynamique
 
Par de multiples expériences (configurations dans le plan, assemblages mais aussi positions relatives et orientations diverses de figures, déplacements de celles-ci) se crée une géométrie dynamique convenant bien au besoin de mobilité de l'enfant. Celle-ci élargit son champ mathématique trop souvent centré, à cet âge, essentiellement sur des activités de numération.
 
Une conceptualisation plus naturelle
 
Comme il ne s'agit que de prémices de la géométrie, de la construction naturelle de concepts qui seront définis plus tard, seule nous intéresse la manipulation de quelques "attributs de ces concepts".
Ainsi, la translation sera approchée, selon les enfants, selon les moments, au cours d'activités proposées dans ce fichier ou d'autres situations par des attributs comme :
 - l'isométrie : " c'est pareil " (mêmes formes, mêmes dimensions)
 - le déplacement : " on fait glisser "
 - le sens : " de ce côté ", " vers le bas " ...
 - l'orientation de la figure : " à l'endroit " (...)
 
Enfin, il ne faut surtout pas percevoir un tel outil comme une programmation rigoureuse, ordonnée, obligatoire mais au contraire comme un ensemble d'apports différenciés, de facteurs déclenchants, d'expériences plus ou moins guidées s'intégrant dans l'itinéraire des enfants au moment du besoin.
Il apportera des recours dans une phase de sensibilisation ou une phase expérimentale guidée mais il devrait surtout déclencher l'envie de créer : la phase expérimentale libre.
Et ce domaine de la géométrie est très propice à la création mathématique dès la maternelle.
                            Edmond Lèmery
 
Une figure a subi une transformation (homothétie, translation, rotation ou symétrie).
Qu'est-ce qui a changé ?
Qu'est-ce qui est resté pareil ?
 
Ce questionnement amènera les enfants à se familiariser avec les propriétés des figures auquelles il feront subir des transformations géométriques: parallélisme, perpendicularité, angle, longueurs.
 
Ensuite, ils découvriront " le mode d'emploi " de ces transformations :
- pour la symétrie : équidistance et perpendicularité par rapport à l'axe de symétrie.
- pour la translation : parallélisme, conservation des distances, vecteur
- pour l'homothétie : alignement centre d'homothétie -point objet- point image et rapport.
- pour la rotation : conservation des distances par rapport au centre et angle.
 
 INVENTAIRE DE L'ATELIER
L'atelier de géométrie de transformation se compose
- d'un album de sensibilisation
- et d'un fichier.
 
L'album de sensibilisation est constitué de 4 séries de photographies :
- " idées " de translation,
- " idées " de symétrie,
- " idées " d'homothétie,
- " idées " de rotation.
 
Le fichier est constitué de :
 
* 6 fiches d'introduction : tableau des divers symboles, sommaire, gabarit de plan de travail individuel et de réseaux (à reproduire). 
 
* 5 séries de fiches d'activités :
- la série Gestes fondamentaux : 6 fiches
- la série Translation : 12 fiches + 1 fiche test
- la série Symétrie    : 12 fiches + 1 fiche test
- la série Homothétie : 12 fiches + 1 fiche test
- la série Rotation    : 12 fiches + 1 fiche test.
 
 
UTILISATION DE L'ATELIER
 
1. L'ALBUM DE SENSIBILISATION
 
   Mode d'emploi de cet album
 
Facilement accessible dans la classe, cet album à regarder peut être complété par les apports des enfants : publicités, photos, images dessins... On peut aussi afficher ces documents sur un panneau mural (voir ci-dessus).
Album et panneau sensibilisent les enfants aux quatre transformations de la géométrie euclidienne au travers des situations de la vie quotidienne.
Les approximations qu'on y trouve sont suffisantes à ce stade pour donner l'idée de transformation. Les concepts se préciseront tout au long du fichier et seront approfondis plus tard.
 
2. Le fichier
 
Mode d'emploi de la série G
 
La première série de fiches est destinées à l'apprentissage des gestes fondamentaux. Il est important que l'enfant maîtrise ces gestes puisqu'il les utilisera dans les séries suivantes pour faire fonctionner chaque transformation.
 
Ces fiches seront abordées collectivement. La part du maître est primordiale à ce stade de découverte du fichier.
 
Il pourra aider les enfants à :
- observer la fiche
- la nommer
- dégager le symbole de la " machine "
- décoder les différents symboles du matériel
- préparer le matériel
- décoder les différentes étapes de la réalisation du geste.
 
Cette étape sera un moment privilégié d'expérimentation, de création individuelle. En s'appropriant le geste, l'enfant se constituera un stock d'expériences qu'il pourra réinvestir ultérieurement.
 
Mode d'emploi des séries Translation, Symétrie, Homothétie et Rotation
 
" Ma mère m'a cousu un bermuda. Elle a fait le même pour elle mais il est plus grand ! "
 
L'enseignant qui a décelé une piste intéressante dans cet événement (une homothétie) peut demander à l'enfant, ou à un groupe d'enfant, de dessiner ce qui vient d'être dit.
Dans un second temps, de retour au groupe, tous les dessins réalisés seront affichés, observés, analysés, critiqués. La prise en compte des " erreurs " sera très fructueuse (pertinence, adéquation, avec le projet de départ, difficultés liées aux tracés " à main levée " ...).
L'enseignant proposera ensuite les fiches qui permettront aux enfants d'obtenir des résultats plus satisfaisants...
 
L'enfant lit le recto de la fiche, le décode, prépare son matériel.
Puis il réalise les exemples du verso en suivant l'ordre chronologique des étapes du recto. Nous avons varié au maximum le choix de ces exemples : simples ou plus difficiles, avec des figures régulières ou non, dessins figuratifs ou non, afin que chacun puisse progresser à son niveau et à son rythme.
Ces exemples ne sont donnés qu'à titre indicatif. Les enfants seront encouragés à inventer.
 
Remarques  
 
On n'écrit pas directement sur la fiche. Le verso est toujours en noir et blanc, figures simples, pour en faciliter la reproduction par l'enseignant (photocopie des fiches les plus complexes : coloriages, quadrillages, etc.) ou par les enfants (par transparence : du papier machine de 60 g suffit). 
 
Les fiches " coloriage "(S1,T1, H1, R1)
Avec les enfants du cycle 2, on travaille sur des objets ou des représentations d'objets. La couleur est à prendre en compte : une auto bleue dans un manège ne change pas de couleur au fur et à mesure des tours de manège.
 
D'un point de vue mathématique, il est intéressant de remarquer que le coloriage met en évidence la correspondance entre les éléments du dessin colorié et ceux du dessin à colorier, ainsi que la conservation de certaines propriétés spatiales (voisinage, positions relatives).
 
Les fiches de tests
Chaque série se termine par une fiche de tests. Le recto s'adresse plutôt aux enfants de maternelle et de CP, le verso propose un travail sur quadrillage pour CP et CE1.
 
Témoignages d'utilisation
 
C. Castier, MS et GS.
 
L'entretien a lieu tous les matins.
Les enfants y communiquent des informations. Et bien sûr, l'un ou l'autre de ces évènements fera (ou non) l'objet d'un apprentissage en étude de la langue, en étude du milieu , en maths, etc.
 
De plus en plus, lorsqu'une situation mathématique se présente, je pense à photographier sur le champ. Pour des jeunes enfants, cette première représentation sert de repère, de mémoire pour les recherches à venir...
 
Très vite, le jour même, je fais représenter à tous la situation.
Lors de la mise en commun, les dessins sont accrochés au tableau et les enfants vérifient si la situation a été ou non représentée de façon correcte. On cherche alors les critères retenus pour apprécier les travaux. Des pistes sont ainsi révélées et servent de base pour les recherches par groupes.
Une fois ce travail collectif réalisé, je partage ma classe en deux groupes, les Moyens et les Grands, pour les séances suivantes.
Les mathématiques se déroulent généralement tous les après-midi, durant une demi-heure, au moment où l'ASEM de l'école est libre pour venir dans ma classe.
Je travaille alors avec un groupe en recherche pendant que l'autre groupe, aidé par l'ASEM, s'exerce aux différents jeux mathématiques de la classe : jeux d'identification, de position, puzzles, tangrams, perles etc.
Une fois la recherche terminée, les groupes permutent.
 
C'est au niveau du travail par groupe, dans l'exploration d'une transformation, et ce, en particulier avec les Grands, que j'utilise le fichier.
La situation d'origine, venant du vécu, de l'expression des enfants, ayant été dessinée à main levée plus ou moins maladroitement, avec plus ou moins d'erreurs, pourra être représentée de façon plus fiable à l'aide des " machines " du fichier.
 
Le recto des fiches que j'utilise alors, est étudié par les enfants du groupe. Le verso sert d'entraînement. Il est parfois photocopié. Souvent les enfants s'en servent comme modèles qu'ils reproduisent approximativement, l'important étant " l'image " correcte pour la transformation utilisée. Mais bien entendu, ce qu'ils préfèrent, ce sont les exemples qu'ils inventent eux-mêmes.
 
Je n'utilise donc pas toutes les fiches. Je ne respecte pas obligatoirement l'ordre des fiches.
 
Pour moi, c'est surtout un outil de propositions qui me permet de mieux accueillir l'expression des enfants, et de la prolonger...
 
Des maths à partir de l'entretien...
 
Les enfants entrent dans la classe et s'installent pour l'entretien... Les deux responsables n'ont pas le temps de commencer l'appel qu'Elodie s'exclame en s'approchant de sa voisine et en montrant fièrement leur coiffure :
" Regardez ! Marine et moi, on est pareilles ! "
Boris intervient, gestes à l'appui :
" Non ! Vos couettes ne sont pas du même côté ! Y'en a une par ici, et une autre par là, c'est symétrique. "
Et Laura d'ajouter :
" C'est comme mon papillon ! Lui aussi, il était symétrique. "
L'exploration de la symétrie commencée avant les vacances, va pouvoir se poursuivre...
 
Depuis longtemps déjà, grâce aux apports des enfants, les expériences s'accumulent : la libellule apportée par Elodie en septembre, les nouvelles baskets de Justine, les gants et les moufles de l'hiver, etc.
 
A chaque fois, la situation est dessinée par un ou plusieurs enfants, parfois par la classe toute entière.
C'est ce qui s'est d'ailleurs produit le jour où Laura a présenté son dessin de papillon.
J'ai demandé à tous de reproduire le plus fidèlement possible le papillon de leur camarade.
Lors de la mise en commun, tous les dessins ont été placés au tableau puis observés. Pour chaque dessin, on a vérifié que l'on avait bien " obéi " à la règle du jeu : " je dessine pareil ".
Les erreurs ont été repérées au niveau de la couleur, de la forme, de la taille, des graphismes à l'intérieur des ailes, etc.
 
Dès ce moment collectif, j'ai amené le vocabulaire spécifique : " symétrie ", " axe de symétrie ". Et Laura s'est rendue compte que son dessin de papillon contenait quelques erreurs de symétrie.
 
Donc, ce jour-là, les enfants ont dessiné Marine et Elodie...
Ensuite, afin d'obtenir des symétries sans erreurs, je leur ai proposé une série de " machines " qu'ils expérimentent l'une après l'autre :
- pliage/peinture,
- pliage/découpage,
- pliage/piquage,
- pliage/dessin par transparence,
- symétrie et calque.
 
A chaque fois que c'est possible, je demande aux enfants de colorier de la même couleur l'objet et l'image afin de bien mettre en évidence la transformation.
 
Les enfants acquièrent ainsi une perception de plus en plus fine de la symétrie et semblent mûrs pour poursuivre leur exploration sur des quadrillages.
 
 
D. Thorel, CP CE1.
 
Exemple 1.
A partir de l'entretien du matin :
André dit :
" Hier, mon pépé et ma mémé sont venus dîner. C'est moi qui ai mis la table. "
Questions des autres enfants :
" Qu'est-ce que vous avez mangé ? "
" Vous étiez combien à table ? "...
J'interviens :
- Dessine au tableau comment tu as mis la table. C'est une table ronde ou carrée ? "
- C'est une ronde. On était à six. "
 
Les autres enfants l'aident. Il a du mal à placer correctement les couverts. Les fourchettes ne sont pas toujours du même côté de l'assiette et parfois dans le mauvais sens (les dents vers l'extérieur de la table).
 
Le jour suivant, je demande aux enfants de dessiner la table d'André sur une feuille blanche. On affiche les dessins au tableau. On critique :
- les assiettes, verres, couverts, ne sont pas de la même taille,
- le couteau doit être dans l'autre sens,
- les assiettes sont trop serrées d'un côté,
- la table n'est pas tout à fait ronde, les assiettes non plus.
 
Comment faire pour que les assiettes, verres, couverts, soient tous de la même taille ?
C'est difficile à main levée. Il faut trouver des outils.
Les enfants pensent tout de suite à découper un rond en papier et à le déplacer autour de la table en prenant à chaque fois son contour.
 
J'introduis les fiches " Gestes fondamentaux " : pochoir, calque, contour, qui apparaissent alors comme des outils mathématiques amenant plus de précision et plus de rigueur.
On étudie l'organisation de la fiche : les symboles, le matériel nécessaire. On s'aperçoit que la fiche est faite comme une bande dessinée. On apprend à se servir du fichier.
 
La semaine suivante.
Nous allons utiliser ce que nous appelons des " machines " (calque, pochoir, contour) pour dessiner la table d'André.
La nécessité de la punaise ou de l'attache parisienne au centre de la table se fait vite sentir.
 
Avec le calque, on peut essayer d'autres dessins.
" C'est comme au manège, comme une horloge. "
J'introduis le mot " rotation ".
On peut déjà faire des remarques concernant cette transformation et ses invariants :
- fourchettes et couteaux restent toujours à l'extérieur de l'assiette,
- les couverts face à face sont comme " retournés ", ils ont changé de direction,
- les assiettes et couverts ont toujours la même taille (ce qui sera différent en homothétie).
A ce moment, je propose les fiches " rotation " dans les moments de travail individuel de la classe.
Il est évident que si le fichier a déjà été utilisé en maternelle, si les enfants sont plus autonomes, on peut introduire le fichier en travail individuel dès le début de l'année.
 
Exemple 2.
Gauthier a présenté un texte racontant ses vacances. Il a fait du poney dans la montagne.
" Quelquefois c'était dur pour le poney, parce que ça grimpait."
Je propose de dessiner le poney qui avance.
Comment faire pour qu'il soit toujours pareil ?
Les enfants se souviennent du calque et du pochoir. J'introduis le mot " translation " (quand on fait glisser le calque ou le pochoir le long d'une ligne, on fait une translation).
On se sert du même pochoir pour faire une rotation. On remarque des différences entre translation et rotation.
Dans la translation :
- le poney avance toujours dans la même direction,
- il n'est jamais retourné,
- il est toujours " penché pareil ".
 
J'introduis alors les fiches " translation " en travail individuel.
Les mots translation, symétrie, etc., sont réutilisés le plus souvent possible lors des entretiens, des remarques sur des photos, dessins et livres, lors des sorties.
 
Maryvonne Pierron
CP CE1
 
Place du fichier dans l'ensemble des démarches d'apprentissage
Sauf pour les fiches G qui servent d'introduction, les autres séries sont abordées après une phase de tâtonnement.
- On fait une découverte, l'adulte attire l'attention dessus.
- On observe, on commente.
- On reproduit (d'abord l'exemple, puis ce que l'on veut).
- On observe les productions et on les critique (par exemple, pourquoi c'est une symétrie ou pourquoi ce n'en est pas une).
- On se rend compte que ce n'est pas facile de réaliser une transformation à main levée.
- Je dis qu'il existe des " machines " pour mieux y arriver et je propose les fiches (d'où l'intérêt d'avoir travaillé au préalable sur les gestes fondamentaux, série G, que l'on retrouve ensuite).
 
Organisation de la classe
- une séance le vendredi matin,
- avec prolongements possibles lors du moment des ateliers (soit une heure chaque jour).
 
Pour permettre à chaque enfant d'expérimenter à partir de ses propres exemples, l'atelier de géométrie comprend :
- les fiches réseaux,
- du papier calque,
- tout le matériel nécessaire à la réalisation des fiches (poinçon, rhodoïd, etc.).
On y trouve aussi du matériel permettant d'aborder des notions non implicitement traitées dans le fichier (tangram, frises, volumes, etc.).
 
Par ailleurs, les mathématiques ont leur place dans les échanges avec nos correspondants (albums réalisés sur les rotations, etc.)
 
Un moment déclencheur
En début d'année, au cours d'un travail sur les dents, nous avions étudié une affiche (l'oiseau qui nettoie les dents d'un crocodile avec une brosse à dents !). Celle-ci était restée longtemps accrochée. Quelques mois après, lors d'un " moment bibliothèque ", Jérémy (CP) présente Les dents d'Ali (collection Colibri, Ed. Nathan) et nous montre, en dernière page une reproduction de l'affiche.
" C'est la même ! " dit-il en montrant l'affiche au mur.
Nous avons bien observé (compté les dents du grand et du petit crocodile !), discuté...
Les enfants ont dessiné à main levée un petit objet puis l'on reproduit en plus grand (ou vice-versa).
Nous avons observé les résultats affichés sur le tableau aimanté, critiqué...
Nous nous sommes souvenus de nos échanges de l'an passé avec nos amis de Serques et de l'utilisation de " machines " (pantographe et projecteur)...
Les fiches sur l'homothétie ont été lancées à partir de ce moment-là.
 
Les livres de bibliothèque nous ont permis de découvrir une multitude d'exemples de transformations géométriques (L'as de pique, de Courgeon R./Dedieu T., collection Les Animoches, Ed. Circonflexe, nous a lancé sur la symétrie).
Depuis, quand un enfant trouve une transformation géométrique dans un livre, je pense à la photocopier pour la mettre dans notre album de sensibilisation.
A cet égard, nous avons adopté un code : nous collons une pastille orange sur les " fausses transformations " (ça y ressemble... mais il y a une anomalie).
 
Une séance de travail sur la symétrie avec toute la classe
- Rappel de la notion :
chaque transformation même si elle est bien connue sous son nom (homothétie, rotation, translation, symétrie) est aussi appelée par son " petit " nom :
* la longue vue (dénomination de nos correspondants de Fouquereuil : d'un côté on voit grand, de l'autre on voit petit),
* le manège,
* les jumeaux,
* le miroir.
 
- On parcourt l'album de sensibilisation pour bien avoir la transformation " dans les yeux ".
- On s'est déjà essayé à main levée.
- La fiche coloriage a été donnée.
- Je distribue les fiches Symétrie
 - avec quadrillage aux CE1,
 - avec rhodoïd et par transparence, aux CP.
Chaque groupe étudie le recto. S'ils ont compris, les enfants exécutent les exemples du verso. J'aide plus les CP en leur faisant expliciter les différentes actions. Quand ils travaillent sur le verso, je les renvoie au recto pour qu'ils contrôlent la conformité de leur démarche...
 
Lorsqu'un enfant a terminé sa fiche, il peut poursuivre l'expérimentation librement.
 
En fin de séance, chaque groupe présente ses réalisations en explicitant l'usage de la " machine " utilisée.
 
 
Plus on avance dans l'année et dans le fichier et plus l'on s'aperçoit que les enfants s'approprient vraiment le fichier (la lecture des fiches est beaucoup plus facile), qu'ils l'adorent parce qu'ils sont dans l'action, dans la recherche... et que les notions s'installent correctement dans leur esprit.
 
Dossier préparé par J.-C. Saporito. Témoignages de C. Castier, M. Pierron, D. Thorel. Document : livret de présentation du fichier Géométrie de Transformation, cycle II.
 

 

Pistes

Février 1996

 



Pédagogie Freinet à Diawar (Sénégal)

Février 1996

La citoyenneté, on l'apprend à l'école, selon la pédagogie Frei­net. Ce principe, transformé en pratique d'éducation, a dépassé les frontières françaises pour ga­gner les confins du Sénégal grâce aux efforts d'un instituteur de Rezé (44), Jean Le Gal, qui a éta­bli des relations étroites de par­tenariat avec l'école de Diawar, un village situé dans le nord de ce pays. Le directeur de l'école, Papa Meïssa Hanne, après avoir participé aux journées nationales du Groupement des Retraités Educa­teurs sans Frontières (GREF) à Lille, a été accueilli par l'association des Amis de Diawar, à Rezé, qui apporte son soutien à la modernisation de l'école : eau potable, jardin scolaire, fourni­tures...

Cette coopération a vu le jour en 1986, par une correspondance sco­laire entre l'école de Diawar et celle de Ragon à Rezé, où la classe de perfectionnement de Jean Le Gal fonctionnait selon le mo­dèle Freinet. Elle proposait une nouvelle forme d'apprentissage scolaire, centré autour du vécu de l'enfant. Ses principes, qui favo­risaient l'ouverture de l'élève sur son environnement, sa partici­pation à l'organisation de l'école, s'est rapidement avérée efficace au Sénégal.
Sa pratique, enseignée à titre ex­périmental à Diawar, a fourni un modèle pertinent de "pédagogie du projet". Selon Papa Meïssa Hanne, "l'enfant doit être l'acteur de son propre savoir. Les enfants puisent leurs connaissances dans leur propre village en intégrant leur établissement scolaire au sein de la vie locale.". Ils écri­vent un journal, gèrent les acti­vités du jardin d'enfants, forment des conseils pour proposer des initiatives et prendre des déci­sions concernant la vie de leur établissement.
Dans une société rurale, centrée sur la cellule villageoise, comme celle du Sénégal, Freinet a rapi­dement fait école. On enseigne aux enfants la lecture et l'écriture à partir de textes qui ont un lien avec leur vie quotidienne. Les en­fants apprennent très tôt à s'exprimer et à assumer des res­ponsabilités qui les touchent per­sonnellement.
Depuis 1986, la méthode a fait son chemin. Deux promotions d'élèves sortis de l'école primaire pour­suivent leurs études dans des col­lèges des villes voisines et se font remarquer par leur vivacité d'esprit et leur personnalité. Les enfants sont à la fois débrouil­lards et conscients de l'intérêt de suivre des cours. Ils travail­lent par eux-mêmes ou avec l'aide d'un instituteur, ce qui les aide à être moins tributaires du manque d'instruction de leurs parents.
Ils doivent cette autonomie rela­tive à l'aménagement de leurs ho­raires : la classe a lieu de 8H à 13H, ce qui leur laisse l'après-midi pour faire leurs devoirs, mais aussi pour enquêter dans le village, écrire et tirer leur journal, travailler au jardin co­opératif.. Souvent ils décident eux-mêmes de rester à l'école. C'est dire si elle a pris, à leurs yeux, un caractère de véritable lieu de vie.
L'école de Diawar accueille au­jourd'hui 237 enfants, soit envi­ron quatre fois plus qu'en 1986. Le problème crucial reste le manque de professeurs : l'établissement ne dispose que de 3 instituteurs. L'Etat a dû enga­ger des formations accélérées d'enseignants pour répondre à la demande. De nombreux instituteurs s'intéressent aujourd'hui à la Pé­dagogie Freinet. Dans une cinquan­taine d'écoles, des techniques Freinet sont pratiquées. Pour les aider dans leur formation et les rassembler, Papa Meïssa Hanne a créé en 1989 l'Association Sénéga­laise de l'Ecole Moderne (ASEM). Il compte sur la collaboration des pouvoirs publics de son pays "Dans une démocratie, c'est moins le problème d'autorisation que les déficiences matérielles qui nous pénalise", explique-t-il. Une ré­forme de l'école est en cours qui favorise le développement de la pédagogie Freinet.
D'autant que la coopération avec l'étranger a su déployer ses mé­rites : un partenariat entre l'ASEM, l'ICEM, le GREF et le Conseil régional du Nord-Pas de Calais a permis la mise en place d'actions de coopération pédago­gique, directement dans les classes, pour l'initiation à la correspondance, au journal sco­laire tiré au limographe, à l'étude du milieu, à l'éducation coopérative.
L'école de Diawar expérimente des techniques d'apprentissage indivi­dualisé dans des classes de plus de 60 élèves. Elle est la première école Freinet de l'Afrique noire.
Il reste à promouvoir et dévelop­per la pédagogie Freinet dans d'autres pays africains. En Sep­tembre 95, le premier séminaire africain de l'Ecole Moderne a ré­uni des instituteurs des pays voi­sins, à Saint Louis, dans le but d'échanger leurs pratiques et de fonder une Fédération africaine de l'Ecole moderne. On y a parlé cor­respondance, apprentissage, mais aussi éducation à la citoyenneté.