France-Danemark... une histoire à deux voix
France-Danemark :
non, pas un match de foot,
mais plutôt une histoire à deux voix .
Au grand nord, en Scandinavie où le soleil se couche tard et se lève tôt l'été, il y a un professeur qui enseigne depuis des années et qui rêve d'aller en France pour perfectionner sa langue.
Les années passent et un beau jour elle prend la décision de partir quelques mois en congé de formation...
Prologue
Le professeur, c'est moi : Mette Dalsgaard, mère de trois enfants de huit, onze et quatorze ans, mariée. Je travaille dans un lycée au Danemark, j'enseigne le français et l'EPS et mon travail me plaît beaucoup.
Pendant mes études à la fac de lettres à Aarthus, j'ai fait la connaissance de la pédagogie Freinet et j'ai décidé de trouver des enseignants Freinet pour travailler avec eux, tout en sachant qu'on ne travaille pas avec des élèves du même âge. L'ICEM m'a fourni une liste des délégués départementaux et j'ai envoyé un peu partout en France neuf lettres. J'ai reçu trois réponses affirmatives de collaboration.
Et c'est ainsi que j'ai trouvé Lucette Agostini.
Je m'appelle Lucette Agostini. Je travaille en C.P ou en CE1 dans une petite école à Ceyreste près de La Ciotat. Je partage mon temps entre un mari, trois enfants, ma classe, l'ICEM, mon chien, mes deux chats... comme tout le monde !
Vers le 15 mai 1994, j'ai trouvé dans ma boîte aux lettres au milieu d'un courrier monotone, une lettre en provenance du Danemark. Je ne connaissais personne dans ce pays, et j'ai ouvert l'enveloppe avec curiosité. Elle était signée Mette Dalsgaard, professeur de français et d'EPS dans un lycée à Odder.
J'ai eu envie de connaître Mette et de travailler avec elle et ai répondu à sa lettre en demandant des précisions. Nous avons échangé une courte correspondance, un coup de téléphone et j'ai commencé à rassembler dans ma tête tout ce que je savais sur le Danemark : les vikings, la petite sirène, Andersen, "Non" à Maastricht, le sauna, Karen Blixen avec son "Festin de Babette" et sa "ferme africaine", les "LEGO", la neige.
Au mois de juin, j'ai rencontré mon I.E.N qui a donné son accord pour que Mette vienne dans ma classe.
A la fin du mois j'ai trouvé une petite maison à louer, au milieu des pins et des oliviers, à deux cent mètres du village et j'ai communiqué à Mette les coordonnées du propriétaire.
Nous nous sommes donné rendez-vous pour la fin du mois d'août. Puis je suis partie en vacances.
Le fait d'avoir un nom et une destination précise m'a beaucoup rassurée dans ma décision de partir...
Au mois d'août, je me suis rendue en France avec ma famille pour passer deux semaines de vacances dans la maison que m'avait trouvée Lucette. J'envisageais avec impatience d'aller la voir : elle était partie passer les vacances ailleurs. Grâce aux lettres échangées, j'avais l'impression qu'on se connaissait et qu'on serait bien ensemble, mais la rencontre a été encore plus chaleureuse que je ne l'avais espéré ! Avant le retour au pays de ma famille, on a tous -les deux familles- passé une soirée ensemble et j'ai senti que je serais entre amis.
Seule Mette parle français et la conversation a été joyeuse avec tout de même quelques limites !
Une fois son mari et ses enfants repartis pour le Danemark, Mette et moi avons établi des pistes de travail pour ma classe et fixé à deux jours par semaine sa présence à l'école, le lundi et le vendredi.
Lors de ma première journée à l'école, j'ai trouvé les enfants très petits, très ouverts et d'une curiosité adorable, et j'ai eu l'impression que les illustrations du Petit Nicolas, "chariées" par mes lycéens, se sont animées sous mes yeux ! quel plaisir de les regarder s'adapter à la vie en classe et se constituer entre eux et par rapport à la maîtresse. Dommage qu'on ait rarement la possibilité de se mettre au fond de sa propre classe rien que pour observer.
L'ambiance entre les enseignants était bonne et je me suis sentie acceptée par l'ensemble des enseignants de l'école dès le premier jour.
Pour les enfants j'ai été considérée comme un enseignant, et j'ai rarement fait les courses dans le village sans dire bonjour à "mes petits" ou à leurs parents. J'ai senti que j'appartenais au village, que je n'étais pas tout à fait étrangère.
Le travail en classe : l'apprentissage de la lecture ressemble de manière étonnante à l'apprentissage d'une langue étrangère et la méthode naturelle m'a ouvert des réflexions sur l'interdisciplinarité, la responsabilisation et l'organisation du travail dans mes propres classes.
Je n'avais pas envisagé d'être intégrée dans la vie d'une classe et je n'avais pas apporté beaucoup de documentation de chez moi. Mais la possibilité de contribuer au travail, incitée par Lucette, avec ce que je jugeais approprié m'a beaucoup apporté. Je n'avais pas tant besoin de mes qualités professionnelles que de ma créativité et mon savoir-faire global.
Grâce à la réunion départementale j'ai eu d'autres contacts aux Fabrettes à Marseille. Des enfants plus âgés, d'autres enseignants, d'autres expériences, mais toujours des relations d'échanges de points de vue et d'amitié, ce qui a beaucoup enrichi et complété mon séjour.
Je remercie de tout coeur Lucette à Ceyreste et Claire et Daniel aux Fabrettes pour m'avoir ouvert la porte de leurs classes - ce qui n'est pas toujours facile -, pour les moments de travail et de loisirs qu'on a passés ensemble, pour leurs envies de montrer, partager et de mettre en question, pour leur curiosité sans laquelle je ne serais pas là !
J'ai découvert que les enseignants français et danois ont beaucoup de choses en commun, et parmi d'autres : la conception d'enseigner dans le meilleur système du monde ! Je suis convaincue qu'il se passe quelque chose de très enrichissant dans la rencontre entre enseignants issus de cultures différentes.
Je me suis sentie beaucoup plus concernée par ce qui ne me plaît pas ici plutôt que par ce qui me plaît, et c'est une bonne démarche pour une mise en question de mon propre enseignement et une approche renouvelée.
Un souffle du nord
Nous avons préparé une lettre pour mon Inspecteur afin qu'il soit au courant de tous nos projets (il avait émis un avis favorable dès le mois de juin précédent). Nous avons décidé que Mette commencerait à venir en classe dès que j'aurais établi le contact avec mes 25 CP.
A l'école, Mette a tout de suite fait partie du groupe et avec elle les Vikings sont entrés dans la classe !
Nous avons constitué une petite bibliothèque de départ qui s'est enrichie des apports des enfants.
Nous avons incité les parents qui allaient à la foire de Marseille à emmener leurs enfants au stand du Danemark. Ils y ont découvert les légos, des sandwiches étonnants, et ils en ont ramené de nombreuses brochures.
En géographie, on a situé le Danemark sur une carte de l'Europe, et dans le pays même, on a marqué plusieurs lieux : le village de mette, l'île où elle va en vacances, la Petite Sirène et Légoland !
A l'entretien du matin, Mette est intervenue chaque fois en disant quelques phrases en danois et nous avons cherché des repères auditifs pour essayer de comprendre avant d'écouter la traduction !
Mette nous a fait faire des tas de choses :
- des pliages en papier (elle a même raconté une histoire avec une feuille de papier pliée de façons différentes selon les péripéties).
- une chanson en danois.
- une danse des Iles Féroë.
- des sandwiches danois suivis d'une fiche recette écrite dans les deux langues. Mes CP savent maintenant dire "saucisse", "pain", "moutarde", "concombre" et "oignons" en danois. Ils ont retenu ces mots très facilement et avec beaucoup de plaisir.
- nous avons découvert l'alphabet danois qui comporte quelques lettres de plus que le nôtre :
- nous avons organisé une journée en forêt à dominante orientation.
- en lecture de textes d'auteurs j'ai commencé à lire aux enfants les contes d'Andersen dans une traduction intégrale. Le premier a été "La Petite Sirène" et le second "Le sapin".
- en histoire nous sommes maintenant incollables sur les Vikings, leur vie, leurs coutumes et leurs légendes.
- enfin nous avons visionné une cassette sur une expériencedanoise "Vivre à l'âge du fer" en famille pendant huit jours".
Nous avons essayé d'établir un parallèle dans le vie quotidienne de nos deux pays, à chaque fois que c'était possible.
Grâce à Mette, le premier trimestre a été d'une grande richesse.
On aimerait mettre en place une correspondance entre nos deux classes : les Français de 6 ans qui apprennent à lire, et les Danois de 15 ou 16 ans qui apprennent le français. Nous allons essayer.
Ma classe aimerait écrire à la classe de Soren, le plus jeune fils de Mette, et nous réfléchissons aux modalités de traduction quand elle aura regagné le Danemark.
Correspondance avec Lille Odder Friskole
Au début du mois de décembre, Mette a commencé à penser à son retour chez elle et tout s'est précipité !
Avant son départ, nous avons préparé avec les enfants une longue lettre collective pour la classe de son plus jeune fils Soren ( CE1/CE2).
Nous avons écrit dans les deux langues : bleu pour le français et rouge pour le danois, chaque phrase en français étant immédiatement traduite au dessous en danois par Mette.
Nous avons collé des cartes postales de Ceyreste, une photo de classe, des dessins, et tout le monde a signé.
La lettre a été postée et Mette est partie.
Au mois de février, nous avions la réponse, écrite de la même façon dans les deux langues.
Til aftensmad juleaften far vistegt and eller gas med rodkal og brune kartofler til.
Til dessert far vi ris a l'amande eller risengrod med en hel mandel i. Den, der finder mandlen, far en gave.
Le soir, la veille de Noël nous mangeons du canard ou de l'oie avec du chou rouge et des pommes de terre vapeur au sucre.
Comme dessert nous avons du riz à l'amande ou une bouillie de riz avec une amande (une fève). Celui qui trouve l'amande reçoit un cadeau.
Cette lettre racontait des choses extraordinaires, menu de Noël surprenant, jeux de patinage dans les champs sur les inondations gelées, carnaval danois etc...
Les Danois s'étonnaient de l'écriture liée employée par les petits français ! Eux écrivent en script.
La lettre mesurait bien huit mètres de long, je l'ai coupée en quatre et affichée sur les murs de la classe. Les enfants s'y reportaient fréquemment jusqu'au jour où l'un d'eux m'a dit :"J'ai trouvé comment on dit "merci" en danois : c'est "tack".
A partir de là, il y a eu tout un travail de recherche à partir des repérages dans les deux textes et de prises d'indices.
Un petit lexique Français/Danois a été commencé. On a pris un court moment tous les matins après l'entretien pour chercher des mots et proposer des traductions.
Pour vérifier l'exactitude des propositions, je me suis servie des dictionnaires que Mette m'avait laissés. Ne comprenant pas un mot de danois, j'ai fait cette recherche en même temps que les enfants et ça a été des moments très chaleureux entre nous.
Puis un jour Nicolas a dit :
"Moi, j'ai trouvé "Noël" en danois.
- Comment as-tu fait ?
- D'abord j'ai cherché un mot avec une majuscule mais il n'y en avait pas en danois... Alors comme il y avait trois fois le mot "Noël" en français, j'ai cherché un mot danois qui était trois fois et j'ai trouvé "vi".
Après vérification dans le dictionnaire, il s'avère que c'est faux, mais Nicolas a ouvert des pistes aux autres, et les voilà en train de compter et de comparer les fréquences des mots !
Malgré leurs efforts, ils ne trouveront pas le mot "Noël" car le danois est très différent du français : il y a un mot pour "arbre de Noël", un autre pour "veille de Noël", encore un autre pour "repas de Noël" etc...
L'explication passe difficilement, mais la recherche des mots continue d'être vécue comme une aventure et la lettre est toujours affichée dans la classe !
Dans notre réponse, nous avons laissé des "blancs" pour que Mette puisse écrire la traduction. Nous parlons de notre départ en classe verte à Vaunières, près d'Aspres sur Buech où doit se rendre aussi la fille ainée de Mette.
Leur voyage s'effectuera en car depuis le Danemark et leur séjour de 6 jours se fera malheureusement une semaine après le nôtre. Il n'y aura donc pas rencontre cette année, mais si le lieu leur plaît, pourquoi pas l'année prochaine ?
Encouragés par la lettre danoise, mes élèves de CP se proposent de réécrire en français un livre pour enfants reçu du Danemark. Il n'y aura pas assez d'heures dans les journées !
Correspondance avec le lycée d'Odder
Prallèlement à cette correspondance, Mette et moi avons jeté les bases d'une autre correspondance entre ses grands élèves apprenant le français et les miens apprenant à lire, comme nous en avions eu l'intention avant de nous quitter.
J'ai donc reçu une liste des noms de ses élèves désirant participer à cet échange, et Mette avit pris le soin d'écrire le sexe à côté des prénoms, ce qui était bien utile !
Les enfants ont choisi leur correspondant fille ou garçon et on a mis des lettres individuelles en chantier.
Chaque lettre a été accompagnée de son double écrit par moi, et chaque enfant a lu et enregistré sa propre cassette pour "qu'ils sachent bien la lire et bien prononcer les mots" ! Ce qui fait qu'il va y avoir une promotion de Danois parlant français avec l'accent de Ceyreste...
Les lettres ont été postées dans un colis de thym, de romarin et de bonbons français. Nous espérons tous recevoir des bonbons danois en retour !
Grâce à un rapide courrier de Mette, nous avons appris que notre envoi avait été accueilli avec beaucoup de plaisir et d'émotion et que les ados peinent et s'acharnent sur leur réponse.
La grève du courrier est arrivée à ce moment et c'est extrêmement frustrant pour les enfants qui attendent tous les jours le facteur.
Peut-être à la rentrée des vacances de printemps ?
Epilogue
Vendredi 12 mai arrive un colis du lycée d'Odder. Il contient :
- une guirlande de poèmes danois écrits sur des napperons de papier découpé ornés de perce-neige séchés, les poèmes sont intercalés avec des sachets de bonbons.
- des lettres individuelles avec photos.
- une lettre vidéo présentant le lycée, la classe, que nous avons dû traduire en procédé SECAM (1) pour pouvoir la visionner.
A suivre sans aucun doute...?
Lucette Agostini
(1) rappelons que -prestige oblige- la France a tenu à conserver son système de codage des couleurs : le SECAM, tandis que le reste de l'Europe adoptait le procédé allemand PAL. Maintenant, pratiquement tous les magnétoscopes et téléviseurs peuvent automatiquement transcrire l'un ou l'autre : ils sont "PAL/SECAM".