Fin de siècle

Décembre 1999

Difficile, en cette fin d’année 1999, d’échapper aux bilans qui fleurissent un peu partout.
Héritiers d’un mouvement profondément inscrit dans l’histoire contemporaine depuis quatre-vingts ans, il semble impossible de ne pas jeter un regard en arrière sur notre parcours.
C’est un exercice périlleux pour nous qui sommes impliqués dans la vie de ce mouvement. C’est pourquoi, une fois n’est pas coutume, nous donnerons la parole à Freinet : « Dans tous les milieux pédagogiques bien pensants, l’École semble abstraite de la société ; on prétend lui conserver pureté et candeur loin de toute vaine agitation sociale. Aussi quand on discute de problèmes pédagogiques, s’arrête-t-on prudemment au bord des questions sociales ou politiques qui seraient l’aboutissement certain du raisonnement.
Que les divers groupements s’occupant d’éducation nouvelle aient d’excellentes raisons pour expliquer cette timidité, nous n’en doutons point. Nous croyons qu’il est de notre devoir de dénoncer « l’union sacrée » qui est la base de leur constitution et de poser le problème de l’école populaire dans toute son ampleur.
L’École est le produit de la société ; cette société l’influence très profondément de cent manières diverses.
Mais il ne faut rien dire de ces rapports et considérer l’école « en soi » !
[…]
On nous répond : « Chacun ne peut pas être militant : nous sommes pédagogues ; nous nous occupons de notre métier ».
Je ne demande pas à ces pédagogues d’abandonner leurs utiles travaux et de s’attaquer aux questions sociales pour lesquelles ils sont peut-être incompétents.Je souhaite seulement qu’ils ne s’abstiennent pas systématiquement de montrer l’importance des assises sociales de l’École.
Mais alors des gouvernements, des classes sociales seront mises en cause. Alors apparaîtra la vanité de toutes les promesses officielles. Alors il faudra peut-être placer l’éducation sur son vrai terrain de classe… (1) »
Paroles si justes, si pertinentes qu’on les croirait écrites aujourd’hui.
Une guerre mondiale, la barbarie des camps et du goulag, l’effondrement des régimes bureaucratiques ont toutefois mis à mal les certitudes. Changer le monde apparaît plus difficile que ne l’avaient imaginé nos prédécesseurs.
Pourtant nous ne sombrons pas dans le désespoir politique. Le mythe de la science toute puissante a vécu. Le libéralisme montre qu’il n’est que le retour de la barbarie sous une forme déguisée. Nous sommes de plus en plus nombreux à penser qu’un autre monde est possible. Une société libre, égalitaire et démocratique reste à construire et l’éducation est une des clés qui peut nous en ouvrir
les portes.
Nous nous appuyons sur le travail de réflexion accumulé pendant des dizaines d’années au sein de notre mouvement pédagogique. Beaucoup reste pourtant à faire pour développer et théoriser nos pratiques pédagogiques qui permettent à chacun de construire ses savoirs tout en développant réflexion collective et esprit critique sur les contenus comme sur la société.
Aussi, reprendrons-nous à notre compte, à l’occasion de notre congrès de l’an 2000, cette formule qui avait séduit Freinet : « Chapeau bas devant le passé, bas les vestes pour l’avenir ! »
Jean-Marie Fouquer
Président de l’ICEM