Le Nouvel Educateur n° 116

Février 2000


 

 

Pour une éducation scientifique et technique

Février 2000

Des pluies violentes et des inondations, une marée noire, deux ouragans. Un inventaire sans poésie : plus d’une centaine de victimes et des milliards de francs de dégâts !
Nous oublions trop vite notre interdépendance avec notre milieu de vie. Le respect de la Terre, traditionnel dans de nombreuses civilisations,semble bien loin de nos préoccupations.
Urbaniser à outrance certaines régions, construire dans des zones inondables ou dans des couloirs d’avalanche, remembrer les terres et raser les talus pourrait-il être sans conséquences ?
Inutile de revenir sur la responsabilité directe et indirecte des multinationales dans les marées noires à répétition. Leur morale est suspendue aux fluctuations du cours de leurs actions boursières !
N’est-il pas temps de nous donner les moyens d’avoir des certitudes en ce qui concerne l’effet de serre ? Jusqu’à quand, au nom du progrès et du développement, continuera-t-on à détruire les milieux naturels ?
N’est-il pas temps de contrôler ce qu’autorisent les découvertes scientifiques et les avancées technologiques ?  Contrôle des manipulations génétiques, diversification des choix énergétiques,sécurité alimentaire,maintien de la biodiversité, gestion des déchets, promotion d’une agriculture sans pollution, limitation de l’urbanisation, lutte contre l’appropriation du vivant sont quelques-uns des enjeux auxquels l’humanité se trouve confrontée.
Trop souvent, c’est pourtant aux « experts » que les politiques demandent de donner un avis. Ces avis confinent parfois à la caricature quand ce sont les intéressés qui doivent se contrôler eux-mêmes.Principe de précaution et régulation devraient pourtant être les règles
incontournables de toutes les avancées technologiques. Aujourd’hui, l’absence de contrôle démocratique des décisions dans le domaine des techno sciences est criante.
Information du plus grand nombre et prise de conscience des enjeux scientifiques par une majorité de citoyens sont les clés d’une véritable démocratie participative. Comment donc faire éclore une véritable culture scientifique et technique de masse ? Il est clair que l’indigence des médias en ce domaine est patente.Aussi ne peut-on que saluer l’initiative du Conservatoire national des Arts et Métiers. Celui-ci organise cette année une conférence par jour pour comprendre la nature et les enjeux scientifiques du XXIe siècle.
Permettre aux enfants et aux jeunes de s’approprier des savoirs sur les savoirs. Leur donner les clés pour accéder à un savoir si le besoin s’en fait sentir. Les aider à construire des concepts scientifiques structurants. Les amener à avoir un regard rationnel et critique sur
le monde.Voilà des objectifs qui nous interpellent en tant que pédagogues Freinet.
La réflexion que nous menons sur la documentation, la relance d’un travail sur le tâtonnement expérimental dans le domaine scientifique et le lancement d’un chantier sur l’éducation à l’environnement sont des signes forts de la prise en compte de ces questions par nos
militants.
Gageons que nos groupes de travail sauront montrer lors de notre congrès de Rennes le lien entre leurs travaux et l’éducation populaire que nous appelons de nos vœux.
Jean-Marie Fouquer
Président de l’ICEM-Pédagogie Freinet

Vous avez dit populaire ?

Février 2000

La raison du plus fort

Février 2000

Chronique

La raison du moins fort
 
"Je crois, dit Hakim, qu'il faudrait quand même le laisser dans le journal.
- Moi non, dis-je. Lorsque les gens du village vont lire dans notre « Ribambelle » que Gaston a volontairement crevé le ballon, ils ne vont pas aimer.
- Mais quoi, qu'est-ce qu'ils ne vont pas aimer ?
- Ils vont penser que nous, à l'école, vous les enfants, vous vous permettez de critiquer les adultes.
- On n'a pas le droit de critiquer les adultes ?
- Si, on a le droit, mais...
- Mais le ballon, il l'a crevé. Il l'a donné à son chien qui l'a mordu. Même qu'on regardait tous ça derrière le grillage. Le chien était enragé sur le ballon. On pouvait rien faire."
Ce,jour-là, j'observais moi aussi de la cour d'école la brute s'acharner sur le ballon, frémissant comme les enfants d'indignation et d'impuissance. Mais Hakim poursuivit :
"Ca faisait drôlement peur. C'est quand même pas bien.
- Non, c'est sûr...
- Et c'est pas la première fois qu'il ne nous rend pas le ballon qui tombe chez lui, pendant la récré !
- Oui, c'est vrai...
- Alors ce serait bien que les gens du village, ils "savent" que Gaston il est pas sympa avec nous.
- Comprends aussi que ça l'embête quand même, ce ballon qui tombe comme ça si souvent dans son jardin...
- Pas si souvent ! Nous on fait attention, mais la cour d'école est petite, on ne le fait pas exprès.
- Mais pour le journal, ce texte, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose.
- Moi, je crois que si parce que..."
Ainsi échangions-nous, Hakim, les enfants et moi au cours d'un conseil mémorable, où il était question, on l'aura compris, de la parution ou non d'un texte au titre évocateur :
"Méfiez-vous du chien de Gaston !". Ce texte mettait en cause un voisin de l'école qui, à plusieurs reprises, avait refusé de nous rendre le ballon tombé dans son jardin pendant la récréation. J'hésitais à le faire paraître parce qu'il est toujours très délicat d'accuser un adulte.
Je voulais protéger mes élèves d'abord du racisme anti-jeune très en vogue en milieu rural, et Hakim, du racisme tout court ( Le Front National obtient ici, jusqu'à 35 % des voix).
Le président passa au vote. Il m'arrive de censurer, d'utiliser mon veto. Mais pour l'occurrence, je préférai m'en abstenir ; plus encore, je choisis de me rallier à la proposition de Hakim, je votai finalement pour la parution du texte.
Hakim ouvrit des yeux grands comme des soucoupes. Il n’en revenait pas. A l’issue du Conseil, il vint me demander pourquoi j’avais opté pour sa proposition alors que j’avais défendu une opinion contraire. Je lui répondis qu’il m’avait convaincue. L’étonnement que je lus sur son visage m’ouvrit bien des perspectives sur le rapport à l’adulte, au savoir, à l’école, à soi-même...
Car s’il est naturel, lorsque l’on pratique une pédagogie de type coopératif, de permettre aux enfants de parler librement, de leur donner ainsi du pouvoir que d’autres pratiques viennent renforcer (expression libre sous diverses formes, métiers, responsabilités, auto-évaluation, travail individualisé, etc.), qu’en est-il réellement de ce pouvoir bien plus difficile à céder, et qui consiste à avoir le dernier mot ?
Martine Boncourt
 

 

 

28% de chambres d'enfants équipées de téléviseurs

Février 2000

 

 
Essaierait-on ainsi d’occuper les enfants pour ne pas qu’ils préoccupent ?
Est-ce bien raisonnable ?
Est-ce bien raisonné ?
L’actualité témoigne hebdomadairement de violences, d’assassinats de jeunes par d’autres jeunes adolescents, de tueries dans les établissements scolaires “ Etats Uniens ” qui semblent démontrer le contraire.
Il y a de quoi s’alarmer quand on laisse les enfants aussi mal armés devant ces tubes qui n’ont pas l’air cathodiques du tout. La télé nous en fait entendre et voir de toutes les couleurs jusqu’à saturation.
L’enfant seul dans sa chambre est bombardé de sons et d’images qui peuvent le troubler, l’envahir par effraction et par conséquent subvertir sa construction identitaire en lui proposant d’autres modèles, d’autres chemins qu’il risque d’emprunter.
On peut légitimement s’en inquiéter.
Je ne vois pas comment nous pouvons espérer rendre les enfants plus lucides et mieux armés si l’école ne prend pas en compte cet état de fait.
Raymond Blancas (34)

 

 

 

 

 

Internet : les nouveaux tâtonnements

Février 2000

Bien sûr comme pour les débuts du passage de l'imprimerie à l'imprimante, on a souhaité mettre en ligne le journal de classe ou d'école et puis heureusement nous sommes partis de l'HTML pour produire sur le web. Cette transition, nous l'avons vécue et dépassée.
 Nos sites sont sur le web pour en faire disposer le plus grand nombre. Ce ne pourra en aucun cas être le noyau de la publication.
Il en va de même des autres réalisations : cassettes ou enregistrements des débats, contes ou poèmes, productions théatrales ou musicales que l'on met en ligne doivent s'intégrer à un autre ensemble dans la durée. Par remaniement successif, ils se transforment en tremplin vers de nouvelles activités mais en aucun cas il ne doit devenir “ catalogue de productions numérisées”.
Heureusement, les enfants nous rappellent à l’ordre, ils savent intuitivement ce qui va être pertinent et important pour eux : valoriser le travail, communiquer, coopérer. Faisons confiance au temps. Et ne craignions pas la multiplication des productions sur la toile. Il suffit que chacun de nous reste vigilant.
Patrick ASLANIAN, instituteur dans le Var pka[arobase]wanadoo.fr EPC Jean Moulin, chemin des vertus 83470 - St Maximin la Ste Baume FRANCE

 

 

A propos de la violence et du "mobbning" à l'école suédoise

Février 2000
Suède
Problèmes de violence à l’école... recherche de résolution,... le détour par la confrontation à d’autres façons d’aborder la question de la violence dans différents systèmes éducatifs nous aide à mieux prendre distance avec nos propres représentations. Fabienne SCHLUND* présente la manière dont le système éducatif suuèdois traite de ces questions, elle nous dit ses difficultés à concilier deux systèmes de pensée.
 
 
Quand vient à se présenter un problème entre élèves
Quand un problème survient en cour de récréation ou dans les couloirs, il est le plus souvent rapporté soit par les parents, soit par les enfants à Marianne, notre infirmière suédoise dans l'école depuis 27 ans. Ces interventions qui m'ont beaucoup étonnée à mon arrivée en Suède peuvent s'expliquer de différentes manières :
 
- Il n'est pas de règle que les problèmes soient connus par tous les enfants de la classe ceci pour éviter de créer ce qu'on appelle ici le «mobbning» (que l'on peut traduire par «tracasserie psychique ou physique, brimades, persécution, moquerie»). Les parents des enfants suédois dans notre lycée sont très sensibles à ce problème et parfois le moindre écart de langage d'un enfant ou d'un enseignant donne lieu à un coup de téléphone à l'infirmière. Personne ne doit connaître le nom de l'enfant qui a rapporté le problème de peur de le mettre dans une situation délicate.
 
- Parler des problèmes en classe reviendrait à nommer l'auteur du problème ce qui ne se fait absolument pas, à créer une ambiance de culpabilisation ce qui est tout à fait prohibé.
- Marianne: qui connaît bien les problèmes du choc des deux cultures, française et suédoise, représente . une personne extérieure à la classe, capable de concilier les oppositions.
 
C'est donc notre infirmière qui va extraire l'enfant indélicat de la classe pour discuter avec lui. Ses camarades de classe ne savent pas de quel problème il s'agit puisque la plupart du temps elle vient chercher des enfants pour des problèmes médicaux.
La discussion va se poursuivre jusqu'à ce que l'enfant reconnaisse. qu'il a eu une attitude indélicate et accepte d'en changer. S'il persiste, les parents seront convoqués et s'en suivra une autre longue discussion avec l'enfant sur son comportement. Aucune sanction n'est prise.
 
Beaucoup de petits problèmes entre élèves se règlent ainsi sans que la classe ne soit à un moment donné ou à un autre impliquée. L'élève qui a rapporté le problème n'est pas resollicité et cette situation est très confortable pour lui. Le problème n'a pas d'impact sur le déroulement du travail en classe.
 
Bien que plus habituée au traitement du problème en classe avec les différents protagonistes dans le cadre des règles de vie ou du respect de la loi, le point positif que je vois dans notre situation est l'intervention d'une personne-tiers dans les conflits : elle connaît bien la loi et les moeurs suédoises, elle connaît bien les élèves pour les voir de près quand elle établit ses fiches médicales obligatoires (imposées par la loi suédoise) ou quand elle les soigne elle est la personne qui reçoit les confidences des adolescents (le lycée français scolarise de la matemelle à la terminale)... C'est une personne-ressource qui dispense des soins en tous genres. Elle est énormément respectée par les parents suédois à cause de son passé dans l'école, des fonctions qu'elle doit assumer de par la loi suédoise. Elle aide aussi énormément les parents français à se retrouver dans le système médical suédois. C'est la personne-charnière-relais del'établissement. Cette fonction est rarement remplie par une personne en France.
Le point négatif c'est de se sentir dessaisie d'un aspect de ce qui fait aussi la vie de la classe, à savoir la gestion des conflits et de leur rapport sur ce qui fait grandir l'enfant au sein du groupe social. Des événements sont ignorés par les enseignants alors qu'ils pourraient permettre d'éclairer le parcours de tel ou tel élève. En cas de gros problème, Marianne demande l'avis des enseignants.
 
Quand le problème dépasse le conflit entre personnes
 
Le «mobbning» n'est qu'un aspect de la violence qui peut s'exercer dans une école. Comme c'est un problème qui revient, semble-t-il, de façon de plus en plus fréquente et suite à une tentative de suicide d'une enfant de 9 ans dans une école de la banlieue de Stockholm (elle avait été victime de mobbning durant toute sa scolarité et aucun adulte n'était au courant), chaque école doit mettre en place un programme contre cette forme de violence. Le directeur a la responsabilité du bien être du personnel et des élèves de l’établissement. Tout le personnel doit se sentir concerné pour pouvoir y remédier efficacement. Comme une réponse du cas au cas ne suffit plus, une formation est proposée aux enseignants avec le représentant de l'action sociale pour l'enfance et de la police qui reçoit beaucoup de plaintes concernant des actes de mobbning avec violences et menaces.
 
Résoudre les problèmes de violence via une personne-tiers comme ce que j'ai évoqué ci-dessus et comme cela se gère jusqu'à présent ne suffit plus comme le soutiennent désormais les responsables de la maltraitance des enfants, il faut aborder à l'école les problèmes de relation sociale. Quelles sont les règles de vie en société ? Comment résoudre les conflits ?
A l'école ce sont les performances scolaires et individuelles qui comptent ; cela conduit à une relation de concurrence. Il faudrait développer chez les enfants d'autres valeurs que celles de la compétition.
Il s'agit de promouvoir des comportements liées aux relations sociales : être gentil, communicatif, attentif aux autres... L'école doit définir des régies de comportement sociaux afin d'éviter que les enfants se créent leurs propres règles. On doit aussi réfléchir aux questions de pouvoir dans l'école.
Les adultes ont un pouvoir sur les enfants, le pouvoir de juger leurs performances et cela induit un classement du plus fort au plus faible et donc un statut différent pour chaque enfant. Entre eux, une hiérarchie se crée ce qui peut entraîner des comportement de mobbning et ce souvent dans la cour de récréation (en Suéde, les élèves ne sont quasi jamais surveillés pendant la récréation).
Le mobbning est la conséquence d'un climat psychosocial dans l'école. C'est pourquoi la seule façon de l'arrêter est de changer le milieu psychosocial par une meilleure communication. Le projet d'action contre le mobbning fonctionnera bien s'il est ancré dans l'école, si les adultes sont présents et engagés, si les élèves sont parties prenantes.
 
Quand il faut prendre des mesures concrètes
 
- Création d'un «mobbning team» (ce projet est très inspiré des USA) : il s'agit d'un groupe de cinq adultes de l'école plus attentifs à ces problèmes, plus formés à l'écoute des élèves, qui coordonne et organise les différentes actions menées contre le mobbning.
- Création d'un «mohhning team élèves» : deux élèves par classe sont choisis par leurs camarades (chacun écrit le nom des deux élèves en qui il a le plus confiance sans discussion préalable. Les deux noms qui reviennent le plus souvent lors du dépouillement sont membres de cette équipe.) Ils sont à l'écoute de leurs camarades et rapportent les faits signalés au groupe des adultes.
- Dans l'école il y a une boîte aux lettres dans laquelle chacun peut déposer un papier sur lequel il relate, sans formuler aucun jugement, un conflit, une bagarre, un problème dont il a été témoin. La boîte est vidée régulièrement par un membre du mobbning-tearn adulte. Si le nom d'un enfant revient souvent dans les événements relatés, une enquête plus approfondie est menée puis une discussion a lieu entre l'élève concerné et le groupe d'adultes. On lui dit qu'on est au courant du problème et qu'on s'en occupe. On essaye de l'aider à résoudre ce problème et on lui fait savoir qu'on garde un œil sur lui, que ses maîtres et ses camarades feront attention à ce que son attitude soit correcte. Si le même élève continue à tracasser d'autres enfants, on demande une entrevue avec la famille, L'enseignant peut aussi rester avec l'élève en question pendant les pauses pour l'aider à changer son comportement. On discute beaucoup avec les victimes pour les aider à reconstruire leur confiance en eux.
- Les parents sont informés de l'existence de cette structure dans l'école. Tout le monde doit être au courant que le mobbning est interdit.
- Des enquêtes sont effectuées dans chaque classe avec des formulaires adaptés en fonction du niveau des élèves. Un travail de fond est mené en fonction des réponses : activités communes pour apprendre à se connaître, activités pendant les pauses, activités pour apprendre à travailler avec les personnes avec lesquelles on a le moins d'affinités, apprentissage des règles de convivialité, leçons sur les attitudes positives, etc.
 
Ces systèmes de résolution de conflits nous sont assez étrangers, surtout dans le fait que le groupe-classe n'a jamais à traiter. du conflit. A aucun moment donné, l'auteur du problème ne rencontre directement la victime et la classe ne sert pas de régulateur. Affaire de culture, oui, car l'enfant n'occupe pas la même place dans la société que chez nous.
Fabienne SCHLUND
 

 

* Fabienne SCHLUND est chargée du CM2 au lycée français de Stockholm, en Suède

 

 

L'opération "clic anti-faim"

Février 2000

L'opération "clic anti-faim".

Un site consacré à la faim dans le monde s'est créé dernièrement sur l'internet. Sur la page d'entré de ce site, il y un bouton "donate free food". Chaque fois que vous cliquez sur ce bouton, les sponsors, qui profitent du site pour faire leur publicité, versent au Programme Alimentaire mondial de quoi alimenter un enfant pendant cinq jour.
Donc un clic = dix repas !
Vous regardez ma pub, je sauve des enfants. Vous ne regardez pas, ces enfants meurent.
Je crois qu'on n'a pas inventé de plus abject chantage depuis la nuit des temps. Je ne vois pas d'équivalent.
Je ne vois pas d'équivalent, en terme de progrès. En ce début de l'an 2000, je me sens plus petit que le plus petit homme de la tribu humaine, qu'on dit de Cromagnon.
Et je ne sais pas quoi dire, parce que je suis contemporain de ces individus qui ont proposé une telle monstruosité.
J'ai envie de pleurer. J'ai envie de hurler.
Je ne les condamne pas, parce qu'ils cherchent une solution à cette inhumanité qui nous gouverne. Mais ce monde dont nous faisons partie, qui ne nous offre que ce chantage, est-ce encore un monde humain ? Est-ce un monde viable ? Un monde où l'on accepte des monstruosités au quotidien, est-ce un monde où l'on peut vivre ? Est-ce un monde où l'on peut discuter pédagogie ? Peut-on polémiquer de méthode naturelle sur tel fuseau horaire et compter les cadavres d'enfants sur tel autre fuseau ? Freinet se rétrécit, je crois, comme toutes les pédagogies nouvelles.
Freinet ne peut se concevoir que dans un environnement humain. La pédagogie Freinet se veut d'abord humaine.
Alors que faire dans cet environnement de bêtes fauves ?
Michel Barrios. michel.barrios[arobase]wanadoo.fr
Courrier extrait d’un échange paru sur la liste Freinet.

 

 

L'oral, quelles pratiques dans la classe ? La nécessaire parole pour apprendre

Février 2000
Quels sont les moments de parole dans une classe où est mise en oeuvre une pédagogie basée sur l'expression, la recherche et la coopération ? Le présent dossier fait écho aux travaux du FORUM DE LA RENTRÉE 1999 qui s’est tenu à l’initiative de l’Institut Départemental de l’École Moderne du Haut-Rhin (68), le 28 août 1999 à l’école élémentaire d’Ottmarsheim.*
 
* Dossier paru dans la revue «Chantiers Pédagogiques de l’Est», numéro 307, d’octobre 1999
 
Chaque année, à la fin des vacances d’été, l’IDEM 68 ((Groupe Freinet du Haut-Rhin) propose une rencontre d’une journée appelée « Forum de la rentrée ». C’est l’occasion, entre praticiens de la maternelle et de l’élémentaire, à quelques jours de la rentrée, de s’informer, d’échanger, de débattre, de faire des projets pour sa classe ou pour le Groupe départemental. Des réflexions et des recherches en ateliers, des mises en commun s’articulent autour d’un thème mais toujours avec le souci de lancer des pistes très concrètes pour la pratique de la classe dès la rentrée.
Praticien de longue date ou jeune collègue, militant convaincu ou sympathisant hésitant, voire simple curieux d’une autre pédagogie, chacun peut, dans un climat de coopération et d’entraide, y puiser ce qui lui est nécessaire ou utile pour progresser dans sa pratique.
 
 
les moments informels
Échanges entre les enfants ou entre les enfants et le maître ou autre adulte présent.
- lors de l'arrivée des enfants (moment d'accueil) ;
- lors des déplacements de la classe (trajet vers le terrain sportif, promenade-exploration,...) ;
- durant les récréations ;
- dans les classes maternelles, durant les moments du goûter, de l'habillage ou du déshabillage ;
- lors de travaux en groupe ;
II faut souligner que d'une façon générale l'entraide et la coopération nécessitent la communication et que celle-ci est essentiellement orale.
Les moments institués
L'enfant a la parole et s'adresse, selon l'organisation et les besoins de l'activité, soit à la classe entière soit à un groupe plus réduit qui a obligation d'écoute.
- l'entretien du matin (ou « Quoi de neuf ? ») ;
- la présentation :
. de livres
. d'objets
. d'images
- la réunion de classe (« réunion coopérative », le « Conseil » ) :
. gestion coopérative de la vie de la classe ;
. résolution coopérative des agressivités interpersonnelles, gestion des conflits ;
- les mises en commun :
. de recherches individuelles ou par petits groupee (dans toutes les matières) ;
. de productions (création, art plastique, création manuelle et/ou technique,...)
- les débats :
. les échanges-recherches sur un sujet de vie (grandir, la vieillesse, la mort,...) ;
. les débats contradictoires dans les différents domaines de la connaissance (débats socio-cognitifs
dans les domaines scientifiques).
- la conférence d'enfant (exposé) ;
- la préparation du planning journalier ou hebdomadaire ;
- la mise en place d'une activité ;
- le bilan d'une activité ;
- la création de saynètes, de jeux de marionnettes,...
 
Dans une classe où les enfants construisent coopérativement leurs savoirs et leurs compétences, les moments institués pour une communication orale vraie sont multiples, divers dans leurs formes et dans leurs exigences. La vie de la classe propose, sollicite, encourage, rend nécessaire la prise de parole. L'enfant, peut-être réticent ou maladroit au départ, a de nombreuses occasions, tout au long de la journée ou de la semaine, de s'y risquer, de progresser, de se perfectionner, d'atteindre la maîtrise.
 
 
La présentation
(1) Si un enfant n’est pas compris
- il faut le lui faire remarquer (si possible, que ses camarades le lui disent).
- Il ne s’agit pas de le mettre en situation d’échec mais de lui permettre d’être entendu et compris. On peut l’aider par exemple par des questions, ou en lui proposant une autre formulation…
 
 
La présentation
d’un objet
   La « présentation d’un objet », par la procédure et les conditions de réussite s’apparente à la « mise en commun ». Ce qui les différencie est que l’objet vient de l’extérieur, alors que dans le cas de la mise en commun « l’objet » a été conçu en classe.
   Tout en développant des compétences identiques, les deux activités n’ont pas le même objectif.
   La mise en commun est une étape de la démarche pédagogique, alors que la présentation d’un objet est une activité indépendante qui naît de l’initiative d’un enfant. Pour certains cela représente une difficulté réelle car il n’est pas facile de prendre la décision de « s’imposer » à un groupe en lui proposant de s’intéresser à un objet de son choix, d’être momentanément, par un objet interposé, le centre d’intérêt.
   La présentation d’objets prend tout son intérêt lorsque ceux-ci sont variés (la présentation d’un objet technologique, par exemple, est particulièrement riche).
 
Procédure
Un enfant montre un objet, le nomme, précise son origine, éventuellement son histoire, explique à quoi il sert… L’expression de l’enfant est encouragée par la présence physique de l’objet “qui, en se donnant à voir, parle un peu à sa place”. (1)
 
Dispositions spécifiques à mettre en oeuvre
- Prévoir un coin d’exposition avec des étiquettes (pour le prénom de l’enfant, le nom de l’objet). Après la présentation orale, l’objet y prendra place et l’apport de l’enfant sera ainsi valorisé et à la disposition de tous durant quelques jours ; cela peut conduire à créer un musée provisoire.
- Prévoir, pour la présentation orale, un temps spécifique par exemple au moment de l’entretien du matin («Quoi de Neuf ?») mais si les enfants se passionnent pour la présentation d’objets, elle peut devenir un moment du temps consacré aux domaines «connaissance du monde».
 
Durée
- La durée est variable selon l’âge des enfants, l’objet présenté, l’intérêt suscité par cette activité. Limiter, si nécessaire, le nombre d’objets par séance (2 à 3).
 
Conditions de réussite
- Accorder du temps.
- Respecter l’enfant qui présente.
- Attitude encourageante du maître.
 
Rôle du maître
- Veiller à intégrer cette pratique dans la vie de la classe : l’objet peut être un incitateur au texte libre, à l’expression poétique, le déclencheur d’une recherche documentaire, d’une enquête auprès de personnes ressources, …
- Faut-il interdire certains objets ? (pistolets, jouets électroniques, …)
 
Intérêt de cette pratique
Elle permet :
- de replacer l’objet dans son environnement ce qui nécessite une activité mentale intéressante ;
- d’élargir les connaissances, la culture ;
- d’apprendre à questionner, à nommer, à qualifier ;
- d’établir des liens entre la vie hors et dans l’école ;
- d’aider l’enfant à s’intégrer scolairement.
 
Écueil
Certains enfants n’apportent rien. Mais pour y pallier on peut avoir mis un bric à brac dans une caisse, au fond de la classe, caisse dans laquelle les enfants peuvent puiser…
 
La présentation
d’un livre
Procédure
Un enfant présente (ou deux), à un groupe d’enfants, à l’ensemble de la classe, à une autre classe un livre, soit :
- en donnant le titre, le nom de l’auteur;
- en lisant un extrait (à deux enfants : le premier lit une page, l’autre la suivante…) ;
- en résumant le livre sans en montrer les illustrations ;
- en racontant le livre en montrant les illustrations ;
- ou en ne présentant que sa (leur) page préférée.
 
Dispositions spécifiques à mettre en oeuvre
- Prévoir l’activité et le temps nécessaire      dans le planning avec une fréquence régulière, si possible quotidienne ;
- organiser l’espace : un espace où le groupe concerné, ou la classe entière, se trouve dans des conditions matérielles favorables à l’écoute ;
- veiller à la préparation personnelle de la présentation du livre, soit à la maison, soit à l’école au cours d’activités en atelier ;
- garder une trace écrite de tout ce qui a été présenté lors de ces séances.
 
Durée
- La durée est variable selon l’âge des enfants. Par exemple au CP/CE, 10 à 15 minutes ;
- En classe maternelle : 5 minutes.
 
Conditions de réussite
- Bien s’installer dans le lieu prévu pour cela. Veiller à installer et à respecter le cérémonial propre à ce moment de présentation ;
- une bonne préparation est nécessaire (coopération des parents, mais on peut y pallier, si nécessaire, avec l’ATSEM, l’aide-éducateur ou un parent qui vient en classe). Cela peut se faire au cours d’activités de « bibliothèque ».
- veiller au respect du lecteur et du livre.
 
Rôle du maître :
- pointer les obstacles de chaque enfant pour y remédier ultérieurement ;
- garantir le respect du lecteur et des règles de fonctionnement de l’activité ; - aider l’enfant (lui apporter le vocabulaire spécifique).
 
Intérêt de cette pratique
- Chaque enfant est entendu ;
- il apprend une technique de communication : parler de manière à se faire entendre, mettre le ton,…
- cette pratique développe l’esprit critique : apprendre à émettre une opinion.
 
 
 
La présentation d’une image *
 
* Ce peut être une photo tirée d’un magazine, une photo de famille, une publicité, une affiche, un dessin humoristique, une reproduction de peinture…
 
 
Procédure
Au moment prévu pour cela, l’enfant montre l’image qu’il a apportée. Il dit pourquoi il souhaite la montrer.
 
Dispositions spécifiques à mettre en oeuvre
- Prévoir un emplacement d’affichage visible par tous ;
- au besoin mettre l’image en valeur en la disposant sur un fond adéquat.
L’idéal est de disposer d’un support qui permet de fixer l’image avec des aimants ce qui évite de la détériorer.
 
Durée
elle est variable selon l’âge et l’intérêt du public.
Conditions de réussite et rôle du maître
- jouer sur l’étonnement, la surprise créés par la découverte de l’image ;
- observer un temps de silence pour tous avant que l’enfant qui a apporté l’image ne prenne la parole ;
- veiller à ce que les prises de parole se fassent correctement ;
- éviter les réactions du genre : « C’est moche » ;
- faire dialoguer l’enfant qui a apporté l’image avec les autres enfants.              
 
Intérêt de cette pratique
- Elle permet à un enfant de partager un choix, voire une émotion, avec ses camarades ;
- elle permet à l’enfant, grâce au dialogue qui s’est instauré, de « mieux » voir, ou de voir autrement l’image qu’il a apportée ;
- elle permet au groupe d’apprendre à mieux connaître cet enfant ;
- elle rend les enfants attentifs aux images qui les environnent, les entraînant à en comprendre le sens, les intentions ;
- elle permet de constituer un dossier « images » qui reste à la disposition des enfants. Ils peuvent le consulter durant les moments d’écriture ou lorsqu’ils sont à la recherche d’un document.
Pour éviter l’écueil des enfants qui n’apportent pas d’images, le maître peut mettre des revues à la disposition des enfants.
 
L’organisation spatiale
Pour toutes les activités de communication, l’organisation spatiale est importante.
- Faire en sorte que les enfants soient loin de leur table de travail (pour leur éviter d’être tentés de manipuler leur matériel…) et qu’ils ne soient pas dans la position habituelle d’élève, c’est-à-dire assis derrière une table.
- On peut déménager les chaises pour l’organisation d’une disposition en rond, ou on se place sur un tapis… Les enfants sont ainsi physiquement plus proches les uns des autres et cela contribue à créer une ambiance très différente, plus propice aux échanges.
 
 
Le travail en petit groupe
 
 
Procédure
Les différentes étapes du contrat :
- la constitution des groupes, elle est fonction des objectifs du travail :
 . s’il s’agit de répondre à un besoin, par exemple à une lacune dans un savoir-faire, le groupe réunit les enfants qui ont à surmonter cette même difficulté (groupe de besoin ou de niveau) ;
 . s’il s’agit de mener une recherche documentaire sur un point précis, le groupe peut réunir les enfants qui partagent le même intérêt ou qui ont plaisir à travailler ensemble (groupe d’intérêt ou d’affinité) ;
Il faut organiser le fonctionnement de la classe de telle sorte qu’un même enfant puisse se retrouver dans différents regroupements. Deux à quatre enfants par groupe ;
- le travail en lui-même (l’objectif assigné au groupe) ;
- la mise en commun du travail du groupe, présentation aux autres, y compris les difficultés rencontrées ;
- l’analyse du vécu.
 
Conditions spécifiques à mettre en oeuvre
Les règles de fonctionnement qui peuvent se résumer pour l’essentiel à :
- la parole doit circuler dans le groupe. Le groupe doit s’organiser pour que cela devienne possible ;
- il faut laisser une trace, une production ;
- on écrit ce sur quoi on est tous d’accord. S’il y a trois idées mises par écrit ce sont trois idées sur lesquelles on est tous d’accord.
Faut-il rédiger pour l’activité de ces groupes des fiches méthodologiques ? ou bien l’analyse du vécu, à condition d’être menée régulièrement avec les enfants suffit-elle à améliorer les pratiques ? La question est posée. (1)     
Durée
- Elle est variable selon l’âge des enfants et l’objectif fixé ;
- prévoir une plage minimum et le temps nécessaire à la mise en commun ;
- ménager la possibilité de poursuivre sur plusieurs séances mais en limiter le nombre de façon à ce que l’intérêt ne s’épuise pas.
               
Conditions de réussite
- Le groupe ne peut pas fonctionner sans la parole ni sans la mobilité des enfants (et des tables !).
- Le travail de groupe est le produit commun d’un groupe et non la simple juxtaposition de travaux individuels.
 
Rôle du maître
Veiller à l’exécution du contrat. Aider. Encourager. Relancer. Indiquer des pistes : « Peut-être que si tu essayais de … »       
 
Intérêt de cette pratique
Coopération, entraide et la nécessaire communication.
 
(1) Lors du forum plusieurs collègues ont témoigné avoir préparé de telles fiches de méthodologie à l’intention des enfants, de les avoir peu utilisées puis de les avoir même abandonnées, mais tous ont estimé avoir tiré un bénéfice personnel de cet effort de création de fiches tant il est vrai que l’apport du maître est plus pertinent et efficient s’il connaît parfaitement les exigences du travail qu’il demande aux enfants.
 
 
La conférence d’enfants
 
 
Voici ce qu’en dit Michel BARRÉ (1) :
 
(1) Michel Barré. « L’aventure documentaire, une alternative aux manuels scolaires », (réédition), Éditions ICEM-Pédagogie Freinet 1998). 60F. p143-144.
 
Freinet a choisi le terme de conférence d’enfants pour bien signifier qu’il ne s’agit pas d’un cours magistral par personne interposée. Au Second Degré, on dit souvent exposé. Peu importe le mot, l’essentiel est que la chose n’ait rien d’un cours magistral et, pour cela, quelques conditions sont in­dispensables.
 
La brièveté.
En effet, si l’on veut faire de l’exposé au groupe une pratique courante, il faut limiter le temps consacré à chacun et le resserrement est loin de nuire à la qualité, bien au contraire. Des professeurs du Second Cycle (lycées) ont choisi le cadre de 3 minutes permettant de libérer l’expression en multipliant les occasions et d’introduire éventuellement un débat.
Si le sujet choisi est trop large pour tenir dans une tranche de temps réduite, le mieux est de demander à l’enfant ou à l’adolescent de choisir le point qui lui semble le plus intéressant à exposer.
 
L’interdiction de lire
(sauf une citation)
Rien n’est plus fastidieux qu’un discours lu, sauf par quelqu’un maîtrisant toutes les ressources de la voix humaine et lisant à la perfection. Si le jeune conférencier ne doit pas lire, il devra se préparer mentalement à raconter ce qui lui semble le plus important. Les questions des auditeurs pourront éventuellement aider à combler les lacunes.
Les documents à présenter devront être classés dans l’ordre, les citations bien repérées par des signets car les tâtonnements pour les retrouver viendraient rompre le déroulement de l’exposé.
 
Éviter le monologue.
Peu d’orateurs peuvent tenir plus de quelques minutes par leur seul talent oratoire. Le problème n’est d’ailleurs pas de charmer l’auditoire, mais de lui communiquer ce qu’on a découvert et il existe des moyens pour soutenir la parole :
- la présentation de documents bien choisis et peu nombreux (ces documents peuvent être photographiques ou sonores) ;
- le soutien des schémas à condition qu’ils soient clairs ;
- le commentaire d’une exposition.
Souvent le conférencier ne doit pas être seul à parler (mais ce n’est pas l’enseignant qui doit être, comme parfois, son seul interlocuteur, sinon ce n’est plus une conférence, c’est une interrogation publi­que).
 
La réponse aux questions
et le débat
Un court exposé introductif est le meilleur moyen d’accrocher l’attention des autres. Bien sûr, il ne faut pas considérer le conférencier comme un incollable des concours radiophoniques. Le problè­me n’est pas qu’il ait réponse à tout, mais qu’il soit en mesure de mieux faire comprendre le problème qu’il expose.
Un bon moyen de l’aider à se préparer, c’est d’ailleurs de demander quelques jours plus tôt, les questions que se posent les camarades sur le sujet. Il ne sera peut-être pas possible de répondre à toutes, mê­me avec les conseils de l’enseignant. On le signalera. Bien entendu, cette pratique n’élimine pas la possibilité de poser des questions à partir de l’exposé pour obtenir des précisions complémentaires.
 
Michel BARRÉ, Rouen (76)
 
Dans beaucoup de classes on fait de la conférence d’enfant un exercice trop formel et partant trop exigeant. L’enfant n’est à l’aise que peu à peu. Lui demander de présenter oralement, devant le groupe, l’objet qu’il vient de trouver ou d’apporter est un excellent commencement. De là il ne demandera qu’à grandir dans ce savoir-faire.
Lucien Buessler (GD 68)
 
À propos de la pratique de la conférence d’enfant
Annie Delarochelambert (cours moyen) :
 
 
Avant d’entreprendre son travail de recherche, l’enfant qui souhaite faire un exposé propose le su­jet à la classe au cours d’une séance du Conseil.
Le Conseil ou moi pouvons émettre un veto. Pour être accepté, le sujet doit intéresser une majorité d’élèves, s’intégrer dans le projet de la classe, répondre à des questions que nous nous sommes posées les jours précédents et… figurer d’une manière ou d’une autre dans les programmes et objectifs du cycle 3 (là c’est moi qui intervient).
 
L’enfant doit alors définir le cadre de son exposé. Pour cela il note les questions qu’il se pose sur une feuille et la fait circuler dans la classe pour que les autres élèves y notent à leur tour les questions qu’ils se posent ou ce qu’ils voudraient savoir.
Je relis les questions avec l’enfant, l’aide à les classer pour structurer son travail c’est-à-dire, en quelque sorte, rédiger un plan. C’est seulement après ces étapes nécessaires qu’il peut vraiment commencer son travail de recherche.
 
La présentation de l’exposé est suivie d’un moment où les enfants peuvent poser des questions. C’est parfois seulement au cours d’une séance ultérieure que l’enfant pourra y répondre. L’enfant-con­fé­rencier peut à ce moment-là poser des questions à ses camarades, parfois sous forme de jeu ou de concours, pour vérifier ce qu’ils ont retenu.
A.D. (GD 68)
 
 
 
 
 
 
           
 
 
 
 

 

La réunion coopérative (le «Conseil»)
 
(1)On peut imaginer deux boîtes, ou des billets de couleurs différentes pour les «propositions» et les «plaintes». D’après le nombre de billets on peut constater des moments de tension ou des périodes d’envie de faire.
 
 
Procédure
- Dans le primaire : une réunion hebdomadaire à un moment fixe dans l’emploi du temps (et éventuellement une réunion extraordinaire) ;
- en maternelle : en fonction de l’âge des enfants, il faut prévoir des réunions plus proches dans le temps des problèmes à gérer ;
- un président de séance (élu ou tournant par ordre alphabétique) et un secrétaire (cycle 3) ;
- une organisation spatiale spécifique (installation en assemblée ou en forum).   
 
Conditions spécifiques à mettre en oeuvre
- Tenir un « Cahier du Conseil », témoin des sujets abordés et des décisions prises ;
- les propositions des enfants pour l’ordre du jour du prochain Conseil peuvent s’exprimer tout au            long de la semaine :
    . par le dépôt d’un billet dans une boîte qui n’est ouverte qu’au cours de la réunion (les billets non signés ou injurieux ne sont pas pris en considération) (1) ;
    . par l’inscription sur un tableau mural prévu à cet effet comprenant par exemple une colonne pour chacune des rubriques : “j’ai aimé”, “je n’ai pas aimé”, “je propose”, “je critique” (au lieu d’écrire sur le tableau on peut y épingler des billets) ;
    . par l’inscription dans un cahier ;
    . on peut également prévoir un tableau sur lequel les enfants inscrivent simplement leur nom s’ils souhaitent prendre la parole sans préciser, dès ce moment, l’objet de leur intervention ;
- il est nécessaire de bien visualiser les règles élaborées (ne serait-ce que pour qu’enfants et maître puissent facilement s’y reporter) ;
- un objet symbolique  peut faciliter la prise de parole et l’écoute («bâton de parole », marionnette, micro et ampli, …). (voir page 12)
 
Durée :
La durée est variable selon l’âge des enfants.
Les réunions ne doivent pas être trop longues, 30 à 45 minutes. La réunion placée en fin de journée : l’heure de sortie des classes est un butoir qui évite les débordements horaires !
Elles permettent de faire émerger des projets dont le suivi se fera lors des différentes phases de réalisation. Les projets importants qui s’inscrivent dans une longue durée, tels par exemple le journal et la correspondance, nécessitent le plus souvent des moments spécifiques de décision.
 
Conditions de réussite
Durant la réunion les enfants doivent pouvoir se voir et s’entendre.
Il faut aussi veiller au respect des règles de vie de la classe notamment dans la prise de parole et d’écoute : je lève la main pour demander la parole, je ne parle que lorsqu’on m’a donné la parole, j’écoute celui qui parle, je ne me moque pas (respect de l’autre)…
               
Rôle du maître
Le maître doit avoir une vision claire de son rôle pour garantir la réussite :
   - il propose la mise en place du Conseil, il propose les outils utiles à son fonctionnement ;
   - il est le garant du fonctionnement, si nécessaire il redynamise le Conseil ;
   - il prend en note et synthétise tout ce qui a été dit ;
   - il est le garant du respect de chacun.
Le maître prend conscience qu’il ne peut pas tout dominer, il accepte de laisser une partie du « pouvoir » à ses élèves, dans le respect de chacun.
               
Intérêt de cette pratique
 Le Conseil a un rôle de gestion des activités du groupe et nécessite donc également la prise en compte des relations entre les individus. Il se doit de laisser une place à la résolution non-violente des conflits que les enfants soumettent au groupe (2). La mise en place de règles de vie fixera le cadre des discussions et des négociations.
Les responsabilités prises par les enfants dans le cadre des différents projets de la classe modifieront progressivement les relations interpersonnelles et permettront à chacun de trouver une place dans le groupe.
La réunion coopérative (le «Conseil») est une pratique exigeante (pour les enfants, pour le maître) mais :
 - c’est le moment privilégié d’exercice de la citoyenneté pour les enfants, où ils prennent conscience de leur responsabilité dans la classe et du pouvoir qu’ils peuvent exercer ;
   - les propositions sont prises en compte et suivies de faits et chaque enfant s’implique donc réellement dans la vie de la classe ;
   - l’enfant comprend qu’il a des droits qui s’appliquent cependant dans un certain cadre défini notamment par les règles de vie de la classe.
 
 
(2) Une situation d’agressivité ne vient au Conseil que si on a besoin du groupe pour sa résolution.
Il faut doter l’enfant d’outils pour le rendre capable de gérer ses conflits. Que faire quand je suis agressé ? Comment dois-je réagir ?
Par exemple : 1°/ Je dis : « stop ! ». 2°/ Je lui demande pourquoi il m’agresse. 3°/ J’essaie de régler. Si cela ne marche pas je demande l’aide du groupe et pour cela je mets un billet pour l’ordre du jour de la prochaine réunion coopérative ou Conseil.
  
La réunion coopérative, quel contenu ?
 
La réunion coopérative de la classe (le «Conseil») doit permettre aux enfants de s’exercer à la prise de décisions, à en assurer le suivi et à en faire le bilan.
Les enfants ne peuvent avoir un pouvoir réel que s’ils peuvent intervenir sur la vie du groupe, c’est à dire s’ils peuvent faire des choix de projets, rechercher et proposer des solutions, …
 
 
A titre d’exemples, quelques décisions qui peuvent être du ressort de la réunion coopérative :
- instaurer des responsabilités dans la classe (les définir, les attribuer, contrôler leur réalisation) ;
- choix des thèmes à travailler dans le domaine de la connaissance du monde (décider des modalités - enquête, visite, interview,… - , de l’organisation,…) ;
- instaurer et gérer des relations avec d’autres classes du groupe scolaire (présentation de livres, d’histoires créées, de saynettes ou d’autres spectacles, de rencontres sportives ou d’autres activités communes, …) ;
- décider d’engager des dépenses ou de rechercher des recettes (budget de la coopérative) ;
- modifier l’aménagement de la classe (par exemple, chaque année la classe peut introduire un changement dans la salle par un nouvel aménagement) ;
- proposer et décider un ou plusieurs grands projets : publier un journal, créer un spectacle, organiser une fête, …
- choisir de correspondre avec une autre classe sur le plan régional, national ou international, en définir les modalités ;
- proposer et mener à bien la préparation, le déroulement et le compte-rendu d’une activité culturelle : une sortie pour un spectacle, une visite d’un musée, d’une exposition, …
Les décisions ne peuvent se prendre qu’après de nombreuses prises de parole pour exposer, expliquer, argumenter, justifier, critiquer, présenter, contester, demander, proposer, interroger, questionner, répondre, négocier, discuter,…
Ce sont des situations de parole vraies.
 
 
Les débats
Témoignage de Roger BEAUMONT (CE2 - CM1 à Pollionnay - 69)
 
 
Choix des sujets
Depuis le début de l’année, les enfants se réunissent régulièrement pour échanger des arguments sur un sujet de leur choix (par exemple : Pourquoi le racisme existe-t-il ? Pourquoi existons-nous ?…)
Ce sujet est choisi à l’avance pour qu’ils aient le temps d’y réfléchir avant le débat, soit entre eux,             soit avec leurs parents ou d’autres adultes. C’est aussi une façon de provoquer des échanges inter-généra­tions. Certains « creusent » vraiment la question et j’en ai vu qui avaient des notes pour ne pas perdre le fil de leurs idées.
 
Procédure
Chaque sujet a été traité en deux temps :
Un premier débat enregistré
d’une durée de 10 minutes à un quart d’heure.
En début d’année, on le réécoutait ensemble quelques jours plus tard tandis que je notais au tableau les mots-clés qui me semblaient former l’ossature des échanges.
Puis en seconde partie de l’année, j’ai opté pour la mise en écrit du premier débat. C’est moi qui ai réalisé le travail en transcrivant aussi fidèlement que possible la bande. Chaque changement de paragraphe correspond à un changement d’intervenant. Quand la bande est transcrite, je regroupe les interventions qui se répondent pour corriger les effets dûs au tour de parole.
 
Un deuxième débat sur le même sujet
Ce texte du premier débat est ensuite photocopié et distribué aux enfants avant l’organisation du second débat. Pendant les échanges, je les ai vus se reporter fréquemment aux phrases écrites du premier débat et        ils y ont fait souvent référence durant leurs débats. Je n’ai pas transcrit les échanges du second débat.
Roger Beaumont.
roger[arobase]sunlyon3.univ-lyon3.fr
 
 
 
Pour garder trace, mémoire...
Mettre par écrit les échanges oraux entre les enfants
Par l’intermédiaire du « cahier de vie » (1) qui est un vecteur de liaison entre l’école et la famille, Françoise Tournaire (école maternelle, Montbrison, Loire) fait régulièrement parvenir dans les familles la transcription des débats entre les enfants suite à un spectacle auquel ils ont assisté, au visionnement d’un reportage, à une visite, etc.
 
 
Voilà comment je m’y prends :
 - les enfants sont assis en rond, de façon à ce que chacun voie tous les autres.
- on lève le doigt pour parler, et c’est moi qui donne la parole.
- on ne parle pas forcément à la maîtresse, mais toujours à ses camarades qui peuvent poser directement des questions lorsqu’on a fini de parler.
Parfois ce n’est pas une question mais un complément d’information ou une rectification.
 
J’ai toujours un papier et un crayon sous la main, ce qui me permet de noter ce que j’entends.
Les enfants me demandent toujours de relire ce que j’ai écrit.
Très rapidement, je « recopie » mes notes à l’ordinateur et je soumets encore ce tirage aux en­fants qui peuvent à ce moment-là y ajouter ou y re­trancher des précisions.
J’interviens le moins possible, juste pour préciser des notions importantes (par exemple à propos du nomadisme dans le reportage dont il est question ci-contre).
Françoise Tournaire, Monbrisson (42)
_________________________
 
(1) Cette pratique du «Cahier de Vie» est exposée dans le n°300 (mars 1999) de C.P.E. .
 
Exemple de transcription d’un échange entre les enfants
Daprès le visionnement d’un reportage consacré à un village au bord du Lac Tchad (reportage vidéo apporté par un enfant de la classe)
 
 
Anna : Pour faire le feu, les gens prenaient de la bou­se de vache.
Jessy : Les feux de bouse de vache, c’est pour tuer les mouches, les moustiques, les parasites.
Florent : Quand il pleut (saison des pluies), l’eau du lac monte, alors les gens partent avec leurs vaches. Elles ont de longues cornes.
Jean-Baptiste : Les femmes partaient autour du village avec leurs vaches, les hommes restaient au village.
Manon : Les femmes faisaient le beurre. C’est plutôt les enfants qui emmenaient les vaches. Quand il n’y a plus d’herbe à brouter, il faut changer de place. Après, quand il repleut, l’herbe repousse.
Françoise (la maîtresse) : Comment s’appellent les gens qui changent de place, pour suivre leurs troupeaux ?
Florent : Des déplaceurs ?
Françoise : Non, des nomades.
Florent : Les femmes prennent la crème du lait et la mettent dans une calebasse. Elles secouent jusqu’à ce que ça soit du beurre.
Thomas : Il faut secouer jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’on n’entende plus le bruit du liquide dans la calebasse.
Elodie : Un monsieur rasait un autre monsieur.
Anna : Avec un couteau bien aiguisé.
Jessy : Ils ont tressé des nattes pour faire des «toiles de tente».
Manon : La dame avait pris «comme de la paille» et elle faisait des tresses, des nattes pour réparer le toit.
Clotilde : La mère faisait un grand truc tressé, une natte pour faire des murs pour les tentes…
 
 
Quelques demandes à propos de la parole de l’enfant dans la classe
Entraide entre praticiens
 
 
Première demande :
« Comment gérer la prise de parole en classe pour éviter les débordements ? »
 
La réponse de Martine Dubail (GD 68) :
Dans ma classe de CP, nous utilisons un bâton de parole. C’est un objet qui symbolise la parole. Il pas­se de main en main et seul celui qui le tient a la parole avec le pouvoir, dans certains cas, d’appeler un ca­marade pour qu’il pose une question, commente lors d’un entretien ou réponde à une plainte lors des réunions. Les enfants, au départ surpris de la rigueur de ce système, ont appris à faire la synthèse de ce qu’ils ont à dire : l’exprimer en allant à l’essentiel avec des mots pesés et choisis, attendre son tour, accepter aussi que son tour soit passé quand quelque chose lui revient brusquement à la mémoire en cours d’entretien (quitte à le mettre par écrit par la suite ou le garder pour le lendemain).
 
 
La réponse de Claudine Braun :
Dans ma classe de CE1, j’utilise une marionnette. C’est une marotte avec un habit en tissu fixé sur un cône rigide. Lorsque je pousse le bâton, la marionnette sort du cône. Lorsque je tire le bâton, elle se cache.
Nous l’utilisons comme “bâton de parole” :
1°/ pour apprendre à parler l’un après l’autre au début de l’année ;
2°/ pendant le Conseil, surtout lorsqu’il y a des décisions à prendre;
3°/ chaque fois que le besoin s’en ressent.
La marionnette est très symbolique :
Celui qui la tient peut rentrer sa tête pour montrer que le groupe n’est pas prêt à écouter.
Elle peut sortir un peu la tête pour vérifier l’attention du groupe.
Elle sort complètement quand elle se sent prête à parler.
Il y a des périodes dans l’année où elle est un peu délaissée parce que la communication dans le groupe se passe relativement bien. Elle est spontanément reprise lorsque les choses se passent moins bien.
Les enfants y réagissent très positivement. c’est un outil plaisant et respecté par tous.
 
La réponse de Christophe Fleith :
Un autre moyen de régulation de la parole consiste à utiliser un micro : seul l’enfant qui a le micro a le droit de parler.
Les enfants de ma classe maternelle avaient manifesté le désir de montrer notre petit spectacle aux parents. Dans la discussion de préparation de cette représentation, est apparue l’idée de présenter aussi d’autres choses : les danses, les chants, le cahier d’écriture, etc. À la question « Qui va montrer tout cela ? » les enfants ont réagi en se proposant avec beaucoup d’enthousiasme.                   
Au cours des entraînements il est très vite apparu que certains enfants avaient une voix un peu trop fluette pour être entendus. J’ai cherché le micro et l’amplificateur de l’école. Les premiers es­sais avec cet appareil étaient très plaisants.
 
On peut encore signaler d’autres pratiques de régulation de la prise de parole, par exemple l’enfant qui a la parole vient occuper une place particulière : une chaise sur une petite estrade pour être mieux vu et mieux suivi, une chaise différente des autres (céré­mo­nial), … mais cela peut aussi être intimidant ou ne pas correspondre à l’ambiance ou aux objectifs recherchés. 
 
L'oral, c'est l'Arlésienne de l'école.
Il est urgent de construire, à la place des absurdes « moments de langage», une véritable didactique de l'oral, rigoureusement conçue comme une discipline à part entière, partie intégrante de la maîtrise de la langue, aussi importante que l'écrit et les maths, et avec des critères d'évaluation aussi rigoureux. Une didactique où sont définies à la fois les situations fonctionnelles à installer en classe et les activités de structuration des compétences mises en jeu dans ces situations.
Et l'on découvre alors qu'on ne peut définir cette didactique sans définir en même temps une pédagogie. N'en déplaise à certains, la pédagogie n'est pas l'alibi des ignorants ou une manie obsolète des baba-cools soixante-huitards.
Si l'on admet qu'enseigner, c'est réunir les conditions pour que les enfants apprennent, on est obligé d'admettre que ces conditions ne dépendent pas seulement des contenus à enseigner, elles dépendent de la relation qui s'établit entre ces contenus, les apprenants et les enseignants ; et c'est particulièrement vrai en matière d'oral, car la communication directe ne peut fonctionner que dans les deux sens.
Or Jacques Salomé constate : « La relation scolaire actuelle ne propose pas de temps, d'espace, de lieux, suffisants pour le retour de l'influence de l'Autre, celle de l'enfant vers les adultes qui l'entourent. Des conduites de fuite, de soumission et d'opposition ouvertes ou larvées, seront le prix à payer de ce déséquilibre. »
Evelyne CHARMEUX. Recherches sur la didactique de l'oral.
 
 
 
Deuxième demande :
« Comment arriver à faire respecter la parole de l’autre ? »
Réponse de Martine DUBAIL :
La parole de l’autre est un peu de lui-même donné aux autres. Dans la classe on n’a pas le droit de se mo­quer, de taper, etc… De même on n’a pas le droit de dénigrer un autre dans sa parole. Quand cela arrive malgré tout, j’interviens en disant : «Untel dit ce qu’il ressent, toi tu ressens autre chose ; tu peux dire ce que toi tu sens mais tu ne peux pas dire “c’est pas vrai” à l’autre.»
 
« Comment réagir devant les difficultés langagières dans la verbalisation,
lors des moments de parole. »
Réponse de Martine DUBAIL :
dans notre classe (CP) Robin est un enfant qui parle beaucoup mais qui a du mal à formuler ses idées. À chaque entretien il a quelque chose à dire, à chaque entretien nous l’écoutons mais il bégaie et chaque fois qu’il bute sur un mot, il reprend sa phrase au début. Dans ces conditions je me vois mal l’interrompre pour le reprendre sur la forme et la structure de la langue. Mais la patience manque parfois à ses camarades : ils finissent les phrases à sa place. Ils disent : « il veut dire… » J’interviens en disant : « C’est Robin qui a la parole ». Lui, je le regarde dans les yeux - car il ne me quitte pas des yeux - et je me contente de lui dire, quand il bute : « Continue, on a compris ». En fin d’année, il arrive à parler sans retour en arrière et sans être interrompu. Dans sa soif de parler, Robin fait de gros progrès.
Par contre, Emilie n’a aucun problème d’expression. Je me permets alors de la reprendre sur la forme quand elle parle et quand c’est nécessaire pour la compréhension ; elle réinvestit rapidement ce qu’elle apprend.
 
 
 
Réponse de Claudine BRAUN :
Lors des moments collectifs (entretien, Conseil,…) l’enfant qui a des difficultés langagières a souvent du mal à trouver sa place.
Lorsque les enfants sont nombreux et que le sujet est motivant, il est difficile « d’attendre » l’enfant qui n’arrive pas au bout de ses phrases. Ses camarades anticipent et parlent souvent à sa place. Exiger le si­lence à ce moment-là pour le laisser s’exprimer jusqu’au bout ne le met pas forcément dans une situation fa­cile puisque la difficulté est pointée.
J’essaie plutôt de privilégier les prises de parole en petits groupes, d’encourager les échanges avec ses voisins lors des moments d’entraide et de parler avec lui plus personnellement lors des travaux en au­tonomie.
Cela n’exclue pas bien entendu les prises de parole en grand groupe si l’enfant le souhaite mais ce n’est pas là que se fera systématiquement la correction et le reformulation.
 
Fin du dossier
Groupe Freinet du Haut Rhin.
Contact : idem68[arobase]aol.com
 
Bibliographie :
- Le bulletin pédagogique, Chantiers Pédagogiques de l’Est, 12 numéros par an, 180 Francs. Contact : Bernard Mislin, 21, rue de Ferrette 68480 Durmenach.
 
Articles et dossiers du Nouvel Educateur:
- « L’Oral dans une démarche globale de communication » deux dossiers du Nouvel Éducateur coordonné par Janou Lèmery,   n°77 et 78 (ces deux dossiers sont en cours de réédition aux Editions ICEM).
- Le conseil, clé de voûte de ma section de moyens/grands. Le Nouvel Éducteur n°94.
- La présentation de livres en maternelle. Le Nouvel Éducateur n° 95.
- « Les trois minutes ». Au collège. Le Nouvel Éducateur n° 94.
- « Mes élèves font des exposés », Nouvel Éducateur n° 96.
- « Je voudrais qu’on parle du lapin qui est mort... » (débat en maternelle) Le Nouvel Educateur n°114 .
- L’album de vie au cycle 3. Nouvel Educateur n°108.
 
Livres : Michel Barré. « L’aventure documentaire, une alternative aux manuels scolaires », (Réédition) Éditions ICEM-Pédagogie Freinet 1998. 60F.
 
Lorsque la parole abandonne la vie...
 «Regardez les vêtements des pauvres. Regardez les souliers des pauvres. Regardez les maisons des pauvres. Vous aurez beau regarder, vous ne connaîtrez rien de la pauvreté tant que vous n'aurez pas vu le visage des pauvres devant la parole de ceux qui savent, décident et jugent. Les pauvres n'entendent rien à ce que leur disent leurs maîtres. Ils devinent simplement que cette parole sûre d'elle leur vole le monde, que cette parole somptueuse et l'injustice qui leur est faite est liée, profondément liée. Ce n'est pas le savoir qui est en question - c'est cette splendeur morbide d'une parole soucieuse d'elle-même et d'elle-même uniquement, cette horreur d'une parole qui va seule dans son aisance, et la vie abandonnée par-dessous. Cette manière de parler sans jamais se risquer dans sa parole, les rois l'avaient menée à son extrême, ne parlant d'eux qu'à la première personne du pluriel : Nous décidons que. Nous ordonnons que. Cette distance insensée entre la personne et ce qu'elle dit est source de toute emprise sr le monde et de toute ruine de l'âme.»
Christian BOBIN. L'inespérée. Éditions Gallimard. 1994. (pages 117-1 18)

 

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* Extraits d’un témoignage de Roger BEAUMONT paru dans le numéro 78 de «Freinésies» publié par le G.L.E.M. (Groupe Lyonnais de l’Ecole Moderne).

 

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La méthode de lecture : le choix pédagogique

Février 2000
La « méthode naturelle » est souvent confondue avec la « méthode globale ». Aujourd'hui, les enseignants ignorent fréquemment ce que C. Freinet désignait par « naturel » et comment cet adjectif prenait place dans sa lutte contre ce qu'il appelait la « scolastique ». Gilles Monceau* nous invite à redécouvrir «la méthode naturelle», un concept-clé de la pédagogie Freinet, sans lequel l’école d’aujourd’hui n’a pu encore faire sa révolution copernicienne.
Extrait du livre Freinet et l’école moderne, sous la direction de Ahmed Lamihi, Editions Ivan Davy, 1997, 163p. 90F.
 
Gilles Monceau, a collaboré avec le groupe Freinet de l’Oise, il travaille actuellement au Laboratoire de recherches en analyse institutionnelle de l'université Paris -VIII.
 
 
Qu'est-ce qu'une méthode peut avoir de « naturel » ?
 
Curieux couple que cette juxtaposition des mots méthode et naturelle. Un tel appariement ne va pas de soi.
Ce n'est pas la méthode pédagogique en elle-même, comme construction théorico-pratique, qui est « naturelle ». Nous verrons plus loin que ce sont les conclusions tirées de l'observation prolongée de l'évolution « naturelle » de sa fille dans son appropriation de l'écrit qui ont fourni à Célestin Freinet les arguments soutenant sa démarche pédagogique. En effet, la « méthode naturelle » aura pour objectif essentiel de soutenir et renforcer le processus spontané.
 « Qu'il soit scientifique ou non, il est un fait certain et général, nous allions dire universel : tous les enfants du monde, y compris les enfants d'instituteurs et de professeurs, apprennent à marcher et à parler selon une méthode naturelle qui ne connaît jamais d'échec, même dans les milieux les plus défavorables à l'éducation. » (1)
 
C'est encore au « bon sens » de ses interlocuteurs qu'il fait appel. Aux habitudes nocives de la tradition scolaire (la scolastique), il entend opposer le bon sens de l'ouvrier, de l'artisan, du paysan et de la mère de famille. Ce bon sens populaire qu'il invoque tire la signification de l'adjectif « naturel » du côté de la simplicité et de l'évidence.
Mais le développement « naturel » de l'enfant ne se produit pas sans contrainte. D'une part, il se réalise dans un milieu familial, physique et social. Ce « milieu est plus ou moins aidant » et c'est sur celui-ci que parents et éducateurs peuvent agir. D'autre part, des normes strictes existent. Ainsi, C. Freinet écrit à propos de sa fille :
« (...) il n'est pas question pour elle d'inventer la technique de l'écriture qui ne peut être qu'imitation d'une forme fixée et imposée par le milieu. Les modalités de cette imitation varieront sans nul doute selon les possibilités offertes. À nous d'en offrir le plus possible. » (2)
 
Le qualificatif de « naturel » semble donc discutable. Il peut même apparaître démagogique sous certains aspects. Il faut alors le situer dans le contexte scolaire du début du XXème siècle. Dans la jeune école laïque, l'instruction des citoyens doit être le moyen de garantir la République. Le fonctionnement des écoles et les programmes d'enseignement sont normalisés dans l'objectif affirmé d'assurer l'égalité sur l'ensemble du territoire national. M. J. Condorcet (3) (1743-1794), son précurseur et Alain (4) (1868-1951), son défenseur, sont parmi les penseurs de cette école de l'égalité et de l'uniformité.
Pour C. Freinet, la guerre de 14-18 à laquelle il a participé sanctionne l'échec éducatif d'une école qu'il faut réformer. Il proclame alors que son approche est « naturelle » en ce qu'elle introduit de la vie dans un monde scolaire rigide et artificiel.
 
C'est dans la tradition philosophico-pédagogique (Rabelais, Rousseau, Coménius, Pestalozzi,...) que Célestin Freinet, jeune instituteur, s'inscrira. Mais, comme praticien de l'éducation, il est avant tout confronté à la question de l'apprentissage des élèves avec lesquels il travaille au quotidien, en particulier dans le domaine de la lecture.
 
Il observe la manière dont sa fille, de quatre à treize ans, progresse dans sa connaissance de l'écrit. Ce processus, fait d'erreurs et de réussites, correspond à ce qu'il nomme le « tâtonnement expérimental ». Affichant ses intentions, le père pédagogue écrit :
 « Avant de tirer de nos observations les conclusions pédagogiques qu'elles suscitent, nous résumerons ici le processus d'évolution que nous avons minutieusement analysé et qui va du langage à l'expression graphique, à l'expression écrite et à la compréhension de la pensée écrite ou imprimée qui est la vraie lecture. (5)
 
Il revient d'abord sur l'évolution antérieure à l'appropriation de la langue écrite et y distingue en premier lieu l'apprentissage initial de la langue qui triomphe de l'expérience tâtonné dans un milieu aidant.
La différenciation des mouvements de la main et des doigts vient ensuite (vers 2 ans) et apparaissent alors les premiers tracés et signes graphiques plus ou moins informes et automatiques.
Enfin, vers 4 ans, les premiers dessins peuvent être observés. Ils vont aller en se perfectionnant selon les mêmes principes qui ont présidé à l'élaboration du langage.
Pendant qu'a lieu cette évolution graphique, le dessin qui n'est au départ qu'une activité manuelle va progressivement devenir un dessin expression-langage, c'est - à - dire l'expression graphique d'une pensée ou d'un sentiment.
C'est entre 5 et 6 ans que C. Freinet note une prise de conscience par laquelle l'enfant réalise qu'il est possible de s'exprimer graphiquement autrement que par le dessin. Cet autre moyen, c'est l'expression écrite. Là encore plusieurs étapes sont observées mais des normes s'imposent à l'enfant :
« Dans l'expression écrite, la part de la création est plus réduite. La nouvelle technique est directement conditionnée par les nécessités d'un milieu qui en a déjà fixé les formes définitives et obligatoires. Les moteurs de l'acquisition et du progrès seront là : le besoin d'imitation et de mise à l'unisson avec le milieu ambiant, le besoin d'expression aux fins de correspondances (suscité et cultivé par les techniques de l'imprimerie à l'école) ». (6)
 
Après le passage par des étapes aux cours desquelles l’enfant associera graphisme et signification personnelle, il pourra :
- Copie sur un modèle sollicité de l'adulte ou d'un camarade, sur un livre ou sur un cahier, des premiers mots connus et notamment des noms propres.
- Enfin, l'enfant éprouve le besoin d'utiliser l'outil nouveau - si rudimentaire soit-il - pour une fin personnelle : l'écriture de lettres d'abord, l'explication de dessins, la rédaction de textes autonomes pour l'imprimerie. Il utilise l'outil tel qu'il est, en partant sur des mots connus considérés comme cadre ou comme relais.
- Parallèlement à cette conquête graphique de certains mots essentiels, l'enfant se rend compte que chaque lettre désigne un son spécial. En les groupant comme on groupe les sons, on doit parvenir à traduire le langage. L'enfant va donc construire ses phrases ou ses mots en partant des sons pris dans leur fonction phonétique.
L'écriture qui n'était jusqu'alors que copie et imitation, aborde le stade nouveau de la synthèse créatrice dans un but d'expression. [...]
 À ce moment-là, l'enfant connaît suffisamment de signes pour s'exprimer sans hésitation. »
 
Dans un autre passage du même ouvrage, l'auteur signale rapidement que l'enfant dicte d'abord son texte à l'adulte. Il peut ensuite le recopier et l'imprimer. Cette pratique est aujourd'hui connue sous le nom de « dictée à l'adulte ». C'est explicitement la médiation* de l'adulte qui est requise pour accompagner l'enfant dans sa découverte des contraintes spécifiques de l'écrit. Des ajustements successifs se produisent également.
 
Dans cette évolution, ce qui semble « naturel » c'est de s'exprimer par écrit avant de lire. Communiquer sa pensée avant de pouvoir prendre connaissance, seul, de celle d'un autre. C'est donc par cette observation détaillée d'un processus spontané (mais aussi accompagné) que C. Freinet va élaborer sa pratique d'étayage* de la progression de l'enfant par l'adulte, les techniques pédagogiques et la coopération scolaire.
 
Naturelle ou globale ?
Ces deux « méthodes » sont bien souvent confondues. De plus, dans la culture enseignante d’aujourd'hui, elles évoquent toutes deux immédiatement l'apprentissage de la lecture. Rappelons que, si la première est diffusée par l'instituteur français Célestin Freinet, la seconde est issue des recherches du neuropsychiatre belge Ovide Decroly (1871-1932), les Genevois Édouard Claparède (1873-1940) et Adolphe Ferrière (1879-1960), le Belge Ovide Decroly ont avec C. Freinet une génération d'écart. Ils lui fourniront les bases théoriques sur lesquelles il va développer sa pédagogie, surtout celle de la lecture.
L'application à la lecture des découvertes d'Ovide Decro1y (9) s'institutionnalisera sous la forme de la mémorisation de phrases et de mots. Or, comme on l'a vu, c'est l'expression écrite qui est première pour C. Freinet, même si les mots déjà connus de l'enfant, de manière globale, constituent ensuite un réservoir dans lequel il va puiser pour composer ses textes. Il constate d'ailleurs que :
« Le principe de globalisation n'est nullement exclusif de toute analyse ni d'une attention particulière aux éléments constructifs de l'ensemble. L'analyse ne saurait se suffire sans globalisation et inversement. Une bonne méthode doit faire fond en permanence sur les deux processus comme cela se produit dans toute acquisition naturelle vitale. » (7).
 
 
C'est pourquoi, après avoir avancé que « le fonctionnement de ces processus (de globalisation et d'analyse) n'est pas exactement le même chez tous les individus et ne saurait être préétabli comme règle uniforme et obligatoire », C. Freinet prend quelques distances avec certaines utilisations de la méthode globale :
« Si la lecture globale est employée pour initier l'enfant à la lecture plus ou moins rapide de mots dont le sens lui est inconnu, qui ne sont pas liés à sa vie, qui lui sont plus ou moins bien expliqués et de façon parfois sensible, mais qui ne lui sont point essentiels, alors le vice est exactement le même que dans la méthode traditionnelle : une fausse technique déforme jusqu'à l'aberration la signification profonde de l'écriture et de la lecture. [...] C'est pourquoi une bonne méthode - et elle ne peut être que naturelle - ne doit être ni exclusivement globale, ni exclusivement analytique ; elle doit être vivante, avec un recours balancé et harmonieux à toutes les possibilités que porte en lui l'enfant obstiné à se surpasser, à s'enrichir et à grandir. » (8)
 
Des techniques pédagogiques en cohérence avec l’esprit
La « sève génératrice », c'est la vie elle-même, l'activité vraie des élèves dans des travaux qui ont du sens pour eux, qui ont un but. Ainsi ce n'est résolument pas la didactique qui occupe le plus cet instituteur, ce sont d'abord les techniques pédagogiques qui permettent les apprentissages. Si ce que la méthode Freinet a de « naturel » c'est d'une part l'attention portée à l'activité de l'enfant et d'autre part à son rapport au milieu, alors des conséquences pédagogiques en résultent. Un ensemble de dispositifs articulés est institué qui trouve sa cohérence dans le fonctionnement coopératif de la classe qui ne sépare pas les apprentissages socio-politiques des apprentissages disciplinaires :
- La classe promenade
Par exemple, dès le début des années 1920, Célestin Freinet avait adopté cette démarche consistant à sortir de l'école pour se rendre dans la nature ou bien chez les artisans locaux. De retour en classe, des textes pouvaient être rédigés, mis au point puis imprimés et diffusés.
- L’imprimerie
L'impression des textes des élèves par eux-mêmes est le moyen de finaliser la production écrite. Elle donne un but au travail scolaire, à la rédaction libre de textes. L'écrit est alors pleinement un outil de communication : distribution de son texte aux autres élèves (et non seulement correction par le maître), diffusion dans le journal scolaire ou encore envoi aux correspondants. La pratique de l'écrit est alors « naturelle » par opposition à celle « artificielle » et « fictive » de l'école traditionnelle.
Encore faut-il que cette pratique soit spontanée et quotidienne.
- Correspondance scolaire, texte libre...
Lorsque des élèves ou des classes correspondent entre elles pour échanger courrier et documents divers, lorsqu'un enfant produit un texte parce qu'il a quelque chose d'important à exprimer, lorsque la classe édite un journal qui sortira des murs de l'école, alors l'écrit remplit ses fonctions sociales de communication, réflexion, expression et information. Des auteurs se trouvent engagés par ce qu'ils écrivent, un collectif se prononce sur des textes, une forme langagière socialement normée doit être adoptée. À travers cette activité, gérée coopérativement dans une unité sociale, l'acquisition de la langue écrite se fait « naturellement » ou plutôt socio-culturellement ! « On n'apprend pas tout seul », affirme aujourd'hui le courant socio-constructiviste.
 
Conclusion
Il me semble que les principaux apports de la méthode naturelle de lecture se trouvent dans l'implication d'une sociopédagogie effective. Celle-ci lutte contre les découpages trop « rationnels » (entre matières scolaires, entre école et milieu...) qui freinent les apprentissages en voulant les activer. Elle est « par nature » transdiciplinaire puisqu'elle active des compétences transversales*. Malheureusement, si ces apports sont régulièrement redécouverts, c'est pour être aussitôt déformés ou oubliés au profit de modes (ou modèles ?) pédagogiques passagers...
Gilles Monceau
gilles.monceau[arobase]wanadoo.fr
 
1. C. Freinet, « Méthode naturelle de lecture » in OEuvres pédagogiques, Paris, Seuil, t-II, 1994 (La première édition de ce texte par la Coopérative de l'enseignement laïc date de 1961).
2. Ibid.
3. Cinq Mémoires sur l'instruction publique (présenté à l'Assemblée législative en 1791 pour le Comité d'instruction publique), Paris, G.-F. Flammarion, 1994.
4. Propos sur l'éducation, Paris, P-U-F-, 1932.
5. « Méthode naturelle de lecture ».
6. Ibid.
7. Ibid.
8. Ibid.
 
* (11). Les Instructions officielles classent d'ailleurs maintenant explicitement lc lire-écrire dans la catégorie des compétences transversales (utilisées dans toutes les disciplines) et insistent sur la nécessité d'apprentissages fonctionnels.
 
 

 

*1. Terme qui a fait fortune dans les années 1980.
*2. Comme disent les pédagogies de la médiation.

 

 

Le cahier de vie de la classe

Février 2000

 

Maternelle
Le cahier de vie de la classe
C’est un simple classeur dans lequel on ajoute chaque jour une feuille.
 
C’est un outil :
- de Mémoire collective : le vécu de la classe au jour le jour, le temps qui passe. Il ira en CP en fin d’année ;
- de Lecture/Ecriture : le récit de l’événement du jour y est écrit le soir. Un enfant y note préalablement la date du jour. On relit cet écrit le lendemain avant d’annoncer la nouvelle date. Des mots, des expressions s’y répètent; les enfants les repèrent, les mémorisent, vont les rechercher dans le cahier quand ils en ont besoin. C’est une aide pour réaliser le journal, piste d’articles, ou informations à mettre ;
- de Langage : retour sur le passé à la fin de chaque mois, ou quand il faut coller une photo pour illustrer un événement passé. Travail sur le temps et la mémoire ;
- de Coopération : chaque écrit est illustré le lendemain par un ou plusieurs volontaires, le dessin devant représenter l’écrit. S’il y a plusieurs propositions de récits pour le cahier, il faut choisir et voter ;
- de Valorisation : l’enfant dont on va parler dans le cahier, est mis en valeur ce jour-là par ce qu’il a fait ou apporté. Celui qui illustrera aussi, par son travail.
 
Sa place : dans le coin regroupement, sur un présentoir.
On peut l’utiliser, s’y référer à tout moment de la journée.
Il peut être amené à la maison, à la demande.
Il suit les enfants au CP. Moi, je récupère celui de la classe précédente (les Moyens) : “L’année dernière, on a fait ...”. On peut chercher et retrouver.
Jacquie Minaud-Guibert Sorgues (84)
jacqueline.minaud-guibert[arobase]wanadoo.fr

 

 

 

 

 

Le portfolio en classe de langue

Février 2000

Une expérience en évaluation

Le Portfolio en classe de langue
A l'origine, le portfolio viennent du Canada où il est utilisé comme alternative aux moyens traditionnels d'évaluation. Hélène Gresso* cherchait un moyen d'évaluation plus intéressant que les traditionnelles "notes de partiels et notes de devoirs" , elle a adopté le portfolio parce qu'il prend en compte l’élève (enfant ou jeune adulte) dans sa totalité, tel qu'il se définit lui-même en rapport au savoir et à ses réalisations.
 
Hélène Gresso participe au travail du secteur langues de l’ICEM. Elle enseigne des cours de Français Langue Etrangère - Grands Débutants à l'université publique de Pennsylvanie (USA).
 
Pourquoi le portfolio ?
Dans la classe, les étudiants créent beaucoup : des essais, des poèmes, des histoires personnelles, parfois des BD ou des dessins. Nous publions ces travaux dans un magazine de classe, mais il semblait tout aussi important que chacun puisse posséder un recueil organisé de ses travaux. Or souvent mes étudiants ne prennent pas la peine de conserver leurs travaux et quand bien même ils le font, ils ne les voient pas comme un ensemble. Pourtant, les étudiants ont reconnu que leurs travaux constituent une trace de leur apprentissage et un reflet d'eux-mêmes : l'organisation du portfolio a concrétisé cette réalisation.
L'intérêt du portfolio est donc la combinaison de nouvelles approches de l'évaluation et la présentation concrète d'un parcours intellectuel personnel.
H. G.
 
 
Qu'est-ce qu'un portfolio?
Le portfolio sert à conserver, à évaluer et à réfléchir sur les travaux effectués dans une période scolaire donnée. Les différents éléments du portfolio servent ces différents buts.
1) Conserver
Le porfolio est le recueil personnel des travaux que l’étudiant souhaite conserver : ce dont il est le plus fier, ce qui marque une étape dans ses apprentissages, des travaux-preuves en diptyque "je ne savais pas faire/maintenant je sais", un travail qui compte pour lui (souvent un récit personnel)… Chaque étudiant choisit librement quels documents constitueront le portfolio et le présente comme il le souhaite. Certains étudiants présentent leur portfolio dans un classeur parfois décoré (doc page I), d'autres dans une chemise, mais aussi tout autre "contenant" au choix des élèves. Les élèves choisissent parfois de marquer leur oeuvre par une page de couverture personnelle. Certains choisissent de l'illustrer de dessins (illustrations des pages IV et V), d'autres de faire une page de couverture qui rappelle le logo qu'ils ont choisi pour la classe, d'autres enfin s'en tiennent au plus simple et direct - un sommaire avec leur nom .
 
Organisation
Le portfolio n'est pas organisé par discipline, mais selon des catégories déterminées à l'avance. Celles-ci ne correspondent pas non plus à des divisions typiques des types de travaux dans la classe (par exemple "devoirs à la maison", "textes libres", etc.).
Nous utilisons les catégories suivantes (encart page II) :
- Créations personnelles (encart page III) ;
- Réflexions ;
- Analyses et lectures de textes, d’articles de journaux, de données,... ;
- Compréhension de films, d'invités, de documents non visuels... (encart page V) ;
- Correspondance (encart page VIII) ;
- Comparaisons France/E.U. et analyse de concepts culturels (encart page VI).
 Pour chaque catégorie, les étudiants peuvent choisir entre tous les types de documents en leur possession (texte libre, charade écrite en groupe, commentaire de film, lettres de/au correspondant, collage, etc.). Ils doivent simplement présenter au moins un document par catégorie mais peuvent en présenter plus s'ils le veulent. Lorsqu'il y a eu travail sur l'écriture (comme c'est le cas pour les textes libres) tous les brouillons, les corrections, les commentaires du professeur et des camarades doivent être incus pour que l'étudiant puisse réfléchir au processus de création et de rédaction (insert 2,3,4/Alexia). Le portfolio peut aussi inclure des peintures, des vidéos, des compte-rendus d'expérience…
2) L'évaluation 
et la réflexion
Il ne suffit pas de rassembler les documents, il faut aussi savoir expliquer les raisons qui ont précédé son choix. La réflexion doit être portée sur l'organisation même du portfolio, puisqu'il ne s'agit pas de tout mettre, mais de faire un choix raisonné. L'évaluation permet de rendre ces raisons explicites.
L’évaluation comprend deux dimensions : l'auto-évaluation, au détail (doc page IV) et générale (présentation du portfolio) ; l'évaluation d'autres documents ("peer editing") ou "atelier de correction par les pairs", qui précède la remise d'un texte libre et encourage la discussion entre étudiants pour les corrections de contenu ou de portfolios entiers.
Cette évaluation n'est pas conçue comme une note, mais une réflexion sur le contenu, la forme, les progrès tels qu'ils sont présentés dans le portfolio. Bien que certains utilisent le portfolio pour remplacer un examen final, je préfère ne pas le noter, mais discuter de son contenu avec les élèves.
 
Des notes... oui mais...
Puisque je suis obligée de rendre des notes, celles-ci sont portées au fur et à mesure que les travaux me sont remis, et non pas tout à la fin. De plus, ces notations échelonnées sont rassurantes pour de jeunes Américains qui ont l'habitude d'en recevoir constamment. Ces considérations peuvent avoir moins de poids avec des élèves plus jeunes, ou dans le cadre d'une classe primaire dont on est le seul enseignant. On peut donc utiliser le portfolio comme base pour une évaluation du trimestre en considérant l'ensemble des documents qu'il contient et de ce qu'il témoigne, mais sans lui apposer nécessairement de note globale.
 
L’auto-évaluation
L'évaluation est souvent très instructive, à la fois pour l'étudiant qui prend conscience de processus cognitifs, et pour les autres membres de la classe avec qui il ou elle partagera son portfolio (l'enseignant et/ou ses camarades) qui ont l’occasion de mieux connaître la personne et ses motivations. Par exemple, il est possible de demander ce qu'ils ont appris sur eux-mêmes à travers l'exercice, ce qu'ils voudraient développer dans l'exercice s'ils avaient encore du temps, ce qu'ils changeraient s'ils pouvaient le faire (ils le peuvent souvent), ce qui leur a été le plus difficile et le plus facile (et pourquoi), ce qu'ils aiment le plus dans leur texte... Ils reçoivent un papier qui reprend les questions sélectionnées (par la classe ou par l'enseignant) pour chaque document qu'ils souhaitent inclure dans leur portfolio (doc page IV).
 
 
L’atelier de correction par les pairs
Ensuite, les étudiants échangent leurs portfolios avec 4 ou 5 personnes dans la classe et discutent de leurs commentaires, font des suggestions pour améliorer le portfolio, échangent des idées. Cela peut aussi se faire par écrit (encart pVII).
Ces remarques sont souvent positives et renforcent l’idée que chaque personne apprend de l'autre, tant sur le plan scolaire que sur le plan personnel : "Dans mon portfolio je ferai aussi des illustrations" ou "j'aime ton idée d'inclure des récits imaginaires" "j'avais oublié mes brouillons" mais aussi "Je ne savais pas que tu étais bénévole pour le SAMU"… Cela n'empêche pas les élèves d’être critiques (un fait très rare aux USA où les critiques non positives sont anathèmes) et, dans l'ensemble, de faire des suggestions utiles à leurs camarades: "tu as oublié de mettre un sommaire", "tape tes textes, ils sont illisibles", " tu devrais faire plus d'efforts, par exemple, range les documents dans l'ordre et place-les dans une une chemise ou un classeur", …
Les étudiants discutent de leurs portfolios avant ou après la classe. Deux heures sont prévues dans l'emploi du temps afin de leur permettre de corriger ce que leurs collègues leur ont signalé, et d'en discuter les uns avec les autres. Même s'il s'agit d'une classe de LV, l’évaluation et la discussion se font dans la langue maternelle. Ici mon but est d'engager la réflexion critique sur les processus menant à la réalisation d'un travail, et non pas sur développement des capacités linguistiques.
 
3) La personnalisation de l’apprentissage
Enfin, le portfolio est un moyen de montrer son travail aux autres. Comme le portfolio se veut soigné (il est reflet de son travail mais aussi de soi, tel qu'on le défini soi-même), il peut être présenté à des publics variés, selon l’envie ou les besoins des étudiants. Nombreux sont ceux qui ne rentrent chez eux qu'à l’occasion des congés de fin de semestre : ils sont très fiers de pouvoir montrer leurs réalisations à leur famille et aux professeurs de leur école précédente. Dans certains cas, le portfolio a été utilisé pour démontrer des acquis auprès d'un potentiel employeur. Dans tous les cas, la constitution du portfolio a permis aux étudiants de montrer ce qu'ils savaient, (et pas seulement à l'enseignant), de voir leurs progrès et de se découvrir. Cette méthode est tout à fait probante pour établir les diverses compétences des élèves en fonction d'un programme mais aussi en fonction de leurs propres critères. L’idéal serait que l'enseignant du niveau suivant puisse partir du portfolio de chaque personne et construire un portfolio qui soit pluri-disciplinaire, ou qu’il couvre plusieurs années d'études dans la même matière. 
 
En conclusion
Le portfolio est un outil facile à mettre en place, qui peut s'adapter à différentes pratiques pédagogiques (pourvu que l'on ne tienne pas dur comme fer aux examens trimestriels!) et avoir beaucoup de répercussions positives pour les enseignants et les élèves qui le créent et l'emploient dans leur classe.
 
Hélène Gresso
E mail : hlg7[arobase]psu.edu