Le Nouvel Educateur n° 124

Décembre 2000

Pauvreté et échec scolaire

Décembre 2000

Champ social

 
Pauvreté et échec scolaire
 
Nous regrettions, lors de notre congrès de Rennes, l’abandon de toute réflexion critique sur l’école.
Pourtant, depuis peu, des chercheurs questionnent à nouveau le fonctionnement de l’école.
Même si nous avons évoqué ces questions dans de précédents dossiers, l’installation du Haut Conseil de l’évaluation de l’école montre qu’elles sont d’actualité. « Un ministère de l’éducation qui ne serait pas pourvu d’un bon système d’évaluation serait un bateau sans boussole » affirme le ministre de l’éducation[1].
On ne court semble-t-il désormais plus le risque d’être accusés d’archaïsme lorsqu’on s’interroge sur le rôle de reproduction des classes sociales et sur la fonction de légitimation joué par l’école dans cette reproduction.
Plusieurs études récentes s’attachent aux raisons de l’échec scolaire. Les résultats sont parfois explosifs !
L’une d’elles[2] pointe, en particulier, « la persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire. » Bien plus, elle affirme que « le revenu des parents a un effet 'causal' important sur les carrières scolaires des enfants. Tout se passe comme si les enfants naissant dans les familles appartenant aux 20% les plus riches partaient avec une ou deux années de maturité supplémentaires sur les enfants naissant dans les familles appartenant aux 20% les plus pauvres. » C’est ainsi que « 62% des enfants de 15 ans appartenant aux 20% des familles les plus modestes sont en retard en troisième, contre seulement 17% des adolescents appartenant aux 20% des familles les plus aisées. »
Pour ces chercheurs qui, pour la première fois, ont mis en relation la réussite scolaire et les revenus des parents, « l'effet revenu domine le capital scolaire des parents. »
Difficile, face à ces chiffres, de ne pas prendre en compte leur interprétation des résultats : « plus les revenus sont élevés, plus les parents sont à même d’offrir à leurs enfants des conditions de vie favorable à leur développement. » Peut-on en conclure mécaniquement, comme ils le font, que : « Toute politique de redistribution de revenus en direction des familles modestes aura pour effet d'améliorer les performances scolaires relatives de leurs enfants » ? Ce n’est peut-être pas aussi simple. Pourtant, ce constat « nous encourage – si besoin était – à poursuivre notre combat pour la redistribution égalitaire des richesses ! »[3]
Même si une autre étude[4] vient, en partie, contredire leurs conclusions en affirmant que « l'inégalité devant l'école s'exprime davantage comme une inégalité culturelle (via le diplôme de la mère ou celui des parents) que sous la forme d'une inégalité strictement sociale », les auteurs ne peuvent nier cette inégalité et concluent d’ailleurs que « les inégalités sociales devant l'école demeurent aujourd'hui fortes. »
Bien sûr, il n’est pas question de considérer la massification comme une erreur. Elle a permis, sans conteste, d’élever le niveau général de toute la population. De 1966 à 1975, le nombre de bacheliers est passé de 11% à 24% d’une génération. Cette tendance s’est accentuée entre 1985 et 1995. Aujourd’hui le taux de réussite au baccalauréat est proche de 80%. Les enfants d’ouvriers ont aujourd’hui 3,5 fois plus de chance qu’il y a dix ans d’effectuer des études supérieures. Toutefois, ils sont plus de 40% à avoir quitté l’école dix ans après leur entrée en sixième contre 20% pour les professions intermédiaires et moins de 5% pour les enfants de cadres et d’enseignants. 55 % de ces enfants redoublent la troisième. De même dans les classes préparatoires aux grandes écoles, 52% des élèves sont des enfants de cadres, de professions libérales ou d’enseignants alors que seuls 6% sont enfants d’ouvriers. En outre, à l’université, les jeunes de milieux populaires choisissent en majorité des études supérieures courtes [5].
Un autre aspect de ces études nous interpelle directement, nous qui avons milité pour la mise en place des cycles à l’école. Dominique Goux et Éric Maurin [6]se sont intéressés aux résultats de cette réforme mise en place en 1991. Leurs conclusions sont peu encourageantes : « Globalement, on ne constate aucune baisse de l'inégalité des chances après la réforme. Elle atteint son objectif de faire baisser les redoublements, mais pas celui de limiter l'inégalité des chances. » Gardons-nous d’en conclure à l’inefficacité de ces mesures. Les causes de l’absence d’effet sur l’échec scolaire sont certainement à chercher ailleurs. On peut effectivement penser comme Éric Dussart [7] que « la mise en place des cycles (…) n’a modifié en rien la pédagogie et le rapport à l’école. Cette remarque est également valable pour les ZEP où les effectifs par classe ont certes été allégés, mais où l’enseignement n’est pas toujours adapté aux enfants de milieux populaires. (…) Bref, il y a coupure entre les savoirs et le sens qui leur est donné. »
Les questions que nous nous posions lors de notre congrès de Rennes sur les pratiques réellement susceptibles de permettre aux enfants de familles défavorisées ou distantes vis à vis de l’école sont donc plus que jamais d’actualité.
 
Jean-Marie Fouquer
 
 


[1] Le Bars, S. (2000) : « L’éducation nationale parie sur l’évaluation pour piloter l’école », dans Le Monde, 17 novembre 2000.
[2] Goux, D. et Maurin, E. (2000) : « La persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire », dans France, portrait social ; Paris, INSEE.
[3] Dussart, E. (2000) : « Pauvreté et réussite scolaire », dans L’École Émancipée », n° 4, novembre 2000.
[4] Thélot, C. et Vallet, L.-A. (2000) : « La réduction des inégalités sociales devant l'école depuis le début du siècle », dans Économie et Statistiques, n° 334 ; Paris, INSEE.
[5] Fournier, M. (2000) : « Dynamiques de changement », dans Sciences humaines, n° 111.
[6] Goux, D. et Maurin, E., op. cit.
[7] Dussart, E., op. cit.

 

25 élèves par classe

Décembre 2000

Dès 1954, Freinet lançait l'objectif de « 25 élèves par classe ! ». Il faisait même de ce mot d'ordre, le thème principal du congrès d'Aix-en-Provence de mai 1955.
Régulièrement, comme lors des dernières grèves, nous insistons sur l'importance d'une diminution des effectifs pour permettre la mise en œuvre d'une pédagogie plus individualisée et respectueuse des rythmes des enfants. Vous comprendrez que l'information contenue dans le message de l'APED nous semble importante à diffuser.

Une étude menée au Royaume-Uni le prouve, le nombre d’élèves par classe est un facteur crucial de réussite scolaire. Les enseignants en sont convaincus : des classes moins nombreuses favorisent la réussite scolaire. Pourtant, cette évidence n’en est pas une. Il existe très peu d’éléments statistiques permettant de confirmer cette impression largement répandue. Les ministres, engoncés dans leurs carcans budgétaires, s’empressent de mettre en avant les travaux des pédagogues pour nous dire : « La réussite dépend de la qualité du prof, pas de la taille des classes. »
Sous la direction du professeur Peter Blatchford, une équipe de chercheurs britanniques vient de briser ce tabou. Leurs résultats, auprès d'enfants de l'école primaire, sont impressionnants:
En mathématique, on observe une amélioration des résulats dès que le nombre d’élèves passe en dessous de 25.
En lecture, une réduction du nombre d’élèves de 25 à 15 représente un gain d’une année pour les enfants les « moins bons » et un gain de cinq mois pour tous les autres. Cela signifie que la réduction de la taille des classes permet non seulement d’obtenir de meilleurs résultats pour tous, mais aussi de réduire considérablement les écarts entre enfants. Dans la perspective d’une démocratisation de l’enseignement ce constat est évidemment d’une importance extrême.
Une analyse plus détaillée ainsi que le texte complet en anglais sont disponibles sur le site Internet de l’Appel pour une école démocratique.
http://users.skynet.be/aped

 

La liberté de l'enseignement selon de Villiers

Décembre 2000

La Loi de décentralisation de 1983 a confié la construction et l'entretien des lycées aux régions, des collèges aux départements, des écoles primaires aux communes. En Vendée, le Président du Conseil Général (Monsieur Philippe de Villiers) se refuse à remplir cette mission de service public que la Loi lui a pourtant conférée. En effet, depuis 15 ans, les parents d'élèves de 16 communes autour d'Aizenay (soit un secteur scolaire de 20 000 habitants au Nord-Ouest Vendée) demandent en vain la création d'un collège public.
- Entre la Roche Sur Yon et Challans, entre La Roche Sur Yon et Saint Gilles Croix de Vie, entre La Roche Sur Yon et Les Sables d'Olonne, il y a de la place pour 4 collèges privés catholiques mais aucune place pour un seul collège public.
- Sur ce secteur le dernier recensement qui se traduit par une nette augmentation de la population (+ 14,05%), montre qu'il y a bien ici un avenir pour un collège public.
- Sur ce secteur où l'école publique se développe (6 ouvertures de classes ces deux dernières rentrées sur les communes concernées) et où on tend vers un rééquilibrage public/privé, il n'y aurait pas de place pour un collège public ?
- Plus de 400 familles se sont déclarées intéressées à ce jour par un collège public. La Mairie d'Aizenay a recensé 450 élèves potentiels mais le Conseil Général refuse toujours de reconnaître cette demande.
- La commune d'Aizenay (6 200 habitants) demande l'implantation d'un collège public depuis de nombreuses années : un terrain est réservé à cet effet au Plan d'Occupation des Sols depuis... 30 ans. Le Conseil Municipal a pris des délibérations sur ce sujet en 1989 et en 1999.
- La Vendée est le département de la Région des Pays de La Loire qui dépense le moins pour ses collèges publics : 50F par habitant contre 112F pour la Loire Atlantique, 150F pour la Mayenne et 188F pour le Maine et Loire !
- La nécessité de collèges de proximité et à taille humaine n'est plus à démontrer, ceux-ci permettent une qualité de vie et d'enseignement tant nécessaire aujourd'hui.
- Le respect de la liberté de l'enseignement passe par la liberté de choix pour les parents. Cette liberté de choix n'est pas respectée aujourd'hui et ne permet pas d'offrir à tous les enfants une égalité dans l'accès au service public d'éducation.

Aucun argument sérieux ne peut être opposé à cette légitime demande des familles dans l'intérêt de leurs enfants. Monsieur de Villiers campe sur des positions obsolètes et son opposition à cette implantation est uniquement idéologique.

L'Etat, quant à lui, peut-il rester inerte lorsque les collectivités locales refusent de remplir les missions qui lui sont confiées par la Loi, notamment celles d'assurer partout la présence du service public d'éducation ?

contact : http://www.multimania.com/aizenay
 

A chacun son projet commun

Décembre 2000
CHRONIQUE DE L’ECOLE ORDINAIRE
 
A chacun son projet commun
Pendant des années, lorsqu’on se prenait les pieds dans un problème pugnace, l’unanimité clamait : « Créons une commission ! » Actuellement la réponse universelle est plutôt : « Faisons un projet ! » Net progrès !
Moi qui vous cause, il m’ a été donné de participer à une tentative que je veux bien vous conter…
C’est après une période assez échevelée au cours de laquelle fut octroyé le samedi après-midi pour les cogitations pédagogiques, qu’un projet grandiose secoua les maîtres dans la cour de récréation. Un projet qui ne peut sourdre que de somptueuses remises en cause de la société, de l’université et de l’usage de la plume Sergent-major : « On se fatigue beaucoup dans chaque classe à inculquer la tenue du cahier du jour … Et si on harmonisait la disposition pour toute l’école ? »
On se réunit donc en assemblée générale (de 6 personnes), le Conseil d’école n’existant, hélas, pas encore. On proposa, discuta, composa, tapa du poing, prit la parole, la coupa. Bref, on se concerta. L’affaire, à l’usage, s’avérait fort complexe :
-de quelle longueur, de quelle couleur tracer le trait séparnt les travux de deux jours successifs ?
-frise ou pas frise ?
-si c’est un « grand trait », inclut-il la marge ?
-à combien de carreaux de la susdite marge commencer à écrire la date ?
-fait-on souligner celle-ci ?
-si oui, d’un trait de quelle longueur ? De quelle couleur ?
-convient-il de toujours faire « sauter des lignes » ?
Toute la problématique de la date se reposa pour chaque titre, aggravée par une question de fond sournoisement masquée jusqu’à présent : stylobille ou porte-plume ? Le débat frisa le pugilat… L’avenir de l’Ecole Publique était en jeu. Un inspecteur primaire le confirma plus tard en commentant les nouvelles (de l’époque) instructions officielles de français qui toléraient la bille infâme : « Nos élèves vont fuir à l’école privée où l’on écrit encore à la plume ! » Mais n’anticipons pas.
Or donc la fermentation cérébrale était à son comble. Heureusement qu’on avait écarté provisoirement de l’ordre du jour les couleurs des soulignures grammaticales, l’outil à noter les corrections, la marge à élargir ou non lors de la rédaction des « paragraphes », la largeur de la colonne « opérations » dans la résolution des problèmes, la copie ou non des consignes des devoirs !
Au bout de 12 heures de négociations (quatre samedis après-midi) il apparut alors que, tous ensemble, on n’était d’accord que sur deux propositions :
-chacun voulait effectivement que les cahiers du jour soient tenus de la même façon par tous,
-la sienne !
Ce constat précisé, et compte tenu des objectifs nationaux, on put énoncer le contenu même du projet dans une belle unanimité :
CHACUN FAIT COMME IL VEUT !
 
On le mit même en œuvre dès le lundi suivant, le cœur léger ; on était enfin d’accord.
Nous avions découvert que si constat et objectifs sont bien formulés, le projet va de soit. Il continue d’ailleurs à aller, malgré le départ de chacun des protagonistes.
Dernièrement on l’a modernisé queqlue peu : la discussion autour de la réalisation d’un journal d’école a fait naître trois journaux de classe…
 

Jean-Louis Maudrin

La citoyenneté en pratiques

Décembre 2000

 

Que mettons nous derrière les mots et surtout derrière nos pratiques en matière de citoyenneté ? La première partie de ce dossier présentera la citoyenneté en exercice dans les classes de Dominique Tibéri et de Patrick Galland, ainsi que dans les écoles d’Aizenay et de Vaulx en Velin ( Anatole France).

 Dans la seconde partie, publiée dans le numéro 125 du mois de janvier, Jean Le Gal fera le point sur l’action de l’ICEM pour la reconnaissance d’une véritable citoyenneté participative dans l’éducation. Bernard Defrance apportera un éclairage philosophique sur la construction de la citoyenneté à l’école et Erik Prairat sur le nécessité de mettre en place des sanctions véritablement éducatives.

 

 

Les lois de la classe coopérative procèdent d'une conception éducative fondée sur l'apprentissage par tâtonnement expérimental de la liberté, de la responsabilité, des droits et des devoirs, au sein d'une communauté qui met en oeuvre les principes d'entraide, de solidarité, d'autonomie, de coopération, d'autogestion, tant pour la réalisation des projets communs définis ensemble que pour la réalisation des projets personnels.

 Les lois de l'Etat font primer les impératifs de sécurité, de maintien de l'ordre dans l'école, sur les impératifs d'éducation à l'autonomie et à la responsabilité : il faut enseigner au moindre risque, surveiller étroitement et contrôler les élèves, les maintenir sous la tutelle des adultes.

 Or, toute loi, toute norme, toute institution, repose sur une éthique, sur une conception de l'homme et de la société. Les conflits entre nos lois et la Loi sont donc, essentiellement, fondamentalement, des conflits d'éthique et de conceptions. Si l'Etat veut faire de l'école un des lieux de la formation d'un homme libre, autonome et responsable, il se doit de changer une réglementation fondée sur l'idée d'incapacité, d'irresponsabilité de l'enfant, qui légitime des pratiques de soumission, d'infantilisation, propres à former des hommes obéissants, assujettis, et y substituer des lois et des règles fondées sur l'idée d'un enfant-citoyen…

Or, l'expérience des classes coopératives témoigne que les enfants peuvent être des acteurs responsables de leur vie scolaire lorsque le droit et les moyens leur en sont donnés. l'école doit être le lieu d'apprentissage des droits de l'homme en permettant aux enfants d'y vivre leurs droits d'enfants. D'où la nécessité de définir et de faire appliquer, une Charte des droits de l'enfant qui les protègent contre l'autoritarisme des adultes et contre des châtiments et des sévices qui continuent à exister. "

 Jean Le Gal

 La société, par l’intermédiaire des hommes politiques et des médias, voudrait que l’école résolve les problèmes liés à la violence, aux comportements non citoyens, au non respect de l’environnement.

 Doit-on restreindre l’apprentissage de la citoyenneté à des cours de redressement et de remédiation sur des objectifs pointus ?

 Nous nous situons dans une approche globale de la citoyenneté. Pour nous, prendre en compte la citoyenneté, c’est mettre en cohérence la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et les pratiques quotidiennes coopératives dans la classe.

 Dossier coordonné par Patrick Carpentier

 

 

La société, par l’intermédiaire des hommes politiques et des médias, voudrait que l’école résolve les problèmes liés à la violence, aux comportements non citoyens, au non respect de l’environnement.

 Doit-on restreindre l’apprentissage de la citoyenneté à des cours de redressement et de remédiation sur des objectifs pointus ?

 Nous nous situons dans une approche globale de la citoyenneté. Pour nous, prendre en compte la citoyenneté, c’est mettre en cohérence la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et les pratiques quotidiennes coopératives dans la classe.

 Que mettons nous derrière les mots et surtout derrière nos pratiques ?

 La première partie de ce dossier présentera la citoyenneté en exercice dans les classes de Dominique Tibéri et de Patrick Galland, ainsi que dans les écoles d’Aizenay et de Vaulx en Velin ( Anatole France).

 La seconde partie, publiée dans le numéro 125 du mois de janvier, se voudra une approche plus théorique de la question, avec les contributions de Jean Le Gal, Bernard Defrance et Erick Prairat.

 Dossier coordonné par Patrick Carpentier

 

 

Articles parus

dans le Nouvel Educateur

 

Participation et citoyenneté à l’école

Numéro 79 de mai 1996

 

Le conseil d’enfants de l’école

Numéros 102 d’Octobre 1998

et 105 de janvier 1999

 

Le conseil, clé de voûte

de l’organisation coopérative

Numéro 120 de juin 2000

 

Pourquoi ?

 

Pourquoi toi ?

Pourquoi moi ?

 

Pourquoi lui ?

Pourquoi elle ?

 

Pourquoi vous ?

Pourquoi nous ?

 

Pourquoi toujours

Chacun pour soi ?

 

Pourquoi pas

Tous ensemble ?

 

Mathilde—10 ans

Ecole des Trois Maisons



 



 

 

 

 

 

De la classe coopérative

à la citoyenneté



Dominique Tibéri

IMF(instituteur maître formateur),

classe de cycle 3 (CM1-CM2)

école des Trois Maisons 

en Meurthe et Moselle,

membre du GD54.

 

Comment aider les enfants à conquérir leurs droits ?

Dominique Tibéri* nous présente l’évolution du conseil coopératif de sa classe pendant une année scolaire : évolution de l’institution, des lois… et la part du maître rendant cette évolution plus facile.

 
Coopérer

«Classe coopérative du CM1-CM2».C’est ce qui est écrit en gros caractères de couleurs sur la porte d’entrée de la classe. A qui donc s’adresse cette étiquette ? Aux enfants, à leurs parents, aux étudiants, aux collègues, et peut-être aussi à moi-même, comme pour rappeler l’une des valeurs fondamentales qui règlent le fonctionnement de la classe. Depuis 2 ou 3 ans, je demande systématiquement aux enfants, en début d’année, ce que signifie pour eux le mot « coopérative ». A l’unanimité (en dehors des quelques « anciens »), la coopérative est, pour eux, « l’argent que les parents versent pour que le maître achète du matériel ». Quelle vision réductrice et mercantile du terme a-t-on pu induire aux communautés scolaires ? Si un petit travail sémantique permet aux enfants de lever certaines ambiguïtés de sens, ils n’en sont pas quittes, en septembre sur les pratiques coopératives.

21-9-98 Le conseil clé de voûte de la classe coopérative

Depuis la rentrée, il ne s’est pas encore passé grand chose sur le plan coopératif. Le conseil coopératif agit comme l’instance organisationnelle et décisionnelle de la classe. A la fin de chaque semaine, la classe s’installe en cercle fait le point sur la semaine passée, prépare la semaine suivante. C’est là que s’organise le travail, se règlent les conflits, se construit la loi.

Malgré les protestations de quelques « anciens » j’anime donc ce premier conseil, où d’ailleurs le débat ne s’installe pas encore. Ce premier moment me sert simplement à esquisser quelques contours organisationnels  :

 -Mise en place des feuilles de vie

-Distribution des métiers

 

Construire un ordre du jour

 Pour qu’il existe réellement, et qu’il soit crédible au regard des enfants, le conseil doit être efficace. C’est à dire que les sujets évoqués doivent être débattus démocratiquement, que les décisions doivent être prises et surtout appliquées. Construire un lieu de parole qui tournerait à vide serait voué à l’échec au bout de quelques semaines. Il faut donc alimenter le conseil par leurs préoccupations d’enfants au service de la construction de la classe en tant que groupe. Structurer le conseil par un ordre du jour, c’est les aider à structurer les débats, à éviter les tergiversations, à faire en sorte que les décisions prennent vie dans la classe. J’affiche alors un ordre du jour « type » qui servira de guide aux premiers conseils :

 

Bilan de la semaine passée,

problèmes ou difficultés rencontrées.

Comptes de la coopérative : la parole aux trésoriers

 Abonnements-correspondance : Qui prend quoi ? Qui fait quoi ?

Je propose.

J’ai aimé.

Je n’ai pas aimé.

 

Une responsabilité difficile :

l’animateur

 

« Le président de séance a le pouvoir et en use, donne, retire : distribue la parole. Il est garant de la liberté d’expression de tous. Cette responsabilité précise requiert une compétence certaine : maîtriser les phénomènes de groupe, entendre, réagir juste à temps, sortir d’affaire un participant désemparé, etc. Des enfants de huit ans peuvent acquérir cette compétence. 1»

 Je donne quelques repères à la classe quant aux fonctions de l’animateur : construire l’ordre du jour avant le conseil, veiller au bon fonctionnement de la parole, suivre l’ordre du jour, faire prendre des décisions. Sur le mur opposé, j’ai collé 4 grandes étiquettes : PROPOSER, DISCUTER, DECIDER, APPLIQUER. Ces 4 verbes, inscrits chronologiquement servent de trame lorsqu’un sujet important est abordé. L’animateur est aidé par un secrétaire qui note toutes les décisions prises avant de les inscrire sur le tableau de vie coopérative.

 

Le réseau d’entraides

A part une proposition pour le festival de jazz et un conflit entre Sébastien et Mickaël, le conseil est vite terminé. Peu d’enfants ont pris la parole. Et à part Mickaël qui est responsable du prêt de matériel, et donc directement concerné, ceux qui ont demandé la parole sont les « anciens ». Demander de l’aide, c’est avouer un échec, une incapacité, une faiblesse. Chose impossible, défendue dans une école où seule la réussite est acceptée, la faute sanctionnée. Avouer ses difficultés c’est déjà avoir choisi de les surmonter. Installer dans la classe coopérative un espace où les difficultés peuvent se dire devant tout le monde c’est démystifier l’échec, le rendre banal, normal.

 Le réseau d’entraides agit à plusieurs niveau : il permet de dépasser les barrières sexistes : filles et garçons s’entraident au gré des besoins.

Il démystifie en partie la notion d’échec, la transforme en difficulté momentanée, ciblée sur un point particulier, plus facilement surmontable avec l’aide de quelqu’un. Le travail en équipes et les valeurs attribuées à la coopération sont alors valorisés.

Au fil des conseils, les demandes se feront plus nombreuses, multiples, variées, permettant à chacun de se construire à travers l’autre, par le groupe, validant le concept « d’autosocioconstruction du savoir : construire par soi-même son propre savoir, par la médiation d’autrui, du groupe 2».

Des lois et des règles

 Ca n’a pas traîné. Un mois après la rentrée, au troisième conseil les petites histoires, les petites taquineries prennent place à la une des discussions. Ophélie a bien intégré le fait qu’on ne joue pas avec le matériel, puisque c’est écrit sur un panneau, à l’article n° 4. Elle l’a si bien intégré qu’elle ne se réfère même pas à la règle et assène le respect du matériel comme valeur fondamentale. Elles sont au nombre de 4, ces lois de la classe :

 

1.        On respecte la parole.

2.        Travail de groupe=voix basse.

3.        Travail individuel=silence.

4.        On respecte le matériel.

 

Je profite donc de cette première altercation entre Alexis et Abdesselam pour expliquer ce que sont ces lois : «Elles ne sont pas nombreuses mais si on arrive déjà à respecter ces points, cela peut suffire ». Je ne me leurre pas. Ces 4 points vont surtout être des prétextes à expliciter ce que peut vouloir dire « on respecte la parole » : ne pas couper quelqu’un qui parle ? Ecouter l’autre même si on n’est pas d’accord avec lui ? ou bien encore « parole médiatrice du désir qui autorise la rencontre symbolique de celui qui parle et celui qui écoute 4».

 

Ces 4 premiers points font figure de loi aux yeux des enfants dans le sens où elles n’ont pas été construites, où elles sont « marquées du sceau de l’extériorité 5», mais elles serviront de substrat pour une construction progressive des règles de vie de la classe, pour un passage de « Thémis à Namos 6», souligne Erick Prairat qui considère la classe comme un espace prépolitique où, tout en construisant des savoirs, on y forme le futur citoyen et le futur démocrate en instruisant des lois, des règles pratiques et des règles de vie.

Violences quotidiennes

 

Incivilités, non respect des règles, violence. La société ne se sent pas bien. Elle semble manquer d’idéaux, de repères, elle ne se reconnaît plus dans ses institutions, c’est le règne de l’individualisme. Qui plus est, ce mal semble cette fois pénétrer insidieusement l’institution scolaire. Les tentatives d’explication sont multiples : chômage, absence d’identité communautaire, concentration de populations immigrées, société trop individualiste, fracture sociale… la liste est longue, non exhaustive et relève peut-être un peu de tout, ce qui rend la tâche éminemment complexe lorsqu’il s’agit de vouloir enrayer le phénomène. Quoi de plus normal alors que de vouloir en confier la mission à l’école par le biais de textes ministériels.

 

La violence est interdite.

 

C’est la loi n° 6. Elle n’arrive pas tout de suite. Je l’inscris au bout de quelques semaines, quand les premiers conflits apparaissent et qu’ils nous donnent la possibilité d’aborder la notion de violence. Ils la déclinent sous toutes ses formes, ils savent l’identifier. Alors, sitôt identifiée, elle est interdite et « ne se discute pas, puisque c’est ce par quoi une discussion est possible 7». Ainsi, au fil des semaines, chaque jour charrie son chapelet de plaintes.

 

Alexis a écrit sur ma chaise !

Franck m’a fait un doigt d’honneur !

Tiffany nous fait des croche-pieds !

 

Ces « tas de sable » chers à F. Oury ou à C. Pochet envahissent chaque conseil au point de devenir omniprésents. On a tellement peu écouté leurs petites histoires que le jour où on leur propose un espace de parole, ils le remplissent au point de le faire déborder. Mais ce flot de plaintes quotidiennes va se réguler pour plusieurs raisons :

 

-L’inscription d’une plainte sur les panneau « Je n’ai pas aimé » agit déjà comme une sanction. C’est une espace de parole écrite où l’agresseur est montré du doigt. La loi est écrite et une institution de régulation des conflits, même imparfaite, se met en place.

 

-L’existence d’un lieu où on peut écrire, puis dire ensuite à toute la classe agit comme une instance dissuasive. Si on n’en parle pas maintenant, il faudra en parler plus tard. En tout cas, maintenant impossible d’agresser en toute impunité. La loi de la négociation remplace celle du plus fort.

 

-Si le conflit ne se règle pas entre les 2 parties, l’agressé peut compter sur le groupe qui sera alors juge arbitre.

 

Des règles qui évoluent

 

Interdire la violence ne signifie pas la voir disparaître, mais cela conditionne la discussion. Au fil des conflits, l’institution évolue. Si en début d’année, c’est le panneau « je n’ai pas aimé » qui remporte un vaste succès, les plaintes vont lentement glisser vers le panneau « je propose ». Ainsi, au milieu des propositions de sorties, de métiers d’achats, voit-on apparaître :

 

Je propose

Un n° 6 à Mickaël qui a dit des gros mots.

Un n° 6 à Frédéric qui critique mes parents

Un n° 6 à Sébastien qui me tape.

 

Et puisque la violence est interdite, dès qu’elle est constatée, elle est systématiquement signalée aux parents par l’intermédiaire du plan de travail, et un simple feu rouge en comportement élimine pendant une semaine l’accès, réglementé, à la classe pendant la récréation. L’enfant violant les lois du groupe, restreint donc sa liberté dans la classe ce qui pose ainsi les premières bases de la démocratie par le biais du quotidien. Loin de vouloir éviter les conflits entre enfants, l’école se doit donc de les repérer, les écouter, les traiter, et s’en servir afin d’éduquer les enfants au conflit. Ceux-ci doivent être réglés par la loi et non par la violence, c’est un des principes de la démocratie.

 

De plus l’école ne peut abandonner l’enfant face aux agressions dont il est souvent victime. « Le conflit est une réalité que l’éducateur ne peut esquiver car l’espace démocratique qui attend le futur adulte est par définition un espace conflictuel, là où aucune instance transcendante ne peut plus être convoquée, seul un espace public de discussion et de gestion non violente des conflits peut construire le vivre ensemble 8» projetés dans un espace prépolitique, acteurs dans l’élaboration, attentifs au respect des droits de chacun, les enfants s’octroient le statut de citoyen actif. Le conseil sert encore cette fois à tisser le lien social, à « recomposer l’espace commun, non pas dans un unanisme suspect, mais comme condition d’un débat social à distance de la violence 9».

 

S’approprier l’espace

 

Vendredi 15 janvier 1999, 8h00

 

Directrice : Bonjour, je viens de passer dans ta classe pour emprunter le mégascope sur la Gaule, je ne l’ai pas trouvé !

Dom : Il était sur le présentoir, à l’entrée.

Directrice : Je ne l’ai pas vu. Est-ce que tu pourrais me le faire parvenir ? J’en ai profité pour faire sortir tes élèves qui étaient déjà entrés en classe. Je leur ai rappelé qu’ils n’avaient rien à faire là sans surveillance ! »

 

Me voilà encore une fois piégé . J’avais pourtant, encore cette année, réussi à éviter insidieusement le règlement. Comme tous les ans, après quelques semaines d’ajustements réciproques, les enfants se sont appropriés les lieux. Ils aiment entrer en classe avant l’heure, poser leurs affaires, nourrir les poissons, allumer l’ordinateur, arroser les plantes. Investir les lieux avant l’heure pour mieux en prendre possession. D’ailleurs, cette année, nous sommes allés plus loin dans la transgression (ils ne le savent pas). Attirés par le nouvel ordinateur, il a fallu organiser des tours pendant la récréation. Mais rappelé à l’ordre par la directrice, que va-t-il advenir de ces moments qui échappaient au règlement ?

 

D’ailleurs, ne suis-je pas en tort ? Comment prétendre éduquer les enfants à la construction de la loi et ne pas respecter celles en vigueur dans l’établissement ? Mais une intuition m’incite à résister. Je suis persuadé que leur laisser l’accès à la classe en dehors du « temps d’enseignement » est l’une des clés de l’apprentissage de la citoyenneté.

 

15h20 : de service dans la cour, je suis alerté par Rémy : « Dominique, Aman et Mickaël se battent dans la classe, Mickaël a pris le tableau sur la tête ! »

 

Voilà un bâton pour me faire battre, me dis-je à moi-même. Je file vers la classe. Plus de peur que de mal. Mickaël fait la tête dans un coin et Aman, rouge de colère, réajuste ses vêtements. Je fais évacuer tout le monde dans la cour et je ferme la classe jusqu’à la fin de la récréation. Ca tombe bien, nous avons un conseil de coopé juste après, on réglera ça.

 

16h10 : conseil de coopé

 

L’altercation entre Aman et Mickaël n’étant pas à l’ordre du jour, je profite du point questions diverses pour aborder l’incident. Sans même ouvrir le débat ni chercher à comprendre les tenants et les aboutissants, j’énonce l’anecdote du passage de la directrice dans la classe le matin même, je rappelle le règlement de l’école et j’annonce que la classe sera fermée à tous en dehors des heures de classe… Ma sanction tombe, sans appel, sans discussion, sans protestation.

 

Faiblesse de ma part devant l’institution ? La concomitance des événements m’incite à renoncer à mes convictions intimes et m’abriter sous le règlement. D’ailleurs, ils n’ont pas protesté. Cependant un vague sentiment de remords me ronge. Je n’arrive pas à me faire à l’idée d’une classe qui ne s’ouvre pas sur « l’homme qui travaille (homo faber) et l’homme qui pense et apprend (homo cogitans), et néglige l’homme qui joue (homo ludens), l’homme qui aime (homo amans), l’homme qui gouverne (homo civis), l’homme qui voyage et explore (homo ambulans) et l’homme qui prie (homo sacer) 10»

 

C’est en me replongeant dans l’ouvrage de René Lafitte que je trouve la réponse. « La classe est ouverte avant l’heure légale, à quelques enfants apparemment choisis, qui s’activent sans ordres ni contraintes. (…) Il ne s’agit pas, ici, de « services » octroyés comme une faveur par l’adulte (…) mais de « métiers » confiés par le groupe à des individus ayant, dans un domaine bien défini, liberté, responsabilité et pouvoir 11».

 

La réponse est claire. Les règles d’occupation de la classe étaient peut-être trop floues, un interstice est resté ouvert dans lequel Aman et Mickaël se sont engouffrés. Que faisaient-ils en classe ? Personne ne le sait ! En tout cas, pas de domaine défini par le groupe, pas de responsabilité, pas de pouvoir, pas de liberté sans espace anomique. Faire construire une règle qui ré-ouvrira la classe (illégal malgré tout) en évitant les pièges à risques institutionnels, responsabiliser, donner du pouvoir, c’est possible. Il me reste le choix entre 2 alternatives : le provoquer (puisque j’en ai été le couperet) ou attendre que les enfants en manifestent le désir.

Une classe librement occupée

 

La réaction n’est pas longue puisque 2 semaines après, la question revient à l’ordre du jour .

Valentin, en réclamant un surveillant, prouve qu’il ne se sent peut-être pas encore entièrement autonome. La présence d’un garant de la loi semblerait lui convenir. Les propositions de Bénédicte et Ophélie recueillent la grande majorité des suffrages.

 

Les décisions prises alimenteront le règlement de la classe. Après avoir pris la précaution de changer de lieu de service pendant la récréation, pour que de la verrière qui mène à la classe, j’aie sous mon regard et la cour de récréation et la classe. L’occupation de celle-ci se fera sans problème. Ce lieu est devenu une zone de droits, réglementée par eux.

 

En conclusion

 

La classe coopérative est un espace ouvert, avec des institutions que les enfants infiltrent, pénètrent, occupent, habitent pour en prendre pleinement possession. Espace anomique en septembre, les enfants vont apprendre à mieux vivre ensemble en s’ouvrant à d’autres cultures, à une histoire, en reconstruisant des valeur par l’expérience concrète, en s’exerçant au travail politique par l’exercice de la responsabillisation. Le choix d’une pédagogie coopérative n’est pas simple. Il nécessite un engagement, un choix éthique qui met souvent en péril, qui expose à la déstabilisation car il incite à une redéfinition du statut de l’adulte dans la classe et un partage du pouvoir. Cependant, ce partage si délicat et si fragile du pouvoir permet à la classe de protéger chacun du libre-arbitre, de la tout puissance de l’adulte, de la loi du chacun pour soi. Ainsi, par le jeu subtil de l’individu impliqué dans la vie du groupe, chaque enfant peut exercer une citoyenneté participative et devenir un citoyen éclairé.

 

Dominique Tibéri

 

1-Catherine Pochet, Qui c’est l’conseil  pp49-50

2-Michel Tozzi in cahiers pédagogiques n°340, éduquer à la citoyenneté, p 16

3-Erick Prairat : La sanction, p 121

4-Francis Imbert, Médiations, institutions et lois dans la classe, p 88

5-Erick Prairat,  La sanction, p 92

6-id., p 103

7-Bernard Defrance, Sanctions et discipline à l’école, p 122

8-Erick Prairat, La sanction, p. 109.

9-G. COQ, Laïcité et République, p. 261

10-J. Houssaye. Les valeurs de l’école, p 18

11-R. Lafitte. Une journée dans une classe coopérative, p. 28

 

 

 



26 septembre, conseil coopé

 

Animatrice : Bénédicte—Secrétaire : Sophie

10h30. Nous entrons en classe. Les enfants prennent leur chaise et s’installent en cercle sur toute la périphérie de la classe. L’ordre du jour a été affiché au tableau, Bénédicte et Sophie sont à proximité. Le calme s’installe, le rituel aussi :

 

-Dom. (maître) : La parole est à Bénédicte.

-Bénédicte : Le conseil du 26-09-98 est ouvert. 1° point, est-ce que les décisions de la semaine passée ont été appliquées ?

-Mickaël : Non les étiquettes de prêt ne sont pas faites. On ne sait jamais qui a emprunté du matériel à la classe.

Dom : Je les ferai pour lundi matin.

Bénédicte : Qui a rencontré des difficultés cette semaine ?

Aman : Moi, j’ai pas réussi à faire la fiche divisions D1.

Bénédicte : Qui peut l’aider ?

Aucun doigt ne se lève.

Dom : Moi !

Frédéric : Moi, j’ai pas réussi la fiche M6.

Ophélie : Moi, je peux t’aider, je l’ai déjà faite.

Franck : Moi, c’est aux logiques bleues que j’ai eu des problèmes.

Mathilde : Je peux l’aider, j’ai déjà fait la série bleue.

Bénédicte : Plus personne n’a besoin d’aide. Sophie, tu notes les aides, on peut passer au point suivant (…)



 

 

Une sanction éducative

Une plainte de l’extérieur

 

Mardi 24 novembre, 10 heures. Nous sortons en récréation, je file prendre un café à la machine, près du bureau de la directrice, ça tombe bien, elle voulait me voir.

 

Directrice : Dominique, est-ce que Frédéric t’a parlé de quelque chose ce matin ?

Dom : Non, pourquoi ?

Directrice : Ce matin, j’ai reçu un coup de téléphone d’une dame. Elle est surprise, elle a acheté un journal à un enfant, elle l’a payé 10 f et en le lisant elle s’est aperçue que le prix affiché était de 5 f, est-ce normal ?

Dom : Non, le prix est justement affiché pour éviter les problèmes. Elle était en colère ?

Directrice : Non au contraire, elle avait l’air gentille mais elle souhaitait nous prévenir pour que nous intervenions auprès du gamin. J’ai vu Frédéric ce matin, je lui ai dit que ce n’était pas bien du tout, il m’a dit qu’il irait s’excuser auprès de la dame et qu’il lui rembourserait l’argent. Essaye de me tenir au courant.

 

Je décide d’attendre le conseil de samedi pour voir si le sujet arrive sur le tapis.

 

Jeudi 26 novembre, 10 heures.

 

Directrice : Tu sais ce qu’a fait Frédéric, hier ?

Dom : Non ! Il est allé s’excuser ?

Directrice : Il est allé voir la dame, il lui a soutenu que le prix était de 10 f. Elle a retéléphoné ce matin pour me raconter ça. Elle ne souhaite pas faire d’histoire, elle connaît le gamin et la maman, ils sont pratiquement voisins. Elle souhaitait nous informer pour que nous fassions quelque chose auprès de lui.

 

Conseil coopé du samedi 28 novembre

Animatrice : Charline—Secrétaire : Rémy.

 

L’ordre du jour est dense : 6 demandes d’aide, une demande pour que le groupe de percussions de l’an dernier revienne, l’arrivée de « La Bergamote », journal scolaire d’une classe de correspondants, une proposition de changement du classeur de problèmes logiques qui est abîmé, deux propositions d’exposés, l’un sur les dinosaures, l’autre sur la guerre de cent ans et les trésoriers qui demandent à faire le point sur la vente des journaux :

 

Bénédicte : Ca fait une semaine que les journaux sont en vente, il nous en reste encore dix. Y’en a trente-quatre qui ont été vendus, sept qui ne sont toujours pas payés…

Charline : Ceux qui en veulent encore, vous pourrez venir en chercher tout à l’heure. On peut passer au point suivant ?

Dom : Non ! Je pense que Frédéric a des choses à nous dire.

Frédéric : …

Dom : Tu n’as rien à nous raconter à propos des journaux que tu as vendus ?

Frédéric : …

Dom : J’aimerais que tu racontes cela à la classe toi-même, à moins que tu préfères que je le raconte.

Frédéric : …

Aman : Ah, moi je crois savoir !

 

Je laisse à Aman le soin de raconter ce qu’il sait. Ils étaient visiblement deux à être au courant de l’histoire. Aussitôt la classe réagit.

 

Rémy : Ouah ! C’est du vol !

Tiffany : C’est de l’arnaque, il profite du journal de la classe pour gagner de l’argent.

Mathilde : En plus, après les gens vont penser que c’est toute la classe qui vole de l’argent et on pourra plus vendre de journaux.

Baptiste : C’est pas juste qu’il profite de notre travail pour récupérer de l’argent.

Bénédicte : Ouais, non seulement il vole la dame, mais il vole aussi la classe.

Ophélie : Faudrait rembourser la dame, pour pas qu’elle pense que la classe vole.

Mathilde : On devrait même lui offrir le journal pour s’excuser.

Dom : C’est une bonne idée. Je propose même que ce soit Frédéric qui y aille.

Aman : Oui, mais il va peut-être encore dire que c’est dix francs.

Abdesselam : On a qu’à envoyer quelqu’un avec lui !

Valentin : Moi, je veux bien l’accompagner.

 

11 h 30. Nous voilà tous les trois, Frédéric, Valentin et moi, sur le chemin des écoliers pour redresser le dérapage. Frédéric rend dix francs, Valentin offre fièrement un « Ouvre-boîte ». La dame est en effet très compréhensive. Après quelques échanges très courtois, chacun se sépare. Il n’est pas fier Frédéric. On ne l’a pratiquement pas entendu. Il a juste esquissé un vague mouvement de protestation quand il a entendu que j’étais du voyage mais la présence de Valentin a dû le rassurer, il ne s’est pas senti seul face à des adultes pour gérer ce problème.

 

Obnubilée par la volonté de préserver son image vis à vis de l’extérieur, la classe en oublie de juger Frédéric, de le condamner. Au delà du fait que Frédéric ait utilisé un projet collectif pour détourner de l’argent, n’a t’il pas voulu attirer l’attention sur lui ? Ce n’est pas improbable, puisque deux enfants de la classe étaient au courant. En tout cas, appel ou pas, la classe lui répond, elle va l’aider, lui proposer des solutions pour réparer son erreur, pour redorer le blason de chacun. Cette proposition rend d’une part son bien à la victime, relégitime l’image de la classe aux yeux de tous et réintègre Frédéric, qui accepte facilement ces décisions comme unique sanction, loin du cercle des parents ou autres autorités hiérarchiques, renforçant ainsi l’idée d’autonomie de la classe pour réguler ses conflits.

 

Ainsi, « dans le jeu des interactions et des transactions sociales, la sanction représente le prix d’une dette, dette à l’égard d’une victime ou d’un groupe et dont le coupable doit s’acquitter pour retrouver sa place dans l’espace symbolique des échanges.3»



 

8 octobre : premières lois

 

Animatrice : Charline—Secrétaire : Tiffany

 

(…)

Charline : On peut passer à la rubrique « Je n’ai pas aimé ». Alexis a la parole.

Alexis : J’ai pas aimé Abdesselam, mardi, il m’a piqué ma trousse.

Abdesselam : C’était pour jouer !

Ophélie : Ouais, ben t’as pas à jouer avec les affaires des autres !

Charline : Qu’est-ce qu’on fait ?

Franck : On n’a qu’à mettre un numéro 4 à Abdesselam !

Abdesselam : C’est quoi un numéro 4 ?

Charline : Quand t’as pas respecté une règle, t’as un numéro. C’est le numéro de la règle qu’il faut respecter.

Cyril : De toute façon, les numéros, ça sert à rien, ça marche pas. On a beau se prendre des numéros, on continue quand même à pas respecter les règles.

Bénédicte : Oh ben Cyril, parle pour toi !

Charline : Alors, qu’est ce qu’on fait ?

(…)



 

 

 

Conseil de coopé du 8 février

 

Animateur : Valentin. Secrétaire Abdesselam

(…) Valentin : On peut passer aux propositions. Bénédicte a la parole.

Bénédicte : Il faudrait racheter des feutres pour transparent.

Dom : Combien en faut-il ?

Mickaël : Y’en a plus que 12 qui marchent. Il en faudrait 15.

Dom : J’irai la semaine prochaine

Ophélie : J’aimerais qu’on puisse rester en classe pendant la récré. »

 

Les approbations fusent, la demande devient quasi générale. Un petit sondage me permet de savoir ce qu’ils aiment faire en classe. Je leur explique que je suis prêt à accepter sous certaines conditions, que normalement les textes me l’interdisent, qu’ils fassent des propositions pour éviter que les incidents se reproduisent.

 

Valentin : On pourrait nommer un animateur qui surveille la classe pendant la récré.

Abdesselam : On peut recommencer comme avant, on fera attention.

Charline : Mais non, il faut faire une règle pour pas qu’il ait de problèmes

Baptiste : On va avoir tellement de règles que bientôt on pourra plus bouger.

Bénédicte : Ben on a le droit de rester en classe que si on n’a pas eu de numéro pendant la semaine.

Ophélie : Ouais, on peut mettre un feu pour la semaine en comportement…





Gestion d’un conflit à Moussac



A travers la présentation d’un conflit avec une autre école, Patrick Galland*, nous montre ce qu’apportent aux enfants des institutions bien gérées et une pédagogie axée sur la communication et la coopération, dans la résolution de celui-ci par le groupe classe.



Chaque mardi de juin et septembre, la « Fourmilière », classe unique de Moussac, se rend à la piscine. Nous partageons notre créneau horaire avec la classe du cycle 3 de Millac, une école qui, d’ailleurs, fait partie du Réseau d’Ecoles Rurales Vienne-Gartempe, tout comme Moussac. Comme ils doivent reprendre le car au premier tour, les enfants de Millac quittent le bassin et rejoignent les vestiaires puis s’en vont.

 

Au moment de rejoindre les vestiaires, branle-bas dans le vestiaire des garçons : les vêtements sont éparpillés çà et là, les poches retournées, il y a même -« Oh les salauds ! »- du shampooing dans la chaussure de Jérémy. Quant aux petits goûters de l’après-bain : disparus…

 

Les coupables sont désignés de suite : « Ah, ben bravo les copains du réseau ! Ah, ben y sont benèzes ! Tu vas voir comment on va leur casser la gueule quand on va les rencontrer ! » et je vous passe les noms d’oiseaux divers et variés et les menaces de représailles. Sur l’instant, je suggère qu’on pourrait leur envoyer un fax, sans préciser le contenu ni la forme. La proposition est retenue d’emblée.

 

Le jeudi matin, au « Quoi de neuf ? », la question est évoquée et ainsi tous les enfants s’expriment et décident qu’une équipe va rédiger un fax dès le matin. On évoque les grandes lignes, les idées directrices, je ne propose ni texte ni idée : je sens que les enfants sont capables de rédiger seuls. De plus, ce conflit est inscrit à l’ordre du jour du conseil de coopérative qui aura lieu le lendemain, comme chaque vendredi matin.

 

Effectivement, le texte sera rédigé, sur un mode ironique proposé par Pauline, et l’ensemble sera co-rédigé, co-corrigé et faxé avant midi et chacun vaquera à ses occupations, la pression est toujours là, mais positivement, puisque le groupe a réagi en prenant le recul et le temps nécessaires à l’action réfléchie, et non pas réflexe.

 

15h20 : un fax arrive, à l’en-tête de Millac : lecture immédiate après réunion spontanée. « Des excuses ! Ah ben, tu vois, c’était bien eux – qui en doutait !!!- et ils ne se sentent pas fiers ! Et ils demandent pardon ! Et ils vont nous rendre ce qu’ils nous ont pris ! On en discutera demain au conseil de coop : on va réfléchir à ce qu’on va leur demander pour réparer ! »

 

Charlotte, la jeune collègue de Millac, sans me contacter, a enclenché le dispositif, sensitivement, et ça va marcher : le lendemain matin, au conseil de coop, je sens bien que la tension est tombée, que l’indignation est toujours présente, mais qu’elle sert de moteur à une prise de conscience des conséquences de certains actes, en particulier ceux qui nuisent à autrui. Plus question de « cassage de gueule » programmé. Lorsque la question du «problème Millac » est abordée, on cogite : « Puisqu’ils nous demandent ce qu’ils pourraient faire pour se faire pardonner », Florian dit : « on pourrait les inviter à une séance de kayak et les noyer –non ! je rigole ! mais on pourrait les mettre à l’eau ! », « eh ! seulement les garçons ! » intervient Pauline. « Oui, oui, d’accord, on pourrait leur faire ceci, ou cela, les obliger à faire une grande marche, les priver de piscine, leur demander de nous préparer des goûters lors de la prochaine séance… ». Jérémy propose « Et si on leur disait de nous inviter à goûter chez eux puisqu’ils ne peuvent pas nous rendre les nôtres vu qu’ils les ont mangés ? »

 

Et le groupe rebondit :  « Oui, voilà, on va leur dire de nous inviter à passer l’après-midi dans leur école, de nous organiser des jeux et un goûter, tout ça avant les vacances de la Toussaint !! »

Voilà la décision soigneusement consignée sur le cahier de coopérative par le secrétaire de la séance, et nous passons ensuite aux autres questions sans qu’il soit besoin d’y revenir et en constatant qu’il n’y a plus de « problème Millac » puisqu’il est en voie de résolution.La proposition de « réparation » sera co-rédigée et faxée dans la journée.

Un coup de fil de Charlotte m’apprendra dans la journée du lundi suivant que la proposition est retenue et qu’ils nous feront connaître la date dès que possible.

 

Cet échange de fax sera publié dans notre journal, la « Fourmilière-Hebdo », comme trace d’un événement à porter à la connaissance des parents qui m’en parleront en appréciant la manière de traiter le problème.



Ecole de Millac

 

Nous vous écrivons ce fax pour vous dire que nous nous excusons. On vous enverra ce que nous avons pris. Par exemple vos ballons et un porte-clés. Jérémy est-ce que tu nous pardonnes d’avoir mis du shampooing dans tes chaussures ?

Qu’est-ce que l’on peut faire pour que vous nous pardonniez ?

Les garçons de Millac



Salut les super potes de la surprise que vous nous avez réservée dans les vestiaires des garçons à la piscine ce mardi, le shampooing dans les chaussures de Jérémy, d’avoir fouillé nos poches, d’avoir pris nos goûters. En gros, ça nous a fait super plaisir d’avoir trouvé nos affaires un peu éparpillées partout.

 

Au revoir et encore merci !

La classe de Moussac



Salut les copains de Millac ! On a trouvé pour vous pardonner : vous nous invitez dans votre école tout un après-midi entier, vous préparez des jeux et un goûter.

Au revoir ! L’école de Moussac



Patrick Galland, est instituteur

en classe unique

à Moussac dans la Vienne

et membre du Groupe Départemental

de la Vienne de l’ICEM

 

 

 

Un organisation citoyenne

de l’école



Les écoles Louis Buton d’Aizenay et Anatole France de Vaulx en Velin ont mis en place une organisation qui permet aux enfants d'exercer collectivement leur pouvoir de décision et d'avoir une parole collective sur les affaires qui les concernent. A travers ces exemples, on peut constater que chaque collectivité crée ses propres institutions et des structures démocratiques adaptées à ses conditions de fonctionnement, un des objectifs communs étant de permettre aux enfants, quel que soit leur âge, d’exercer leurs libertés et de vivre une citoyenneté active.



 

A l’école d’Aizenay (Vendée)

Cinq conseils fonctionnent dans cette école Freinet :

1. Le conseil de classe.

 

Il réunit une fois par semaine les enfants et le maître de la classe en Assemblée générale. Il a plusieurs fonctions :

 

. gérer la vie quotidienne de la classe (projets, services, etc.)

 

. élaborer des règles de vie...

 

. examiner les conflits personnels et le non-respect des règles de vie.

 

. mandater les représentants de la classe aux Conseils de cour, de bibliothèque, de restaurant scolaire et d’Ecole pour les CM (délégués tournants).

2. Le conseil de cour :

 

Il réunit deux délégués de chaque classe (du CP au CM2) une fois par mois. Il gère la vie de l'école (déplacements, inter-classe, projet de l'école) II examine les conflits et promulgue les lois de l'école.

3. Le conseil de bibliothèque :

 

II réunit deux délégués de chaque classe une fois par semaine avec la (les) permanent(s) de la bibliothèque et le maître délégué. Il assume plusieurs fonctions :

 

.gérer la bibliothèque (circulation, prêts de livres, projets, expositions, utilisation de l'espace audiovisuel) ;

 

.élaborer des règles de vie explicites;

 

.informer les classes des projets de la bibliothèque (ex : présence d'un intervenant extérieur) ;

 

.intercommunication classes-bibliothèque ;

 

.définir en début d'année le planning des services de rangements.

4. Le conseil de restauration

 

II réunit les délégués de chaque classe une fois par demi-trimestre avec le personnel du restaurant scolaire :

 

.lecture critique des menus ;

 

.collecte des idées pour améliorer le moment des repas.

 

5.       Le Conseil d’Ecole

6.       Des délégués des classes de CM sont invités au Conseil d’Ecole (institutionnel) qui se réunit une fois par trimestre. Ils préparent l’ordre du jour, ils apportent les points de vue des élèves. Ils sont associés au compte-rendu écrit du Conseil.

 

A l’école Anatole France

de Vaulx en Velin

 

Dans le module, constitué par les trois classes CE2-CM1-CM2, un des objectifs est la maîtrise par chacun de son milieu de vie et de travail. Il s’agit de donner à l'enfant les moyens de bien connaître son environnement, de pouvoir s’y situer, de pouvoir agir dessus, puis de pouvoir l’élargir.

 

Le premier des droits : choisir

 

Pour cela, chaque enfant a la possibilité de gérer :

.du temps : les récréations, les entrées échelonnées, la programmation de ses activités ;

.des lieux : l'utilisation de la salle de classe (étendue aux trois salles de classe du module), des salles collectives (BCD et salle de danse) ;

.du matériel : matériel collectif, matériel à disposition dans les salles de classe ou collectives (jeux de société, livres, coloriages, journaux, cabanes, électrophones,ordinateurs...)

.ses relations : travail de groupe. Groupes de choix, décloisonnement des âges. Correspondance. Multiplication des intervenants adultes à l'intérieur et à l'extérieur de l'école ;

.ses activités : en diversifiant les projets à l'intérieur et à l'extérieur, en sollicitant les projets d'enfants individuels et collectifs.

Règles et outils de gestion

Les principaux moyens mis en œuvre pour permettre à l'enfant de gérer cet ensemble complexe sont : les règlements, les outils et les structures.

Les enfants doivent pouvoir se situer dans un cadre bien défini, avec des règlements connus, intégrés, établis avec et par eux et révisables ; avec des responsabilités bien précises : responsabilités d'enfants élus mais aussi responsabilités d'adultes référents qui seront régulateurs et garants du système.

 

Le règlement de l'école prévoit des entrées échelonnées dix minutes avant le début des jours, les déplacements dans les couloirs se font librement, les classes sont aménagées pour l’accueil des enfants pendant ce temps et pendant les récréations où ils ont aussi accès aux allées collectives.

 

Les enfants ont à leur disposition des outils de fonctionnement personnels ou collectifs, dans les classes et dans le hall, lieu de rassemblement du module :

.matérialisation du règlement : feu rouge, feu vert, pour entrées et sorties des classes,

.permis de circuler, affichage ;

.affichage des responsabilités ;

.planning d'utilisation des salles, du matériel ;

.liste d'inscription au coin peinture ;

.planning personnel ;

.emploi du temps général ;

.boîte aux lettres pour correspondance.

Les institutions de l’école

Des structures permettent aux enfants de se déterminer pour le choix d’activités en fonction de l’activité elle-même, ou des enfants, ou des adultes qui y participent.

 

Un autre objectif important est la maîtrise, par l'enfant, de ses droits et de ses devoirs.

 

Le conseil et les réunions sont les lieux d'exercice du pouvoir collectif. Dans l'école, chaque classe à un conseil, des conseils extraordinaires sont quelquefois mis pour régler des problèmes spécifiques (cantines, cour de récréation). Ils comprennent alors l’adulte responsable et les enfants concernés.

 

Le conseil de module est hebdomadaire. Il réunit les 66 enfants du groupe constitué : le CE2, le CM1 et le CM2, plus les 3 enseignants et l’enseignant du poste ZEP. C’est un lieu de proposition, de décision, de présentation de travaux, de discussion et de gestion des conflits. Il règle tous les problèmes de ce grand groupe.



 

Le droit

 

Le droit de tout faire.

Le droit de ne rien faire.

 

Des droits non respectés

Dans un monde d’insensés.

 

Ce monde qui pourrait évoluer,

Mais qui n’y arrivera jamais,

 

S’il continue comme ça,

A ne respecter aucun droit.

 

Faustine—10 ans

Ecole des Trois Maisons



 



26 septembre, conseil coopé

 

Animatrice : Bénédicte—Secrétaire : Sophie

10h30. Nous entrons en classe. Les enfants prennent leur chaise et s’installent en cercle sur toute la périphérie de la classe. L’ordre du jour a été affiché au tableau, Bénédicte et Sophie sont à proximité. Le calme s’installe, le rituel aussi :

 

-Dom. (maître) : La parole est à Bénédicte.

-Bénédicte : Le conseil du 26-09-98 est ouvert. 1° point, est-ce que les décisions de la semaine passée ont été appliquées ?

-Mickaël : Non les étiquettes de prêt ne sont pas faites. On ne sait jamais qui a emprunté du matériel à la classe.

Dom : Je les ferai pour lundi matin.

Bénédicte : Qui a rencontré des difficultés cette semaine ?

Aman : Moi, j’ai pas réussi à faire la fiche divisions D1.

Bénédicte : Qui peut l’aider ?

Aucun doigt ne se lève.

Dom : Moi !

Frédéric : Moi, j’ai pas réussi la fiche M6.

Ophélie : Moi, je peux t’aider, je l’ai déjà faite.

Franck : Moi, c’est aux logiques bleues que j’ai eu des problèmes.

Mathilde : Je peux l’aider, j’ai déjà fait la série bleue.

Bénédicte : Plus personne n’a besoin d’aide. Sophie, tu notes les aides, on peut passer au point suivant (…)



 

Une sanction éducative

Une plainte de l’extérieur

 

Mardi 24 novembre, 10 heures. Nous sortons en récréation, je file prendre un café à la machine, près du bureau de la directrice, ça tombe bien, elle voulait me voir.

 

Directrice : Dominique, est-ce que Frédéric t’a parlé de quelque chose ce matin ?

Dom : Non, pourquoi ?

Directrice : Ce matin, j’ai reçu un coup de téléphone d’une dame. Elle est surprise, elle a acheté un journal à un enfant, elle l’a payé 10 f et en le lisant elle s’est aperçue que le prix affiché était de 5 f, est-ce normal ?

Dom : Non, le prix est justement affiché pour éviter les problèmes. Elle était en colère ?

Directrice : Non au contraire, elle avait l’air gentille mais elle souhaitait nous prévenir pour que nous intervenions auprès du gamin. J’ai vu Frédéric ce matin, je lui ai dit que ce n’était pas bien du tout, il m’a dit qu’il irait s’excuser auprès de la dame et qu’il lui rembourserait l’argent. Essaye de me tenir au courant.

 

Je décide d’attendre le conseil de samedi pour voir si le sujet arrive sur le tapis.

 

Jeudi 26 novembre, 10 heures.

 

Directrice : Tu sais ce qu’a fait Frédéric, hier ?

Dom : Non ! Il est allé s’excuser ?

Directrice : Il est allé voir la dame, il lui a soutenu que le prix était de 10 f. Elle a retéléphoné ce matin pour me raconter ça. Elle ne souhaite pas faire d’histoire, elle connaît le gamin et la maman, ils sont pratiquement voisins. Elle souhaitait nous informer pour que nous fassions quelque chose auprès de lui.

 

Conseil coopé du samedi 28 novembre

Animatrice : Charline—Secrétaire : Rémy.

 

L’ordre du jour est dense : 6 demandes d’aide, une demande pour que le groupe de percussions de l’an dernier revienne, l’arrivée de « La Bergamote », journal scolaire d’une classe de correspondants, une proposition de changement du classeur de problèmes logiques qui est abîmé, deux propositions d’exposés, l’un sur les dinosaures, l’autre sur la guerre de cent ans et les trésoriers qui demandent à faire le point sur la vente des journaux :

 

Bénédicte : Ca fait une semaine que les journaux sont en vente, il nous en reste encore dix. Y’en a trente-quatre qui ont été vendus, sept qui ne sont toujours pas payés…

Charline : Ceux qui en veulent encore, vous pourrez venir en chercher tout à l’heure. On peut passer au point suivant ?

Dom : Non ! Je pense que Frédéric a des choses à nous dire.

Frédéric : …

Dom : Tu n’as rien à nous raconter à propos des journaux que tu as vendus ?

Frédéric : …

Dom : J’aimerais que tu racontes cela à la classe toi-même, à moins que tu préfères que je le raconte.

Frédéric : …

Aman : Ah, moi je crois savoir !

 

Je laisse à Aman le soin de raconter ce qu’il sait. Ils étaient visiblement deux à être au courant de l’histoire. Aussitôt la classe réagit.

 

Rémy : Ouah ! C’est du vol !

Tiffany : C’est de l’arnaque, il profite du journal de la classe pour gagner de l’argent.

Mathilde : En plus, après les gens vont penser que c’est toute la classe qui vole de l’argent et on pourra plus vendre de journaux.

Baptiste : C’est pas juste qu’il profite de notre travail pour récupérer de l’argent.

Bénédicte : Ouais, non seulement il vole la dame, mais il vole aussi la classe.

Ophélie : Faudrait rembourser la dame, pour pas qu’elle pense que la classe vole.

Mathilde : On devrait même lui offrir le journal pour s’excuser.

Dom : C’est une bonne idée. Je propose même que ce soit Frédéric qui y aille.

Aman : Oui, mais il va peut-être encore dire que c’est dix francs.

Abdesselam : On a qu’à envoyer quelqu’un avec lui !

Valentin : Moi, je veux bien l’accompagner.

 

11 h 30. Nous voilà tous les trois, Frédéric, Valentin et moi, sur le chemin des écoliers pour redresser le dérapage. Frédéric rend dix francs, Valentin offre fièrement un « Ouvre-boîte ». La dame est en effet très compréhensive. Après quelques échanges très courtois, chacun se sépare. Il n’est pas fier Frédéric. On ne l’a pratiquement pas entendu. Il a juste esquissé un vague mouvement de protestation quand il a entendu que j’étais du voyage mais la présence de Valentin a dû le rassurer, il ne s’est pas senti seul face à des adultes pour gérer ce problème.

 

Obnubilée par la volonté de préserver son image vis à vis de l’extérieur, la classe en oublie de juger Frédéric, de le condamner. Au delà du fait que Frédéric ait utilisé un projet collectif pour détourner de l’argent, n’a t’il pas voulu attirer l’attention sur lui ? Ce n’est pas improbable, puisque deux enfants de la classe étaient au courant. En tout cas, appel ou pas, la classe lui répond, elle va l’aider, lui proposer des solutions pour réparer son erreur, pour redorer le blason de chacun. Cette proposition rend d’une part son bien à la victime, relégitime l’image de la classe aux yeux de tous et réintègre Frédéric, qui accepte facilement ces décisions comme unique sanction, loin du cercle des parents ou autres autorités hiérarchiques, renforçant ainsi l’idée d’autonomie de la classe pour réguler ses conflits.

 

Ainsi, « dans le jeu des interactions et des transactions sociales, la sanction représente le prix d’une dette, dette à l’égard d’une victime ou d’un groupe et dont le coupable doit s’acquitter pour retrouver sa place dans l’espace symbolique des échanges.3»



Conseil de coopé du 8 février

 

Animateur : Valentin. Secrétaire Abdesselam

(…) Valentin : On peut passer aux propositions. Bénédicte a la parole.

Bénédicte : Il faudrait racheter des feutres pour transparent.

Dom : Combien en faut-il ?

Mickaël : Y’en a plus que 12 qui marchent. Il en faudrait 15.

Dom : J’irai la semaine prochaine

Ophélie : J’aimerais qu’on puisse rester en classe pendant la récré. »

 

Les approbations fusent, la demande devient quasi générale. Un petit sondage me permet de savoir ce qu’ils aiment faire en classe. Je leur explique que je suis prêt à accepter sous certaines conditions, que normalement les textes me l’interdisent, qu’ils fassent des propositions pour éviter que les incidents se reproduisent.

 

Valentin : On pourrait nommer un animateur qui surveille la classe pendant la récré.

Abdesselam : On peut recommencer comme avant, on fera attention.

Charline : Mais non, il faut faire une règle pour pas qu’il ait de problèmes

Baptiste : On va avoir tellement de règles que bientôt on pourra plus bouger.

Bénédicte : Ben on a le droit de rester en classe que si on n’a pas eu de numéro pendant la semaine.

Ophélie : Ouais, on peut mettre un feu pour la semaine en comportement…



8 octobre : premières lois

 

Animatrice : Charline—Secrétaire : Tiffany

 

(…)

Charline : On peut passer à la rubrique « Je n’ai pas aimé ». Alexis a la parole.

Alexis : J’ai pas aimé Abdesselam, mardi, il m’a piqué ma trousse.

Abdesselam : C’était pour jouer !

Ophélie : Ouais, ben t’as pas à jouer avec les affaires des autres !

Charline : Qu’est-ce qu’on fait ?

Franck : On n’a qu’à mettre un numéro 4 à Abdesselam !

Abdesselam : C’est quoi un numéro 4 ?

Charline : Quand t’as pas respecté une règle, t’as un numéro. C’est le numéro de la règle qu’il faut respecter.

Cyril : De toute façon, les numéros, ça sert à rien, ça marche pas. On a beau se prendre des numéros, on continue quand même à pas respecter les règles.

Bénédicte : Oh ben Cyril, parle pour toi !

Charline : Alors, qu’est ce qu’on fait ?

(…)



 

 

Le "petit livre "à 1 f

Décembre 2000

Le « Petit livre à 1 franc » :

Diffusion immédiate d'un texte libre
 
Lorsque j'ai lancé une production de textes libres il y a quatre ans dans ma CLAD (une classe spécialisée à très petit effectif en Maison d'Enfants à Caractère Social, dans laquelle j'accueillais des enfants en âge de cycle 3, mais de niveaux relevant davantage de cycle 2), je me suis posé la question d'une diffusion motivante et surtout rapide. Les enfants, pour lesquels c'était une complète nouveauté, auraient probablement été déçus de devoir attendre, pour recueillir des impressions extérieures sur leurs premiers écrits, la publication d'un "Album n°l" prévue pour six semaines plus tard... J'ai donc "réactivé" un "truc" reçu de Sylvain Hannebique - la confection de petits livrets mettant en valeur un seul texte, faciles à fabriquer, et prêts à être diffusés dans un délai très court. Ces petits livrets, vendus 1 F. au profit de la coopérative de classe, ont connu un assez beau succès, et même suscité quelques vocations de collectionneurs chez les acheteurs habituels (pour l'essentiel dans le personnel de la Maison d'Enfants). C'est devenu une "tradition" de la classe qui en a produit depuis une bonne trentaine chaque année.

 

 

 
Voici la démarche généralement suivie:
 
1.Pour tout texte narratif susceptible d'être découpé en épisodes, je propose à son auteur d'en faire un "petit livre". Il est libre d'accepter ou de refuser.
2.Suit une discussion à propos du découpage du texte en paragraphes, en recherchant des articulations logiques, ce qui amène parfois à une réécriture partielle du texte. C'est le moment de choisir le nombre de pages : quatre si l'on n'envisage qu'un recto, sept si l'on utilise un recto/verso (il faut laisser une "page" libre pour la couverture).
3.Le texte est imprimé ou tapé à l'ordinateur et sorti sur l'imprimante.
4.Les morceaux du texte et les dessins d'accompagnement sont collés sur une demi feuille format A3 coupée en deux dans le sens de la longueur et pliée en quatre en accordéon.
5.La maquette est photocopiée. Le nombre d'exemplaires est calculé selon le nombre d'élèves, de correspondants et de ventes précédentes.
6.Une équipe choisie par l'auteur s'occupe du pliage des exemplaires et du collage sur chacun d'eux d'une "couverture" photocopiée sur papier couleur.
7.Comme tout le monde profite de la coopérative, tout le monde participe à la vente, y compris le maître !
 
Jean-Marc Guerrien,

 

Le classeur de français

Décembre 2000
Florence Saint-Luc
institutrice classe CM1 CM2
école La Planquette
83130 La Garde
Institut Varois de l'Ecole Moderne



Permettre à chaque enfant de construire son shéma linguistique en gardant la trace de ses tâtonnements successifs, tel est l’objet de cet outil élaboré par Florence Saint-Luc pour sa classe de CM1 CM2.



C’est un outil en expérimentation pour les élèves du CE1 au CM2 mais les derniers développements apportés laissent à penser qu’il pourrait être utilisé dès le CP et poursuivi au-delà de l’école primaire... Cet outil permet à chaque enfant de construire son schéma linguistique en gardant la trace des tâtonnements successifs. Une notion abordée une année peut être approfondie l’année suivante, voire 2 ans après... La question matérielle posée est celle de la solidité des feuilles, mais on peut y pallier en les mettant sous transparents plastiques.

 

Présentation

Il représente l’inventaire des faits de langue, vus sous des aspects différents (linguistiques, organisationnels, grammaticaux, phonétiques, étymologiques ...) organisés en 9 parties principales :

 

-typologies des textes

-la phrase et le sens

-l’observation des mots

-les classes de mots

-les homonymes grammaticaux

-les fonctions

-les accords

-la conjugaison

-la phonétique

-le dictionnaire.

 

 

Les notions sont classées suivant une numérotation décimale de 3 chiffres. Les nombres terminés par zéro traitent de généralités, exemples :

000 grammaire du texte ; différents types d’écrits, généralités.

010 écrits prescriptifs : généralités

Il est constitué d’un simple classeur. A l’emploi, il est important que les enfants n’utilisent qu’une feuille par notion abordée de manière à classer celle-ci sans difficulté et à pouvoir y revenir aisément soit pour la compléter, soit pour y apporter d’autres exemples.

   

Son emploi,

le moment déclencheur

 

Premier cas :

 

Lorsqu’un problème est rencontré dans un texte d’enfant ou pour la préparation des brevets, ou encore lorsqu’un texte permet d’aborder un nouveau type d’écrit, une page est ouverte dans le classeur.

Lorsque je trouve un certain type d’erreurs dans un texte, j’effectue un premier toilettage qui ne laisse que ce type d’erreurs : par exemple, la concordance des temps ou les adjectifs, etc...

Le texte est alors travaillé collectivement sur ce thème et il sert desupport à une page nouvelle du classeur de français.

 

Il m’arrive de tomber sur des textes d’enfants ayant de très grosses difficultés ; ne pouvant comprendre le sens, à cause d’une syntaxe plus qu’incertaine, ou une ponctuation absente, je ne vois pas comment aider l’enfant à reformuler son histoire.

Le texte est alors repris avec la classe, avec un jeu de questions-réponses, et plusieurs enfants reformulent des phrases de manière différente, et c’est l’auteur qui donne son accord pour la version définitive. Des textes de ce type ont servi de support à un travail sur la ponctuation .

 

Au niveau de la forme, nous avons répondu à certains besoins. Nous avons essayé d’analyser des petites annonces, des recettes de cuisine. Pour la recette de cuisine, nous avons dégagé, à travers des recettes humoristiques proposés par les enfants 3 différentes possibilités, avec l’emploi du présent sous 3 modes différents : indicatif, infinitif, impératif. En ce qui concerne les petites annonces, cette étude a été le point de départ de créations fantaisistes pour les enfants. L’annonce d’une naissance a été l’occasion de travailler le faire-part. La communication des règles d’un jeu aux correspondants nous a permis d’aborder de type d’écrit prescriptif.

 

Deuxième cas

 

Au hasard du travail de la classe (et pas forcément pendant des leçons de français), un enfant déclare à la classe qu’il a observé tel fait de langue. Il est alors invité à l’écrire sur une fiche T qu’il va placer dans un planning métallique.

L’exploitation 

 

Des problèmes ou observations sont proposés ; les enfants en cherchent d’autres, puis élaborent des hypothèses qui vont se transformer en “règles” après vérification. Les exercices sont construits avec les élèves. Si d’autres exemples ou erreurs du même type se retrouvent plus tard, si les règles ont besoin d’être précisées ultérieurement ou les années suivantes, la page peut être complétée ou enrichie d’une deuxième page si nécessaire.

 

Le classement

 

A la fin de chaque séance d’étude collective d’un sujet, un titre est donné à la fiche ainsi que son numéro d’après la nomenclature de l’enseignant. Il est nécessaire, au moins une fois au début, de prévoir, lorsqu’un certain nombre de fiches ont été écrites, une séance de rangement de celles-ci à l’intérieur du classeur. En effet, ce genre de rangement ne va pas de soi pour les enfants. Par la suite, les feuilles sont rangées par les enfants sans l’aide de l’adulte.

L’intérêt serait de pouvoir conserver le classeur plusieurs années pour retrouver chaque type de difficulté en se remettant en mémoire ce qui a été vu en l’abordant d’une manière plus approfondie ou avec un nouvel éclairage. Les accords sujets-verbes ne vont pas se poser de la même façon en CE, en CM, ou en secondaire. Il est pourtant bon à chaque fois de repartir sur les anciennes bases ; cela permet à certains qui n’étaient pas mûrs à ce moment-là de revoir les notions afin de mieux les assimiler. 

 

Aller plus loin :

 

Il serait nécessaire :

 

-d’améliorer la nomenclature ainsi que le classement utilisé jusqu’alors ;

 

-de théoriser sur l’emploi et l’utilité de celui-ci ;

 

-de réfléchir à la possibilité de fabriquer un outil publiable.

 

Florence Saint-Luc



L’exemple de l’adjectif

 

Une année, l’adjectif avait été rencontré lors de l’écriture de la lettre de présentation des correspondants.Un premier niveau de lois d’accord adjectifs-noms avait été proposé. Les enfants avaient observé des irrégularités concernant l’accord des adjectifs de couleur, mais ils n’avaient pu émettre de lois à ce sujet. Ce n’est que plus tard, avec les élèves de CM1 que j’avais gardés au CM2 que nous sommes revenus sur le sujet et qu’ils ont pu émettre des lois permettant d’élucider le fonctionnement de l’accord avec les adjectifs de couleur. Il leur avait fallu du temps, de la maturation, et l’augmentation du corpus d’étude, pour arriver à résoudre ce problème.

D’autres pratiques du classeur de français ont été décrites dans le Nouvel Educateur :

 

Vers une méthode naturelle

d’étude de la langue,

dossier du numéro 115 (janvier 2000)

 

Pratiques de classe: le classeur de français

numéro 88 (avril 97)



 

Le chantier outils d'apprentissages de l'ICEM travaille actuellement à l'élaboration d'un classeur de français. Ce module de travail est animé par A-Marie Maubert. Si vous souhaitez y participer, contactez la :

Rue de la Roussille,

63910 VERTAIZON.

Tél : 04 73 68 03 60.

Mél : 

MAUBERT.MICHEL[arobase]wanadoo.fr

 

Les valeurs dans le Mouvement Freinet

Décembre 2000

 

PERMANENCE OU MUTATION ?
Travail, nature, liberté, participant de ou à ce que Freinet appelle "l'élan vital", richesses individuelles au service d'une communauté démocratique où se développent coopération, entraide, et solidarité, justice, équité des chances, fraternité, chaleur, convivialité... comment ces valeurs ont-elles survécu aux grands bouleversements qui ont ébranlé le siècle ?
Qu'est-ce qui définit le freinétiste d'aujourd'hui au plan de ses croyances, de ses convictions, de ce à quoi il adhère ?
 
Le Freinétiste en question
 
Plus que jamais il semble malaisé de distinguer « l’instit Freinet » de ses collègues. En effet, la loi d'orientation de 89 qui, par la mise en place des cycles à l'école élémentaire, place "l'enfant au cœur du processus éducatif" et met ainsi l'accent sur la nécessaire prise en compte de ses rythmes, de ses capacités, de ses démarches et de ses représentations, discours dans lequel on aura reconnu de larges emprunts à la pédagogie Freinet, contribue à brouiller les repères identitaires. On objectera, avec raison, que les réformes se suivent telles des caravanes, sans jamais vraiment s’arrêter... Ainsi, l'instituteur, voyant arriver une réforme, lève la tête, regarde d'un air distrait passer le courant novateur et...retourne à sa dictée. Mais il aura eu le temps de saisir au vol les quelques termes mis ou remis à la mode par les théoriciens travaillant dans les hautes sphères ministérielles de la didactique pour en saupoudrer son discours et le réajuster aux attentes institutionnelles.
En outre, texte libre, journal scolaire, correspondance, fichiers autocorrectif, classe transplantée, chacune de ces pratiques, largement diffusée dans les écoles, a perdu depuis longtemps le label Freinet en tant que technique, certes, mais bien davantage encore comme élément constitutif d'une méthode. A qui donc s'adresser si on veut parler aux freinétistes puisqu'aussi bien ni leur discours ni leurs techniques ne vont permettre de les reconnaître ?
C'est pourtant vers ceux qui utilisent ces techniques que je suis allée pour mener mon enquête. Deux dimensions donc caractérisent ma population : se reconnaître comme enseignant Freinet et pratiquer le militantisme coopératif dans l'une des instances nationales ou départementales du mouvement.
 
Siffler en travaillant...
 
S'il concède quelque intérêt aux savoirs en tant que tels, le freinétiste ne les envisage jamais comme fins mais comme moyens d'accéder à la réalisation idéale et maximale de soi-même : "Apprendre à lire, écrire", "maîtriser la langue écrite et orale", "acquérir des connaissances", "s'approprier une culture générale" , autant d'items qui ne seront cités que pour être rattachés à des visées plus générales qui les transcendent largement : "pour pouvoir rencontrer les autres", "pour favoriser le désir de grandir", "susciter la curiosité", "s'approprier des outils qui les aideront à mieux comprendre et appréhender le monde", "permettre d'exprimer des avis, des choix, des opinions"...
Quant au travail, il n'est jamais saisi dans son aspect productif. Le terme d'ailleurs n'est prononcé que par une seule personne sur les quarante interrogées. Pourtant, la quasi totalité des maîtres "produisent" un journal en classe (67 sur 80). Sans doute, le terme et la chose ne sont plus conçus, à la manière de Freinet, comme une tâche qui, bien qu'ancrée dans la vie, demandait peine et effort. Aujourd'hui, ce qui semble guider davantage le freinétiste, ce sont les notions de plaisir, de désir, de goût pour... Que ce soit d'ailleurs pour le beau ou l'effort, l'essentiel c'est que cela se passe dans "l'harmonie". On peut se demander si la thématique de la nature qui revêtait chez Freinet un caractère un peu idyllique, ou mythique, et qui est totalement absente du discours actuel, ne trouve pas là matière à transposition.
Autre changement spectaculaire et tout aussi significatif d'un bouleversement dans la façon de concevoir le travail : il semblerait qu'on soit passé d'une conception plutôt manuelle ou pragmatique, voire bucolique, à une autre plus générale, plus intellectuelle aussi. Cette conception du travail est bien davantage en rapport avec la réalité d'aujourd'hui. D'une part, la désertification des campagnes comme lieux d'activité professionnelle ou de vie, et son corollaire l'éclosion des grands ensembles H.L.M. à la périphérie des villes, ont contribué à bouleverser les représentations liées au travail et à la nature. Cette dernière, connotée chez Freinet d'un rousseauisme à quoi renvoyait le bon sens paysan du père Mathieu, est rejetée pour l'heure dans un univers de loisirs possibles que colore un soupçon d'ennui (voir le film de B.Tavernier « Un dimanche à la campagne ») , et à quoi ne peut s’associer l'idée même de travail.
La deuxième raison qui contribue à modifier notre paysage mental sur le thème du travail est en relation plus directe avec le rôle de l'école d'aujourd'hui, reliée au collège et au lycée sans qu'il y ait solution de continuité dans les objectifs fondamentaux ; ce qui n'était pas le cas à l'époque, où les enfants pouvaient au sortir de l'école élémentaire, entrer dans la vie active, à quoi elle se devait donc de les préparer. Dans cette logique d'apprentissage, où l'école élémentaire n'est que le premier maillon d'une longue chaîne, les instituteurs Freinet centrent leurs objectifs sur l'acquisition de compétences d'ordre méthodologique, sur des attitudes face au travail : "confiance en soi et dans ses propres démarches", "favoriser un esprit de recherche", "développer, entretenir la curiosité, l'esprit critique", sans oublier la sacro-sainte et incontournable autonomie... Trois personnes interrogées sur quatre mettent en avant la nécessité de travailler avec les enfants dans cette direction.
Certes, les techniques subsistent, les freinétistes perpétuent la tradition du texte libre, (71/80), du journal scolaire (66/80), de la correspondance inter-classe (68/80) à l'aide bien souvent d'un fax ou d'un minitel, lesquels côtoient sans "accrochages" la vieille imprimerie, des fichiers autocorrectifs (71/80) et du conseil coopératif (71/80); mais si elles continuent de se légitimer par une recherche de sens pour les apprentissages, un ancrage dans la vie, dans le "vrai", leurs utilisations présentent moins d'intérêt en tant qu'elles exaltent le goût du travail productif, qu'en tant que moyens d'acquérir des compétences en relation avec le fait même d'apprendre. Pour les instituteurs Freinet, l'école retrouve sa signification première : elle ne fabrique plus de bons ouvriers sachant maîtriser 1'outil et par la même se libérant de l'aliénation bourgeoise, elle prépare à apprendre encore et toujours, elle aide à mobiliser toutes ses facultés, non pas, à l'instar de l'école traditionnelle, dans une logique de "lutte des places", mais bien, elle aussi, dans une perspective d'études longues.
 
Vie coopérative...
les autres et moi
 
Pour Freinet, la vie "vraie", active, intéressante, modèle et référence ultime, résidait dans le travail champêtre ou artisanal. L'instituteur d'aujourd'hui ouvre encore volontiers sa classe au monde extérieur : sortie-enquête, album, intervenants occasionnels, correspondance... mais il ne considère plus que la vie s'arrête à la porte de l'école. Laquelle porte d’ailleurs il sait refermer afin de délimiter un territoire dont le rôle et les prérogatives ne le confondent avec aucun autre. La vie, c'est alors ce qui se passe entre les individus. Nous sommes en pleine socialisation. Il est bien évident que cette dimension n'échappait pas à Freinet, elle était même au cœur de ses pratiques. Toute la différence réside alors dans l'importance de ce qui tisse la relation aux autres. Pour Freinet, le travail étant au centre, c'est à travers lui et par lui que s'élaborent les repères et les règles de vie au quotidien, ce que P.Boumard appelle " une citoyenneté pratique" (1). Le travail médiatise en quelque sorte la relation entre les personnes. Freinet instaure le conseil, lieu de parole où se dit la relation problématique entre l'individu et les autres. Et c'est dans ce dernier pluriel que réside toute la différence entre ce qui se jouait alors et ce qui se joue maintenant dans les classes Freinet. « Au cours de la discussion qui suit, et dont nous allons dire le déroulement, nous expliquons qu’on ne doit incrire sur le journal (sorte d’ordre du jour), que les critiques à incidences sociales, et non les petites histoires plus ou moins personnelles (...). Vous verrez d’ailleurs à l’usage que la sélection s’opère fort bien et que les critiques seront prises en considération dans la mesure justement où elles intéressent la communauté ». (2)
 
Moi et... moi
On parle à présent, dans les classes coopératives qui fonctionnent en pédagogie institutionnelle, de la gestion des conflits entre les enfants. Les histoires interpersonnelles y ont une place non négligeable. Pour la pratiquer moi-même, j’irai jusqu’à dire qu’elles occupent, dans un premier temps, la place essentielle de la partie « je critique » du conseil. Ce qui justifie cette nouvelle prise en compte, tout au moins par rapport à l’époque de Freinet, s’énonce en termes de « rapport à la loi », « castration symbolique », « identification », « transfert », « médiation », « toute puissance fantasmatique »... La psychanalyse est arrivée à l’ICEM avec Fernand Oury par une porte qui s’est refermée sur lui avec fracas parce qu’il heurtait les conceptions du fondateur. (3) Elle y est revenue s’inscrire en tant que tendance dissidente mais intégrée. Elle y a joué et joue encore un rôle de moteur et d’ouverture, aussi bien parmi les praticiens que parmi les « écrivants » : Oury, Pochet, Laffitte, Imbert, Pain,... De nos jours, personne dans le mouvement ne peut prétendre ignorer la pédagogie institutionnelle ; on y fait référence, ne serait-ce que pour s’en démarquer. La pédagogie institutionnelle a modifié les orientations du mouvement Freinet en ceci que la nature même de la doctrine freudienne à quoi elle se réfère, en adéquation, voire en interrelation dialectique avec les tendances de l'éthique sociale actuelle que véhiculent les instituteurs Freinet par la force des choses, les ont contraints à un regard différent et différencié sur leur classe en général, et chacun de leurs élèves en particulier. Les effets conjugués de la psychanalyse qui met l'accent sur la singularité de l'histoire individuelle, et de la société de consommation « boulimique et nourrissonnesque » (4) qui flatte le narcissisme, ont infléchi de façon sensible le concept « d’enfant au centre du système éducatif » tel que l'avait défini Freinet au début du siècle.
Ainsi, cette vague d'individualisme se perçoit aussi bien dans le discours sur les valeurs des freinétistes que dans celui des non-freinétistes : l'idée-force, le leitmotiv, la référence ultime, c'est "l'épanouissement de l'enfant". On ne peut le nier, aujourd'hui, à l'école, l'enfant est au centre... des discours sur les pratiques avec un pourcentage d'items y référant dépassant largement la moitié des idées exprimées. (Au détriment des savoirs : pour les freinétistes comme pour les autres, ils avoisinent les vingt pour cent). On avait d'ailleurs déja perçu cette tendance vers quelque chose qui ressemblerait à une "paradisation" (comme on parle de "diabolisation") de l'école à propos de l'attitude face au travail et de la recherche concomittente d'une espèce d'harmonie. Il est vrai que l'on se place au niveau des idéaux, des objectifs à atteindre, des valeurs à transmettre et qu'on se situe alors dans une perspective lointaine qui ne reflète pas forcément la vie scolaire au quotidien, même si l'on sait qu'en matière d'école, les fins justifient les moyens...
 
Moi... et les autres
 
La dimension sociale inscrite au cœur de la pédagogie Freinet, malgré une nette centration sur l'enfant dans sa subjectivité, perdure contre vents et marées. Parallèlement à ce positionnement, on observe que parmi les instituteurs Freinet interrogés, 80% sont syndiqués et qu'un bon tiers d'entre eux se considèrent comme militants syndicaux actifs (contre 35% environ d'enseignants syndiqués au niveau national). On a donc là une sensibilisation particulière à notre population qui reflète vraisemblablement celle du mouvement dans son ensemble et qu'on retrouve d'ailleurs encore et toujours inscrite à l'intérieur même des manifestations ou des productions nationales.
Je n'argumenterai pas sur la réalité ou non de la dimension politique de la pensée du fondateur. D'autres plus compétents en la matière l'ont déjà fait (Piaton, Boumard, Houssaye, Le grand.) (5). Ce qui semble avéré aujourd'hui, c'est que les pédagogues Freinet ne font sans doute pas de la politique leur cheval de bataille, mais ils sont pour la plupart conscients que leur choix pédagogique participe d'un ensemble idéologique auquel ils adhèrent, qu'il ne peut se ramener "à des paroles ou à des écrits, mais se trouve matérialisé dans des outils, des techniques, des structures et de institutions" (6) et dont les principes gravitent autour du refus de l'élitisme et de la lutte contre les déterminismes socio-économiques.
Pour Freinet, on se souvient que l'épanouissement individuel ne l'intéresse que pour autant qu'il sert la communauté. La relation aux autres est ouverture vers eux dans une visée humaniste. Certes, on retrouve aussi dans le discours des freinétistes les idées de coopération, d'entraide, de solidarité, mais n'assiste-t-on pas nonobstant, à une inversion de polarisation entre les "acteurs" du système, les autres et moi, avec une prédominance pour le sujet, ce qui d'ailleurs procéderait de la logique de l'éthique actuelle que nous avons déjà eu ici l'occasion d'observer ?
Conclusion
 
Qui visite aujourd'hui une classe Freinet peut encore s'étonner de l'aspect insolite de ce qu'il découvre d'emblée : disposition des tables facilitant les échanges entre les élèves, affichage où dominent des réalisations enfantines, présence d'outils abondants qui témoignent de l'intérêt accordé au travail productif. A travers ces différentes observations, notre visiteur peut aussi s'émouvoir de l'étonnante pérennité d'une pédagogie vieille de plus d'un demi-siècle, dans laquelle il reconnaîtra, à travers son immuable matérialisme, la place centrale accordée à l'enfant, à l'apprentissage par le faire, à la création, à la socialisation, toutes valeurs chères au fondateur. Car l'instituteur Freinet d'aujourd'hui y croit encore, à ces valeurs qui font d'un homme un être profondément social. Et il met tout en œuvre pour qu'elles soient travaillées à l'école. Les techniques ne manquent pas, des anciennes élaborées par le précurseur : conseil des enfants, productions coopératives, correspondance... aux plus récentes : évaluation par les couleurs, ceintures de comportement, jusqu’à la monnaie intérieure tant controversée dont le but parfois si mal perçu est là encore de faciliter échanges et médiations.
 
Pourtant, notre visiteur ne manquera pas de repérer des divergences. Tout d'abord, il observera que les moyens utilisés se sont modernisés, si ce n'est dans l'esprit, en tout cas dans la lettre. Lettre d'imprimerie supplantée par le clavier d'ordinateur, lettre de papier envoyée aux correspondants que l'usage de plus en plus courant de la messagerie minitel ou du fax tend à rendre caduque.
 
Par ailleurs, on ne retrouve guère trace de la Nature ni dans le discours des praticiens, ni dans l'affichage, ni dans les productions des enfants. Même cet arbre qu'ils continuent comme autrefois à dessiner spontanément renvoie sans doute bien davantage à une symbolisation de fantasmes archaïques qu’à une préoccupation de type bucolique. La thématique de la nature, chez Freinet, conditionnait de façon évidente ses conceptions du travail. Ainsi, à une représentation très centrée sur la production manuelle, ne s'étonnera-t-on pas de voir se substituer une autre plus intellectuelle, plus ludique aussi, en adéquation avec l'époque marquée par l'apologie des loisirs et la fête de la consommation. Ere de l'épiphanie, ère du narcissisme auquel l'instituteur Freinet ne saurait totalement échapper. Ainsi, l'infléchissement d'une sensibilité de type social vers une autre plus individualiste se fait sentir, du discours à la pratique, ou inversement, de manière insidieuse et souvent même inconsciente.
Y a-t-il lieu de s'en réjouir ? De le regretter ?
Qu'entrent les enfants dans la classe, et que notre observateur les voit s'activer pour que paraisse le journal scolaire, discuter sur le contenu de l'envoi aux correspondants, décider d'une sortie enquête, s'organiser pour qu'elle se réalise, produire des textes, des poèmes des albums ou un spectacle, alors, au-delà du temps écoulé, au-delà des valeurs imposées par l'histoire et la modernité, peut-être retrouvera-t-il son étonnement, voire son émotion première. La ruche qu'aimait à évoquer Freinet en parlant de sa classe bourdonne du même enthousiasme. Pour rester identique, il fallait donc être différent.
Martine Boncourt
 
 
 
 
Notes :
 
(1)     P.Boumard,"Célestin Freinet, un praticien constructiviste", in Le Télémaque, Education et Philosophie, n°7 et 8, octobre 1996.
(2)     C.Freinet, L’éducation au travail
(3)     R. Fonvieille, L 'aventure du mouvement Freinet, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989.
(4) G. Mendel, 54 millions d'individus sans appartenance...Paris, Laffont, 1983.
(5) G. Piaton La pensée pédagogique de Célestin Freinet, La Nouvelle Recherche, Privat, Toulouse, 1974.
P. Boumard, op, cit.
J. Houssaye, "Freinet: pédagogue socialiste", in Actualité de la pédagogie Freinet, sous la direction de P. Clanché et de J. Testanière, P.Il.B, 1989.
L. Legrand, "Célestin Freinet et l'idéologie d'aujourd'hui", in les cahiers Binet Simon, n° 649, 1996.
(6) La pédagogie Freinet par Ceux qui la pratiquent malgré tout, Maspéro, Paris, 1976., p,11.
 
 
 
 

 



 



Quatre-vingts enseignants travaillant à l'I.C.E.M. et répartis sur toute la France ont bien voulu se soumettre à un questionnaire réalisé par Martine Boncourt. Parmi eux, une quarantaine ont participé à un entretien semi-directif dans le but de faire émerger des valeurs qui sous-tendent leurs pratiques. Parallèlement, à titre de référence, elle a interrogé une population témoin constituée de vingt-cinq instituteurs non-freinétistes ou ne se reconnaissant pas comme tels.



L'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne du Bas-Rhin possède en propre, à la disposition des militants du département, quelques ouvrages pédagogiques, parmi lesquels les livres d'Elise et de Célestin Freinet. Entre autres, 1"'Essai de psychologie sensible" dans son édition de 1950 qui, de mémoire de freinétiste retraité, a toujours figuré là, acheté sans doute par un compagnon de la toute première heure. Or, quelle ne fut pas ma surprise de constater que les pages de ce livre n'avaient jamais été coupées...
Comment interpréter cette étonnante découverte ?
peut-on y voir le signe manifeste d'un désintérêt pour les valeurs fondatrices du mouvement, et ce, dans les rangs mêmes des plus fidèles de ses adeptes ? Et dans ce cas, que reste-t-il des idées-force qui ont sous-tendu la construction de l'édifice ? L'écume ? L'apparence ? La lettre ? Les techniques dénuées de toute philosophie ? Quelque chose qu'on dénonce ailleurs avec un rien d'amertume, comme participant d'une tentative de récupération ?
Enseignante Freinet depuis une vingtaine d'années, habituée à travailler avec d'autres militants du mouvement sur nos pratiques, à fréquenter en outre ses instances (congrès, stages, journaux...), je ne fus pas tentée longtemps d'apporter du crédit à cette idée. Car s 'il est vrai que tout évolue, que le contexte historique, économique, social, façonne les mentalités, que la technologie galopante, les recherches en sciences sociales et humaines, contribuent à faire éclater les références, les convictions, les adhésions, que l’instituteur Freinet d'aujourd'hui n'échappe pas à la modernité et que par conséquent il n'est pas la copie conforme du compagnon de route du fondateur, ce livre de base, de chevet, que dis-je ? cette "bible" restée fermée pendant 47 ans, pourrait être l'indice d'un changement fondamental comme aussi bien celui d'une réalité plus complexe ou très différente et qui, pour l'heure, m'échappe. Aussi, foin des conclusions hâtives sur l'état de "santé" du mouvement, ce fait banal et plutôt amusant valait d'être noté même s'il ne suffisait pas à lui seul pour convoquer à la réflexion et susciter un questionnement qui, par ailleurs, s'impose.
M. B.



Extrait de « Les valeurs dans le mouvement Freinet, permanence ou mutation », in questions de recherche en Éducation. Laboratoire CIVIIC - Université de Rouen. INRP. 1999.



 



Strasbourg. Samedi 29 mars 1997. Manifestation contre le Front National…
Dans le cortège en marche, je retrouve Patricia. Elle vient de rencontrer Michel qui déambule au côté d'André et de Liliane. Voici Raphaël venu avec Paul et Marguerite. Ilse est là aussi que j'ai aperçue tenant la banderole de la C.F.D.T.. Et puis les autres, tous ceux qui n'ont jamais lu 1' "Essai de Psychologie Sensible" dans son édition de 1950 et que la foule aspire dans sa lente progression.
L'instituteur Freinet, en marge, peut-être - il paraît que cela fait partie de son identité - mais l'occurrence, dans la marge intérieure, dans le courant, dans le flot de ceux qui défilent pour des valeurs semblables à celles qui ont présidé à l’édification du mouvement dans lequel il milite et qui sont, pour l'heure, menacées...
Son histoire n'est pas simple, pas linéaire ; elle est faite de convictions, de remises en cause, d’abandons, et de fidélité. Abandon de ce qui fut marqué par une époque : la croyance dans une société dirigée par un prolétariat libéré, marqué aussi par la personne même du fondateur et sa foi dans les vertus de la nature et du travail manuel. Mais fidélité à des valeurs universelles en démocratie, fidélité dans la recherche des moyens pour les transmettre, dans une posture de vie qui dit ouverture et par là même évolution, échanges, action, changement, adaptabilité, avec les errances et les erreurs que cela suppose, qui dit encore au fond ce que disait Freinet quand il parlait de la vie à quoi l’école doit ressembler : "non pas un état, un devenir."

 

Pas de paix sans justice

Décembre 2000

Editorial

 
Pas de paix sans justice
 
 
A l’heure où j’écris ces lignes, impossible de prévoir comment évoluera la situation au Proche-Orient. Un immense espoir s’était pourtant levé lors de la signature des accords d’Oslo, en septembre 1993. Au terme d’un processus long, difficile et douloureux, entamé depuis plus de trente ans entre Israël et l’OLP, ces accords marquaient une avancée considérable. Hélas, l’espoir d’une paix juste et d’un compromis fondé sur la coexistence de deux États s’est écroulé en quelques jours. La violence sanguinaire a tout balayé.
A l’indignation unanime face au meurtre délibéré d’un enfant comme au lynchage de deux soldats, a succédé la banalisation de l’horreur. Chaque jour qui passe égrène le sinistre décompte des jeunes palestiniens tués par les balles israéliennes. Répondre aux pierres par des balles, à des tirs isolés par les roquettes des hélicoptères et les obus des chars est un engrenage dont Israël ne sortira pas facilement. Le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, elle-même, dénonce, « l’usage excessif et disproportionné de la force contre des civils désarmés » et qualifie l’attitude de l’armée israélienne de « crime de guerre.» 
Comment ne pas comprendre la colère et la frustration de toute une jeunesse qui a voulu croire aux accords de paix et qui, sept ans après, a le sentiment que rien n’a vraiment changé ? Vivre dans des territoires bouclés par une armée d’occupation, voir l’argent destiné à l’autorité palestinienne bloquée par Israël, ne peut qu’engendrer un immense sentiment d’injustice. Le rêve d’un État indépendant, porté par les dirigeants palestiniens depuis douze ans, s’est envolé malgré toutes leurs concessions. Pourtant, rien de durable ne se construira sur l’humiliation et l’oppression. Toute l’histoire de l’humanité nous montre que l’injustice n’engendre que la violence.
Pire, certains tentent de transformer le conflit en conflit religieux. La trahison des accords de paix, c’est la victoire des fanatiques et des intégristes.
Nous qui voudrions voir advenir un monde d’où soient proscrits la guerre, le racisme et toutes les formes de discrimination, ne pouvons qu’espérer que les voix des pacifistes parviendront à se faire entendre. Nous en sommes réduits à guetter les plus faibles indices. Nous suivons les efforts de ceux qui, en Israël, refusent de hurler avec les loups et dénoncent les méfaits des forces de sécurité tout comme les courants fascistes et racistes. Nous ne pouvons qu’admirer la détermination des objecteurs de conscience israéliens qui proclament dans un manifeste « Cette guerre n’est pas notre guerre. »
On peut s’étonner, une fois encore, de l’indifférence de la communauté internationale qui a pourtant reconnu l’existence et les droits du peuple palestinien. Pourquoi l’ONU, si prompt parfois à intervenir dans les conflits, ferme-t-il les yeux sur le non-respect de ses résolutions ? Deux cent trente-trois morts à ce jour, dans leur immense majorité palestiniens, n’est-ce pas assez ? Combien de jeunes et d’enfants tués par balles faudra-t-il encore pour émouvoir les membres du Conseil de sécurité ? Comment croire encore à une justice internationale si rien n’est fait au Proche-Orient alors qu’on peut intervenir militairement ailleurs ?
Sachant qu’il n’y aura pas de paix sans justice, efforçons-nous de peser pour imposer une action internationale protégeant la population civile et ouvrant enfin la voie à l’indépendance pour les palestiniens et à la coexistence pacifique entre deux peuples appelés nécessairement à s’entendre.
 
Jean-Marie Fouquer
Président de l’ICEM-Pédagogie Freinet

 

Pédagogie Freinet en Bulgarie

Décembre 2000

 

Florence Saint-Luc et Teresa Flores dressent le bilan de leur séjour en Bulgarie, à l’invitation du Mouvement Freinet Bulgare, au cours duquel elles ont participé à l’encadrement d’un stage de formation.

 

 

 
Le mouvement bulgare
de l’école moderne
 
Le mouvement Bulgare de l'École Moderne a animé 2 stages au mois de mars 2000 : un à Kustendil, l’autre à Bansko. Le bilan de ces deux stages fut très positif, puisque plusieurs personnes se sont inscrites au mouvement Bulgare de l'École Moderne et sont venues pour le stage d’avril à Sofia.
Plusieurs professeurs de français travaillent dans le mouvement. Il est composé d’étudiants, d’enseignants de tous niveaux, de la maternelle à l’université et d’éducateurs. La moyenne d’âge est assez jeune. Il y a plusieurs écoles Freinet actuellement en Bulgarie. Le Mouvement Bulgare, se sentant assez fort, a proposé d’organiser la prochaine RIDEF en Bulgarie.
 
Nous avons été invitées par Antoaneta Toni-Kalenderova, la présidente du Mouvement Bulgare de l'École Moderne.
 
Un stage à Sofia
Education à la paix
et droits des enfants
 
Ce stage, programmé une première fois en juillet 99, n’avait pu se tenir à cause des événements au Kosovo. Il se déroulait dans l’école privée de Toni, sur les hauteurs au-dessus de Sofia, dans une magnifique villa transformée en locaux scolaires lumineux.
Le nombre de participants s’élevait à 70 personnes environ, de tous niveaux d’enseignements et de différentes régions de Bulgarie. Il y avait des expositions, elles étaient riches et variées. Un journal est sorti tous les jours, contenant les comptes-rendus d’activités, divers articles, des photos...
 
La table ronde
sur les droits de l’enfant
 
Une table ronde sur les droits de l’enfant était prévue à l’université de Sofia, avec des présentations (des chants d’enfants, ainsi que l’intervention d’un adolescent de la maison d’enfants « Assen Zlatarov » en ont été les temps forts ), des débats et des questions. Etaient présentes diverses organisations et fondations qui travaillent pour la défense des enfants. Cette action a été d’une grande répercussion, tant sur le plan pédagogique que social.
 
Les ateliers
 
-La diversité, source de richesse et de conflits (Teresa Flores)
-Le texte libre (Emilia Bikarska)
-Écoutez ! Nous aussi, nous avons
des droits... (Genadi)
-Les contes et les droits de l’enfant (Bissert)
-Stratégies contre la violence (Antonaeta Kalenderova et Sylvie Guyenot)
-Lutter contre la violence (Florence Saint-Luc)

 



Les intervenants étrangers
 
Le mouvement bulgare avait demandé à Teresa Flores d’intervenir pensant que son rôle de présidente de la Fédération Internationale des Mouvements de l'École Moderne pourrait être utile auprès du Ministère bulgare de l'Éducation Nationale et de l’université. Teresa et moi avons pu nous rencontrer le vendredi soir pour préparer le stage avec Toni et Maria, les responsables du mouvement bulgare.
 
Florence : Le samedi, j’avais 2 heures pour me présenter, avec mon expérience professionnelle, tant en classe que dans le mouvement français, au niveau local, national et international. Les questions des participants ont orienté l’intervention vers une analyse importante de la pratique, et de manière de lutter contre la violence au sein de mon école.
 
Teresa: Le dimanche, je devais présenter deux exposés, sur la FIMEM, en tant que présidente de la FIMEM, et sur le MCEP. L’emploi du temps étant très serré et les difficultés de traduction importantes, les informations demandées ont été publiées par écrit dans les revues.
 
J'ai pensé qu’il serait plus intéressant de parler des débuts du MCEP, parce que pour eux, le temps du socialisme a été un moment de manque de libertés très important et assez parallèle à notre situation politique en Espagne, bien que curieusement il y ait eut des manifestations extérieures si différentes.



Nous avons abordé le thème de la formation des groupes Freinet, et comment furent nos débuts, en nous rappelant ces années d’enquêtes, de recherches et d’études pendant lesquelles un stage de week-end servait à initier 20 enseignants qui à leur tour en formaient d’autres. J’ai situé le débat sur les points suivants : appliquer les principes de la pédagogie Freinet à la formation de l’enseignant :
a) Partir de la réalité de chacun des personnes du groupe ;
b) Le tâtonnement expérimental comme forme d’apprentissage et d’application de la connaissance : essayer, avancer, réfléchir…;
c) La recherche et la formation personnelle, et, pour cela, traduire les articles intéressants, se servir des langues qu’ils connaissent pour souscrire des abonnements à des revues de mouvements de différents pays où l’on peut recevoir des idées sur des expériences et suivre des débats ;
d) La mise en commun des expériences quotidiennes, pour pouvoir aller plus loin, les transmettre et reconnaître la valeur du travail ;
e) Le travail coopératif pour communiquer, échanger, apprendre à apprendre, en réalisant des projets communs, en approfondissant le travail. J’ai mis l’accent sur le fait que ce n’est pas tant les techniques, ni l’absence de matériel, qui oppriment, mais qu’il faut plutôt prendre conscience que l’on est animé par une philosophie déterminée, et que l’on a besoin de personne pour venir se former, en prenant en compte le niveau de gêne que l’on peut avoir et la clarté dans la façon de poser les problèmes.
 
Teresa Flores
MCEP (Mouvement Freinet espagnol)



Les visites de classe
 
Nous avons été invitées à visiter trois lieux :
 
1°- L’école N°99 “Brezitchka” (le bouleau) est située au centre de Sofia. Beaucoup de moyens humains ont été mis à la disposition de cette école, qui a très bonne réputation à Sofia. Elle compte plusieurs adhérents au mouvement bulgare depuis quelques mois. Plusieurs impressions se dégagent de cette visite : de la créativité, un profond respect de l’environnement, des enfants impliqués dans leurs activités, beaucoup de sérénité.
 
2°- l’école Zornitsa, unité Freinet au sein d’une école traditionnelle. Il y a un contraste saisissant entre les deux parties du groupe scolaire public. Les couleurs et la vie sont présentes dans la partie “Freinet”, et absentes dans l’autre morceau du groupe scolaire. L’édifice a une certaine majesté. Par contre, les locaux sont vraiment exigus. Un des grands projets de l’année dernière a été la production d’un calendrier sur les droits de l’enfant, avec des peintures et des poèmes. Bisser, l’éducateur qui s’occupait de ce projet, a présenté un groupe d’enfants avec 3 créations de chansons sur les droits de l’enfant pendant la table ronde.
 
Florence Saint-Luc
ICEM, groupe départemental du Var
 
3°- Visite à la maison d’enfants “Assen Zlatarov”
 
Zoïa Milanova, psychologue scolaire, a fondé cette maison d’enfants. Elle applique les principes de la pédagogie Freinet dans son établissement. La maison d’enfants a été créée par une fondation en 1936, eIle était prévue pour accueillir des orphelins mais elle a fini par accueillir 90 garçons et filles de 7 à 18 ans provenant de familles déstructurées de toutes sortes : 50% d’enfants tsiganes de mères célibataires, 5 % d’orphelins, le reste du groupe étant constitué d’enfants issus de familles monoparentales ou de parents plus ou moins invalides ou accusés de mauvais traitements envers leurs enfants.
L’équipe éducative est composée de 20 spécialistes, parmi lesquels quatorze ont fait des études de pédagogie sociale et sont les tuteurs, il y a aussi un assistant social, et plusieurs éducateurs qui sont aidés par des élèves des écoles et des volontaires de la Croix Rouge.
 
L’essentiel des objectifs se situe autour de l’autonomie, pour que les habitants du centre apprennent peu à peu à se débrouiller pour voler ensuite de leurs propres ailes. Les enfants concernés par cette forme de travail sont ceux ayant été victimes de mauvais traitements, de violences sexuelles ou de l’alcoolisme de leurs parents, ou encore d'hyper protection avec profonde dépendance. Dans ce cadre, le travail se fait dans des groupes très réduits. Une autre orientation est la créativité. Une exposition a été organisée avec certaines productions de réelle qualité.
 
Chaque groupe est initié à la pédagogie Freinet par le biais des ateliers et des conseils de coopérative hebdomadaires avec des spécialistes et les enfants pour l’organisation générale. Ce n’est pas une pratique habituelle en Bulgarie ; la tendance dans des centres de ce type est de tout faire à la place des enfants, ils ne sont pas du tout préparés à la vie et cela accentue encore plus leurs problèmes. Maintenant les élèves travaillent pour eux-mêmes et les résultats sont visibles.
 
Comme dans les autres maisons d’enfants, les élèves suivent une scolarité normale près de leur maison d’enfants. Les éducateurs essayent d’avoir une action coordonnée avec les professeurs, adaptant sans cesse leur forme de travail. Il faut signaler que ces enfants sont répartis dans différentes classes et écoles pour faciliter au maximum leur intégration. Presque tous sortent habituellement les week-ends pour visiter leur famille.



 

 

Une année sur Acticem

Décembre 2000

Rentrée scolaire 1999 : l’école élémentaire de Marmoutier a accès à internet. Elle dispose d’une salle informatique dotée de neuf nouveaux ordinateurs, reliés en réseau. Yves Comte* dispose d’un P.C. connecté dans sa classe. Cet équipement, plusieurs collègues l’ont souhaité. Maintenant qu’il est là, il s’agit de démontrer son utilité.

 
 

 



Les prémices
 
Convaincu des vastes possibilités en matière de correspondance, je pense tout de suite aux fonctions de courrier. Mais, à qui écrire ? Comme l’année démarre et que notre site d’école donne les adresses internet des maîtres de chaque classe, l’idée nous vient de proposer aux élèves d’écrire à leur maître de l’année dernière.
               
Paradoxal ! direz-vous. Ils disposent de l’accès à la planète entière et ils communiquent en virtualité avec le maître ou la maîtresse qu’ils pourront croiser en chair et en os pendant la récréation. Vous pourriez même ajouter : Encore une démonstration de cette déshumanisation des rapports qu’engendrent ces nouvelles technologies.
               
Paradoxal, en effet... Figurez-vous que nous n’en sommes qu’au premier des paradoxes de cette communication et que d’autres nous attendent encore. Parce que d’abord, tous les élèves se laissent prendre au jeu des messages au maître de l’année passée, même ceux qui sont nouveaux dans l’école ! Parce qu’ensuite un échange réel a lieu sur environ deux semaines et qu’il s’exprime là des choses qui n’auraient pas été exprimées autrement. Il flotte dans l’air comme une complicité silencieuse entre anciens élèves et enseignants. Un passage est vécu et un regard distancié et responsabilisant peut être porté dessus.
               
J’ai découvert que cette communication électronique rapprochait les proches, tout en stimulant l’intérêt pour le lointain qui devenait facilement accessible. (Voir les échanges de Jérôme avec l’école d’Engenthal).
 
Découverte d’Acticem
 
Lors de la réunion de rentrée du groupe départemental du Bas Rhin, emporté par une fougue toute nouvelle, je lance un appel à tous les “ branchés ” pour mener des échanges électroniques réguliers. Quelqu’un évoque l’existence de la liste de diffusion Acticem accessible sur le site web Freinet. Pourquoi ne pas essayer et s’inscrire ?
 
Un foisonnement perturbateur
 
Ma classe est donc inscrite sur Acticem et les courriers tombent tous les jours. Nous sommes, mes élèves et moi surpris du volume, une moyenne de 4 à 5 nouveaux courriers, et souvent autant de réponses ! Mais nous sommes aussi tout de suite accrochés par la diversité des courriers. C’est là que je me rends compte que je n’avais absolument pas prévu ce qui allait nous tomber dessus.
Répondre à un courrier de temps en temps, c’était sympa et tellement pédagogique. Que des élèves mènent une correspondance individuelle, ça s’intégrait harmonieusement au plan de travail et c’était bon pour faire de l’expression écrite...
 
Mais cette explosion de vie qui nous pétait à l’écran tous les matins, c’était dément. Au début, face à la nouveauté, nous avons répondu à tout ce qui arrivait, nous avons bousculé l’emploi du temps bien établi, et tant pis pour les ateliers lecture, et zut pour les textes libres, bon les maths on rattrapera... la musique, on la met en sourdine.... Après deux semaines de bricolage, une évidence s’impose il faut revoir tout cela et réorganiser le travail dans la classe.
 
L’organisation des échanges
dans ma classe
 
Dans ma classe, un élève a le métier du courrier électronique. Tous les matins quand démarre le plan de travail, il relève le courrier, lit, sélectionne et imprime ce qui lui semble intéressant. Quelquefois je jette un coup d’oeil et lui donne mon avis. Puis il distribue les messages selon un roulement qui garantit à chaque élève un tour de lecture. Les messages sont lus à la classe avant ou après la récréation du matin. Après la lecture d’un message je demande s’il y a des réactions ou si quelqu’un est intéressé. Les messages qui ne trouvent pas d’écho sont classés dans notre classeur de courrier, les autres sont traités individuellement en plan de travail ou collectivement après discussion au conseil. Il m’arrive aussi d’utiliser certains messages comme support d’activités en math, français ou sciences.
Répondre à des messages peut prendre du temps, l’élève qui choisit de répondre ou d’écrire inscrit cette activité dans son plan de travail. Le texte est toujours d’abord écrit au brouillon. Après correction l’élève la tape sur l’ordinateur, je contrôle une dernière fois et d’un seul clic, il est expédié. C’est génial !
                 
Des possibilités offertes à la classe
 
Les élèves ne sont pas intéressés par toutes les propositions qui leur sont faites, loin de là. Beaucoup de choses passent sans trouver écho auprès d’eux. C’est qu’ils ont aussi du travail et des projets par ailleurs. J’ai souvent retenu des courriers en me disant que je pourrais les exploiter collectivement : des problèmes, une recherche d’expressions françaises, des charades, des mots à retrouver. Mais une vie de classe est tellement remplie que ce ne sont restés que quelques feuilles égarées dans mon cartable. Pourtant je pense qu’il est tout à fait possible de traiter ces échanges de façon plus collective et qu’ils peuvent même constituer le socle vivant de travaux plus directement disciplinaires comme le calcul, le vocabulaire, l’orthographe, la grammaire.
 
Bilan provisoire
 
Le bilan que je pourrais dresser de cette expérience est peut-être un peu plus nuancé. En effet, un brin de lassitude semble s’être installé, les échanges sont-ils devenus plus stéréotypés ? Ou est-ce la fatigue propre à cette fin de trimestre ? Il est exact que ma classe n’a pas vraiment réussi à tenir un rôle moteur dans l’animation des échanges. C’est sûrement en partie de ma faute, l’organisation que j’ai élaborée est davantage tournée vers la consommation de courriers que vers la création. Une piste à étudier pour l’année prochaine.
 
Néanmoins, il reste que l’équipement informatique de l’école aura permis une communication soutenue dans laquelle les élèves se seront largement investis. Cette communication régulière et authentique aura donné l’occasion :
- d’écrire
- de se familiariser avec les fonctions de courrier d’internet
- de découvrir le monde proche et lointain
- de mener des recherches en math et en français
- de faire des expériences en sciences
- d’aider et d’être aidé
- de discuter, de donner son avis
- d’être curieux, mais aussi d’être responsable (suivi d’une correspondance ou d’un thème)
- et, un rien péremptoire, d’émerger à une nouvelle conscience planétaire.
 
Pour finir, la grande force de cette forme d’échange est selon moi sa souplesse. Contrairement à une correspondance à deux voix, le principe de la liste de diffusion permet de ne répondre qu’à ce qui nous intéresse et ce au moment où cela nous intéresse. On peut très bien envisager de ne fréquenter cette liste que pendant quelques semaines. Le degré d’implication peut lui aussi être gradué ; de simple lecteur consommateur à animateur de la liste. Si vous êtes comme moi à courir après 36 projets différents, ce n’est pas inintéressant de savoir que l’on pourra mettre le courrier en veilleuse pendant un certain temps.
                              
Yves Comte
 
 
 



 



Qu’est ce qu’une liste de diffusion
 
En matière de courrier électronique la comparaison avec le courrier sur papier est en général assez éclairante. On dispose d’une boîte aux lettres avec son adresse, toute personne connaissant votre adresse peut vous écrire via le service postal.
 
Une liste de diffusion, est un service spécialisé qui possède sa propre adresse, tout ce qui est envoyé à cette adresse est transmis aux abonnés de la liste.
En général il s’agit de listes thématiques. En s’abonnant on est généralement assuré de recevoir plein de courrier sur le thème qui vous intéresse. Ce courrier n’est autre que les échanges rendus publics des différents abonnés. Quand on envoie sa petite lettre à l’adresse de la liste ce sont automatiquement tous les abonnés qui la reçoivent.
  
La liste Acticem (Action Communication Télématique Internationale Classes Ecole Moderne) s’est dotée d’une charte à laquelle souscrit tout nouvel adhérent, le but en est de :
?       permettre des échanges entre les classes qui, à travers le monde, pratiquent la pédagogie Freinet.
?       développer des recherches dans le sens de la pédagogie Freinet.
?       connaître la vie des jeunes dans leurs activités créatrices.
                                                                                                             
(extrait de la charte de l’abonné)



Quelques points forts
 
Correspondance
 
Début d’année, beaucoup de courriers sont des propositions de correspondance. Plusieurs élèves de ma classe démarrent une correspondance individuelle avec des bonheurs variables. Que c’est grisant de découvrir toutes ces classes, tous ces enfants qui communiquent, tous ces noms de lieux inconnus. Courant 2eme trimestre, nouvelle vague d’appel à correspondre. Certains élèves déçus par leur correspondant cherchent un nouveau partenaire, d’autres qui n’avaient pas encore correspondu se lancent, des boulimiques veulent avoir davantage de courrier à leur nom...
 
On nous écrit de loin
 
Au fil du temps nous voyons apparaître dans notre boîte des textes de Belgique, de Suisse, d’Ouganda (“ l’école des grands lacs ” rien que le nom nous faisait à chaque fois rêver d’Afrique), de Russie pour une recherche de correspondants, et même du Brésil pour Noël. Je tapisse la classe de plusieurs cartes de grande dimension : France, Europe, planisphère, Alsace. Les courriers sont l’occasion de situer nos interlocuteurs. Mes élèves sont fascinés par le nombre d’écoles qui communiquent, il leur semble que la France est aussi exotique que les pays étrangers. Pensez donc des endroits comme   Amailloux dans le 79 (Classe des Poneys) “ Oh ils aiment les chevaux ! ”, Beaumont-Pied -de-Boeuf dans le 53 (Ecole Bizu) “ Ca fait penser à bisou... ”, l’école Célestin Freinet de Triel “ Qui c’est Célestin Freinet ? ” et encore plein d’autres. Dire qu’à chaque fois il y a de vrais enfants et de vraies classes derrière chaque adresse !
C’est dingue, on nous écrit de tout près
 
Et puis un jour, on nous écrit d’Engenthal. Ce village se trouve à une dizaine de kilomètres. C’est celui de Jérôme, un élève un peu discret de notre classe, gardé en journée par ses grands-parents, il est donc scolarisé dans notre école. Après la lecture du courrier, Jérôme, un peu surpris, est questionné. Il connaît plusieurs des enfants qui ont signé, l’un d’eux est même son voisin. Il se charge donc de leur répondre. Les jours suivants il nous rapportera en avoir discuté avec son voisin.
- Dites donc, c’était vrai tous ces trucs sur Internet, les enfants existent je les ai rencontrés !
 
Enigmes mathématiques
 
C’est d’ailleurs l’école d’Engenthal qui nous envoie la première énigme mathématique. Nous en verrons passer toute une série pendant l’année. Le plus souvent elles intéresseront mes élèves et ils y répondront soit individuellement, soit collectivement. En tout cas ce sont toujours de bons moments de recherche pour la classe et une excellente manière de rendre les maths plus vivantes. Ah, la couleur de la mule de Hassan, les centimètres de neige tombés à Engenthal en 24 heures, le calendrier de l’avent à se partager à trois, l’augmentation de la population mondiale en une minute....
 
C’est interactif
 
Vers Noël, une classe maternelle propose une histoire de Père Noël façon livre dont vous êtes le héros. Tous les jours elle nous envoie un épisode et propose 3 possibilités pour continuer le récit. Ambre-Eline répond pour la classe, elle collecte les différents épisodes et nous les lit.
Fréquemment nous voyons passer des demandes de renseignements pour des exposés que des élèves sont en train de préparer. Il est arrivé à trois reprises qu’un élève de notre classe ait travaillé sur le même sujet : Amandine sur le cheval, Sophie sur le diabète et Virginie sur la SNCF. C’est avec une grande fierté que nous partageons alors nos connaissances, même si c’est quelquefois un peu long à taper.Et puis, il y a aussi les enquêtes et les débats. Mes élèves en raffolent. La première enquête que nous avons reçu tournait autour de la question : “ As-tu déjà été amoureux ? ” C’est avec un grand sérieux et une discrétion remarquable que Florent a interrogé les élèves de la classe durant les temps de travail individualisé. D’autres enquêtes ont suivi : le métier des parents, les soins dentaires, d’autres encore dont je ne me rappelle plus.
 
On s’implique
               
Jusque là, nous n’avions fait que de profiter des propositions des autres usagers de la liste. Nous répondions, mais nous n’avions rien apporté de neuf. C’est le débat proposé par une école de la liste sur le thème des animaux en cage qui va nous en donner l’occasion. Au conseil, un élève propose de faire le débat sur les animaux en cage, je l’enregistre. Cela plaît beaucoup, nous nous réécoutons plusieurs fois. Amandine propose alors de lancer un sondage sur Acticem, la question posée étant : Quel est ton animal préféré ? Pendant deux semaines elle rassemble et traite les réponses. C’est l’occasion d’utiliser les pourcentages et de faire des choix en considérant qu’une réponse du genre “  Mon animal préféré, c’est le lapin en sauce. ” ne correspond pas à ce qui était attendu.
Tempête et marée noire
 
Après les vacances de Noël, nous atteignons des sommets avec les échanges autour des tempêtes des 26 et 27 décembre 1999. A travers les multiples courriers échangés les élèves perçoivent les dimensions de la catastrophe. Toute la France semble avoir été touchée. Tous les jours nous entendons des témoignages d’enfants sur les dégâts causés et vécus. L’émotion est forte à travers des mots d’enfants. “  Papa et maman étaient partis au travail quand la tempête est arrivée. J’étais tout seul jusqu’au soir. Quand ils sont rentrés j’étais dans le noir, il n’y avait plus d’électricité. ” Nous rassemblons tous les courriers dans un album intitulé : La tempête.
En parallèle nous voyons passer beaucoup de courriers sur la marée noire. L’un d’eux recommande un site proposant des expériences pour mieux comprendre. Nous le visitons et retenons une expérience à faire en classe. Nous reproduirons ainsi une “ simili-marée noire ” et comprendrons que ce n’est pas une mince affaire que de nettoyer tout ça.
 
C’est loin la mer ?
               
Simultanément les copains ougandais chercheront à savoir quelle est la mer la plus proche de chacune des différentes écoles de la liste. Bonne question pour nous pauvres alsaciens on ne peut plus continentaux. La recherche s’engage à l’aide de photocopies de cartes de règles et de compas. Grosse découverte, pour notre école la plage la plus proche n’est pas en France mais en Belgique. Et oui, pour économiser du kilomètre nous devrions aller nous baigner à la Mer du Nord, et tant pis si elle est plus fraîche.