Champ social
Dès 1954, Freinet lançait l'objectif de « 25 élèves par classe ! ». Il faisait même de ce mot d'ordre, le thème principal du congrès d'Aix-en-Provence de mai 1955.
Régulièrement, comme lors des dernières grèves, nous insistons sur l'importance d'une diminution des effectifs pour permettre la mise en œuvre d'une pédagogie plus individualisée et respectueuse des rythmes des enfants. Vous comprendrez que l'information contenue dans le message de l'APED nous semble importante à diffuser.
Une étude menée au Royaume-Uni le prouve, le nombre d’élèves par classe est un facteur crucial de réussite scolaire. Les enseignants en sont convaincus : des classes moins nombreuses favorisent la réussite scolaire. Pourtant, cette évidence n’en est pas une. Il existe très peu d’éléments statistiques permettant de confirmer cette impression largement répandue. Les ministres, engoncés dans leurs carcans budgétaires, s’empressent de mettre en avant les travaux des pédagogues pour nous dire : « La réussite dépend de la qualité du prof, pas de la taille des classes. »
Sous la direction du professeur Peter Blatchford, une équipe de chercheurs britanniques vient de briser ce tabou. Leurs résultats, auprès d'enfants de l'école primaire, sont impressionnants:
En mathématique, on observe une amélioration des résulats dès que le nombre d’élèves passe en dessous de 25.
En lecture, une réduction du nombre d’élèves de 25 à 15 représente un gain d’une année pour les enfants les « moins bons » et un gain de cinq mois pour tous les autres. Cela signifie que la réduction de la taille des classes permet non seulement d’obtenir de meilleurs résultats pour tous, mais aussi de réduire considérablement les écarts entre enfants. Dans la perspective d’une démocratisation de l’enseignement ce constat est évidemment d’une importance extrême.
Une analyse plus détaillée ainsi que le texte complet en anglais sont disponibles sur le site Internet de l’Appel pour une école démocratique.
http://users.skynet.be/aped
La Loi de décentralisation de 1983 a confié la construction et l'entretien des lycées aux régions, des collèges aux départements, des écoles primaires aux communes. En Vendée, le Président du Conseil Général (Monsieur Philippe de Villiers) se refuse à remplir cette mission de service public que la Loi lui a pourtant conférée. En effet, depuis 15 ans, les parents d'élèves de 16 communes autour d'Aizenay (soit un secteur scolaire de 20 000 habitants au Nord-Ouest Vendée) demandent en vain la création d'un collège public.
- Entre la Roche Sur Yon et Challans, entre La Roche Sur Yon et Saint Gilles Croix de Vie, entre La Roche Sur Yon et Les Sables d'Olonne, il y a de la place pour 4 collèges privés catholiques mais aucune place pour un seul collège public.
- Sur ce secteur le dernier recensement qui se traduit par une nette augmentation de la population (+ 14,05%), montre qu'il y a bien ici un avenir pour un collège public.
- Sur ce secteur où l'école publique se développe (6 ouvertures de classes ces deux dernières rentrées sur les communes concernées) et où on tend vers un rééquilibrage public/privé, il n'y aurait pas de place pour un collège public ?
- Plus de 400 familles se sont déclarées intéressées à ce jour par un collège public. La Mairie d'Aizenay a recensé 450 élèves potentiels mais le Conseil Général refuse toujours de reconnaître cette demande.
- La commune d'Aizenay (6 200 habitants) demande l'implantation d'un collège public depuis de nombreuses années : un terrain est réservé à cet effet au Plan d'Occupation des Sols depuis... 30 ans. Le Conseil Municipal a pris des délibérations sur ce sujet en 1989 et en 1999.
- La Vendée est le département de la Région des Pays de La Loire qui dépense le moins pour ses collèges publics : 50F par habitant contre 112F pour la Loire Atlantique, 150F pour la Mayenne et 188F pour le Maine et Loire !
- La nécessité de collèges de proximité et à taille humaine n'est plus à démontrer, ceux-ci permettent une qualité de vie et d'enseignement tant nécessaire aujourd'hui.
- Le respect de la liberté de l'enseignement passe par la liberté de choix pour les parents. Cette liberté de choix n'est pas respectée aujourd'hui et ne permet pas d'offrir à tous les enfants une égalité dans l'accès au service public d'éducation.
Aucun argument sérieux ne peut être opposé à cette légitime demande des familles dans l'intérêt de leurs enfants. Monsieur de Villiers campe sur des positions obsolètes et son opposition à cette implantation est uniquement idéologique.
L'Etat, quant à lui, peut-il rester inerte lorsque les collectivités locales refusent de remplir les missions qui lui sont confiées par la Loi, notamment celles d'assurer partout la présence du service public d'éducation ?
contact : http://www.multimania.com/aizenay
Jean-Louis Maudrin
Que mettons nous derrière les mots et surtout derrière nos pratiques en matière de citoyenneté ? La première partie de ce dossier présentera la citoyenneté en exercice dans les classes de Dominique Tibéri et de Patrick Galland, ainsi que dans les écoles d’Aizenay et de Vaulx en Velin ( Anatole France).
Dans la seconde partie, publiée dans le numéro 125 du mois de janvier, Jean Le Gal fera le point sur l’action de l’ICEM pour la reconnaissance d’une véritable citoyenneté participative dans l’éducation. Bernard Defrance apportera un éclairage philosophique sur la construction de la citoyenneté à l’école et Erik Prairat sur le nécessité de mettre en place des sanctions véritablement éducatives.
Les lois de la classe coopérative procèdent d'une conception éducative fondée sur l'apprentissage par tâtonnement expérimental de la liberté, de la responsabilité, des droits et des devoirs, au sein d'une communauté qui met en oeuvre les principes d'entraide, de solidarité, d'autonomie, de coopération, d'autogestion, tant pour la réalisation des projets communs définis ensemble que pour la réalisation des projets personnels.
Les lois de l'Etat font primer les impératifs de sécurité, de maintien de l'ordre dans l'école, sur les impératifs d'éducation à l'autonomie et à la responsabilité : il faut enseigner au moindre risque, surveiller étroitement et contrôler les élèves, les maintenir sous la tutelle des adultes.
Or, toute loi, toute norme, toute institution, repose sur une éthique, sur une conception de l'homme et de la société. Les conflits entre nos lois et la Loi sont donc, essentiellement, fondamentalement, des conflits d'éthique et de conceptions. Si l'Etat veut faire de l'école un des lieux de la formation d'un homme libre, autonome et responsable, il se doit de changer une réglementation fondée sur l'idée d'incapacité, d'irresponsabilité de l'enfant, qui légitime des pratiques de soumission, d'infantilisation, propres à former des hommes obéissants, assujettis, et y substituer des lois et des règles fondées sur l'idée d'un enfant-citoyen…
Or, l'expérience des classes coopératives témoigne que les enfants peuvent être des acteurs responsables de leur vie scolaire lorsque le droit et les moyens leur en sont donnés. l'école doit être le lieu d'apprentissage des droits de l'homme en permettant aux enfants d'y vivre leurs droits d'enfants. D'où la nécessité de définir et de faire appliquer, une Charte des droits de l'enfant qui les protègent contre l'autoritarisme des adultes et contre des châtiments et des sévices qui continuent à exister. "
Jean Le Gal
La société, par l’intermédiaire des hommes politiques et des médias, voudrait que l’école résolve les problèmes liés à la violence, aux comportements non citoyens, au non respect de l’environnement.
Doit-on restreindre l’apprentissage de la citoyenneté à des cours de redressement et de remédiation sur des objectifs pointus ?
Nous nous situons dans une approche globale de la citoyenneté. Pour nous, prendre en compte la citoyenneté, c’est mettre en cohérence la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et les pratiques quotidiennes coopératives dans la classe.
Dossier coordonné par Patrick Carpentier
La société, par l’intermédiaire des hommes politiques et des médias, voudrait que l’école résolve les problèmes liés à la violence, aux comportements non citoyens, au non respect de l’environnement.
Doit-on restreindre l’apprentissage de la citoyenneté à des cours de redressement et de remédiation sur des objectifs pointus ?
Nous nous situons dans une approche globale de la citoyenneté. Pour nous, prendre en compte la citoyenneté, c’est mettre en cohérence la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et les pratiques quotidiennes coopératives dans la classe.
Que mettons nous derrière les mots et surtout derrière nos pratiques ?
La première partie de ce dossier présentera la citoyenneté en exercice dans les classes de Dominique Tibéri et de Patrick Galland, ainsi que dans les écoles d’Aizenay et de Vaulx en Velin ( Anatole France).
La seconde partie, publiée dans le numéro 125 du mois de janvier, se voudra une approche plus théorique de la question, avec les contributions de Jean Le Gal, Bernard Defrance et Erick Prairat.
Dossier coordonné par Patrick Carpentier
Articles parus
dans le Nouvel Educateur
Participation et citoyenneté à l’école
Numéro 79 de mai 1996
Le conseil d’enfants de l’école
Numéros 102 d’Octobre 1998
et 105 de janvier 1999
Le conseil, clé de voûte
de l’organisation coopérative
Numéro 120 de juin 2000
Pourquoi ?
Pourquoi toi ?
Pourquoi moi ?
Pourquoi lui ?
Pourquoi elle ?
Pourquoi vous ?
Pourquoi nous ?
Pourquoi toujours
Chacun pour soi ?
Pourquoi pas
Tous ensemble ?
Mathilde—10 ans
Ecole des Trois Maisons
De la classe coopérative
à la citoyenneté
Dominique Tibéri
IMF(instituteur maître formateur),
classe de cycle 3 (CM1-CM2)
école des Trois Maisons
en Meurthe et Moselle,
membre du GD54.
Comment aider les enfants à conquérir leurs droits ?
Dominique Tibéri* nous présente l’évolution du conseil coopératif de sa classe pendant une année scolaire : évolution de l’institution, des lois… et la part du maître rendant cette évolution plus facile.
Coopérer
«Classe coopérative du CM1-CM2».C’est ce qui est écrit en gros caractères de couleurs sur la porte d’entrée de la classe. A qui donc s’adresse cette étiquette ? Aux enfants, à leurs parents, aux étudiants, aux collègues, et peut-être aussi à moi-même, comme pour rappeler l’une des valeurs fondamentales qui règlent le fonctionnement de la classe. Depuis 2 ou 3 ans, je demande systématiquement aux enfants, en début d’année, ce que signifie pour eux le mot « coopérative ». A l’unanimité (en dehors des quelques « anciens »), la coopérative est, pour eux, « l’argent que les parents versent pour que le maître achète du matériel ». Quelle vision réductrice et mercantile du terme a-t-on pu induire aux communautés scolaires ? Si un petit travail sémantique permet aux enfants de lever certaines ambiguïtés de sens, ils n’en sont pas quittes, en septembre sur les pratiques coopératives.
21-9-98 Le conseil clé de voûte de la classe coopérative
Depuis la rentrée, il ne s’est pas encore passé grand chose sur le plan coopératif. Le conseil coopératif agit comme l’instance organisationnelle et décisionnelle de la classe. A la fin de chaque semaine, la classe s’installe en cercle fait le point sur la semaine passée, prépare la semaine suivante. C’est là que s’organise le travail, se règlent les conflits, se construit la loi.
Malgré les protestations de quelques « anciens » j’anime donc ce premier conseil, où d’ailleurs le débat ne s’installe pas encore. Ce premier moment me sert simplement à esquisser quelques contours organisationnels :
-Mise en place des feuilles de vie
-Distribution des métiers
Construire un ordre du jour
Pour qu’il existe réellement, et qu’il soit crédible au regard des enfants, le conseil doit être efficace. C’est à dire que les sujets évoqués doivent être débattus démocratiquement, que les décisions doivent être prises et surtout appliquées. Construire un lieu de parole qui tournerait à vide serait voué à l’échec au bout de quelques semaines. Il faut donc alimenter le conseil par leurs préoccupations d’enfants au service de la construction de la classe en tant que groupe. Structurer le conseil par un ordre du jour, c’est les aider à structurer les débats, à éviter les tergiversations, à faire en sorte que les décisions prennent vie dans la classe. J’affiche alors un ordre du jour « type » qui servira de guide aux premiers conseils :
Bilan de la semaine passée,
problèmes ou difficultés rencontrées.
Comptes de la coopérative : la parole aux trésoriers
Abonnements-correspondance : Qui prend quoi ? Qui fait quoi ?
Je propose.
J’ai aimé.
Je n’ai pas aimé.
Une responsabilité difficile :
l’animateur
« Le président de séance a le pouvoir et en use, donne, retire : distribue la parole. Il est garant de la liberté d’expression de tous. Cette responsabilité précise requiert une compétence certaine : maîtriser les phénomènes de groupe, entendre, réagir juste à temps, sortir d’affaire un participant désemparé, etc. Des enfants de huit ans peuvent acquérir cette compétence. 1»
Je donne quelques repères à la classe quant aux fonctions de l’animateur : construire l’ordre du jour avant le conseil, veiller au bon fonctionnement de la parole, suivre l’ordre du jour, faire prendre des décisions. Sur le mur opposé, j’ai collé 4 grandes étiquettes : PROPOSER, DISCUTER, DECIDER, APPLIQUER. Ces 4 verbes, inscrits chronologiquement servent de trame lorsqu’un sujet important est abordé. L’animateur est aidé par un secrétaire qui note toutes les décisions prises avant de les inscrire sur le tableau de vie coopérative.
Le réseau d’entraides
A part une proposition pour le festival de jazz et un conflit entre Sébastien et Mickaël, le conseil est vite terminé. Peu d’enfants ont pris la parole. Et à part Mickaël qui est responsable du prêt de matériel, et donc directement concerné, ceux qui ont demandé la parole sont les « anciens ». Demander de l’aide, c’est avouer un échec, une incapacité, une faiblesse. Chose impossible, défendue dans une école où seule la réussite est acceptée, la faute sanctionnée. Avouer ses difficultés c’est déjà avoir choisi de les surmonter. Installer dans la classe coopérative un espace où les difficultés peuvent se dire devant tout le monde c’est démystifier l’échec, le rendre banal, normal.
Le réseau d’entraides agit à plusieurs niveau : il permet de dépasser les barrières sexistes : filles et garçons s’entraident au gré des besoins.
Il démystifie en partie la notion d’échec, la transforme en difficulté momentanée, ciblée sur un point particulier, plus facilement surmontable avec l’aide de quelqu’un. Le travail en équipes et les valeurs attribuées à la coopération sont alors valorisés.
Au fil des conseils, les demandes se feront plus nombreuses, multiples, variées, permettant à chacun de se construire à travers l’autre, par le groupe, validant le concept « d’autosocioconstruction du savoir : construire par soi-même son propre savoir, par la médiation d’autrui, du groupe 2».
Des lois et des règles
Ca n’a pas traîné. Un mois après la rentrée, au troisième conseil les petites histoires, les petites taquineries prennent place à la une des discussions. Ophélie a bien intégré le fait qu’on ne joue pas avec le matériel, puisque c’est écrit sur un panneau, à l’article n° 4. Elle l’a si bien intégré qu’elle ne se réfère même pas à la règle et assène le respect du matériel comme valeur fondamentale. Elles sont au nombre de 4, ces lois de la classe :
1. On respecte la parole.
2. Travail de groupe=voix basse.
3. Travail individuel=silence.
4. On respecte le matériel.
Je profite donc de cette première altercation entre Alexis et Abdesselam pour expliquer ce que sont ces lois : «Elles ne sont pas nombreuses mais si on arrive déjà à respecter ces points, cela peut suffire ». Je ne me leurre pas. Ces 4 points vont surtout être des prétextes à expliciter ce que peut vouloir dire « on respecte la parole » : ne pas couper quelqu’un qui parle ? Ecouter l’autre même si on n’est pas d’accord avec lui ? ou bien encore « parole médiatrice du désir qui autorise la rencontre symbolique de celui qui parle et celui qui écoute 4».
Ces 4 premiers points font figure de loi aux yeux des enfants dans le sens où elles n’ont pas été construites, où elles sont « marquées du sceau de l’extériorité 5», mais elles serviront de substrat pour une construction progressive des règles de vie de la classe, pour un passage de « Thémis à Namos 6», souligne Erick Prairat qui considère la classe comme un espace prépolitique où, tout en construisant des savoirs, on y forme le futur citoyen et le futur démocrate en instruisant des lois, des règles pratiques et des règles de vie.
Violences quotidiennes
Incivilités, non respect des règles, violence. La société ne se sent pas bien. Elle semble manquer d’idéaux, de repères, elle ne se reconnaît plus dans ses institutions, c’est le règne de l’individualisme. Qui plus est, ce mal semble cette fois pénétrer insidieusement l’institution scolaire. Les tentatives d’explication sont multiples : chômage, absence d’identité communautaire, concentration de populations immigrées, société trop individualiste, fracture sociale… la liste est longue, non exhaustive et relève peut-être un peu de tout, ce qui rend la tâche éminemment complexe lorsqu’il s’agit de vouloir enrayer le phénomène. Quoi de plus normal alors que de vouloir en confier la mission à l’école par le biais de textes ministériels.
La violence est interdite.
C’est la loi n° 6. Elle n’arrive pas tout de suite. Je l’inscris au bout de quelques semaines, quand les premiers conflits apparaissent et qu’ils nous donnent la possibilité d’aborder la notion de violence. Ils la déclinent sous toutes ses formes, ils savent l’identifier. Alors, sitôt identifiée, elle est interdite et « ne se discute pas, puisque c’est ce par quoi une discussion est possible 7». Ainsi, au fil des semaines, chaque jour charrie son chapelet de plaintes.
Alexis a écrit sur ma chaise !
Franck m’a fait un doigt d’honneur !
Tiffany nous fait des croche-pieds !
Ces « tas de sable » chers à F. Oury ou à C. Pochet envahissent chaque conseil au point de devenir omniprésents. On a tellement peu écouté leurs petites histoires que le jour où on leur propose un espace de parole, ils le remplissent au point de le faire déborder. Mais ce flot de plaintes quotidiennes va se réguler pour plusieurs raisons :
-L’inscription d’une plainte sur les panneau « Je n’ai pas aimé » agit déjà comme une sanction. C’est une espace de parole écrite où l’agresseur est montré du doigt. La loi est écrite et une institution de régulation des conflits, même imparfaite, se met en place.
-L’existence d’un lieu où on peut écrire, puis dire ensuite à toute la classe agit comme une instance dissuasive. Si on n’en parle pas maintenant, il faudra en parler plus tard. En tout cas, maintenant impossible d’agresser en toute impunité. La loi de la négociation remplace celle du plus fort.
-Si le conflit ne se règle pas entre les 2 parties, l’agressé peut compter sur le groupe qui sera alors juge arbitre.
Des règles qui évoluent
Interdire la violence ne signifie pas la voir disparaître, mais cela conditionne la discussion. Au fil des conflits, l’institution évolue. Si en début d’année, c’est le panneau « je n’ai pas aimé » qui remporte un vaste succès, les plaintes vont lentement glisser vers le panneau « je propose ». Ainsi, au milieu des propositions de sorties, de métiers d’achats, voit-on apparaître :
Je propose
Un n° 6 à Mickaël qui a dit des gros mots.
Un n° 6 à Frédéric qui critique mes parents
Un n° 6 à Sébastien qui me tape.
Et puisque la violence est interdite, dès qu’elle est constatée, elle est systématiquement signalée aux parents par l’intermédiaire du plan de travail, et un simple feu rouge en comportement élimine pendant une semaine l’accès, réglementé, à la classe pendant la récréation. L’enfant violant les lois du groupe, restreint donc sa liberté dans la classe ce qui pose ainsi les premières bases de la démocratie par le biais du quotidien. Loin de vouloir éviter les conflits entre enfants, l’école se doit donc de les repérer, les écouter, les traiter, et s’en servir afin d’éduquer les enfants au conflit. Ceux-ci doivent être réglés par la loi et non par la violence, c’est un des principes de la démocratie.
De plus l’école ne peut abandonner l’enfant face aux agressions dont il est souvent victime. « Le conflit est une réalité que l’éducateur ne peut esquiver car l’espace démocratique qui attend le futur adulte est par définition un espace conflictuel, là où aucune instance transcendante ne peut plus être convoquée, seul un espace public de discussion et de gestion non violente des conflits peut construire le vivre ensemble 8» projetés dans un espace prépolitique, acteurs dans l’élaboration, attentifs au respect des droits de chacun, les enfants s’octroient le statut de citoyen actif. Le conseil sert encore cette fois à tisser le lien social, à « recomposer l’espace commun, non pas dans un unanisme suspect, mais comme condition d’un débat social à distance de la violence 9».
S’approprier l’espace
Vendredi 15 janvier 1999, 8h00
Directrice : Bonjour, je viens de passer dans ta classe pour emprunter le mégascope sur la Gaule, je ne l’ai pas trouvé !
Dom : Il était sur le présentoir, à l’entrée.
Directrice : Je ne l’ai pas vu. Est-ce que tu pourrais me le faire parvenir ? J’en ai profité pour faire sortir tes élèves qui étaient déjà entrés en classe. Je leur ai rappelé qu’ils n’avaient rien à faire là sans surveillance ! »
Me voilà encore une fois piégé . J’avais pourtant, encore cette année, réussi à éviter insidieusement le règlement. Comme tous les ans, après quelques semaines d’ajustements réciproques, les enfants se sont appropriés les lieux. Ils aiment entrer en classe avant l’heure, poser leurs affaires, nourrir les poissons, allumer l’ordinateur, arroser les plantes. Investir les lieux avant l’heure pour mieux en prendre possession. D’ailleurs, cette année, nous sommes allés plus loin dans la transgression (ils ne le savent pas). Attirés par le nouvel ordinateur, il a fallu organiser des tours pendant la récréation. Mais rappelé à l’ordre par la directrice, que va-t-il advenir de ces moments qui échappaient au règlement ?
D’ailleurs, ne suis-je pas en tort ? Comment prétendre éduquer les enfants à la construction de la loi et ne pas respecter celles en vigueur dans l’établissement ? Mais une intuition m’incite à résister. Je suis persuadé que leur laisser l’accès à la classe en dehors du « temps d’enseignement » est l’une des clés de l’apprentissage de la citoyenneté.
15h20 : de service dans la cour, je suis alerté par Rémy : « Dominique, Aman et Mickaël se battent dans la classe, Mickaël a pris le tableau sur la tête ! »
Voilà un bâton pour me faire battre, me dis-je à moi-même. Je file vers la classe. Plus de peur que de mal. Mickaël fait la tête dans un coin et Aman, rouge de colère, réajuste ses vêtements. Je fais évacuer tout le monde dans la cour et je ferme la classe jusqu’à la fin de la récréation. Ca tombe bien, nous avons un conseil de coopé juste après, on réglera ça.
16h10 : conseil de coopé
L’altercation entre Aman et Mickaël n’étant pas à l’ordre du jour, je profite du point questions diverses pour aborder l’incident. Sans même ouvrir le débat ni chercher à comprendre les tenants et les aboutissants, j’énonce l’anecdote du passage de la directrice dans la classe le matin même, je rappelle le règlement de l’école et j’annonce que la classe sera fermée à tous en dehors des heures de classe… Ma sanction tombe, sans appel, sans discussion, sans protestation.
Faiblesse de ma part devant l’institution ? La concomitance des événements m’incite à renoncer à mes convictions intimes et m’abriter sous le règlement. D’ailleurs, ils n’ont pas protesté. Cependant un vague sentiment de remords me ronge. Je n’arrive pas à me faire à l’idée d’une classe qui ne s’ouvre pas sur « l’homme qui travaille (homo faber) et l’homme qui pense et apprend (homo cogitans), et néglige l’homme qui joue (homo ludens), l’homme qui aime (homo amans), l’homme qui gouverne (homo civis), l’homme qui voyage et explore (homo ambulans) et l’homme qui prie (homo sacer) 10»
C’est en me replongeant dans l’ouvrage de René Lafitte que je trouve la réponse. « La classe est ouverte avant l’heure légale, à quelques enfants apparemment choisis, qui s’activent sans ordres ni contraintes. (…) Il ne s’agit pas, ici, de « services » octroyés comme une faveur par l’adulte (…) mais de « métiers » confiés par le groupe à des individus ayant, dans un domaine bien défini, liberté, responsabilité et pouvoir 11».
La réponse est claire. Les règles d’occupation de la classe étaient peut-être trop floues, un interstice est resté ouvert dans lequel Aman et Mickaël se sont engouffrés. Que faisaient-ils en classe ? Personne ne le sait ! En tout cas, pas de domaine défini par le groupe, pas de responsabilité, pas de pouvoir, pas de liberté sans espace anomique. Faire construire une règle qui ré-ouvrira la classe (illégal malgré tout) en évitant les pièges à risques institutionnels, responsabiliser, donner du pouvoir, c’est possible. Il me reste le choix entre 2 alternatives : le provoquer (puisque j’en ai été le couperet) ou attendre que les enfants en manifestent le désir.
Une classe librement occupée
La réaction n’est pas longue puisque 2 semaines après, la question revient à l’ordre du jour .
Valentin, en réclamant un surveillant, prouve qu’il ne se sent peut-être pas encore entièrement autonome. La présence d’un garant de la loi semblerait lui convenir. Les propositions de Bénédicte et Ophélie recueillent la grande majorité des suffrages.
Les décisions prises alimenteront le règlement de la classe. Après avoir pris la précaution de changer de lieu de service pendant la récréation, pour que de la verrière qui mène à la classe, j’aie sous mon regard et la cour de récréation et la classe. L’occupation de celle-ci se fera sans problème. Ce lieu est devenu une zone de droits, réglementée par eux.
En conclusion
La classe coopérative est un espace ouvert, avec des institutions que les enfants infiltrent, pénètrent, occupent, habitent pour en prendre pleinement possession. Espace anomique en septembre, les enfants vont apprendre à mieux vivre ensemble en s’ouvrant à d’autres cultures, à une histoire, en reconstruisant des valeur par l’expérience concrète, en s’exerçant au travail politique par l’exercice de la responsabillisation. Le choix d’une pédagogie coopérative n’est pas simple. Il nécessite un engagement, un choix éthique qui met souvent en péril, qui expose à la déstabilisation car il incite à une redéfinition du statut de l’adulte dans la classe et un partage du pouvoir. Cependant, ce partage si délicat et si fragile du pouvoir permet à la classe de protéger chacun du libre-arbitre, de la tout puissance de l’adulte, de la loi du chacun pour soi. Ainsi, par le jeu subtil de l’individu impliqué dans la vie du groupe, chaque enfant peut exercer une citoyenneté participative et devenir un citoyen éclairé.
Dominique Tibéri
1-Catherine Pochet, Qui c’est l’conseil pp49-50
2-Michel Tozzi in cahiers pédagogiques n°340, éduquer à la citoyenneté, p 16
3-Erick Prairat : La sanction, p 121
4-Francis Imbert, Médiations, institutions et lois dans la classe, p 88
5-Erick Prairat, La sanction, p 92
6-id., p 103
7-Bernard Defrance, Sanctions et discipline à l’école, p 122
8-Erick Prairat, La sanction, p. 109.
9-G. COQ, Laïcité et République, p. 261
10-J. Houssaye. Les valeurs de l’école, p 18
11-R. Lafitte. Une journée dans une classe coopérative, p. 28
26 septembre, conseil coopé
Animatrice : Bénédicte—Secrétaire : Sophie
10h30. Nous entrons en classe. Les enfants prennent leur chaise et s’installent en cercle sur toute la périphérie de la classe. L’ordre du jour a été affiché au tableau, Bénédicte et Sophie sont à proximité. Le calme s’installe, le rituel aussi :
-Dom. (maître) : La parole est à Bénédicte.
-Bénédicte : Le conseil du 26-09-98 est ouvert. 1° point, est-ce que les décisions de la semaine passée ont été appliquées ?
-Mickaël : Non les étiquettes de prêt ne sont pas faites. On ne sait jamais qui a emprunté du matériel à la classe.
Dom : Je les ferai pour lundi matin.
Bénédicte : Qui a rencontré des difficultés cette semaine ?
Aman : Moi, j’ai pas réussi à faire la fiche divisions D1.
Bénédicte : Qui peut l’aider ?
Aucun doigt ne se lève.
Dom : Moi !
Frédéric : Moi, j’ai pas réussi la fiche M6.
Ophélie : Moi, je peux t’aider, je l’ai déjà faite.
Franck : Moi, c’est aux logiques bleues que j’ai eu des problèmes.
Mathilde : Je peux l’aider, j’ai déjà fait la série bleue.
Bénédicte : Plus personne n’a besoin d’aide. Sophie, tu notes les aides, on peut passer au point suivant (…)
Une sanction éducative
Une plainte de l’extérieur
Mardi 24 novembre, 10 heures. Nous sortons en récréation, je file prendre un café à la machine, près du bureau de la directrice, ça tombe bien, elle voulait me voir.
Directrice : Dominique, est-ce que Frédéric t’a parlé de quelque chose ce matin ?
Dom : Non, pourquoi ?
Directrice : Ce matin, j’ai reçu un coup de téléphone d’une dame. Elle est surprise, elle a acheté un journal à un enfant, elle l’a payé 10 f et en le lisant elle s’est aperçue que le prix affiché était de 5 f, est-ce normal ?
Dom : Non, le prix est justement affiché pour éviter les problèmes. Elle était en colère ?
Directrice : Non au contraire, elle avait l’air gentille mais elle souhaitait nous prévenir pour que nous intervenions auprès du gamin. J’ai vu Frédéric ce matin, je lui ai dit que ce n’était pas bien du tout, il m’a dit qu’il irait s’excuser auprès de la dame et qu’il lui rembourserait l’argent. Essaye de me tenir au courant.
Je décide d’attendre le conseil de samedi pour voir si le sujet arrive sur le tapis.
Jeudi 26 novembre, 10 heures.
Directrice : Tu sais ce qu’a fait Frédéric, hier ?
Dom : Non ! Il est allé s’excuser ?
Directrice : Il est allé voir la dame, il lui a soutenu que le prix était de 10 f. Elle a retéléphoné ce matin pour me raconter ça. Elle ne souhaite pas faire d’histoire, elle connaît le gamin et la maman, ils sont pratiquement voisins. Elle souhaitait nous informer pour que nous fassions quelque chose auprès de lui.
Conseil coopé du samedi 28 novembre
Animatrice : Charline—Secrétaire : Rémy.
L’ordre du jour est dense : 6 demandes d’aide, une demande pour que le groupe de percussions de l’an dernier revienne, l’arrivée de « La Bergamote », journal scolaire d’une classe de correspondants, une proposition de changement du classeur de problèmes logiques qui est abîmé, deux propositions d’exposés, l’un sur les dinosaures, l’autre sur la guerre de cent ans et les trésoriers qui demandent à faire le point sur la vente des journaux :
Bénédicte : Ca fait une semaine que les journaux sont en vente, il nous en reste encore dix. Y’en a trente-quatre qui ont été vendus, sept qui ne sont toujours pas payés…
Charline : Ceux qui en veulent encore, vous pourrez venir en chercher tout à l’heure. On peut passer au point suivant ?
Dom : Non ! Je pense que Frédéric a des choses à nous dire.
Frédéric : …
Dom : Tu n’as rien à nous raconter à propos des journaux que tu as vendus ?
Frédéric : …
Dom : J’aimerais que tu racontes cela à la classe toi-même, à moins que tu préfères que je le raconte.
Frédéric : …
Aman : Ah, moi je crois savoir !
Je laisse à Aman le soin de raconter ce qu’il sait. Ils étaient visiblement deux à être au courant de l’histoire. Aussitôt la classe réagit.
Rémy : Ouah ! C’est du vol !
Tiffany : C’est de l’arnaque, il profite du journal de la classe pour gagner de l’argent.
Mathilde : En plus, après les gens vont penser que c’est toute la classe qui vole de l’argent et on pourra plus vendre de journaux.
Baptiste : C’est pas juste qu’il profite de notre travail pour récupérer de l’argent.
Bénédicte : Ouais, non seulement il vole la dame, mais il vole aussi la classe.
Ophélie : Faudrait rembourser la dame, pour pas qu’elle pense que la classe vole.
Mathilde : On devrait même lui offrir le journal pour s’excuser.
Dom : C’est une bonne idée. Je propose même que ce soit Frédéric qui y aille.
Aman : Oui, mais il va peut-être encore dire que c’est dix francs.
Abdesselam : On a qu’à envoyer quelqu’un avec lui !
Valentin : Moi, je veux bien l’accompagner.
11 h 30. Nous voilà tous les trois, Frédéric, Valentin et moi, sur le chemin des écoliers pour redresser le dérapage. Frédéric rend dix francs, Valentin offre fièrement un « Ouvre-boîte ». La dame est en effet très compréhensive. Après quelques échanges très courtois, chacun se sépare. Il n’est pas fier Frédéric. On ne l’a pratiquement pas entendu. Il a juste esquissé un vague mouvement de protestation quand il a entendu que j’étais du voyage mais la présence de Valentin a dû le rassurer, il ne s’est pas senti seul face à des adultes pour gérer ce problème.
Obnubilée par la volonté de préserver son image vis à vis de l’extérieur, la classe en oublie de juger Frédéric, de le condamner. Au delà du fait que Frédéric ait utilisé un projet collectif pour détourner de l’argent, n’a t’il pas voulu attirer l’attention sur lui ? Ce n’est pas improbable, puisque deux enfants de la classe étaient au courant. En tout cas, appel ou pas, la classe lui répond, elle va l’aider, lui proposer des solutions pour réparer son erreur, pour redorer le blason de chacun. Cette proposition rend d’une part son bien à la victime, relégitime l’image de la classe aux yeux de tous et réintègre Frédéric, qui accepte facilement ces décisions comme unique sanction, loin du cercle des parents ou autres autorités hiérarchiques, renforçant ainsi l’idée d’autonomie de la classe pour réguler ses conflits.
Ainsi, « dans le jeu des interactions et des transactions sociales, la sanction représente le prix d’une dette, dette à l’égard d’une victime ou d’un groupe et dont le coupable doit s’acquitter pour retrouver sa place dans l’espace symbolique des échanges.3»
8 octobre : premières lois
Animatrice : Charline—Secrétaire : Tiffany
(…)
Charline : On peut passer à la rubrique « Je n’ai pas aimé ». Alexis a la parole.
Alexis : J’ai pas aimé Abdesselam, mardi, il m’a piqué ma trousse.
Abdesselam : C’était pour jouer !
Ophélie : Ouais, ben t’as pas à jouer avec les affaires des autres !
Charline : Qu’est-ce qu’on fait ?
Franck : On n’a qu’à mettre un numéro 4 à Abdesselam !
Abdesselam : C’est quoi un numéro 4 ?
Charline : Quand t’as pas respecté une règle, t’as un numéro. C’est le numéro de la règle qu’il faut respecter.
Cyril : De toute façon, les numéros, ça sert à rien, ça marche pas. On a beau se prendre des numéros, on continue quand même à pas respecter les règles.
Bénédicte : Oh ben Cyril, parle pour toi !
Charline : Alors, qu’est ce qu’on fait ?
(…)
Conseil de coopé du 8 février
Animateur : Valentin. Secrétaire Abdesselam
(…) Valentin : On peut passer aux propositions. Bénédicte a la parole.
Bénédicte : Il faudrait racheter des feutres pour transparent.
Dom : Combien en faut-il ?
Mickaël : Y’en a plus que 12 qui marchent. Il en faudrait 15.
Dom : J’irai la semaine prochaine
Ophélie : J’aimerais qu’on puisse rester en classe pendant la récré. »
Les approbations fusent, la demande devient quasi générale. Un petit sondage me permet de savoir ce qu’ils aiment faire en classe. Je leur explique que je suis prêt à accepter sous certaines conditions, que normalement les textes me l’interdisent, qu’ils fassent des propositions pour éviter que les incidents se reproduisent.
Valentin : On pourrait nommer un animateur qui surveille la classe pendant la récré.
Abdesselam : On peut recommencer comme avant, on fera attention.
Charline : Mais non, il faut faire une règle pour pas qu’il ait de problèmes
Baptiste : On va avoir tellement de règles que bientôt on pourra plus bouger.
Bénédicte : Ben on a le droit de rester en classe que si on n’a pas eu de numéro pendant la semaine.
Ophélie : Ouais, on peut mettre un feu pour la semaine en comportement…
Gestion d’un conflit à Moussac
A travers la présentation d’un conflit avec une autre école, Patrick Galland*, nous montre ce qu’apportent aux enfants des institutions bien gérées et une pédagogie axée sur la communication et la coopération, dans la résolution de celui-ci par le groupe classe.
Chaque mardi de juin et septembre, la « Fourmilière », classe unique de Moussac, se rend à la piscine. Nous partageons notre créneau horaire avec la classe du cycle 3 de Millac, une école qui, d’ailleurs, fait partie du Réseau d’Ecoles Rurales Vienne-Gartempe, tout comme Moussac. Comme ils doivent reprendre le car au premier tour, les enfants de Millac quittent le bassin et rejoignent les vestiaires puis s’en vont.
Au moment de rejoindre les vestiaires, branle-bas dans le vestiaire des garçons : les vêtements sont éparpillés çà et là, les poches retournées, il y a même -« Oh les salauds ! »- du shampooing dans la chaussure de Jérémy. Quant aux petits goûters de l’après-bain : disparus…
Les coupables sont désignés de suite : « Ah, ben bravo les copains du réseau ! Ah, ben y sont benèzes ! Tu vas voir comment on va leur casser la gueule quand on va les rencontrer ! » et je vous passe les noms d’oiseaux divers et variés et les menaces de représailles. Sur l’instant, je suggère qu’on pourrait leur envoyer un fax, sans préciser le contenu ni la forme. La proposition est retenue d’emblée.
Le jeudi matin, au « Quoi de neuf ? », la question est évoquée et ainsi tous les enfants s’expriment et décident qu’une équipe va rédiger un fax dès le matin. On évoque les grandes lignes, les idées directrices, je ne propose ni texte ni idée : je sens que les enfants sont capables de rédiger seuls. De plus, ce conflit est inscrit à l’ordre du jour du conseil de coopérative qui aura lieu le lendemain, comme chaque vendredi matin.
Effectivement, le texte sera rédigé, sur un mode ironique proposé par Pauline, et l’ensemble sera co-rédigé, co-corrigé et faxé avant midi et chacun vaquera à ses occupations, la pression est toujours là, mais positivement, puisque le groupe a réagi en prenant le recul et le temps nécessaires à l’action réfléchie, et non pas réflexe.
15h20 : un fax arrive, à l’en-tête de Millac : lecture immédiate après réunion spontanée. « Des excuses ! Ah ben, tu vois, c’était bien eux – qui en doutait !!!- et ils ne se sentent pas fiers ! Et ils demandent pardon ! Et ils vont nous rendre ce qu’ils nous ont pris ! On en discutera demain au conseil de coop : on va réfléchir à ce qu’on va leur demander pour réparer ! »
Charlotte, la jeune collègue de Millac, sans me contacter, a enclenché le dispositif, sensitivement, et ça va marcher : le lendemain matin, au conseil de coop, je sens bien que la tension est tombée, que l’indignation est toujours présente, mais qu’elle sert de moteur à une prise de conscience des conséquences de certains actes, en particulier ceux qui nuisent à autrui. Plus question de « cassage de gueule » programmé. Lorsque la question du «problème Millac » est abordée, on cogite : « Puisqu’ils nous demandent ce qu’ils pourraient faire pour se faire pardonner », Florian dit : « on pourrait les inviter à une séance de kayak et les noyer –non ! je rigole ! mais on pourrait les mettre à l’eau ! », « eh ! seulement les garçons ! » intervient Pauline. « Oui, oui, d’accord, on pourrait leur faire ceci, ou cela, les obliger à faire une grande marche, les priver de piscine, leur demander de nous préparer des goûters lors de la prochaine séance… ». Jérémy propose « Et si on leur disait de nous inviter à goûter chez eux puisqu’ils ne peuvent pas nous rendre les nôtres vu qu’ils les ont mangés ? »
Et le groupe rebondit : « Oui, voilà, on va leur dire de nous inviter à passer l’après-midi dans leur école, de nous organiser des jeux et un goûter, tout ça avant les vacances de la Toussaint !! »
Voilà la décision soigneusement consignée sur le cahier de coopérative par le secrétaire de la séance, et nous passons ensuite aux autres questions sans qu’il soit besoin d’y revenir et en constatant qu’il n’y a plus de « problème Millac » puisqu’il est en voie de résolution.La proposition de « réparation » sera co-rédigée et faxée dans la journée.
Un coup de fil de Charlotte m’apprendra dans la journée du lundi suivant que la proposition est retenue et qu’ils nous feront connaître la date dès que possible.
Cet échange de fax sera publié dans notre journal, la « Fourmilière-Hebdo », comme trace d’un événement à porter à la connaissance des parents qui m’en parleront en appréciant la manière de traiter le problème.
Ecole de Millac
Nous vous écrivons ce fax pour vous dire que nous nous excusons. On vous enverra ce que nous avons pris. Par exemple vos ballons et un porte-clés. Jérémy est-ce que tu nous pardonnes d’avoir mis du shampooing dans tes chaussures ?
Qu’est-ce que l’on peut faire pour que vous nous pardonniez ?
Les garçons de Millac
Salut les super potes de la surprise que vous nous avez réservée dans les vestiaires des garçons à la piscine ce mardi, le shampooing dans les chaussures de Jérémy, d’avoir fouillé nos poches, d’avoir pris nos goûters. En gros, ça nous a fait super plaisir d’avoir trouvé nos affaires un peu éparpillées partout.
Au revoir et encore merci !
La classe de Moussac
Salut les copains de Millac ! On a trouvé pour vous pardonner : vous nous invitez dans votre école tout un après-midi entier, vous préparez des jeux et un goûter.
Au revoir ! L’école de Moussac
Patrick Galland, est instituteur
en classe unique
à Moussac dans la Vienne
et membre du Groupe Départemental
de la Vienne de l’ICEM
Un organisation citoyenne
de l’école
Les écoles Louis Buton d’Aizenay et Anatole France de Vaulx en Velin ont mis en place une organisation qui permet aux enfants d'exercer collectivement leur pouvoir de décision et d'avoir une parole collective sur les affaires qui les concernent. A travers ces exemples, on peut constater que chaque collectivité crée ses propres institutions et des structures démocratiques adaptées à ses conditions de fonctionnement, un des objectifs communs étant de permettre aux enfants, quel que soit leur âge, d’exercer leurs libertés et de vivre une citoyenneté active.
A l’école d’Aizenay (Vendée)
Cinq conseils fonctionnent dans cette école Freinet :
1. Le conseil de classe.
Il réunit une fois par semaine les enfants et le maître de la classe en Assemblée générale. Il a plusieurs fonctions :
. gérer la vie quotidienne de la classe (projets, services, etc.)
. élaborer des règles de vie...
. examiner les conflits personnels et le non-respect des règles de vie.
. mandater les représentants de la classe aux Conseils de cour, de bibliothèque, de restaurant scolaire et d’Ecole pour les CM (délégués tournants).
2. Le conseil de cour :
Il réunit deux délégués de chaque classe (du CP au CM2) une fois par mois. Il gère la vie de l'école (déplacements, inter-classe, projet de l'école) II examine les conflits et promulgue les lois de l'école.
3. Le conseil de bibliothèque :
II réunit deux délégués de chaque classe une fois par semaine avec la (les) permanent(s) de la bibliothèque et le maître délégué. Il assume plusieurs fonctions :
.gérer la bibliothèque (circulation, prêts de livres, projets, expositions, utilisation de l'espace audiovisuel) ;
.élaborer des règles de vie explicites;
.informer les classes des projets de la bibliothèque (ex : présence d'un intervenant extérieur) ;
.intercommunication classes-bibliothèque ;
.définir en début d'année le planning des services de rangements.
4. Le conseil de restauration
II réunit les délégués de chaque classe une fois par demi-trimestre avec le personnel du restaurant scolaire :
.lecture critique des menus ;
.collecte des idées pour améliorer le moment des repas.
5. Le Conseil d’Ecole
6. Des délégués des classes de CM sont invités au Conseil d’Ecole (institutionnel) qui se réunit une fois par trimestre. Ils préparent l’ordre du jour, ils apportent les points de vue des élèves. Ils sont associés au compte-rendu écrit du Conseil.
A l’école Anatole France
de Vaulx en Velin
Dans le module, constitué par les trois classes CE2-CM1-CM2, un des objectifs est la maîtrise par chacun de son milieu de vie et de travail. Il s’agit de donner à l'enfant les moyens de bien connaître son environnement, de pouvoir s’y situer, de pouvoir agir dessus, puis de pouvoir l’élargir.
Le premier des droits : choisir
Pour cela, chaque enfant a la possibilité de gérer :
.du temps : les récréations, les entrées échelonnées, la programmation de ses activités ;
.des lieux : l'utilisation de la salle de classe (étendue aux trois salles de classe du module), des salles collectives (BCD et salle de danse) ;
.du matériel : matériel collectif, matériel à disposition dans les salles de classe ou collectives (jeux de société, livres, coloriages, journaux, cabanes, électrophones,ordinateurs...)
.ses relations : travail de groupe. Groupes de choix, décloisonnement des âges. Correspondance. Multiplication des intervenants adultes à l'intérieur et à l'extérieur de l'école ;
.ses activités : en diversifiant les projets à l'intérieur et à l'extérieur, en sollicitant les projets d'enfants individuels et collectifs.
Règles et outils de gestion
Les principaux moyens mis en œuvre pour permettre à l'enfant de gérer cet ensemble complexe sont : les règlements, les outils et les structures.
Les enfants doivent pouvoir se situer dans un cadre bien défini, avec des règlements connus, intégrés, établis avec et par eux et révisables ; avec des responsabilités bien précises : responsabilités d'enfants élus mais aussi responsabilités d'adultes référents qui seront régulateurs et garants du système.
Le règlement de l'école prévoit des entrées échelonnées dix minutes avant le début des jours, les déplacements dans les couloirs se font librement, les classes sont aménagées pour l’accueil des enfants pendant ce temps et pendant les récréations où ils ont aussi accès aux allées collectives.
Les enfants ont à leur disposition des outils de fonctionnement personnels ou collectifs, dans les classes et dans le hall, lieu de rassemblement du module :
.matérialisation du règlement : feu rouge, feu vert, pour entrées et sorties des classes,
.permis de circuler, affichage ;
.affichage des responsabilités ;
.planning d'utilisation des salles, du matériel ;
.liste d'inscription au coin peinture ;
.planning personnel ;
.emploi du temps général ;
.boîte aux lettres pour correspondance.
Les institutions de l’école
Des structures permettent aux enfants de se déterminer pour le choix d’activités en fonction de l’activité elle-même, ou des enfants, ou des adultes qui y participent.
Un autre objectif important est la maîtrise, par l'enfant, de ses droits et de ses devoirs.
Le conseil et les réunions sont les lieux d'exercice du pouvoir collectif. Dans l'école, chaque classe à un conseil, des conseils extraordinaires sont quelquefois mis pour régler des problèmes spécifiques (cantines, cour de récréation). Ils comprennent alors l’adulte responsable et les enfants concernés.
Le conseil de module est hebdomadaire. Il réunit les 66 enfants du groupe constitué : le CE2, le CM1 et le CM2, plus les 3 enseignants et l’enseignant du poste ZEP. C’est un lieu de proposition, de décision, de présentation de travaux, de discussion et de gestion des conflits. Il règle tous les problèmes de ce grand groupe.
Le droit
Le droit de tout faire.
Le droit de ne rien faire.
Des droits non respectés
Dans un monde d’insensés.
Ce monde qui pourrait évoluer,
Mais qui n’y arrivera jamais,
S’il continue comme ça,
A ne respecter aucun droit.
Faustine—10 ans
Ecole des Trois Maisons
26 septembre, conseil coopé
Animatrice : Bénédicte—Secrétaire : Sophie
10h30. Nous entrons en classe. Les enfants prennent leur chaise et s’installent en cercle sur toute la périphérie de la classe. L’ordre du jour a été affiché au tableau, Bénédicte et Sophie sont à proximité. Le calme s’installe, le rituel aussi :
-Dom. (maître) : La parole est à Bénédicte.
-Bénédicte : Le conseil du 26-09-98 est ouvert. 1° point, est-ce que les décisions de la semaine passée ont été appliquées ?
-Mickaël : Non les étiquettes de prêt ne sont pas faites. On ne sait jamais qui a emprunté du matériel à la classe.
Dom : Je les ferai pour lundi matin.
Bénédicte : Qui a rencontré des difficultés cette semaine ?
Aman : Moi, j’ai pas réussi à faire la fiche divisions D1.
Bénédicte : Qui peut l’aider ?
Aucun doigt ne se lève.
Dom : Moi !
Frédéric : Moi, j’ai pas réussi la fiche M6.
Ophélie : Moi, je peux t’aider, je l’ai déjà faite.
Franck : Moi, c’est aux logiques bleues que j’ai eu des problèmes.
Mathilde : Je peux l’aider, j’ai déjà fait la série bleue.
Bénédicte : Plus personne n’a besoin d’aide. Sophie, tu notes les aides, on peut passer au point suivant (…)
Une sanction éducative
Une plainte de l’extérieur
Mardi 24 novembre, 10 heures. Nous sortons en récréation, je file prendre un café à la machine, près du bureau de la directrice, ça tombe bien, elle voulait me voir.
Directrice : Dominique, est-ce que Frédéric t’a parlé de quelque chose ce matin ?
Dom : Non, pourquoi ?
Directrice : Ce matin, j’ai reçu un coup de téléphone d’une dame. Elle est surprise, elle a acheté un journal à un enfant, elle l’a payé 10 f et en le lisant elle s’est aperçue que le prix affiché était de 5 f, est-ce normal ?
Dom : Non, le prix est justement affiché pour éviter les problèmes. Elle était en colère ?
Directrice : Non au contraire, elle avait l’air gentille mais elle souhaitait nous prévenir pour que nous intervenions auprès du gamin. J’ai vu Frédéric ce matin, je lui ai dit que ce n’était pas bien du tout, il m’a dit qu’il irait s’excuser auprès de la dame et qu’il lui rembourserait l’argent. Essaye de me tenir au courant.
Je décide d’attendre le conseil de samedi pour voir si le sujet arrive sur le tapis.
Jeudi 26 novembre, 10 heures.
Directrice : Tu sais ce qu’a fait Frédéric, hier ?
Dom : Non ! Il est allé s’excuser ?
Directrice : Il est allé voir la dame, il lui a soutenu que le prix était de 10 f. Elle a retéléphoné ce matin pour me raconter ça. Elle ne souhaite pas faire d’histoire, elle connaît le gamin et la maman, ils sont pratiquement voisins. Elle souhaitait nous informer pour que nous fassions quelque chose auprès de lui.
Conseil coopé du samedi 28 novembre
Animatrice : Charline—Secrétaire : Rémy.
L’ordre du jour est dense : 6 demandes d’aide, une demande pour que le groupe de percussions de l’an dernier revienne, l’arrivée de « La Bergamote », journal scolaire d’une classe de correspondants, une proposition de changement du classeur de problèmes logiques qui est abîmé, deux propositions d’exposés, l’un sur les dinosaures, l’autre sur la guerre de cent ans et les trésoriers qui demandent à faire le point sur la vente des journaux :
Bénédicte : Ca fait une semaine que les journaux sont en vente, il nous en reste encore dix. Y’en a trente-quatre qui ont été vendus, sept qui ne sont toujours pas payés…
Charline : Ceux qui en veulent encore, vous pourrez venir en chercher tout à l’heure. On peut passer au point suivant ?
Dom : Non ! Je pense que Frédéric a des choses à nous dire.
Frédéric : …
Dom : Tu n’as rien à nous raconter à propos des journaux que tu as vendus ?
Frédéric : …
Dom : J’aimerais que tu racontes cela à la classe toi-même, à moins que tu préfères que je le raconte.
Frédéric : …
Aman : Ah, moi je crois savoir !
Je laisse à Aman le soin de raconter ce qu’il sait. Ils étaient visiblement deux à être au courant de l’histoire. Aussitôt la classe réagit.
Rémy : Ouah ! C’est du vol !
Tiffany : C’est de l’arnaque, il profite du journal de la classe pour gagner de l’argent.
Mathilde : En plus, après les gens vont penser que c’est toute la classe qui vole de l’argent et on pourra plus vendre de journaux.
Baptiste : C’est pas juste qu’il profite de notre travail pour récupérer de l’argent.
Bénédicte : Ouais, non seulement il vole la dame, mais il vole aussi la classe.
Ophélie : Faudrait rembourser la dame, pour pas qu’elle pense que la classe vole.
Mathilde : On devrait même lui offrir le journal pour s’excuser.
Dom : C’est une bonne idée. Je propose même que ce soit Frédéric qui y aille.
Aman : Oui, mais il va peut-être encore dire que c’est dix francs.
Abdesselam : On a qu’à envoyer quelqu’un avec lui !
Valentin : Moi, je veux bien l’accompagner.
11 h 30. Nous voilà tous les trois, Frédéric, Valentin et moi, sur le chemin des écoliers pour redresser le dérapage. Frédéric rend dix francs, Valentin offre fièrement un « Ouvre-boîte ». La dame est en effet très compréhensive. Après quelques échanges très courtois, chacun se sépare. Il n’est pas fier Frédéric. On ne l’a pratiquement pas entendu. Il a juste esquissé un vague mouvement de protestation quand il a entendu que j’étais du voyage mais la présence de Valentin a dû le rassurer, il ne s’est pas senti seul face à des adultes pour gérer ce problème.
Obnubilée par la volonté de préserver son image vis à vis de l’extérieur, la classe en oublie de juger Frédéric, de le condamner. Au delà du fait que Frédéric ait utilisé un projet collectif pour détourner de l’argent, n’a t’il pas voulu attirer l’attention sur lui ? Ce n’est pas improbable, puisque deux enfants de la classe étaient au courant. En tout cas, appel ou pas, la classe lui répond, elle va l’aider, lui proposer des solutions pour réparer son erreur, pour redorer le blason de chacun. Cette proposition rend d’une part son bien à la victime, relégitime l’image de la classe aux yeux de tous et réintègre Frédéric, qui accepte facilement ces décisions comme unique sanction, loin du cercle des parents ou autres autorités hiérarchiques, renforçant ainsi l’idée d’autonomie de la classe pour réguler ses conflits.
Ainsi, « dans le jeu des interactions et des transactions sociales, la sanction représente le prix d’une dette, dette à l’égard d’une victime ou d’un groupe et dont le coupable doit s’acquitter pour retrouver sa place dans l’espace symbolique des échanges.3»
Conseil de coopé du 8 février
Animateur : Valentin. Secrétaire Abdesselam
(…) Valentin : On peut passer aux propositions. Bénédicte a la parole.
Bénédicte : Il faudrait racheter des feutres pour transparent.
Dom : Combien en faut-il ?
Mickaël : Y’en a plus que 12 qui marchent. Il en faudrait 15.
Dom : J’irai la semaine prochaine
Ophélie : J’aimerais qu’on puisse rester en classe pendant la récré. »
Les approbations fusent, la demande devient quasi générale. Un petit sondage me permet de savoir ce qu’ils aiment faire en classe. Je leur explique que je suis prêt à accepter sous certaines conditions, que normalement les textes me l’interdisent, qu’ils fassent des propositions pour éviter que les incidents se reproduisent.
Valentin : On pourrait nommer un animateur qui surveille la classe pendant la récré.
Abdesselam : On peut recommencer comme avant, on fera attention.
Charline : Mais non, il faut faire une règle pour pas qu’il ait de problèmes
Baptiste : On va avoir tellement de règles que bientôt on pourra plus bouger.
Bénédicte : Ben on a le droit de rester en classe que si on n’a pas eu de numéro pendant la semaine.
Ophélie : Ouais, on peut mettre un feu pour la semaine en comportement…
8 octobre : premières lois
Animatrice : Charline—Secrétaire : Tiffany
(…)
Charline : On peut passer à la rubrique « Je n’ai pas aimé ». Alexis a la parole.
Alexis : J’ai pas aimé Abdesselam, mardi, il m’a piqué ma trousse.
Abdesselam : C’était pour jouer !
Ophélie : Ouais, ben t’as pas à jouer avec les affaires des autres !
Charline : Qu’est-ce qu’on fait ?
Franck : On n’a qu’à mettre un numéro 4 à Abdesselam !
Abdesselam : C’est quoi un numéro 4 ?
Charline : Quand t’as pas respecté une règle, t’as un numéro. C’est le numéro de la règle qu’il faut respecter.
Cyril : De toute façon, les numéros, ça sert à rien, ça marche pas. On a beau se prendre des numéros, on continue quand même à pas respecter les règles.
Bénédicte : Oh ben Cyril, parle pour toi !
Charline : Alors, qu’est ce qu’on fait ?
(…)
Le « Petit livre à 1 franc » :
Permettre à chaque enfant de construire son shéma linguistique en gardant la trace de ses tâtonnements successifs, tel est l’objet de cet outil élaboré par Florence Saint-Luc pour sa classe de CM1 CM2.
C’est un outil en expérimentation pour les élèves du CE1 au CM2 mais les derniers développements apportés laissent à penser qu’il pourrait être utilisé dès le CP et poursuivi au-delà de l’école primaire... Cet outil permet à chaque enfant de construire son schéma linguistique en gardant la trace des tâtonnements successifs. Une notion abordée une année peut être approfondie l’année suivante, voire 2 ans après... La question matérielle posée est celle de la solidité des feuilles, mais on peut y pallier en les mettant sous transparents plastiques.
Présentation
Il représente l’inventaire des faits de langue, vus sous des aspects différents (linguistiques, organisationnels, grammaticaux, phonétiques, étymologiques ...) organisés en 9 parties principales :
-typologies des textes
-la phrase et le sens
-l’observation des mots
-les classes de mots
-les homonymes grammaticaux
-les fonctions
-les accords
-la conjugaison
-la phonétique
-le dictionnaire.
Les notions sont classées suivant une numérotation décimale de 3 chiffres. Les nombres terminés par zéro traitent de généralités, exemples :
000 grammaire du texte ; différents types d’écrits, généralités.
010 écrits prescriptifs : généralités
Il est constitué d’un simple classeur. A l’emploi, il est important que les enfants n’utilisent qu’une feuille par notion abordée de manière à classer celle-ci sans difficulté et à pouvoir y revenir aisément soit pour la compléter, soit pour y apporter d’autres exemples.
Son emploi,
le moment déclencheur
Premier cas :
Lorsqu’un problème est rencontré dans un texte d’enfant ou pour la préparation des brevets, ou encore lorsqu’un texte permet d’aborder un nouveau type d’écrit, une page est ouverte dans le classeur.
Lorsque je trouve un certain type d’erreurs dans un texte, j’effectue un premier toilettage qui ne laisse que ce type d’erreurs : par exemple, la concordance des temps ou les adjectifs, etc...
Le texte est alors travaillé collectivement sur ce thème et il sert desupport à une page nouvelle du classeur de français.
Il m’arrive de tomber sur des textes d’enfants ayant de très grosses difficultés ; ne pouvant comprendre le sens, à cause d’une syntaxe plus qu’incertaine, ou une ponctuation absente, je ne vois pas comment aider l’enfant à reformuler son histoire.
Le texte est alors repris avec la classe, avec un jeu de questions-réponses, et plusieurs enfants reformulent des phrases de manière différente, et c’est l’auteur qui donne son accord pour la version définitive. Des textes de ce type ont servi de support à un travail sur la ponctuation .
Au niveau de la forme, nous avons répondu à certains besoins. Nous avons essayé d’analyser des petites annonces, des recettes de cuisine. Pour la recette de cuisine, nous avons dégagé, à travers des recettes humoristiques proposés par les enfants 3 différentes possibilités, avec l’emploi du présent sous 3 modes différents : indicatif, infinitif, impératif. En ce qui concerne les petites annonces, cette étude a été le point de départ de créations fantaisistes pour les enfants. L’annonce d’une naissance a été l’occasion de travailler le faire-part. La communication des règles d’un jeu aux correspondants nous a permis d’aborder de type d’écrit prescriptif.
Deuxième cas
Au hasard du travail de la classe (et pas forcément pendant des leçons de français), un enfant déclare à la classe qu’il a observé tel fait de langue. Il est alors invité à l’écrire sur une fiche T qu’il va placer dans un planning métallique.
L’exploitation
Des problèmes ou observations sont proposés ; les enfants en cherchent d’autres, puis élaborent des hypothèses qui vont se transformer en “règles” après vérification. Les exercices sont construits avec les élèves. Si d’autres exemples ou erreurs du même type se retrouvent plus tard, si les règles ont besoin d’être précisées ultérieurement ou les années suivantes, la page peut être complétée ou enrichie d’une deuxième page si nécessaire.
Le classement
A la fin de chaque séance d’étude collective d’un sujet, un titre est donné à la fiche ainsi que son numéro d’après la nomenclature de l’enseignant. Il est nécessaire, au moins une fois au début, de prévoir, lorsqu’un certain nombre de fiches ont été écrites, une séance de rangement de celles-ci à l’intérieur du classeur. En effet, ce genre de rangement ne va pas de soi pour les enfants. Par la suite, les feuilles sont rangées par les enfants sans l’aide de l’adulte.
L’intérêt serait de pouvoir conserver le classeur plusieurs années pour retrouver chaque type de difficulté en se remettant en mémoire ce qui a été vu en l’abordant d’une manière plus approfondie ou avec un nouvel éclairage. Les accords sujets-verbes ne vont pas se poser de la même façon en CE, en CM, ou en secondaire. Il est pourtant bon à chaque fois de repartir sur les anciennes bases ; cela permet à certains qui n’étaient pas mûrs à ce moment-là de revoir les notions afin de mieux les assimiler.
Aller plus loin :
Il serait nécessaire :
-d’améliorer la nomenclature ainsi que le classement utilisé jusqu’alors ;
-de théoriser sur l’emploi et l’utilité de celui-ci ;
-de réfléchir à la possibilité de fabriquer un outil publiable.
Florence Saint-Luc
L’exemple de l’adjectif
Une année, l’adjectif avait été rencontré lors de l’écriture de la lettre de présentation des correspondants.Un premier niveau de lois d’accord adjectifs-noms avait été proposé. Les enfants avaient observé des irrégularités concernant l’accord des adjectifs de couleur, mais ils n’avaient pu émettre de lois à ce sujet. Ce n’est que plus tard, avec les élèves de CM1 que j’avais gardés au CM2 que nous sommes revenus sur le sujet et qu’ils ont pu émettre des lois permettant d’élucider le fonctionnement de l’accord avec les adjectifs de couleur. Il leur avait fallu du temps, de la maturation, et l’augmentation du corpus d’étude, pour arriver à résoudre ce problème.
D’autres pratiques du classeur de français ont été décrites dans le Nouvel Educateur :
Vers une méthode naturelle
d’étude de la langue,
dossier du numéro 115 (janvier 2000)
Pratiques de classe: le classeur de français
numéro 88 (avril 97)
Le chantier outils d'apprentissages de l'ICEM travaille actuellement à l'élaboration d'un classeur de français. Ce module de travail est animé par A-Marie Maubert. Si vous souhaitez y participer, contactez la :
Rue de la Roussille,
63910 VERTAIZON.
Tél : 04 73 68 03 60.
Mél :
MAUBERT.MICHELwanadoo.fr
Editorial
Rentrée scolaire 1999 : l’école élémentaire de Marmoutier a accès à internet. Elle dispose d’une salle informatique dotée de neuf nouveaux ordinateurs, reliés en réseau. Yves Comte* dispose d’un P.C. connecté dans sa classe. Cet équipement, plusieurs collègues l’ont souhaité. Maintenant qu’il est là, il s’agit de démontrer son utilité.