Pour la numération décimale intégrale

Juin 1936

Il semble étrange à première vue qu' il y ait besoin de parler, en France, de mieux appliquer le système décimal. C'est pourtant nécessaire. Il faudra nous débarrasser de plusieurs expressions obscures qui ne sont conservées dans la langue que par routine.
Ce sont les expressions : soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix. A la place, nous dirons : septante, octante et. nonante.
Ces mots sont tout à fait français ; ils sont clairs et logiques. On les emploie dans quelques régions de la France. Ainsi, tout dernièrement, à Nice, dans un magasin de la vieille ville, on annonçait à la caisse que je devais payer quatorze francs septante cinq.
En Belgique et dans la Suisse de langue française, on dit aussi septante, octante et nonante.
Dans les pays voisins, voici ce que nous voyons : en Angleterre, 7 se lit seven, et 70 seventy. 8 se lit eight et 80 eighty, 9 se lit nine et 90 ninety. En Allemagne, il y a sieben ct siebzig, acht et achtzig, neun et neunzig. En Italie, c' est sette, 7 et settanta 70. Puis ollo, 8 et ottauta , 80 ; nove, 9 et novanta 90.
Beaucoup d' étrangers savent que le système métrique décimal a été établi en France et c'est une des gloires de la Révolution. Cela semble certainement bien étrange à plus d'un, quand il apprend le français, d'avoir à dire ces expressions si archaïques et si illogiques : soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix.
Pour nos pauvres petits enfants, c'est un casse-t ête, un travail bien inutile. Le professeur ne peut donner aucune explication logique. C'est comme cela et voilà tout ! Et l'on répète bien des fois, d'une voix chantante : soixante-dix, soixante et onze, soixante-douze, soixante-treize, soixante-quatorze, etc ...
Non seulement c'est un travail inutile, mais il est nuisible car il est illogique.
Toute la compréhension du système métrique peut être troublée du fait que, dans la numération, l'étude de la première centaine
n'a pas été enseignée avec des expressions logiques et simples.
Nous supprimerons du même coup les mots onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize. Puisque nous disons bien dix-sept, dix-huit et. dix-neuf, nous dirons aussi dix-un, dix-deux, dix-trois, dix-quatre, dix cinq et dix-six.
Le système décimal est tout à fait logique quant à l'écriture des nombres. Nous avons neuf signes : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et le zéro. Tous les nombres, tous, s'écrivent avec ces neuf signes et le zéro. Dans le langage parlé il pourrait en être de même, ou presque : dix mots pour représenter les dix premiers nombres. Après dix, en combinant les mots précédents, on dirait : dix-un, dix-deux, dix-trois, etc ... , dix-neuf. Pour deux dizaines on dirait deux-dix, pour trois dizaines, trois-dix , etc ...
64 se lirait six-dix quatre, (on dit bien six cents , six mille, pourquoi ne pas dire six-dix ?).
75 se lirait sept-dix cinq. 93 se lirait neuf-dix trois.
Ainsi, en combinant les noms des dix premiers nombres, nous irions jusqu'à 99. Un mot nouveau pour désigner la centaine, cent. Et nous allons ainsi jusqu'ir 999. Attention, neuf cent neuf dix neuf. Un mot nouveau pour désigner 1.000, mille. Et c'est fini jusqu'à 999 999. Disons bien : neuf cent neuf dix neuf mille neuf cent neuf dix neuf. Un mot nouveau encore, le million, puis le billion, etc ... Voilà notre vocabulaire bien réduit.
Sans en venir à cette simplification extrême et logique, nous ferions une excellente réforme en supprimant. les expressions : soixante-dix, quatre-vingt, quatrevingt-dix et les mots : onze, douze, treize, quatorze, quinze et seize.
Souhaitons que les dirigeants de l'Enseignement en France prennent un jour la décision de faire appliquer cette réforme dans tout le pays. En attendant tous ceux qui sont intéressés par ce qui vient d'être dit peuvent commencer à l'appliquer autour d' eux. Chaque maman qui
apprend à compter à ses enfants leur dira : dix-un, dix-deux, dix-trois... et septante, octante et nonante.
Les instituteurs et professeurs en feront autant dans leurs classes, et les années passant, la réforme s'étendra sur tout le pays.