Eloge - s'il en était encore besoin - du texte libre

Avril 2000

Chronique
 
Eloge - s'il en était encore besoin - du texte libre
 
Une collègue du mouvement disait un jour que si elle ne devait garder qu’une seule des techniques Freinet, ce serait à n’en point douter la correspondance. Pour ma part, je ne doute pas non plus, ce serait le texte libre. Je parle de ces textes qui jaillissent comme mus par la nécessité de dire, de se dire au travers même, au travers surtout, de ces histoires totalement farfelues, imaginaires ou fantaisistes... Je n’en ai jamais vu qui ne soit porteur de quelque chose de fort, quelque chose qu’on entrevoit, qu’on subodore, qu’on imagine ou dont on rêve peut-être... Le texte libre est porteur avant tout d'un pouvoir de libérer, pouvoir cathartique, si fort qu’il semblerait bien que ce ne soit pas texte libre qu'il faille l'appeler, mais texte libérateur...
 
Le texte libre, on ne devrait y toucher qu'un minimum. D’autres écrits d’enfants, rédactions à sujet imposés, comptes-rendus, jeux d’expression écrite, exercices de tous ordres, pourront faire l’objet d'apprentissages élaborés, sur le style, la construction du récit, sur sa cohérence...
Mais le texte libre a sa fonction propre qui se perd dès lors qu'on se mêle de vouloir en faire un support « scolastique ».
Sur l’importance du texte libre, de son pouvoir libérateur, sur la puissance de ce qui se dit au travers de pauvres mots, de phrases maladroites à la syntaxe bancale, sur la profondeur du ressenti, de l’expérience ou sur la force du désir enfoui dans les dédales d'une narration ou simpliste ou si alambiquée que la raison s’y perd, il y aurait tant à dire ! De la même manière que les contes perdurent par la façon dont ils résonnent dans nos souterrains intérieurs, de la même manière, les enfants votent au choix de textes, pour des histoires qui parlent à leur inconscient, et qui a priori, comme on n'est plus dans le même désir qu'eux, nous échappent, à nous adultes...
 
Texte de Charlie, (élu ce jour)
Charlie tombe amoureuse
« Il était une fois une petite fille qui s'appelait Charlie et qui vivait seule dans sa maison car elle avait perdu ses parents. Un jour, elle alla se promener dans la forêt et elle y rencontra Jonathan, Grégoire, .Jérôme et Jérémy Elle tomba amoureuse d'eux. Et eux aussi d’elle, bien sûr. Ils se marièrent le lendemain, tous ensemble, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. »
 
.le ne dirai pas à Charlie que ce sont ses propres fantasmes qu’elle a projetés là. Fantasmes d'un âge où choisir signifie renoncer, comme à tous les âges d’ailleurs, mais ici renoncer à une part de cette toute puissance fantasmatique à laquelle on s’accroche si désespérément. Je ne lui dirai pas qu’elle porte déjà en germe la stupéfiante difficulté où se trouvent la plupart des jeunes gens d'aujourd'hui à se fixer sentimentalement. .Je n’ajouterai pas que si elle se débarrasse d'emblée des parents un rien gênants c'est parce qu'ils représentent l'interdit (interdit, entre autres ici de la polygamie). Je ne renverrai rien du tout. Mais je m’autoriserai cette interprétation car elle m’ancre davantage dans la certitude que le texte libre est unique pour dire, grâce au pouvoir de l’imaginaire sous lequel elle se déguise comme se déguise toujours le désir de l'inconscient, une parole de vérité.
« Je crois quand même, dit Samuel, qu'il faudrait qu'on écrive "histoire imaginaire" dans le titre, pour que les gens qui vont lire cette histoire, "savent" bien qu'on sait que c'est pas permis ! »