Le Nouvel Educateur n° 40

Juin 1992

Ecole : la violence et ses mensonges

Juin 1992

La violence à l’école, loin de pouvoir être traitée par une stratégie répressive, ne pourra l’être que par une mutation éducative

 
La violence en milieu scolaire est parfois appréhendée par les médias comme un phénomène relativement neuf, traitée comme un événement récent, fort croustillant pour notre société de consommation outrancière. Fort dangereuse pour la démocratie tant elle alimente de fantasmes sécuritaires. Eh oui, en France on ne touche ni aux enfants, ni aux petites vieilles. Ça tremble dans les campagnes : les hordes barbaresques déferlent sur l'école. Et de regretter le bon vieux temps.
 
La seule solution envisageable ne serait-elle pas une sanctuarisation de l'espace scolaire ? Une école-bunker fermée sur les violences extérieures où régnerait la bonne vieille discipline de jadis ? Il est des penseurs de tout bord politique et de tout progressisme pour affirmer, au nom d'une transmission démocratique des savoirs, que l'école doit se replier sur elle-même.
 
La peur est exploitée. Tel humoriste tente un dessin à la une du Figaro, où l'on voit le ministre de l'Intérieur s'exclamer : « Tant que mes flics n'auront pas compris que nos consignes laxistes donnent aux Beurs le droit de les écraser avec des voitures volées, nous auronsà déplorerdes bavures policières ». Ce n'est pas du racisme, paraît-il. Pas plus que la une du quotidien d'extrême droite, Présent, qui titre : « Ce n'est pas parce que ce sont des jeunes, c'est parce qu'ils sont restés des sauvages ! Et parce que les autorités morales et politiques n'arrêtent pas de les excuser, de les plaindre, de les comprendre, de les justifier ».
 
Pas question de faire le procès de l'ensemble de la grande Presse, bien sûr. D'autres dossiers sont remarquablement bien faits. Je pense par exemple à des dossiers du Monde de l'éducation (M.Valo), de Marie-Claire (E.Canestrier) ou de l’Express (M.L. de Léotard). Il n'empêche : le climat est délétère. Le climat est à l'antipédagogie. Significatif par exemple cet article du Point, lors des « événements lycéens » de 90 : « Autrefois l'école était un sanctuaire. On a tellement voulu l'ouvrir sur la société qu’on y a fait entrer la violence. Ne faut-il pas refermer les portes des lycees ? » Et de parler de « cauchemar américain : agressions, homicides, viols, trafic de drogue».
Il faut pour assainir le débat répondre d'abord à trois questions : la violence à l'école est-elle un phénomène récent ? Quelle est son importance actuelle ? Qu'estce que la violence ?
En chemin, nous nous interrogerons aussi sur un des « mensonges» essentiels de la violence : suffit-il de punir pour lutter contre elle ?
 
La violence en milieu scolaire est parfois appréhendée par les médias comme un phénomène relativement neuf, traitée comme un événement récent, fort croustillant pour notre société de consommation outrancière. Fort dangereuse pour la démocratie tant elle alimente de fantasmes sécuritaires. Eh oui, en France on ne touche ni aux enfants, ni aux petites vieilles. Ça tremble dans les campagnes : les hordes barbaresques déferlent sur l'école. Et de regretter le bon vieux temps.
 
La seule solution envisageable ne serait-elle pas une sanctuarisation de l'espace scolaire ? Une école-bunker fermée sur les violences extérieures où régnerait la bonne vieille discipline de jadis ? Il est des penseurs de tout bord politique et de tout progressisme pour affirmer, au nom d'une transmission démocratique des savoirs, que l'école doit se replier sur elle-même.
 
La peur est exploitée. Tel humoriste tente un dessin à la une du Figaro, où l'on voit le ministre de l'Intérieur s'exclamer : « Tant que mes flics n'auront pas compris que nos consignes laxistes donnent aux Beurs le droit de les écraser avec des voitures volées, nous auronsà déplorerdes bavures policières » . Ce n'est pas du racisme, paraît-il. Pas plus que la une du quotidien d'extrême droite, Présent, qui titre : « Ce n'est pas parce que ce sont des jeunes, c'est parce qu'ils sont restés des sauvages ! Et parce que les autorités morales et politiques n'arrêtent pas de les excuser, de les plaindre, de les comprendre, de les justifier ».
 
Pas question de faire le procès de l'ensemble de la grande Presse, bien sûr. D'autres dossiers sont remarquablement bien faits. Je pense par exemple à des dossiers du Monde de l'éducation (M.Valo), de Marie-Claire (E.Canestrier) ou de l’Express (M.L. de Léotard). Il n'empêche : le climat est délétère. Le climat est à l'antipédagogie. Significatif par exemple cet article du Point, lors des « événements lycéens » de 90 : « Autrefois l'école était un sanctuaire. On a tellement voulu l'ouvrir sur la société qu’on y a fait entrer la violence. Ne faut-il pas refermer les portes des lycees ? » Et de parler de « cauchemar américain : agressions, homicides, viols, trafic de drogue».
Il faut pour assainir le débat répondre d'abord à trois questions : la violence à l'école est-elle un phénomène récent ? Quelle est son importance actuelle ? Qu'estce que la violence ?
En chemin, nous nous interrogerons aussi sur un des « mensonges» essentiels de la violence : suffit-il de punir pour lutter contre elle ?
 
La violence à l’école : de l’histoire ancienne
 
La violence à l'école est loin d'être un phénomène nouveau. C'est même de l'histoire ancienne, très ancienne. Je relèverai simplement quelques faits extraits d'une recherche en cours. Histoire de relativiser notre violence. Le respect se perd ? Les profs se font injurier ? A Pompéi, on a relevé des graffitis où un enseignant se voit affublé des doux noms de «sale pédé», «vieux mignon », « suceur ». Un autre maître, Orbilius, se plaint dans son Souffre-douleur des mauvais traitements subis du fait de « la négligence et de la morgue des parents ». Juvénal, dans ses Satires, évoque les coups donnés aux maîtres par les enfants (1).
 
C'est loin tout cela ? Faisons un bond dans le temps pour arriver à une grande époque des violences scolaires, le XIXe siècle. Sont-ils si « nouveaux » ces rapports d'inspecteurs (2) :
« Le gouvermement du collège appartient à un certain nombre de mauvais sujets qui ont eu l'ascendant de soumettre leurs camarades au despotisme de leur volonté. Les fonctionnaires de l'établissement appelés par leur place à y maintenir l'ordre n'y sont plus traités qu'en ennemis et les enfants qui leur obéissent encore y sont regardés comme des esclaves. Aussi les maîtres n'entrent en classe qu'auec frayeur. Les maîtres d'études tremblent en présence de leur division. Le censeur ose à peine se montrer dans les cours du collège ».
 
Ceci se passait à Marseille en 1828. A Charleville en 1872, un collégien est trouvé assommé à la porte du collège. Une expédition punitive est montée par des collégiens armés de casse-têtes (les battes de base-ball de l'époque) et sept ou huit élèves de l'école privée sont copieusement rossés. Le principal se plaint d'être obligé d'accompagner les « grands » à chaque promenade, de peur d'une rixe. A Louis-le-Grand en 1883, les élèves, après avoir conspué le nom du chef d'établissement, forcent une grille. Ils assaillent son bureau, commence à briser les vitres de l'antichambre. Un dortoir est mis à sac. Une escouade de sergents de ville finira par rétablir l'ordre après un combat homérique. Pour terminer une liste qui pourrait être fort longue, citons encore cette lettre d'un recteur d'Académie au ministre qui raconte comment un maître répétiteur est « étourdi de coups », puis ligoté, traîné sur le parquet, la barbe rasée à moitié. Et qui conclut ainsi :  « Le censeur, le surveillant général et d'autres maîtres, éueillés par le tapage, sont accourus et ont réussi non sans peine, après auoir enfoncé la porte, à rétablir l'ordre. Il était temps, les élèves avaient passé la corde au cou du maître et délibéraients s’ls le jetteraient par la fenêtre ». On imagine les «unes » actuelles si un pareil fait se produisait !
 
De la répression
 
En fait, fréquents seront au XIXème siècle les recours à la troupe et à la gendarmerie : à Nantes, à Pontivy, à Poitiers, à Toulouse, Amiens, Bourges, etc. Il y a plusieurs leçons à tirer de ces événements, avant d'évoquer des violences plus récentes : d'abord l'extrême ancienneté du phénomène bien sûr. Ensuite le fait que les « violences » actuelles sont sans doute bien loin d'atteindre les sommets connus au siècle dernier. Ce qui a changé c'est notre rapport à la violence, que nous supportons moins, la violence ayant été fortement dévalorisée par l'idéologie bourgeoise qui a proposé un idéal de non-violence en éducation. Enfin et surtout, les violences évoquées dans nos exemples ont lieu dans des périodes où l'arsenal répressif est très important et appliqué sans faiblesse, comme un recours naturel de l'adulte. Dans la Rome antique c'était un spectacle familier, parfois prisé, de voir frapper un enfant par son maître. Qu'on se rappelle le « cachot »qui n'est aboli qu'en 1863, qu'on se rappelle la férule ou le «robinet » (3). Bien qu'interdite depuis des années par l'école laïque la férule n'est-elle pas encore si naturelle au XXesiècle que Marcel Pagnol, dans le beau portrait de hussard noir de la République qu'il dresse à la gloire de son père le décrit : « Il tenait à la main une baguette de bambou : elle lui servait à montrer les lettres et les mots qu'il écriuait au tableau noir, et quelquefois à frapper les doigts d'un cancre ».
 
Les pensums et les retenues sont monnaie tellement courante que Jules Simon, dès 1874, en dénonce l'absurdité manifeste, tout en ne sachant pas par quoi les remplacer. Elles donnent plus de travail à ceux qui déjà ne s'en sortent pas : « la retenue ne vaut rien, mais elle vaut mieux que le reste ». Il faudrait continuer par une histoire du chahut, qui signe les relations scolaires conflictuelles jusqu'au début des années 70 et qui disparaît progressivement avec la montée de l'individualisme. Même si ce chahut est une forme admise, presque normale de la socialité scolaire (4), quel enseignant désigne boucémissaire ne le ressentirait comme une violence terrible : ce sont les cris et les jets d'objets, les taches sur les blouses et les fléchettes, l'arsenal des bombes puantes, bombes « algériennes» et autres « ondes lacrymogènes » dont les bazars situés près des écoles faisaient autant commerce que de bonbons et sucreries diverses.  Tout cela existant malgré l'autorité, malgré une répression moins honteuse d'être ce qu'elle est : un système pénal scolaire. Mais l'essentiel est dit, n'allons pas plus avant dans notre rétromanie, le premier acquis est de montrer l'ancienneté des problèmes de violence à l’école et ce malgré un arsenal disciplinaire important. La violence ce n'est ni nouveau, ni dépendant simplement d'un « laxisme » nouvelle vague. Il ne suffit pas de punir.
 
Des violences actuelles
 
Le rapport Léon, une des premières études quantitatives officielles portant sur la violence à l'école, montre que ce phénomène est loin d'être marginal (5). Ce sont ainsi, dans les collèges de l'échantillon, 80,5 % de ces établissements qui connaissent des déprédations souvent graves, les rackets existent dans 58,5 % des collèges. 74,5 % des lycées professionnels connaissent des bagarres. Les agressions verbales contre les adultes sont très fréquentes (elles concernent 43,9 % des collèges et 72,9 % des LP). Les dommages aux biens des adultes sont présents dans 17 % des établissements et, si elles sont très minoritaires, les agressions contre les personnes existent dans 10,2 % des établisssements. Disons d'abord que le rapport Léon est établi en 1983, d'après les chiffres de l'inspection générale de 1979 et 1980. Autrement dit la violence à l'école n'est pas née avec la « gauche au pouvoir » ! D'autre part, la fiabilité de ce rapport est limitée : l'échantillonnage s'appuie sur « des établissements a priori à problèmes » et ne peut recenser que les faits indubitables. La violence n'est pas si aisément quantifiable, nous y reviendrons. De plus, plus que le nombre d'établissements touchés, il serait important d'avoir une statistique plus fiable sur la fréquence.
 
Pas question bien sûr de minimiser l'importance des problèmes de violence à l'école. Elle est pour moi un des problèmes éducatifs majeurs (6). Mais l'aborder sainement exige de l'aborder objectivement. Ainsi un sondage paru dans le Monde du 30 mai 1991 est très éclairant. A la question : Y a-t-il de la violence dans votre lycée ? » 2 % des lycéens seulement répondent beaucoup, 8 % assez, 45 % peu et 45 % pas du tout. La situation est donc loin d'être aussi catastrophique qu'un sensationnalisme outrancier l'a prétendu. Un rapport du ministère de l'Éducation nationale (MEN, 1988) sur les « Regards des jeunes sur le système éducatif » montre toutefois que 66 % des jeues déclarent avoir été témoins d'agressivité ou de violence dans leur collège. La violence n'est pas fréquente, sans doute, mais elle est largement présente. Les dégradations viennent en tête des problèmes qui se posent pour une forte minorité déjeunes (32 %) dans leur établissement.
 
Violence, violences
 
Il y a cependant une singulière hypocrisie à n'évoquer que la violence des jeunes. Comme si l'on ne parlait que des parents battus... Peut-être est-ce douloureux à entendre, mais il faut bien le dire, il y a plus d'enfants recevant gifles, fessées ou subissant diverses contraintes physiques que d'enseignants agressés dans les écoles françaises ! Silence sur cela, pourtant les faits sont clairs. P. Jubin a ainsi montré que 77 % des enseignants du second degré reconnaissaient « avoir malmené physiquement », des élèves désignés comme «tête à claques » (7) et B. Douet a de son côté relevé que 44,2 % des enseignants du primaire ont vu donner des fessées (19 % reconnaissent en avoir donné, ce qui fait quand même un sur cinq). 95 % des élèves du CP disent avoir vu un enseignant administrer gifle ou fessée (8). Une mutuelle d'assurances a fait paraître dans un de ses derniers bulletins (SAU. no 67, mars 1992) un dossier spécial sur les châtiments corporels montrant à ses adhérents que, quels qu'en soient les règlements administratifs, la justice française reconnaît par jurisprudence le droit à la correction pour les enseignants. Il y a de quoi s'indigner. Il ne s'agit pas pour autant de culpabiliser, mais de mettre en mains les faits réels.
 
Mais le plus grand mensonge de la violence n'est pas là. Il est dans son invisibilité beaucoup plus que dans son caractère spectaculaire. Celle qui fait problème n'est pas massivement celle qu'on peut comptabiliser, observer. Une approche qualitative est nécessaire. Dans un travail encore inédit que je mène avec des étudiants de Bordeaux II et de Paris V il est remarquable de constater qu'à la question : « Connaissez-vous ou avez vous ressenti de la violence dans votre classe ou dans notre école ? » , c'est la relation pédagogique qui est mise en cause. Près de 100 entretiens ont été menés auprès d'enseignants et d'élèves dans des établissements de tous types. Des entretiens de groupe et des interventions diverses viennent compléter ces données. L'analyse thématique en cours sur ce matériau montre que si la violence entre élèves est présente, essentiellement sous la forme de bagarres, elle n'est pas la plus problématique, et ce même dans les établissements « à problèmes ». Massivement chez les élèves c'est la violence « morale » exercée par les enseignants qui est mise en cause : ce thème est présent dans 74 % des entretiens. Le constat est amer avec particulièrement le thème du non-respect, de l'humiliation, voire du racisme. La communication élève-enseignant semble particulièrement problématique, ce qui corrobore les enquêtes réalisées par le ministère (66 % des élèves pensent qu'on ne les écoute pas assez). Pêle-mêle il faut noter aussi la mise en cause des processus d'orientation, la trop grande contrainte des corps ou le manque de sens. Chez l'enseignant c'est le sentiment d'une ambiance dégradée, d'une non-écoute. La remise en cause du rôle de l'enseignant crée une forte insécurité qui augmente le désir de restauration d'un ordre mythique.
 
Bref, la violence à l'école n'est pas neuve, elle n'est pas non plus celle des seuls élèves. Surtout, elle n'est pas essentiellement la violence des coups ni seulement la violence tonitruante des injures. Il ne s'agit pas de s'en désespérer, ou de s'en culpabiliser. La violence à l'école, loin de pouvoir être traitée par une stratégie répressive ne pourra l'être que par une mutation éducative. A quoi le dossier joint à ce numéro vous invite à réfléchir.
 
Éric Debarbieux
 
 
 
 
(1)           cf J. -P. Neraudeau, Etre enfant à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 1984.
 
(2)           cf. M. Crubellier, L'enfance et la jeunesse dans la société française, -Paris, A. Colin, 1979 et R..-H. Guerrand, C'est la faute aux profs, Paris, La Découverte, 1987.
 
(3)           P. Giolitio, Abécédaire et férule. Maître et écolier de Charlemagne à Jules Ferry, Paris, Imago, 1986. Voir a ussi B. Grosperrin, Les petites écoles sous l’Ancien Régime, Ouest-France Université, 1984.
 
(4)           J. Testanière, Chahut traditionnel et chahut anomique dans l'enseignement du second degré, Revue française de sociologie, n' 8, 1967, pp. 17-33.
 
(5)           J.-M. Leon, Violence et déviance chez les jeunes : problèmes de l'école, problèmes de la cité, rapport présenté à M. Savary, exemplaire dactylographié.
 
(6)           cf. É. Debarbieux, La violence dans la classe, Paris, ESF, 1990, ouvrage réalisé avec l'aide d'un groupe de travail de l’ICEM
 
(7)           P. Jubin, L'élève Tête-à-claques, Paris, ESF, 1988
 
(8)           B. Douet, Discipline et punitions à l'école, Paris, PUF, 1987
 

 

De l’idée de compensation culturelle à celle d’attelage éducatif

Juin 1992

Ecole et quartiers défavorisés

De l’idée de compensation culturelle à celle d’attelage éducatif

 
Compte rendu d’un travail de dix années autour de la revalorisation des parents en tant qu’acteurs responsables dans l’éducation de leurs enfants
 
C'est l'historique du travail réalisé depuis dix ans autour de la petite enfance dans un quartier défavorisé (cité de transit, HLM).
 
C'est un travail autour de la revalorisation des parents en tant qu'acteurs responsables dans l'éducation de leurs enfants. Ouverture des institutions éducatives et participatives des parents (écoles maternelles, haltes garderies...).
 
Louisette Guibert est inspectrice de l'Éducation nationale dans une circonscription du nord de Nantes. C'est un quartier de 40 000 habitants dont 15 000 sont en grande difficulté sociale La Proportion d'immigrés est de 15 %. Il est à noter que ceux-ci ne constituent pas la population la plus fragilisée. Dans ce quartier se trouve une cité de transit où séjournent entre autres des Tsiganes sédentarisés ; il présente un fort taux de délinquance.
 
En 1979, Louisette Guibert est entrée dans l'Association de prévention de la délinquance constituée sur le quartier. Celle-ci a cherché à connaître les raisons de cette délinquance. Elle a remarqué que les jeunes délinquants présentaient tous un parcours scolaire cahotique débouchant sur l'échec social : classe de perfectionnement, SES voire IME... On s'est rendu compte aussi que ces jeunes étaient repérés en difficulté dès l'école maternelle. On en a conclu dans un premier temps que, pour agir sur la délinquance, il fallait travailler sur l'école maternelle et sur l'école primaire. Qu'il fallait même travailler avant l'école, car ces enfants fréquentaient peu l'école maternelle et s'absentaient souvent de l'école primaire.
 
Quatre types d’actions entreprises au fil des ans
 
Une première investigation a été conduite pour savoir pourquoi les enseignants avaient, dès la maternelle, un pronostic très négatif par rapport à la réussite scolaire des enfants de ce quartier.
 
Deux enquêtes parallèles ont été conduites : l'une par un instituteur pour connaître l'histoire de la vie de chaque enseignant, l'autre par un éducateur de rue pour connaître l'histoire de la vie de chaque famille. Le but était de changer le regard des enseignants sur les familles et celui des familles sur les enseignants.
 
Une deuxième action a été entreprise à partir de l'opinion des ensei gnants qui disaient que les enfants étaient en échec scolaire car ils manquaient de stimulation. Une institutrice déchargée de classe a donc effectué une démarche auprès des familles pour stimuler les enfants en leur apportant des livres et des jeux et en leur montrant éventuellement comment les utiliser. Cette expérience, bien acceptée par les familles, a duré un an mais elle s'est révélée insuffisante dans la mesure où la fréquentation de l'école et la réussite des élèves ne se sont pas significativement améliorées.
 
On s'est alors rendu compte que c'était plus l'hostilité à l'institution éducative que le manque de stimulations qui occasionnait l'échec de cesjeunes.
 
La troisième action entreprise fut alors la création d'un lieu pour la préparation à l'école maternelle : une petite maison de la cité de transit « gérée » par une institutrice détachée et une éducatrice de la PMI. Cette maison servait de lieu d'accueil et de regroupement pour les enfants et leurs parents (les mères essentiellement). Elle était ouverte tous les soirs à l'accueil des enfants de moins de cinq ans. On y privilégiait le rapport au savoir lire-écrire-compter. On a créé un lien avec l'école maternelle: deux fois par semaine, la petite section se déplaçait dans la maison de la cité de transit pour y participer à des ateliers enfants et parents regroupés là.
 
Ceci constituait une transition entre le milieu familial et l'institution scolaire ; c'était un lieu non institutionnalisé où l'on venait librement. Cela n'aida pas non plus les parents à venir à l'école. Ils se sentaient jugés négativement par l'école en tant que parents d'autant que complètement démarqués de l'école, ils n'avaient que leurs souvenirs, souvent négatifs, pour comprendre ce qui s'y passait. Il en résulta des rapports conflictuels entre les parents et l'école.
 
Des enfants de la cité de transit, testés systématiquement, ont montré des capacités intellectuelles tout à fait satisfaisantes, mais souvent démarquées des contenus scolaires.
 
Une quatrième action est envisagée. Il s'agit cette fois de travailler au sein de l'école avec les parents. Ainsi, dans toute la circonscription, l'école maternelle s'est ouverte pour montrer aux parents ce qui s'y faisait. Pendant la première semaine de classe, les parents étaient accueillis avec leurs enfants s'ils le désiraient. Cela s'est encore révélé insatisfaisant : les parents les plus défavorisés ne restaient pas. Ils ne savaient pas quoi faire dans l'école, n'y trouvaient pas leur place.
 
Une activité obligatoire fut donc envisagée pour les parents accompagnant leur enfant : il s'agissait de tâches d'aide à l'enfant (enlever ses chaussures, l'inscrire à la cantine...). Cette activité obligatoire était suivie de jeux facultatifs. Le but était de faire comprendre à l'enfant que l'école et la famille travaillaient dans le même sens.
 
 
L’attelage éducatif
 
L'attelage éducatif consiste dans le fait que les parents et l'école travaillent dans le même sens (même s'ils ne sont pas d'accord) et, d'autre part, que les enseignants comprennent où en sont les parents dans leurs processus éducatifs. Dans ce but, les enseignants privilégient la communication individuelle fréquente avec les parents.
 
Autres activités dans la maternelle Les deux institutrices des classes d'adaptation rattachées à l'école maternelle organisent un groupe de langage le samedi matin pour les enfants en difficulté en présence (facultative) des parents. Ceux-ci y viennent. Pendant cette séance, des jeux sont organisés avec les parents et les enfants pour montrer comment favoriser l'évolution des enfants.
 
Les haltes garderies
Parallèlement à tout ce travail, depuis cinq ou six ans, un important travail a été réalisé sur les quatre haltes garderies en considérant celles-ci comme des possibilités de passage entre la famille et l'école maternelle.
 
Un groupe de réflexion s'est mis en place. Il est constitué d'institutrices de petites et moyennes sections, d'institutrices de classes d'adaptation, de monitrices de haltes garderies, de personnel de la crèche, du médecin de la PMI, d'ASEM de petites sections et de parents. Le but de ce groupe est le décloisonnement institutionnel.
 
D'autres actions encore
Les directrices d'écoles rriaternelles vont présenter des documents vidéo sur l'école maternelle aux parents dans le cadre de la PMI. Une éducatrice de quartier fait le même travail directement auprès des familles.
Dans les classes maternelles les ASEM sont associées au travail des enseignantes, elles prennent en charge des ateliers, elles ont participé à un stage de formation à l'Ecole normale sur l'accueil des enfants de deux ans. Elles constituent souvent un bon relais entre l'école et les parents.
 
Au bout de dix ans de travail et de réflexion, bien qu'aucune quantification précise n'ait été réalisée, nous sommes cependant en mesure de montrer combien la delinquance des adolescents est liée au jugement négatif des institutions sur les parents… et réciproquement. Dans ces conditions, les jeunes ne peuvent s'identifier aux acteurs éducatifs. Il convient donc de revaloriser les parents et les institutions éducatives les uns aux yeux des autres. Ceci entraînant une considération réciproque et une intégration plus positive des enfants dans le système scolaire.
 
Il convient de mettre l'accent sur la mise en oeuvre de la synergie des différents acteurs intervenant sur la population avec la participation active de celle-ci.
 
Compte rendu de Michel Albert
 
 
 
UN JOUR D'ÉCOLE
 
Lundi, huit heures au soleil
trente et un dans la classe.
L'interrogation, la feuille
blanche comme l'interminable
chemin et puis des lignes
autant d'embûches au savoir.
Et puis l'envol de main en main
vers l'incroyable chiffr, le seul
l'unique, le plusieurs, la fraction,
le multi.
Et puis la sonnerie de ma liberté.
Un miracle passe dans ma tête
polluée d'idées, d'avenir.
Après les barbelés de ma certitude
le rouge des lèvres, les plissures
d'un sourire, c'est elle : l'espérance.
 
 
Emmanuel, 2e
Lycée de Font-Romeu
 

 

Echos de la FIMEM

Juin 1992

Echos de la FIMEM

 
Allemagne
 
Dans le no 58 de sa revue Fragen und Versuche (1) « Questions et expériences », l'association Padagogik Kooperative, membre de la FIMEM rappelle ses objectifs :
a)       constituer une organisation autogérée pour la formation continue des enseignants dans l'esprit de la pédagogie Freinet;
b)       diffuser du matériel d'enseignement réalisé par ses membres et caractérisé par son originalité et son efficacité ;
c)       soutenir des mouvements politiques et syndicaux agissant en faveur de la démocratisation de l'école et de la société.
 
Les membres de cette association coopérative reçoivent gratuitement la revue trimestrielle et bénéficient de réductions pour l'achat du matériel fabriqué par ses membres mais aussi par d'autres maisons d'édition. Un tarif réduit leur est accordé pour les stages et autres manifestations.
 
Au sommaire du no 58 de Fragen und Versuche, on trouve : Le temps libre selon Freinet - Utiliser les cinq sens pour apprendre - Des idées pour dessiner, écrire, peindre - Le théâtre d'ombres - Un projet pour classes de perfectionnement : les esprits, les fantômes et les sorcières - Rythmes et paroles - De l'imprimerie à la reliure - Les attaques politiques contre l'école - Freinet et Paulo Freire : rêves partagés - Comment nous avons aidé les collègues de l'ex-RDA - Un fichier pour l'alphabétisation - Irnpressions du séminaire FIMEM de Vila Viçosa (Portugal).
 
Le no 59 (mars 92) contient une étude provocatrice de Gitta Kovermann, présidente de la FIMEM: La démocratie dans les salles de classe.
 
La tradition routinière qui fait décider que la majorité a raison, au cours d'un vote, est remise en question. Gitta propose des innovations pédagogiques pour éviter à la minorité de se sentir rejetée. De quoi alimenter en classe et dans les groupes un débat nouveau.
 
(1)Fragen und Versuche: Bernd Heeling, Emilienstrasse 38, 2000 Hamburg 20, Deutschland.
 
 
ESPAGNE
 
Le movimiento cooparativo Escuela popular (1) publie une revue bimestrielle KIKIRIKI dont la rédaction est actuellement confiée au groupe Freinet de Séville. Au sommaire des numéros 58 et 59, on relève les thèmes de débats suivants :
-          no 58, 36 pages, mars-avril 1991 : Les équipes d'appui (l'équivalent des GAPP français) L'apprentissage libre et naturel de la lecture et de l'écriture - Les différentes manières de décoder les messages écrits - Une expérience d'apprentissage familial - Donner un sens à l'écriture par la correspondance - Une typologie des enseignants - Techniques créatives de langage - Analyse du livre d'Umberto Eco : Le pendule de Foucault.
-          no 59, 48 pages, mai-juin 1991 : Les enfants et la guerre du Golfe - Réflexions sur la méthode naturelle - Pour une formation centrée sur l'enseignant - Initiation aux aspects photochimiques de la photographie - L'heure des jeux vidéo - L'éducation permanente face aux changements scientifiques et technologiques - La méthode naturelle, l'ordinateur et le groupe - Un baromètre dans la soupe ou comment enseigner la technologie - Classification et éducation scientifique.
 
(1)           Rédaction et abonnements , Apartado de Correos, n°117, 41530 Moron
 
Autriche
 
 
A Vienne, la création du groupe Freinet date du 13 septembre 1990. Ce jour- là, dans un café qui ressemble à un musée du théâtre qui porte le joli nom de « Maisons de poupées », une quinzaine d'enseignants a fondé le FLEK (Freinet-Lehrer-Eltern-Kooperative) : Coopérative des parents et enseignants. Emmerich Gradauer en assure la permanence (Thaliasstrasse 6115, A 1 160, WIEN).
 
La couverture du bulletin d'information du groupe est très symbolique : une tache d'encre (en allemand : Fleck) recouvre la lettre C qui ne figure pas dans le sigle de l'association. La tache d'encre sur les cahiers d'enfant devient ici symbole de l'acceptation des enfants en difficulté. Soixante participants ont suivi un stage en 1991.
 
Salzbourg: l'Académie pédaqogique qui a pris le relais des écoles normales en Autriche a accordé l'hospitalité au groupe Freinet de la région. L'intitulé du groupe ne cache pas le militantisme : Association pour la promotion de la pédagogie Freinet (Verein zur Förderung der Freinet Pedagogik). Contact: Veronika Sampl, VolkschuteEbenau5323, Autriche.
 
Le titre du bulletin joue, ici aussi, sur les mots : Wirk-Lichkeit associe l'action à la vie réelle.
 
Au sommaire du bulletin: Apprendre à lire sans manuel - Les parents parlent de leur enfant au CP - Musique libre et instrument ORFF - Comment motiver le texte libre ? - Fabriquons une Gerbe !
 
 
Pologne
 
Peut-être les pédagogues français seront-ils intéressés par le fait que la manière d'enseigner, en Pologne, est en train de beaucoup changer. La situation des instituteurs est très pauvre et très difficile, le chômage commence à « nous regarder dans les yeux », mais, d'autre part, on ressent un énorme intérêt pour les recherches dans le domaine des méthodes alternatives de l'enseignement et de l'éducation.
 
Les programmes rigides commencent à s'assouplir. Il y a la possibilité d'élaborer des programmes propres aux classes et aux matières. On fonde aussi des Locales d'auteurs c'est-à-dire créées à partir d'un projet formé par un groupe d'enseignants.
 
La pensée pédagogique de Célestin Freinet commence à triompher. Elle est, à côté des pédagogies Montessori et Steiner, la plus humanitaire et en même temps la plus facile à utiliser dans chaque situation scolaire étant donné qu'elle est tellement proche des besoins psychiques, émotionnels et intellectuels des entants.
 
Nous allons organiser une Session pendant laquelle les enseignants de Cracovie et d'autres villes vont échanger leurs expériences sur l'utilisation des différentes techniques de Célestin Freinet dans l'enseignement de la langue polonaise.
 
A cette occasion, je voudrais dire aussi que le groupe des animateurs de la pédagogie Freinet en Pologne est enregistré de façon officielle comme Association polonaise et a ses succursales de terrain. A Cracovie, par exemple, travaille un groupe d'enseignants fascinés par la pédagogie Freinet. Il y a aussi un groupe de professeurs qui apprennent l'espéranto et l'enseignent aux élèves qui désirent nouer des contacts avec des enfants du même âge dans d'autres pays.
 
Moi-même j'organise des cours d'espéranto pour les enseignants et les jeunes.
 
D'après un courrier
Grazina Maszczynska
Ul Armie Krajowej 2/14
31-150 Krakow
Pollando
 

 

Finlande : Elamankoulou-livets skolary : école de la vie

Juin 1992

Finlande

Elamankoulou - livets skolary : Ecole de la vie
 
Elamankoulou - livets skolary, qui signifie École de la vie en finnois et en suédois, est le nom d'une association enregistrée qui fut fondée le 14 décembre 1985 au cours d'une réunion d'instituteurs dont l'objectif était de renouveler par eux-même l'enseignement et l'école.
Le but de l'association est d'encourager la pratique de la pédagogie Freinet dans l'éducation et l'enseignement qu'il faut fortifier et développer par des comportements centrés sur l'enfant.
Les principales activités de l'association sont : le journal, les bulletins, la diffusion de l'information et la mise en place de séminaires et de rencontres.
La Finlande s'intéressant actuellement aux pédagogies altematives, de nombreux étudiants sont invités à apporter leur savoir en pédagogie Freinet.
Les membres de l'association reçoivent souvent des visiteurs dans leurs classes ce qui ne peut que davantage motiver leur travail. L'intérêt grandissant pour les sciences de l'éducation et leurs relations avec la pédagogie Freinet a produit, en beaucoup d'endroits, des cercles d'études « zélés ».
La Finlande a accueilli la RIDEF durant l'été 1990. Cela n'a fait qu'accentuer la coopération internationale déjà vive. Des contacts permanents existent en particulier avec la Suède, le Danemark et l'Allemagne mais un travail de solidarité continu s'est instauré avec les instituteurs estoniens.
L'association organise des séminaires et des stages de formation en Estonie pour les enseignants de ce pays et elle prend en charge les frais de participation de ces enseignants aux séminaires qui se déroulent en Finlande.
L'important débat sur la liberté et l'autonomie de l'école, qui s'étend à toute l'Europe, intéresse aussi les membres de l'association. Ils ont pris activement part à la rencontre intitulée « Freedom in Education », au printemps 1991. Cette participation a conduit la Finlande à sa propre rencontre sur le même thème. On y a parlé, entre autres, de la création d'écoles Freinet, les nouvelles lois en vigueur en donnant maintenant la possibilité.
 
A travers toutes ses activités, l'association essaie de dépasser le cadre étroit de l'éducation et de l'enseignement pour en arriver à une vision d'ensemble et une approche globale.
 
Propos recueillis par André Lefeuvre
 

 

 

La cité des enfants

Juin 1992

L’événement qui aurait dû eclipser l’ouverture d’Eurodisneyland : la Cité des Sciences de La Villette a ouvert le 7 avril 1992

 
La cité des enfants
 
L'une des meilleurs réussites de la Cité des Sciences de La Villette était son Inventorium permettant aux enfants de réelles expérimentations. Le manque de place et de moyens limitait ce secteur à des expositions temporaires, généralement très réussies (notamment celle sur les cinq sens). La qualité de ce travail vient d'être consacrée par la création, avec le parrainage de la MAIF, de la Cité des Enfants, véritable cité des sciences au sein de sa grande soeur.
 
Pour apprécier la réussite d'une telle réalisation, il faut connaître les difficultés à surmonter pour permettre des expérimentations, reproductibles en permanence, avec le souci de la sécurité et de l'hygiène du jeune public (5 à 12 ans ; une section pour 3-6 ans ouvrira en novembre) évoluant librement entre quelque 150 éléments de l'exposition. Apparemment, ce difficile pari est gagné grâce à l'expérience acquise dans l'Inventorium.
 
Sans avoir la prétention de tout décrire, voici quelques stands qui m'ont paru particulièrement intéressants.
 
Dans le domaine physique et mécanique : une noria, actionnée manuellement, alimente en eau une plantation d'arbustes ; quatre pompes différentes emplissent un gros récipient qui se renverse quand il est plein ; un bras manipulateur permet de déplacer à distance des volumes de bois en courant dans un couloir, l'enfant voit sa vitesse maximum s'afficher sur un compteur digital ; on peut choisir et observer un objet minuscule à la loupe, au binoculaire et au microscope de grande puissance.
 
Dans le domaine du corps humain : en plaçant son menton dans l'emplacement prévu, l'enfant aperçoit à la fois son visage et une animation décrivant l'intérieur de son corps ; avec des attelles de plastique, on prend conscience du handicap provoqué par le blocage de l'articulation du genou ou du coude ; l'île aux cinq sens reprend dans un jeu la synthèse qui concluait l'expo citée sur ce thème (on regrette qu'elle n'ait pu être reprise intégralement).
 
Dans le domaine de la nature: par un tunnel, on peut pénétrer dans une fourmilière géante (dépassant le gabarit des 12 ans, je n'ai pu observer l'intérieur mais ce que j'ai vu de l'extérieur est déjà passionnant ; une serre présente quelques plantes carnivores et les différents stades de développement de la chenille au papillon ; un étang a été reconstitué (seuls les poissons et les plantes sont vivants mais l'ambiance sonore est bien rendue).
 
Dans le domaine des techniques de communication : Les techniques d'animation de l'image (du zootrope au kinétoscope, ancêtres du cinéma) ont été reconstituées un globe terrestre en relief est percé de trous : en y introduisant le jack d’un écouteur, on entend quelques mots dans la langue du pays ; il existe aussi un mini-studio de télévision, des consoles d'ordinateur (sur l'une d'elles, on peut travailler en CAO : création assistée par ordinateur).
 
J'oublie sûrement beaucoup de choses. Une certitude : tout cela donne envie de jouer et, tout en expérimentant, de découvrir. Un seul regret : qu'il n'existe pas encore de brochure présentant les multiples éléments exposés pour permettre une meilleure préparation de la visite, afin de la rendre plus stimulante et surtout d'en approfondir les résultats. La direction annonce qu'elle sera publiée. Souhaitons qu'elle soit à la hauteur de cette belle réalisation.
 
Un sujet de frustration pour l'adulte il ne peut pénétrer en ce lieu que pour accompagner un ou plusieurs enfants.
 
Michel Barré
 
 
Pour expérimenter la Cité des enfants, il faut réserver: pour les groupes (5 semaines au moins à l'avance) en écrivant à Cité des Sciences, 75930 Paris Cedex 19,Pour les individuels par minitel 36 15 Villette clef ENF.
 

 

La méthodologie au collège

Juin 1992

Des élèves de 6e apprennent à travailler, à parler, à respecter les autres, grâce à la mise en place d’une équipe interdisciplinaire de professeurs ayant une démarche et des objectifs communs

 
 
 
Un collège situé en ZEP, dans la banlieue bordelaise. Des enfants de 6e particulièrement démunis, et pour qui l'école est le lieu de tous les échecs, ou au mieux ne représente rien. Les professeurs se désolent de l'impossibilité de « faire» leur programme avec ces élèves qui, le soir, n'ouvrent pas leur cartable, et sont de toute façon dépassés par les exigences du collège : comprendre un énoncé de problème ou un document géographique, apprendre une leçon, recopier un cours...
 
En 1990, une nécessité s'impose prévoir dans le projet d'établissement un volet « méthodologie ». Il s'agit au départ d'aider les enfants à organiser leur travail et cette « méthodologie » est conçue d'abord comme une action extérieure aux cours, aide que pourraient donner des parents le soir après la classe.
 
Des conditions exceptionnelles
 
Notre situation en ZEP et la pression d'un petit groupe de collègues convaincus nous permettent d'obtenir des conditions exceptionnelles : pour chaque classe de 25 élèves, deux heures par semaine de méthodologie en demi-groupes avec deux professeurs différents ; soit six professeurs engagés dans l'action, pour trois classes de sixième. C'étaient des heures supplémentaires pour les élèves et pour les adultes, souvent en fin d'après-midi, mais cela n'a jamais été pesant.
 
Le premier bénéfice de ce travail est que nous avons pu nous concerter régulièrement (parfois pendant une heure de méthodologie, et les enfants étaient alors libérés), chose que nous n'avions jamais réussi à faire avant cela. Toute l'année, nous avons parlé de ce que nous avions mis en place en classe, que ce fût réussi ou non, et chacun modifiait son action en fonction des discussions.
 
De plus, les questions de fond se sont rapidement posées : comment on apprend une leçon, comment on « fait cours », quelle peut être l'aide du groupe devant une difficulté, quelle importance peut avoir l'apprentissage de la prise de parole...
 
 
La « prof-CDI »
 
Enfin, et c'est la nouveauté essentielle de cette expérience, la documentaliste nous a demandé d'intégrer à l'heure de méthodologie sa traditionnelle visite du CDI pour les 6e. Nous avons alors travaillé à deux adultes dans des groupes d'une dizaine d'enfants, ce qui permettait de suivre et d'aider chacun : l'individualisation des apprentissages était quasiment réalisée...
 
Cette visite, conçue comme un jeu de piste, a vivement intéressé les enfants, et la fréquentation du CDI par les 6e a été en nette augmentation par rapport aux autres années : il était devenu un lieu de vie pour eux, et la « prof-CDI », comme ils l'appelaient, une personne-ressource qu'ils connaissaient bien. Nous avons donc, au gré des idées des uns et des autres, ajouté des activités interdisciplinaires que nous n'aurions jamais faites dans un autre cadre : découverte des livres de classe sous forme de jeux, recherche documentaire et réalisation d'un dossier sur un thème de biologie.
 
Seules ombres au tableau : il n'y a pas de méthodologie pour les élèves de cinquième, et certains collègues ne se sont pas sentis concernés par notre action.
 
Le bilan ci-joint avait pour but, à la fin de l'année, d'entraîner leur adhésion, petit à petit, pour que ce qui était un luxe exceptionnel devienne l'ordinaire de la classe : apprendre à travailler, apprendre à parler et à respecter les autres ; réaliser une équipe interdisciplinaire avec une démarche et des objectifs communs.
 
Catherine Mazurie
 
Activité/Date
Ce que les enfants ont appris
Ce qui reste difficile
1.      Organisation du travail
(deux premiers mois)
-Cartable, emploi du temps.
-Carnet de correspondance.
- Tenue du cahier de textes, notée par des lettres.
-Prévisions sur le temps nécessaire pour travailler, vérification, ajustement.
-Planning individuel pour l'organisation du travail à la maison.
-Structures d'aide aux devoirs: information, incitation, suivi...
- Cahier de textes de la classe.
- Relecture des cours correction des erreurs d'orthographe et titres soulignés.
 
 
 
 
- Ne pas apporter de choses inutiles et ne pas surcharger le cartable.
-Écrire leçons et devoirs régulièrement, et lisiblement.
- Écrire toutes les notes lisiblement.
- Certains ont choisi d'aller le soiraux centres d'aide au travail (progrès d'autonomie).
- Le cahier de textes de la classe est utilisé, après une absence, ou quand ils n'ont pas eu le temps de noter le travail à faire.
 
 
 
 
 
 
-Respecter le planning hebdo-madaire.
 
- S'avancer dans son travail.
 
-Apprendre une leçon par morceaux (ils commencent, en fin d'année, à y arriver).
2. L’oral
(toute l'année)
- Le petit groupe permet un travail irremplaçable.
-Techniques de mise au calme au début de chaque cours (sortir ses affaires, mains sur le bureau ... ).
-Techniques de prise de parole (lever le doit, ne pas gener, ne pas répéter ce qui a été dit ... ).
-Moments de parole libre, impossibles à faire en cours.
-Aide à la formulation claire et structurée d'un récit, d'un compte rendu, etc. (aide du groupe, reformulation, etc.).
-Questions libres au CDI et discussion dans le groupe, re cherche dans les documents, etc.
- Moments de régulation du groupe.
-L'entrée en cours et la mise au travail se fait plus rapidement.
-Le calme est plus rapidement atteint.
-La concentration est plus soutenue.
-Ils respectent davantage la parole des autres.
-Ils ont pris conscience que le langage des « grands » s'apprend, et qu'il est nécessaire.
-Ils essaient de comprendre : moments de plaisir d'apprendre.
-Des moments où ils ont pu exprimer leurs ennuis, leurs rancunes les uns vis-à-vis des autres ont permis le retour au calme.
 
 
 
 
 
 
-Ne pas répéter ce que les autres ont dit, surtout en classe entière.
-Ne pas agresser l'autre verbalement.
-C'est un apprentissage de tous les instants, que devrait faire en partie le milieu familial,
 
3. L'évaluation
(toute l'année)
- Pendant des moments de parole collective, ou seul avec le professeur, analyse, demandée par les enfants, des notes du carnet. Formulation d'expli-cations et recherche de solutions par les enfants
*Aide au travail du soir
*Travail d'entraînement/révision choisi pour les vacances et consigné dans le cahier de méthodologie
*Aide par les pairs (élèves ressources)
-Évaluation des contrôles :
*comparaison deux à deux (un contrôle réussi, un raté),
*discussion avec toute la classe : reformulation des consignes.
- Évaluation formative : essai de grille tous les deux mois.
 
 
-Peu à peu, leur propre évaluation de leur niveau a été plus juste.
-Ils ont été régulièrement stimulés par la recherche de solutions accessibles qui donnent des résultats immédiats.
-Ils ont appris à analyser un résultat
*Il manque des notions
* Le plan n'est pas bon
*Je n'ai pas répondu à la question.
-Leur vision dans le temps s'est améliorée, et ils ont fait des progrès d'efficacité.
-Ils ont été placés dans des situations d'entraide réciproque.
- Le soutien et l'encouragement des explications a permis à certains de soutenir leur effort.
 
 
-Il reste une part affective importante dans la note : il leur est parfois encore difficile de comprendre la raison d'une note, malgré les explications.
- Dépasser la réaction d'humeur.
- Revenir sur un résultat.
- Tenir compte des résultats pour améliorer la suite.
- Pour nous, difficulté de gestion des grilles d'auto-évaluation : il nous faut les simplifier.
4. Apprentissage des leçons
(toute l'année, à partir de
la fin du premier trimestre)
 
-Groupes d'entraide : ceux qui comprennent expliquent à leurs camarades.
-Manipulation du livre pour qu'il devienne un outil : recherche des mots difficiles dans le livre, relecture de la leçon...
-Sensibilisation au plan (souligner les titres de chapitre si possible toujours de la même façon ; mémoriser le plan en le notant sur le cahier de méthodologie ... )
-Approche de la notion des mots-clés), : repérage et explication des mots importants confection de phrases-résumés mémorisation.
-Entraînement à la mémorisation (oral, écrit, en groupe, indivi-duellement ... ).
-Entraînement à l'anticipation : prévoir les questions possibles d’un contrôle.
- Sensibilisation à la synthèse : en groupe, résumer le cours, dire quel est l'essentiel d'une leçon...
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
-Ils sont peu à peu amenés à comprendre la logique d'une leçon, à retenir l'essentiel et à ne pas se perdre dans les détails (travail sur la capacité de synthèse)
-L'apprentissage est valorisant.
-Ils ont appris à se projeter dans l'avenir.
 
 
 
 
 
- Ils ont encore du mal,même à la fin de l'année, à comprendre certaines consignes (« Justifiez... ») –Lenteur : on ne peut pas tout voir avec eux.
-Dépendance: il faut veiller à les rendre peu à peu autonomes.
-Continuité dans l'effort : il est nécessaire de les stimuler sans arrêt.
-La reformulation, le travail sur les synonymes. L'apprentissage régu-lier du vocabulaire, dans toutes les disciplines, est une nécessité.
-Hiérarchiser les informations : il serait nécessaire d'avoir une démarche commune pour la présentation (exemple : souligner les mots clés, faire des résumés, etc.).
5. CDI
(les deuxième et troisième
trimestres)
-Connaissance du CDI
*familiarisation avec les lieux,
*travail sur l'ordre alphabétique,
*explication de la classification et exercices/jeux de mise en situation, *manipulation des outils (dictionnaires, encyclopédies, fichiers de mots-clés)...
-Repérage dans les livres de classe (sommaire, titres de chapitres, mots-clés ... ).
-Découverte du journal.
-Constitution d'un dossier :
*synthèse et réutilisation des savoir-faire acquis,
*réalisation d'un dossier preparant celui de troisième (dossier de stage en entreprise).
 
 
 
 
 
 
 
- Tous ces travaux ont été l'occasion d'un enrichissement du vocabulaire.
-Ils ont pris l'habitude d'utiliser leurs livres comme outils de référence.
-Ils ont réutilisé et consolidé les savoir-faire : prise d'indices, repérage des titres...
-Ils ont appris à chercher et à classer des informations, et à les présenter clairement et proprement.
 
 
 
 
 
 
 
 
- Les difficultés des définitions dans les dictionnaires nécessitent l'aide de l'adulte.
- Dans la masse des informations contenues dans les documents, les élèves ont du mal à trouver la seule information utile.
 
 

 

Interdire la classe à un cours

Juin 1992

Interdire la classe à un cours

 
Pour trois raisons principales :
-impossibilité d’une culture de la classe
-atomisation des relations
-inexistence du tâtonnement de l’inconscient
 
Culture de la classe
 
Une culture de la classe ne peut exister dans une classe à un seul cours, même si c'est le même maître qui a les enfants l'année suivante, car cela reste un système fermé, à l'abri des perturbations.
 
En effet, une culture se constitue, s'organise, se transmet, se transforme... Elle est à la fois élément d'ouverture et de fermeture.
 
« Une culture ouvre et ferme les potentialités bio-anthropiques de connaissance. Elle les ouvre et les actualise en fournissant aux individus son savoir accumulé, son langage, ses paradigmes, sa logique, ses schèmes, ses méthodes d'apprentissages, d'investigation, de vérifications, etc. Mais en même temps, elle les ferme et les inhibe avec ses normes, ses règles, ses prohibitions, tabous, son ethnocentrisme, son autosacralisation, son ignorance de son ignorance. »
 
Edgar Morin, «La méthode, les idées »
 
 
J'ai toujours pensé que ce qui était un souci et un atout dans les classes de l'éducation spécialisée, c'était la création d'une culture. Avec, je crois, pour commencer, une dominante de fermeture. Beaucoup d'enfants qui y arrivent sont tellement ouverts, d'un certain point de vue, qu'ils n'ont aucun point de repère, aucune structure sur laquelle s'appuyer, aucune référence solide. Et quand ils entrent dans de telles classes (à plusieurs cours), surtout si elles ont plusieurs années derrière elles, ils se trouvent insérés dans un tissu de relations, incorporés dans des systèmes de comportements licites... qui leur permettent de se situer dans le groupe et de se construire une personnalité plus recentrée, plus homogène... Et ils peuvent alors bénéficier de l'ouverture de cette culture. Car, évidemment, elle est évolutives elle intègre les expériences, bref, elle est vivante.
 
Les camarades de l'éducation spécialisée doivent pouvoir nous dire que, si les élèves changeaient chaque année, rien ne pourrait se construire ni s'inscrire durablement dans les faits. A peine quelque chose commencerait-il enfin à émerger que l'année serait déjà finie. Et c'est vrai de toutes le classes à un seul cours. Chaque année, il faut recommencer avec une fournée d'enfants que l'on ne connaît pas. Si bien que l'enseignant se décourage, s'abandonne et se met à fonctionner comme un fonctionnaire.
 
Mais, en dehors de l'enseignement spécialisé, c'est l'aspect ouverture qui est dominant dans beaucoup de classes. Songez à des enfants qui débarquent dans un CP-CE1. Ils arrivent dans un climat immédiatement favorable. Et ils ne sont qu'une dizaine à être accueillis. Avec eux, on peut démarrer tout de suite.
 
Une classe de CP-CE1-CE2 obtenait des résultats étonnants sur le plan des textes, de l'art et de l'étude du milieu. Et cela avait duré de longues années (vingt-trois). Mais le problème de la « mise à la liberté » ne s'était posé qu'une seule fois, tout au début. Cependant, le climat de la classe avait constamment évolué car des personnalités étaient apparues.
 
Elle avaient ouvert de nouvelles pistes et posé d’autres regards sur le monde. Bénéficiant de la liberté, elles en avaient agrandi les limites.
 
Cet esprit d'ouverture perdure. Enrichissement des possibilités pour chacun, non seulement par l'ajustement des individus, mais également par celui des groupes. On ne saurait tourner en rond dans ses habitudes car chaque individu nourrit son groupe de ses désirs, ses tendances, ses réussites. Mais le groupe des anciens se trouve, chaque année, obligé de reconsidérer ses bases de comportements qui commençaient à devenir un peu trop systématiques. Car les nouveaux arrivants apportent une nouvelle tonalité. Ainsi, on peut avoir affaire, sucessivement, à des classes tendres, malicieuses, fantaisistes, frondeuses, réalistes, réalisatrices, espiègles, sérieuses, chercheuses... chanteuses, corporelles, matheuses... Mais les ajustements, les rééquilibrages se font en douceur, sur un temps suffisamment étalé.
 
Autre avantage de la classes à plusieurs cours : il y a certes des différences d'âges. Mais moins grandes qu'on ne le croit car les enfants du second trimestre d'une année sont proches par l'âge des enfants du premier semestre de l'année suivante. Entre eux, il y a des affinités, des correspondances. Évidemment, on ne peut nier les différences de maturité. Mais les « petits » sont comme sollicités, entraînés, aspirés par les mêmes démarches des « grands ». Et certains de ceux-ci ont l'occasion de revenir en arrière, de revoir, de réviser, de consolider leur savoir en regardant fonctionner les petits. Et ceux-ci apportent leur fraîcheur, leur originalité, leur différence, leurs perspectives.
 
D'autre part on connaît - on devrait connaître - le rôle capital du groupe sur l'acquisition et la fixation des connaissances. Or, à cause du nombre, il ne saurait y avoir de groupe dans une classe à un seul cours, mais seulement une assemblée d'enfants. Avec deux cours ou plusieurs, deux groupes ou plusieurs peuvent exister vraiment et fonctionner d'une façon optimale.
 
Est-ce plus difficile pour le maître ? Pas sûr, car apprendre à lire à 25 enfants, enseigner des opérations, faire acquérir des pratiques, combien ce doit être fastidieux. D'autant qu'il faut recommencer chaque année et se hâter de boucler le programme dans un temps limité et très délimité. Car on sera jugé ! Alors que les acquisitions de base sont plus faciles à assurer sur un demi-groupe. Et on dispose de deux années ou plus avant qu'on ne nous demande des comptes.
 
Ajoutons qu'à plusieurs cours, il y a ouverture de la culture parce que, dans ce type de classe, existent un savoir accumulé, une maîtrise plus accomplie des langages, une transmission des pratiques par les aînés, par les frères et soeurs qui y sont passés. Car la classe à une unité, une existence durable : elle est une personne. Il y a même un folklore de la classe, des habitudes de production, des réalisations, des idées, des organisations à conserver ou à remettre en cause. La société bouge, il faut en tenir compte, être attentif, interroger ses habitudes de travail, ses schémas de comportement : bref, s'intégrer à la culture vivante.
 
Cependant, une solution existe pour les classes à un cours : dès le premier jour, le maître installe de façon très stricte le cadre dans lequel les choses devront se dérouler. Et ça pourra durer trente-sept années et demi sans aucune raison de changer suivant les circonstances et les enfants qui passent. Pour certains d'entre eux qui ont besoin de repères précis, cela pourrait avoir un aspect positif. Mais à peine ont-ils le temps de s'y adapter qu'il leur faut perdre leurs habitudes pour rentrer l'année suivante dans une autre structure où ils devront se glisser de gré ou de force. Et ainsi tout au long du cursus scolaire. Aussi, comme le maître, à la longue, l'enfant se fatigue, se décourage et abandonne toute velléité d'exister un peu par lui-même.
 
Emiettement des relations
 
Dans ce type de classe (à un cours), il est évident qu'il ne saurait exister de relations. Les tranches d'âge sont nettement, définitivement séparées. Elles ne vivent rien ensemble. Elles restent parallèles et le resteront toujours.
 
L'adaptation à l'adulte, si longue à établir, doit s'interrompre alors qu'elle commence à peine à se réaliser. Il faut tout arrêter et s'inscrire dans un autre recommencement qui n’aboutira pas davantage. Et maintenant c’est plus important que jamais. Actuellement, un tiers des enfants d'âge scolaire vivent dans la dissociation des relations familiales. Combien il serait important que l'école puisse apporter au moins une certaine pérennité de la présence adulte.
 
 
 
Tâtonnement de l’inconscient
 
J'ai une expérience de trente années d'enseignement dans une classe Freinet à plusieurs cours. Cela me permet de parler d'un élément qui m'apparaît essentiel et qui est rarement, sinon jamais perçu : le tâtonnement de l'inconscient. Lorsque les enfants ont plusieurs canaux d'expression libre, et du temps devant eux, certaines choses commencent à vouloir, à pouvoir se dire.
 
« Et si on pouvait cicatriser certaines blessures, ne serait-ce que par les mots ? » « C'est dans le langaqe que l'homme trouue un substitut à l'acte, substitut grâce auquel l'affect peut être abréagit presque de la même manière ».
Freud
 
Mais j'ai pu constater combien c'était long, combien on devait, préalablement, s'assurer de ses sécurités avant d'oser faire un pas de plus dans l'expression de ses problèmes. Comme on a pu le constater chez Rémi (1) qui ne s'est vraiment rééquilibré qu'au milieu de la troisième année. Suivant les libertés et les qualités pédagogiques de certains enseignants, cela peut se produire avant. Mais, généralement, avant que la pression ne soit particulièrement forte, une année ne saurait suffire. Surtout si l'enseignant se garde bien de jouer au psycho-thérapeute et se contente d'O-ffrir les conditions d'expression nécessaires.
 
C'est qu'il en faut du temps à l'inconscient pour s'adapter, prendre la mesure des possibilites offertes, tâtonner, s'engager dans une direction, revenir en arrière pour en choisir une meilleure afin de réussir peut-être un jour, à accomplir l’acte d'expression ou de sublimation décisif.
 
Parfois, cela se fait sous forme spectaculaire comme dans les « Dessins de Patrick » (Casterman) où l'enfant liquide deux problèmes essentiels à huit jours d'intervalle.
 
Mais les catharsis sont généralement beaucoup plus longues. Elles s'opèrent par une sorte d'usure progressive des fantasmes (voir « Malheureux Francis » dans « Les Compagnons de Rémi », (1).
Alors, vive la classe à plusieurs cours ! Mais évidemment avec vingt élèves maximum. Peut-on réellement refuser de comprendre que, même si on avait l'unique souci de permettre aux enfants d'acquérir des connaissances, il faudrait se préoccuper de les placer dans les conditions les plus favorables. En interdisant, pour commencer, la classe à un cours.
 
Mais on peut aussi avoir des préoccupations pour le présent et l'avenir des enfants. Par exemple, celle d'une écologie de l'éducation. Un jour viendra où une masse de gens se mobiliseront pour se révolter contre les mauvaises conditions de vie que cette société impose aux êtres humains. Et n'est-ce pas dans l'enfance que s'édifient, pour l'essentiel, les éléments de base de toute une vie ?
 
Paul Le Bohec
 
(1 ) Les Compagnons de Rémy CEL 1970.