Paule Aussant était de longue date une militante du mouvement Freinet. Elle avait participé à l’aventure du second degré à partir des années 60. Quand elle avait pris sa retraite, elle s’était attachée à la rédaction d’une BT2 « Vieillir aujourd’hui » qui verra le jour en 1997, inaugurant ainsi notre nouvelle collection.
Sous des dehors quelquefois abrupts, Paule vivait tous les évènements de sa vie avec une extrême acuité et ceci expliquait cela. Sa vive sensibilité trouvait heureusement à s’exprimer par la peinture et la poésie. Elle excellait comme aquarelliste et pratiquait une poésie pleine d’émotion comme dans ce recueil « Maghreb » où elle écrit :
« Au point de non-retour de la balade
la Vie reste ce grand souk pimenté
gonflé de surenchère
où la soif n’est jamais étanchée. »
Je viens d'apprendre une bien triste nouvelle, Bernard Vernault est décédé d'une saloperie qui le rongeait depuis deux ou trois ans. Il était en poste en classe unique à St Cyr La Lande à côté de Thouars. On avait correspondu ensemble il y a quelques années, on avait fait des échanges, on y était allé. Bernard faisait partie de ces personnes qui vous marquent dans une vie, même si on ne fait que croiser leur chemin, leur longue route pleine d'expérience. On était resté en contact, on se téléphonait. Il m'avait bien éclairé sur la méthode naturelle de lecture, sur ce que représentait la pédagogie Freinet pour lui, il pratiquait la PF depuis longtemps et avait bossé au chantier math. Il en avait bavé dans son bled, dans sa vie.
Les enfants sont confrontés tous les jours à la maison, dans la rue, à l’école, aux phénomènes naturels et techniques les plus divers. Beaucoup ne sont pas, pour eux, directement compréhensibles, explicables. Pourtant, ils sont curieux de nature et les questions fusent à qui sait les entendre. Les réponses varient en fonction de l’environnement humain (adultes, enfants) et matériel (possibilité de faire des expériences). Les réponses pourront leur convenir, même si elles sont fantaisistes ou inexactes ; ou le plus souvent, les laisser sur leur faim. Deux dangers se profilent : l’enfant peut progressivement s’habituer au fait que « c’est comme ça », « c’est magique » ou perdre sa curiosité.
Le Tâtonnement expérimental, lié à une approche naturelle de l’environnement, fait partie d’un processus général d’apprentissage de la connaissance dans tous les domaines et non seulement dans celui des sciences. C’est une autre conception de la culture, en contradiction avec les prises de positions officielles et habituelles, communément développées dans notre système éducatif.
En Pédagogie Freinet nous ne sommes plus dans un transfert simple du savoir par la parole, la lecture d’un livre ou d’une image. L’interrogation fait partie de l’appropriation des connaissances et entre dans le développement d’une recherche. Le Tâtonnement expérimental, pour Freinet, s’est rapidement exprimé : apprendre à apprendre, à travers et à partir de son propre questionnement et savoir s’organiser, savoir trouver sa documentation, savoir prendre sa place et travailler dans un groupe, savoir échanger, savoir se servir des échecs comme des réussites.
Sa mise en oeuvre demande donc d’attacher de l’importance à la démarche employée pour approcher les phénomènes. Avant même de venir à l’école, après ses horaires scolaires, le jeune enfant approche « naturellement » des phénomènes qui l’entourent et l’interrogent. Il se pose des questions, se donne des réponses, réalise des essais ou alors, il renonce, admettant tout simplement que « c’est comme ça », ou même que « c’est magique ». Il pose aussi des questions aux adultes et parfois les imite. Une grande partie de son questionnement porte sur des domaines dits scientifiques. Et, par son analyse et ses essais, l’enfant a déjà une démarche scientifique, puisqu’il doit comparer, expérimenter… ne serait-ce que pour imiter. Pourquoi obliger les enfants à ne plus questionner lorsqu’ils franchissent le seuil de la classe ? Pourquoi négliger leur étonnement, leurs curiosités habituelles pour conquérir des connaissances ? Pourquoi vouloir que les travaux pratiques de sciences ne soient que des expériences dont le résultat est connu d’avance ? Parce que le maître, lui, sait, puisqu’il a appris !
Points de départs
L’entretien du matin peut être un point de départ remarquable. En vingt minutes de discussion dès l’entrée en classe, les élèves apportent une source importante de questionnements et de données. L’encouragement à l’apport d’objets ne peut être que riche en recherches, donc en source de connaissances nouvelles. Il faut peu d’effort d’imagination pour constituer un petit musée des objets apportés.
Bien des recherches en sciences partent de ces discussions : le gel, les marées, la ponte des coquillages, les migrations… Certaines questions peuvent trouver une réponse immédiate, d’autres au contraire demanderont beaucoup de recherches, parfois longues.
Mais ces habitudes étant prises, il est possible parfois d’aller plus loin dans la démarche qui conduit à une quête de savoirs avec une intégration de tous les élèves pour obtenir des explications, tout en mettant en œuvre une organisation coopérative efficace.
Chaque fois qu’il est possible de le faire, il est intéressant qu’un groupe d’enfants puisse mettre en commun ses approches tâtonnées, ses éléments de réponses à des questions. Dès ce stade de la démarche, un renseignement provenant d’un document, d’une discussion pourra orienter une recherche. L’observation d’un phénomène conduira à des hypothèses, à des suppositions, qui vont demander des vérifications, grâce à la mise en œuvre de moyens matériels.
Les éléments matériels d’expérimentation jouent un rôle important dans la démarche tâtonnée qui conduit à la recherche d’une explication. Il faut chaque fois que c’est possible utiliser du matériel de maniement simple, mais suffisamment fiable pour donner des résultats précis. Dans la démarche employée pour l’approche d’une vérification d’hypothèse, l’introduction d’une seule variable est souvent suffisante, au niveau d’un enfant de classe élémentaire. Il semble même, si l’on veut obtenir des résultats lisibles, qu’il faille tout faire pour isoler cette variable lors de l’expérimentation (dans la mesure du possible : l’élimination des « parasites » constitue toujours un long travail de réflexion).
L’exemple qui suit montre, dans son déroulement, que le plus difficile pour le professeur est souvent d’admettre la complexité des chemins empruntés par les élèves pour arriver à un but et pour la classe de trouver une organisation coopérative qui soit suffisamment efficace pour soutenir le travail en cours, sans être contraignante. Ils partent de situations qui n’ont rien de très original. Ce sont des situations qui peuvent se trouver dans n’importe quelle classe.
Le bateau en ciment
Un élève annonce un matin, qu’un habitant du village a entrepris la construction d’un bateau en ciment. Certains de ses camarades ne le croient pas, alors que d’autres soutiennent avoir regardé le bateau en construction. « Flottera-t-il, alors qu’un parpaing en ciment coule ? » Comme la meilleure façon de vérifier qu’un bateau en ciment peut ou non flotter, est d’essayer, il est décidé d’en construire un.
Des questions : qui le construira ? Comment le construire ? Certains élèves décident d’observer la construction du bateau. D’autres se renseigneront, auprès des maçons. Les renseignements réunis permettront la construction d’un petit voilier de cinquante centimètres de longueur, après que les matériaux nécessaires aient été réunis : sable, ciment, grillage fin, truelle… Tous ces préparatifs donnent lieu à des discussions, à des échanges de connaissances qu’il faut organiser dans le temps et l’espace. Qui fera quoi ? Quand ? Où ? Il faut réserver des moments dans l’emploi du temps.
Une forme en sable recouverte de grillage, puis de ciment, permettra la naissance d’un voilier. L’installation d’une voile et d’un gouvernail, nous mènera jusqu’aux essais sur le petit cours d’eau près de l’école. Les essais sont concluants : le petit voilier flotte, poussé par le vent. Parallèlement à cette construction, des expériences se sont mises en place pour comprendre « la flottaison ». Le voilier en ciment a déstabilisé les enfants dans leurs certitudes : le bois flotte, le fer coule, les métaux coulent… et ils se mettent à se poser des questions sur des phénomènes auxquels ils ne prêtaient pas attention. Beaucoup de bateaux sont en métal. Ils veulent vérifier. Certains vont se lancer dans des essais portant sur la flottaison. Ils s’aperçoivent que l’introduction d’une variable modifie considérablement les possibilités de flottaison : c’est la forme. Suivant sa forme, une feuille d’aluminium flotte ou ne flotte pas, très plane, elle coule, légèrement froissée, elle flotte, bouchonnée serrée, elle coule. Mais ils arriveront à faire flotter sur l’eau une aiguille à coudre recouverte d’huile !
Combien d’affirmations sans fondement ont été détruites par les expériences menées par les élèves ? Chaque élève pouvait expérimenter en fonction de sa propre quête de savoir.
Les acquis mis en lois
Les acquis d’expériences, de raisonnement, d’échanges avec l’environnement habituel, permettent d’analyser les résultats obtenus. Du tâtonnement naturel, on arrive à une démarche scientifique qui conduit à des « lois » qui peuvent rester les « lois » de la classe… et non pas systématiquement les lois déterminatives apprises habituellement. Et ces « lois » de la classe peuvent être remises en cause.
Une « loi » n’est donc pas une fin mais seulement une étape d’une recherche qui peut être affinée par l’observation, la réflexion. L’enfant prend l’habitude de ne pas s’arrêter sur un acquis, mais plutôt de remettre en cause toute explication simpliste. Même l’échec peut faire partie du processus tâtonné de recherche. Son analyse peut conduire, bien souvent, à des remarques importantes qui serviront à la poursuite de l’expérimentation.
Les acquis sont, à la fois, la mémorisation des données et l’apprentissage d’une démarche. Démarche et données s’enchevêtrent et aident l’enfant à progresser dans la conquête de concepts. Le meilleur contrôle des acquis d’un enfant est le fait d’apercevoir le réinvestissement des connaissances au cours de situations nouvelles. Les échanges au cours d’un compte rendu de recherches sont souvent révélateurs de ces acquis.
La part du maître
De toute évidence l’organisation de la classe et le maître jouent un rôle déterminant dans cette démarche scientifique de l’enfant. Etre à son écoute, accueillir ses réflexions, ses apports matériels sont des conditions indispensables à l’apparition de la curiosité, puis des tâtonnements.
Le maître devra aider à faire des choix dans les sujets et les pistes de recherche sans, pour autant, en éliminer en fonction des programmes. Pour les questions qui demandent des expériences irréalisables en classe, il faudra savoir se tourner vers les spécialistes capables de vulgariser jusqu’à la métaphore leurs découvertes.
Le maître doit aussi aider l’enfant :
-à observer finement,
-à provoquer des variations,
-à confronter des observations,
-à se remettre en cause,
-à répéter des essais
-à utiliser le croquis,
tout en préservant sa curiosité.
L’aide de l’adulte peut aller jusqu’à :
-la réalisation de fiches guides
-l’aide manuelle et matérielle lors des réalisations trop délicates pour un jeune enfant.
En maintenant en classe un champ varié et important de recherches en sciences (comme dans d’autres domaines), on constate que nombre d’enfants développent leurs possibilités d’acquisition et augmentent leur temps de participation aux activités.
André Lefeuvre
Groupe départemental de Vendée
A propos des nouveaux programmes
Oui, dans les nouveaux programmes, il y a des tas de choses intéressantes, en particulier sur les sciences, mais je crois que nous devons faire valoir un aspect important : on ne fait pas des sciences uniquement pour répondre à un programme. Notre société actuelle réclame une formation citoyenne qui sache prendre en compte des raisonnements déductifs, faisant suite à des analyses de type scientifique, portant sur des secteurs aussi divers que les variations climatiques, la répartition des richesses, les conséquences du clonage…
Une classe Freinet en recherche en sciences est proche d’une équipe de chercheurs scientifiques. Ils ont des réunions de concertations pour échanger leurs « trouvailles », mettre en place des stratégies d’investigation par manipulation ou simplement approche réfléchie mentalement.
André Lefeuvre
Activités scientifiques :
garder des traces
Les activités à caractère scientifique débouchent souvent (après tout le processus habituel : hypothèses, vérifications, nouvelles hypothèses, abandons…) sur l’adoption d’une conclusion, une « loi » provisoire, par le groupe. Le « provisoire » est important, parce que fatalement, si ces activités sont régulières, le groupe se trouvera un autre jour, confronté à cette même « loi », pour constater qu’elle est incomplète, partielle, voire erronée. Encore faut-il, pour permettre cette confrontation a priori, que la mémoire soit organisée. Nous risquerions, dans le cas contraire, d’aller à l’encontre des objectifs recherchés en laissant comprendre aux enfants, par son oubli, qu’une conclusion peut-être définitive.
J’organisais donc, dans ma classe de cycle III, cette mémoire sous la forme d’affiches, qui se présentaient toujours sous la forme : un ou plusieurs schémas et une phrase écrite (la plus courte et la plus précise possible).
Faire un schéma simple et explicite est un exercice difficile. Doubler ce schéma de quelques mots bien choisis l’est autant. C’est donc collectivement que ces exercices étaient effectués. Il est évident que plus on avançait dans l’année, plus les enfants acquéraient cette compétence et l’exercice collectif était rapide.
C’est donc une bande d’affiches qui grandissaient au fur et à mesure que les activités scientifiques avaient lieu. Et c’est tout naturellement que les enfants faisaient de temps à autre (à tort ou à raison) référence à un travail passé : « Ah ! C’est comme… »
Christian Bizieau
Groupe départemental de la Loire (42)
Evaluer le travail en sciences “Le classeur port-folio au cycle 3”
En sciences, mais pas seulement en sciences, un problème important survient au moment où il faut à la fois évaluer le travail qui a été effectué, et jalonner le parcours qui reste à faire.
A Moliens, en cycle 3, j’ai utilisé un classeur à cet effet, dans lequel j’ai rassemblé plusieurs types de documents selon différents intercalaires : biologie animale, végétale, techniques,.... et qui contient en particulier :
-pour tous:
-des éléments d’évaluation : plans des différents fichiers accessibles en classe, instructions officielles.
-les compte rendus des présentations - conférences (ce sont parfois des fiches résumé, parfois des jeux qui ont été proposés (par exemple situer les différentes espèces d’ours sur une carte du monde...)
-une série d’outils : cartes particulières (Mer Méditerranée, département de l’Oise,...), chronologie restreinte (protohistoire,...), classifications générales (animales, végétales, minérales,....).
-pour chaque élève concerné :
-la copie des fiches « sciences », à chaque fois qu’il a tenté de réaliser une fiche (ce qui permet d’éviter la détérioration des fiches, et surtout, d’annoter les difficultés ou les remarques concernant chaque fiche : difficultés et remède trouvé, extension proposée,....)
-les dossiers de recherche entreprises au cours de l’année, même si elles n’ont pas abouti avec en particulier les documents pris dans des revues, découpés et organisés (collés sur du papier A4 par exemple) ou imprimés à partir des recherches faites sur Internet. J’ai dû prendre la précaution d’interdire les photocopies complètes d’encyclopédies et de les limiter aux stricts centres d’intérêts de chacun.
Au moment des présentations, des conférences, chaque enfant a devant lui son classeur qui lui permet de participer activement à ce qui se dit ou se passe... De plus, on peut instantanément inscrire, sur les différents éléments d’évaluation, notre progression (en surlignant par exemple les points abordés)
Olivier Francomme, Groupe départemental de l’Oise (60)
Chemin faisant…
un apprentissage coopératif
des sciences à l'école
En pédagogie Freinet les enfants peuvent apprendre à partir de ce qu'ils sont et dans la perspective d'être acteurs de la société dans laquelle ils vivront. Comment allons-nous faire et avec quels objectifs ?
Au sein de l'environnement de plus en plus technologique dans lequel nos élèves vivront, les sciences risquent d'apparaître comme un champ inaccessible par sa complexité et son étendue. Adultes, on peut craindre que beaucoup d'entre eux soient tentés de baisser les bras, face à des évolutions qui ne leur sembleraient pas satisfaisantes mais auxquelles ils se résigneront, se sentant incapables d'en discuter.
Se sentir habilité à poser des questions et capable de comprendre est déjà un premier pas, mais il faut aller plus loin : « être acteur » c'est aussi avoir confiance dans sa propre capacité à faire des propositions ou à émettre des hypothèses. Le cœur de notre action ne sera donc pas de faire passer une information scientifique, mais bien de faire découvrir aux enfants qu'ils sont capables de formuler eux-mêmes des éléments de réponses qui méritent d'être analysés, confrontés à la réalité, expérimentés, vérifiés… C'est l'ébauche d'une démarche scientifique. Aussi, le tâtonnement expérimental qui est, à notre sens, indispensable pour asseoir toutes les acquisitions, est dans le domaine des sciences l'objet principal de l'apprentissage et le plus sûr moyen aussi de rendre utilisables les concepts et les connaissances qui s'acquièrent, chemin faisant.
Notre première réponse aux questions des enfants devrait donc toujours être : « Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? ». En apportant une information aux enfants qui posent des questions et même en provoquant ces questions, nous encourageons leur curiosité, mais en les invitant à exprimer ce qu'ils en pensent, en acceptant d'en discuter avec eux, en favorisant la confrontation des idées dans le groupe, en les expérimentant nous les engageons à entrer dans une démarche de raisonnement. En tout état de cause, l'expression des « représentations mentales initiales » est de toute façon une phase indispensable, pour que l'enfant admette une autre explication que celle qu'il s'est probablement forgée au préalable même s'il ne la formule pas clairement. Les scientifiques eux-mêmes procèdent en permanence à un réajustement de leurs représentations. Mais réfléchissons aussi aux démarches que nous mettons en place pour faire évoluer ces représentations initiales.
Si nous voulons donner la priorité au développement de la capacité de raisonnement des enfants, il nous faut constamment être attentifs à ne pas brûler les étapes en apportant trop rapidement une piste ou des réponses.
Aussi, lorsqu'une question se fait jour dans une classe, il faudrait avoir le temps, après la phase de questionnement, de laisser venir les premières hypothèses et, plutôt que de concevoir trop vite les projets susceptibles de leur faire découvrir des réponses préétablies, il serait préférable de ne pas avoir à déterminer d'avance le point d'aboutissement, mais de pouvoir élaborer étape par étape les conditions qui favorisent une expérimentation à partir de leurs hypothèses successives à chaque fois que cela est possible.
Cette proposition qui peut paraître insécurisante, est une direction vers laquelle nous essayons de tendre avec nos classes et ce, dans tous les domaines :
-être à l'écoute des projets et des questions et des enfants ;
-en discuter ensemble pour que soient formulées et confrontées hypothèses et propositions,
-décider coopérativement de ce que nous allons faire pour aller plus loin.
D'autres aspects mériteraient d'être davantage développés comme les conditions d'émergence des questionnements et le rôle des échanges coopératifs et de l'affectivité. Nous pouvons ainsi mieux les comprendre, chemin faisant, en cherchant ensemble à mettre ces principes en oeuvre dans des projets où l'enseignant, l'intervenant et la classe elle-même prendraient chacun leur part...
Pascale Bourgeois
Groupe départemental 35
Extraits de « Les Petits Débrouillards », septembre 2000
Je pense à M. cet enfant de 7 ans, « rebelle né », refusant toute contrainte, vivant sa vie, en parallèle du groupe, sans jamais d’intersection, qui déclare un jour :
-Je voudrais savoir-faire une petite lumière électrique !
Vite le matériel est réuni… pile, fils, ampoule…
M. cherche… échoue… recommence.
Au bout d’un tâtonnement laborieux mais fructueux, la petite lampe s’allume !…Victoire, M. court vers le groupe.
-J’ai réussi !
Le groupe questionne M. explique…
-Alors tu as compris, tu es content ?
Réponses de M. :
-Oui parce que mon oiseau est mort, et je vais l’enterrer avec la lumière… sinon il aurait eu peur dans le noir…
Et ce jour-là, si la lumière fut pour M., elle le fut pour nous aussi…
Extrait de « Chti qui » (bulletin départemental des groupes 59 et 62)
Une année de travail sur l’énergie
Une discussion sur l’énergie, un exposé présenté par des élèves à partir des documents de la BCD et la visite dans le quartier de deux installations utilisant l'énergie solaire ont permis de dégager la notion d'énergie renouvelable, de commencer à comprendre que l'on peut passer d'une forme d'énergie à une autre et de soulever des questionnements qui ont donné lieu à expérimentation. Récit d’une année de travail à l’école Léon Grimault de Rennes.
Responsable : Pascale Bourgeois, institutrice
Niveau : Classe de CM1
Nombre d'élèves : 25
Partenaires : ADEME et "Petits débrouillards"
Objectifs
- Mettre en œuvre une démarche scientifique
- Acquérir des notions sur les énergies renouvelables
Déroulement
- Expression des représentations initiales sur l'énergie en générale
- Recherche documentaire pour répondre à une partie des questions soulevées
- Sensibilisation par la visite de sites proches
- Réalisation d'expériences et de maquettes permettant de comprendre comment il est possible de récupérer l'énergie du soleil, du vent, ou de l'eau.
- Réalisation d'un document expliquant nos recherches.
- Présentation de nos travaux aux autres classes et aux familles.
Décembre : Première discussion pour introduire le thème de l'énergie. Expression des représentations initiales des enfants et de leur questions.
Février : Présentation de l'exposé réalisé par deux élèves sur les différentes sources d'énergie. Cet exposé avait été préparé sur plusieurs séances de recherche documentaires à la BCD. Il a été suivi par la projection de diapositives, par la lecture d'un petit document d'EDF sur l'électricité dans la maison et l'utilisation d'un document de travail permettant de lister plus précisément les utilisations de l'énergie (électrique ou non) dans la maison et d'aborder la notion de consommation et d'économie. Par la suite, cet exposé a permis également de dégager la notion d'énergie renouvelable.
Mars : Visite de deux sites proches de l'école, fonctionnant à l’énergie solaire :
- La chaufferie de la crèche de la Poterie dotée de capteurs solaires pour le chauffage et l'eau chaude sanitaire.
- L'éclairage par panneau de cellules photovoltaïque du Square Fernand Jacques
Premières représentations de ces installations et expressions des questions soulevées par leur mode de fonctionnement. Dans le cadre des ateliers habituels de la classe certains enfants commencent la construction d'un moulin ou préparent des expériences pour savoir comment chauffer de l'eau grâce au soleil.
En deux demi groupes : expérimentation sur comment récupérer la chaleur du soleil ?
Le matériel proposé conduit à essayer de faire brûler du papier à l'aide de loupes et à chauffer de l'eau dans des récipients différents. Mise en évidence de différents facteurs intervenant dans l'expérience.
Avril : Projets de maquettes
Proposition est faite aux enfants d'imaginer des maisons qui utiliseraient les énergies renouvelables en vue de réaliser quelques maquettes.
Les projets sont dessinés individuellement ou en petits groupes. Ce travail permet d'évaluer les connaissances déjà acquises sur les différentes sources possibles, l'usage approprié et certaines contraintes d'installation.
En deux demi-groupes : Présentation des projets de maisons et réalisation de petits moulins très légers.
Suite à cette séance, il est décidé de constituer deux groupes qui travailleront alternativement : l'un sur les moulins et l'autre sur l'énergie solaire.
Visite à la ferme de la Bintinais d'une exposition sur les maisons en terre et sur l'architecture rurale. Il y est à nouveau question de l'énergie dans l'habitat et pour le travail.
Mai : rédaction définitive, en collectif, d'un article pour le journal de l'école sur nos visites dans le quartier.
Groupe "énergie solaire" : Comment conserver la chaleur d'une petite quantité d'eau chaude?
L'objectif était de découvrir la nécessité d'une isolation, chaque enfant pouvait utiliser le matériel de son choix pour conserver la chaleur.
En classe, les jours suivants : travail en mathématiques pour améliorer la présentation des relevés de température en tableau et la réalisation de graphiques pour mieux comparer les différentes installations.
Groupe "moulins" : fonctionnement d'une dynamo.
Le petit groupe qui a commencé à réaliser un moulin en atelier, montre sa réalisation.
Pourra-t-on fabriquer de l'électricité avec cette installation ?
Divers essais sont fait pour trouver le meilleur moyen de faire tourner la petite roue : ficelle entourée dessus et tirée à la main ou par un poids. Il restera encore à trouver comment la fixer à l'axe du moulin !
Par la suite, quelques enfants tâtonneront avec des engrenages ou une courroie. Ils constatent que la petite roue de l'engrenage donne une plus grande vitesse mais encore insuffisante. Il y a aussi trop de dérapages ou trop de frottements. Il faudra installer l'axe de la dynamo directement sur l'axe du moulin.
Juin : Groupe énergie solaire
Découverte d'une maquette de capteur solaire qui nous a été prêtée. On y retrouve les caractéristiques qui ont été relevées dans les expériences précédentes comme devant assurer un bon fonctionnement : l'eau circule dans un tuyau noir, sur une plaque en métal noir, l'isolation est assurée par une caisse en polystyrène et une plaque de verre. Pour installer ce capteur nous devons en assurer l'alimentation en eau par un système de réservoir. Expérimentations sur les vases communicants, le siphon… Mise en place de l'alimentation du capteur et premières mesures pour comparer ce qui se passe en fonction du temps ou de l'inclinaison.
Des expériences ont continué à être faites par les enfants réinvestissant ce qu'ils ont appris pour présenter leurs résultats.
Groupe "moulin" : Mise en place de la dynamo sur le moulin.
Recherches sur la transmission du mouvement à partir des petits moulins légers.
Pour tous : Mise en place de l'exposition : panneau explicatifs, dessins, photos commentées, maquettes, expériences.
Exposition de nos travaux dans le cadre de la fête de l'école et présentation aux spécialistes.
Pascale Bourgeois
Classe de CM1 Ecole Léon Grimault
Première discussion ( 12/12/2000) pour introduire le thème de l'énergie
Qu'est-ce que c’est ?
L'énergie assimilée à la force de la pesanteur, c'est naturel
L'électricité n'est pas une énergie naturelle
Si ! Puisqu'on en trouve dans les éclairs.
L'énergie du corps humain : pour se tenir debout on dépense de l'énergie... et à chaque fois qu'on bouge.
Il y en a partout, par exemple, dans l'air autour de nous. Tous ne sont pas d'accord.
Dans les feuilles... (certains pensent aux feuilles de papier, d'autres aux feuilles des arbres qui nous donnent de l'oxygène.)
L'électricité, elle vient d'une autre énergie.
Pour quoi faire avons-nous besoin d'énergie dans une maison?
La lumière? l 'électricité pour les appareils comme le mixeur, Le gaz pour cuire. Se chauffer et s'éclairer. La télé, les appareils de musique, l'aspirateur, la radio, l'ordinateur, les machines à laver.
L'ordinateur on sait qu'il a besoin d'énergie parce qu'il y a beaucoup de fils électriques. La télé ou la radio est-ce que c'est l'antenne qui leur apporte l'énergie ?
Le téléphone, un appareil photo : discussion autour de l'idée que les piles remplacent la main dans certains appareils photo.
Les douches... l'eau... L'énergie nécessaire pour faire arriver l'eau dans les maisons
L'énergie des aimants qui fait tenir des feuilles au tableau.
Pour faire rouler une voiture il faut aussi de l'énergie.
D'où vient l'énergie ? Sous quelle forme l'utilise-t-on?
Les différentes sources d'énergie sont récapitulées par ceux qui ont préparé l'exposé.
Nos questions :
- Ilfaut de l'énergie pour faire arriver l'eau dans les maisons. Rôle des châteaux d'eau, des pompes...
- D'où vient le gaz ?
- Quelle énergie utilise la voiture ?
- D'où vient l'électricité ?
On reparle des différentes sources déjà citées, on signale aussi qu'on pourrait en fabriquer à partir des éclairs.
- Si on met plusieurs piles de la même taille, est-ce qu'elles donnent la même énergie ?
- L'idée de la transformation de l'énergie : par exemple, on part d'une pile, d'où vient l'énergie dans la pile et d'où vient l'énergie contenue dans ce qu'on a mis dans la pile ?
-L'énergie d'une balle rebondissante ( comparaison avec un ressort...)
Témoignages
Des élèves :
"J'aime quand on fait des choses difficiles nous mêmes et qu'après ça marche. Par exemple allumer une lampe avec les moulins, j'espère que ça va marcher!" Laure
"J'ai appris que le blanc renvoie la lumière et que le noir la garde" Antoine
"Je ne savais pas qu'il existait 2 sortes de moulin, les moulins à eau et les moulins à vent." Benoît
"J'aime faire les dessins pour les comptes-rendus" Antoine
"On va faire des maquettes de maisons et essayer de faire fonctionner des capteurs solaires" Aline
L’enseignante :
"Dans ce que disent les enfants on voit combien c'est important d'avoir la possibilité de faire des petits groupes où chacun va pouvoir donner ses idées pour bâtir un projet, puis le mettre en œuvre concrètement. Il faut pouvoir prendre le temps du tâtonnement, de l'expérimentation. Les projets se construisent petits à petits au fur et à mesure des découvertes et des initiatives des enfants."
L’intervenante des « Petits débrouillards »:
"Ce qui me plaît c'est de rendre accessible aux enfants des phénomènes scientifiques qui les environnent et de pouvoir laisser faire l'enfant pour qu'il se pose des questions sur ce qu'il sait, ou croit savoir, grâce à ce qu'il réalise."
Une expérience collective sur l’isolation
Des PE2 de l'IUFM d'Orléans, dans le cadre d'un stage intitulé "Module approche des cycles", sont intervenus dans la classe de cycle III de Pierre Gabert. Un professeur de physique de l'IUFM (Loïc BURNEL) et Pierre, leur ont proposé de mener un travail sur le thème de l'économie d'énergie et, par voie de conséquence, sur l'isolation thermique. Le travail s'inscrivait dans un projet de classe sur le respect de l'environnement. Ces séances étaient donc un point de départ possible. L'idée étaient la suivante : plus on gaspille l'énergie, plus on doit en produire et donc plus on pollue puisque, malheureusement, nous n'utilisons en France que très peu d'énergies "propres" (énergie solaire ou éolienne par exemple). Les enfants ont écrit le compte rendu de ces expériences sur le site internet de l’école : http://ecolecentreferte.free.fr
On a mesuré la température dans quatre maisons différentes. Il faisait 26°C. On nous a alors distribué des radiateurs (en fait des boîtes de pellicule photo remplies d'eau très chaude) ainsi qu'un porte monnaie qui contenait 35 Euros. La température dans chaque maison est montée rapidement. On nous a demandé de garder au moins 28°C à l'intérieur. Si la température était trop basse, on devait acheter un autre "radiateur" qui coûtait 5 Euros. L'expérience a duré environ une heure.
Les résultats :
Dans la maison n°1 (pas de matériaux isolants, les fenêtres sont ouvertes), on a dû acheter 3 nouveaux radiateurs car à chaque fois, la température baissait.
Dans la maison n°2 (pas de matériaux isolants, ses fenêtres sont fermées par une feuille de plastique), on a acheté un seul autre radiateur.
Dans la maison n°3 (maison isolée, parois doublées avec du polystyrène et les fenêtres sont ouvertes), on a acheté là aussi un seul autre radiateur.
Dans la maison n°4, (maison isolée aux fenêtres fermées), on n'a pas eu besoin d'acheter de nouveaux radiateurs.
Conclusion :
La maison qui était très bien isolée a été chauffée avec le radiateur du départ. La chaleur est restée à l'intérieur grâce au polystyrène et aux fenêtres fermées. Dans une vraie maison bien isolée, on peut faire des économies de chauffage, mais il faut penser à toujours fermer la porte et les fenêtres.
Si la maison n'est pas isolée, on va dépenser beaucoup d'argent pour la chauffer. On ne fait pas d'économies d'énergie.
Thomas, Marine, Alexandre,
Mélissa, classe de Pierre GABERT
Ecole du Centre
de La Ferté St Aubin (45)
« Fête de la Parole » à NANTES
Des paroles
« universelles et intimes »
Les paroles d’enfants ont pris des formes différentes : des textes argumentés d’une certaine longueur (une ou deux pages), des dialogues ou des saynètes et des slogans isolés par leur force ou leur double valeur « universelle et intime » signalée par Gérard Paris-Clavel : « Il ne suffit pas de reproduire la parole des gens, de la restituer comme ça. Avant, il faut la retravailler pour en tirer des éléments de sens. » Plusieurs slogans ont fini en autocollants : « Je fais tout pour », « Si je dis tout, j’y suis encore demain ! », L’amour, c’est beau comme un rouge à lèvres », « - Moi, je dis que l’argent, il nous pourrit la vie. », « Je suis en colère ». Il restera à réfléchir aux effets complexes de cette pratique de l’association « Ne pas plier » (autocollants, cartes postales, affiches…) : la présence de telles paroles sur un revers de veste, sur une porte, sur une bibliothèque.
Selon les lieux, selon les personnes, selon l’ensemble du contexte, ces paroles « universelles et intimes» prennent de nouveaux sens et produisent des effets sur l’environnement difficiles à cerner et à qualifier. Les thèmes abordés reflètent les préoccupations des enfants : la pollution, la maltraitance (« A quoi ça sert de faire des enfants si c'est pour leur faire ça ? «), la colère et la dispute, la mort, la misère, la faim dans le monde, la solitude, l’amour, la confiance, le quotidien, les espoirs pour l’avenir, le racisme et la peine de mort aux USA : « - C'est Bush le nouveau président des Etats-Unis. - Bush ? Le raciste ? - Non, c'est celui qui est pour la peine de mort ! - C'est le même ! - Et bien moi, j'aimerais pas être américain... Raciste et pour la peine de mort... - Faut pas qu'un noir fasse des conneries ! »
Certains écrits à tendance véritablement politique sont marqués par une de nos suggestions : interpeller le public, haranguer la foule. « - Je veux vous lire ce texte pour qu'il vous marque. Pour qu'il vous fasse réfléchir, réagir. Je veux que vous compreniez. Dans de nombreux pays, des gens meurent (...) » L’interpellation débouche pour finir sur la mobilisation collective : » (…)Nous en France, nous sommes très riches par rapport à des pays beaucoup plus grands où les gens crèvent de faim, de froid, des guerres. Pourquoi ne les aidons-nous pas ? Moi je dis : unissons-nous. Aidons les pays en guerre, les pays où règnent le froid et la famine. Aidons-nous ! »
Face aux sujets de société, la vie quotidienne a une place importante. D’autres paroles, directement issues de notes prises pendant des conseils d’enfants, abordent des questions à la fois collectives et intimes : l’entretien des toilettes de l’école et leur fonction sociale d’isolement - inattendue et rarement évoquée - posant à l’école la question du privé et du public, de l’intime et du collectif : «- Les toilettes, elles sont sales, le papier est gaspillé. - Quelquefois ça tombe, ça gaspille le papier. - Moi, j’y vais jamais, je me retiens ! - Certains y vont quand ils sont fâchés ou tristes.- Ça sert à s’isoler les toilettes, quelquefois. - Ou alors il faudrait un autre coin pour s’isoler.»
Les paroles consacrées à l’actualité du monde ne sont pas majoritaires : pour les plus jeunes en particulier, plusieurs poésies ont permis de célébrer l’affection maternelle, la beauté de l’océan et du ciel… Si la thématique des couleurs a fait accumuler toute une palette de sentiments, il s’y glisse des paroles pas toujours « fleur bleue » : « Le rouge c’est l’amour et c’est pour ça qu’on est en vie », « La guerre apporte un ciel gris... », « La vengeance sera rouge et cruelle... », « Le noir c’est la couleur de ma peau et c’est les enfants d’Afrique qui n’ont rien à manger... », « Le bleu c’est le ciel et la mer qui nous regardent dans l’horizon.. »
En ouvrant la porte à l’expression, des paroles incontrôlées se sont engouffrées : récits éclatés comme des jeux vidéo : « J’ai vu le diable. Il est fait de colère, de haine, de mort et de sang. Il essaie d’infiltrer dans notre planète... » ou apocalyptiques « Je suis dans l’empire du feu. En ce moment j’ai quelques flammes aux fesses mais il faut faire avec. Dans mon empire il y a la guerre (...)»
L’angoisse a aussi pris sa place par l’évocation de ce qu’on a nommé « idées noires » : « La mort, ça fait peur quand on perd des personnes que l’on aime. C’est une tristesse. Quand on est triste, on a l’impression d’être enfermé dans une toute petite boîte noire avec personne pour nous parler, personne pour nous consoler, personne pour nous accompagner (...) » Évoquer le temps qui passe, c’est aussi poser la question du temps : « le temps c’est l’heure qui passe... - Le temps c’est si on ne va pas assez vite, alors on perd tout son temps. - Le temps c’est le réveil qui passe avec le temps en même temps.» Évoquer le temps qui passe, c’est enfin poser la question de demain, « quand je serai grand... » : « - Quand je serai grande, je serai seukeuzeuveu. », « - C’est bien d’être grand pour apprendre tout. », « - Moi, je vais grandir tout petit ! », « - J’voudrais être en CP quand je serai grand ! », « - Moi, quand je serai grand, je serai grand. »
Fin 2001, la publication d’un livret d’une quarantaine de pages rassemblera l’intégralité des paroles des deux écoles.
Hervé Moëlo
Centre Ressources Ville de Nantes
Né à Fano, petite ville au bord de la mer Adriatique (dans la région des Marches) au début des années 50, le M.C.E. a fêté ses 50 ans de vie sur le site même de sa création, avec la présence de son premier président, Giuseppe Tamagnini, du 6 au 8 décembre 2001.
La naissance du MCE
“Un petit groupe d'instituteurs se regroupa en 1951 dans la Coopérative de l’imprimerie à l'école (CTS) ; ainsi commence chaque présentation publique du mouvement”. Ce sont les premiers mots que j’ai lus sur le Mouvement, devenu M.C.E. en 1957, lorsque j'ai commencé à travailler dans l'enseignement en 1971.
Si l'on cherche dans le bulletin, et dans la revue “Cooperazione educativa”, que Tamagnini imprimait dans la première époque, on peut découvrir les liens étroits qui unissaient les fondateurs, Tamagnini lui même, Pettini, Anna Fantini, Laporta, Giovanna Legatti, Nora Giacobini, Novelli, Ciari, et Freinet. Pas un congrès, dans ces premières années, où Freinet, ou quelqu'un d'autre, représentant l'I.C.E.M., ne fut présent, où il n'y eut pas des documents, des lettres, des expériences de la France (et aussi de Belgique).
“Je sais” écrivait Freinet après sa participation au congrès italien à Signa, en Toscane, en 1956, “qu'un danger vous menace : celui où tombent beaucoup de jeunes débutants ; c'est à dire le danger de ne prendre de nos réalisations que les processus, le matériel, les techniques, sans en comprendre l'esprit qui doit les animer. Cet esprit vous avez su le saisir, on le voit dans tous vos travaux, vous avez su le créer dans l'activité des ateliers spécialisés, au cours de vos réunions de commissions. Vous avez compris que c'est dans vos classes même que l’on doit forger notre pédagogie populaire…” (Cooperazione educativa, n. 2-3/1954).
Après plusieurs années, cette collaboration et cette confiance réciproque continuent ; même s'il y a quelques moments de conflit à propos d'une sorte d'autonomie que les italiens veulent garder, pour la spécificité de la situation italienne, et si Freinet parfois a l'impression que “les italiens bavardent beaucoup, mais ils font peu de réalisations pratiques concrètes” ; la revue relate les échanges, les semaines d'accueil pendant l'été en France, en Italie, les correspondances, les visites des classes françaises et de la Vallée d'Aoste, les interventions de Célestin et d'Elise aux congrès (par exemple le débat sur l'art enfantin, les propositions faites par Lallemand et d'autres camarades sur l'organisation de la classe, sur le système “Pour tout classer”, etc.). Tamagnini, Pettini, Ciari et d'autres camarades défendent leur liberté de ne pas suivre les mêmes lignes que Freinet a proposé avec beaucoup de succès en France; ils n'acceptent pas de traduire mécaniquement les fichiers, les BT, de produire les mêmes outils que la C.E.L. et essayent de donner une “vie italienne” à la pédagogie populaire ; en même temps qu’en Italie, ils défendent jalousement les réalisations de la pédagogie Freinet, face à la méfiance et à l'accusation du parti communiste des années 50-60, d'être des petits bourgeois”. Tamagnini met à disposition du MCE, ces années-là une maison rurale qu'il possède à Frontale, dans les Marches. Elle devient la « maison MCE », où l'on passe de longues semaines pendant l'été à expérimenter des outils, à travailler sur les sciences, l'astronomie, la langue, la typographie…
L’après 68
Les relations entre nos mouvements se sont un peu refroidies après la mort de Célestin et, surtout, après le «mai 68 italien ». A cette époque-là, se produit une très grave coupure dans le mouvement italien : les jeunes, surtout les camarades qui ont étudié à l'Université et refusent n'importe quel pouvoir constitué, ne veulent plus de Président et de l’organisation primitive du mouvement, jugée trop bureaucratique et centralisée. Pendant des stages dans la Vallée d'Aoste, les piémontais (un groupe de jeunes instituteurs de Turin) demandent la fin de l'époque du Président et une nouvelle gestion, plus démocratique et participative, du mouvement (1969/70).
En même temps, les jeunes instituteurs proposent la constitution de groupes d'étude sur les nouvelles disciplines et la nouvelle épistémologie qu'ils ont appris à l'université : on travaille sur les mathématiques nouvelles, sur la linguistique, sur les sciences humaines, l'anthropologie et surtout sur la perception, la communication, l'éducation corporelle, la musique, le théâtre, la nouvelle histoire,...tous les domaines du savoir que la réalité italienne, très fermée à cause du blocage que le fascisme et les gouvernements d'après de la guerre avaient imposé au renouvellement culturel et scientifique de l'école et de la culture.
On constitue donc, à la suite d'une espèce de « flambée scientifique », des chantiers nationaux de recherche dans les différentes disciplines. Ces groupes doivent faire des propositions d'expérimentation aux groupes territoriaux, se rencontrer pour recueillir les expériences et vérifier le succès des différentes hypothèses de travail dans de stages d'été.
C'est à ce moment là que j'entre, avec d'autres jeunes camarades de Venise (on constitue un nouveau groupe), dans le mouvement, après avoir obtenu le concours, en commençant mon activité d'instituteur (1971). J'avais lu, en étudiant pour le concours, le livre de Mario Lodi « Il paese sbagliato » , qui est le récit de la vie et des activités d'une classe au long de 5 ans de primaire (1965-1970). J'en avais été fortement frappé. Je me suis dit : « voilà ce que je cherche ! C'est pour ça que mes efforts de remplaçant, pour quelques jours dans des classes, ratent toujours. Il me manque une conception de l'école, des enfants, de la relation, des propositions qui concernent vraiment la vie et les besoins profonds de ces êtres qui ne sont là ni pour m'écouter ni pour répéter ce que je leur propose ».
J'ai alors la chance de travailler dans une école à plein temps (40 heures par semaine, 2 instituteurs dans chaque classe) et d'y rencontrer des instituteurs qui ont participé par la suite avec moi à toutes les batailles, les succès et les échecs du mouvement pendant presque 30 ans.
De plus, je participe à l'activité des groupes d'étude du MCE (surtout langue et anthropologie) au long de plusieurs années. J'y ai beaucoup appris et j'y ai aussi contribué aux recherches, en expérimentant différents rôles et fonctions, comme l'école même devrait permettre d'expérimenter.
Mais dans le mouvement il y a une sorte de malaise : il semble que, plus l'on approfondit les disciplines, plus on trahit le vrai esprit Freinet, qui s'occupe de l'individu dans sa globalité. On cherche des remèdes à la compartimentation des discipline, qui est l'une des pires dérives de notre école. Plus les élèves grandissent, moins ils savent mettre en relation, avoir un regard global, transférer d'un domaine du savoir à un autre. Les modèles « curriculaires », desquels s'inspirera à un moment donné le mouvement (Bruner, les Projets S.C.I.S. et Nuffield, Ausubel, Boom, De Landsheere…), ne satisfont pas les exigences de garder une relation étroite entre les émotions et la connaissance, l'affectivité et les aspects cognitifs. L'intégration des enfants porteurs de handicap dans les classes où sont tous les autres enfants donne un sérieux coup à ces formes de saucissonnage des disciplines.
Déjà dans les années 70, dans le mouvement, circule une hypothèse « curriculaire » mais qui essaie de joindre toutes les variables dont s'occupe l'éducation : organisation de la classe, styles d'apprentissage et d'enseignement, outils et techniques, concepts à apprendre, motivation, besoins formatifs, conception socio-politique, évaluation,…
Mais la présence de nouveaux sujets impose la recherche de démarches tout à fait différentes, plus globales : on travaillera sur le corps, l'identité, la mémoire (affective), la culture individuelle et du groupe, le laboratoire/atelier en tant que lieu où mettre en jeu les connaissances et les représentations mentales de chacun, en les faisant réagir et en produisant des nouvelles connaissances sorties du groupe ; on utilisera au début des années 80, le mot « pédagogie de l'écoute » pour qualifier la pédagogie Freinet. On parlera aussi, en prenant en considération les propositions de la « pédagogie institutionnelle » française, du « fond intégrateur », (le fond est la scène dans un théâtre, devant laquelle on a des objets et des sujets par devant). Donc, des hypothèses de travail qui ne visaient pas à considérer des éléments isolés, séparés du contexte, comme très souvent on le lisait dans les théories de la programmation.
Les rencontres d’été
Les rencontres d'été deviennent une espèce de « foire de la pédagogie populaire » (comme le sont, parfois, les RIDEF) où chaque groupe de recherche dans une « maison du savoir » propose des activités, ses recherches, un atelier court ou long. C'est là que se mêlent expériences de chant libre et de théâtre-animation, des activités pendant la nuit en observant le ciel, que l'on parle de la « bi-logique » de Ignacio Matte Blanco (c'est à dire de l'insuffisance d'une logique linéaire qu’est la logique aristotélicienne et mathématique), que l'on travailla dans des séminaires interdisciplinaires pour rechercher les liaisons entre linguistique, mathématique, histoire, écologie…
Ce sont dix jours d'immersion totale dans une autre façon de vivre l'école, une autre pédagogie, une autre idée de la culture et des relations humaines. Tout le mouvement est alors mobilisé, et chacun apprend des autres et enseigne aux autres.
Mais cette expérience, conduite dans les années 80, révèle bientôt le vrai nœud, le cœur de la pédagogie Freinet : la formation. Si elle est valable pour les enfants, la pédagogie Freinet doit être applicable aux adultes aussi, les instituteurs qui ont eux aussi un corps, une mémoire, des émotions. Le concept de formation est de plus longue durée et plus complexe que celui de laboratoire ou d' « assemblée-laboratoire ». On fait aussi référence à Freinet et on lance l'idée et la formule de l' « école d'été de formation ». Un conflit se profile alors, à ce moment là, entre ceux qui soutiennent que dans la coopération tout le monde est égal et ceux qui soutiennent que la relation est parfois symétrique et parfois asymétrique, introduisant donc les fonctions de formateur et d'observateur, différentes de celle de simples participants. L'animateur et l'observateur ont la responsabilité pédagogique du projet ; l'équipe qui prend en charge l'organisation de l' « école d’été » se rencontre trois ou quatre week-ends par an et organise un stage de formation avant chaque édition de cette « école d’été ».
Neuf éditions de ces « écoles d'été » ont eu lieu, sur les thèmes suivants:
· ateliers au miroir (1993)
· identité/différences (1994)
· le conflit dans la pratique éducative (1995)
· la communication (1996)
· individu et groupe dans la construction de connaissances (1997)
· vécus et savoirs (1998)
· l'organisation du contexte scolaire (1999)
· les confins de l'éducation ; la pédagogie des confins et la recherche des « terres du milieu » (2000)
· la médiation éducative (2001)
Chaque édition s'occupe d'organiser soit des ateliers qui développent un aspect d'une recherche, en faisant travailler les participants, en les réunissant « en situation » ; soit des groupes successifs de réflexion, des séminaires en aidant à élargir les points de vue, en sortant du vécu immédiat, en aidant à développer des pensées.
Très souvent, lorsqu'on travaille « en situation », le temps manque pour cette réflexion. Il est donc important d'essayer, de tâtonner à ce niveau là. Le niveau d' « abstraction » dans les séminaires est dû au fait qu'on présente les travaux des différents ateliers avant de se réunir dans les groupes ; pendant une matinée, tout le monde peut assister à la communication de chaque atelier. Les ateliers ont une demi-journée de temps pour soigner la communication, la mise au point du parcours fait dans le laboratoire. Puis, dans le séminaire, les observateurs (deux par séminaire) présentent leurs observations et aident de cette façon les autres participants à développer cette fonction d'observation qui est très importante.
L’école de formation interculturelle
Il y a quelques années, une autre école de formation est née : l'école de formation interculturelle, qui a pris la place de l'ancien « collectif d'éducation à la paix », qui s'était constitué à la suite de la RIDEF de Turin (1982), qui avait été présent aux assemblées-laboratoire italiennes des années 80 et aux R.I.D.E.F. de Louvain (1984), Vejle (1986), et qui s'était beaucoup enrichi de nouvelles thématiques après la RIDEF au Brésil (1988) et à l'occasion de la nouvelle réalité italienne constituée par la présence de beaucoup d'immigrants avec leurs enfants.
Ce groupe, qui a organisé en collaboration avec le C.A. de la FIMEM et le parrainage de l'Unesco la convention internationale sur l'éducation à la paix de San Marino (1986) - à laquelle participèrent camarades français, suisses, espagnols, belges - achève son action après un long travail de contacts et de recherche sur les enfants palestiniens, en coopérant avec d'autres associations pour l'adoption symbolique d'enfants par des familles italiennes et en éditant le livre « Ragazzi di Palestina ». La chute du mur de Berlin, la fin du système communiste dans les pays de l'Est, se traduisit aussi en la fin des groupes pacifistes qui avaient lutté contre l'installation des missiles de la part de deux systèmes. Mais à l'horizon on peut déjà entrevoir les effets de la « globalisation », de la « libre économie de marché » sur la santé, l'école, les services sociaux, la culture, les médias.
Un lieu de recherche et de formation à l'analyse interculturelle était nécessaire, aidant à démontrer qu'il n'est pas possible d'avoir une culture, une pensée unique, parce que la réalité culturelle d'aujourd'hui est complexe. En même temps l'école forme à l'accueil, à travers la globalité des langages, le théâtre, l'animation, les jeux de rôles pour savoir affronter et résoudre les conflits ; elle forme aussi à la médiation culturelle, à la décentralisation du point de vue (notre point de vue occidentale étant très ethnocentrique), à la dé-banalisation de la réalité quotidienne ; on y utilise les outils culturels de l'anthropologie aussi que le techniques pacifiques de gestion des conflits. Ces deux écoles, avec leurs équipes, font partie d'un plus grand projet de formation que le mouvement propose à l'attention des institutions et au débat pédagogique.
En 1996/97 on fête le centenaire de Freinet avec deux initiatives : un congrès à Trento, organisé par l'institut régional pour la formation des instituteurs et auquel le mouvement a donné une aide au niveau de l'organisation des ateliers ; et en 1997, a lieu à Turin, une grande convention avec 1000 participants, de grandes expositions, des soirées d'animation, plus de 20 ateliers, beaucoup de séminaires de discussion ; au final ont été publiés deux livres, un sur Freinet et la pédagogie populaire en Italie, l'autre « I fili e i nodi dell'educazione » sur les plus importants des invariants de l'éducation sur lesquels on avait travaillé pendant les 4 journées : l'individu, le groupe, les techniques et les technologies, les connaissances et les cultures, l'organisation scolaire. On a aussi publié, l'année précédente, le livre « Dialoghi a distanza » sur l'histoire du mouvement italien et une monographie de notre revue « Cooperazione Educativa » dediée à Freinet.
Cette année, deux initiatives sont centrées, après les écoles d'été avec leur thème et d'autres moments de rencontre, sur les 50 ans du mouvement.
A Trevise, fin novembre, du 22 à 24 on a travaillé sur les nouvelles connaissances, le « curriculum unitaire » pour une école unitaire (même si Madame la Ministre a bloqué la réforme des cycles d'instruction) ; dans cette rencontre, un soir a été réservé à un souper coopératif avec la participation de chansonniers populaires qui étaient jadis membres du mouvement; et un après-midi à une table ronde sur la presse et les finalités d'une revue pédagogique aujourd'hui. On a donc choisi de fêter les 50 ans, mais en travaillant coopérativement, comme dans la meilleure tradition Freinet.
A Fano, comme je l'ai déjà écrit au début de l'article, dans les premiers jours de décembre, a eu lieu, avec les anciens et les nouveaux amis, la 50° assemblée nationale du mouvement. Fano a une signification particulière pour nous : Tamagnini, Anna Fantini, (d'autres jeunes dans les années 50) y travaillèrent ; Tamagnini y fut professeur de didactique à l'Ecole Normale, et avec lui étudia Francesco Tonucci, aujourd'hui psychologue du C.N.R. qui a contribué à réaliser à Fano la « città dei bambini e delle bambine », une initiative pour l'autonomie et les droits de l'enfance en faisant vivre de toute autre façon le milieu urbanisé. Une liaison école-milieu qui est dans la tradition aussi de notre mouvement.
Nous espérons donc pouvoir repartir en 2002 avec plus d'énergie, d'idées, de participation, de lecteurs de la revue et des publications, de praticien-chercheurs… dans un monde qui s'occuperait davantage de l'éducation, de l'école et de la santé des enfants que d'armements et de guerres.
Giancarlo Cavinato
Pour le MCE
UN MONDE MEILLEUR
Il en fut de cet objet comme de toute nouveauté : peu à peu il se banalisa et entra dans le quotidien.
Son apparition en classe avait pourtant bouleversé l’ordre des choses. Au début, les enfants s’excitèrent. Ils regardaient l’objet constamment, le prenaient à témoin de leurs joies ou de leurs misères. En remettaient même une couche, parfois. Devenaient acteurs. Certains en arrivaient à lui parler.
Au bout de quelque temps, ils passèrent au stade soupçonneux. Se mirent à l’observer en biais, dissimulant certaines choses aux yeux de cet intrus.
Car il avait des yeux, l’objet.
Ou plutôt un seul. Mais un œil aigu qui ne cillait jamais.
Puis les enfants passèrent au stade indifférent. L’ignorèrent superbement. Allant même jusqu’à l’oublier, tant il était discret.
Mais il était là. Apparemment pour longtemps.
Et l’instit commençait à le haïr.
A la rentrée, les services techniques de l’Inspection Académique étaient venus l’installer, au ras du plafond. La note de service, reçue quelques jours plus tôt à l’école, disait : « Après avoir testé l’efficacité de la vidéo-surveillance dans certains collèges et lycées réputés difficiles, le ministère de l’Education Nationale a décidé d’étendre ce système à tous les établissements scolaires du premier et second degré. Toutes les écoles seront donc équipées de caméras. Elles seront connectées, via Internet, aux postes de contrôle installés dans les Inspections de chaque circonscription. L’objectif est d’assurer une meilleure sécurité. »
Quelques semaines plus tard, l’instit reçut un message privé. Sur la liste académique, bien sûr. D’autres techniciens l’avaient installée d’office, l’année d’avant, sur l’ordinateur de la classe. Le courrier émanait du conseiller pédagogique de circonscription : « Cher collègue, j’ai visionné la cassette de votre école datée du 25 octobre dernier. Je pense que vous avez mal mené votre leçon sur : Evolution des Hommes et des Techniques. A mon avis, vous auriez dû etc. »
Monsieur l’Inspecteur s’aperçut très vite aussi des avantages du nouveau système. Et ne tarda pas à inventer l’inspection virtuelle. Fin décembre, l’instit reçut un courrier pour son noël. Par la Poste, cette fois. Plusieurs feuillets : « Rapport d’inspection du 18 décembre 2007. Inspection de monsieur B…, professeur des écoles, effectuée sur visionnage de la cassette MONT.136.BA, datée du 18/12/2007 et concernant l’école 0310705Y, circonscription de R…. Le document ci-dessus référencé montre que etc. »
L’instit se sentait de moins en moins bien dans sa peau et dans sa classe.. La nuit, ses rêves en devenaient bibliques : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. » Il lui fallut pourtant tendre l’autre joue… Car certains parents, au fait des technologies nouvelles, s’étaient connectés au réseau. Comme cela se passe aux USA, où des parents peuvent voir leur môme en maternelle depuis le bureau, la maison ou le supermarché…
A la mi-avril, donc, l’instit commença à recevoir des questions, sur le cahier de liaison :
« Pourquoi ma fille a-t-elle fait des maths hier, de 10 h à 10 h 30, alors que d’autres faisaient de la lecture ou du français ? »
« Pourquoi avez-vous réprimandé mon fils avant-hier à 14 h 32, bien qu’il soit visible sur l’écran que c’était son voisin qui l’embêtait ? Veuillez le changer de place, SVP. »
« Le Quoi de Neuf de ce matin a duré 25 minutes, au lieu du quart d’heure habituel. Est-ce normal ? »
Le système tournait bien, à la satisfaction de presque tout le monde.
Et personne n’aurait osé imaginer le geste de l’instituteur.
Celui qu’il fit le 21 mai au matin, la cassette en fait foi.
Ce matin-là, il prépara normalement sa classe. Les enfants déjà arrivés jouaient à la garderie,, en attendant l’heure de la rentrée à 9 h.
Le système de surveillance se déclencha à 8 h 10, comme d’habitude.
A 8 h 11, l’instituteur se planta devant l’objectif et le regarda fixement.
Puis il se tourna et défit la ceinture de son pantalon.
Il se pencha alors en avant.
Et montra son cul à la caméra de surveillance.
Une rhétorique sournoise tend à déconnecter le comportement des élèves de leur contexte social en se masquant derrière un vocabulaire apparemment neutre. Par exemple, on jugera l’absentéisme de certains tout simplement inadmissible, sans s’interroger sur la signification de celui-ci (l’absence de volonté ne constituant, dans ce cas, qu’un symptôme qu’aucun décret n’est en mesure d’endiguer). Le mot « incivilité » devenu La notion-référence en ce domaine ne constitue en fait qu’un rempart destiné à faire croire que la civilité se développe à partir d’une série d’injonctions, d’interdits ou de devoirs. Il n’est sans doute pas inutile ici de souligner le caractère très flou de la notion de « violence » elle-même qui participe à la montée du sentiment d’insécurité scolaire, tant elle fait croire que les coups et blessures constituent le lot quotidien de la vie d’une classe. En réalité, lorsque l’on demande aux établissements de faire état de tous les « manquements à la loi » qu’ils connaissent, la majorité des faits relevés est d’une gravité très relative, même si leur caractère récurrent finit par devenir effectivement un problème très sérieux, non sur le plan pénal, mais par la mise en cause de fait du système éducatif qui s’y joue.
Il faut d’ailleurs reconnaître que notre tradition républicaine n’est pas étrangère à cette manière de voir. En avançant un idéal méritocratique (à chacun selon son mérite individuel), elle pense pouvoir libérer l’élève de ses conditions concrètes d’existence, qui elles, sont tout à fait indépendantes de la volonté individuelle. C’est-à-dire qu’une confusion s’installe entre une égalité rêvée (la fameuse « égalité des chances ») et une égalité réelle, ce qui produit l’effet exactement inverse : le renforcement du déterminisme social (un voile s’installant devant les inégalités réelles que quelques sociologues têtus s’obstinent à rappeler régulièrement). Ainsi, il n’est malheureusement pas étonnant que « la violence à l’école » soit traitée sous un angle purement répressif, ou encore sous un angle purement pédagogique, sans que l’on semble s’émouvoir du fait qu’elle ne constitue qu’un effet d’une cause qui est, elle, hors et dans l’école (l’école produit elle-même ses propres lois implicites ou explicites, lois parfois en contradiction avec les droits élémentaires des enfants reconnus par la convention internationale des droits de l’enfant. L’école génère une violence propre !). Il y a là une étrange cécité pour un observateur extérieur, mais dont l’histoire de l’institution scolaire permet de comprendre le poids.
Il n’est alors guère étonnant que cet idéal républicain se transforme en idéal répressif dès lors que les élèves ne sont pas « prêts » pour l’égalité des chances. Le discours sur l’Ecole de la République finit par se transformer en aveu involontaire de la crise sociale que cette institution rencontre. Le passage à une logique libérale se fait ici aisément puisque celle-ci considère également que l’individu est entièrement responsable de ses conditions d’existence. A partir du moment où l’on considère que quelqu’un choisit de son plein gré la voie de la délinquance, l’idée même d’une violence sociale devient impensable. Du coup, « le tour est joué » car cette dernière ayant disparu, toute tendance sécuritaire devient politiquement neutre (on ne lutte que contre des individus nuisibles) et ainsi élimine toute véritable politique sociale. On peut par conséquent se demander si la montée du discours libéral en matière scolaire n’est pas liée à la massification, en partant de l’hypothèse selon laquelle l’idéal républicain n’est crédible que s’il légitime une sélection très stricte de son élite.
Le rappel de l’existence du social ne peut pourtant pas conduire à un attentisme, qui consisterait à compter sur un prochain bouleversement social pour enfin rétablir l’égalité à l’école.
D’une part, ce serait épargner l’institution scolaire de sa responsabilité propre en matière de violence réelle et symbolique. Nous savons par exemple trop bien comment le système des options ou les dérogations multiples à la carte scolaire expriment une volonté assumée de jouer le jeu des inégalités sociales en les renforçant, ainsi qu’en matière de choix économiques.
D’autre part, il n’est pas non plus acceptable de laisser une partie des personnels de l’éducation nationale (souvent les jeunes enseignants inexpérimentés) affronter individuellement dans le désespoir une crise sociale très dure. Enfin, il paraît difficile de faire l’économie d’une réflexion pédagogique sur les modalités de la transmission du savoir et sur le fonctionnement des établissements scolaires.
Sans doute y a-t-il là des versants (parmi d’autres),à la fois incontournables et contradictoires d’un même problème. La lucidité impose, en ce domaine, de ne pas croire en des synthèses de papier mais également de ne pas tomber dans le fatalisme ambiant qui tend à faire croire qu’un seul « ordre » (ou désordre ?) économique est possible.
Eric Hassenteufel
Sud Éducation 59/62
Réflexions « violence(s) »
Il est nécessaire de contrer les discours exacerbés et le développement des logiques sécuritaires. Contrer suppose aussi, a minima, le développement d’une conscience sociale par le vécu, les luttes, la « formation par l’expérience » en quelque sorte. Ce développement d’une conscience sociale doit nous engager alors/aussi dans un travail pédagogique et éducatif de chaque instant.
Cet engagement est global et local, il inclut tout notre champ professionnel.
Que produit l’école ?
L’école est un renvoyant primaire efficace
L’école produit « en coopération » si l’on peut dire des parcours d’exclusion avec le judiciaire et le policier. Des enfants glissent par exemple du statut d’absent, de mauvais élève, de perturbateur à celui d’élève indésirable puis de rejeté, enfin de pénalement responsable et policièrement sanctionnable. Elle participe parfois à un « cycle infernal », réservé aux enfants des milieux populaires ou distants de l’école le plus souvent.
Construction
d’identités négatives
L’école possède des codes de reproduction qui aident à la construction par les élèves et leurs parents de représentations négatives de soi. Elle empêche l’estime de soi pour ceux qui en sont éloignés et ignorants de ses rouages et attentes implicites (en terme de code de politesse, de code de respect, de code de langue…)
La délinquance : une stratégie
de compensation
Les jeunes n’ont d’autre issue quelquefois que de « tomber » dans la délinquance, seule porte de sortie permettant un statut de reconnaissance, une identité.
Les questions de fonctionnement
L’école développe aussi ses propres règles, ses propres lois qui de plus ne sont ni construites ni même connues des usagers. Ces mêmes lois peuvent aussi être variables suivant les intervenants ou professeurs ! Elle développe ses propres modes d’organisation du travail, ses hiérarchies figées, ses découpages de temps et d’espaces surprenants. La critique la plus souvent développée par les jeunes est qu’ils ne connaissent pas les règles, ne les ont pas construites et surtout qu’elles sont fluctuantes suivant les enseignants ou les établissements. L’autre état générateur de violence (perçue) est que les lois applicables aux élèves ne le sont pas aux adultes (le respect notamment).
On peut encore parler de violences plurielles (architecture, temps, espaces, contradiction école obligatoire et liberté…). Réfléchir à de nouveaux espaces, temps, outils et regroupements d’élèves : Il est curieux par exemple d’observer les espaces cloisonnés, les temps découpés et hiérarchisés comme les matières… Comment dans les architectures actuelles et découpages d’emplois du temps, des collégiens et lycéens peuvent-ils développer des démarches citoyennes et « militantes de leur propre vie » ? Les regroupements par « paquets » homogènes, entassés à 30 et plus dans 60 m2, et les regroupements par classes d’âge étonneront peut-être les éthologues du XXII ème siècle !
Les situations vécues comme des violences par les élèves sont encore celles des devoirs, des inégalités devant les moyens. Pour les enseignants aussi, les inégalités de moyens suivant les communes, départements et régions, suivant les établissements et les zones (REP ou non, etc.) participent d’une violence (ou d’une injustice en tout cas) institutionnelle.
De plus, « les inégalités réelles auraient moins de conséquences si elles n’étaient pas converties en hiérarchies d’excellences » (Perrenoud-1984).
Les filières, les signalements aux réseaux d’aide (ou non-signalements par manque de moyens !) participent de cette logique d’exclusion sociale.
Que faire dans l’école ?.. Transformer l’Ecole !
Mettre en route l’apprentissage d’une démocratie participative (savoir, pouvoir, faire/participer et tâtonner) au niveau des élèves (l’enfant citoyen d’aujourd’hui est le citoyen adulte de demain) et des enseignants.
Très rarement dans l’Ecole, l’enfant (et les enseignants entre eux !) peut construire ses règles, participer à la construction coopérative de lois démocratiquement votées. Les structures hiérarchiques et infantilisantes sont autant de marqueurs environnementaux d’une violence subie. Tout juste lui apprend-on (l’instruit-on) les règles établies, les devoirs à suivre. La liberté d’expression et d’association, la libre circulation reconnues par la convention internationale des droits de l’enfant sont-elles appliquées partout ? Non, loin s’en faut ! L’élève (et pas plus l’enseignant) peut-il tâtonner et progresser par essais/erreurs quand les contenus, programmes, temps et espaces sont bloqués ?
Rapports contenus d’enseignement / rythmes / vie et comportement : Les contenus ne sont pas innocents à cette violence subie. La coopération par exemple est absente dans les faits des programmes…On cantonne la philosophie en terminale, on cloisonne les disciplines pour ne voir la mathématique qu’en mathématique…La compétition, le mérite restent des valeurs fondatrices des objectifs posés par la société et l’état.
Sylvain Hannebique
Groupe départemental 62
Le chantier de l’innovation, né d’une volonté ministérielle, a suscité de nombreux projets d’équipes. Cela s’est concrétisé par quelques ouvertures d’école et d’établissements à la dernière rentrée. D’autres projets sont en cours d’élaboration.
Pour nous, pédagogues Freinet, l’innovation ne se décrète pas, il s’agit bien d’une vraie rupture qui doit concourir à de réelles transformations dans l’Ecole actuelle. Pratiques de rupture, mais pratiques cohérentes, prenant appui sur l’expérience des équipes pédagogiques travaillant sur ce terrain depuis de nombreuses années.
Les innovations dans notre système scolaire ne peuvent se contenter de mesures structurelles. Au contraire elles remettent en question l’essence même de ce qui fait notre travail au quotidien :
- la place de l’enfant dans la classe, à travers l’émergence de ses modes d’expression et de sa personnalité ;
- la place du savoir, non plus conçu comme accumulation de connaissances sans lien entre elles, mais bien comme appropriation par l’enfant/élève ;
- le rôle déterminant du groupe, par la mise en place de la coopération dans la classe, dans l’école mais aussi par l’élaboration d’un patrimoine culturel communautaire ;
- les rôles et la part du maître dans ce processus…
La précipitation dans laquelle se sont effectuées certaines ouvertures d’établissements innovants, l’absence de mode d’emploi ou de cahier des charges précis ont souvent handicapé la mise en œuvre des projets. Les freins locaux (collectivités locales, hiérarchie intermédiaire) avaient été sous estimés.
Travailler en équipe, s’investir dans une véritable démarche collective, demande de s’inscrire dans la durée. Aussi pour tous ces projets, devenus réalité ou sur le point d’aboutir, il reste à obtenir une reconnaissance institutionnelle qui puisse assurer la pérennité des équipes bien au-delà d’échéances électorales.
Il est indispensable que les expériences innovantes bénéficient, dans le cadre d’un «contrat d’innovation», de postes à contraintes particulières permettant de recruter des enseignants de manière claire et transparente, afin d’assurer leur maintien dans le temps.
Ces expériences sont très formatrices pour les enseignants qui les vivent. Le rôle de l’équipe coopérative comme lieu de formation n’est plus à démontrer.
Mais innover ou travailler autrement, nécessite une formation qui n’est dispensée nulle part. Les mouvements pédagogiques, les réseaux qui se forment, constituent des lieux efficients de coformation pour les enseignants impliqués. Mais cela ne saurait suffire.
L’institution doit enfin reconnaître cette coformation et en donner les moyens : temps pour échanger entre équipes, pour confronter les pratiques, pour construire et expérimenter de nouveaux outils, pour ouvrir la voie à de réelles démarches d’appropriation du savoir par les enfants…
La voie unique initiée depuis les prémices de l’Ecole a montré ses limites (échec scolaire, violence à l’école, démobilisation des acteurs de l’école…). La formation des enseignants est devenue essentielle en vue de reposer les questions de l’Ecole aujourd’hui : quelles pratiques pédagogiques face à l’hétérogénéité des élèves et des groupes-classes, quelles pratiques éducatives face à la montée des réactions hostiles à l’école, quelle organisation du travail en équipe, quelle coopération face à l’isolement et aux difficultés nouvelles des enseignants …
Pour cela notre mouvement est prêt à s’associer aux actions de formation initiale et continue dans les IUFM avec un statut de « Formateur collectif associé » dont le cadre reste à définir.
Joël Blanchard, Pierrick Descottes, François Le Ménahèze,
Membres du Comité d’Animation de l’ICEM
L’intégration des écoles Diwan dans le service public d’éducation a suscité des réactions diverses ces derniers mois. Ce débat a plusieurs entrées qui s’entremêlent : le culturel, le pédagogique, l’idéologique, le politique, le droit à l’éducation et les droits des enfants. Puisse ce témoignage de Reun et Youenn Tempéreau, membres de l’ICEM, mais qui n’engage en aucun cas l’ICEM, contribuer au nécessaire débat sur les langues régionales.