Le Nouvel Educateur n° 136

Février 2002

Monsieur le Ministre

Février 2002

Monsieur le Ministre

 
Lorsque vous avez été nommé au ministère de l’Education nationale, je me suis enfin sentie soutenue par ma hiérarchie ! : depuis mes débuts d’institutrice, en 1970, je pratique la pédagogie Freinet dans ma classe.
 
Comme vous n’êtes pas sans le savoir, un des piliers de cette pédagogie se trouve être la place prépondérante accordée à l’art. Mes salles de classe ont donc toujours été très gaies de par les nombreuses productions artistiques des enfants, accrochées ça et là ! (et pas rien qu’aux murs…) Les enfants, à mon avis, réussissent mieux leurs études dans cette ambiance colorée qu’ils personnalisent au fil des jours.
 
C’est donc avec un grand soulagement que j’ai appris votre arrivée rue de Grenelle, Monsieur le Ministre ! Je suis moi-même installée depuis un an Boulevard Maurice, dans une école maternelle de quartier ancien, à Saint-Etienne. J’ai des élèves de moyenne et grande section. Mes collègues sont charmants, les parents d’élèves attentifs à ce qui se fait en classe. Je n’ai en rien changé mes pratiques, mais, encore une fois, votre nomination m’a confortée dans mes orientations pédagogiques.
 
Mon soulagement fut, hélas, de courte durée. Vendredi après-midi, dans la grande salle de motricité de l’école, nous faisions, les enfants et moi, devant les parents d’élèves, une démonstration du jeu de « parachute », lorsque fondit sur nous un groupe, que dis-je, un aréopage d’hommes cravatés ou en costumes de pompiers : la COMMISSION DE SECURITE !!! J’ai cru un instant que ces messieurs allaient interdire le jeu de parachute dans les écoles, mais il n’en fut rien : la toile de parachute est ignifugée. (Et nous ne sautions pas d’un Nord-Atlas, nous sommes restés au sol…)
 
Hélas, lorsque à la récréation, ma directrice me fit part des constatations de ladite Commission, je fus atterrée… Ma classe a travaillé sur les couleurs, cet hiver, et le couloir a été (et est encore) illuminé par les productions des enfants, installées au plafond. D’autre part, dans la salle de classe, deux vulgaires ficelles courent d’un mur à l’autre : c’est notre fil à étendre les collages en cours de séchage et les peintures grand format. Toutes sortes de créations enfantines, de recherches picturales (ou littéraires), y sont accrochées journellement, à l’aide de non moins vulgaires pinces à linge. (Vous n’imaginez peut-être pas l’espace nécessaire au séchage des peintures, collages et autres productions quotidienne d’une classe de 21 élèves ?) Je trouve pour ma part, cet étendage réjouissant pour les yeux.
 
(A propos d’espace, et sans quitter mon sujet de la Commission de sécurité scolaire, je me permets d’ouvrir une parenthèse : j’ai visité les salles de classe situées au vingt et unième étage de l’immeuble de la Cité radieuse imaginée et bâtie par l’architecte Le Corbusier, à Firminy. Cet espace conçu pour les enfants, plein de lumière et d’espace, vient d’être fermé par cette même commission, car il se trouve… à plus d’un mètre du sol.)
 
Et bien, pour en revenir à ma classe, JE DOIS DESINSTALLER, le plus vite possible, toutes ces productions. Pourtant, mes élèves, comme tous les autres élèves de la ville, ont visité le Musée d’Art moderne de Saint-Etienne. Ils ont vu un mobile de Calder, ils ont apprécié les grands collages de papier découpé et marouflé de Dubuffet, ont appris ce qu’est une installation d’artiste. Que faisons-nous, toute l’année, sinon installer nos productions du mieux que nous pouvons, dans l’espace et les locaux que nous avons ? Ce que des artistes font, ce qui est délibérément donné en exemple à tous les élèves de la ville, ce que les autres nations nous envient à travers ce musée prestigieux, un des joyaux de l’art contemporain français, serait interdit aux enfants ???
 
Certes, le papier brûle, comme l’ont fait remarquer si justement les pompiers, mais les écoles françaises ne sont pas encore totalement équipées d’ordinateurs pour remplacer ce support (non encore ignifugé). L’école de Tardy, en tout cas n’en a aucun, et la « machine » sur laquelle je vous écris se trouve dans ma chambre à coucher et m’appartient…
 
« Laissez brûler les p’tits papiers », disait Serge Gainsbourg dans la chanson que nous avons choisie dans le recueil envoyé par votre ministère. Le 21 juin, chanterons-nous les petits papiers en compagnie des parents d’élèves, dans une classe ordinaire, avec juste un peu de vie sur les murs, et rien qui pendouille au plafond ?
 
Dans l’espoir d’une réponse de votre ministère, m’indiquant les références du Décret interdisant l’accrochage de productions enfantines dans l’espace d’une salle de classe, je vous pris d’agréer, Monsieur le Ministre, mes sincères salutations.
 
L’institutrice, Françoise Robardet
(Lettre parue dans « Chantiers Pédagogiques de l’Est »)

 

Des "travaux" au collège et au lycée

Février 2002

 

Alors que se généralisent les travaux croisés au collège et les travaux personnels encadrés au lycée, le secteur second degré de l’ICEM nous propose un dossier, mêlant analyses et témoignages sur ces avancées pédagogiques, dans lesquelles on retrouve bon nombre des principes mis en place dans les classes « Freinet » du secondaire.
 
Visant à donner le goût d’apprendre et de se cultiver tout au long de la vie, éléments décisifs pour accéder à l’autonomie dans les apprentissages, ces formes de travail peuvent être pour les uns, un moyen de remotivation et pour les autres, une voie d’approfondissement. Encore faut-il que les moyens matériels mis à disposition des équipes d’enseignants (temps, CDI…) soient singulièrement développés et que ce travail soit véritablement reconnu dans le parcours scolaire des élèves.
Où le BO est innovant
 
Catherine Mazurie, du secteur second degré de l’ICEM, analyse pour nous les différents textes officiels et en particulier ceux qui concernent la mise en place des travaux croisés au collège, les TPE en étant le prolongement au lycée.

 





Cela fait plusieurs années qu’il est question d’individualisation et de personnalisation de l’enseignement dans le BO. Les TPE ne sont que le prolongement de travaux qui existent, en théorie depuis longtemps au collège.

 

Les ministres successifs ont ainsi chaleureusement encouragé la mise en place de travaux interdisciplinaires. C’est ce que rappelle Ségolène Royal en 99 : « Je souhaite à cet égard que chaque élève de 4ème puisse s’investir, avec plaisir et détermination et même avec passion, dans la réalisation de “Travaux croisés”, projets pluridisciplinaires valorisants et formateurs, prolongeant et systématisant les “parcours diversifiés” expérimentés en 5ème. Il s’agira pour chaque collégien de mener à bien une production (artistique, scientifique, etc.) correspondant à un vrai centre d’intérêt et mettant en oeuvre, sur quelque support que ce soit, des savoirs complémentaires de différentes disciplines : son “chef d’œuvre”, en quelque sorte, réalisé avec l’aide d’enseignants des diverses disciplines concernées, dont la notation sera à terme prise en compte dans les épreuves du diplôme national du brevet. »

 

Plus loin, elle précise les objectifs de ces « travaux croisés », et on croit rêver en lisant ces lignes :

 

« -Valoriser la réalisation, la fabrication, la production, d’un projet impliquant plusieurs disciplines.

 

- Favoriser un travail pluridisciplinaire pour assurer une plus grande continuité et cohérence des savoirs.

 

- Entraîner les élèves à mener un projet jusqu’à sa réalisation finale, développer leur autonomie.

 

- Encourager le travail d’équipe des enseignants de disciplines différentes.

 

- Prolonger les parcours diversifiés de 5ème en les renforçant. »

Les modalités de travail affirment la nécessité de faire des ponts entre les disciplines, de prendre en compte l’enfant dans sa globalité etc. : « En classe de 5ème, dans les parcours diversifiés, l’élève aura déjà mis en place les bases d’un travail autonome (individuel ou en groupe) dans une approche pluridisciplinaire. Il aura également pris l’habitude de travailler avec plusieurs enseignants et de construire des passerelles entre les enseignements. Les “Travaux croisés” en classe de 4ème lui permettront d’affirmer les compétences déjà développées en 5ème.

 

Les réalisations demandées aux élèves peuvent être de différentes natures : enquête, expérience ou fabrication d’un objet scientifique, ateliers d’écriture, création artistique, audiovisuelle, musicale, théâtrale, actions sur le patrimoine, l’histoire, l’environnement. »

 (Bo23Supplément 07 juin1999)

 

Le BO N° 25 de juin 2000 rappelle les mêmes principes louables… mais donne aux enseignants la possibilité de ne pas les mettre en place !

« Les parcours diversifiés et les travaux croisés ont pour principal objectif de mettre en place des pratiques interdisciplinaires qui donnent plus de sens aux apprentissages et permettent aux élèves de percevoir la cohérence des différents programmes d’enseignement proposés au collège.

Ils offrent également aux professeurs la possibilité de pratiquer des méthodes pédagogiques originales. Ils constituent, au cycle central, un moyen de motiver les élèves.

À la rentrée scolaire 2000, les travaux croisés ne seront pas obligatoires pour toutes les classes de quatrième. Cependant, l’objectif défini dans la circulaire n° 2000-009 est maintenu et les collèges sont encouragés à utiliser l’année 2000-2001 pour les expérimenter. Il est en particulier demandé à chaque collège d’organiser au moins une expérimentation de “travaux croisés” en quatrième pour l’année scolaire à venir. Il pourra s’agir soit d’une classe entière soit du regroupement temporaire d’élèves issus de plusieurs classes.

 

Cette phase expérimentale sera accompagnée par la publication d’un document pédagogique à paraître au cours du premier trimestre de l’année scolaire 2000-2001, par des actions spécifiques de formation des professeurs et par l’attribution de fonds supplémentaires prévus dans le collectif budgétaire.

 

Un bilan de la mise en place des travaux croisés en 2000-2001 sera dressé, afin de décider de la suite à donner à ce dispositif.

 

Dans l’attente des conséquences tirées de ce bilan, la prise en compte de l’évaluation de ces travaux dans le cadre du diplôme national du brevet est reportée. 

 

Pour le ministre de l’éducation nationale et par délégation, Le directeur de l’enseignement scolaire Jean-Paul de GAUDEMAR »

 

M. Lang, qui veut laisser sa « griffe » dans l’Histoire, nous a envoyé une lettre l’an dernier, qui reprend le dispositif du travail interdisciplinaire, sous une forme à peu près similaire : ce sont les « itinéraires de découverte » : « J’ai donc décidé qu’à compter de la rentrée 2002, l’horaire des classes de 5e et de 4e sera nationalement unifié et qu’il intégrera un volume de deux heures hebdomadaires pour pleinement installer, sous forme d’itinéraires de découverte, une nécessaire pluralité des modes et des objets d’apprentissage.

Les itinéraires de découverte répondent à quelques principes simples :

- permettre une approche interdisciplinaire qui évite la mosaïque des savoirs ;


-  valoriser, chez les élèves, le travail autonome sur des projets, dont la réalisation, personnelle ou en équipe, débouche sur une évaluation rigoureuse non seulement des connaissances, mais aussi des compétences acquises ;


- favoriser le travail en équipe des enseignants, auxquels il reviendra, au sein d’un cadre défini nationalement, de guider les élèves dans le choix et dans la réalisation de leurs projets.

 

Concrètement : au cours du cycle central, chaque élève, avec l’aide de ses professeurs, choisira plusieursitinéraires de découverte dans un ensemble de quatre pôles souples qui seront définis et précisés à l’échelon national :

 

Découverte de la Nature  et du Corps humain

 

Découverte des Arts et des Humanités

 

- Découverte des Langues et des Civilisations

 

- Initiation à la Création et aux technique

 

Outre ces quatre pôles, d’autres associations sont possibles sous le contrôle de l’inspecteur d’académie.

 

Chacune des réalisations issues de ces itinéraires fera l’objet d’une évaluation qui sera l’une des composantes du futur brevet d’études fondamentales.

 

Visant à donner le goût d’apprendre et de se cultiver tout au long de la vie, les itinéraires de découverte devraient être pour les uns, un moyen de remotivation et pour les autres une voie d’approfondissement. »

 

Catherine Mazurie

Secteur second degré de l’ICEM



 

Témoignage sur les travaux croisés en collège

 

Rien n'a jamais été vraiment mis en place dans mon collège. Nous faisons donc avec les moyens du bord, c'est à dire que les profs qui ont un ou des projets (peu...) demandent des classes en commun, et des " heures de trous " pour pouvoir intervenir ensemble dans ces classes.

 

Cette année, j'ai toutes mes classes en commun avec la prof de français

Avec qui je travaille depuis un bon moment. Nous avons fait un parcours « l'eau à la bouche », en français, anglais et arts plastiques. Cela a très bien marché, mais le thème était commun à toute la classe, les élèves des autres classes ne pouvaient s'y joindre (par la force des choses, puisque aucun créneau n'est prévu dans l'emploi du temps collectif).

 

Cette année, idem, mais projet poésie, avec français, anglais, arts plastiques et techno. Objectif, montage visuel, sonore... à présenter aux autres classes.

 

Tout cela ressemble fort aux bons vieux PAE mais souvent sans les heures ni les moyens... On fait quand même (y compris un projet trilingue, espagnol, anglais, français) parce que les élèves aiment ça, nous aussi et parce que c'est si agréable de ne pas travailler tout seul…

 

Martine Hamon-Minkoff



 

 

 

T.P.E., la pédagogie Freinet

entre au lycée par la grande porte



Hélène Bourdel, professeur de français à Mulhouse, nous présente une année de Travaux Personnels Encadrés, avec une classe de première et des enseignants volontaires.



 



 

Situation

 

 

Les TPE, travaux personnels encadrés, ont été généralisés à compter de la rentrée 2000 à toutes les classes de Première générale. En voici une définition officielle :

 

 

Devant les inquiétudes manifestées (les oppositions !) Jack Lang a instauré une mise en route progressive : une seule classe par établissement commence à la rentrée 2000, pour les autres, l’heure est à l’emploi du temps, mais les enseignants en disposent comme temps de concertation pour commencer au plus tard en janvier.

Certains collègues ont hurlé. Moi je hurlerais plutôt d’enthousiasme : enfin ! Enfin la recherche, enfin l’autonomie, enfin l’interdisciplinarité, enfin le travail de groupe ne dépendent pas du bon vouloir de l’enseignant. Enfin les élèves peuvent choisir eux-même leur propre objet d’études. Enfin, la démarche de recherche prend sa pleine dimension : ils ne vont pas chercher ce que je sais déjà et que je leur dis de chercher, mais ce que peut-être ni eux ni moi ne savons encore.

 

 

Ainsi le parcours

 

est à peu près celui-ci :

 

-des enseignants choisissent un thème dans la liste nationale

-Les élèves, par groupes de deux à quatre, choisissent leur sujet à l’intérieur de ce thème.

-Ils mènent leur recherche de façon autonome

 

-… jusqu’à une production finale

 

-Ils fournissent une brève synthèse

 

-…et présentent leur travail dans une petite soutenance

 

On reconnaît globalement les étapes d’une pédagogie de projet ; et sous l’angle didactique et pédagogique une démarche « intérêt---interrogation---recherche » qui est un aspect caractéristique de la pédagogie Freinet (et d’autres, et de la connaissance elle-même).

 

 

 

 

 

De plus l’évaluation…

 

Qui dit mieux.

 

 

 

Et concrètement

 

Parce qu’on en parle au SGEN depuis longtemps, parce que je travaille dans cet esprit-là depuis plusieurs années, j’ai guetté les textes : protocole de décembre 1999, BO de janvier et mars 2000… (Mais bien sûr, l’Education Nationale n’a prévu aucune formation préalable…)

 

Je me suis portée aussitôt volontaire (les professeurs responsables sont désignés par le chef d’établissement, normalement après concertation). Le collègue avec qui je travaille, lui, n’avait rien demandé, mais, chance, s’est trouvé aussi convaincu que moi.

 

 

Nous avons choisi le thème de la frontière. Commençant tôt, dès la rentrée de septembre, nous avons eu le sentiment d’avoir du temps et de pouvoir avancer tranquillement, au rythme des élèves.

 

 

 

 

 

 

 

Faire confiance aux élèves

 

Nous avons pris le parti de jouer entièrement le jeu de l’autonomie.

Voici notre parcours :

 

-Information ferme et organisée des élèves. (1 séance courte, les encadrés ci-dessus donnés aux élèves)

 

-« Brainstorming », « remue-méninges », « tempête de matière grise » sur le thème. En sont sortis, en trente-cinq minutes, deux cents à deux cent cinquante mots, qui couvrent à peu près le champ que nous avions délimité en concertation préalable. (1 séance de 2 heures)

 

-Tri des termes en petits groupes.

 

-Recherches tous azimuts à partir de ces termes, au CDI et sur internet, tantôt encadrées (les deux enseignants et la documentaliste) tantôt en autonomie.(2 séances)

-Elaboration de sujets ; nous en avons demandé deux par personne, sur fiches détaillées. (1 séance)

 

-Tri et appréciation des sujets par les professeurs, annotation de la fiche, faisabilité, conseil. (Nous en avons éliminé une quinzaine comme infaisables.) (hors cours)

 

-« Bourse aux sujets » : choix des sujets, avec va-et-vient avec les enseignants. (1 séance, suivie d’une séance de recherches)

 

-Présentation orale des sujets à la classe et questions. Une remarquable vivacité des débats. (1 séance)

 

-Recherches, la plupart du temps autonomes, avec un (ou les deux) enseignant-ressource à proximité, pour des entretiens à la demande avec les groupes. (nombreuses séances)

 

-Recadrages divers, échéancier…(doc 3)

 

-Choix définitif des productions (décembre-janvier) (doc 4)

 

Nous avons décidé de présenter les T.P.E publiquement début avril, et de faire les soutenances avant les vacances de Pâques pour libérer les élèves pour la préparation de leurs épreuves anticipées du Bac. (doc 5)

 

 

 

Réactions

 

La classe a eu un mouvement immédiat d’adhésion à la démarche au-delà de nos attentes. Notre problème a été plutôt de freiner les élèves qui auraient voulu choisir immédiatement leur sujet : or, en recherche, le temps de « grenouillage » et de décantation est essentiel.

 

Il a fallu gérer les déceptions des sujets refusés : faire comprendre que nous sommes responsables de la faisabilité, faire accepter notre décision a nécessité un travail sur la confiance.

 

La présentation orale des sujets a été enthousiasmante : vifs débats, mises en causes de problématiques…

 

La gestion de la durée n’est pas évidente : certains s’essoufflent ou s’amusent ou tournent en rond. Il y a quand même un groupe que nous avons vu vingt minutes au début…et cinq minutes trois mois après quand ils ont demandé un budget pour leur production finale.

 

 

Vers les productions

 

Nous avions d’entrée de jeu décidé et annoncé que nous voulions des productions originales ( et même éventuellement spectaculaires…), c’est à dire ni dossier ni exposé : ou alors, du niveau d’un numéro de revue ou d’une conférence publique ! Quelques-unes étaient décidées au dépôt même du sujet car elles faisaient corps avec lui (une bibliographie en particulier) ; d’autres en va-et-vient avec nous.

 

En décembre, nous leur avons donc fourni une liste d’idées de production et avons exigé un descriptif de production pour janvier, avec les nécessités matérielles.

 

Cette exigence a curieusement, stimulé la recherche : les adolescent fonctionnent souvent en termes de moyens et la production a donné une figure très concrète à la recherche, jusque-là un peu abstraite, qu’elle a accélérée et précisée. Là encore, les groupes sont très différents : certains déposent un projet détaillé, avec plan descriptif, liste de matériel précise, d’autres tâtonnent longtemps ; certains achèvent leur recherche, puis passent à la production matérielle, d’autres mènent les deux de front sur une assez longue période.

 

Invitation

 

Nous voulions dès l’abord donner du retentissement à ce travail nouveau, un aspect public. Lorsqu’il est apparu que beaucoup de groupes s’orientaient vers des expositions, nous avons choisi de faire un vernissage : productions exposées dans tout l’établissement comme une grande médiation sur le thème de la frontière : l’invitation, en forme de passeport, selon une idée des élèves, a été adressée à la presse régionale, aux I.P.R, aux collègues…

 

 

Déroulement

 

La mise en place s’est faite dans un mélange d’enthousiasme et de stress, au fond très porteur. Des inquiétudes et des désespoirs pour un panneau détérioré ( réflexion express sur la citoyenneté, information aux autres classes, par laquelle nous aurions du commencer…)

 

L’inspecteur chargé des TPE, la direction du lycée, des collègues de la classe, de l’établissement ou de l’extérieur, des étudiants (la presse conviée ne s’est pas déplacée à l’heure H, mais avant et après) ont donc été promenés de frontière en frontière : parcours sur les grandes découvertes, interrogation sur le passeur de clandestins, mais aussi questions sociales : hommes et femmes riches et pauvres, etc…

 

Fonctionnement

 

Il nous a paru essentiel de séparer cette présentation publique du moment d’oral, d’évaluation et de questions (même si on a tenu compte de la qualité de cette présentation). Ici, chaque élève devait s’exprimer brièvement pour présenter quelque chose de la production, certains sauront en trois phrases placer tous les mots clefs de leur démarche de recherche et de réflexion.

 

Les réalisations sont certes inégales : un groupe n’a pas abouti, faute de travail ; une production est décentrée du sujet initial vers des lieux communs ; une autre partielle, néglige la réflexion ; un groupe s’est trompé de support : son exposition est plutôt un dossier mis au mur. Certaines s’exposent mal (ainsi une bibliographie) mais d’autres groupes, qui ont réalisé des travaux d’écriture, relèvent la gageure : l’un picturalise, l’autre met en scène. Certaines productions sont de grande qualité, certaines réalisations très soignées.

Certaines ont provoqué des discussions dans le lycée !

 

 

Evaluation

 

La semaine suivante, nous avons organisé des soutenances individuelles : chaque élève avait organisé des soutenances individuelles : chaque élève avait dix minutes pour présenter sont TPE (beaucoup en ont utilisé deux à cinq...) suivies de cinq minutes de questions, devant un jury composé des deux professeurs responsables et d’au moins une autre personne pour avoir une ouverture et un regard extérieur : collègues d’autres disciplines ou extérieurs à la classe ou même à l’établissement, proviseur et adjointe, CPE ont participé. Nous avons décidé de noter (la note, au lycée, est ce qui donne du prix à quelque chose !), en tenant compte de tous les paramètres (investissement, travail, connaissances, production, oral...), un peu comme, les soutenances de rapports de stage en Bac Pro et BTS. Nous avons élaboré une grille pour aider l’évaluation (doc 8). Ces soutenances ont été passionnantes, de niveau très varié (même pour un groupe) certaines très brillantes.

Nous avons choisi ce dispositif pour la fin et l’évaluation des TPE comme une possibilité ouverte par la souplesse des textes et appropriée à la situation. Il ne s’agit pas d’un modèle intangible.

 

Notre modèle d’évaluation proprement dite ( individuelle, mais d’une production collective) s’est inspiré de celle des thèmes de BTS industriels. Voilà pour ceux qui trouvent ça impossible : cela se fait depuis longtemps dans l’éducation Nationale.

(Il est vrai que c’est chez des industriels, pouah !)

 

Ainsi, les T.P.E ont eu un retentissement important dans l’établissement, en valorisant la recherche et l’investissement des élèves. Beaucoup d’enthousiasmes et de passion…

 

 

Effets…

 

Et pour nous trois réactions :

-Un renforcement très spontané de nos pratiques de recherche et de travail de groupe : mon collègue n’a plus supporté de refaire un cours magistral habituel sur un point où toutes les données sont facilement accessibles.

-Un malaise : mon collègue a toujours envie de faire le travail à la place des élèves, comme si les écouter et répondre à leurs questions en termes de méthode n’était pas du travail : culpabilité du prof qui craint « d’être payé à ne rien faire ».

-Un autre malaise : enthousiaste à chaque séance et après, je suis angoissée à l’approche de la séance suivante. Sourde angoisse de ne pas savoir. En effet, en temps ordinaire, je sais où je vais : arriver en cours, c’est maîtriser ce que je sais, et qu’ils ne savent pas ; la situation est claire. Mais là, je ne sais pas en arrivant !

 

C’est dans les deux cas, un fort ébranlement des situations et des certitudes : les T.P.E, profondément, nous remettent en question, remettent en question des parts entières de notre enseignement.

 

 

 

Nuances

 

D’abord, c’est lourd : suivre dix projets !

 

Ensuite, tout ne se passe pas toujours aussi bien. Je l’ai déjà dit, aucune formation préalable, une misérable journée d’échanges en octobre (plus de râleries que de formation). Heureusement que j’étais par moi-même formée à la pédagogie de projet.

Dans d’autres établissements, les heures ont été distribuées uniquement pour compléter des sous-services, à des gens qui éventuellement n’en voulaient pas. Certains restent persuadés que les élèves ne peuvent rien faire si on ne les « cadre » pas ; d’autres crient à la charge de travail supplémentaire. Tout cela alimente parfois le pire esprit revendicatif.

 

La pire est le manque de confiance dans les possibilités des élèves : des équipes d’enseignants ont fourni des listes de sujets (ce qui est une perversion du projet), ou au moins des sous-thèmes. Des collègues scientifiques assurent que c’est indispensable dans leurs domaines (je n’en sais rien).

 

Au fond, la question-clef est peut-être celle de la confiance : confiance dans les élèves (ni animaux à dresser, ni outres à remplir, ni incapables de se poser seul la moindre question !…) et aussi confiance en nous-mêmes, en nos capacités à guider de petites recherches hors de nos chemins habituels.

 

 

Et cette année

 

2001-2002 ?

 

Une double ou triple imposture : d’abord, les TPE qui devaient être l’amorce d’un grand renouvellement pédagogique en entrant au baccalauréat, sont relégués au rang d’option supplémentaire : résultat 1, peu ou très peu d’élèves sont partants pour des TPE lettres-philo ! ; résultat 2, on peut craindre qu’il y ait deux bacs, un avec TPE et un sans TPE, classés très différemment pour des entrées sur dossier… ; résultat 3, comment les mettre en place en TS option sciences de l’Ingénieur, où les TPE sont intégrés à l’horaire disciplinaire, si seuls certains élèves les font ?

 

Ensuite, tout le monde a besoin des CDI, des documentalistes (1 ou 2 de plus par établissement !), des salles multimédia en même temps, et les TPE bloquent tout. Le ministère réduit donc les TPE à six mois, septembre-janvier pour les terminales, janvier-juin pour les premières… qui ont leurs épreuves anticipées du bac en juin ! De plus la mise en place en première ST est retardée…

 

Jack Lang, en période électorale, n’a pas voulu aller jusqu’au bout d’une réforme intéressante, (soutenue, de plus, par les parents d’élèves, par les élèves, et par une bonne partie des enseignants.) Ca manque d’envergure ! Il est vrai que les TPE font exploser le système : besoin de place, de grands CDI, d’ordinateurs, de documentalistes. Ca coûte cher !

 

Des syndicats hurlent parce qu’en introduirait ainsi le contrôle continu au baccalauréat ! Mais ce contrôle continu existe au bac pro, et aux bacs de techniciens industriels, pour la partie technique. Est-ce à dire que ce ne sont pas de vrais bacs ?

 

Et nous ? ou plutôt, et moi ?

 

Avec la même classe, en philo-lettres, nous travaillons en TPE : sept sujets déposés sur le thème ORDRE ET DESORDRE…

 

Hélène Bourdel

Professeur de lettre au lycée Lavoisier de Mulhouse (Haut-Rhin)

Article paru initialement en mars 2001 dans la revue Chantiers Pédagogiques de l’Est, complété en octobre 2001.



 



 



« Les TPE sont élaborés par les élèves qui sont mis en situation de responsabilité dans la conduite d’un projet jusqu’à son terme.

A partir d’un thème de la liste nationale qui propose une problématique large fortement ancrée sur le contenu des programmes les élèves, avec l’aide des enseignants, déterminent des sujets précis qui s’articulent sur deux disciplines dominantes de la série. Ce travail, mené en petits groupes et encadré par des enseignants des disciplines concernées, aboutit à une réalisation concrète qui peut prendre des formes diverses, et fait l’objet, au moment de l’évaluation, d’une communication orale.

Les élèves réalisent un TPE dans l’année. En classe de première, il s’agit essentiellement d’une préparation et d’une initiation à cette démarche. En terminale, les élèves doivent réaliser un TPE plus abouti qui sera pris en compte au baccalauréat.

Les TPE favorisent une démarche active et motivée d’apprentissage à l’autonomie par la construction réfléchie d’un projet sans précipitation ni approximation. Par une approche pédagogique différente, ils offrent l’occasion d’intégrer et de réutilise les connaissances acquises en cours. Ils constituent donc le point de convergence de compétences multiples : développer l’esprit de recherche et d’initiative, associer savoirs et savoir-faire dans un esprit créatif et/ou expérimental, développer des qualités d’analyse et de synthèse nécessaire à la présentation construite et argumentée d’un projet, à l’oral. »

Protocole TPE-décembre 1999



 

 

« Les critères d’évaluation

 

Si l’évaluation tient naturellement compte de la synthèse écrite, de la production et de la présentation orale, elle intègre aussi :

-la démarche de l’élève sur l’ensemble de l’année ;

-de son degré d’autonomie ;

-son investissement ;

-la qualité de ses recherches ;

-sa capacité à affiner sa problématique en fonction de la documentation trouvée

-sa faculté à prendre en compte les remarques et suggestions de ses camarades et des enseignants.

Le carnet de bord, outil indispensable pour apprécier la démarche, n’est pas évalué en tant que tel. »

 

Document ministériel, BOEN, les TPE



 

 

« Des chercheurs qui cherchent, on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche !

 

Vous vous êtes condamnés à chercher et à trouver… d’abord au moins deux sujets par élève qui seraient susceptibles de fournir matière première à une production finale.

 

Les propositions de sujets seront présentées et débattues en classe lors des prochaines séances. J’attire votre attention sur le fait que vous aurez à rendre compte individuellement de la genèse du sujet, c’est à dire comment vous en êtes arrivés là, qu’est ce qui vous a mis sur cette piste ?

 

Vous devez puiser naturellement dans le gisement d’idées exploratoires de la séance inaugurale et prendre appui sur les recherches engagées précédemment au CDI.

 

Pour information les mots suivants connotent aussi la frontière :

Atlas, cartes, drapeau, couleurs, Rhin, Rio Grande, Pyrénées, Alpes, Oural, Ligne Maginot, Ligne Siegfried, Limès, Mur d’Hadrien, Passage.

 

Cette liste en dépit des apparences n’est pas le fruit des cogitations d’un historien-géographe, mais en l’occurrence d’une littéraire en route vers des terres proches et familières.

 

Du coup, le frontière signifie également :

Proximité, complicité, connivence, contrebande, témérité, courage, anticonformisme, renoncement, intransigeance, sens du devoir, et bien sûr : La Belle et la Bête !

 

 

D’ailleurs les deux vous souhaitent bon travail.



 

 

Nom

Prénom

 

 

Fiche de liaison en vue de l’élaboration des sujets

 

A partir du thème de la frontière, quelle a été votre démarche de travail pour dégager deux pistes de sujets possibles. Il s’agit de faire le point sur les conditions dans lesquelles vous vous êtes appropriés le mot frontière pour le questionner sous un angle particulier.

 

 

 

Quels sont les supports documentaires que vous avez utilisés ou que vous envisagez d’exploiter ? Quelles sont les ressources qui vous paraissent indispensables à la bonne réalisation de votre travail ?

 

 

 

Formulation des sujets sous une forme « problématisée » c’est à dire interrogative.



 

 

 

Sujets et productions

 

-Les stéréotypes nationaux

-La frontière entre hommes et femmes

-La frontière entre riches et pauvres

 

-Arts sans frontières à la Renaissance

-Les grandes découvertes

 

-La frontière entre la réalité et la fiction littéraire et cinématographique

-Les passeurs de frontière

-Le rideau de fer

-Frontières de l’humanitaire

 

 

 

-Les frontières culturelles dans la littérature  

 

 

-exposition

-exposition

 

-exposition et bénévolat aux Restos du Cœur

-Exposition en 48 panneaux et 4 transparents

-Exposition parcours en 9 stations dans tout le lycée

-Exposition et écriture de fiction :journal d’une meurtrière en série au lycée

-Exposition de travaux de réécriture

-Mur d’images

-Travaux d’écriture de fiction (journal d’une expédition humanitaire Mulhouse-Kosovo) et mise en scène (un poste frontière)

-Bibliographie commentée

 

 

 

Grille d’évaluation pour un TPE lettres-sciences humaines-arts

 

Evaluation orale



 

 



Aisance

Timidité excessive Insolence

Agressivité

Emotivité assez marquée Impulsivité

Pondération Assez bon contrôle de soi

Très à l’aise Simple, ouvert, franc, direct

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pendant

 

la soutenance

Rythme

Temps morts - bafouillages

Remplissage - hésitations

Assez fluide

Fluide

Particulièrement bien adapté à la situation,

Elocution

Parfois incompréhensible

Obligation de tendre l’oreille

Claire et audible

Posée

Nuancée

Vocabulaire

Pauvre

Vulgaire

Impropre

Familier Prétentieux

Restreint

adapté

Riche

Nuancé

Syntaxe

Incorrecte Phrases incomplètes et mal structurées

Des erreurs bénignes

Syntaxe correcte Style courant

Style recherché

Usage du document

Pas de documents Document mal connu

Hésitations Fouille ses documents

Correct mais réduit

Précis, abondant, bien venu

Documents maîtrisés

Documentation Références

Faibles inappropriées

Appropriées mais pauvres

Bonnes

Riches abondantes précises

 

 

 

 

 

 

Contenu

Problématique

Absente

Peu claire

Mal maîtrisée

Maîtrisée Correcte

Claire et incisive

Particulièrement pertinente

Connaissances

Faibles

Inexactes

Absentes

Générale

Quelques erreurs

Précises

Correctes

 

Riches

Abondantes

Maîtrisées

Réflexion

Absente

Embryonnaire

Convenue

Bonne mais incomplète

Générale

Appropriée

Complète

Ouverte

Riche

Abondante

Nuancée

Approfondie

Travail d’année

Embryonnaire

Laisser aller

Moyen

Sans originalité

Dépendance

Bon travail

Progression

Actif

Original

Autonome

 

Travail

Production (conception)

Inappropriée

Absente

Inachevée

Intéressante mais support mal approprié ou incomplète

Bonne

Rend bien compte du sujet

Support adapté

Grande originalité

Grande pertinence

 

 

 

Production 

Réalisation

Approximative

Bâclée

Laisser aller

Scolaire

Des maladresses

Perfectible

Grande qualité

Cahier de bord

Inexistant

Fragmentaire

Minimal

Peu de conscience de la recherche

Complet

La recherche apparaît

Elaboré

Rend compte d’une riche progression

Interdisciplinarité

Oubliée

Inappropriée

Mal gérée

Partielle

Possibilités mal exploitées

Appropriée

Difficile mais présente

Excellente

Complète

Créative

 

Peut être placé en « contenu »

Synthèse

Absente

Narrative

Claire

Place les points clefs

Originale

Riche et précise sur l’origine, le cheminement, l’aboutissement

 



 



 

 

A vos marques, prêts, partez !

 

Vous êtes dans la dernière ligne droite avant la présentation publique des TPE.

 

 

Il est impératif que vous ayez bouclé complètement votre travail pour la fin du mois de mars.

 

 

En effet la mise en place matérielle de vos productions (expositions, livrets, dossiers,…) aura lieu les lundi 2 et mercredi 4 avril 2001.

 

Une présentation officielle avec le concours de la presse et des personnels de direction et d’inspection aura lieu le mercredi 4 avril 2001.

 

Les soutenances individuelles devant un jury sont programmées les 9 et 10 avril 2001.

 

(N’oubliez pas que pour soutenir un effort de type course d’endurance, ce qui compte avant tout, c’est la régularité de la foulée, plus que son ampleur. Si certains ne se sont pas encore beaucoup foulé, ils ont intérêt à se bouger –non en se foulant la cheville- mais en notant soigneusement dans leur carnet de bord, les divers terrains d’investigations, les pistes de recherches foulées par leurs soins.)

 

Vos dévoués professeurs : Madame Bourdel et Monsieur Labeth



 



 



 

Du “chef d’œuvre” aux TPE

 

“Travaux personnels encadrés”

 

 

Roger Favry nous donne quelques éléments de réflexion pour éclairer la question des T.P.E. Il les replace dans la tradition des « chefs-d’œuvre » et des brevets chers à freinet





Par rapport à la pédagogie Freinet, un dossier avait été publié en 1965 par C. Freinet et J. Petitcolas : “Brevets et chefs-d’œuvre”. Il avait pour ambition de fournir une alternative possible aux examens. Les “brevets” venaient du scoutisme de Baden-Powell et ont connu une belle fortune institutionnelle sous le nom d’unités de valeur, d’unités capitalisables etc. Dans le mouvement Freinet lui-même les brevets permettent de sérier des compétences précises indispensables à la vie coopérative de la classe, notamment dans le primaire (Ex : “Je sais faire” ceci ou cela.).

 

Les “chefs d’œuvre” viennent du compagnonnage. Le terme remonte au “Livre des métiers” d’Etienne Boileau de 1268. Il s’agit d’une “œuvre capitale et difficile en vue d’obtenir la maîtrise dans une corporation”. L’ouvrage évoque déjà les ouvriers-voyageurs. Pour s’affranchir du cadre étroit des corporations des sociétés s’organisent clandestinement sur un Tour de France qui dure 5 - 7 ans. Ceci concerne les métiers du bâtiment. La Révolution supprime les corporations. Au XIX° s Agricol Perdiguier (1805 - 1875) fédère le mouvement. La présentation du chef-d’œuvre est demandée en fin de périple pour gagner le titre de “compagnon”. Le sens figuré de “chef d’œuvre” apparaît en 1508. Je pense qu’il est bon de garder en ligne de mire des TPE ce sens figuré.

 

Cette conception du “chef d’œuvre” comme attestation irréfutable d’une compétence globale est propre à l’enseignement technique. Il est heureux que l’enseignement général s’en empare. S’il faut chercher une expérience utile aux TPE, c’est du côté des rapports de stage propres aux BTS, notamment MAI (Mécanismes et automatismes industriels) qu’on peut - entre autres - trouver du grain à moudre. C’est pourquoi ma réflexion porte sur l’expérience que j’en ai.

           

En première année, l’étudiant fait un stage de deux mois et en seconde année, il procède à la rédaction du rapport. A l’examen, ce rapport fait l’objet d’une soutenance conduite conjointement par les professeurs de mécanique et de culture générale (français). Le coefficient attaché à la soutenance était très significatif et emportait la décision. Tous les ans, je voyais ainsi une soixantaine de rapports de stage (ceux de mes élèves, ceux des élèves que j’interrogeais). Au total j’ai dû en voir 400 ou 500 et suffisamment pour proposer à mes collègues et à mes étudiants une méthodologie. Nous étions donc dans une situation qui préfigure celle des TPE

           

Ces rapports entraînaient des contraintes spécifiques communes malgré la variété des situations de stage. En ce qui concerne la qualité des rapports et des soutenances, environ 20 % des rapports étaient de bonne ou de très bonne qualité, 20 % étaient très mauvais, le reste - environ 60 % - oscillant entre des prestations assez bonnes, médiocres ou un peu insuffisantes. Il est probable, qu’à terme, il en sera de même pour les TPE. On n’évitera pas une massification regrettable certes mais inévitable. Ce sera la rançon du succès : les TPE auront alors une part déterminante dans l’examen du bac ainsi que dans les dossiers pour entrer en BTS, IUT, classes préparatoires etc.

 

           

J’ai connu en BTS gestion un autre type de dossier. Il était destiné à être discuté à l’examen par deux professeurs, un en économie et l’autre en culture générale (français). Mais les sujets étaient totalement libres. Il fallait en avoir constitué 5 (2 en première année, 3 en seconde) et à l’examen l’équipe des examinateurs en sortait un d’une manière discrétionnaire, le feuilletait, se le faisait présenter par le candidat et entamait un entretien. Au total 20 minutes. L’épreuve donnait lieu à pas mal d’abus : échange ou même vente de dossiers scandaleusement anachroniques : un “Peine de mort” présenté en 84 ne disait rien de son abolition etc etc. Je me souviens d'avoir vu passer un dossier extraordinaire, en quantité et qualité, sur la Bande dessinée. Hélas, le dossier avait été emprunté. Il n'a pas fallu longtemps à l'équipe de profs (français + économie) pour découvrir le pot aux roses, faire souffrir et sanctionner l'imprudent candidat.

 

Sa préparation pendant les deux années de BTS n’était pas évidente du tout. J’avais découvert en discutant avec les élèves que c’était la problématique (une question simple) et le plan qui leur posaient problème. J’ai donc aidé mes élèves en leur proposant, à la demande, des dizaines de plans sur les sujets les plus divers.

 

Ces rapports de techniciens supérieurs (MAI ou gestion) préfigurent à mon avis la situation future des TPE. Ils vont charrier le lot habituel et inévitable de très bons dossiers personnels et aussi de dossiers plagiés et indétectables sauf lors de la soutenance. Plagiats encouragés par les facilités de consultation et de pompage propres à internet. Il ne faut pas s'en émouvoir. D'abord ils sont relativement peu nombreux (5 % dans une pédagogie ouverte et franche) mais très traumatisants quand ils sont vécus par les profs comme une crise de confiance. Ce qu'ils ne sont pas. Ils sont simplement la solution de facilité pour sortir d'un mauvais pas. Mais le TPE se déroule toute l'année et crée forcément des liens profs-élèves ; c’est le véritable antidote au plagiat, l'arme ultime restant la "soutenance".

 

Roger Favry

Secteur second degré de l’ICEM



 



 

 

TPE : FALLAIT-IL RENONCER A LA GENERALISATION EN TERMINALE ?

 

 

« Tout était prévu pour la mise en place des TPE en Terminale sur le plan institutionnel comme dans l’état d’esprit des profs et des élèves. Le Ministère a reculé. Il ne s’agit même plus d’expérimentation, mais d’une activité facultative et donc de ce fait discréditée. Cette situation nous afflige et nous pose des questions.

 

Sur le plan institutionnel, le projet de circulaire de rentrée communiqué en mars 2001 aux organisations syndicales et aux fédérations de parents d'élèves prévoyait l'introduction des TPE dans les classes de terminale, dans le cadre de la 3ème année d'application de la réforme du lycée, "selon des modalités souples et progressives construites par les équipes éducatives en fonction des réalités matérielles et pédagogiques de chaque établissement". Une autonomie des établissements, avec consultation des CA devait permettre la mise en œuvre optimale au niveau de chaque établissement.            


L'horaire TPE était inscrit dans le service des enseignants et pris en compte dans l'attribution de l'heure de première chaire. Il était aussi question de diffuser un bilan de la mise en œuvre des TPE en Première à la fin de cette année scolaire.

 

Sur le terrain, même si certains obstacles étaient anticipés voire redoutés, les profs et les élèves s’apprêtaient à se lancer dans les TPE en classe de Terminales. Certains avaient même déjà des projets précis, avaient formé des binômes. D’autres avaient réfléchi à la façon de recentrer un peu les TPE sur les programmes dans l’optique du Bac, la structure étant suffisamment souple pour le permettre. Une dynamique était lancée.

 

Cette reculade du Ministère apparaît alors désolante et inquiétante. Car renoncer aux TPE obligatoires en Terminale, c’est renoncer à ce qu’ils aient un impact réel pour le Bac et donc du poids dans le système scolaire.

 

Or, aussi imparfaits soient-ils, les TPE ont dévoilé de nombreux atouts : développement de compétences-élèves souvent négligées dans le système scolaire actuel et pourtant essentielles aujourd’hui : oral, autonomie, initiative, recherche de documentation, enquête de terrain exigeant méthode et prise de contact avec des adultes ou des organisations, utilisation de l’informatique et d’internet … élargissement du métier d’enseignant vers un rôle moins strictement transmissif, vers un rôle d’accompagnement dans la construction du savoir par l’élève, exigeant de la part du prof un rapport au savoir beaucoup plus vivant et engendrant des relations enseignant/élèves qualitativement différentes confrontation de l’Ecole, du savoir, des élèves (et même des profs !) avec le monde extérieur à l’Ecole valorisation d’une conception beaucoup plus riche de l’apprentissage en tant que construction du savoir de chacun et non simple transmission travail d’équipe pour les élèves et pour les profs, incitant à l’interdisciplinarité à une échelle jamais vue jusque là. Et contrairement à ce qu’on pouvait craindre ex ante, cela n’a pas impliqué pour les enseignants une charge de travail plus lourde qu’une heure de cours “ normale ”, avec même plus de plaisir pour les uns comme pour les autres.

 

Oui, il restait des problèmes en suspens, mais stopper l’expérience en Terminale va-t-il les résoudre ? C’est peu probable.

Si les moyens nécessaires en documentation et en informatique n’y étaient pas cette année, par quel miracle y seraient-ils l’an prochain ?

La grille d’évaluation des TPE n’est pas satisfaisante, c’est vrai. Mais s’en serait-on aperçu si elle n’avait pas été utilisée en passant à l’action ?

L’interdisciplinarité est un peu balbutiante. Etant donné l’histoire de notre système scolaire au lycée, faut-il s’en étonner ? Et va-t-elle en attendant un an de plus se développer selon le principe de la génération spontanée ?

Certains établissements ont été incapables de laisser aux élèves l’autonomie nécessaire (notamment par rapport aux sorties) pour ce type de travail. N’est-ce pas un symptôme inquiétant plutôt qu’un obstacle aux TPE ?

Enfin, -et c’est probablement la clé de l’histoire, comment intégrer dignement l’évaluation de ce travail, parfois conséquent, dans l’examen terminal ? Quand la note régit l’ensemble du système, ne pas l’utiliser revient à marginaliser totalement l’exercice concerné. Et il est d’ailleurs probable que les réticences initiales des élèves par rapport aux TPE auraient été incomparablement moins fortes si le travail avait été annoncé comme étant noté et comptabilisé pour le Bac pour tous les élèves. Mais malgré cela, malgré toutes les résistances initiales, les acteurs du système se sont investis … c’est dire la potentialité, presque inattendue, présentée par ce dispositif.

 

L’évaluation a très probablement été la pierre d’achoppement des négociations sur les TPE, le nœud du problème … que l’on a choisi de ne pas dénouer . Au nom du sacro-saint principe du refus d’un contrôle continu, on a tué dans l’œuf une révolution minuscule.

Cela ne peut que nous poser des questions sur les objectifs du Ministère quant à l’évolution réellement souhaitée du système scolaire français. »

 

Nous sommes quelques professeurs de Lycée (notamment SES et HG) à déplorer le passage des TPE à une activité facultative en Terminale car cela nous parait reléguer les TPE à une activité anecdotique au sein du système scolaire alors qu'une dynamique était lancée.

 

Contacts :

florence.thomann[arobase]libertysurf.fr

 

 

 

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D’autres témoignages



 

 



Professeur d’histoire géographie en lycée, j’ai accompagné des élèves en TPE de manière ponctuelle l’année précédente et j’ai participé à l’évaluation de certaines productions. Cette année je suis partie prenante des TPE ; je suis associée au professeur de SES pour conduire les TPE de terminale ES puis de première ES.

 

Le bilan de la première année de TPE a été très modeste dans notre établissement. Les professeurs ont suivi les consignes du groupe de pilotage de l’académie qui reposaient essentiellement sur le laissez faire ; laissez les élèves trouver les solutions aux questions qu’ils se posent, une attitude quasi « rogérienne ».

 

Les élèves ont fait des productions minimales : problématique mal élucidée, pas de fil conducteur, support technique non maîtrisé, en particulier la production vidéo et la production de CD Rom. Certaines productions de qualité avaient manifestement reçu des coups de pouce extérieurs

 

 

Les orientations de cette année

sont beaucoup plus directives, après décision collective des professeurs et demande de la part des élèves

 

La contrainte du temps, un semestre nous a amenés à fixer un calendrier impératif :

Septembre :     choix du thème et du sujet, définition de la problématique, choix du support ;

Octobre : recherche documentaire ;

Novembre : mise en forme des documents, plan ;

Décembre : réalisation de la production ;

Janvier : préparation de la présentation devant le jury.

 

Des fiches de méthode sont fournies pour chaque type de support (dossier, exposition CD Rom, page Web, journal/magazine, roman,…)

 

 

Le point actuellement

 

Cette année les TPE de terminale sont facultatifs, peu d’élèves ont choisi les TPE en raison du découragement de l’année précédente et du bachotage de terminale.

 

Notre classe de Terminale ES fait exception : 20 élèves sur 25 travaillent en TPE ; certains veulent rattraper des points, d’autres veulent se préparer à la fac.

 

Le suivi des élèves par deux professeurs associés : nous ne nous sommes pas spécialisés, nous suivons les groupes à tour de rôle ; nous ne faisons pas assez de concertation avant ou après (la course… !) ; nous nous connaissons bien ce qui permet de s’entendre à demi-mot,…

 

Des professeurs extérieurs interviennent : le professeur d’espagnol pour un groupe qui travaille sur les immigrants espagnols et leur descendance, le professeur d’anglais (comparaison de la formation des élites en France et en Angleterre) le professeur de philosophie (ordre et désordre, un double langage chez les mondialistes et les antimondialistes).

 

Nos interventions ont porté :

-sur la définition de la problématique ; ceci a été fructueux et peut être très positif pour d’autres activités plus classiques ( type dissertation) ;

-sur les conseils en matière de support : hélas nous ne maîtrisons que certaines techniques ; pour les productions numériques les élèves qui les choisissent sont ceux qui appartiennent à l’atelier informatique ; le professeur peut les aider, mais le temps est st très court : deux heures par semaine ; les logiciels performants ne sont pas maîtrisés par ces élèves ;

-sur la recherche au CDI avec les supports classiques ( pratique de BCDI)

-sur la recherche sur Internet y compris le b a ba de ce qu’est un moteur de recherche, la validité d’un site les références d’un site, l’enregistrement sous forme de dossier ;

-sur la pertinence d’un plan de production.

 

Nos capacités documentaires sont très limitées car nous sommes dans un petit lycée d’une petite ville. Les élèves travaillent sérieusement ; certains groupes ont avancé sans difficulté car ils ont choisi un sujet simple (le travail féminin et la parité ; l’insertion des jeunes maghrébins dans le monde du travail, la stratégie publicitaire de Benetton, les descendants de migrants espagnols). Un groupe a changé de sujet à la mi octobre, faute de documentation différente (l’effet Tchernobyl) ; il a choisi la formation des élites. Des groupes patinent : celui qui travaille sur la délocalisation d’une entreprise japonaise, celui qui travaille sur le double langage mondialistes antimondialistes, une élève seule qui fait un roman historique sur Florence au temps de Laurent le Magnifique (elle se perd dans les détails).

 

 

En quoi les TPE répondent-ils aux principes de la pédagogie Freinet ?

 

Le travail d’équipe : les élèves travaillent en groupe (à part une) ; les élèves ont su se partager les tâches confronter leurs points de vue.

 

L’écoute des élèves ; les intervenants professeurs ou autres viennent à la demande des élèves, suivent leur démarche initiale, les amènent à justifier leur position.

 

La pluridisciplinarité : les sujets choisis amènent les élèves à mobiliser plusieurs disciplines.

 

Le travail avec les documentalistes.

 

Le travail avec l’extérieur : enquêtes, interviews (limités cette année faute de temps).

 

NB : l’évaluation est solennelle elle est faite pour 12 points par des professeurs extérieurs à la classe, pour 8 points par les professeurs de la classe

 

Jeanne Vigouroux

Secteur second degré de l’ICEM



 

 

J’ai conduit, l’an dernier avec ma collègue de français, dans une classe de première, des T.P.E. sur le thème « Ville et art ».

Comme nous avions projeté de passer trois jours à Paris, plusieurs groupes ont choisi un sujet concernant cette ville.

 

Un groupe de deux lycéennes m’a particulièrement émerveillée, elles ont présenté quelques tableaux de la renaissance du Louvre à leurs camarades de façon correcte, mais la problématique restait floue et la production un mois avant l’échéance n’était pas amorcée. Démoralisées, démotivées après le voyage, elles se sont cependant intéressées à des documents que nous avions reçus au CDI, concernant une exposition sur les multiples représentations de La Joconde, par des artistes contemporains. Et nous avons eu la magnifique surprise de découvrir le jour de leur prestation, une superbe représentation personnelle de La Joconde. Une œuvre collective, utilisant des matériaux plastiques divers… une œuvre d’art !

 

Un groupe de trois élèves a choisi de travailler sur « la place du Panthéon dans notre démocratie ». Ils ont animé la visite à Paris pour leurs camarades. Pour les TPE, ils se sont montrés passionnés par leur sujet. Ce qui au mois de janvier n’était pas évident vu le peu de documentation sur ce monument.

 

J’ai aimé aussi la prestation d’Aurélia, si timide et qui, utilisant des transparents couleur, a su tellement bien montrer en quoi ces quelques tableaux issus d’une salle du musée d’Orsay étaient représentatifs de l’art impressionniste.

 

Mais le groupe qui nous a fait un grand plaisir, c’est celui des trois élèves qui ont choisi « la Place de la Bourse à Bordeaux ». Ils avaient l’intention de faire un film. Au bout de trois mois, ils ne voulaient plus travailler ensemble et changer de sujet. Des discussions ont mis les choses au point. Le jour de leur présentation, ils étaient si fiers de leur production, qu’ils avaient invité tous leurs copains de diverses classes. Ils voulaient montrer de quoi ils étaient capables, car ces trois élèves ont quelques difficultés scolaires. Ils ont été longuement et très justement applaudis.

 

Evelyne Amat

Lycée Elie Faure de Lormont (33)



 

 

L'espace et le temps au lycée

Février 2002

Les lycéens (les collégiens plus encore) manquent de repères. Essayons de leur en donner à la fois dans l’espace et dans le temps de leur vie scolaire.

 
 
 
Le « machin » de la semaine
 
Désireuse de pousser mes élèves à la culture, j’affiche en septembre un panneau (une simple feuille A4 de couleur vive) : « le spectacle de la semaine » ; j’y colle une feuille blanche avec titre et références d’un spectacle que j’estime intéressant (ou même le tract-programme), à renouveler toutes les semaines, avec un mot de présentation éventuellement. Rapidement, j’ouvre un second panneau : « le film de la semaine » que je garnis - et je propose aux élèves de prendre la relève. Inquiétudes, débats. Je propose d’ouvrir aussi d’autres panneaux. Suggestions. De plaisanterie en provocation, nous avons ouvert l’an dernier, six panneaux, chacun avec un responsable :
            le spectacle de la semaine
            le film de la semaine
            la vidéo de la semaine
            le C.D. de la semaine
            le livre de la semaine
            la manifestation sportive
            de la semaine
 
Cette année, plus modestement, quatre : le spectacle, le livre, le film et… le site internet. « Le concert de la semaine » n’a pas trouvé preneur. Les panneaux sont dans l’ensemble tenus régulièrement. Je dois rappeler de temps en temps un responsable à l’ordre, une affichette est restée deux semaines au lieu d’une, ou le film proposé est trop « grand public », il est inutile de recommander ce qu’on ira voir de toutes façons ! Parfois, je propose moi-même quelque chose.
 
Ainsi toutes les semaines, un cours commence avec un mouvement spontané et quelques réflexions des uns et des autres, questions, critiques, contre-propositions. Je ne cherche pas à exploiter plus. En bilan, beaucoup d’élèves disent apprécier : « ça donne une culture ». Mais surtout, les murs sont à eux, et en lien avec l’extérieur.
Ce qui est intéressant aussi, ce sont les réactions d’autres occupants de la salle : certains suivent avec intérêt : « Qu’est-ce qu’ILS ont mis cette semaine ? ». Un étudiant de BTS notera même soigneusement un titre : J’irai cracher sur vos tombes, de Boris Vian. « Faut que je lise ça. »
 
Ça va, on commence à être chez soi. J’ai même mis une affiche des Belles Histoires (deux adorables souris sur une pile de bouquins) et des calligraphies latines, chinoises, hébraïques et arabes, tirées d’un calendrier d’Amnesty. Et quand nous avons travaillé sur la nuit (voir n°128), des élèves ont tiré des tableaux sur Internet. Cette année, il y a déjà l’affiche de Lorenzaccio, six A4 de couleur sur le rêve, et les élèves ont rajouté, sans me le demander, un panneau « la phrase du jour » qui se renouvelle à toute vitesse, sans aucun responsable. Aujourd’hui, c’est une phrase de Martin L. King : « Les hommes doivent vivre ensemble comme des frères, sinon ils vont crever comme des idiots. »
 
Et Yannick m’a dit le visage apaisé : « C’est la seule salle où je me sens chez moi. »
 
Hélène Bourdel
Lycée Lavoisier à Mulhouse
Groupe départemental
du Haut Rhin
Extrait d’un article de la revue
Chantiers Pédagogiques de l’Est



 

 

RIDEF en Bulgarie, un double défi

Février 2002

Organisée tous les deux ans, la Rencontre Internationale Des Educateurs Freinet, aura lieu du 20 au 30 juillet 2002 en Bulgarie. Le Mouvement d’Ecole moderne bulgare accueillera à Varna, environ trois cents enseignants du monde entier, membres d’un des 45 mouvements d’école moderne. Cette rencontre sera aussi l’occasion de construire un réseau d’enseignants, d’écoles et d’instituts de formation qui diffuse au niveau européen, les pratiques Freinet sur l’exercice de la citoyenneté, objet d’un important projet SOCRATES, déposé auprès de la commission européenne.

Lorsqu’en juillet 2000, en Autriche, l’Assemblée Générale de la F.I.M.E.M. (Fédération Internationale des Mouvements d’Ecole Moderne) a confié à l’unanimité des votes, l’organisation de la prochaine rencontre internationale des Educateurs Freinet (R.I.D.E.F.) au mouvement Freinet bulgare, c’était déjà en soi, un premier défi.

Premier défi parce que le MEMB (Mouvement d’Ecole Moderne Bulgare) est un mouvement jeune, n’ayant pas dix années d’existence et qu’une telle organisation n’est pas une mince affaire. Réunir dans un vaste congrès pendant dix journées plus de 300 enseignants du monde entier n’est déjà pas chose aisée, mais en Bulgarie cela risquait de ne pas être facile. Pas de décharge pour préparer ce congrès, pas de congé non plus, pas de finances pour avancer l’argent, pas de compte en banque, ni de chéquier pour régler les premiers frais. Mais une volonté et une énergie à revendre.

Pendant les vacances de la Toussaint 2001, les membres du C.A. de la FIMEM sont allés à Sofia pour organiser le congrès. Les membres du MEMB et la délégation du C.A.ont rendu visite à M. Yuliyan NAKOV, vice-ministre de l’Education Nationale bulgare chargé des classes primaires, pour lui présenter le projet. Celui-ci a promis que les enseignants bulgares qui prendraient des congés pour organiser ce congrès ne seraient pas pénalisés financièrement et administrativement. C’est un premier succès. Une sorte de première reconnaissance.

La Bulgarie est un pays où l’économie balbutie. Le PNB en 1997 était de 1170 dollars par habitant, soit 32 fois moins qu’au Japon et 23 fois moins qu’en Autriche, lieux des deux dernières RIDEF.

C’est dans ce pays ancien qui renaît que va se dérouler, du 20 au 30 juillet 2002, la RIDEF. A Varna, sur les bords de la mer Noire, dans un Institut de formation continue des maîtres (les IUFM formation initiale n’existent pas, les maîtres se formant sur le tas, seule la formation continue existe). Le niveau de vie en Bulgarie permettra de proposer un prix de séjour très raisonnable pour les participants des pays en voie de développement ou ceux dont l’économie se reconstruit. Mais ne nous leurrons pas une telle rencontre pour les enseignants issus des anciens pays du bloc de l’Est coûtera au bas mot deux mois de salaire.

Voilà donc ce premier défi que les enseignants bulgares nous proposent.

Le second défi se présente sous la forme d’un vaste projet. Le C.A de la FIMEM, sous l’impulsion de la représentante du MCE (mouvement Freinet italien), Maria-Teresa RODA a eu l’idée de greffer sur cette RIDEF un très important projet SOCRATES. Ce projet a été déposé à la Commission européenne de l’Education et de la Culture à Bruxelles.

Ce projet s’intitule « FENICE » : (pédagogie) Freinet : (un pont pour une) Education Naturelle, Interculturelle, Coopérative, Ecologique.

Les objectifs de ce projet :

• Finaliser la méthode et les actions des pédagogues Freinet à l’éducation aux droits des citoyens en la comparant avec celle adoptée par les systèmes scolaires des pays partenaires.

• Mettre au point activités et parcours d’alphabétisation et d’intégration adaptés pour lutter contre les inégalités, la marginalité liées avec les phénomènes migratoires et la présence des minorités ethniques ;

• Construire un réseau d’enseignants, d’écoles et d’instituts de formation qui diffuse au niveau européen, les pratiques Freinet sur l’exercice de la citoyenneté ;

• Mettre sur pied un atelier de coopération éducative avec une attention particulière à l’espace balkanique ;
• Documenter la recherche sur la formation des enseignants, sur les activités et le matériel proposé dans les écoles qui adhèrent au projet.

Les pays partenaires, pilotant le projet SOCRATES, sont sept : Allemagne, Autriche, Bulgarie, Espagne, France, Italie et Suède (les autres pays d’Europe sont aussi mentionnés). Ce projet a une durée de deux ans, de mars 2002 à juillet 2004 et regroupe en fait tout ce que l’on faisait peu ou prou dans toutes les RIDEF :
• Constituer un groupe moteur du projet ;

• Organiser des ateliers longs, des tables rondes et des ateliers courts sur des thèmes tournant autour de la citoyenneté ;

• Publier un journal quotidien ;

• Organiser des réseaux d’échanges et de correspondance entre les différentes classes des pays participant à la RIDEF ;

• Echanger des moments de formation entre les enseignants de différents pays ;

• Apparier des écoles ou des établissements du second degré de différents pays (en tout une trentaine de classes des sept pays partenaires).

Ce projet SOCRATES imposant, quand on en juge par l’épaisseur du dossier, tourne aux alentours de 270 000 Euro et une subvention de 200 000 Euro est demandée à l’Union Européenne. Cette somme, si la Commission donne son accord, permettrait surtout d’aider les pays européens ou non à venir participer à la RIDEF, à organiser des stages plus ouverts et moins chers.

Voilà le deuxième défi que la F.I.M.E.M. a lancé pour cette RIDEF bulgare.

François PERDRIAL,
représentant de l’ICEM
au sein de la FIMEM
Informations sur la RIDEF:
http://www.fimem-freinet.org/

Le Mouvement d’Ecole moderne bulgare

Entrée à la Fédération Internationale des Mouvements d’Ecole moderne (FIMEM) en 1994.

Présidente :
Antoaneta Raycheva Kalenderova
Blvd GM Dimitrov
Block 89/7 appt 121
1756 SOFIA
Bulgarie

mschoolbulgaria[arobase]hotmail.com
 

L'analyse des pratiques professionnelles : éclairages + annexe

Février 2002

Il est de plus en plus question d'analyse de pratiques dans les discours et les textes notamment au sein de l'Education Nationale.

Mais de quoi parle-t-on ? Mettons-nous les mêmes mots sur la chose ? En partageons-nous le sens ? Allons-nous dans le même sens ? Tout comme le concept d'accompagnement, il semble que l'analyse de pratiques soit une "terminologie-valise".
Certains pensent qu'il s'agit là d'une mode dans le milieu éducatif. D'autres avancent que cela est une nécessité. D'autres encore l'évoquent comme la "solution miracle" aux maux de l'enseignement voire des enseignants…
Question de mots…
 
 

 

 

Mode, solution miracle, nécessité ?

 

J'avancerai ici, de manière généralisante, que l'analyse de pratiques correspond à un besoin, compte tenu notamment des changements de société, de l'hétérogénéité des publics, des évolutions de la formation initiale et de la formation continue, du recrutement des enseignants, des nouveaux programmes… et donc de l'évolution des métiers de l'enseignement.

 

Il s'agira tout particulièrement d'un besoin d'accompagnement des enseignants, des personnels de l'Education nationale, quelle que soit leur fonction.

 

Je dirai également que l'analyse de pratiques est en congruence avec la Loi d'orientation de 1989 notamment parce que, à l'image de l'élève acteur de ses apprentissages, elle permet de rendre l'enseignant acteur, voire auteur, de sa formation. Elle est en congruence avec les injonctions de certaines Instructions Officielles comme par exemple :

-    le "Référentiel des compétences professionnelles du Professeur des Ecoles stagiaire en fin de formation initiale" qui stipule, entre autres :

"C'est un enjeu fondamental de la formation initiale que de s'attacher à développer chez tous les futurs enseignants à la fois les capacités à analyser et à évaluer sa pratique professionnelle et le goût de poursuivre sa propre formation.

Ceci implique que l'acquisition des compétences professionnelles se fasse selon des modalités qui permettent au stagiaire de prendre le recul nécessaire à l'analyse de son activité (analyse de son action, analyse du public destinataire, analyse du contexte dans lequel se situe l'action). (…) Il doit avoir été mis en situation d'analyser sa pratique individuellement et collectivement."(1)

 

-    l'extrait de la circulaire N°2001-150 du 27-7-2001 (2) relative à "l'Accompagnement de l'entrée dans le métier et formation continue des enseignants des 1er et 2nd degrés et des personnels d'éducation et d'orientation", qui évoque :

"L'analyse de pratiques, une démarche à privilégier :

Les ateliers d'analyse de pratiques qui permettent d'identifier et d'analyser des expériences professionnelles, avec des collègues et des experts, doivent être privilégiés : études de cas, mise en relation des résultats obtenus et des démarches utilisées, analyse des incidents critiques et des réussites, etc. Ils nécessitent une organisation particulière : étalement dans le temps, groupes restreints et travail de proximité.

Ce travail d'élucidation des pratiques pédagogiques doit, dans un premier temps, prendre appui sur la polyvalence et/ou les disciplines enseignées pour développer des problématiques qui interrogent plus particulièrement le nouvel enseignant, notamment la gestion de la classe et la prise en charge de l'hétérogénéité des élèves.

Une démarche d'analyse de pratiques bien comprise fait appel à de fortes compétences et ne doit pas être confondue avec de simples échanges de pratiques."

 

J'ajouterai que l'analyse de pratiques est également en cohérence avec des théories actuellement développées par les Sciences humaines telles que le constructivisme, le socio-constructivisme, l'interactionnisme, le méta-cognitivisme…

 

Aspects différents

 

Nous connaissons l'existence de différents types d'analyses de pratiques, du Groupe de Parole (GP) au Groupe de Formation à l'Analyse de Pratiques Professionnelles (GFAPP), en passant par Groupe d'Analyse de Pratiques Professionnelles (GAPP), les groupes Balint (pour enseignants), les Groupes de Soutien au Soutien (GSAS), les Groupes d'Entraînement à l'Analyse de Situations Educatives (GEASE), les Groupes d'Approfondissement Personnel (GAP), les Séminaires d'Analyses de Situations de Communication (SASCO), les entretiens d'explicitation, l'instruction au sosie, la vidéoformation, les jeux de rôle, les simulations, etc.

 

Nous connaissons également différentes terminologies-typologies d'analyses, ainsi : l'analyse institutionnelle l'analyse systémique, l'analyse organisationnelle, la psychanalyse, la sociopsychanalyse, la socio-analyse, l'analyse transactionnelle, l'analyse interactionnelle, l'analyse didactique….

 

Ces différences sont notamment liées aux objectifs divers attribués à l'analyse de pratiques : objectifs de connaissance, de remédiation, d'approfondissement, de transformation… voire un objectif thérapeutique.

 

Ces différences peuvent également être liées au fait que l'analyse est davantage centrée sur le métier, ou sur la profession, ou sur la personne, ou sur une situation, ou sur une pratique, ou sur une discipline, ou sur une institution, ou sur une organisation, ou sur des comportements…

 

Définitions

 

Mais qu'entendons-nous par "analyse de pratiques professionnelles" ?

Si l'on se réfère à des définitions encyclopédiques (Larousse, Bordas, Hachette…), nous retiendrons que :

-    l'ANALYSE est la décomposition d'un corps, d'une substance, d'un concept, d'un jugement, d'une proposition… en leurs éléments constitutifs, mais aussi l'étude faite en vue de discerner les différentes parties d'un tout, de déterminer ou d'expliquer les rapports qu'elles entretiennent les unes avec les autres. Cette analyse peut-être qualitative, quantitative, statique, dynamique, micro, macro…

L'analyse, tout en s'opposant à la synthèse (recomposition de ce qui est donné séparément), lui est complémentaire. Au XVIIes., Descartes définissait dans le Discours de la méthode ce que certains ont appelé la règle de l'analyse : «… diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre

 

De cette polysémie, nous retiendrons en particulier qu'en chimie, par la décomposition, il s'agira davantage d'une procédure ; ici le tout égalera la somme des parties (il sera même possible de recomposer à l'identique ce qui a été décomposé en parties… produit de synthèse).

 

Par contre en sciences humaines, il sera davantage question d'un processus qui permettra certes une décomposition mais très souvent la recomposition à l'identique sera quasi impossible : la maîtrise de la connaissance en la matière est, sera incomplète, imparfaite. Rassurant quelque part…

 

-    la PRATIQUE est le fait d'avoir, d'exercer une activité concrète historiquement déterminée des hommes, ou un comportement habituel,  l'expérience, l'habitude approfondie, voire l'application d'une doctrine, de préceptes, l'observation des devoirs du culte. Le sens courant évoque la mise en application de principes (d'un art ou d'une science), d'idées ou d'une technique en vue d'un résultat concret.

 

En ce qui concerne la pratique, nous retiendrons qu'elle est souvent opposée à pensée, à théorie alors que de fait elle leur est intiment liée. Sans oublier que toute pratique, comme l'a développé J. Billerot (3), est une réalité sociale, psychosociale, voire institutionnelle, que toute pratique est une réalité psychique qui inclut la dimension inconsciente du sujet.

 

-    Professionnelle : Cet adjectif est relatif à une profession 

 

Nous retiendrons ici le sens relatif à tout ce qui est lié à l'exercice du métier.

 

Un choix

 

Dans les "poli-pratiques" relatives à ce que l'on nomme couramment "l'analyse de pratiques", nous nous inscrivons ici dans le choix clairement identifié de "l'analyse de pratiques professionnelles" qui permettra, suivant un processus particulier et développé selon une démarche, une méthodologie et des procédures adaptées, d'analyser en "décortiquant"(4) pour tenter de la comprendre, une situation vécue, exercée, pratiquée sur le plan professionnel, dans l'exercice de son métier. Pour ce qui nous concerne dans l'Education nationale, il pourra s'agir de situations liées certes à la pédagogie et à la didactique mais aussi de vécus sociaux, relationnels, institutionnels, etc.

 

Cette analyse portera sur l'amont de la situation relatée pour cette recherche d'intelligibilité qui permettra d'une part d'apporter de la clarté, de la compréhension et ainsi peut-être de rassurer, de ré-assurer, et d'autre part d'envisager ultérieurement une suite à donner si nécessaire, suite construite par l'auteur-acteur de cette situation.

 

Une méthode groupale

 

Mais comment s'y prendre, comment analyser et permettre d'analyser des pratiques professionnelles dans le milieu enseignant ? Fort d'expériences diverses, c'est au croisement de celles-ci (5), et m'en inspirant de manière synthétique que j'ai développé une méthode mise en œuvre dans le cadre institutionnel de l'Education nationale.

 

J'en présenterai ici le cadre général (6):

 

èIl s'agit de la mise en acte d'un Groupe de Formationd'entraînement à l'analyse de pratiques professionnelles (GFEAPP) auprès de différentes catégories de professionnels : enseignants débutants ou non, directeurs d'école, conseillers pédagogiques, maîtres formateurs, etc.

 

*** Une méthode :

 

Un GFAPP repose sur :

-    Une dizaine de séances de trois heures chacune dans l'année.

-    Chaque séance est cadrée, délimitée par le temps (minuté), les phases (4-6), le contenu (situation professionnelle, éducative ou de formation) ainsi que des règles de prise de parole et de respect des participants et du fonctionnement.

-    Des phases successives :

==>le rappel des principes et du fonctionnement du GEAPPGFAPP (0-5 minutes) et le choix de la situation qui sera exposée ;

==>l'exposé d'une situation par un exposant volontaire (10-15 minutes);

==>les questions des participants (15-45 minutes);

==>l'émission d'hypothèses pour aider à analyser, à comprendre la situation ou à induire la recherche du modifiable (15-45 minutes), toujours sur l'amont de la situation ;

==>la reprise de parole de l'exposant (0-5 minutes);

==>l'analyse du fonctionnement, sauf le cas exposé (5-30 minutes).

-    Une animation-régulation par un animateur compétent et volontaire.

Voir en annexe le tableau qui sert de guide (7) et de référence à l'animateur et aux participants d'un groupe d'entraînement de formation à l'analyse de pratiques professionnelles tel qu'il est utilisé avec les différentes catégories de professionnels déjà citées.

 

*** Les objectifs

 

L'analyse de pratiques professionnelles en groupe permet :

- d’aider un acteur professionnel engagé à y voir clair dans un cas particulier : rendre plus intelligible un vécu, le sien, sans pour autant lui apporter des réponses ou lui donner des conseils ;

- de construire des "contre-schèmes de vigilance et d'anticipation"(8);

- de permettre à d'autres acteurs non engagés :

==>d'analyser la situation ;

==>de mieux appréhender des situations analogues vécues personnellement ;

==>de se préparer (se former) à affronter des situations semblables à l’avenir ;

==>de comprendre par homomorphisme (9) d'autres situations éducatives (adultes ou enfants) ;

==>de s'exercer, de se former à l'A.P.P.; etc.

À noter qu'un groupe d'entraînement de formation à l'analyse de pratiques professionnelles (GFEAPP) n'est pas :

-    un groupe de dynamique de groupe ;

-    un groupe de thérapie ;

-    un groupe de production ;

-    un groupe de parole libre ;

-    un groupe d'échanges de pratiques;

-    un groupe-conseil (qui donne des conseils).

Un GFEAPP est à la fois groupe d'analyse et groupe d'entraînement de formation à et par l'analyse ; c'est un groupe de formation professionnalisante et accompagnante.

 

***Des préalables

 

L'analyse de pratiques professionnelles en groupe requiert des conditions premières :

==>démarche personnelle et volontaire de participation ;

==>respect de l'autre et de sa parole ;

==>confidentialité : "ce qui est dit ici n'en sort pas" ;

==>liberté d'expression dans le cadre adopté ;

==>respect du fonctionnement, du rituel ;

==>gestion rigoureuse du temps ;

==>assiduité du groupe sur une période choisie (10);

==>régularité des réunions (rythme et alternance).

 

***Des compétences

L'analyse de pratiques professionnelles en groupe nécessite certaines capacités et compétences chez les participants-praticiens, dont celles-ci :

==>accepter d'être responsable de ses actes (sans se sentir coupable) ;

==>accepter d’être confronté à soi, à l'autre, aux autres ;

==>admettre l'incertitude ;

==>savoir écouter ;

==>savoir émettre des hypothèses de compréhension (de ce qui s'est passé) ;

==>éviter de donner des conseils "Tu aurais dû"; "À ta place je…" ;

==>renoncer à vouloir modifier l'autre (rechercher plutôt avec lui ce qui est modifiable) ;

==>faire le deuil de la toute-puissance, etc.

Note :  Il est évident que toutes ces compétences ne sont pas nécessaires en même temps et dans toutes les situations analysées, et ce, que l'on soit exposant, animateur, participant ou observateur.

 

***Une approche multiréférentielle

 

Chaque situation, chaque cas à l’étude sera analysé, dans la mesure du possible, au moyen de plusieurs approches.

==>Dimension institutionnelle (cadre officiel, statuts et rôles, lois et règles, etc.).

==>Dimension sociologique (cadre de vie et de travail, place dans le groupe et la société, phénomènes de groupe, etc.).

==>Dimension psychologique (la personne – sans mener un examen psychologique).

==>Dimension psychanalytique (avec l'aide d'un expert, mais en sachant que l'inconscient est là et qu'il parle).

==>Dimension axiologique (valeurs en jeu, en "je").

==>Dimension téléologique (finalités de l'action).

==>Dimension pédagogique/andragogique (didactique, praxéologie, techniques, matérialisme, etc.).

==>Dimension théorique (théories sous-jacentes en œuvre).

==>Dimension historique (l'histoire du (des) sujet(s).

 

***L'objet de travail ou de formation

 

Le récit oral ou écrit d'une situation professionnelle vécue personnellement par un exposant, situation qui lui pose question, voire problème, sera l’objet, la base du travail, de l’analyse et donc de la formation. Ce récit différé se fera sous forme d'expression laissée à l'initiative de l'exposant.

 

 

 

 

 

Carrefour et construction

Professionnalisante

 

De fait, l'analyse de pratiques professionnelles est au carrefour de valeurs, de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être, et elle agit sur le savoir-devenir à partir de, grâce à une construction de sens, de savoirs collectifs par la réflexivité et la recherche d'intelligibilité. Elle favorise la construction de savoirs, de savoirs de la pratique, de savoirs professionnels et professionnalisants.

 

Précautions

 

Apparaît dès lors la nécessité d'apporter de la lumière lorsque l'on veut se livrer à de l'analyse de pratiques professionnelles en essayant de répondre à certaines questions préliminaires :

-qu'est-ce que l'on analyse ? (un acte, une action ou un récit, un discours sur…)

-pourquoi, pour quoi, pour qui on analyse ?

-comment on analyse ?

-etc.

et ce sans oublier que toute analyse de pratiques professionnelles est singulière car unique, que toute analyse devrait être opératoire car objet de raisonnement spéculatif, compréhensive et non explicative, ouverture et non fermeture…

 

Nous conclurons ce propos qui se voudrait introductif à une approche plus soutenue en soulignant combien l'analyse de pratiques professionnelles relève de la complexité et donc demande prudence et clairvoyance.

 

Patrick Robo

Groupe départemental 34

 

 

 

 1-Extrait de la Note de service n°94271 du 16-11-1994.

 2-Publiée au BOEN n° 32 du 6 septembre 2001

 3-In BLANCHARD-LAVILLE C. et FABLET D., Analyser les pratiques professionnelles, Paris, L'Harmattan, 1998.

 4-Etymologiquement, enlever l'écorce, le cortex ; analyser minutieusement.

 5-Tout particulièrement l'expérience des GEASE, de l'AGSAS, de Groupes Balint pour enseignants.

 6-Une présentation plus détaillée et argumentée est à paraître dans la revue VIE PÉDAGOGIQUE du Ministère de l'Éducation du QUÉBEC. Site relatif à cette revue : http://www.meq.gouv.qc.ca/vie_ped/

7-À noter que ce guide a évolué et évoluera en fonction de la dernière phase de chaque séance qui est axée sur l'analyse du fonctionnement

8-Voir Philippe PERRENOUD dans Cahiers pédagogiques, « Analysons nos pratiques professionnelles », n° 346, Paris, CRAP, 1996

9-Qui revêt la même forme sans être identique, isomorphe

10-Le temps-durée a une très grande importance pour que l'analyse « travaille ».

 11-Le conseil et le jugement court-cicuitent l'analyse.

12-Voir Jacques LEVINE dans « Je est un autre » – (revue de l'AGSAS – Association des Groupes de Soutien au Soutien créée par J. Lévine – Siège social : 2, place du Général Koenig 75017 PARIS)

13-Voir à ce sujet les nombreux écrits de Mireille CIFALI, Francis IMBERT, Jacques LEVINE, Fernand OURY, …

CIFALI M. et MOLL J., Pédagogie et psychanalyse, Dunod, Paris, 1985.

CIFALI M. et IMBERT F., Freud et la pédagogie, Paris, P.U.F., Education et formation, 1998.

IMBERT F., L'inconscient dans la classe, Paris, ESF, 1996.

LEVINE J., MOLL J., Je est un autre, Pour un dialogue pédagogie-psychanalyse, Paris, E.S.F., 2000.

OURY F. & VASQUEZ A., Vers la pédagogie institutionnelle, Paris, Matrice, 1998

14-Science de la pratique et de l’action humaine



 



 

 

 

Complexité

A y regarder de plus près, nous pouvons percevoir qu'une pratique peut être :

 

        traitée par son auteur/acteur                          ou                          par un tiers extérieur

                         observée                                           ou                             décrite, racontée

 

 de manière impliquée ou de manière non-impliquée                       par oral ou par écrit ou par image

                   l'objet d'un récit                                     ou             l'objet d'un discours (développement)

          abordée en faits (ce qui est)                            ou         abordée en phénomènes (ce qui est perçu)

                     traitée in vivo                                       ou                                traitée in vitro

                 traitée hic et nunc                                    ou                            traitée a posteriori

              perçue subjectivement                                ou                          perçue objectivement

               traitée consciemment                                 ou                        traitée inconsciemment

      analysée individuellement (auto)                        ou                  analysée collectivement (socio)

 

                                                                                          avec des pairs    ou    avec des experts / ex-pairs

             gérée en micro-analyse                               ou                        gérée en macro-analyse

Etc.



 

LES PHASES D'UN G.F.EA.P.P.
 
Ci-dessous la trame du déroulement d'une séance d'analyse de pratiques professionnelles, trame qui peut évoluer avec l'expérience du groupe notamment grâce à la "phase 5".
A noter qu'avant de démarrer la séance, il est procédé à un "Quoi de neuf" d'une vingtaine de minutes où chacun peut donner l'information qu'il souhaite à l'ensemble des participants, en dehors de toute évocation d'une situation à exposer.
 
 
 
L'ANIMATEUR
L'EXPOSANT
LES PARTICIPANTS
 
• Phase 0 :
 
Rituel de démarrage
Présente les objectifs, le déroulement du GFAPP et permet, par négociation, le choix de la situation qui sera exposée puis analysée
 
 
 
 
 
 
 
Les exposants potentiels proposent le sujet de la situation qu'ils pourraient exposer
 5 à 10'
• Phase 1 :
 
 
 
Le temps de l'exposé
Rappelle au besoin les consignes de temps et de contenu.
Est garant du temps.
Précise au besoin, le champ de réflexion.
 
Un volontaire présente le récit d'une situation professionnelle qui lui a posé problème.
(Possibilité de faire un retour-suite sur un récit traité lors d'une séance antérieure)
Écoutent
10 à 15'
• Phase 2 :
 
 
 
Le temps des questions
Distribue et régule les prises de parole
Peut intervenir pour recentrer les échanges, les orienter vers un niveau d'analyse non abordé.
Est garant du temps et de la sécurité des personnes
Répond aux questions,
s'il le souhaite.
Posent des questions à l'exposant pour recueillir plus d’éléments d'information sur la situation traitée.
(vraies questions et non conseils ou hypothèses déguisées)
Niveaux d'analyse : groupe, personne, institution, société, valeurs, etc.
30 à 45'
• Phase 3 :
 
Emission d'hypothèses
et recherche du modifiable sur l'amont de la situation évoquée
Rappelle que l'on ne donne pas de conseils, mais que l'on émet des hypothèses.
Recentre, guide, veille aux différents niveaux d'analyse.
Est garant du temps et de la sécurité des personnes.
Écoute
Travaillent sur l'amont de la situation traitée. Émettent des hypothèses pour la compréhension
et éventuellement pour une recherche du modifiable.
Peuvent dialoguer entre sur des hypothèses émises.
30 à 45'
• Phase 4 :
 
Conclusion
Est garant de la consigne et du temps.
Reprend la parole et réagit à ce qu'il a entendu, dit ce qu'il veut, s'il le souhaite
Écoutent
 0 à 5'
• Phase 5 :
 
Analyse du fonctionnement
Dirige et participe à l'analyse du fonctionnement de ce GFAPP.
Fait déterminer qui sera l'animateur du prochain GFAPP.
Participe à l'analyse du fonctionnement de ce GFAPP.
Participent à l'analyse du fonctionnement de ce GFAPP.
 5 à 30'
 
 
 
Durée totale
de 1h 20'
 à 2h 30'
 
 

 

 

Histoire d'eau

Février 2002

Ils étaient vingt-deux enfants de cycle trois et moi et moi et moi…
Il restait à peine quelques jours de classe. Il faisait chaud, très chaud, cette fin juin. Dernière réunion de coopé de l’année. Tranquille. Et la proposition jaillit, complètement inattendue :
- J’aimerais qu’on se fasse une piscine dans la cour, annonce l’un des enfants.
Stupeur.
J’étais cool au début, et me voilà un peu inquiet, tout d’un coup.
- Oui, reprend l’Aquatique, ça serait facile dans le bac à sable. Y aurait qu’à creuser, à faire des bords avec le sable, à mettre une bâche et à remplir.
La simplicité de la procédure enthousiasme immédiatement l’auditoire. Je suis quasiment le seul sceptique, faisant valoir l’énorme travail, le manque de réflexion du projet, et surtout, surtout, le manque de temps. Car on est à l’orée des vacances.
Ils ont balayé mes arguments, les bougres, avec leur folie de bâtisseurs…
L’Aquatique a dessiné son projet au tableau, transformant le bac à sable en rêve de bord de mer.
Le Pratique a juré que demain, il ramène de la maison l’une des grandes bâches qui servent à l’ensilage.
Le Poète a fait miroiter la plage, que le sable évacué fournirait autour du plan d’eau.
Le Matheux a précisé qu’un rectangle de 5 m sur 3, on pourrait s’y baigner au moins par groupe de dix.
Le Sportif a rajouté une dune, en guise de plongeoir. Personne n’a relevé qu’un plongeoir pour quarante centimètres d’eau, c’était très optimiste…
Bref, après cette rafale, j’étais en cruelle minorité. Pour ne pas dire le seul résistant.
Le plan de travail de la semaine a illico prévu des pelles, des bêches, mais aussi des pneus (pour tenir la bâche en bordure), des bassines, des boîtes, les saladiers en inox du coin cuisine et même les moules à gâteaux.
Le lendemain, les travaux avaient bien avancé. Ils avaient travaillé d’arrache-pied. Une impressionnante digue encadrait le creux de la future piscine.
Mais je restais inquiet. Et s’ils ne réussissaient pas ?

Ne pas oublier la part du maître.
Alors, préparation de classe pour demain.
Je l’ai faite chez Jeannot.
« Chez Jeannot », c’est le bar-restaurant de Montsaunès, où je vais souvent boire un café après la classe. Ils sont plusieurs au comptoir à vouloir m’aider à préparer la classe :
- Une piscine dans le bac à sable ?
- Mais vous vous compliquez la vie, monsieur l’instituteur. Nous, pour la fête du village, c’est pas comme ça qu’on fait…
- Ouais, quelques bottes de paille, une bâche, et les pompiers viennent remplir…
- Le problème, c’est que personne ne fait plus de balles carrées, avec le roundballer…
- Faut juste trouver quelques vieilles bottes dans une grange. C’est le plus difficile…
- Et si vous trouvez ça, moi je me charge des pompiers, a ajouté Jeannot.

Rentré à la maison, téléphoner à droite, à gauche… Aller voir un tel, puis tel autre. Fébrilité, interrogations, supputations, inquiétude, tous les ingrédients de la préparation de classe.
Je n’ai pas de cahier-journal, mais c’est tout comme. J’ai fini par trouver ma part du maître…

Près de la piscine « bac à sable » que les enfants réussiront peut-être à remplir, un agriculteur sympa a apporté une vingtaine de bottes de paille. Madame le Maire a fait cadeau d’une deuxième grande bâche noire d’ensilage. En cas d’échec, les enfants pourront ainsi construire autre chose, après leurs premiers tâtonnements.

Je pensais finir l’année tranquillement dans les rangements, et nous voilà propulsés en bouquet final.
Car les enfants vinrent à bout des DEUX piscines, les insatiables !
Elles étaient pleines en fin de matinée. Le compteur d’eau de l’école a beaucoup tourné ce jour-là.
Et eux s’en sont donné à cœur joie pendant trois jours.
Ce fut un vrai bonheur. Deux piscines mitoyennes, l’une en sable, l’autre en paille.
Baignade l’après-midi, quand le soleil avait réchauffé l’eau. Même Sam, le chien de l’école, en a profité malgré lui
J’y ai pris plaisir autant que les mômes. Et le dernier jour de classe, il a suffi de retirer l’une des balles de paille et de démolir un peu la digue de sable pour voir déferler des cataractes vers l’égout de la rue.
Encore une tranche de plaisir, le cul sur la vague…
Mais je viens de m’apercevoir qu’il n’existe pas de grille d’évaluation pour les piscines de cour d’école…