Le Nouvel Educateur n° 63

Novembre 1994

 


La correspondance au centre des apprentissages

Novembre 1994

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Tournevis, pinces et marteaux

Novembre 1994

Que font des enfants de sept à huit ans qui prennent pour la première fois des tournevis, des pinces, des marteaux dans les mains?

Que découvrent-ils en démontant magnétoscope, aspirateur, fer à repasser, téléphone... tout objet accumulé pendant une dizaine de jours dans la classe ?
 
La naissance du projet
 
En début d'année, la vie coopérative est à inventer : j'occupe donc une place importante à cette époque là. Ainsi, le projet émane de moi.
Un matin, après l'entretien, je présente la reproduction de « la tête de taureau » de Picasso sans rien dire. Je demande aux enfants de regarder silencieusement. Dans toutes les activités de création, je demande ainsi toujours beaucoup d'observation silencieuse, ainsi qu'un travail dans le plus grand calme possible. Et ça marche très bien !
Au bout de quelques instants, nous échangeons nos impressions. Personne ne remarque qu'elle est constituée d'éléments originaux : une selle et un guidon. Je les incite à regarder de nouveau. Certains découvrent alors la selle de vélo.
Le projet est né : nous construirons, nous aussi, des « volumes », des « objets » à partir de « choses » cassées ou non, que nous apporterons de chez nous.
Autour de moi, on prend un peu peur : « N'as-tu pas peur que ta classe devienne une poubelle ? »
 
La mise en route
 
Le jour tant attendu arrive !
Des groupes de deux, trois ou quatre enfants se constituent. Munis de différents outils, ils commencent à démonter, taper, déchirer, casser. La consigne est très vite oubliée et je suis là pour la rappeler : créer un volume agréable à regarder en utilisant en partie ou entièrement les objets apportés.
Cependant cette première approche est nécessaire : je laisse cette phase de plaisir immédiat se dérouler.
 
La réalisation
 
Il faut aller plus loin : se projeter dans le futur, imaginer ce que sera l'oeuvre finie ou tout au moins en avoir une idée relativement précise. Au sein des groupes, des discussions animées surgissent.
J'essaie d'intervenir le moins possible. J'aide si nécessaire à extraire ou dévisser une pièce fort utile pour la construction en cours.
Ils « scotchent », clouent, vissent... Et l'on voit l'aspirateur devenir locomotive, le fer à repasser se transformer en voilier, la machine à coudre se métamorphoser en chien...
Ce travail se déroule sur quatre séances d'une heure environ. A la fin de chacune d'elles, chaque groupe présente sa création en cours de réalisation.
Nous cherchons ensemble des moyens pour cacher le scotch et les fils de fer, utiles à la construction mais souvent peu esthétiques. La gomme fixe se révèle le matériau indispensable : grâce à elle, on peut recouvrir de papier coloré les éléments à cacher.
En conclusion...
 
Les enfants ont pris contact avec la technologie. Ils ont pris plaisir à découvrir les différents éléments qui composent un objet complexe connu de tous. Ils ont démonté, dévissé, déboité, remonté, revissé, réemboité autrement, découvrant ainsi le plaisir de créer en volume.
Mais surtout ils ont communiqué entre eux, ils se sont écoutés.
Ils ont porté un autre regard sur des objets de la vie courante. La poésie est entrée en eux et aussi dans la classe.
Et la vie coopérative s'est installée peu à peu comme une harmonie vraie et sensible entre nous.
 
Madeleine Ginet
La Combe de Pommier
38440 St Jean de Bournay

 

Le latin en fax

Novembre 1994

« De face Latinaque lingua » (fax, facis m. télécopieur)

 
  Faisant flèche de tout bois pour motiver nos adolescents à l'étude de la langue latine, nous avons été quelques-uns à échanger de courts messages dans la langue de Sénèque - ou du moins dans ce qui s'en rapprochait

 

Au début ce furent des affichettes qui, rédigées dans les classes de Jacques Brunet au lycée de Lormont, arrivèrent par courrier ordinaire dans nos collèges ; à l'aide d'une ou deux phrases illustrées d'un dessin, elles évoquaient la pérennité de la langue latine ou les manifestations de lycéens bordelais contre les classes surchargées.
Plus tard, pour les collèges équipés de photocopieurs (voir dans le dossier n°219 du Nouvel Educateur) (1), l'idée d'échanger des pages de même type se fit jour.
C'est ainsi que passèrent de Bordeaux à Lormont, Tarbes ou Réalmont des jeux en latin (exercices à trous, textes en miroir à reconstituer et à traduire...) que l'instantanéité de la transmission rendait attractifs.
Toutes sortes de messages furent échangés, d'une information sur un P.A.E d'astronomie à des protestations contre la pollution des mers ou des mises en garde contre l'utilisation de la drogue.
La Guerre du Golfe a fourni son contingent de textes-images dont l'humour noir n'était pas absent. Des élèves de Première collectèrent des dessins de presse dont ils traduisirent les légendes en latin.
 
Pourquoi utiliser le fax pour ces échanges ?
 
La nouveauté, la facilité d'emploi et la rapidité de transmission sont une forte motivation pour composer de petits textes en latin, alors que le thème apparaît comme une activité rébarbative. Ici, la recherche de périphrases pour résoudre les problèmes de vocabulaire, le réinvestissement de tournures syntaxiques se font dans un enthousiasme certain (2).
De même, à l'arrivée d'un fax, une immense activité de traduction est soutenue par la curiosité et aidée par la présence du dessin.
Dans quelles conditions ces échanges sont-ils intégrés dans le travail de la classe ?
Pour moi, la traduction et la réalisation de pages pour le fax font partie de la gamme d'ateliers que les adolescents choisissent librement dans l'heure réservée à ce type de travail (sur les trois de l'horaire officiel) : ils ont le choix entre la traduction de petits textes adaptés d'auteurs latins, des recherches étymologiques limitées, des recherches sur documents évoquant la civilisation et l'histoire latines et... la réalisation de fax.
Ces diverses activités, répertoriées sur un planning et repérées dans les plans de travail, peuvent se conduire individuellement ou en petits groupes.
 
L'intérêt de ce travail
Un fax est généralement réalisé par un groupe ; c'est en effet un travail assez complexe puisqu'il faut déterminer le message à faire passer, le rôle du dessin et celui du texte, trouver les moyens linguistiques de l'exprimer et enfin calligraphier la page ou la saisir au traitement de texte.
Là n'est pas le seul intérêt de ce travail à mes yeux. Des découvertes sont ainsi faites : on ne peut pas écrire une phrase en latin avec la seule aide du dictionnaire français-latin. Le choix lexical doit être vérifié à l'aide du dictionnaire latin-français à cause de la polysémie et des contraintes d'emploi. Morphologie et syntaxe sont forcément mobilisées. Enfin la manipulation du petit livre Parlez-vous latin ? (Editions Aubanel) offre le contact avec des expressions idiomatiques utilisables même si l'on ne maîtrise pas totalement leur construction, ainsi que des modèles de périphrases pour le vocabulaire moderne. Il va sans dire que cet ouvrage, ainsi que dictionnaires et grammaire doivent être en permanence disponibles dans la classe.
 
De nouveaux rapports
Enfin il est important de noter que, dans cette activité, le professeur est en recherche avec les élèves. Nous ne prétendons ni les uns ni les autres parler latin couramment, et nous tâtonnons ensemble pour arriver à la périphrase ou à la tournure la mieux appropriée.
Cela établit de nouveaux rapports, non seulement entre élèves et professeur, mais surtout entre les ados et la langue latine découverte comme un langage dont la maîtrise dépend d'instruments, de règles et de raisonnements qui, si on les met à leur portée, ne les rebutent plus.
 
Colette Hourtolle
Collège Victor-Hugo - Tarbes
 
 
 
(1) Télécopie et pédagogie coopérative. Supplément au Nouvel Educateur n°22 Octobre 1990. P.E.M.F
(2) Coordination du réseau télécopie : Alex Lafosse. Roc Bédière 24200 Sarlat. Perspectives d'échanges FAX en latin avec... les Etats Unis et la Nouvelle Zélande ! 
 

 

Mémoire et apprentissage

Novembre 1994

Un ensemble multimédia, la Seconde Guerre mondiale

Novembre 1994

Entre carotte et hypnose

Novembre 1994

Le principe éducatif veut que la relation d'enseigner soit basée sur la confiance réciproque.
Cependant celle ci ne s'accorde pas par décret, mais se nourrit de plusieurs ingrédients. Elle s'acquiert de part et d'autre, seconde après seconde, après négociation bipartite, grâce au respect du contrat établi entre les partenaires.
Que penser d'un enseignant qui clamerait en permanence sa confiance dans les possibilités de travail des enfants et qui leur en refuserait les moyens matériels ? Qui prendrait, face aux élèves, des engagements qu'il ne tiendrait pas ?
De même, que penser d'un ministère de l'Éducation nationale qui se contenterait de nourrir de discours flatteurs les acteurs de l'éducation sans honorer les contrats passés ?
Mais soyons plus précis...
L'ICEM pédagogie Freinet contribue depuis toujours à la réflexion et aux avancées du système pédagogique. Nos recherches et travaux sont utiles, puisque repris dans les discours et les textes officiels proposés à l'application. Notre contribution est sollicitée et nos travaux ouverts à tous lors d'actions de formation multiples dans le cadre institutionnel ; nos outils mis au service de tous et utilisés dans de nombreuses écoles de France. De nombreux pays de l'Europe de l'Est, d'Afrique Noire font appel à nos compétences.
Ces travaux sont le fruit de notre formation permanente et de notre réflexion lors de rencontres multiples, possibles financièrement en partie grâce à notre engagement militant.
Utiles, coopératifs, nous le sommes... Mais ne sommes nous pas exploités ?
Des conventions signées avec le Ministère de l'Éducation nationale permettaient, sous forme de subventions pour le détachement de certains membres de notre association, de subventions de fonctionnement, d'apporter une aide matérielle à nos recherches et à nos actions.
Or depuis plusieurs mois, le ministère n'honore plus son contrat (pourtant dûment signé), obligeant par là l'ICEM à toucher les limites de sa trésorerie, mettant en péril son travail et ignorant de plus les problèmes humains qu'une telle situation engendre.
Par contre, au cours des entrevues, très cordiales, ce sont paroles de reconnaissance et promesses incontestables... toujours pour bientôt. « A Pâques ou à la Trinité » ?
Dans le système éducatif, la carotte et l'hypnose ne fonctionnent pas, et notre ministre le sait bien.
Les urnes s'ouvrent. Demain sera t il différent ?

Nicole Bizieau
Présidente de l'ICEM