On va partir, nous aussi, beaucoup plus loin...

Mars 1995
L'enfant déjoue les routines. Et le maître, sensibilisé à l'enfant ap­prend, s'il l'écoute par plaisir, que tous les enfants cherchent à vivre, à communiquer, à raconter, à s'exalter, à conquérir, à dominer et à trouver leur équilibre.
Si la maître accède au passage de l'évènement dans la classe, sait re­pérer le déclenchement, l'amplifier et orienter le processus de curio­sité, d'étonnement, alors, par tous les chemins détournés de la connais­sance, la classe deviendra chantier, "fourmilière des intelligences... ruche où toutes les imaginations, ces abeilles dorées, arrivent avec leur miel" (Victor Hugo. Notre Dame de Pa­ris).
En recevant le texte de Michel Bar­rios, nous avons eu envie de vous le faire partager, convaincus que la pé­dagogie est toujours à réinventer, qu'on n'applique jamais des tech­niques comme les autres, que tous les stages, toutes les stratégies élabo­rées scientifiquement ne suppléeront jamais l'intuition fulgurante du com­pagnonnage attentif.
J. Lèmery
 
 
 
Vendredi 29 janvier, 10 H 30.
Un fax déboule dans la ruche.
Trois pages, illustrées : on est en classe de neige, on skie comme des fous, c'est super, on vous raconte...
Flottement, soudain. La ruche a des ratés. Des yeux qui s'alvéolent, des silences d'insectes. Incongrus.
Et Mohamed qui démarre. "Les vaches, ils ont du pot. Qu'est-ce qu'y doi­vent s'éclater !"
Didier ouvre un menton long comme un tire-fesse. Les veinards...
Un ange passe, le dard en berne.
Ils me regardent.
Et je perçois l'envie de miel, tan­gible. Evidente.
"Ouais, c'est super, le ski. On n'ira pas, nous. Hein, maître, on peut pas y aller ?"
La ruche débourdonne, les ailes anky­losées. Je les sens prêts à essaimer. Vers des fleurs impossibles.
La reine. Orienter le vol. Redonner l'espace. La force de voler... Allez, les momes, on va partir, nous aussi.
Beaucoup plus loin.
Les yeux qui s'écarquillent. Choisis­sez sur la carte.
Classe de mer, dans des îles loin­taines. On va partir jusqu'au bout de nos têtes.
Choisissez dans le bleu. Bahamas, Ta­hiti, Iles Marquises... Où voulez-vous aller ?
Va pour Tahiti.
Les regards se défroncent, et défri­pent les ailes.
On part.
Il est 10 H 45 chez les gens raison­nables, ce vendredi de fin jan­vier.
On part. Dans le délire. On invente un voyage, des parents qui sa­luent dans un aéroport. On invente notre île, où le mot "neige" n'est même pas dans le dictionnaire. Où l'on fait classe le matin, sous un immense toit de paille. Où l'on grille le soir de bizarres poissons, qu'on a pêchés l'après-midi. Où l'on fait de la voile et du bowling-noix de coco. On donne des détails, des lieux, des dates, des menus, on parle tahitien. On écrit notre journal de bord, dans l'ivresse totale.
Et on le faxe en métropole, depuis la plage aux coquillages...
Il y a eu des incrédules. Des cher­cheurs d'erreurs, des demandeurs de précisions...
Alors, fax aux agences de voyages. Prix, distance, durée, ac­cueil... Prospectus. Livres. Lettre à la Mai­son de Tahiti, à Pa­ris.
Planisphère, c'est quoi les D.O.M-T.O.M...
Un peu plus tard, au "quoi de neuf", des noix de coco, des col­liers, des timbres...
Un fax pour de vrai envoyé à Tahiti. Et la réponse nous parvient, datée deux heures avant l'envoi...
IA ORANA, bonjour...
On va faire une expo sur notre sé­jour. Objets, livres, photos, et des récits plus vrais que vrais.
On a peint notre île, calculé le prix du voyage, visité les îles sous le vent. On va saluer Gauguin, dire bon­jour à Jacques Brel.
Et danser, danser...
En atelier d'écriture, Florence a in­venté la boite à voyages...
On rejoue notre aventure pour la fil­mer aux incrédules.
Scène 1, l'avion.
Déjà décrite. Ca tangue fort au-des­sus du Pacifique. On n'est pas au bout...
Voilà où nous sommes.
Bien le bonjour des îles...
 
 
La baignade
Je vais vous parler de la baignade. Sur la plage sont plantés des cocotiers. La mer est très bleue et on voit le fond. Elle est belle et peu salée. On saute dans l'eau. Les garçons s'amusent bien avec les filles et se jettent du haut des cocotiers. Les filles sont habillées de jupes bananes et de colliers de fleurs ; les garçons en short, chemise fleurie, colliers de fleurs.
C'est vraiment super !
 
La visite au village
Nous avons visité le village : Habadourou.
Les maisons sont faites en paille. Devant chacune, il y a un chemin qui conduit à la plage. Au milieu du village, il y a une grande sculpture qui représente le chef. Au début, ils nous faisaient des grimaces, maintenant ils sont gais.
On s'amuse super bien.
 
 
La balade en mer
Dimanche 24, nous avons fait une balade en mer. Nous avons loué un catamaran pour une demi-journée. Notre départ a eu lieu au bord d'une plage. On a rencontré des dauphins qui tournaient autour du bateau. En les regardant, nous avons failli percuter les rochers de l'île du Grand Coeur.
 
Matahitiques
Comme vous n'avez pas l'air de nous croire, on vous donne quelques précisions :
Tahiti se trouve dans l'Océan Pacifique en Polynésie. C'est un territoire d'Outre-mer à 15640 kms de Muret. Papeete est la plus grande ville de Tahiti. Elle fait partie des Iles de la Société. Le voyage dure 21 H 15, avec une escale à Los Angeles (USA). Le prix est de 7200 F par personne, pour l'aller.
Voilà comment on peut payer :
1/5 payé par le Conseil Régional, 1/4 par le Conseil Général, 1/3 par la Mairie, 1/10 payé par les familles.
Le reste est payé par le Ministère.
Combien paie le Ministère ? (Nous sommes 28 élèves et le Maître n'a pas payé).
 
Jeudi 11 février, à 9 H 45, nous avons envoyé un fax à Tahiti. On a reçu la réponse le même jour à 7 H 45.
Qu'est-ce qui vous étonne ?
 

 

 
De la part des 29 filles et garçons du C.M 2 de l'école Elida Hu­gon de Muret près de toulouse (31) et de leur maître Michel Bar­rios