Discours d'ouverture du salon de Nantes par Christian Rousseau, président de l'ICEM

Salon de Nantes 2011

8 et 9 avril
 
RESISTANCES :
D’autres pratiques
D’autres valeurs
pour l’école
 

Je suis très heureux de venir à Nantes participer à ce salon qui est devenu une véritable institution au sein du mouvement Freinet.
Nantes, la Loire Atlantique sont des lieux importants pour nous. Nous y avons notre siège social. Il y a aussi un groupe départemental fort de ses nombreux adhérents et de ses projets remarquables. Il est à se rappeler l’organisation en 2010 de la rencontre internationale des éducateurs Freinet.
Ce département c’est aussi celui qui nous montre ce que résister veut dire. Nombreux sont ceux qui sont engagés dans une lutte à visage découvert contre les nombreuses réformes de notre système éducatif qui répondent pour l’essentiel à des objectifs de rentabilité et qui conduisent à créer les conditions d’exclusion des plus faibles et à opposer un peu plus les individus entre eux.  
 
Même si on n’y regarde pas de trop près, on s’aperçoit tout de même que la liste est longue des décisions gouvernementales restrictives… pour ne pas dire plus (liberticides ?) :
Pour ce qui est de l’école il est à rappeler : Base élèves, les évaluations ce1/cm2 au service d’un seul objectif qui est mettre la France dans le peloton de tête du classement PISA (logique de compétition et de performance à court terme), la réduction du temps scolaire pour les enfants quand il faudrait plus et mieux d’école, des programmes indigents et réactionnaires, l’aide personnalisée, la suppression mécanique de postes d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite, l’emploi de travailleurs pauvres (evs, avsi, médiateurs…) que l’on jette comme des malpropres en fin de contrat, la suppression de la formation initiale, de la formation continue… A un an des élections présidentielles, ceux qui diront que le bilan de ce gouvernement est maigre se trompe. Il est édifiant.
Autres preuves :
Au-delà de l’école, il y a récemment la loi loppsi 2, loi ultra sécuritaire retoquée par le conseil constitutionnel, la chasse aux sans papier, la chasse aux sans emploi, la chasse au jeunes, la stigmatisation des plus faibles en leur prêtant une nature prédestinée (c’est l’idée que la délinquance serait inscrite dans les gènes, mais peut-être aussi la pauvreté, mais peut-être aussi l’échec scolaire…), les choix économiques mettant un peu plus en difficulté les couches de la population les plus fragiles, aux problèmes de société c’est la répression qui est systématiquement privilégiée à la prévention, s’ajoute la consternante série de déclarations honteuses de différents ministres, les nombreux délits de clientélisme etc …  
Si d’aucun nous demandait : « mais pourquoi Résister ? », à l’évidence la bonne question, telle une bonne réponse, serait plutôt « mais comment résister ? »
 
En ce sens, je dirais que ce gouvernement devrait se méfier des éducateurs Freinet parce que c’est bien pire que les arabes* ! C’est à partir d’un seul enseignant ou éducateur Freinet que les problèmes commencent à se poser.
Prenez le cas emblématique d’un enseignant Freinet, militant de toujours, formateur reconnu pour ne pas dire émérite, je veux parler de François LeMenaheze et tant pis si sa modestie doit en souffrir.
Le voilà victime de l’institution scolaire par une mesure disciplinaire engagée contre lui pour avoir été trop bienveillant à son endroit. Paradoxal ! En effet, quand François évalue ses élèves c’est pour mieux les aider à progresser, pour en comprendre les cheminements individuels et leur permettre de mieux comprendre le sens des apprentissages scolaires.
Il améliore le principe d’aide personnalisée en organisant sa classe de telle sorte qu’il soit tout le temps disponible pour les enfants les plus en difficultés. Il favorise les échanges entre pairs ce qui installe beaucoup de sécurité affective pour les enfants les plus fragiles.
Il protège les libertés individuelles des familles en n’utilisant pas Base élèves.  Enfin, il invente la méthode naturelle d’inspection qui conduit l’inspecteur à mesurer non pas ce que fait l’enseignant mais plutôt ce que font les élèves. Je vous le dis tout net, François est un bienfaiteur de l’humanité éducative.
 
Ce qui est saisissant dans cette affaire c’est que pas une seule fois l’administration à travers l’attitude de sa hiérarchie ne s’est interrogé sur ce que le travail de François (vous remplacez « François » par pédago Freinet, ça marche aussi) avait de bénéfique pour ses élèves, mais aussi pour les parents de ses élèves, mais aussi pour son équipe éducative, voire sur le quartier. 
Simplement les réponses pavloviennes qu’attendait l’administration de François ne sont pas venues. Elle attendait des réponses de soldat, elle a eu la réponse d’un citoyen éducateur de futurs citoyens.
Vous noterez que dans l’attitude de François, éducateur Freinet, il n’y a rien qui relevait d’une posture idéologique. Il y a une attitude professionnelle exemplaire. C’est une forte tête dirait l’administration, non c’est un enseignant qui a l’obsession de conduire chacun de ses élèves vers le plaisir d’apprendre, de les aider à mesurer et à comprendre leur capacité à créer, à être des créateurs, des auteurs de leurs apprentissages, de développer leur esprit critique, de libérer leur parole, de favoriser la rencontre et la compréhension de l’autre.
 
Cela signifie, au regard de ce cheminement, que faire de la pédagogie Freinet c’est déjà, et parfois sans le savoir, se trouver en résistance contre un système qui compte, qui classe, qui trie, qui oppose et qui exclut.
Et ce qui est formidable avec la pédagogie Freinet, c’est qu’elle nous conduit à faire l’expérience du monde. C'est-à-dire qu’elle élargit notre champ de compréhension du monde bien au-delà du fonctionnement de notre classe ou de notre école. Elle transforme notre regard et par delà notre comportement. Elle active, elle stimule des désirs de liberté, d’égalité, de fraternité, de respect, mais aussi elle nous amène à ressentir avec plus d’acuité l’injustice, l’indignation, la révolte et nous conduit à résister à l’autorité et l’arbitraire.
 
Je voudrais à présent vous lire des propos de Célestin Freinet qui entrent en résonnance avec le thème de ce salon. Ils sont extraits des invariants qu’il rédigea à la fin de sa vie :
 
Invariant n°2 :
Etre plus grand ne signifie pas forcément être au-dessus des autres.
 
Invariant n°4 :
Nul - l'enfant pas plus que l'adulte - n'aime être commandé d'autorité.
 
Invariant n°5 :
Nul n'aime s'aligner, parce que s'aligner, c'est obéir passivement à un ordre extérieur.
 
Invariant n°8 :
Nul n'aime tourner à vide, agir en robot, c'est-à-dire faire des actes, se plier à des pensées qui sont inscrites dans des mécaniques auxquelles il ne participe pas.
 
Invariant n°29 : d’une actualité brulante
L'opposition de la réaction pédagogique, élément de la réaction sociale et politique est aussi un invariant avec lequel nous aurons, hélas! à compter sans que nous puissions nous-mêmes l'éviter ou le corriger.
Alors quoi ? C’est à désespérer de tout ?
 
Non : il y a l’Invariant n°30  qui définit exactement le mot « résistance »
Il y a un invariant aussi qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action: c'est l'optimiste espoir en la vie.
Résister c’est finalement rester en vie !
 
Je terminerai mon propos par une courte anecdote :
 
J’ai participé au mois de février à un stage organisé par l’ICEM pour les enseignants de maternelle sur le thème de la place du corps de l’enfant. Nous y avions invité une rééducatrice psychomotricienne. Ce fut une rencontre très heureuse, très stimulante entre de personnes travaillant avec et sur un même sujet (le jeune enfant) dans un milieu différent, l’hôpital de jour d’un coté et l’école de l’autre.
De tout ce qu’elle nous a dit, nous avions été frappés, entre autres choses, par la remarque suivante :
Quand un jeune enfant dit « oui », il exprime le désir de l’autre et dans ce cas il n’est pas lui. En revanche, quand l’enfant dit « non », il est lui.
Il s’agit du jeune enfant me direz-vous !
Je cite alors l’invariant n°1 : L'enfant est de la même nature que nous.
 
 
Ces deux jours seront l’occasion de Rencontres, d’échanges, de découvertes, qui pourront trouver leur prolongation dans d’autres rencontres organisées régulièrement par les associations départementales du mouvement Freinet tout au long de l’année, mais aussi à l’occasion du Congrès international du mouvement Freinet qui se tiendra à Villeneuve d’Ascq du 23 au 26 aout. Un tel rendez-vous à la fin des grandes vacances est très stimulant pour reprendre le chemin de l’école et ne laisse aucune trace lors de contrôle antidopage.
 
Je vous souhaite à tous un très bon salon et « bravo » à tous les organisateurs pour avoir permis ce rassemblement de résistants.
 
*se rappeler des propos de Brice Hortefeu, ministre de l’intérieur