Depuis quelques années, la philosophie a fait son entrée à l’école primaire1. Plusieurs courants de pensée ont vu le jour, chacun définissant son protocole.
Au-delà de ces différences de mise en oeuvre, il y a la volonté politique de permettre aux enfants d’entrer dans un langage qui ouvre l’accès au penser.
L’une des justifications les plus fondées de la mise en place d’ateliers de philosophie à l’école vient du déficit alarmant de l’école en matière de dialogue sur les grands problèmes de la vie. Ce que nous entendons par culture, et par « parler vrai » sur les problèmes de la vie, a besoin d’être entièrement redéfini (Jacques Lévine).2
La parole des enfants ou celle des jeunes est trop souvent absente, voire niée, dans et hors l’école. Cette négation du droit à exister et à penser conduit à des actes non réfléchis, à des actions violentes qui explosent dès la moindre agression.
L’apprentissage de la citoyenneté que l’école prône et que les Instructions Officielles préconisent ne peut se construire réellement que si une parole vraie est permise. Comment vouloir une attitude citoyenne quand on répond aux questionnements des enfants sur les problèmes de vie par « Tu apprendras cela plus tard, tu es trop jeune », quand seul l’enseignant a le droit de penser et d’apporter une réponse à ces questions existentielles.
Comment faire des enfants acteurs de leurs apprentissages, quand on leur demande de mobiliser toute leur énergie à l’application de consignes pensées pour eux.
Comment faire des enfants penseurs et chercheurs quand les débats sont conduits par le maître, quand les réponses attendues sont valorisées et les autres rejetées ?
L’introduction du débat philosophique à l’école ne fait pas l’unanimité : Comment pourrait-on philosopher à l’école primaire, alors que l’esprit de l’élève généralise peu, ne conceptualise pas, éprouve très peu le besoin de définitions universelles ?
Permettre aux enfants d’apprendre à réfléchir et à s‘exprimer pour devenir des adultes capables de se positionner ne présente-t-il pas un danger pour la sauvegarde d’un équilibre politique ?
C’est pourquoi on préfère réserver la philosophie aux seuls élèves de classe terminale puis aux rares étudiants se destinant à des études philosophiques,comme si se pencher sur des problèmes existentiels, penser, n’était autorisé qu’à quelques-uns.
La volonté de pratiquer la philosophie à l’école est de permettre à tous les enfants de faire l’expérience irremplaçable d’être à la source de leur pensée, et de s’y autoriser dès le plus jeune âge. Cette expérience intime se construit dans la relation au groupe qui accueille les pensées de chacun,permet leur confrontation et leur enrichissement dans le respect mutuel. Cette possibilité donnée valorise la construction identitaire
de chaque enfant et autorise l’accès au sens.
Au sein du mouvement Freinet des collègues introduisent dans leur classe « un moment philo » alors que d’autres récusent l’introduction de ce moment qui en ferait une discipline à part entière, séparée du vécu de la classe. Pour ceux-là, la Pédagogie Freinet ouvre naturellement à l’activité philosophique parce qu’il y a toujours dans la classe coopérative une dimension philosophique dans les activités réelles, individuelles et collectives, des enfants. C’est alors, dans tous les moments de la vie de la classe et lors des échanges entre enfants que se construit la pratique de la critique, de l’argumentation et la maturation de la pensée réflexive dans une démarche naturelle qui prend en compte la globalité de chaque enfant.
1 Voir le dossier du nouvel éducateur,N° 134, PEMF,mars 2002
2 Jacques Lévine, Docteur en psychologie, psychanalyste, fondateur de l’AGSAS (Association des groupes de soutien au soutien), est à l’origine avec Agnès Pautard, enseignante à Lyon, des ateliers philosophiques en 1997.
Introduction au dossier du Nouvel Educateur n° 175