Le Nouvel Educateur n° 182

Octobre 2006

Travail prescrit, travail réel

Octobre 2006

Préparer la classe, c’est recueillir l’expression brute des enfants pour la façonner collectivement, l’organiser, la structurer, pour que chacun polisse ensuite sa propre pierre.
C’est un champ que la sociologie du travail a exploré il y a quelques années de cela. Il existe en effet un écart irréductible entre le travail prescrit par une demande et la réalité du travail effectué par celui qui l’effectue. La tâche éducative et la préparation de la classe n’échappent pas à cette règle ! En bons praticiens que nous sommes, nous avons toujours constaté que la quotidienneté de la classe résiste toujours aux belles théories, aux grands préceptes, à la difficulté à mettre en place les textes officiels. Et dans ce même sens, les pédagogies coopératives ne sont pas exemptes de cet écart entre le dire et le faire !
Mais qu’en est-il plus précisément de la préparation de la classe ?
J’ai toujours été un peu mal à l’aise avec ce que nous nommons communément « fiche de prép ! » qu’on nous apprend à réaliser en formation initiale : quelques belles colonnes bien tracées, détail de chaque phase, déroulements,matériel, consignes, temps, formes de travail… Et surtout objectifs opérationnels, objectifs spécifiques, objectifs notionnels… Qui a dit que la pédagogie par objectifs n’avait plus cours ? Ah ! J’oubliais ! La colonne « observations »… Irrémédiablement vide !
Et puis, comment ne pas évoquer le bien triste et pénible cahier journal, sans compter la liste des chansons et récitations ainsi que les progressions mensuelles, le tout bien affiché visiblement, et lisiblement, sur un panneau, derrière le bureau !
Et après quelques années de ronron, une fois tous les trois ou quatre ans, quelques jours avant que Monsieur l’Inspecteur ne vienne nous monter d’un généreux quart de point, on se surprend à « gratter » quelques fiches de prép pour remplir son classeur, à mettre à jour son cahier journal, à rafraîchir de vieilles progressions, sans oublier les calculs de pourcentages d’absents et de présents sur le registre d’appel !
Bien sûr, tout ceci n’est que pure fiction !
Le travail réel ne s’oppose pas au travail prescrit, il est davantage une adaptation à la réalité,un signe d’intelligence en actes face à l’imprévu,au sensible,au vivant !
Préparer la classe,c’est peut-être tout d’abord penser l’espace pour que les enfants puissent dire, lire, écrire,mathématiser, chercher mais aussi dessiner, sculpter ou encore penser. Préparer la classe c’est mettre à la disposition des enfants des outils pour leur faciliter le travail. Préparer la classe, c’est offrir aux enfants des matériaux (y compris intellectuels) qui leur permettront de construire leurs propres outils, pour leurs propres chantiers. Préparer la classe, c’est, pour reprendre une expression de Philippe Perrenoud,penser pour l’action, penser dans l’action,penser
sur l’action.
La préparation traditionnelle de la classe insiste en priorité sur « pour », sur l’anticipation.
Les deux autres temps (« dans » et « sur ») sont beaucoup moins évoqués.
Ils constituent pourtant à mon sens l’une des plus importantes postures professionnelles de l’enseignant. Il doit en effet observer et noter en temps réel, dans la vivance de l’instant pédagogique, mais aussi analyser a posteriori le travail des enfants pour que sa préparation soit en prise directe avec les besoins de la classe et des enfants.
Dans les corporations de métiers, la préparation d’un chantier est déterminante pour la bonne réalisation du travail. Tel un Compagnon,la première tâche de l’enseignant est de préparer LA classe, en véritable chantier des apprentissages. A lui également de savoir rendre compte du véritable travail effectué, bien au-delà de la prescription.

Brisons nos prisons mentales

Octobre 2006

Qu’as-tu fait au lycée,  aujourd’hui ? Ingurgité les causes de la guerre de 14,  la structure de l’ADN ou le prétérit. . .

Tu t’es assis. Tu t’es tu. Tu as écouté les explications.  Tu as écrit ce qu’on te disait d’écrire.  Tu as écouté.  Tu as répété.  Tu n’as pas compris ; on t’a expliqué de nouveau.  Tu as levé la main pour répondre à la question.  Tu as demandé à ton voisin. Tu t’es fait punir. Ou bien engueuler.  Le « maître » t’a grondé ou il est venu t’aider. Tu as répété,  bien comme te l’a dit le maître. Tu as fait un contrôle.  Tu as fait deux contrôles.  On t’a rendu un autre contrôle.  On t’a prévenu du prochain contrôle.  Depuis que tu es à l’école,  tu as fait plus de 1 000contrôles. Pendant ce temps,  les professeurs, eux,  ont passé plus de temps à te corriger qu’à préparer des cours. La dose d’évaluation qui t’a irradié t’a inoculé,  malgré toi,  l’esprit de concurrence et de compétition qui sont au fondement des valeurs libérales ; la compétition qui fait moins bien apprendre.
Mais tu n’es pas à l’école seulement pour apprendre ! La compétition apprend la compétition,  elle prépare à la vie libérale qui est une compétition.  Pour te préparer à « l’égalité des chances ».  L’égalité des chances est un mot mensonger.  C’est le contraire de l’égalité.  L’égalité des chances c’est une course pour quelques places dans l’ascenseur social (qui est en panne d’ailleurs). Un ascenseur où ne montent que les gagneurs, ceux qui réussissent individuellement parce que d’autres échouent.  L’égalité des chances c’est chacun pour soi dans la vie,  comprise comme une compétition individualiste.
À l’école,  ton travail est une succession morcelée de tâches.  L’école t’enseigne des fragments.  Tu y apprends une miette d’anglais pendant une heure,  puis une miette de maths,  puis une miette d’histoire. . .
Une sorte de taylorisme du savoir.  L’école te prépare à exécuter des tâches morcelées,  celles que les entreprises te demanderont d’exécuter.  Les TPE,  recherche collective avec du temps pour penser,  ont été supprimés en Terminale : c’était libre et collectif,  et bien sûr,  ça ne pouvait pas être du vrai travail ! À l’école,  le travail de l’élève est réduit à son produit,  seul susceptible d’être noté.  Tout comme pour le capitalisme libéral,  le travail sert à produire : l’homme au travail est un instrument de production de marchandises ou de services vendables sur le marché.  Alors que l’art,  les sciences et la philosophie supposent le loisir,  c’est-à dire la suspension de l’obligation de résultats.  Leur apprentissage exige d’en passer par le doute,  l’incertitude,  le tâtonnement,  le brouillonnement.  Lorsqu’à l’école,  on désigne les tâches comme des devoirs,  les essais pour voir et les dissidences de pensée comme des fautes, c’est au développement des aptitudes créatrices et du sens critique qu’on s’en prend.
Pour le libéralisme, quand l’Homme s’instaure sujet de son travail,  son véritable artisan et son créateur,
auteur de sa pensée,  il faut écraser cette pensée qui s’émancipe :d’où la suppression des crédits de recherche,  la destruction du statut des Intermittents du spectacle.
Pas seulement pour faire des économies,  mais aussi pour décérébrer.
Le gouvernement vous dit « Vous n’avez pas bien compris le CPE ; nous n’avons pas fait assez de pédagogie,  nous ne vous avons pas bien expliqué,  nous ne vous l’avons pas encore assez répété ».  Pour eux,  la pédagogie,  c’est de la propagande,  du rabâchage ; ils ne veulent pas d’une pédagogie qui donne à penser.
Ainsi, de Robien vient d’imposer d’enseigner la lecture avec la méthode syllabique.
Le rapport Benisti indique que « Si les mères sont d’origine étrangère,  elles devront s’obliger à parler le français dans leur foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer.  »
Vous récalcitrez,  vous les déviants,  vous les poètes,  vous les polyglottes,  les difformes et les enragés ! Dès l’âge de trois ans vous serez maintenant fichés (projet « répression de la délinquance » = fiches où l’on repère les déviances comme « troubles des conduites,  l’impulsivité,  la basse moralité,  le cynisme,  l’indocilité ») ; vous serez fichés au lycée (projet « base élève », biométrie pour entrer à la cantine).
Pour combattre le libéralisme, il faut développer les valeurs d’égalité tout court et de liberté collective,   promouvoir les pratiques solidaires et coopératives,   combattre l’esprit hiérarchique et l’esprit de fatalité.
Dans l’école aussi.
Groupe Français d’Éducation Nouvelle
des Pyrénées-Orientales
955 avenue Julien Panchot Perpignan (66)
gfen. 66@wanadoo. fr

Un enfant ne se trompe jamais

Octobre 2006

 

Penser sa classe pour accueillir l'imprévu

Octobre 2006

Introduction du dossier du n°182 sur "accueillir l'imprévu"

 

S'organiser autrement

Octobre 2006

Pour une préparation de la classe par la classe

Octobre 2006

Les ateliers permanents

Octobre 2006

Physionomie d'une classe Freinet

Octobre 2006

Rencontre avec l'équipe de l'école Etoile à Séoul

Octobre 2006

Socle commun: quelle école pour quelle société ?

Octobre 2006

 

Ovide Decroly

Octobre 2006

L'enseignant d'abord metteur en scène

Octobre 2006