Pour la modernisation du contrôle et des examens

Juin 1946

Parce que nous sommes contre les notes et le classement dans nos écoles, parce que nous ne manquons pas de dire à l'occasion la malfaisance d’examens tout entiers basés sur la mémoire ou l'acquisition scolastique, on a cru parfois que nous étions contre les examens en général.

Au contraire : nous pensons que, avec l'organisation toujours plus démocratique de l'enseignement, les examens seront de plus en plus indispensables. L'accession aux divers degrés de L'École Moderne nécessitera des mesures, des épreuves. Cela est indéniable.

Nous disons seulement que ces épreuves, ces mesures doivent être rationnellement organisées, et que tout reste à faire en ce domaine.
Il faudrait s'entendre d'abord sur ce qu'on veut mesurer, et cela est essentiel. L'employé des Ponts Et Chaussées qui fait passer les brevets de conduite ne demandent pas à ses candidats s'ils savent chanter ou s'ils connaissent la dactylo. L'examen est conditionné par les aptitudes ou les connaissances à mesurer.
 
Or, on s'obstine à ne jamais considéré par ce biais les épreuves scolaires. Pour ne parler que du Certificat D'Études Primaires, on considérerait, pour un peu, que  l'instruction et l'acquisition doivent se faire en fonction de l'examen - et c'est ce qui explique, effectivement, et justifie le « bachotage » qui est une des plaies - et pas des moins graves - de notre enseignement. Depuis 50 ans, nos programmes ont tout de même quelque peu évolués, et ils sont en train de subir, au moins dans leur esprit, une modernisation radicale. On se rend compte de plus en plus que l'école ne devrait pas enseigner en 1946 les mêmes choses qu'en 1900, et qu'elle ne devrait pas les enseigner de même façon. Il y a 50 ans, lire, écrire sans faute avec une belle calligraphie, compter avec quelque virtuosité étaient en effet les acquisitions majeures qu'on exigeait de l'école. Au siècle du cinéma, de la radio, de la machine à écrire, du stylo, de la machine à calculer, de la mécanique, de l'industrialisation, de l'ersatz, du chemin de fer, de l’auto et de l'avion, il devrait bien y avoir quelque chose de changé dans notre enseignement.
 
La chose maintenant admise, même officiellement, puisque l'école s'équipe et le travail scolaire se différencie, que nous employons l'imprimerie, la polycopie, la machine à écrire, l'étude du milieu, le cinéma, la radio, que nos enfants ne se contentent plus de lire, écrire et compter, mais qu'ils menuisent, clouent, gravent, dessinent, cultivent les champs, soignent les bêtes, photographient, vendent et achètent, et par lent à la radio. De plus en plus on admet qu'une école exclusivement livresque comme il y a 40 ans, ne répond plus aux besoins de l’heure présente.
 
Et notre examen du certificat d'études continuerait à mesurer presque exclusivement la rédaction, l'orthographe et le calcul ; il recalera tel élève qui fait trop de fautes et qui est peut-être une sorte de génie scientifique ; elle repoussera ce mauvais calculateur dont les aptitudes littéraires ou artistiques sont étonnantes ; il méconnaitra radicalement toutes les vertus pratiques, manuelles, constructives ou de débrouillardise qui sont pourtant si décisives dans la société actuelle.
 
Inutile de pousser plus avant la démonstration : nos examens, et le C.E.P. en particulier sont tout entiers à moderniser.
 
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C'est à cette modernisation que je voudrais aujourd'hui apporter ma pierre.
 
Me référant à l'organisation de notre activité scolaire, et, d'autre part, à l'expérience des Eclaireurs qui est, à tant de point de vue à l'avant-garde de la pédagogie, je préconise un changement complet de technique pour nos examens.
 
On sait que la rénovation de notre enseignement est tout entière basée sur le travail des enfants, et non plus le travail scolastique, de mémoire, d'imitation, mais sur la réalisation individuelle ou collective d'une oeuvre complexe qui s'inscrit le plus possible dans la norme des grandes activités humaines. Nos élèves ne font plus de devoirs de rédaction : ils écrivent pour s'exprimer ou pour correspondre avec leurs camarades. Ils ne font plus de devoir de calcul mais ils se livrent à des recherches complexes selon leurs besoins. Il n'étudie plus les sciences ou l'histoire, mais il prospectent, expérimentent selon le même processus humain que les hommes de sciences ou les historiens.
Nous ne considérerons donc plus nos enfants comme des écoliers dont on mesure l'acquisition formelle, mais comme des ouvriers dont on apprécie l'effort et les réalisations.
 
Voici donc comment je comprendrais l'examen du certificat d'études primaires :
 
Nous étudierons expérimentalement - c'est-à-dire par enquête non seulement parmi les universitaires mais aussi auprès des parents, des ouvriers, des paysans, des employeurs - quelles sont les acquisitions qui sont tout à la fois à la mesure de l'enfant et souhaitables socialement et dont l'école devrait se préoccuper.
 
Nos réalisations de l'imprimerie à l'école, du texte libre et des journaux scolaires ont corroboré en gros les découvertes du Dr Decroly pour ce qui concerne les grands besoins primordiaux de l'homme.
Nous distinguerons donc :
 
a) le besoin de conquérir la vie ;
b) le besoin de conserver la vie ;
c) le besoin de transmettre la vie.
 
Pour chacun de ces grands chapitres, nous avons distingué les différents besoins fonctionnels des enfants et les travaux-jeux ou les jeux travaux qui y correspondent. Ce sont ces travaux-jeux ou jeux-travaux que nous apprécierons, mesurerons et contrôlerons.
Je donne ci-dessous le plan que j'ai établi pour ces diverses activités, avec, en face, le projet de brevet que je préconise. Je prévois trois séries de brevet, correspondant à 3 degrés scolaires : 10 ans, 12 ans et 14 ans environ. Les épreuves que nous donnons ne sont que des ébauches non standardisées. Il nous appartiendra de fixer collectivement, expérimentalement, les normes de ces brevets.
 
A) Conquérir La Vie
 
Brevets grimpeur première série.- Grimper à un poteau 3 m bras et jambes ; monter 10 barreaux d'une échelle bois ; rédiger un texte de deux pages avec documents.
 
Grimpeur deuxième série.- Grimper 5 m bras et jambes ; 3 m corde noeud ; conférence de deux pages avec documents.
 
Grimpeur troisième série.-7 m bras et jambes poteaux ; 2 m corde lisse bras seulement ; conférence de trois pages.
 
Brevet de cueilleur première série.-Repiquer avec succès un arbre sauvage ; faire sécher des fruits et préparer un pot de confiture ; cueillir cinq variétés de plantes médicinales ; texte de deux pages avec documents.
 
Cueilleur deuxième série.-Réussir une bouture ; greffer un arbuste ; fabriquer une boisson fermentée ; fabriquer un pot de conserve ; apporter à la Coopérative 10 plantes médicinales différentes ; faire un texte de trois pages avec documents.
 
Troisième série :
 
Arboriculteurs.-Repiquer 11 an avec succès ; tailler un arbre ; réussir une greffe ; rédiger un texte de quatre pages avec documents.
Fruitiers.-Fabriquer une clé ou un four ; réussir une confiture, un séchage de fruits ou une stérilisation ; fabriquer de l'alcool par distillation; rédiger un texte de quatre pages avec documents.
 
Apiculteurs. -Savoir préparer un cadre de cire gaufrée et le poser ; cueillir un cadre de ruche ; soigner une piqûre d'abeilles ; rédiger un texte de quatre pages avec documents.
 
Cueilleur de plantes médicinales. - Fabriquer un herbier avec 30 plantes médicinales ; ramasser et sécher 1 kg au mois de plan ; texte de quatre pages avec documents.
 
Première série :
 
Brevet de chasseurs d'insectes.- Attraper et collectionner20 insectes différents ; rechercher et collectionnait les oeufs, les cocons, nymphes, larves, insecte parfait de deux insectes au moins ; texte de deux pages avec documents.
 
Brevet d'amis des animaux.-Recueillir, élevé et soigner tout spécialement pendant un mois au moins un animal au choix ; texte de trois pages avec documents.
 
Deuxième série :
 
Brevet de collectionneurs.-Présenter une collection de 30 insectes au moins ; élever un insecte pour en détailler les métamorphoses ; lire un texte (prose ou poésie de l'une pages se rapportant aux animaux) ; texte de quatre pages avec documents.
 
Brevet de chercheurs de piste.-Connaître les traces, le gîte, les cris, la nourriture, les moeurs d'un animal sauvage de votre pays ; lire un texte d'écrivain s'y rapportant ; texte de quatre pages avec documents.
 
Brevet d'artisans chasseurs.-Fabriquer deux armes ou pièges pour animaux ; imiter le cri de trois animaux sauvages ; lire un texte ; texte de quatre pages avec documents.
 
Brevet de chasseurs.-Connaître les moeurs, la vie, les cris de cinq animaux sauvages de la région ; fabriquer cinq armes ou pièges ; décrire, après observation, vingt espèces d'oiseaux nocturnes ou diurnes ; poésie ; texte de quatre pages.
 
Nous avons établi des projets semblables de brevet (nous les communiquerons à la commission intéressée) pour :
4. Pêcheur ; 5. Éleveur ; 6. Cultivateur ; 7. Cuisinier.
 
B) conserver la vie.
 
1. S'abriter ; 2. Se chauffer ; 3. Se couvrir ; 4. Se soigner ; 5. Dominer la nature ; 6. Dominer les animaux ; 7. Dominer la destinée.
 
C) transmettre la vie
1. Famille ; 2. Société ; 3. L'homme au milieu de la vie.
 
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Comment utiliserons-nous ces brevets ?
D'abord qui les attribuera et comment se fera cette attribution ; lorsqu'un enfant croit être en mesure de conquérir son brevet, il en avise l'instituteur qui, au jour dit, en présence soit du directeur de l'école, d’un autre collègue ou de l'inspecteur, et du secrétaire de la Coopérative représentant les enfants, examine les travaux réalisés, exactement comme les examinateurs du Brevet Sportif Populaire apprécient les performances des candidats. Si les travaux sont exécutés selon les normes prévues, le brevet est accordé.
On voit bien qu'il ne s'agit. Ici d'un examen mais du simple contrôle d'une performance, ce qui élimine dans une large mesure les erreurs d'appréciation ou les humaines complaisances. La multiplicité des brevets compense d'ailleurs les erreurs possibles.
Nous avons prévu une cinquantaine de brevets, rien que pour la troisième série. Chaque enfant va-t-il prétendre à ces 50 brevets.
C'est là justement que réside l'originalité et l'avantage du système des brevets, qui s'adapte à merveille, comme vous allez le voir, à notre conception complexe du travail scolaire moderne.
Dans ce nombre d'une cinquantaine de brevets, nous en distinguerons une dizaine dans l'obtention sera obligatoire. Il suffit de s'entendre sur l'arrangement suivant : tous les élèves qui auraient conquis tous les brevets obligatoires et, par exemple, 10 autres brevets facultatifs au choix se verrait attribuer un diplôme correspondant à notre certificat d'études.
 
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On voit tous les avantages de ce système de brevets :
 
a) Il apprécie les contrôles des acquisitions véritables, des travaux réalisés ;
b) D’où suppression de tout bachotage ;
c) Les brevets ainsi conquis, qui seront inscrits sur le carnet scolaire et donneront droit à un insigne particulier auront une éminente signification tant pour l'orientation que pour le placement ultérieur des adolescents. Quand on aura sous les yeux un carnet scolaire constellé de brevets, on sera renseigné avec précision sur les tendances, les aptitudes, les acquisitions, les possibilités techniques ou autres des titulaires. Un tel système de brevets serait plus particulièrement précieux pour l'orientation à la croisée des chemins : secondaire, techniques et préapprentissages.
d) Contrairement à ce qu'on pourrait supposer, le contrôle des travaux ne gênera plus du tout l'éducateur puisqu'il s'inscrira dans le cours normal des travaux dont il sera tout à la fois l'aboutissement et la récompense.
 
Nous livrons ce projet à l'attention de tous les éducateurs. Selon notre habitude, sans amour-propre d'auteur, nous versons le fruit de nos recherches dans le creuset coopératif. Nous invitons tous ceux que cela intéresse, à quelques degrés qu'ils appartiennent, à se faire inscrire à la commission de travail qui, au sein de notre institut, mettra au point cette technique des brevets qui sera, demain, la forme moderne de notre contrôle scolaire.
 
 
 
 
 

 

 

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