Qui d'entre nous, camarades de lecteurs des « Enfantines » et de la « Gerbe », ne s'est extasié sur la spontanéité, sur la fraîcheur, voir sur le rythme remarquable de certains poèmes libres, réalisés librement par des enfants ?
pour être vrai, il convient de noter aussi que nombreux sont les esprits qui se refusent à admettre comme sincère les résultats de nos techniques d'impression libre. Et pourtant…
Et pourtant, nous avons pu, dans notre petite école à classe unique de Sainte-Pazanne ( Loire inférieure), obtenir en les réunissant sous le titre « choses, bêtes et gens», une plaquette des meilleurs poèmes des élèves. Plaquette entièrement illustrée de gravure sur lino est vendue au profit de la coopérative « les abeilles » constituée par les enfants et administrés par eux aussi.
À la base, disons-nous, expression libre et sincère à partir d'un sujet choisi par chaque élève ou d'un thème accepté par les équipes où les groupes après discussion en commun.par groupe de travail, nous entendons les différents cours qui composent la classe unique et dont chacun présent un minimum de cohésion.
Malgré cela, pas de cloison étanche absolue entre les groupes : on travaille ensemble suivant les affinités du moment ; c'est ainsi qu'un jeune du CE peut très bien se mêler à ses camarades plus âgés du CM et apporter à l'effort commun sa participation active.
Donc, travail personnel au travail d'équipe, les petits papiers sont glissés au fur et à mesure de l'exécution dans une chemise cartonnée portant comme indication : travail d'équipe libre ou travail personnel libre, suivant le cas.
Souvent les enfants aiment à s'exprimer sous forme de courts poèmes. Sans prétention, bien entendu. Aussi trouve-t-on par exemple, sous le titre « les oiseaux », le tableautin suivant :
des oiseaux s'envolent
à l'horizon.
c'est un petit nuage sombre
qui de nos yeux s'estompe
dans le ciel bleu
volant à petits coups.
(R. L., 12 ans, mai 1939)
Au cours d'une séance d'activités dirigées par exemple, un grand lit les productions de la semaine. D'accord, tous se sont arrêtés sur le petit poème précédent.
Alors, au travail ! Le texte est reporté au tableau du côté gauche. À droite s'inscriront les modifications.sans grand bruit, les équipes, crayon en main, s'affaire, discute devant leurs brouillons. Les propositions se formulent sans désordre.
Pour le titre d'abord, un camarade, au nom de son équipe, propose « vol d'oiseaux » qui paraît plus judicieux et qui est rapidement adoptée est inscrit sur le côté droit du tableau, celui des corrections. L'« auteur », qui a voix prépondérante naturellement, à donner son approbation.
Un poème, avons-nous convenu, doit toujours suggérer plutôt que décrire. Plus que pour un autre exercice, en outre, la recherche du mot propre, le terme le plus évocateur doit être systématiquement poursuivi. Et c'est là, que discrètement le maître intervient, rappelle que le sens gagne en force lorsqu'on élague du texte des termes parasites.
Aussi, de proche en proche, le poème primitif s'est transformé, sous l'action d'un labeur soutenu de presque toute la classe, en trois quarts d'heure à peine, jusqu'à devenir le texte suivant finalement adopté d'enthousiasme :
vol d'oiseaux
les oiseaux volent
à l'horizon ;
nuage sombre
qui s'estompe
un petit coup
dans le ciel bleu…
***
parfois le texte proposé ne subit aucune modification. Tel le suivant. Mais c'est plutôt rare :
le moulin à vent
moulin à vent,
planté sur la colline
vers le soleil,
fais-nous de la farine
pour que le pain soit blanc,
Jolie Moulin,
et que des grandes ailes tournent,
tournent tournent gaiement,
joli moulin.
(Gérard Noinet, 13 ans, 1937)
***
Il va sans dire que nous pouvons montrer les « originaux » et les communiquer aux camarades qui le désireraient. À charge de retour, bien entendu.
En résumé, la poésie libre à l'école n'est ni une utopie, ni une gageure. il suffit de faire confiance aux gosses, les comprendre, les encourager pour obtenir des résultats inespérés souvent qui constituent une oeuvre passionnante et de haute valeur éducative.