La Brèche n°92, Octobre 1983

Octobre 1983

 

La Brèche, bulletin du Secteur Second Degré de l'ICEM
1974 - 1984, dix numéros par an
Des réflexions, des témoignages de pratiques, des comptes-rendus de lectures, de débats, ......
 

 

 

 

 

Congrès de Nanterre (août 1983) : Intervention de Michel Barré, à la séance inaugurale.

Octobre 1983

Congrès de Nanterre (août 1983)

Intervention de Michel Barré, à la séance inaugurale.
 
Un congrès de l'École Moderne, comme celui qui vient de s'ouvrir pour la 37e fois, est le moyen pour notre mouvement de faire périodiquement le point sur les multiples travaux de ses commissions et de ses chantiers permanents. Ce qui explique que nous ne donnions pas systématiquement un thème central à nos congrès car des travaux aussi divers s'articuleraient difficilement autour d'un thème.
 
Pourtant cette année, le congrès de Nanterre est placé sous le signe des droits et pouvoirs des enfants et des adolescents. Ce thème sera matérialisé par un colloque se déroulant au creur même du congrès, enrichi de participations extérieures à nos circuits de travail habituels. Les résultats de ce colloque marqueront, à n'en pas douter, u ne étape importante de notre avancée dans ce domaine.
 
Néanmoins, de nombreux participants sont venus, comme à l'habitude, continuer et approfondir les travaux permanents qui les occupent toute l'année. Est-ce à dire qu'ils resteront en marge de l'événement, même s'ils assistent aux tables rondes organisées chaque fin d'après-midi ?
Je voudrais les rassurer: aujourd'hui comme demain, ils sont directement au cœur de ce problème. Car les droits et pouvoirs des enfants et des adolescents resteraient des concepts abstraits s'ils ne s'enracinaient dans des pratiques qui nous sont familières et aucune revendication ne serait crédible si elle ne pouvait s'étayer sur une expérience qu'il nous appartient d'approfondir chaque jour .
Tout militant de l'École Moderne, même s'il n'en est pas pleinement conscient, a participé et participera, par son action pédagogique quotidienne, aux avancées pour un nouveau statut de l'enfance et de l'adolescence.
 
Dès son origine, la pédagogie Freinet s'inscrit dans une autre conception des droits et pouvoirs des enfants.
- En reconnaissant l'expression libre dans tous les domaines, sans imposer préalablement un apprentissage technique, la pédagogie Freinet fait de chaque enfant, de chaque adolescent, un acteur culturel à part entière. Dès lors, la conquête de la maîtrise dans l'expression cesse d'être un exercice formel pour devenir participation active à la vie culturelle de notre temps.
- En institutionnalisant, par le journal scolaire, par les échanges et la correspondance, les communications avec d'autres groupes, avec des interlocuteurs adultes extérieurs, la pédagogie Freinet fait éclater le cadre étroit du groupe-classe et transforme le réseau relationnel des jeunes.
- Le libre choix des travaux personnels et des projets collectifs introduit un autre type d'appropriation culturelle, cessant d'être régie arbitrairement par des programmes pour être organisée en fonction des besoins des jeunes (y compris les impératifs réels du milieu social car les jeunes qui peuvent enfin assumer leurs responsabilités sont loin de suivre simplement leurs caprices du moment}. La dynamique des acquisitions se trouve radicalement modifée.
- L'organisation coopérative gérant la totalité de la vie du groupe (et pas seulement certaines activités annexes) transforme fondamentalement la relation à l'éducateur, à l'institution scolaire et, finalement, à toute institution sociale. elIe marque, dès l'enfance, l'instauration de la vraie démocratie. Les adultes n'abusent plus de leur supériorité de fait pour accaparer tous les pouvoirs. L'éducation des Droits de l'Homme ne peut avoir une portée réelle que si elle s'exerce dans une école où la notion de droits est autre chose qu'une abstraction.
- La signification même de toute culture se trouve profondément modifiée par les pratiques de recherche libre, d'enquête et de transmission à d'autres jeunes.
 
Par exemple, lorsqu'un enfant, dans le cadre d'une recherche personnelle, questionne ses grands-parents pour ommuniquer à ses camarades des témoignages vécus sur la vie autrefois, c'est l'ensemble des statuts sociaux et culturels qui se transforment. Les grands-parents sont reconnus comme porteurs d'une expérience et d'une culture qu'on ne trouve pas seulement dans les livres. L'enfant qui questionne devient lui-même le relais de cette culture, accédant à un rôle d'intercesseur qui n'appartenait jusque-Ià qu'à une mino­rité d'adultes.
Par-delà de simples techniques pédagogiques qui peuvent et doivent évoluer, l'action éducative quotidienne s'organise autour d'une logique fondamentalement différente. Une mutation s'est opérée.
Ce qui est en question en cette fin de XXe siècle, ce n'est pas de savoir si les rapports enfants-adultes seront empreints d'un libéralisme plus ou moins grand mais si les enseignants (et derrière eux, la totalité du système éducatif et du système social) admettent de voir mis en cause le monopole absolu du pouvoir culturel par le biais des programmes tâtillons, du recours systématique au cours magistral et au manuel scolaire, du pouvoir sans partage sur l'avenir des jeunes par une orientation autoritaire qui ne sait gérer que l'échec, par des examens dont ceux-Ià même qui s'y cramponnent, ne cessent de dénoncer l'effritement de leur niveau.
En un mot, accepte-t-on de voir mis en question le pouvoir des adultes dans les moindres détails de la vie quotidienne des jeunes à l'école, hors de l'école ? Il faut souligner que ce pouvoir devient de plus en plus illusoire et on chercherait en vain ceux qui éprouvent beaucoup de satisfaction à le détenir. Peut-être faut-il voir à l'origine de ce que certains appellent laxisme en accusant ceux qui, comme nous, veulent transformer l'éducation. En réalité, le laisser-aller n'est pas la maladie infantile des nouvelles pratiques éducatives. Il peut certes arriver que des erreurs soient commises par des éducateurs commençant à changer de logique éducative, mais la régulation ne tarde pas à s'opérer, surtout si l'on favorise les recours dans le cadre du compagnonnage coopératif au lieu de prétendre tout régler autoritairement par voie hiérarchique.
 
Le laisser-aller, par contre, est la maladie sénile des systèmes autoritaires auxquels plus personne ne croit. L'important pour chacun devient alors de tirer son épingle personnelle du jeu. Aucun principe, aucune valeur sûre n'est plus en mesure d'arrêter la dérive: chacun laisse filer ce qu'il n'est plus en mesure de maîtriser.
Il ne s'agit plus de régler de simples problèmes pédagogiques, encore moins d'échafauder, une fois de plus, des structures, des réglementations officielles. C'est un vaste problème de société qui concerne l'ensemble des citoyens. C'est pourquoi dans tous les moments où le changement social est en jeu, la rencontre est inévitable entre la nation et les problèmes d'éducation, même si cette rencontre s'est traduite hélas! Dans le passé par des rendez-vous manqués.
En 1936, à l'élan du Front populaire, devrait correspondre, dans l'esprit de Freinet et de ses compagnons, un “ Front de l'Enfance ” qui marquerait la place nouvelle des jeunes dans la vie sociale.
 
Romain Rolland et Jean-Richard Bloch soutiennent chaleureusement cette initiative à laquelle souscrit également le Groupe Français d'Éducation Nouvelle. Malheureusement, il sera impossible de déborder le cercle restreint des éducateurs novateurs et lorsqu'on fait le bilan des avancées irréversibles du Front populaire, on trouve finalement fort peu de choses au plan de l'éducation. Une occasion a été manquée.
Dès la Libération, un élan se lève à nouveau qui suscitera bien des changements mais ne suffira pas à transformer le système éducatif. Les classes “ nouvelles ” alors créées deviendront “ pilotes ” et seront marginalisées, puis elles disparaîtront, seuls survivront de l'expérience des groupes pédagogiques dont les C.R.A.P. sont un exemple. Finalement, il ne restera "de cette période que la référence quasi mythique au Plan Langevin-Wallon dont aucun programme politique n'a su retrouver la vigueur et l'ampleur .
La présence aujourd'hui, à l'ouverture de ce congrès du Ministre de l'Éducation Nationale du gouvernement de la Gauche est un événement dont nous ne méconnaissons pas la portée. Vous savez sans doute, Monsieur le Ministre, que notre mouvement n'a pas la réputation d'un amour excessif pour toute hiérarchie.
Mais il possède un sens profond des réalités sociales. Il accueille et salue en vous le représentant d'un gouvernement, issu le 10 mai 1981 de l'espoir de changement de la majorité des Français.
De plus, les moins jeunes d'entre nous n'ont pas oublié que, dans le passé, vous avez su dire non quand il le fallait, y compris à vos amis politiques. Nous y voyons la garantie d'un dialogue empreint de franchise réciproque. Et cette franchise nous amène à dire que nous désapprouvons les accords que vous avez signés avec votre collègue, Charles Hernu, sur les rapports école-armée. Avec la même sincérité, nous ajoutons que nous sommes décidés à tout faire pour que la rencontre de la gauche et du nécessaire grand dessein éducatif dont la jeunesse a plus que jamais besoin, ne soit pas une nouvelle occasion manquée. Dans un monde en crise, aucun problème n'a de priorité plus grande que l'éducation.
 
Ce que nous attendons, Monsieur le Ministre, ce n'est pas une réforme de plus, comme celles qui se sont succédées dans les dernières décennies: des constructions bureaucratiques qu'aucun élan de vient animer, quand il ne s'agissait pas, plus médiocrement, de changer les dénominations en se donnant l'illusion d'avoir, de ce fait, modifié les réalités. "
Nous nous méfions aussi des multiples toquades de ceux qui croient épouser la modernité chaque fois qu'ils découvrent la dernière trouvaille de la saison, donnant ainsi aux plus routiniers l'alibi d'attendre patiemment la prochaine marotte. Le problème n'est pas de se donner le frisson éphémère de la nouveauté mais d'assurer au système éducatif des bases stables, fondamentalement différentes de celles dont la faillite est évidente.
Le porte-parole du gouvernement s'étonnait récemment du silence des intellectuels de gauche. Éducateurs issus de toutes les tendances de la gauche, nous ne sommes pas certains d'être admis comme des intellectuels, mais nous répondons volontiers à l'interpellation.
A vrai dire, nous ne croyons pas que la gauche manque avant tout de paroles de soutien. Il lui faut tout au plus quelques idées simples dont chacun sache qu'elles sont enracinées dans les réalités et qu'elles sont soutenues par un engagement indéfectible à les appliquer, sans se préoccuper du soutien inconditionnel à un gouvernement et sans prévoir la reconversion sous une autre politique.
 
Pour notre part, nous ne tergiversons pas dans nos engagements au service du changement. Liés de façon indissociable à l'école laïque, au service public de l'éducation, nous constituons en même temps la principale force de contestation de son fonctionnement actuel, justement parce que nous ne nous résignons pas à voir l'école populaire répondre si mal aux aspirations des jeunes générations.
Mais aucune de nos critiques n'est purement négative, nous avons à creur d'apporter une alternative face à tout ce que nous condamnons. Nous ne prétendons pas imposer nos points de vue comme seuls valables. Nous espérons être libérés de l'arrogance des certitudes apprises et nous recherchons l'humilité du questionnement quotidien, même s'il s'y mèle la fierté d'apporter parfois des réponses que nous ayons inventées, personnellement ou collectivement, grâce notamment aux recherches et aux intuitions de Célestin Freinet dont I'reuvre ne nous fournit pas un dogme immuable mais un tremplin pour la pensée et pour l'action.
C'est sur les faits que nous voulons que soient mesurées la réalité et la validité de nos idées :
- Est-ce par hasard que la Bibliohtèque de Travail est la seule collection documentaire pour enfants à fêter son cinquantenaire (comme en témoigne une exposition à l'I.N.R.P., rue d'Ulm) ?
- Une coïncidence si les cassettes de Radio-France, ayant obtenu le prix du patrimoine de l'académie Charles Cros, proviennent des classes Freinet et des collègues de notre mouvement ?
- Est-ce par hasard que, dans un contexte économique impitoyable, notre Coopérative de l'Enseignement Laïc reste la seule maison d'édition appartenant à des enseignants à poursuivre ses activités, à créer des revues nouvelles alors que tant d'autres disparaissent ? Tout cela parce que l'effort militant se double d'un soutien financier pour lequel la récente “ Caisse d'économie coopérative ” se met actuellement en place.
- Que signifie la présence à ce congrès des militants École Moderne de treize pays, la participation à nos travaux des éducateurs de tous les continents (Europe, Afrique, Amérique latine et plus récemment Asie, par l'intérêt que nous portent des éducateurs indiens et japonais) ?
 
Nous sommes trop conscients de la fragilité des entreprises militantes pour nous permettre, dans le contexte actuel, de chanter victoire de peur de nous apercevoir que c'était notre chant du cygne.
Mais des faits existent qui ne sont pas sans signification.
Nous sommes les premiers à percevoir et à critiquer l'imperfection de ce que nous réalisons, mais nous tenons à ce que tout cela soit pris en compte dans une stratégie de changement. Cet apport est d'autant plus significatif que nous avons œuvré longtemps sans aucune aide, quand ce n'était pas malgré certaines tracasseries administratives dont nous ne trouvons pas qu'elles aient totalement disparu depuis le 10 mai 1981.
A l'échelon départemental, certains administrateurs, certains responsables de centres de formation ne semblent pas pressés d'appliquer les directives marquant un progrès alors qu'ils se montrent plus pointilleux sur les textes officiels chaque fois qu'ils permettent d'interdire une initiative.
Nous ne prétendons pas mobiliser les multitudes mais on nous trouve présents, souvent critiques, parfois impertinents, toujours constructifs, chaque fois qu'il s'agit d'aider à la transformation du système éducatif et du statut de l'enfance et de l'adolescence.
 
Monsieur le Ministre, nous ne croyons pas que votre présence ici soit de simple convention et, sans proclamer une allégeance que vous ne recherchez pas, nous affirmons clairement que, dans les perspectives précédemment définies, vous pouvez compter sur nous et avec nous, comme peuvent compter sur nous toutes les forces de progrès et, parmi elles, celle qui est par nature la force même de l'avenir : l'enfance.
Michel BARRÉ ancien secrétaire général de l'I.C.E.M.
 
 

 

Français en second cycle : extraits d'un cahier de roulement

Janvier 1983

Voici quelques extraits d'un cahier de roulement sur l'enseignement du français dans le second cycle, cahier qui a circulé en 1982-1983. Il ne s'agit pas ici de décrire l'ensemble d'une organisation de classe, ni de revenir sur des difficultés bien connues, et déjà évoquées, par exemple dans la synthèse d'un précédent cahier (cf. La Brèche n° 66) : lourdeur des effectifs, conflit entre la préparation du bac et la volonté de travailler autrement”. Ce sont seulement quelques tentatives de réponses, sur des points particuliers, à quelques-unes de nos interrogations.

 
I - LES CORRECTIONS DE COMPOSITIONS FRANÇAISES sont le boulet que traîne le professeur : “127 devoirs de français par mois, pour un certifié de lettres modernes en lycée ”.
 
Paul Badin : “ Je suis très exigeant sur la qualité et la précision du plan (une page préalable et je leur montre l'exemple.
A la correction j'ai un système un peu complexe :
1. Chaque élève a une fiche sur laquelle il fait, pour lui-même, la synthèse des corrections de ses devoirs.
2. Chaque élève est invité à refaire très consciencieusement tout ou partie d'un devoir qui ne le satisfait pas pleinement.
Cela prend une ou deux heures. Je leur dis qu'à l'auto-école, quand on manque un démarrage en côte, on leur en fait refaire jusqu'à ce qu'ils réussissent, mais on ne remplace pas l'exercice manqué par une marche arrière. Donc pas un autre travail ; d'abord refaire celui qui est manqué, c'est rébarbatif et c'est payant.
3. Chaque élève est invité à confronter méthodiquement son devoir aux meilleurs de la classe (ceux-là, maintenant, je les indique). Je n'ai pas assez d'argent pour les leur photocopier ; mais eux peuvent le faire. “ Pour quelles raisons précises, j'ai eu 7 et X a eu 15 sur le même sujet ”. Quand on a bien compris cela, on a déjà progressé.
4. Chaque élève note et signe consciencieusement les copies de trois ou quatre de ses camarades. Les remarques se recoupent ? Dans ce cas, l'élève à qui on a asséné quatre ou cinq fois son erreur de plan se méfie à la fois suivante. Elles ne se recoupent pas ? Alors, les discussions sont passionnantes et, à quelques reprises, j'ai été amené à revoir appréciation et note. Ce n'est pas à craindre.
Tout cela prend facilement trois ou quatre heures, dont au moins deux en cours, et je le crois payant. Ainsi, en 4. on apprend à juger le travail des autres, à prendre des distances par rapport au sien, donc à objectiver ses qualités et défauts propres, donc en retour, à mieux juger son propre travail.
5. Si cela ne suffit pas, certains peuvent me faire un devoir supplémentaire (pris dans les annales de l'année) . . . car je n'admets pas que des élèves de seconde, première, terminale, trainent trois ou quatre ans chez nous les mêmes notes médiocres : c'est affaire de travail, de méthodes et de motivations, c'est réapprendre le sens du travail en soi et pour soi, et retrouver les exigences de tout engagement de soi.
 
Pour en finir, momentanément, avec ce chapître de l'expression écrite, je demande cette année deux autres types d'exercices écrits à mes élèves, ce de façon régulière.
a) Fiches synthèse. A partir de livres lus en classe, de spectacles magnétoscope, de films, de pièces de théâtre, je demande une recherche d'équipe par thèmes. Chaque équipe (2° et 1°) doit fournir, après sa recherche plus ou moins longue, plus ou moins riche, une ou plusieurs (souvent une seule : synthèse ! ) fiches format 15 x 21 cm de préférence dactylographiées. Cela les oblige à faire le tri, à bien présenter, et nous permet de garder en classe le dossier complet de leur travail.
 
II - LES BILANS
Michel Pilorget : “ Bilan trimestriel préparatoire au conseil de classe officiel. La première étape dure une heure. Je distribue à chacun la fiche bristol à son nom sur laquelle sont reportés tous les travaux (oraux, écrits) qu'il a faits ou auxquels il a participé. Avec au crayon, les points forts ou faibles, et ce que je me propose de dire ou d'écrire sur l'élève, au conseil et sur le bulletin. Chaque élève prend connaissance. Ils peuvent me demander des renseignements, s'ils comprennent mal. J'explique que je n'aurai pas le temps, matériellement d'en discuter avec chacun. Donc, notre dialogue sera écrit. Ils m'écriront ce qu'ils pensent de ce que je pense d'eux. En cas de désaccord, ils doivent préciser leurs raisons.
Je m'engage à lire ce qu'ils vont m'écrire et à y réfléchir. Mais pas à en tenir compte aveuglément.
 
Je leur dis aussi que j'ai besoin de leur collaboration ; pour juger les autres : je leur demanderai donc de me faire la liste des élèves qui, à leur avis, je dois valoriser pour leur activité en classe. J'ai aussi besoin de leur collaboration pour juger le passé, ce qu'on a fait ensemble, et le préparer le futur, ce qu'ils demandent qu'on fasse ensuite. Cela se traduit, pour chaque élève, par une demi-feuille portant ces rubriques. Je ramasse l'ensemble, fiche-bristol individuelle et demi-feuille d'opinions personnelles. L'heure s'est écoulée.
 
La deuxième étape se fait hors-cours. Je dépouille les opinions personnelles ; éventuellement, je commente certaines opinions par écrit sur les feuilles, ou je modifie certains commentaires à moi, écrits au crayon sur les fiches-bristol. Je remplis les bulletins officiels.
 
La troisième étape dure une heure, le lendemain, si possible. Je rends à chacun sa demi-feuille d'opinions personnelles, je rends compte du dépouillement de l'ensemble. On peut alors discuter ensemble des problèmes soulevés soit par le comportement de certains individus, tels que jugés par moi, par eux-mêmes, par les autres, soit par les activités souvent rejetées, que parfois j'essaye de justifier soit par les activités proposées. On prend des décisions, poursuivre, modifier ou innover.
 
Bilan : Je crois que c'est la seule fois, par trimestre, où dans mes classes, il se passe quelque chose qui ressemble à une classe-coopérative. Et c'est le plus souvent très gratifiant. Car même s'il y a des remises en cause dures, il y a la plupart du temps échange et meilleure compréhension.
Conclusion : Ces fiches individuelles, et les réunions-bilans trimestrielles, sont me semble-t-il les deux seuls aspects de ma pratique pédagogique qui me satisfassent pour l'instant. Pour mon organisation de devoirs, je suis plus interrogatif. Pour le reste, je patauge au jour le jour .
 
Jacques Brunet : “ Normalement, nous faisons ce genre de bilan une fois par mois, voir toutes les trois semaines. C'est important pour éviter qu'on ne s'enferme, pour rectifier le tir. Et dans tous les cas, en fin de trimestre. D'autre part, le bilan sur la classe (positif, négatif, plus propositions à ne pas oublier) est dépouillé, puis classé par un groupe, (deux ou trois élèves) qui transcrit cette synthèse au tableau, ce qui donne l'ordre du jour du bilan. Un secrétaire de séance note les décisions importantes. Là encore, le but est la prise en charge coopérative
 
III - L'EXPRESSION LIBRE
Paul Badin :
1. Les élèves ont à leur disposition les radios locales : un à deux élèves par classe sont “animateurs” de radio et je fais de timides essais avec eux sur leur radio. Peut-être croient-ils plus au son, à leur disposition maintenant, et bientôt l'image, qu'au “journal”, déjà vu.
2. J'ai des textes-choc pourtant, des beaux et qui font mal. Mais ils concernent d'impossibles problèmes d'éducation ou des conflits familiaux : que de divorces mal vécus, surtout ! Que de suicides inavoués aussi. Je les laisse se lire devant la classe. Ces adolescents meurtris cruellement pleurent, se défoulent, appellent les autres au secours et leur demandent de les aider à porter leur fardeau. C'est tout ce que je peux faire, permettre cette écoute, permettre aux élèves de redevenir normaux en disant leur anormalité. Est-ce pour cela que les textes qui ne disent pas de vrais gros problèmes s'écrivent moins ?
Alors une dernière question : Suis-je plus qu'avant tourné vers ce genre de questions ? Honnêtement je ne le crois pas, j'y ai déjà songé. Mais eux sont de plus en plus victimes de ce type de chocs et l'assistante sociale du lycée me le confirme à chaque fois que je la vois. C'est bien qu'on leur permette de dire tout cela, mais ce n'est pas forcément mieux pour la poésie, pour leur poésie. Il y a à creuser de ce côté-Ià et je pense accentuer leur part de rencontres personnelles “ favorisées ” avec la poésie: lectures - montages - spectacles - rencontres diverses. Sinon, ils vont étouffer dans les miasmes affectifs et sentimentaux de beaucoup d'adultes.
 
Michel Pilorget :
Là où je pense ne pas être au point, c'est dans l'exploitation des Textes Libres : c'est trop souvent un dialogue écrit prof-élève. Rarement il y a échange élèves-élèves, au cours de séances de lectures réciproques.
 
Jacques Brunet répond :
1. L'échange élève-élève peut avoir lieu par lecture en petits groupes, avant lecture au groupe-classe.
2. On peut aussi, à l'issue de la lecture à la classe, programmer une séance de discussion sur deux ou trois textes prêtant à débat. Nous le faisons assez souvent.
3. L'échange de textes libres marche très bien en seconde, et marche tout seul... Un responsable de la correspondance agrafe à chaque texte libre envoyé par les correspondants une feuille pour les réactions de la classe ; il fait “tourner” les textes ; ça se fait parfois en cours en ateliers ou pas, ou chez soi. Il récupère les textes. (En tout cas ca marche tout seul, ce qui me soulage bien ! C'est une ouverture indispensable). Cette procédure peut aussi fonctionner pour les textes libres écrits par les camarades de la classe”.
 
Simone Bourgeat :
Un problème pourtant : à côté de quelques échanges assez précis, la pauvreté de la plupart des appréciations, dans le style: “ épatant, super. . . ” alors qu'on essaye par ailleurs de les habituer à justifier leurs impressions, leurs jugements.
Comment les amener, sans casser la spontanéité de cet échange, à l'approfondir ? Par la discussion collective des textes les plus riches, évoquée par J. Brunet. Le responsable de la correspondance en rédige un petit compte rendu.
 
IV - LE TRAVAIL EN ATELIERS
Fiche anonyme...
Principes généraux
1. Le travail accompli durant la part de l'horaire résèrvée aux ateliers fait partie intégrante du “ cours de français ”.
2. Le thème du travail est choisi librement par chaque élève ou chaque groupe, après consultation du professeur qui donne son avis et aide à organiser le travail.
3. Tout travail entrepris en atelier doit aboutir à une production écrite: dossier , texte personnel, affichage, article, dessin
ou orale : communication à la classe, débat, enquête, montage, enregistrement, scène de théâtre, émission vidéo...
4. Chaque élève ou chaque groupe doit prévoir avec précision la nature, le but et la forme du travail qu'il accomplira durant les heures d'atelier, de manière à apporter ou à demander au Centre de Documentation ou au professeur les livres, documents ou appareils nécessaires à ce travail.
 
Liste, non exhaustive, des travaux possibles en ateliers
1. Écrire - ou recopier sur grand format pour affichage ou envoi aux correspondants - des textes personnels (textes libres) ou des textes d'auteurs qui vous ont plu. Faire un dessin pour affichage ou pour le journal du lycée.
2. Écrire aux correspondants.
3. Écrire un article pour le journal du lycée.
4. Rassembler une documentation (livres, dictionnaires, dossier de presse: rassembler, classer, découper, coller, commenter).
5. Préparer un débat ou une enquête (prévoir les questions, le plan).
6. Préparer une dissertation: recherche des idées, du plan.
7. Revoir une règle de grammaire et faire des exercices dessus.
8. Préparer une présentation orale d'un auteur ou d'une œuvre.
9. Mettre en scène un texte écrit par vous-même ou un texte d'auteur, pour le présenter à la classe.
10. Enregistrer un montage sonore (texte, musique) ou audiovisuel (diapos, texte, musique).
11. Faire une émission vidéo (on peut effacer et recommencer mais non monter) .
12. Préparer le tournage d'un film (possibilité de montage) .
 
Voici enfin, la prise de position de Danielle Carpentier sur les journées “ La France en poésie ”. A l'occasion des “ journées-poésie ”, j'ai cru bon de répondre un peu vivement aux “ instructions rectorales ” nous incitant à faire de la poésie, d'autant qu'il fallait en rendre compte par voie hiérarchique :
- Je n'ai à signaler aucune “ opération de sensibilisation à la poésie ” dans mes classes pour les journées du 22-23 avril.
En effet parce que je crois précisément à la valeur et à l'efficacité de l'action poétique, je dois dire pour ma part :
1. Que j'essaie depuis longtemps de sensibiliser mes élèves à la poésie, particulièrement par une pratique régulière d'approche de l'écriture poétique (incitation à l'expression personnelle; autre rapport à l'écriture et aux textes) en liaison avec mon travail de recherche au sein du mouvement I.C.E.M. pédagogie Freinet, (entre autres choses: correspondance, échange de travaux avec des élèves d'autres établissements) recherche et pratique qui ne sont guère facilitées dans des classes de 35 élèves et le cadre des programmes.
2. Que je préfère la démarche d'une continuité, et d'essai de motivations, en dégageant des heures à cet effet dans mon emploi du temps, tout au long de l'année, à celle, épisodique, sans préparation ni lendemain, de “ journées ”, démarche qui me semblerait rejoindre les interrogations des commissions de décembre 82-janvier 83.
Je pourrais par contre envisager, éventuellement, de présenter des travaux d'élèves, avec leur accord, en liaison par exemple avec les documentalistes, ou d'autres travaux divers de professeurs intéressés, à un moment choisi par l'ensemble des éventuels participants.
 
Choisir, subjectivement... c'est sacrifier : les richesses de ce cahier n'apparaissent pas toutes. On y trouve des allusions à d'autres travaux :
- Un voyage et du ski de fond dans le Puy de Dôme, de la classe de seconde sportive de Geneviève Le Besnerais.
- La poursuite de l'expérience de radio lycéenne de J. Brunet.
- Un travail interdisciplinaire en terminale A (français - philosophie - anglais) par Michèle Roux, au lycée Saint-Exupéry de Marseille etc.
Les participants de ce cahier : Paul Badin, Angers. Geneviève Le Besnerais, Montmorency. Jacques Brunet, 33370 Tresses. Simone Bourgeat, Avignon. Danielle Carpentier, Toulouse. Michel Pilorget, Saint-Germain du Bel Air. Michèle Roux, Marseille.