La Brèche n°88, Mai 1983

Mai 1983

 

 
 
 
La Brèche, bulletin du Secteur Second Degré de l'ICEM
1974 - 1984, dix numéros par an
Des réflexions, des témoignages de pratiques, des comptes-rendus de lectures, de débats, ......
 

 

 

 

 

 

Jackpot en mathématiques

Mai 1983
 
TEMOIGNAGES
Jackpot et mathématiques
 
Ne pas rendre compte régulièrement de ses expériences et de ses tâtonnements ou participer de manière épisodique aux manifestations de l'I.C.E.M. ne signifie pas pour autant qu'on renonce peu à peu à "travailler autrement" et qu'on retombe dans la routine et le traditionnel.
 
Mais on voudrait tellement aller plus loin, tellement faire plus qu'il apparaît parfois dérisoire de parler du quotidien, de ses tentatives, des petits perfectionnements techniques apportés à l'organisation de la classe. Oui, nous voudrions faire beaucoup plus que d'adapter les techniques Freinet à la structure des collèges, nous voudrions sortir de ces structures, en inventer d'autres qui nous libéreraient des contraintes d'emploi du temps, de salles disponibles, de sonneries à heures fixes. . .
 
L'ESPOIR DE NOUVELLES STRUCTURES
 
Il est urgent maintenant de définir de nouvelles structures de fonctionnement des collèges. Les commissions se sont réunies, les différentes associations ont été consultées. Il faut sans plus tarder bâtir un projet et ne pas se contenter d'inviter les enseignants à se prendre en main, en faisant preuve d'initiative et de responsabilité. Car de telles initiatives sont vouées à l'échec si on n'a pas auparavant mis en place, de manière officielle, un cadre où elles puissent se développer. Il peut sembler étrange de solliciter l'intervention de l'autorité supérieure, si souvent critiquée naguère pour son dirigisme, mais il faut donner une impulsion au mouvement.
Un enseignant qui voudrait agir actuellement dans son collège pour changer quelque chose ne pourra le faire s'il se heurte aux craintes du chef d'établissement ou au conservatisme de son entourage.
J'attends avec impatience de telles transformations. Je sais bien qu'il faut agir avec prudence, tenir compte de toutes les composantes et ne pas provoquer de traumatismes en bouleversant totalement le système éducatif. Pourquoi ne ferait-on pas cohabiter différentes formes d'enseignement, depuis l'équipe éducative jusqu'à la structure actuelle, mais en installant pour chacune d'elles les conditions nécessaires à son existence ?
 
TÉMOIGNAGE D'AUJOURD'HUI
 
Mais nous n'attendons pas le changement d'en haut pour changer. Voilà bien des années déjà que nous essayons de rendre nos classes plus vivantes, plus enrichissantes pour chacun en instaurant des conditions de travail favorisant l'imagination, l'expression et la création. Pour en témoigner, je vous relate un moment de classe en 6e, un de ces moments privilégiés où l'enthousiasme du professeur et la joie de découvrir des enfants se rencontrent.
Ces moments suffiraient presque à eux seuls à justifier nos techniques.
Dès le début de l'année, la classe de 6°3 s'est organisée et moins d'un mois après la rentrée nous avions déjà mis sur pied un inventaire des travaux en cours avec référence au programme et un plan de travail individuel pour aider chacun à répartir son travail personnel entre recherches et apprentissages (auto-correction, test)t. Le travail de recherche allait bon train. L'un des groupes s'intéressait aux lettres donc aux mots pouvant s'écrire avec une machine à calculer. Vous savez ! Frappez le nombre 713705 et retournez maintenant votre calculatrice, vous lisez le mot “ SOLEIL ”. Après beaucoup d'essais, les élèves ont su écrire des phrases qu'on allait donner à la classe sous forme de messages codés et qu'on allait demander de retrouver .
Pendant ce temps, Loïc et Barnabé travaillaient sur une fiche F.T.C. : il s'agissait de dénombrer le nombre de chemins possibles entre 2,3,4... villages. On trouva assez rapidement une méthode de recherche.
L'idée leur est alors venue de rechercher des situations de la vie courante qui se prêtaient à ce type de dénombrement. Ils n'y parvinrent pas vraiment. Un peu lassés, ils se promenèrent dans la classe, d'un groupe à l'autre, pour s'informer. Ils se rendirent compte soudain qu'ils pouvaient aider le groupe sur la calculatrice : ils proposèrent à leurs camarades de leur retrouver tous les mots de la langue française (sic !) pouvant s'écrire avec la machine, mots de 2 lettres, 3 lettres etc. Il suffisait de rechercher les mots formés des lettres O (0), 1(1), E (3), h (4), S (5), L (7), B (8), G (9). Une page puis deux puis trois pages entières de mots “ possibles ” ont été écrites et tout cela pour ne trouver qu'un très petit nombre de mots français.
Le problème est posé à toute la classe. On décide de se répartir le travail. Oui, mais ce serait trop long ! Soudain, un élève dit : "Si on faisait un jackpot !". C'est un appareil qui tourne et fait apparaître différentes figures. Ici, chaque figure serait une lettre.
La conception en sera toute simple : on montera des “roues à huit côtés” sur une tige et, sur chaque côté, on inscrira une lettre. C'est l'occasion pour toute la classe d'étudier les figures géométriques et d'écouter l'exposé de Sébastien et Arnaud sur leur travail : ils ont appris par eux-mêmes à construire le losange, le parallélogramme, le trapèze, l'hexagone et en particulier l'octogone. Ils vont donc expliquer à la classe leur méthode de construction de l'octogone que nous allons mettre immédiatement en pratique pour réaliser notre “Jackpot”. Chacun trace sur un carton puis découpe l'octogone, il s'associe ensuite avec un camarade pour réaliser la “roue” en collant entre les deux octogones une bande de deux centimètres de largeur. En deux séances de 1 heure chacune, nous avons construit un “Jack-pot” de 11 roues ! Loïc et Barnabé n'auront plus qu'à écrire sur leur feuille les mots ayant une signification dans la langue française sans écrire toutes les possibilités : il leur suffit de tourner les “roues” en respectant un certain ordre.
Est-il nécessaire, pour conclure ce compte rendu, d'insister sur l'intérêt d'une vie de classe riche, passionnante pour les élèves (et pour le prof !) , suscitant le besoin de chercher et d'apprendre ? Sans doute pas.
Permettez-moi cependant de rappeler encore une fois je profit qu'on retirerait d'une refonte réfléchie et audacieuse du système de fonctionnement du collège.
Claude ROBIOLLE
50200 COUTANCES
 
 

Mathématiques 1er cycle

Mai 1983
Mathématiques 1er cycle
Un exemple de tâtonnement
 
“ LE BROUILLON D'EMMANUEL. ”
 
En classe de 5°, nous travaillons sur les puissances, quand ils me disent avoir utilisé les puissances négatives de 10 en sciences.
Ils se posent la question, "pourquoi 10-2 = 0,01 ?" question que pour des raisons d'organisation nous gardons en réserve. Un peu plus tard, nous établissons ensemble que 10n : 10 p = 10n-p quand n>p et Yves remarque : "h oui, et si n < p on a un exposant négatif." On prend quelques exemples, tout le monde semble “voir ”.
Le lendemain, Emmanuel se met au travail : il cherche ce que signifie 10-4. Il écrit d'abord :
 
104 = 10 x 10 x 10 x 10                                                    A
10-4= (-10) x(-10)x (-10) x (-10)
             -------------     --------------
 100            100
 
et constate que ça ne va pas, puis
 
10-4= (-4) x (-4) x (-4) x (-4)                                             B
 
et vient me montrer son papier
 
Je lui réponds : " mais non, tu vois bien que ça ne va pas, souviens-toi de ce qu'on a vu hier, 102 : 106 = 102-6  = 104 "
Il repart à sa place et écrit :
 
102 : 105 = 10-3                                                                                                      C
112 : 102 ca ne fait rien
10-2 = 102 : 104
quand l'exposant est plus petit que le 2e exposant et si le nombre est le même, le résultat sera la différence entre les exposants.
 
Il revient me montrer sa feuille. Je lui repose le problème. " A quoi est égal 10-4? "
Il repart sur son idée de (-10):
 
10-4                                                                                       D
(-10) x (-10) x (-10) x (-10)
= (-10)4 = (10)-4
10-4= (-10) - (-10) - (-10) - (-10)
= (-10) + (+10) + (+10) + (+10)
      ---------------     ----------------
      0                    +    20
 
 
Il constate alors que ça ne mène à rien et reprend, alors seulement ce qu'on a vu la veille:
102 : 105                                                                                                                       E
102= 10 x 10 = 100
105=10x10x10x10x10= 100 000
100 : 100000
 
 
Et il revient me voir en disant "Alors là, je suis sûr que c'est ça! " Il n'a même pas pris la peine d'écrire le résultat ! Il prépare aussitôt son exposé sur une feuille propre.
Son travail a duré une heure.
 
Les réflexions que ça m'a inspirées :
 
I. Il n'abandonne son idée de (-10) que lorsqu'il a lui-même constaté qu'elle ne mène à rien. Mon intervention entre (A) et (B) est maladroite ou prématurée.
II. A la fin, il est sûr d'avoir trouvé, vraiment convaincu, alors qu'il n'est guère allé plus loin que la constatation de la veille. (J'avais alors pensé que le plus gros travail vers 10-2= 0,01 était fait.)
III. Les puissances, pour lui, ce n'était vraiment pas acquis si on regarde ce qu'il écrit en (D) !
IV. Mais à la suite de cette recherche, j'ai pu le constater, c'est acquis : définition, opérations, . . . il a compris.
Marie-Hé/ène CHASTENET
17220 LA JARRIE
 

Journaux scolaire

Mai 1983
PRATIQUES ET OUTILS
Depuis octobre 1979 jusqu'à décembre 1982, 20 titres de Journaux scolaires ont été déclarés à la C.P.P.A.P. pour tout le second degré
 
Journaux scolaires
 
J'envoie ici des pistes de réflexion qui doivent être affinées, précisées, nuancées. . .
Elles couvrent, je pense, tous les aspects de la pratique du journal et de l'imprimerie.
 
En tout cas, voilà les pistes de travail que je propose parce qu'elles me semblent intéressantes :
 
1 ) Le ou les journaux scolaires : historique, évolution de nos journaux. Aujourd'hui que sont-ils ? Comment vivent-ils ? Comment sont-ils fabriqués ?
 
2) Le journal en tant que technique coopérative :
- la socialisation dans nos classes, comment se crée-t-elle ? Autour de quoi ? Comment évolue-t-elle ?
- les plans de travail, quels rôles jouent-ils dans la pédagogie du journal ? Leur importance quand il s'agit pour les enfants de gérer le temps et l'espace ?
- les gestions financières et matérielles, quels types d'éducation favorisent-elles ?
Pourquoi refuse-t-on de passer à côté de ces contraintes et de ces sujets à conflits ?
 
3) Le journal en tant qu'outil d'apprentissages :
- par la lecture de son contenu, comment les enfants sont-ils amenés à progresser dans la connaissance morphologique et graphique de la langue française ? Par l'obligation d'être lu, comment les enfants sont-ils amenés à comprendre l'importance de la formulation des messages ?
- par l'écriture, et toutes les contraintes de type strictement scolaire comme l'orthographe ou la conjugaison, comment l'enfant conquiert-il tous ces outils à son rythme et pour ses besoins ? Ces deux aspects me semblent fondamentaux pour apporter un flot d'arguments intangibles à l'encontre de toutes les critiques prétextant notre pseudo-laxisme.
- apprentissage du goût
- apprentissage des repérages dans le temps et l'espace
- apprentissage de l'autre quand il faut faire équipe, quand il faut mener une interview, quand il faut défendre un dossier.
 
4) Le journal en tant qu'outil de culture :
- à travers tous les échanges et les enrichissements opérés par critiques dialectiques
- à travers la constitution dans nos classes de dossiers ouverts donnant lieu à réussite et de l'épanouissement
- à travers le choix des rubriques qui montrent qu'un journal scolaire ne peut pas rester un recueil de textes libres.
- à travers la pratique quotidienne des enquêtes d'enfants
- à travers le rôle social du journal qui est un reflet de la vie des enfants, en cela il est un référant pour les adultes qui le lisent.
 
5) Le journal en tant qu'outil thérapeutique.
Si certains d'entre vous ont des témoignages exhaustifs sur cet aspect du journal, il faudra bien les mettre en valeur sans en faire des sujets modèles.
 
6) L'imprimerie :
- Comment favorisa-t-elle les apprentissages fondamentaux de l'enfant sans qu'il y soit contraint artificiellement: en lecture, écriture, orthographe, syntaxe, logique, à travers les rangements ou la symétrie et en spatialisation à travers l'utilisation du caractère d'imprimerie
- comment l'enfant est-il amené par l'imprimerie à développer sa créativité subjective : titres, mise en page, recherche typographique, lisibilité qui sont au service de son expression personnelle. En quoi des possibilités de ce type sont-elles facteurs de créations poétiques chez l'enfant ?
- en quoi l'imprimerie est-elle facteur de construction de la personnalité chez l'enfant grâce surtout à la recherche en typographie.
- mais aussi à la nécessaire socialisation qui habite l'activité de l'imprimerie : comment la pensée de l'enfant chemine-t-elle de sa tête à la page écrite, quelles sont les aléas qui entourent ce cheminement ?
Voilà toutes les première questions qui méritent un premier volant de réponses.
A vous lire prochainement :
Réginald BARCIK
08330 VRIGNE AUX BOIS

Expression libre en espagnol

Mai 1983
Expression libre en espagnol
 
Texte mis au point dans un sous-groupe de l'E.P.I. (2) Ain - Doubs - Jura - Savoie avec la participation de Francine Chatelet (secondaire), Elizabeth Henne (éducatrice) Marie-Paule Lager (éducatrice), Dominique Leyris (secondaire), Françoise Thébaudin (primaire).
 (2) Equipe de pédagogie institutionnelle
Novembre 1981 - Mai 1982
 
Prof d'espagnol, j'enseigne depuis 10 ans dans le second cycle. . . Je n'aime pas m'ennuyer, je ne supporte pas de travailler avec des adolescents au visage inexpressif et lassé. Je préfère les élèves vivants et présents ; dans chaque classe, je tente de mettre en place une vie coopérative et l'institution “conseil”.
 
Chaque année, j'ai envie, avec eux, d'enraciner un peu plus dans leur vécu cette langue étrangère que je dois leur enseigner : correspondance de classe à classe avec un lycée espagnol, entraînement à la prise de parole, expression personnelle écrite. Cette année, je me propose d'approfondir cette voie. Je pense au dossier publié par la Brèche : “Des jeux pour animer un groupe”.
 
24 septembre 1981 :
Premier cours, première rencontre avec ces 24 adolescents de seconde (15-16 ans).
Après avoir demandé les renseignements d'usage, je donne la consigne : “Prenez une feuille. Décrivez un moment que j'ai aimé en cours de langue au cours de ma scolarité. - Un moment que je n'ai pas aimé.”
Les feuilles sont ramassées puis redistribuées au hasard pour lecture à haute voix.
Le groupe (12 filles plutôt silencieuses, 12 garçons plutôt bruyants) prend vie. L'écoute est bonne. On rit beaucoup. D'emblée, j'aime cette ambiance où les garçons impriment leur humour, leur franc-parler.
Au fil des jours, le travail de la classe se construit : apprentissage grammatical, expression orale, expression écrite dirigée et démarrage de la correspondance. Deux ou trois fois, à la fin d'un cours, nous commençons un “jeu” que nous n'avons jamais le temps de finir : cadavre exquis, questions réponses.
 
22 octobre :
Je décide de faire une “grande séance de jeux” avec l'espoir d'aboutir à la production de textes personnels. En fait, la séance s'étalera sur 30 mn + 50 mn le lendemain.
 Je propose en espagnol un début de phrase que chacun a pour consigne de compléter par écrit :
- " UNA NOCHE DE VERANO DONDE
   HAYLA LUNA LIENA...
- Une nuit d'été où il y a pleine lune. . . "
- " CUANDO ME DESPIERTO. . .
Lorsque je me réveille. . . "
Au moment de la lecture à haute voix, ils demandent à échanger leurs feuilles, ce que je n'avais pas prévu. J'hésite, j'accepte.
Tiens ! Ils réclament l'anonymat ? Qu'ont-ils donc à dire ? L'anonymat favoriserait-il l'expression libre ?
 
Environ un tiers des réponses provoquent une excitation croissante, un défoulement général : le même élève est ridiculisé à plusieurs reprises ; le contenu scatologique ou sexuel de certaines réponses engendre le rire : “Quand je me réveille, je me fais une branlette. . . tu me fais une pipe.”
C'est le défoulement. L'excitation est grande. Il y a malaise, je suis gênée.
Le rire serait-il une réaction de défense devant l'angoisse ? (Absence de règles de sécurité, de limites).
 
Qu'est devenu mon objectif d'expression personnelle ? Le discours provocateur de quelques-uns devient le seul mode d'expression.
Quelle expression pour quelle écoute ?
 
Les textes sont écrits dans un espagnol plus que douteux : je suis remise en cause en tant que prof ; je mesure les limites de mes connaissances.
J'essaie de “garder une contenance”. En fait, je suis très mal à l'aise ; pour continuer, je propose le “jeu” : “Le premier écrit une question commençant par POURQUOI ? . . . Puis, il replie la feuille de façon à cacher ce qu'il a écrit. Le suivant doit compléter : PARCE QUE... ”
 
Echange de feuilles. Le registre ayant été donné, le défoulement continue, l'excitation est à son comble.
Comment récupérer la situation ?
 
Je propose à chacun d'écrire quelques lignes à partir de 10 mots choisis par eux et écrits au tableau. Je censure seulement le nom de l'élève choisi comme tête de turc.
TENGO LOS HUEVOS DE IR A GRANADA EN TREN PORQUE NO SE PUEDE MEAR y ES PROHIBIDO ASOMARSE A LAS VENTANAS. PERO ME GUSTA GRANADA PORQUE ES UNA GRANDE CIUDAD. y PODEMOS HACER JUEGOS PELOGROSOS. ESPERAMOS QUE LOS CHltOS TENGAN EL PELO MORENO, PORQUE LOS ESPANOLES SON MUY GUAPOS CON EL PELO MORENO.
" J'ai les boules d'aller à Grenade en train, parce qu'on ne peut pas pisser et il est interdit de se pencher aux fenêtres. Mais j'aime Grenade parce que c'est une grande ville. Et nous pouvons faire des jeux dangereux. Nous espérons que les garçons auront les cheveux bruns parce que les espagnols sont très beaux avec les cheveux bruns. "
? PORQUE ME GUSTA IR A LA GRANDE CIUDAD DE GRANADA ? PORQUE MEAR EN LA CALLE NO ESTA PROHIBIDO NI TAMPOCO JUGAR CON UN HUEVO Y CON EL PELO. TODAS ESTAS COSAS NO SON PELIGROSAS.
" Pourquoi j'aime aller dans la grande ville de Grenade ? Parce que pisser dans la rue n'est pas interdit, ni non plus jouer avec un œuf et avec les cheveux. Toutes ces choses ne sont pas dangereuses. "
Qui parle ? Les auteurs ? Les parents ? Le prof ? La société ?
 
" Ah! Ah! Elle veut nous débloquer, nous allons voir ça... "
Si seulement EXPRESSION LIBRE était un mot magique qu'il suffisait d'évoquer pour arriver aux résultats escomptés ! Non mais, et la réalité ? . . . Bien protégés derrière ces quelques lignes anonymes, ils détournent mon “jeu” et instaurent le leur. Ma belle assurance, mon pouvoir, ma belle image de prof “copain-copain” en prend un coup...
Au fait, qu'est-ce qui est libre dans tout ça ? Liberté de se faire piéger par de prétendus jeux d'expression ? Pas fous, les jeunes savent bien que le risque est gros : causez, causez, et puis, après ?..
Que faire ?
Je sors du cours, épuisée. J'ai peur. Heureusement, il y a le week-end pour décanter .
Vais-je opérer une rupture radicale, imposer des exercices bien scolaires ? Ou bien vais-je tenter d'utiliser ce qui s'est passé pour une production écrite ?
Non, je n'abandonne pas.
 
6 octobre :
En arrivant en classe, je leur lis un choix de poèmes d'adolescents (tirés de GERBE sur l'école) et leur demande d'écrire un texte, comme ils veulent : de préférence en espagnol et seul ; mais s'ils le désirent, en français et à deux. Ceux qui ne l'ont pas fini à la fin du cours me l'apportent au cours suivant.
Je mets quelque chose entre eux et moi. Ils doivent non seulement créer, travailler selon certaines règles, mais aussi quitter le masque confortable de l'anonymat.
Ils écrivent des textes personnels, variés, qui me plaisent :
! HOMBRE !
HOMBRE, ? QUE PASA ?
? PORQUE LLORAS ? ES TU MUJER ?
? TU TRABAJO ? ?O LOS CHICOS ?
HOMBRE, DIME LO QUE PA SA.
? PORQUE ESTAS ENFADADO ?
? ES MI CULPA ?
HOMBRE DIMELO QUE PA SA.
--, ESCUCHA NINA. ESCUCHA LO QUE PASA.
MIRA MI VIDA, MIRA ME.
MIRA QUIEN SOY YO, UN VIEJO, Y ?
QUE MAS ? NA DA.
SOY UN POBRECITO Y QUlZAS MANANA ESTE EN OTRO MUNDO. MIRA, NINA, MIRA MIS MANOS, MIRA LA GENTE. Y UN DIA COMPRENDERAS.
- EXPLICAME, HOMBRE, ? QUE HA Y QUE COMPRENDER ?
EL HOMBRE NO RESPONDE, SU MIRADA ES CERRADA, SU CARA PARECE TRISTE.
- ? QUE PASA ?HOMBRE.
EL HOMBRE HA MUERTO. LA NINA LLORA DICIENDO.
" DIME TU L a QUE PASA "
PERO NINGUNO RESPONDE.
A. VIVIANE.
" Homme !
- Homme, Que se passe-t-iI ?
- Pourquoi pleures-tu ? C'est ta femme, ton travail, ou tes enfants ?
Homme dis-moi ce qui se passe ?
Pourquoi es-tu en colère ?
Est-ce ma faute ?
Homme, es-tu malade ? Veux-tu une infusion ?
Homme, dis-moi ce qui se passe.
- Ecoute, fillette. Ecoute ce qui se passe.
Regarde qui je suis, moi ; un vieux, et quoi d'autre ? Rien.
Je suis un malheureux, et peut-être demain je serai dans un autre monde.
Regarde fillette, regarde mes mains, regarde les gens, et un jour tu comprendras.
- Explique-moi, homme, que faut-il comprendre ?
L 'homme ne répond pas, son regard est fermé, son visage paraÎt triste.
- Que se passe-t-il, homme ?
L 'homme est mort. La fillette pleure en disant : "Dis-moi, toi, ce qui se passe ".
Mais personne ne répond. "
 
Cette production est photocopiée pour tous les élèves. Lors d'une autre séance, nous faisons un choix de textes.
Certes, le journal de la classe n'a pas abouti. Par contre, les textes choisis ont été envoyés aux correspondants et les élèves espagnols renvoient à leur tour un choix de poèmes d'auteurs consacrés, et d'autres écrits par eux.
Une impulsion a été donnée. Tout au long de l'année les élèves produisent des textes et je prendrai un vif plaisir à les corriger . C'est déjà pas mal, non ?
Expérience limitée, dans un temps donné. Puis-je parler d'expression libre ? Peut-être est-ce un début. . .
La classe a-t-elle “embrayé sur la vie” ?
 
Ce texte a été publié dans le n° 207-208 des Cahiers Pédagogiques.
Claudie FAVIER  01210 FERNEY- VOLTAIRE