La Brèche n°80, Juillet 1982

Juillet 1982

 

 

La Brèche, bulletin du Secteur Second Degré de l'ICEM
1974 - 1984, dix numéros par an
Des réflexions, des témoignages de pratiques, des comptes-rendus de lectures, de débats, ......

 

L'école unique : à quelles conditions ?

Juillet 1982
L'école unique : à quelles conditions ?
 
Tel est le titre du livre de Louis Legrand dont Daniel Louis Etxeto nous rend compte ici. Cet article a été écrit pour la revue l'Ecole Emancipée, dans laquelle Daniel Louis Etxeto anime la rubrique Ecole.
L'Educateur, dans son numéro de rentrée, présentera un entretien avec Louis Legrand.
 
Louis Legrand, ancien directeur de recherches à l'Institut National de Recherche Pédagogique, publie chez Scarabée (Editions des C.E.M.E.A.) L'Ecole unique : à quelles conditions ? Ecrit pendant la fin du règne giscardien, cet ouvrage récemment sorti en librairie prend aujourd'hui un relief tout particulier. On sait en effet que Louis Legrand s'est vu confier par M. Savary la conduite d'une mission d'étude afin de faire des propositions pour une insertion satisfaisante du collège dans l'école de base annoncée par le programme présidentiel.
On comprend donc l'intérêt que prennent aujourd'hui les réflexions d'une personnalité qui a conduit, en des temps difficiles il est vrai, des recherches et des expérimentations tournées vers une profonde rénovation du système éducatif et de la pédagogie (1).
 
Espérons que ces réflexions inspireront largement le rapport final que Louis Legrand remettra à M. Savary en fin d'année. S'il en était ainsi, souhaitons surtout que la mise en œuvre de ses propositions n'en dénature ni l'esprit ni la portée. Mais peut-être leur auteur sera-t-il appelé à y contribuer de près.
Les questions sur lesquelles s'ouvre ce livre sont celles qui ont mobilisé les passions autour de la préparation des lois laïques ou de la réforme Fouchet en 1959 (extension de l'obligation scolaire au premier cycle) ; et si notre époque retrouve ce même climat passionné de “guerre scolaire”, c'est que les mêmes questions philosophiques et politiques se reposent aujourd'hui.
En choisissant cet angle d'attaque, qui constitue la première partie de son étude, l'essai de Louis Legrand est philosophique et politique avant d'être technique et pédagogique. Pour lui, l'unification de l'école, dans sa dimension politique, comporte deux aspects. L'un est idéologique, l'éducation assure une fonction d'unification sociale, perpétuant et renforçant la cohésion de la société ; l'autre est socio-politique puisque l'éducation assure également les formations différenciées correspondant à l'organisation sociale et technique du travail.
 
L'UNIFICATION SOCIALE
 
La fonction d'unification sociale n'a pas toujours été dévolue à l'école ; avant elle, c'est l'Eglise qui l'assumait. “L'esprit théologique” était alors le principe unificateur de la société et fondait une philosophie éducative où la lecture des textes sacrés permettait l'accès aux modèles éducatifs, l'autorité pédagogique elle-même était fondée sur le caractère sacré du magister représentant de Dieu.
 
La recherche d'un principe idéologique unificateur n'est pas toutefois simple affaire de philosophie, et le choc des “valeurs” est en relation avec les conflits pour l'appropriation du pouvoir. Ainsi les débats du XIXe siècle autour de l'école sont-ils nés et ont-ils grandi avec la société industrielle et sur la toile de fond du combat politique opposant la bourgeoisie républicaine aux cléricaux partisans de l'ancien régime. La laïcité, c'est donc tout ce climat qui baigne l'ensemble de l'époque. Dans ce conflit idéologique et politique, les “hussards noirs” seront les fantassins, occupant les premières lignes, diffusant les valeurs nouvelles, la foi au progrès de l'humanité, la science qui permet d'ébranler la superstition et la croyance fondée sur l'autorité du prêtre, la République une et indivisible (l'unicité de la langue en est l'un des aspects et s'oppose aussi au parti pris des curés de campagne qui se font les protecteurs des traditions et des langues nationales), l'amour de la Patrie. L'école républicaine s'est donc imposée dans un combat, proposant ses modèles culturels et pédagogiques alternatifs fondés sur l'autorité d'un maître laïc porteur de valeurs et d'une morale nouvelles (cette conception pédagogique est à rapprocher, note Louis Legrand, de la philosophie éducative d'un Snyders).
 
Cependant les valeurs de l'école laïque se dissolvent peu à peu ; l'esprit positiviste qui s'était substitué à l'esprit théologique est miné à son tour : le patriotisme paraît désuet, la science est mise en cause et le scientisme n'a guère bonne presse, les travaux de nombreux sociologues (Baudelot, Establet, Bourdieu...) ont ruiné le mythe de l'école libératrice en mettant en évidence que l'école libère d'abord les enfants des couches sociales privilégiées. Bref, le modèle est en crise, et il n'existe plus aujourd'hui de principes idéologiques largement acceptés qui puissent fonder solidement la fonction unificatrice de l'école.
 
A l'effacement de la culture classique et à la dissolution de certaines valeurs de l'esprit positiviste ou républicain (patriotisme, scientisme...), répond le rôle croissant des media, vecteurs d'une “communication de masse”, aujourd'hui mieux adaptés que l'école pour dessiner les contours d'un nouveau consensus idéologique assurant la cohésion d'une société soumise à de nombreuses forces centrifuges.
 
LE SYSTEME DE FORMATION
 
L'autre aspect de l'approche politique du problème est la fonction de différenciation des formations qualifiantes assumée par l'école.
Louis Legrand observe que les débats du XIXe siècle se sont développés avec l'avènement de la société industrielle ; de même en 1959, la mise en place du collège unique procède de prévisions (optimistes) sur l'évolution de la société industrielle, l'époque est marquée en effet par une forte croissance industrielle et un puissant développement du tertiaire.
Cependant les conditions qui ont amené le régime gaulliste au collège unique sont aujourd'hui totalement dépassées. La crise des économies occidentales n'en finit plus, les bouleversements technologiques ne sont pas, comme on le pensait en 1960, générateurs d'emplois qualifiés, au contraire les “machines intelligentes” demandent des emplois de moins en moins qualifiés, l'informatique et la télématique appellent de vastes “dégraissages”, y compris dans le tertiaire, le chômage devient un phénomène de masse et structurel de la société contemporaine.
 
L'image de l'école comme moyen de promotion sociale devient elle aussi une image d'Epinal.
Pour Louis Legrand, ce tableau amène à “repenser radicalement la place du travail” dans notre société et surtout la hiérarchie des revenus qui y est attachée. C'est là un problème politique de base dont la résolution commande finalement toute transformation profonde du système éducatif” (2).
 
Sur le plan du système éducatif, “la nouvelle structure de l'emploi libère en quelque sorte l'école de 6 à 16 ans) de toute préoccupation pratique et devrait permettre la réalisation intégrale de
l'objectif d'unification par la culture générale (...) l'alignement des formations sur la culture générale secondaire antérieure doit être abandonné (...) et il convient, au contraire, d'ajuster le système d'enseignement général aux besoins immédiats diversifiés des élèves”.
 
UN PROGRAMME COMMUN D'EDUCATION
 
A partir de ces orientations, Louis Legrand développe dans la deuxième partie de son ouvrage les grandes lignes d'un “programme commun d'éducation” pour les enfants de l'école de base de 6 à 16 ans ; il articule ses propositions en deux chapitres dont les titres ( “D'abord apprendre à vivre”, “Connaître pour se situer”) annoncent déjà des points de vue qui rompent totalement avec les conceptions traditionnelles.
 
D'abord apprendre à vivre
 
Il faut remettre en cause “l'école du verbe et de l'abstraction”, car “dans les premiers cycles plus encore qu'à l'école élémentaire, le primat des disciplines tend à préférer le discours et l'explication verbale à l'action véritable”.
 
La philosophie que propose Louis Legrand vise donc d'abord la socialisation, et “en ce sens l'éducation doit être d'abord action, en second lieu seulement connaissance”, “une telle pédagogie sera nécessairement coopérative” et le contrat collectif y tient une place essentielle, “le contrat est donc une règle de vie adoptée après débat et respectée sous le contrôle de la collectivité. Il y a donc norme et modèle. Mais cette norme n'est pas imposée : elle est produite par les individus contractants et correspond aux besoins fonctionnels de la vie collective. Le rôle du maître est évidemment capital (...) il crée les conditions institutionnelles du débat, de la prise de décision et du respect des engagements contractés. Il n'est plus le pouvoir mais le gardien de la constitution (...) Une telle vie coopérative doit Être le fond commun de l'école unique (...).
 
L'atteinte de la socialisation exige un rééquilibrage audacieux des activités scolaires (...) se restreindre à ce domaine (cognitif) c'est soit accepter que l'école laisse hors de sa compétence le domaine socio-affectif, soit plus encore s'illusionner sur les effets possibles de transfert de la sphère cognitive à la sphère des relations sociales ”.
 
Connaître pour se situer
 
Le programme commun propose quatre grands types d'activités :
- L'action sur la nature ou sur les hommes (univers technique),
- L'étude de la nature (domaine de la physique, de la chimie, de la biologie, des sciences humaines),
- L'expression dans les domaines artistiques (plastiques, musicaux, corporels, poétiques, théâtraux, etc.),
- Des activités métalinguistiques (math, langues).
 
Il s'agit d'un “quart temps pédagogique” car “Chacun de ces domaines devrait se voir créditer d'un horaire équivalent (...) Il s'agit d'opérer ici une analyse plus fine des activités disciplinaires et surtout de réorienter leurs contenus et leurs méthodes” ; mais il faut bien comprendre que dans l'esprit de son auteur, dans ce programme commun, “le savoir doit donc être subordonné à l'atteinte des objectifs généraux et non, comme aujourd'hui, constituer un territoire autonome envahissant. Il convient de détrôner le métalangage et en particulier la dictature des mathématiques abstraites qui sert si bien les besoins de la sélection sociale”.
L'activité intellectuelle ainsi remise à une place plus modeste, sera organisée autour de dominantes référentielles (connaissance de l'homme dans ses diverses dimensions, connaissance de la nature, apprentissage technologique, apprentissages métalinguistiques), mais afin de ne pas tomber à nouveau dans la croyance naïve et éculée que la science et l'esprit humain sont tout-puissants, “les études référentielles devront donc être mises en perspective philosophique. L'épistémologie et la critique des sciences devront être enseignées de façon appropriée dès l'école élémentaire ”.
 
LA PRISE EN COMPTE DE LA DIVERSITE
 
Autant dire que Louis Legrand nous propose un véritable bouleversement des contenus, des méthodes et même des objectifs éducatifs. Dans la dernière partie, soucieux de traduire en propositions concrètes son école unique, c'est le pédagogue qui parle. Comment en effet proposer un programme commun dans une école unique à des populations scolaires extrêmement diversifiées ? Louis Legrand s'emploie dans cette partie à esquisser quelques réponses, sans omettre de rappeler une fois encore que la solution à ce problème n'est pas exclusivement pédagogique ; pour lui, il est clair que ses propositions “ne peuvent trouver leur plein effet que si l'action politique transforme corrélativement les conditions de vie des classes populaires," faute de cela, “son aménagement intérieur (de l'école) ne pourra constituer qu'un palliatif apaisant qui ne saurait longtemps faire illusion pour les adolescents”.
 
Hétérogénéité, homogénéité
 
Sur le plan pédagogique, Louis Legrand propose une politique diversifiée et souple qui vise à prendre en compte la diversité par des groupes optionnels laissant aux élèves la liberté de choix selon leurs motivations, il préconise également des groupes de niveaux temporaires ou permanents dans les domaines construits (maths, orthographe, lecture) à partir de groupes hétérogènes de base dans le cadre desquels le quart temps pédagogique devrait donner son plein effet socialisateur ; mais Louis Legrand insiste également sur la nécessité d'une autonomie locale portant tant sur la constitution des groupements que sur l'adaptation des programmes nationaux.
 
En tout cas, il condamne clairement toutes les solutions ségrégatives, y compris le soutien qui “doit être abandonné au profit d'une stratégie plus souple permettant aux différentes cultures de 's'exprimer dans le cadre commun de l'école unifiée. La première condition d'une semblable prise en compte est l'abandon (...) de la tyrannie de la culture scientifique. A partir du moment où cette culture n'est plus considérée comme le tout de la culture - ou la partie noble de l'enseignement - à partir du moment où l'expression artistique et physique, la production technique et la sociabilité sont considérées comme des éléments fondamentaux de la culture scolaire, alors un pas décisif est franchi vers une école unique, lieu de vie pour tous et non système de sélection sociale et technocratique”. La culture intellectuelle n'est cependant pas rejetée par Louis Legrand, il en reconnaît la “valeur universelle” et pense même que “l'accès à la pensée scientifique reste, en tout état de cause, un objectif commun indispensable.
 
Il convient donc de chercher les moyens de cheminements diversifiés permettant de conduire à la pensée hypothético-déductive formelle tous les élèves, quel que soit le point de départ où les situent les conditions initiales de vie familiale”, mais encore une fois il rappelle que “l'école ne peut tout faire” et en tout cas elle ne peut se substituer à l'action politique. Toutefois le changement d'atmosphère de l'école constitue pour Louis Legrand un facteur éminent de progrès intellectuel; la pédagogie différenciée qu'il appelle de ses vœux n'est donc pas un retour pur et simple aux filières mais une perspective nouvelle qui voit par exemple l'apprentissage des mathématiques s'enraciner dans l'action et celui du français dans la communication et l'expression ; cette conception l'amène à souligner l'importance de la transdisciplinarité, c'est-à-dire d'une démarche qui ne se contente pas d'une simple coordination des disciplines (comme dans une conception généralement répandue de l'interdisciplinarité) mais bien d'une approche multiforme dans les activités référentielles où les apprentissages découlent “des besoins propres de l'individu” et empruntent une démarche tâtonnée leur laissant la plus large autonomie.
C'est en fin de compte une nouvelle relation au savoir que prône Louis Legrand.
 
Quels professeurs ?
 
Dans ce domaine la querelle, on le sait, se circonscrit autour des apprentissages intellectuels (encore !) et ne porte jamais sur les objectifs généraux. Il y a là une réalité qui traduit un consensus sur les fonctions de l'école en mettant en relief les conditions de l'apprentissage disciplinaire. Les polémiques entre les divers syndicats sur la formation des enseignants empruntent ainsi toujours les mêmes sentiers battus et en fin de compte ne remettent pas en cause le fonctionnement du système éducatif .
 
Sur ce chapitre également, les conceptions de Louis Legrand sont novatrices et anti-conformistes. Il souhaite un corps unique des maîtres et donc un tronc commun de formation avec possibilité d'options diversifiées, mais pour lui, cette formation doit “s'enraciner dans la pratique pédagogique réelle et suivre les voies classiques de la recherche action”, elle doit s'appuyer sur les sciences de l'éducation car “l'enseignement est un métier spécifique et non un sous produit occasionnel de la recherche disciplinaire universitaire (...). C'est pourquoi il convient de combattre les tendances classiques à la seule formation universitaire de “haut niveau” où se manifeste surtout une méconnaissance totale des besoins spécifiques de la formation dans le cadre d'une école démocratique (...) “Haut niveau” certes, mais haut niveau spécifique d'éducation”.
 
Ce court article ne pouvait prétendre rendre compte de la totalité des analyses et des propositions de l'auteur de l'Ecole unique ; il se proposait plus modestement d'en souligner quelques idées maÎtresses. Les curieux se reporteront au texte. Ce court essai (200 p.) ne se lit guère comme un ouvrage “théorique” tant sa lecture est alerte et l'intérêt toujours en éveil, pourtant on referme ce livre en ayant le sentiment d'une pensée forte, généreuse et novatrice, et en souhaitant que cette école unique “de rêve” finisse par s'imposer à tous les conservatismes et à toutes les pesanteurs.
Daniel Louis ETXETO
 
NOTES
 ( 1) Voir Pour une politique démocratique de l'éducation (P.U.F. 1977).
C'est un ouvrage passionnant où Louis Legrand, qui était encore à l'I.N.R.P., apporte son témoignage sur les raisons des ratages successifs des réformes, sur les freinages de la hiérarchie et des forces politiques de droite, sur la neutralisation des innovations. Une moitié de ce livre est consacrée à définir une stratégie pour une politique novatrice de l'éducation. ce livre a été présenté dans le n° 4 du 20 octobre 1979 de l'E.E. Ces deux livres de Louis Legrand sont évidemment en vente à la librairie de l'E.E.
(2) Tous les passages soulignés le sont par moi (D. L.E.).

Histoire et géographie : pourquoi faire?

Juillet 1982
Histoire Géographie
Nous rapportons ici des extraits d'un article paru dans le bulletin d'Histoire-Géographie n° 8.
 
 
1. HISTOIRE-GEO : POUR QUOI FAIRE ?
 
A. L'histoire-géo dans le cadre traditionnel
 
1. Pas question de perdre son temps à analyser les discours des textes officiels.
Prenons le problème “au ras des pâquerettes”, c'est-à-dire au niveau de ce que nous - nous, les profs et les élèves - vivons tous les jours. Force est alors de constater que l'institution “Ecole” fait tout pour couper l'individu de son passé et du monde qui l'entoure.
 
2. Dans ce contexte général d'“enfermement”, que vient chercher l'élève dans les cours d'histoire-géo ? Surtout le dépaysement, un peu de rêve et d'évasion. La vie fastueuse des pharaons, le voyage de Marco Polo, le mode de vie des Américains d'aujourd'hui font toujours recette. Qu'y trouve-t-il ?
Mais il y a le reste, le discours du prof.
Toujours aussi scientifiquement cohérent que possible. Et qui porte sur des réalités tout à fait extérieures au petit monde de la classe, où il est question de choses sérieuses graves : l'affermissement du pouvoir absolu en France au XVie siècle, les luttes nationales en Europe au XIXe siècle. Parfois, il est même question de “lutte des classes”...
Et très vite, le (dis)cours secrète l'ennui chez la majorité des auditeurs...
 
Dans un cas comme dans l'autre, c'est la réalité extérieure (passée ou présente, mais toujours plus ou moins éloignée de la réalité des élèves) qui pénètre dans la classe de manière impromptue par l'intermédiaire du prof. Ce qui transforme les élèves en spectateurs (satisfaits, mécontents ou... tout simplement polis).
La coupure observable à l' œil nu entre l'individu et son histoire ou le monde dans lequel il vit, devient donc rapidement plus profonde: l'élève ne voit pas comment il pourrait se (re)connaître dans ces bribes de réalité qu'on lui impose.
L 'histoire-géo est subie comme pur objet de connaissances spéculatives, coupées de la vie des gens.
L 'histoire-géo, c'est bien connu, “ça sert à rien”.
 
 
B. Et si “faire de l'histoire” ça pouvait, un jour, servir à “faire l'histoire” ? C'est-à-dire œuvrer à la construction de l'avenir. Si, de spectateur passif, l'individu devient sujet actif et conscient du monde où il vit ?
 
1. C'est ce qu'on essaie de faire au niveau du microcosme de la classe en donnant aux élèves la possibilité de maîtriser l'espace et le temps qui nous sont impartis, donc de posséder une parcelle de pouvoir sur le devenir du groupe.
Dans le cadre plus spécifique des “sciences humaines” on peut de la même manière essayer de tout mettre en œuvre pour que chacun puisse s'approprier son histoire (individuelle et/ou collective), se situer dans le monde où il vit, où il vivra en tant qu'adulte.
 
2. De pareils objectifs supposent évidemment une démarche inverse de celle énoncée auparavant = ce n'est plus l'extérieur (au sens de étranger à, coupé de l'élève) qui s'impose par prof interposé, mais chacun qui part à la rencontre du passé ou du présent pour répondre à ses propres interrogations, ses angoisses, ou simplement ses curiosités du moment. A chacun de découvrir les pesanteurs, les contraintes, les absurdités du monde où il vit, mais aussi d'en saisir les dynamismes, les virtualités, les motifs d'espérer, donc de vivre. Alors l'histoire et la géo cesseront d'apparaître comme un “donné” d'autant plus immuable et intouchable qu'il se pique davantage de scientificité.
 
Libres recherches, tâtonnement, libre expression, communication de cette expression, confrontation avec d'autres formes d'expression ou d'autres points de vue deviennent les conditions facilitantes à mettre en place dans cette nouvelle pratique de l'histoire-géo destinée à permettre à chacun d'avancer sur le chemin de son autonomie : comprendre qui je suis, où je suis et pourquoi, c'est-à-dire ce qui me détermine, c'est le premier pas vers une prise en charge plus grande de moi, vers une prise de conscience de mes possibilités d'accepter ou de refuser ce qui me “produit”.
 
 
 
2. DE QUELQUES PROPOSITIONS CONCRETES
 
Permettre à chacun de prendre en compte seul et/ou en groupe ses désirs, ses intérêts profonds ou momentanés, de conduire ses recherches de la façon la plus autonome possible et, enfin, de communiquer de la manière qu'il lui plaira son point de vue à la classe (ou ailleurs), en somme, créer les conditions les plus favorables possibles à l'émergence des désirs au sein de la classe : si cela constitue bien une tâche prioritaire “car sans le désir, rien ne peut advenir”. F . Oury dans “Qui c'est l'conseil ”, il s'agit aussi d'une tâche qui n'est en rien spécifique à l'histoire-géo.
Ici, comme ailleurs, la liberté des élèves sera d'autant plus grande qu'ils auront en permanence à leur disposition un nombre plus grand d'outils pour les aider dans les différentes phases de leur démarche. Et ces outils - au moins tous ceux qui ont à voir avec le “contenu” de nos disciplines - ne peuvent qu'être spécifiques à l'histoire-géo.
 
A. La mise en place de ces outils nous incombe donc à part entière. Les éléments disparates ont déjà été publiés ici ou là (notamment, bien sûr, dans les précédents bulletins), surtout au niveau de la méthodologie (soit du point de vue du prof, soit du point de vue de l'élève).
 
Le projet de dossier a déjà l'immense mérite de recenser les besoins en proposant un catalogue des directions dans lesquelles se mettre à élaborer des outils.
Ce que je voudrais proposer ici, c'est la mise en chantier d'un outil global pour les élèves - appelons-le fichier - qui regrouperait tout ce qui pourrait faciliter le travail autonome (de l'individu isolé du groupe).
 
Un tel fichier pourrait regrouper quatre types de fiches :
1. Des fiches techniques :
- pour analyser une information,
- pour présenter une information,
- pour exprimer son point de vue,
- etc. (voir celles parues dans le bulletin n° 7).
2. Des fiches-guides renvoyant à :
3. Des fiches documentaires
4. Des fiches de libre-expression.
 
C'est sur ces trois derniers types de fiches que je voudrais maintenant m'attarder .
 
B. Pour que ces fiches puissent répondre aux objectifs fixés plus haut, je me suis fixé deux exigences :
 
1. Les fiches ne doivent pas imposer de discours (historique ou géographique) c'est-à-dire en fait MON discours, MA conception de l'histoire ou du monde actuel. Au contraire, elles doivent permettre à chacun de développer son point de vue à partir d'un certain nombre d'informations. Pour cela, il me semble que la fiche-guide doit se contenter :
 
a) De renvoyer l'élève à un certain nombre de matériaux, d'informations, de documents (contradictoires ou complémentaires) : ce sont les fiches “documentaires”, d'abord résultats de choix opérés par le prof, mais par la suite - il faut l'espérer - complétés par les élèves (autres documents choisis ou collectés par eux-mêmes).
Chaque document est accompagné de questions ou d'explications destinées à :
- en assurer la compréhension immédiate,
- en apprécier l'intérêt ou la portée.
 
b) D'inviter l'élève à mettre ces informations en relation, à les comparer, les ordonner pour élaborer son point de vue sur la question. C'est cette démarche que doivent susciter les questions plus synthétiques inscrites après les renvois aux fiches documentaires.
 
2. Les fiches doivent permettre à chacun de travailler à son rythme, d'aller jusqu'où il veut dans l'approche de la question choisie. C'est ce qui explique l'organisation d'ensemble de la fiche-guide et du fichier lui-même :
 
a) Le renvoi à deux types de fiches documentaires :
- Celles qu'il est indispensable de consulter pour être en possession du minimum d'informations nécessaires à la connaissance du sujet (elles sont soulignées d'un trait).
- Les autres qui apportent des points de vue ou des informations complémentaires (consultation facultative).
 
b) La deuxième partie de la fiche-guide avec les deux rubriques :
- “Si tu veux aller plus loin” qui renvoie à des informations plus détaillées et qui peut proposer des recherches personnelles...
- “Si tu veux savoir ce que d'autres en pensent” qui renvoie aux fiches d'expression libre rédigées par les élèves eux-mêmes' (confrontation de points de vue...)
 
Pour ne pas conclure, je voudrais poser deux questions :
- De telles fiches sont-elles, dans leur esprit, conformes aux buts poursuivis et présentés précédemment ?
- Si l'idée d'un tel fichier apparaît utile, peut-on se mettre d'accord sur quelques principes de base (conception d'ensemble du fichier, des différents types de fiches) susceptibles de donner au travail de chacun un minimum de cohérence et d'harmoniser l'ensemble pour arriver aussi rapidement que possible à la réalisation d'un fond de fiches utilisables dans nos classes ? Pas question de parler de réalisation définitive (chacun pourrait ensuite l'enrichir en fonction de ses conditions locales, des préoccupations de ses classes...), mais d'une base à partir de laquelle pourrait s'enraciner un travail individualisé et qui deviendrait à son tour source d'enrichissement de l'outil collectif, etc.
Jean-Pierre BOURREAU
Guebwiller