La quête de l'innommé

Avril 2004

 


CréAtions 111 - La quête de l''innommé - publié en mars-avril 2004

Maria Desmée, peintre - Simone Cixous pour CréAtions

 

 

La quête de l'innommé

Dans la Somme, un novembre noyé de pluie, paysage de terre grasse et sombre où le temps s’emploie à masquer, recouvrir les traces de la violence sourde des guerres. Nous avons rendez-vous avec Maria Desmée, peintre : comme un révélateur et en contre point à cette violence, œuvre de mort, les toiles que Maria nous présente explosent d’une autre violence, combats, force de vie, jaillissements, flux, éclats, naissances, rouge triomphant aux bords de gouffres noirs, une aventure du regard dans la matière couleur en œuvre, qui nous jette hors des limites de la toile, hors de nos propres limites.


Corps à corps avec la toile

“ Dans son geste, son coup de pinceau, dans son attaque comme on dit d’un interprète, un feu semble vouloir donner sa chaleur, son élan, et même son insatiable appétit. Les toiles débordent, se veulent en expansion permanente, en extension acrobatique sur le vide. Elles s’entendent à prendre de l’espace la part sans fond, la nuit sans attaches, la course en avant – c'est-à-dire vers vous et qui vous saute au visage – de la lumière et du souffle d’une explosion ”.

Á ce regard du poète Werner Lambersy, peut être associé celui d’un autre poète, Gilbert Desmée :

“ La peinture de Maria Desmée est non figurative, mais loin d’une abstraction, elle nous parle de feu, d’air, de roche, de faille, de fusion, d’arrachement, de pénétration, de rencontre, d’émotion, de sentiments, d’infimes moments de vie et, tout naturellement, de l’être dans ce qu’il a de pénétrant, de sa faiblesse, de sa grandeur, de ses incohérences, de ses désirs et de ses jouissances ”.


Capter l’insaisissable


Maria écrit de sa peinture qu’elle est quête de l’innommé :

“ J’essaie de donner du souffle, de capter l’insaisissable, l’invisible, le fugitif ; cette parcelle d’étincelles qui donne une couleur forte à nos sentiments. Ma peinture s’attache à ce que l’être porte de plus profond en lui. Elle déborde du cadre strict du carré ou du rectangle de la toile au même titre que l’émotion déborde du corps.
Entre la matière et l’humain, il y a un corps à corps qui tantôt fusionne, tantôt se sépare, une force essentielle qui délimite et élargit l’espace, qui reflète le paysage intérieur dans ses émotions fortes. La matière est granuleuse comme des points d’encrage dans la mémoire, tactile et éphémère à la fois. La peinture essaie de mettre en espace soit des fragments d’intensité corporelle, émotionnelle, soit de larges traversées de mouvements vifs qui sont en rapport avec l’univers, et, traitées dans une gestuelle qui se prolonge au-delà des limites formelles, dans l’infini.
L’attachement que je porte à la gravure et au travail avec les poètes, vient du fait que la poésie me semble le mieux répondre au monde par son fondement métaphorique. Je fabrique des images lorsque mon imaginaire croise la force de l’imagination de l’autre qui se projette en moi. Le champ sémantique est un champ coloré de forces intérieures, il rejoint le champ de ma peinture dans des visions complémentaires, car le poète peint aussi mais avec des mots.
Habiller l’espace d’une vibration intense, dans un soulèvement d’images ponctuées d’un phrasé poétique, me semble répondre à un certain nombre d’interrogations qui traverseront toujours l’humanité comme elles le font depuis l’antiquité pour essayer d’élucider une part de mystère ”.

 

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Maria Desmée