Non à toute orientation basée sur le Q.I.

Octobre 1974

—    L'intelligence est héréditaire.

—     L'intelligence n'est pas héréditaire.
—     Les tests de niveau mental mesurent l'intelligence pure.
—    Les tests de niveau mental ni ne peuvent mesurer l'intelligence pure, ils ne peuvent que constater et refléter tout ou partie de l'acquis et du vécu de l'enfant.
—     Le Q.I. est la seule mesure valable de l'intelligence générale de l'enfant.
—     Le Q.I. est fonction de l'origine de classe et il n'est pas constant.
Le ton monte entre les spécialistes, les certitudes s'écroulent.
ET POURTANT
L'idéologie des dons continue à être véhiculée par les tenants du pouvoir, afin de masquer les facteurs sociaux et culturels, sur lesquels ils fondent, en réalité, la sélection à l'école, idéologie, hélas, souvent admise par ceux qui en sont les victimes comme en témoigne leur discours :
Tout le monde ne peut pas être doué pour les études. Il n'y a aucune honte à être travailleur manuel ! Il n'y a pas de sots métiers !
Remarquons que les favorisés de l'école, ajoutent, discrètement :
Il faut bien des balayeurs !
Il faut bien des O.S. et des manœuvres, des travailleurs sans qualification pour les travaux nécessaires au bas fonctionnement de la machine capitaliste, et qu'on peut payer le moins possible.
Le VIe plan estime à 20 % des travailleurs, le nombre de non qualifiés nécessaire, l'école sera chargée d'y pourvoir et elle est fort bien organisée pour cela, avec ses filières impasses et ses examens.
Il est vrai qu'il n'y a aucune honte à être un travailleur manuel et une société socialiste devra, dans un premier temps, donner une égale dignité à tous les travailleurs, en attendant de pouvoir supprimer les distinctions entre manuel et intellectuel. Mais dans notre société capitaliste ce sont toujours les enfants issus des classes sociales populaires qui sont les « manuels », la mobilité sociale étant seulement le fait de quelques rares individus. De ceux-là on dit qu'ils sont doués, alors, les autres, sont-ils donc nés moins intelligents ?
Moins intelligents ! C'est bien là qu'en général on situe la cause des retards et échecs scolaires, et cela arrange fort bien la classe bourgeoise :
Votre enfant n'est pas intelligent, vous n'y pouvez rien, c'est comme ça !
Mais nos dirigeants sont épris de justice et d'égalité, alors ils ont prévu des circuits scolaires particuliers pour « aider » les plus démunis : classes de perfection­nement, classes de transition. Quels bons principes nous avons !
Des enfants n'arrivent pas à suivre les normes de l'école laïque, obligatoire et gratuite, destinée à donner à tous, le même savoir et la même culture, c'est donc qu'ils sont anormaux... Et Binet invente son échelle métrique de l'intelligence... et bientôt apparaît le quotient intellectuel...
L'étiquetage commence et les victimes principales en sont les enfants des classes populaires : c'est parmi eux que les tests étiquettent le plus grand nombre de débiles, de crétins, d'arriérés et d'idiots (1).
Le Q.I. est roi.
Le Q.I. est un verdict sans appel.
Le Q.I., s'il est bas, suivra l'enfant « comme un casier judiciaire, tout au long de sa scolarité ».
Chacun, s'il a reçu un brin de formation psychologique a le droit de participer à la chasse aux débiles, l'administration lui en fait d'ailleurs souvent un devoir —chaque années des maîtres spécialisés sont obligés de participer au dépistage, en lieu et place des psycho­logues scolaires, dont le nombre est insuffisant —. Or René Zazzon dans un entretien accordé au Nouvel observateur (n" 56 du 29 avril 1974) affirmait que le Q.I. ne peut être interprété que par un spécialiste hautement qualifié.
Il a raison, comme il a raison de répéter inlassablement à ses étudiants, qu’ils ne doivent jamais donner un chiffre de Q.I. aux parents et aux maîtres. On sait depuis les travaux de Rosenthal et Jacobson (Pygmalion à l'école) (2) que les préjugés d'une personne sur le comportement d'une autre peuvent devenir des prophéties à réalisation automatique. Le Q.I., constat des capacités d'un enfant, à un certain moment, dans certaines circonstances, face à certains problèmes, risque de devenir pronostic de succès ou d'échec dans l'esprit des éducateurs et de ce fait, succès ou échec réel par l'effet d'un certain nombre de facteurs désormais regroupés sous l'expression d'« effet Pygmalion ».
On ne sait pas encore comment les maîtres provoquent une compétence intellectuelle simplement en l'espérant, mais on sait que cela existe. Donc, tout enfant étiqueté d'une manière ou d'une autre, non doué, inapte, débile, déficient, sera stimulé à rebours. Or, lorsqu'un enfant est en échec scolaire si qu'il obtient moins de 80 de Q.I. à un test quelconque, il est susceptible d'être placé dans une classe de perfectionnement et de devenir de ce fait, un débile authentifié, fiché, reconnu par tous comme tel, el cela pour toute sa scolarité.
René Zazzo peut toujours dire à ses étudiants qu'ils ne doivent jamais donner un chiffre de Q.I. aux parents et aux maîtres, cela n'empêche pas des milliers d'enfants, du fait même de l'existence d'une structure scolaire ségrégative, de porter l'étiquette débile mental aux yeux de tous. Ils la portent et ils la supportent, car ils sont souvent encore l'objet du mépris de leurs pairs, et de certains enseignants et parents. Je dis bien mépris, car appeler un enfant : fou. idiot, cancre, imbécile, taré, comme je l’ai entendu, c'est faire preuve de mépris.
Et tout cela pourquoi ? Parce que l'enfant n'a pas réussi à s'adapter aux normes de notre école prétendument égalitaire, la même pour tous, parce qu'il a un jour, obtenu moins de 80 à un test quelconque de niveau mental, et je maintiens ce mot quelconque. Une enquête que j'ai menée sur 41 classes de perfectionnement de Loire-Atlantique, en 72-73, montre que :
37 % des enfants ont été testés avec un Wîsc,
40 %. avec un Nemi,
9 % avec un Terman,
9% avec un Binet-Simon,
5 % avec divers autres lests.
Les examinateurs étaient-ils des spécialistes haute­ment qualifiés ?
42 % des enfants ont été examinés par des psychologues scolaires.
26 % par des secrétaires de C.M.P.C. (commission médico-pédagogique) qui sont des instituteurs spéciali­sés détachés,
32 % par des instituteurs spécialisés ou des réédu­cateurs.
Donc pas même la moitié des enfants n'ont eu un examen psychologique véritable.
Toute passation de test suppose des conditions de passation semblables à celles qui ont été utilisées pour sa mise au point, or comment cela se passe-t-il dans les écoles où il n'y a pas un psychologue scolaire permanent, donc disposant d'une salle ?
L'examinateur doit trouver tant bien que mal un coin :
*    bureau du directeur quand il y en a un,
*     couloir,
*     cantine (l'odeur de la cuisine est stimulante pour les fonctions intellectuelles !).
*     etc., tous les lieux où ne règne pas le calme nécessaire à la concentration, à la disponibilité totale.
Ajoutons que souvent les enfants testés sont uni­quement ceux qui sont suspectés d'être débiles, car te temps manque aux examinateurs et il faut pourvoir en priorité au remplissage à 15 de chaque classe de perfectionnement : sinon le ministère maniant sa règle à calculer pourra prononcer des fermetures éventuelles. Le chien de Pavlov était placé dans des conditions rigoureusement contrôlées pour éviter l'intervention de Facteurs parasites, ceci pour une simple expérience, l'enfant lui, est placé dans n'importe quelles conditions pour un examen susceptible de décider de son avenir scolaire et au-delà de son avenir social.
De toute façon il en sortira un Q.I. qui fait qu'il sera ou non en « droit » d'entrer dans le cursus scolaire de perfectionnement.
L'arrêté du 12 août 1964, sous le titre : Classes de perfectionnement pour débiles mentaux, écrit ; Les classes de perfectionnement sont destinées à recevoir des enfants accusant un déficit intellectuel... On convient que les enfants débiles relevant des classes de perfectionnement, doivent avoir un quotient intellectuel situé entre 50 et 75 aux tests verbaux de type Binet-Simon,
Ces classes créées en 1909, ont, je le reconnais, permis d'aider des enfants rejetés par un système scolaire normatifs travaillant dans des conditions déplorables qui ne permettaient qu'un enseignement magistral collectif, ils ont pu retrouver confiance en eux-mêmes très souvent, grâce à des activités autres qu'intel­lectuelles : travail manuel, activités esthétiques, ges­tuelles, artistiques, musicales, théâtrales, etc. grâce à un apprentissage personnalisé, grâce â une éducation fondée sur la coopération, la liberté d'expression, grâce au fait de n'être que 15 avec un éducateur.
Dans un système scolaire qui continuerait à être soumis à des normes de rentabilité, de compétition, de hiérarchie, peut-être faudrait-il conserver des classes pour accueillir les marginaux de l'école, ceux qui refusent consciemment ou inconsciemment les normes, et ceux qui ne sont pas en mesure de s'y adapter, mais pour ma part je condamne une telle école qui écrase les faibles. Les conditions favorables que l'enfant peut trouver en classes de perfectionnement (il y en a aussi beaucoup de défavorables : ségrégation, groupe non stimulant, problèmes divers parfois exacerbés, etc.), le mouvement coopératif de l'Ecole Moderne les réclame pour TOUS les enfants. C'est pourquoi, aujourd'hui nous luttons aussi pour la remise en cause des classes de perfectionnement, pour la création de classes hétérogènes qui accueillent tous les enfants : à l'école de s'adapter aux enfants et non aux enfants de se conformer aux normes de l'école î
Des solutions sont essayées un peu partout :
•   décloisonnement de l'école,
•    pédagogie de soutien.
•   aide individuelle,
•   classe organisée en ateliers permanents.
•   classes de perfectionnement  S.E.S., E.N.P —évoluant vers l'AUTOGESTION,
•   classes de perfectionnement transformées en classes de soutien.
Aussi aujourd'hui on peut déjà dire fermement : non à tout étiquetage d'un enfant, et affirmer sur le plan des droits de l'enfant : tout enfant a le droit de vivre et d'être éduqué avec les autres enfants.
Nous devons refuser les projets de structure scolaire fondés sur le rejet de ceux qui sont les «grains de sable» qui empêchent la machine de tourner dans l'huile pédagogique — c'est vrai pour l'école, comme pour les travailleurs immigrés, comme pour les hôpitaux psychiatriques —, chercher, partout où cela nous est possible, des solutions non ségrégatives au grave problème des échecs scolaires, qui frappe essentiel­lement les enfants des classes sociales populaires (3), et exiger les moyens nécessaires pour cette action,
 
 
(1 ) Tort Michel, Le quotient intellectuel. Cahiers libres, Maspéro.
(2) Rosenthal et jacobson,Pygmalion ù l'école, Çastermann.
(3) L'I.C.E.M. publiera une série île dossiers sur ce problème et la commission de l'éducation spéciale prépare un document : Plus de classes de perfectionnement : Alors quoi ?