Les effets thérapeutiques de la pédagogie Freinet/de la pédagogie institutionnelle.

Atelier du Mercredi 24.08.2011
Depuis une trentaine d'année, il existe des écoles spéciales pour des enfants qui présentent des troubles comportementaux. Dans une de celles-ci on a opté pour l'enseignement Freinet : il s'agit de l'école appelée 'De Sassepoort' (porte d'écluse). Ce choix est dicté par la conviction que l’enseignement Freinet peut apporter un bénéfice thérapeutique à ces enfants. Jeroen Donckers

(publié en néerlandais: “Over de mogelijke therapeutische werking van het ervaringsgericht onderwijs: de Sassepoort”. In: Walleghem P. (red), Psychoanalyse in de klinische praktijk, Gent, Academia Press, 2010, pp. 65-74)

L'infinie complexité d'un être humain, de ce qu'il est, d'où il est, de comment il est avec et dans son monde, rend ahurissante la légèreté simplifiante des discours concernant des 'problèmes comportementaux'. Mais bon Dieu, que peut-on savoir, que peut-on affirmer avec autant de certitude? Comment savoir ce que seul le vent peut appréhender, puisqu'il s'agit de ce qui s'évente, se déplace, se transforme? Tant de certitudes factices à propos d'enfants, d'éducation, de déviances, de relations, à propos de la vie tout court. C'est la fermeture qui préside à la certitude. Qui se referme est certain de savoir. Pour un instant. Pour toute la vie. Celui qui est certain protège son équilibre. Celui qui sait à quoi un enfant doit correspondre, comment il faut l'éduquer, celui qui sait quel est le meilleur enseignement, celui-là est doté de la grâce de la croyance, mais également dépourvu d'un savoir y faire avec ce qui n'est pas conforme à tant de conviction. L'être humain a quelque peu besoin de conviction, de croyance, de consistance, et donc d'une certaine fermeture; la véritable question est de savoir comment y garder suffisament d'ouverture et de mouvement, et donc de vie. Sans faire payer la note par autrui, en chassant un enfant, par exemple.

Il ne va pas de soi de choisir l'enseignement Freinet pour des enfants qui présentent des troubles comportementaux. La plupart de temps on est d'avis que l'approche indiquée est celle qui apporte de la structure. Le malentendu ne se fait pas attendre et il est très difficile de le dissiper, à savoir : dans l'enseignement Freinet, on laisse toute chose joyeusement suivre son cours; les enfants font ce qu'ils veulent, et 'être heureux' est pour le moins tout aussi important qu'apprendre. On serait en présence de tout, sauf d'une offre qui profiterait aux enfants. Nous voici en présence de tout, sauf d'une synthèse exacte de ce qu'est l'enseignement Freinet. Il ne s'agit pas ici d'expliquer une fois encore qu'il y va précisément d'un enseignement caractérisé par une forme d'organisation spéciale. Pour en rendre compte le terme de ' structure' n'est sans doute pas le plus approprié; celui 'd'organisation' l'est, par contre. Qu'il faille une très forte organisation pour rendre possible la liberté est peut-etre bien la devise essentielle de l'enseignement Freinet.

Et sans liberté aucune expérience n'est possible. Expérimenter, et utiliser, assimiler, élaborer ces expériences : c'est ce dont ces enfants ont le plus besoin. Nous y reviendrons.

Dans ce sens, cette forme d'enseignement est la plus appropriée pour des enfants sans limites : ils peuvent y trouver une organisation qui endigue ce qui ne cesse de les envahir de façon imprévisible. L'enseignement Freinet offre des débouchés face à des horizons voués à la fermeture. Voilà bel et bien une qualité. L'ouverture de nouveaux champs ne procède nullement d'une croyance dans un égalitarisme naïf, ni d'une opinion selon laquelle nous sommes tous égaux et équivalents où qu'un être humain peut être éduqué à des fins de sagesse et de bonheur. Comme s'il suffisait de ne lui témoigner que de l'amour et du respect pour qu'advienne un monde libre, des mains vertes et l'assurance d'une démocratie. S'il existe une certitude, c'est bien la constatation que le monde n'a que faire des lois de l'éducation et de l'enseignement. Rien de neuf sous le soleil. Déjà autour de 1900 des voix bruyantes brandissaient des reproches contre le mode d'enseignement : la matière passait avant l'enfant qui devait tout subir passivement ; l'école était étrangère à la vie et elle bridait les possibilités de mouvement chez l'enfant ; elle ne lui permettait ni participation, ni responsabilité... et, surtout, la relation professeur-élève était jugée trop autoritaire et dominatrice... Nous voilà cent ans plus tard. Il y a bien plus longtemps, en 1762, dans Emile ou de l'éducation, Rousseau plaidait pour un enseignement non-planifié, un enseignement qui rencontrerait à tous les niveaux les intérêts et les besoins des enfants... et ceci à partir de la croyance absolue dans la bonté de l'homme (Rousseau, 2009). Le livre fut immédiatement interdit.

Entretemps le 21° siècle a 10 ans. Depuis une trentaine d'année, il existe des écoles spéciales pour des enfants qui présentent des troubles comportementaux. Dans une de celles-ci on a opté pour l'enseignement Freinet : il s'agit de l'école appelée 'De Sassepoort' (porte d'écluse). Ce choix est dicté par la conviction que l’enseignement Freinet peut apporter un bénéfice thérapeutique à ces enfants. La conviction que c'est possible. Non pas que nous saurions ce qui conviendrait de faire, ou que nous saurions que ce que nous faisons est meilleur qu'ailleurs.C'est souvent une conviction qui prime sur un savoir. Parfois à juste titre, mais pas toujours.

La conviction de l'efficacité thérapeutique de l'enseignement Freinet repose sur des arguments que nous exposerons. Ceux-ci sont nombreux. Leur formulation n'a de cesse et elle est diverse et changeante. Rien n'est fixé une fois pour toutes. Presque rien. Voici le premier argument : il n'existe pas d'enfants avec des troubles comportementaux.Il n'existe, en tout cas, pas d'enfants avec une affection objectivable qui expliquerait les troubles du comportement. Il n'existe pas de circuits de tests pseudo-scientifique ou pseudo-médical, ni d'observation ou des critères diagnostiques qui pourraient accréditer l'idée que ce serait bien le cas; par contre, chaque enfant en particulier peut chaque fois prouver que tout cela est basé sur un aveuglement partiel et partagé. (2)

A ce jour, par exemple, il n'existe aucun test validé pour l'ADHD, qui est pourtant le diagnostic le plus fréquent dans l'enseignement actuel. Aucun. A ce jour, il n'existe toujours pas un marqueur biologique pour ce même diagnostic. Aucun. Ce qui veut dire concrètement qu'aucun diagnostic ne peut être considéré comme scientifique. C'est ce qui se passe pourtant tous les jours.

Bien sûr il y a des enfants avec des troubles comportementaux, mais ils ne font que payer le prix pour un problème dont, certes, ils participent, mais dont ils ne sont ni l'auteur ni le porteur. Pour le dire simplement, il s'agit de ceci : il n'existe pas d'enfants sans contexte ou sans environnement. La faute incomberait-elle alors à cet environnement? Pas du tout, pas plus que l'enfant n'est la victime de son contexte non plus. Le problème réside dans le fait que ces enfants, plus que d'autres, sont leur contexte. Ils ne sont pas suffisament différenciés de ce dont ils font partie. Voilà une thèse opérationnelle.

Des problèmes, il y en a, mais ils sont toujours complexes.On peut fuire devant la complexité, en cherchant qui est coupable, par exemple. Répétons-le : l'infinie complexite d'un être humain, de ce qu'il est, d'où il est, de comment il est avec et dans son monde rend ahurissant la légèreté simplifiante des discours concernant des 'troubles du comportement'. Parfois ils sont carrément malveillants ou idiots.

Qu'il puisse exister quelque chose qui ressemble à des enfants avec des troubles du comportement est la conséquence du malentendu qui consiste à croire qu'il puisse exister un être humain individuel, qui serait là en tant que tel, en tant qu'un tout achevé. Cette opinion procède du malentendu moderne inhérent à la psychologie moderne et à l'individualisation moderne de la société. Entre autres.

Il y a quelques décennies, Winnicott formulait ceci :" there is no such thing as a baby" ( traduction littérale : quelque chose comme un bébé, ça n'existe pas) ( Winnicott, 1960:39) Winnicott est mort et il était psychanalyste. Parfois la psychanalyse aussi est déclarée morte. Parfois à raison. Mais elle a le grand avantage de ne pas écouter l'être humain comme un individu conscient. Il y en a peu. Du moins, dans notre société occidentale. Il existe une autre sagesse, en Orient, par exemple. C'est à peine si nous sommes au courant que dans d'autres coins du monde, dans d'autres continents on pense différemment au sujet de l'être humain, et que ce dernier y vit et y fonctionne autrement. Il y a 30 ans, Maud Mannoni a envoyé des enfants français récalcitrants en Angleterre : dans un autre pays, une autre langue, une autre école personne ne reconnaissait les problèmes avec lesquels ils étaient confrontés dans leur pays d'origine. (Mannoni, 1973)

Découvrons que l'enfant n'existe pas. Qu'il n'est que ce qu'il donne à voir. A un endroit précis. Sortons avec lui. Laissons-le faire. Laissons-le aller et venir. Sortons, nous aussi. Cessons de n'être que ce que nous sommes. Evidemment, des bébés existent, tout comme il existe des enfants avec des troubles du comportement. Mais il n'existe pas de bébés sans maman, ou sans soins maternels, c'est ce que Winnicott voulait dire. Si un bébé peut exister corporellement sans sa mère, il est impossible, selon Winnicott qu'il puisse exister psychiquement. Dès son origine, le petit d'homme fait partie de ce qui l'entoure. C'est de cela qu'il s'agit. L'être humain naît inachevé, dépendant et dénué de tout. Est-il étonnant que cela puisse tourner mal? Entre ce qui se déroule entre l'intérieur de l'enfant et ce qui l'entoure il n'y a pas encore de différenciation. Tout se mélange. L'enfant est littéralement la mère, et vice versa; à vrai dire, il ne peut déjà être question de mère et enfant, en tant qu'entités séparées.

A l'origine, l'être humain est fluide, ou poreux. Il est pourvu de trous, de trous d'aération. Ces trous sont indispensables, tout d'abord pour rester en vie, et ensuite pour naître psychiquement. Il faut que l'être humain vienne deux fois au monde. Au moins deux fois. Est-il dès lors étonnant que cela puisse rater? L'être humain est un être qui a raté son animalité. . L'animal naît et se trouve d'emblée chez soi. Il est dans le monde, avec le monde, il est du monde. Par contre, l'être humain vient au monde et doit y trouver le chemin qui le conduit chez lui. I was born far away from the place where I should be" ( Je suis né loin de l'endroit où je devrais me trouver) disait Bob Dylan, et il n'a pas cessé de parcourir le monde dans des tournées interminables. ( voir le documentaire de Martin Scorsese, No direction home: Bob Dylan) Se trouver un chez soi, se trouver un monde doit toujours s'entendre de deux façons. Au moins deux. Premièrement, l'être humain doit apprendre à connaître le monde tel qu'il existe déjà depuis toujours. A commencer par son entourage le plus proche pour englober ensuite l'école, la sociéte et le monde entier. Chaque être humain doit sans cesse trouver, inventer ce monde. Cela implique toujours une sorte d'adaptation accompagnée d'une espèce d'aliénation. Deuxièmement, l'être humain doit se construire un monde psychique, un monde expérimental, un corps, une tête, qui lui sont propres. Chacun doit trouver un lieu pour ses expériences. Tâche bizarre et infernale qui consiste de veiller à garder et à maintenir deux mondes distincts l'un de l'autre, qui vise à maintenir intacte la frontière qui sépare le dedans du dehors. C'est sans fin. Quoi d'étonnant que cette double tâche connaisse des échecs?

Il existe une variation infinie d'essais, de succès et de ratages. C'est toujours différent. Il s'agit d'une tentative pour installer une ligne de partage entre ce qui est suffisament bon et ce qui ne l'est pas.Dans le meilleur des cas, l'être humain a connu suffisament longtemps un environnement qui correspondait à ses besoins, tant corporels qu'émotionnels. Dans le meilleur des cas, on a suffisament pris soin de lui ; des personnes ont bien voulu lui donner, et donner ce qu'il fallait. Pour le meilleur ou pour le pire. Mais cela y était, bel et bien. Une citation de Winnicott en rend clairement compte : " un enfant inadapté est un enfant auquel on ne s'est pas suffisament adapté" (Winnicott, 1959-64:134). On ne peut plus simple. 'Suffisament' signifie que la balance entre l'enfant et son entourage a penché en faveur de l'enfant. . L'environnement y était pour l'enfant. L'inverse aurait signifié un déficit dans l'adaptation de l'environnement à l'enfant. Si tel avait été le cas, c'est l'enfant qui aurait dû s'adapter beaucoup trop vite à son environnement. Un animal met un autre animal au monde en obéissant à son instinct. Par contre, l'être humain met au monde pour toutes sortes de raisons. Celles-ci peuvent être belles et intimes. Certes. Mais il peut aussi mettre au monde par négligence, ou par besoin. Pour tant ou si peu de motifs. Pas de quoi en l'occurence pour juger en termes de bien ou de mal. Laissons le jugement au système qui ne s'en privera pas plus tard : à gauche ceux qui peuvent travailler, à droite les douches, à gauche ceux qui sont capables d'apprendre, a droite...

Il s'agit de ceci. Celui qui n'a pas eu de chance devient particulièrement poreux. Il ne trouve ni de chez soi ni d'univers. Il ne cesse de réagir. En fait, personne ne trouve de chez soi. Mais certains moins que d'autres. Personne ne parvient à se libérer de ce qui l'a précédé, de ce qui l'a entouré. Tout au plus peut-on s'attendre à une certaine prise de conscience et à la présence de suffisament de jeu. Par ailleurs, l'environnement dépasse l'aspect purement familial. Encore une idiotie propre à l'Occident. Comme s'il n'existait que la famille. Et quant aux adultes, les enseignants, les thérapeutes. Qui se rend compte qu'il est déterminé par un environnement social plus large, qu'il est conditionné par des tendances sociétales, par des lois écologiques et économiques ? Néanmoins nous croyons à l'existence d'enfants qui ont des troubles comportementaux.Des enfants achevés.

 

La pensée moderne concernant des enfants avec des troubles comportementaux nous fait tomber dans le piège de la croyance en l'homme individuel. Piège séduisant que de faire croire en un être humain qui existerait en tant que tel. Chacun sait que c'est inexact. Mais, en fait, il y a toujours quelqu'un à qui l'on fait payer la note. Chacun sait que des problèmes comportementaux ne peuvent jamais être déconnectés d'un contexte social ou familial. Chacun sait que des problèmes comportementaux ne peuvent jamais être déconnectés d'une école, d'une ambiance dans l'école, d'une classe, d'un enseignant, et j'en passe. Mais c'est l'enfant que l'on réprimande et que l'on renvoie finalement de l'école. Souvent après qu'il ait refusé de se laisser traiter comme un chien. Souvent après qu'il ait refusé de se laisser dresser par un système de récompense et de punition.Un chien accepte le dressage. Presque chaque chien. On abat certains chiens. Il ne s'agit pas ici de prendre la défense d'enfants déviants, mais quand même. Françoise Dolto, encore quelqu'un du même acabit, affirmait que l'adaptation au système scolaire est l'une des formes les plus fréquentes de la pathologie chez l'enfant.(Mannoni 1965). Point. De Sassepoort essaie précisément de s'adapter suffisament aux enfants et à leurs besoins. C'est une école en mouvement, c'est plus qu'une école,en restant une école, tout en étant autre chose, de plus ou de moins.

L'ensemble moderne et complexe composé d'écoles, de familles et d'assistanat accouche d'enfants avec des troubles du comportement. Sans cet entourage, ils n'existeraient pas. S'il pouvait ne s'agir que d'un jeu, le jeu de questionnaires, de caractéristiques et de comportements mesurables, le jeu de centres d'observation et d'objectifs, de subsides et de spécialistes ; s'il ne s'agissait que de manque de places et d'équipement... N'adoptez jamais naïvement la langue de l'assistanat , elle attise et vous colle à la peau pour le meilleur et pour le pire.

Et pourtant, de Sassepoort existe bel et bien. On n'y travaille pas avec des enfants qui ont des troubles du comportement. Ils n'existent plus. On y travaille avec des enfants poreux, des enfants à trous, à trous d'aération. Des enfants auxquels on ne s'est pas suffisament adapté. En un mot, avec des enfants qui sentent à fleur de peau ce qui se passe autour d'eux. On y travaille avec des enfants qui sont poreux vis-à-vis d'une mère qui manque de force pour se lever au matin et qui leur donne deux euros pour aller s' acheter un pistolet ( ou bien dix...) à la viande hachée. Ils sont poreux par rapport à une mère coincée dans le tourniquet de la psychiatrie, qui lui sert aussi d'adresse. De retour en rue, elle oublie qu'elle a enfanté d'une fille. On y travaille avec des enfants qui sont poreux face à un père qui démolit toute l'éducation fournie par la mère, et qui croit se trouver au-dessus de toute loi. Ils sont poreux face à un parent qui n'a pas reçu d'amour et qui espère le recevoir de ses enfants. Ils sont poreux face à un parent qui a besoin de ses enfants à la maison pour qu'ils prennent soin de lui. Dans l'ordre de priorité, l'école occupe une place secondaire. Ils sont poreux vis-à-vis d'un père qui s'est pendu, mais dont personne n'a jamais parlé; vis-à-vis d'un père qui est en prison, mais dont on dit qu'il est hospitalisé depuis des années. Ils sont poreux pour tant de choses, pour tant de choses nom de Dieu. Rien de tout cela peut leur servir d'excuses. Excuser n'a jamais servi personne. C'est l'idiotie que nous avons voulu mettre au pilori. En fait, l' équilibre qui est totalement rompu. On dit de ses enfants qu'ils ne font que ce dont ils ont envie, qu'ils n'ont jamais appris à se comporter convenablement, que ce sont des animaux, etc... Mais ils suivent tous le même fil conducteur, à savoir qu'ils sont dans l'impossibilité de se distinguer suffisament de leur environnement. Ils ne suivent donc en aucune façon leurs envie. Jamais. Avec un brin de provocation, nous pourrions dire que c'est l'inverse qui est vrai. Le problème chez ces enfants, c'est qu'ils ne sont pas à même de suivre leurs envies. C'est toujours l'envie d'autrui qu'ils suivent. Esclaves de leurs impulsions, ils se sentent obligés de réagir à ce qu'ils voient ou entendent. Et il est vrai que parfois ils ne parviennent pas à s'adapter au système scolaire.Parfois.

Ce méfait est proportionnel à celui du système scolaire : il consiste dans l'incapacité de s'adapter parce que de part et d'autre le vécu propre occupe toute la place. Le Sassepoort essaie. Jour après jour. Rien qui ne soit règlé une fois pour toutes, rien qui puisse se refermer. Parfois ça réussit. Pour un temps.

L'enseignement Freinet prend parfois des grands airs. Il prétend et changer la société et produire des enfants heureux. Ceci est une illusion. Il est vrai que celui qui est convaincu et qui incarne suffisamment ses objectifs peut réaliser de grandes choses. Mais l'enseignement Freinet n'offre aucune garantie. Aucune. Cependant s'il parvient à se traduire dans une pratique adéquate, il ouvre des perspectives. Ce qui peut être un énorme mérite.

Pourtant, si l'idée d'expérience est fondamentale, elle est à peine conceptualisée. L'intérêt inhérent à l'application de cette pratique auprès d'enfants poreux est qu'il incite à penser la notion même d'expérience. Une éponge absorbe avant de se consumer dans l'environnement. Il existe une différence cruciale entre faire une expérience et l'enregistrer. L'être humain ne cesse d'expérimenter, mais ce qu'il enregistre n'en est qu'une sélection. Celui qui se contente d'accumuler des expériences ne les enregistre pas, ce qui l'empêche de les conceptualiser, de s'en distancier, et donc de les utiliser pour se subjectiver.

L'enseignement Freinet ouvre précisément des perspectives qui permettent aux enfants de se différencier de leur environnement, et donc d'enregister des expériences. C'est précisément là que réside la possibilité thérapeutique de ce type d'enseignement. D'ailleurs, cette perspective est propre à n'importe quelle psychothérapie, à savoir s'inventer, se différencier tant de ses origines que de son entourage. Et non pas devenir plus fort, apprendre à se comporter, acquérir des compétences sociales, jouer le jeu catholique de la faute et de la pénitence...(ik zou catholique eruit laten)

S'agit-il dans cet enseignement de partir des expériences des enfants, même s'il ne faut pas en sous-estimer l'importance? S'agit-il de laisser les enfants choisir ce qu'ils veulent apprendre, ce qui ne rimerait à rien? S'agit-il de les laisser se poser eux-mêmes les questions auxquelles ils voudraient trouver une réponse, S'agit-il de rétablir l'égalité illusoire entre professeur et élève, comme si l'inégalité serait en soi un problème? Non. Il s'agit d'inviter à enregistrer et à conceptualiser ses propres expériences.

La véritable différence entre l'enseignement traditionnel et Freinet réside dans leur rapport au savoir. L'enseignement traditionnel est organisé autour de ce que les enfants ne savent pas encore et, de ce fait, l'expérience y est mis hors jeu. L'enseignement expériemntal est organisé autour d'expériences, et donc, autour de ce que les enfants savent depuis toujours. Il y va d'un choix. Prendre comme point de départ ce qu'un enfant sait signifie aller à la rencontre de l'enfant, le prendre pour qui il est. De Sassepoort permet aux enfants tant de faire des expériences que de les utiliser, de s'en distancier...c'est une pratique, et non pas une science appliquée; une pratique qui ne cesse de prendre forme, une pratique à peine transmissible, une pratique dont les effets peuvent être enthousiasmants.

Le travail en classe se focalise avant tout sur l'assimilation d' expériences. Si tous les enfants en étaient capables, pourquoi les aurait-on envoyé dans l'enseignement spécial? La force de l'enseignement Freinet est sa faculté de mettre en place une structure porteuse pour l'acquisition d'expériences qui précède toujours leur conceptualisation. Voilà ce que l'on peut y apprendre : d'abord faire des expériences et les exploiter ensuite. Cela peut se faire en classe. Mais pas seulement là. Pour un enfant poreux qui doit sans cesse s'adapter aux limitations nécessaires et inhérentes à une classe, il n'est jamais possible d'acquérir suffisament d'expériences qui lui permettraient de se trouver. En principe, il lui faut une classe en tant que structure porteuse, en tant que lieu qui l'accueille, qui lui apprend des choses, mais également comme lieu où il peut partir et revenir.

Voilà pourquoi un circuit d'ateliers est particulièrement utile. C'est un réseau d'autres lieux, d'autres adultes. Des lieux où la créativité est différente qu'en classe, où le travail est complètement différent, où les possibilités d'expression sont autres; des lieux où l'on réfléchit et où l'on parle autrement. Concrètement, il y a toujours divers ateliers : bois, danse, jardin, cuisine, pain, soupe, argile, contes... Il est de la plus grande importance que les enfants poreux y viennent de leur propre initiative pour y faire 'quelque chose', pour découvrir ce qu'ils veulent faire, pour acquérir des idées, pour voir ce que d'autres enfants y font, pour s'absenter un moment de la classe, pour y être un moment avec d'autres enfants, pour y rencontrer parfois un adulte, pour exprimer littéralement ce qui les prend, sans qu'ils sachent exactement quoi...
Autrement dit, la pédagogie institutionnelle est la condition nécessaire de l'enseignement Freinet. Seul un système mobile est en mesure de s'adapter à l'initiative des élèves, à leur besoin d'impulsivité, de mobilité spontanée tant dans le domaine de la pensée que de l'action. Une école qui s'identifie à son statut d'école n'est pas en mesure de rencontrer ces objectifs. Une école est appelée à rater la fermeture sur elle-même, elle est appelée à rater une complète identification avec sa fonction scolaire. Ce qui ne signifie aucunement qu'elle doit cesser d'être une école. Cela veut dire qu'elle ne peut jamais réussir complètement à être une école.

jeroendonckers[arobase]hotmail.com