Nouvel Educateur n°204 - Apprendre ? C'est vivre !

N°204 - Octobre 2011
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SOMMAIRE
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Billet d’humeur
Lettre ouverte à tous ceux qui prennent nos mots, les retournent et leur donnent un tout autre sens, Véronique Decker
L’année de tous les dangers, Sylvain Grandserre
DOSSIER – APPRENDRE ? C’EST VIVRE !
Apprendre en pédagogie Freinet, Jean-Michel Mansillon
À quoi la coopération sert-elle pour apprendre ?, Sylvain Connac
Apprendre, oui, mais comment ?, Henry Landroit
Apprendre son métier en pédagogie Freinet, Alexandrine Gerrer
Il y a quarante ans…, Claire Héber-Suffrin.
2 - Des pratiques pleines d’idées
Avons-nous un escargot dans l’oreille ?, Monique Quertier
Le mot du jour ou comment inventer et jouer avec les mots, Christian Borgetto
Apprendre - Un chemin vers la vie, Maryvonne Menez-Hallez
Du coléoptère au recyclage - Apprendre à agir sur son environnement, Sylvie Guergnon
Au-delà d’une exposition, Françoise Dor
L’Écho des Choucas - De la classe au studio d’enregistrement, Ludovic Marchand
Personnaliser les temps de travail, Jean-Guy Lafaye
Un objet vert bien identifié - Objet transitionnel ou cerveau extérieur !, Delphine Juving
ARTS ET CRÉATIONS – « Racont’Art »
L’origine du monde, Claire Rengade
Pour apprivoiser l’argile, les mains dans la barbotine, Christiane Nicolas
Mémoire vive
L’Institut Coopératif de l’École Moderne - Une appellation réfléchie, Guy Goupil
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Second degré
Un cours de français au collège, Marion Agostini
Maternelle
Une école maternelle en pédagogie Freinet, Christian Rousseau
Pédagogie sociale
Apprendre en pédagogie Freinet, hors l’école, Laurent Ott
International
Une école maternelle en Chine, Olivier Francomme
Que faire du « copier-coller » ? Copions-collons nos pratiques ensemble !, Marlène Pineau
Des outils au service de nos choix pédagogiques - L’exemple du fichier orthographe, Philippe Durand
Parole à
La lutte des classes se mène dans la classe, Jean Astier et Jacques Broda
Un atelier à la RIDEF, Patricia Despaquis et Catherine Hurtig-Delattre
Littérature jeunesse, Marguerite Bachy
Lecture
Publications
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NE 204 -Editorial

Apprendre ? C’est vivre !
Apprendre est inhérent à tout être vivant, c’est une fonction vitale. Mais pour l’être humain, être de langage, « apprendre » a permis de développer un « fonds commun de connaissances »1 depuis des millions d’années, un fonds sans cesse enrichi de génération en génération, un fonds essentiel pour le devenir de l’humanité. Si apprendre doit préparer l’individu à des tâches immédiates, pratiques, cela doit aussi assurer le développement de ce fonds de connaissances tout en permettant à tous de se l’approprier, d’agir sur lui, d’en être coauteur : une boucle récursive indispensable à l’avenir de l’humanité.
Or, les processus d’apprentissage mis en œuvre dans notre société ne permettent pas cette appropriation qui reste réservée à une petite partie : l’« élite » qu’elle soit intellectuelle, politique, scientifique, artistique ou religieuse… qui décide ce qu’il est bon de savoir ou non.
« Apprendre » n’est plus qu’« apprendre à » quelqu’un : le savant apprend à l’ignorant, le professeur apprend à l’élève, l’économiste apprend au consommateur…
Le devenir de l’humanité et de son « fonds commun de connaissances » est le dernier des soucis de nos gouvernants qui se concentrent sur le maintien de leurs nombreux privilèges et héritages (accès aux savoirs, au pouvoir et à l’argent). Ainsi, est-il nécessaire de sélectionner l’élite, dès l’école, pour assurer la survie du système économique et politique. Fidèles, les démarches pédagogiques mises en œuvre continuent de renforcer cette politique éducative : découpage des savoirs (du plus simple au plus compliqué), programmation par paliers (du plus facile au plus difficile), transmission par la parole de celui qui sait (cours et manuels), mémorisation (exercices et leçons), compétition et évaluation qui sanctionne ou récompense celui qui a bien « appris ».
Comme si Montaigne, Rousseau et les pédagogues de l’Éducation nouvelle n’avaient jamais existé, écrit ou pratiqué !
Heureusement, le mouvement Freinet fort de ses expériences résiste et persiste. Tournés vers l’avenir, ses praticiens proposent des démarches pédagogiques bien vivantes.
La pédagogie Freinet, une conception humaniste de l’éducation : pour Célestin Freinet, l’éducation doit remettre « en lumière un principe que la science analytique avait tendance à croire dépassé le besoin souverain de croitre, de monter, d’acquérir la puissance pour réaliser sa destinée. La vie devient alors un processus complexe de recherche active de cette puissance essentielle et indispensable »2
La pédagogie Freinet, une pédagogie de la complexité : « Votre exemple, vos explications, vos leçons, vos images, seront sans véritable influence éducative si elles ne sont l’aliment désiré de la dynamique expérience tâtonnée »3, c’est le tâtonnement expérimental, processus universel d’apprentissage, d’action et de pensée qui permet d’inverser le rapport au savoir.
La pédagogie Freinet, une pédagogie de la participation et de la coopération : apprendre avec les autres et vivre ensemble dans une communauté de travail où chacun donne, aide et partage, l’enseignant comme l’élève ; une coopérative qui organise démocratiquement le travail et la vie scolaire. Ainsi, « vous pourrez pousser au maximum l’organisation, l’obéissance au règlement, la conscience scrupuleuse des responsables parce que la Coopérative scolaire sera devenue la nécessité vivante de votre travail. »4
La pédagogie Freinet, une pédagogie de la communication dans laquelle les savoirs sont partagés pour être mutualisés et consolidés : « Les techniques de l’organisation générale des activités scolaires n’auront de sens que lorsqu’elles s’intègreront à une communication, lorsqu‘elles feront l’objet d’une relation aux autres. »5
La pédagogie Freinet, une pédagogie de la création, de l’expression : des situations pédagogiques enracinées dans le vécu qui permettent à tous d’exprimer ses idées, ses désirs et ses rêves et d’expérimenter le passage de l’ouvrage à l’œuvre. « Au lieu de considérer, comme le fait l’école traditionnelle, que l’enfant ne sait rien et qu’il appartient à l’éducateur de tout lui apprendre – ce qui est prétentieux et irréalisable – nous partons, pour notre enseignement, des tendances naturelles à l’action, à la création, à l’amour du beau, au besoin de s’exprimer et de s’extérioriser. […] Nous préservons en lui et cultivons son sens littéraire, poétique, scientifique, mathématique ; et par ce biais, nous allons toujours plus haut et plus loin que ne le fait la scolastique »6
La pédagogie Freinet, un choix politique à faire aujourd’hui pour la société de demain.
« Apprendre, c’est vivre », alors, allons-y, apprenons ! Par la vie, dans la vie et toute la vie !
Catherine Chabrun
1 C. Freinet, L’éducation du travail, Delachaux et Niestlé, 1967, p116.
2 C. Freinet, Essai de psychologie sensible, Delachaux et Niestlé, 1978.
3 Ibid.
4 C. Freinet, « La coopération à l’école » in Brochure d’Éducation Nouvelle Populaire (BENP), n° 22, juin 1946
5 Ibid.
6 C. Freinet,« L’apprentissage de la langue » in La méthode naturelle, Delachaux et Niestlé, 1968.
NE 204 - Savoir écrire nos mots

De l’expression écrite à l’apprentissage orthographique des mots par Jean Le Gal [1]
N° 204 – Apprendre ? C’est vivre
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« Je désire bien fort, à fin que tous, usques aux laboureurs,
bergiers et prochiers puissent clairement escrire,
puis que tous en ont besoing. »
Honoré Rambaud, Maistre d’eschole, 1578
L’apprentissage orthographique des mots et la participation des enfants à la recherche de solutions à leurs problèmes demeurent des questions d’actualité. C’est pourquoi nous publions cet article écrit par Jean Le Gal, à partir de trois publications antérieures, dans l’Éducateur, Chantiers de l’enseignement spécialisé et BTR 26-27- 28 « Savoir écrire nos mots ». Cette méthodologie construite, avec la participation des enfants, devrait évidemment être enrichie, ou remise en cause, à partir des savoirs actuels créés par les praticiens-chercheurs et les chercheurs.
« Tu copieras dix fois les mots ». « Copie les mots ». « Apprends les mots ».
Consignes de livres… consignes de fichiers… consignes et pratiques courantes de nos classes… et de classes que j’ai vues fonctionner dans d’autres pays… consignes qui ont été aussi les miennes jusqu’au jour où j’ai voulu comparer l’efficacité de deux techniques que j’utilisais : la copie et la visualisation. J’ai alors pris conscience que cet outil qu’est la copie, je le faisais utiliser aux enfants sans jamais avoir réfléchi à ce que pouvait être une méthodologie efficace de copie. Quand on observe les enfants, on voit bien que chacun a une stratégie, certains regardent le mot dans sa globalité et ensuite l’écrivent sans le regarder à nouveau ; d’autres copient lettre par lettre au prix d’un travail laborieux ; d’autres…
J’ai donc été amené à étudier de plus près la question et à rechercher une façon de copier efficace, rapide et simple. Et c’est ainsi qu’a commencé une longue aventure de recherche tâtonnante qui a abouti à une méthodologie d’apprentissage orthographique par la visualisation/copie… et à une thèse de troisième cycle en Sciences de l’éducation, démontrant du même coup que les praticiens — quoiqu’en disent encore aujourd’hui certains chercheurs patentés — peuvent mener une recherche, valide scientifiquement, sur le terrain de leur pratique et, encore, que des enfants de classe de perfectionnement peuvent être eux aussi des enfants-chercheurs à la quête d’outils et techniques plus efficaces.
Dans le texte qui suit, j’essaie trop brièvement de donner les éléments essentiels de cette méthodologie : il n’est pas aisé de résumer cinq années de recherche et quelque 600 pages qui la décrivent, en quelques lignes. Il suffira peut-être de savoir que chaque élément a été pensé et repensé, discuté et expérimenté, selon la méthode expérimentale que Freinet lui-même souhaitait pour la création et l’affinement de nos techniques et outils.
· UNE PÉDAGOGIE DE L’ORTHOGRAPHE
Tenter de mettre en place des automatismes orthographiques
Comme Honoré Rambaud, j’ai estimé que les enfants de ma classe de perfectionnement, même s’ils étaient en échec massif, particulièrement en orthographe, devaient être dotés d’un outil qui leur permette de se passer d’une tutelle correctrice pour écrire. Il me fallait donc tenter de mettre en place des automatismes orthographiques, car, en présence des mots nécessaires à leur expression, les enfants ont trois niveaux de comportement :
— ils restituent sans effort ce dont ils ont besoin, grâce à leurs automatismes lexiques, graphiques et orthographiques ;
— ils recherchent, par la réflexion ou dans les outils mis à leur disposition ((répertoires, dictionnaires, listes de mots…) et trouvent ce qui leur manque ;
— ils ne trouvent pas et ont recours à l’aide des autres, enfants et adultes.
C’est au premier niveau que j’ai situé les recherches que j’ai menées durant cinq années, avec les enfants étroitement associés à la mise en place des procédures de recherche et aux évaluations, pour trouver une méthodologie efficace, rapide et simple :
— « efficace », car il faut qu’un outil d’apprentissage soit efficace et que le succès conforte le désir d’apprendre des enfants, renforce leur volonté de réussir, et surtout, facilité leur expression écrite ;
— « rapide », car ils ne peuvent consacrer toute leur énergie et tout leur temps à une activité qui pour moi demeure secondaire : c’est l’expression écrite qui est première ;
— « simple » afin que les moyens utilisés ne nécessitent pas un long tâtonnement avant de devenir opérationnels
[2].
Mettre au point une pédagogie de l’orthographe
Mettre au point une pédagogie de l’orthographe cela implique de répondre à trois questions principales :
- Quoi apprendre ? Quel est le contenu de l’apprentissage proposé ?
— Comment apprendre ? Quels sont les processus, moyens (techniques et outils) les plus appropriés pour atteindre l’objectif fixé ?
- Comment évaluer ? Comment saurons-nous (les enfants et moi-même) que l’objectif a été effectivement atteint ?
1. Quoi apprendre ?
Parmi les 250 000 mots de la langue française, lesquels allons-nous choisir ?
La solution la plus simple aurait été, en s’appuyant sur les travaux de Buyse et de ses collaborateurs
[3]et ceux de Ters, Meyer et Reichenbach
[4], de déterminer un programme personnel pour chaque enfant, en fonction de son niveau, mais l’expérience m’avait appris qu’il est difficile de déterminer les capacités réelles d’apprentissage de mes élèves et, d’autre part, il m’a paru important de vérifier si le classement établi par ces chercheurs correspondant aux difficultés de fait rencontrées par mes élèves.
J’ai pensé que la cohérence nécessaire, avec le processus global qui est celui de ma pratique de pédagogie Freinet d’apprentissage, impliquait que chaque enfant apprenne ses mots et les nôtres :
— mots de son vocabulaire écrit ;
— mots familiers de son langage oral ;
— mots du vocabulaire commun à la classe.
L’objectif ayant été limité, encore fallait-il le hiérarchiser :
— quels mots apprendre d’abord ?
— est-il préférable de commencer par les plus fréquemment employés ? Mais alors, quel ordre de fréquence employer :
. celui du Vocabulaire orthographique de base de Ters ?
. le nôtre ? Ce qui nécessitait d’en établir un pour la classe ou pour l’école. Après un essai, j’ai abandonné faute de temps.
. celui de chaque enfant, mais impossible de l’établir dès le début de l’année ?
— vaut-il mieux se contenter de prendre les mots dans l’ordre de leur apparition dans nos activités et d’établir une liste personnelle par ordre chronologique ?
Les différentes observations que j’ai menées pendant cinq années, les calculs et les analyses statistiques que j’ai faits, m’ont obligé à contester à la fois les positions officielles de la circulaire du 14 juin 1977
[5] (les mots peuvent être classés en ensembles de difficulté croissante) et les manuels qui s’appuient sur l’échelle Dubois-Buyse : pour pouvoir proposer à chaque enfant ce qui lui est possible d’apprendre, il ne semble pas envisageable de s’appuyer sur l’échelle Dubois-Buyse. J’en arrive donc à l’hypothèse (qu’il faudrait vérifier dans d’autres classes) que la difficulté d’acquisition d’un mot soit liée plus à l’enfant qu’au mot lui-même, nous pourrions parler de « difficulté personnalisée » ou de « facilitation personnalisée ». La seule conclusion pratique qui en a découlé c’est que pour savoir si un enfant est capable d’apprendre un mot, qu’il utilise dans son langage usuel, il faut le mettre en situation d’essai. Et j’ai considéré que, s’il ne réussit pas après deux réapprentissages, le mot est trop difficile pour son niveau actuel de maturation.
Cette constatation remet bien sûr en cause les méthodologies d’apprentissage qui prévoient de faire apprendre seulement les mots prévus dans l’échelle Dubois-Buyse.
2. Comment apprendre ?
Deux voies principales m’apparaissaient pour arriver à créer chez les enfants les automatismes qui rendraient leur expression écrite plus aisée et plus autonome :
— soit des pratiques fondées sur l’existence de séries analogiques ou d’ensembles orthographiques, conduisant progressivement l’enfant à une compréhension et une maitrise du système graphique
[6] ;
— soit des pratiques destinées à mémoriser chaque mot considéré comme une structure graphique originale, par un apprentissage intentionnel utilisant visualisation et copie, ou par un apprentissage incident, les mots étant insérés dans des jeux ou des exercices divers.
La solution des « séries orthographiques » ne me paraissait pas convenir au niveau de réflexion et d’acquisition de mes élèves et ne pouvait être efficiente qu’à long terme ; or il était nécessaire que des résultats tangibles immédiats viennent conforter le désir d’apprendre et les efforts consentis. Il faut de nombreuses manipulations de la langue écrite, de fréquentes recherches et découvertes, avant que ne se manifeste à l’esprit de l’enfant l’existence de lois orthographiques. Et, pour être fructueuses, ces recherches nécessitent la possession d’un stock de mots en mémoire et la capacité de dégager des lois, ce qui n’existe pas au départ chez les enfants de ma classe qui se situent au niveau CP-CE1.
La solution des exercices et des jeux n’était pas conciliable avec une organisation personnalisée des apprentissages, car il m’était impossible de préparer, chaque jour, des fiches personnalisées pour chacun des enfants. Cette pratique peut se concevoir pour l’apprentissage de mots communs. Par ailleurs, elle n’est pas économique sur le plan du temps d’investissement.
J’ai donc opté pour l’apprentissage direct des mots, les recherches sur la mémoire montrant d’ailleurs qu’elle est plus efficace qu’un apprentissage indirect.
Après une étude expérimentale comparative entre l’efficacité de la copie et celle de la visualisation, une étude sur le développement des capacités de mémorisation visuelle par notre pratique, de nombreux tâtonnements pour mettre au point une situation d’apprentissage, notre recherche a abouti à un ensemble méthodologique complet qui organise l’activité fonctionnelle globale d’expression écrite, prend en compte les manques individuels ou collectifs constatés et y remédie avec une efficacité certaine.
Nous avons pu dégager un certain nombre de principes :
— ne pas faire apprendre des mots déjà connus : principe de bon sens qui est transgressé par toutes les méthodes qui font apprendre à tous les enfants de la même classe les mêmes listes de mots ;
— ne faire apprendre orthographiquement un mot que lorsqu’il est parfaitement identifié sur les plans sémantique, auditif et visuel et correctement prononcé ;
— utiliser une stratégie de mémorisation progressive : de la reconnaissance à la copie, de la copie à l’évocation ; ne faire copier le mot que lorsqu’il est reconnu
[7] ;
— il est aussi aisé de retenir des groupes de mots et de courtes phrases que des mots isolés, ce qui conduit à une économie de temps et d’énergie
[8].
Au niveau de la technique de copie, nous avons mis au point une méthodologie simple et efficace, utilisable non seulement pour la mémorisation des mots, mais pour toute autre mémorisation de texte écrit, ainsi que pour toute transcription. J’ai tenté de comprendre, à travers les travaux de différents chercheurs, l’action de l’acte de copier et de le rendre plus efficace par une association avec la visualisation et la prononciation. D’autres recherches seraient nécessaires pour accroitre l’efficacité et affiner la technique.
3. Comment évaluer ?
L’évaluation se fait par dictée, afin que les enfants puissent se rendre compte aisément de leurs acquis, en mémoire à court terme et en mémoire à long terme. Ce moyen permet d’entreprendre immédiatement les réapprentissages des mots oubliés. Mais mon objectif étant que soit atteinte une orthographe correcte au cours de l’écriture spontanée des textes et des lettres, ce moyen ne permet pas de vérifier si l’apprentissage a été efficace à ce niveau. Je n’ai pas pu trouver un moyen pour cette évaluation, car la plupart des mots non connus ne sont utilisés qu’une ou deux fois durant l’année et, par ailleurs, il faut offrir à l’enfant un moyen simple de constat.
Notre méthodologie ne peut être que particulière
La méthodologie mise au point, comme tout résultat d’une recherche-action menée par l’instituteur lui-même sur son propre terrain, ne peut être que singulière, particulière, car elle est l’aboutissement de nombreux tâtonnements où les observations cliniques, l’analyse des difficultés et des conflits, les propositions des enfants, mes propres réflexions, mes lectures, mes débats avec les uns et les autres, ont joué un rôle aussi important que les études expérimentales. Nos résultats apportent cependant des solutions et, surtout, des pistes de réflexion. Chacun, en fonction de ses objectifs, des enfants qu’il a dans sa classe, doit obligatoirement procéder à une adaptation et, ainsi, avec ses élèves, faire œuvre de création. L’observation montre d’ailleurs que la réussite est due, souvent, au fait que les enfants et l’enseignant sont insérés dans un processus de recherche, et que les mêmes pratiques transférées ailleurs perdent de leur efficacité.
· En conclusion
Dans le vaste domaine de la pédagogie de l’orthographe, au terme d’une recherche menée avec les enfants de ma classe, je n’apporte de réponse qu’à une seule question : comment aider les enfants à apprendre leurs mots efficacement et rapidement ? La technique de visualisation/mémorisation que nous avons mise au point et dont nous avons prouvé l’efficacité tant pour les apprentissages que pour le développement des capacités de mémorisation visuelle, peut être utilisée pour toutes les copies. Je pense qu’elle serait aussi efficace pour permettre à de jeunes enfants, en apprentissage de la lecture, de se constituer un riche capital de mots reconnus, en utilisant à la fois notre démarche sur le plan individuel et sur le plan collectif : visualisation collective de mots communs écrits sur de grandes étiquettes qui restent ensuite affichées sur les murs.
Notre pédagogie de l’orthographe s’enrichit ainsi peu à peu grâce au partage coopératif de nos créations. La commission orthographe de notre Mouvement pédagogique propose aujourd’hui un ensemble complet et efficace constitué par des démarches, des techniques et de nombreux outils : répertoires, listes de mots, fichiers autocorrectifs d’orthographe…
Jean Le Gal

[1] Notre recherche ayant duré cinq années, elle a fait l’objet d’un mémoire de maitrise, Savoir écrire nos mots, Institut des Sciences de l’éducation, CAEN, 1975, 407 pages et d’une thèse de doctorat de 3e cycle en Sciences de l’éducation, Savoir écrire nos mots, Esquisse d’une pédagogie de l’orthographe d’usage, CAEN, 1979, 672 p.
[2] Nous offrons aux enfants de multiples outils d’apprentissage et parfois des discussions ont lieu pour savoir s’il faut, par des séquences spécifiques d’initiation, accélérer la prise en main de ces outils par l’enfant. Je suis pour ma part partisan de cette initiation organisée, le tâtonnement expérimental aura lieu au niveau du perfectionnement de l’utilisation. Il serait donc intéressant d’avoir des relations écrites de démarches d’initiation aux outils (fichiers-cahiers-techniques…)
[3] TERS F., MEYER G., REICHENBACH D., L’échelle Dubois-Buyse d’orthographe usuelle française, Neuchâtel, Éditions Meisseiller, 1964, diffusion O.C.D.L.
[4] TERS F., MEYER G., REICHENBACH D., Vocabulaire orthographique de base, Neuchâtel, Éditions Meisseiller, 1964, diffusion O.C.D.L.
[5]Circulaire n° 77-208 du 14 juin 1977 « Enseignement de l'orthographe dans les écoles et dans les collèges ».
[6] THIMONNIER R., Pour une pédagogie rénovée de l’orthographe et de la langue française, Paris, Hatier, 1974.
VIAL Jean, Pédagogie de l’orthographe française, Paris, PUF, 1970
[7] Je me suis appuyé sur les travaux de Piaget et Inhelder : PIAGET J., INHELDER B., Mémoire et intelligence, Paris, PUF, 1968.
[8] Ce qui est confirmé par les résultats de recherches sur la mémoire.
NE 204 - Pourquoi faire simple... L'étude de la langue

Une pratique décrite par Jean-Marc Guerrien, enseignant en CM1-CM2 à l’école Lamartine, Dunkerque (Nord).
N° 204 – Apprendre ? C’est vivre !
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J'avais écrit il y a quelques années un opuscule sur le texte libre et l'étude de la langue publié aux éditions ICEM. Depuis, ma pratique a évolué dans le sens d'un « élagage » progressif, tournant le dos à toute séduction de la complexité, en m'efforçant de concevoir les procédures les plus simples possible, faciles et rapides à mettre en œuvre, aisément « lisibles » par les élèves et « collant » au maximum à l'expression et à la création. En relisant Freinet, j'ai été frappé par l'extrême simplicité de ses techniques et l'absolue cohérence de ses procédures avec les grands textes que constituent
L'éducation du travail[1] et l’
Essai de psychologie sensible[2]. Le présent article a pour but de présenter la pratique « minimaliste » qui en est l'aboutissement, que j'espère simple, mais pas simpliste, en ce qu'elle apparait pour moi comme une avancée dans la cohérence.
En français, la base du travail reste la production de textes. Il ne semble pas inutile de le préciser, puisqu'on peut aussi faire le choix, qui a ses justifications, de séparer la production de textes libres du travail d'étude de la langue en faisant porter celle-ci sur d'autres types d'écrits. Pour tout l'aspect théorique quant à la production des textes dans la classe, je renvoie à l'opuscule précité, Du texte libre à l'étude de la langue (éditions ICEM n°45) et surtout à l'incontournable référence de Pierre Clanché, L'enfant écrivain (coll. Païdos – éditions Le Centurion).
Horaires...
Donc, dans la classe, il y a chaque jour une demi-heure exclusivement dévolue à l'écrit, essentiellement au texte libre, en concurrence avec la production de documents d'étude du milieu et la frappe au traitement de texte pour nos publications (recueils de textes libres, journal d'école). Cette demi-heure est placée juste après l'entretien, de 9 h à 9 h 30, et se trouve immédiatement suivie d'un quart de lectures de textes à la classe (qui prend le nom de « choix de textes » le lundi). L'entretien, l'écriture et la présentation des textes constituent de manière immuable le premier quart de la journée, de l'accueil à la récréation de matin (9 h 45 – 10 h). Après la récréation suivent les « 3 minutes d'orthographe » et une présentation de livre de bibliothèque (voir chapitre « Lecture »), avant une plage de 40 /45 minutes consacrée au travail collectif d'étude de la langue. On a ainsi un « bloc » identifié, dont les éléments sont fortement interdépendants, et, je l'espère, cohérents dans l'esprit des élèves (c'est en tout cas ce que semble révéler leur aisance à expliciter leurs procédures de travail lors des « présentations aux parents »).
Matériel...
— un « cahier d'œuvre » dans lequel sont regroupées les productions personnelles (textes libres, photographies des réalisations en arts plastiques, « inventions » mathématiques) ainsi que mes « réponses » (voir à ce sujet l'article fondateur « Le passeur de culture » dans le N.E. n° 95 de janvier 1998) ;
— un cahier d'étude de la langue dont je détaillerai plus loin l'organisation, dans lequel est encarté un livret d'accumulation d'exemples en grammaire et conjugaison ;
— les fichiers d'orthographe des PEMF ;
— mon stock de réponses classées dans des bacs à dossiers suspendus ;
— des dictionnaires.
L'ensemble des activités s'articule en trois types de travaux qui relèvent :
— du personnel (la production),
— du collectif (l'étude de la langue à partir d'un texte exploité ensemble),
— du programmé (sur fiches d'entrainement construites à partir du travail collectif).
Le Travail personnel
La production de textes libres...
Dès les premiers jours de l'année sont mises en place les « bonnes habitudes » concernant la présentation des travaux et leur « circuit », soit, pour les textes libres, s'assurer de l'autonomie complète de TOUS les élèves quant à :
— l'emplacement où sont disponibles les feuilles pour les brouillons ;
— la présentation du brouillon ;
— la place du « bac à corriger » où déposer le brouillon ;
— la présentation de la recopie sur le « cahier d'œuvre » ;
— la procédure d'acceptation ou de refus de l'éventuelle « réponse » ; place de celle-ci dans le cahier ;
— le système d'inscription pour les présentations à la classe.
Dans le livre, j'avais également décrit la manière que m'avait apprise Marcel Thorel de mettre toute la classe à l'écriture dès la première heure de classe de l'année pour obtenir immédiatement, sans stress et sans exception, un texte par enfant pour lancer la production, clairement affichée comme activité centrale et emblématique de la classe.
Ma correction et le travail que je demande sur les textes varient au cours de l'année, de manière évidemment différenciée selon le niveau et les possibilités de chaque élève.
Jusqu'en novembre, je ne me pose aucune question : je corrige tout, je propose le plus souvent possible une réponse avec un statut d'approbation (« Tu vois, un autre auteur, enfant ou adulte, a eu la même idée que toi ; t'engager sur ce type de sujet est donc légitime. »), et je n'exige qu'une recopie méticuleusement soignée.
Après, les choses se différencient ; je continue à faire de même pour ceux que je juge encore trop peu « installés » dans l'écriture, tandis que je commence à « charger » pour ceux dont je pense que plus rien ne peut les dissuader d'écrire, c'est-à-dire que je leur demande de corriger eux-mêmes un certain nombre d'erreurs. Puis viennent progressivement les travaux consécutifs à la correction des erreurs, sur les fichiers PEMF. Parallèlement évolue la « réponse », devenant de moins en moins un outil visant à conforter, mais de plus en plus une proposition d'ouverture culturelle (part croissante du texte d'auteur, de l'œuvre d'art de la culture adulte).
Concrètement...
Un élève écrit un texte sur un brouillon en respectant les consignes de présentations visant à faciliter la correction. S'il en est satisfait, il le dépose dans le « bac à corriger » sur mon bureau. J'essaie de le lire immédiatement, afin de pouvoir le cas échéant reprendre avec son auteur tel ou tel passage mal formulé, peu compréhensible. S'il n'en est pas satisfait, je suis durant cette demi-heure d'écriture disponible pour recevoir au bureau. La marche à suivre est expliquée dès les premiers jours : me faire un petit signe, je note les noms sur une « liste d'attente », j'appelle dans l'ordre des inscriptions, on se déplace sans bruit, nous dialoguons en chuchotant ; s'il faut attendre, on s'occupe (graphisme, fiche d'entrainement de français et fiche de lecture qui prennent en ce cas un statut de « bouche-trou »).
Je précise que je n'hésite pas à intervenir fortement sur un texte, et je pense qu'il existe une fausse attitude, tout à fait étrangère aux idées de Freinet, assez largement répandue, consistant au nom d'un respect mal compris de l'enfant (trouvant peut-être son origine dans une réflexion insuffisante sur la place respective, selon les situations, justement, de l'enfant et de l'élève) à renoncer à une part importante de notre tâche d'éducateur, jusqu'à même empêcher d'apprendre !
Cahier « d'œuvre » et stockage des brouillons
J’ai supprimé voici trois ans le « cahier d’écrivain » qui n'était dévolu qu'au texte libre au profit d’un « cahier d’œuvre » destiné à recevoir l’ensemble de la production personnelle d'un élève (textes, « inventions mathématiques », arts plastiques...) ainsi que mes réponses. Pourquoi « œuvre » ? Le mot est en l'occurrence à entendre au masculin, c'est-à-dire comme synonyme d’ouvrage, l’ensemble de ce qui se réalise au jour le jour dans l’expression, la création, le tâtonnement. Il ne s’agit pas de l’œuvre au féminin, qui prend le statut d’objet achevé.
J’espère que cela peut donner à un enfant une conscience supérieure de ce qu’il bâtit durant l’année scolaire. Je ne demande pas d'illustration des textes ; au cycle III tout au moins, je trouve que cela « dilue » trop le travail et induit une entrée dans les arts plastiques trop « étroite », trop peu libre...
Et que faire des brouillons ? Surtout : comment en rendre la consultation facile et utile ? J'ai opté pour la constitution d'« accordéons » de papier ; les déplier rend compte de manière saisissante de l'évolution de l'écriture comme des vrais progrès en orthographe. Les accordéons (car il en existe d'autres que celui des brouillons de textes) sont rangés dans des boites nominatives, ce qui évite d'encombrer les cases.
Le travail personnel sur les textes
Donc, au fur et à mesure que l'année avance, je « charge » progressivement un travail personnel qui s'intercale entre brouillons et recopie. Il s'agit, par « ordre d'entrée en scène » :
— de l'apprentissage « par cœur » de mots et d'expressions fautifs dans le brouillon. Ils sont notés au dos de la feuille ; quand l'élève récupère son brouillon, il les recopie sur son « petit cahier jaune », suivis verticalement de dix tirets ; ce sera le support des « Trois minutes d’orthographe ». Comme son nom l'indique, il s'agit d'une toute petite plage qui ouvre la seconde partie de la matinée, assurant du même coup un retour au travail après la récréation. C'est une vieille technique initiée par Jean Le Gal, plusieurs fois explicitée dans N.E
[3]. À l'expérience, c'est d'un rapport simplicité/efficacité stupéfiant. Cibler les formulations qui reviennent souvent dans les textes d'enfants permet de « nettoyer » rapidement les brouillons d'erreurs sur des choses très basiques.
— d'un travail sur fiche à propos d'une erreur récurrente. J'utilise les fichiers PEMF (C, D, « Formes verbales »). Je me suis fabriqué une grille qui me permet de mettre en relation une erreur avec une fiche très rapidement. La fiche est faite au dos du brouillon ; elle est autocorrigée puis m'est présentée afin que je puisse tenir à jour mon « plan de travail » (je suis le seul à en avoir un dans la classe).
— d'une autocorrection partielle puis totale du brouillon. J'utilisais auparavant un outil d'autocorrection (code), mais il m'est apparu que d'une part les élèves, très vite, « passaient par-dessus l'outil » et que d'autre part, la lourdeur du travail de mise en place du code d'autocorrection pour le maitre ne débouchait pas sur une « rentabilité » suffisante. Donc je n'utilise plus de code ; sur tout ce que les élèves sont sensés savoir consécutivement aux travaux collectifs, je me contente de surligner les erreurs, et je constate que les autocorrections sont tout aussi pertinentes.
Au total, vers janvier/février, on en arrive à des brouillons constitués comme suit :
— recto : brouillon du texte, erreurs surlignées et autocorrection ;
— verso : mots et expressions à recopier sur le « petit cahier jaune » pour les « trois minutes d'orthographe » ; fiche autocorrigée.
Le Travail collectif et coopératif
Collectif en ce sens que c'est tous ensemble... Coopératif en ce sens que c'est une mutualisation de savoirs, sur la base d'un texte d'enfant pris en charge par le groupe...
Étude de la langue, une organisation sur quatre jours
Les temps collectifs concernent donc quatre tranches horaires de 40 /45 minutes situées après la récréation du matin, juste à la suite des « Trois minutes d'orthographe » et une présentation de livre de bibliothèque. Le travail est réparti comme suit :
Lundi : les lectures de textes à la classe sont transformées en « choix de textes » (on n'y lit que des brouillons) puis mise au point collective d'un texte élu en dictée coopérative. (cf. encadré)
Mardi : travail sur la « feuille des remarques » reprenant les principales difficultés rencontrées lors de la dictée coopérative. (cf. encadré)
Jeudi : lecture d'une éventuelle « réponse collective » puis dictée de « phrases d'entrainement ». (cf. encadré)
Vendredi : contrôle (dictée de la feuille de devoirs/leçons, soit le texte mis au point et étudié la semaine précédente et des mots de vocabulaire issus de l'entretien et de l'étude du milieu).
Y a-t-il à un moment « dé-contextualisation » ? Ma réponse actuelle est clairement non. Sachant qu'au collège, il n'y aura plus que ça, assumons un rôle d'accumulation d'expériences. Il sera bien temps ensuite de se retourner pour analyser, compléter, diverger... enfin... ce serait un idéal, et si ce n'est pas fait, ce n'est pas la faute de l'école primaire ! Je reprends... L
Le travail programmé
Dans la semaine, il y a deux plages de travail programmé de quarante-cinq minutes, en début d'après-midi. J'utilise ce mot pour bien signifier que l'on est plus sur quelque chose de personnel ayant trait à la production, mais sur de l'entrainement consécutif à des activités collectives. Il y a quatre supports possibles :
— fiche d'entrainement de français reprenant ce qui a été travaillé sur la « feuille des remarques » la semaine précédente ; délai : une semaine ; correction collective ; attribution d'une couleur selon le taux de réussite ;
— fiche d'entrainement de math ;
— fiche de lecture ;
— fiches de calcul rapide.
Si l'on veut reprendre la distinction établie par Marcel Thorel, il ne s'agit plus ici de travail, mais de boulot, ce dernier étant d'autant mieux assumé que sa part est drastiquement réduite et que son statut et sa place dans un enchainement logique sont clairs dans l'esprit de chacun !
La lecture
Je suis en cycle III et j'ai la chance de travailler avec des élèves systématiquement lecteurs. Je n'écris donc ici que dans la perspective d'un tel contexte, et je mets de côté la lecture documentaire que suppose le travail préparatoire de nos dossiers d'étude du milieu.
Donc, en gros, il existe deux pôles :
— la lecture de livres de bibliothèque,
— le travail des compétences de lecteur.
La classe est divisée en quatre groupes et chacun d'eux à sa semaine de présentation. Les élèves choisissent librement un livre à la bibliothèque de l'école ou à la médiathèque municipale ; je ne porte pas de jugement sur leur choix (sauf cas extrême), l'essentiel à mes yeux étant qu'ils lisent et qu'ils y prennent de plus en plus plaisir. Dans le même objectif, je demande peu de travail sur le livre ; simplement : le lire (ce n'est pas évident pour certains ; il est donc nécessaire de bien mettre les choses au point avec les parents), compléter une fiche où sont portés titre, auteur et la recopie d'une page ou deux qui sera/seront lue(s) à la classe lors de la présentation. À chaque conseil, le vendredi, nous remplissons sur le tableau d'organisation la partie dédiée aux passages.
Chaque jour, deux élèves présentent leur livre à la classe, selon un rituel immuable :
— annoncer : « J'ai lu tel livre de tel auteur » ;
— montrer la couverture ;
— résumer oralement l'histoire, dans un temps limité ;
— lire une ou deux pages qui ont particulièrement plu, lecture bien entendue soigneusement préparée, qui doit être fluide et expressive ;
— répondre aux questions de la classe, la parole étant bien entendu réglée par l'élève titulaire du métier.
Les élèves changent leur livre sitôt le précédent présenté. Ils disposent donc d'un délai assez long pour préparer le suivant.
À l'usage, il semblerait que cette « légèreté » des exigences soit payante, puisque les parents me disent régulièrement que leurs enfants ont ainsi trouvé le gout de la lecture.
Le travail des compétences de lecteur se fait sur fiches, lors des séances de « travail programmé ».
J'ai longtemps utilisé les fichiers des PEMF... non pas parce que c'était « maison », mais parce que c'étaient de bons exercices ! Mais le fait qu'ils ne prenaient pas sens dans la cohérence que je souhaitais pour l'ensemble du travail de la classe m'a conduit à les abandonner au profit de fiches que je fabrique moi-même.
Cela me permet de faire d'une pierre deux coups. D'une part, je connecte la fabrication de ces fiches à la vie de la classe, puisqu'elles prennent toujours appui à nos « dossiers de semaine » (supports d'étude du milieu, réunion de conférences d'enfants sur un même sujet voté en conseil à partir des ressources de l'entretien du matin) ; elles ont donc un sens immédiatement perceptible. D'autre part, cela permet de revenir sur ce qui a été étudié et ainsi de favoriser la mémorisation d'éléments supplémentaires.
Le plan en est toujours le même : une section portant sur les documents dont les enfants disposent dans leur porte-vue d'étude du milieu ; un document (texte, tableau statistique, carte, etc.) ; une section de questions se rapportant à ce document. Je varie bien sûr le type d'exercice en fonction de la compétence de lecteur que je me propose de faire travailler.
Comme nous traitons un dossier chaque semaine, une nouvelle fiche de lecture est donnée en début de semaine suivante. Le délai alloué est également d'une semaine, puis elle est corrigée collectivement, pour l'attribution d'une « couleur ». Mais durant les séances de travail programmé, je suis bien entendu disponible pour apporter l'aide nécessaire à qui en a besoin.
Les élèves s'y attachent avec plaisir, bénéfice espéré de la mise en cohérence de ce « boulot » avec du « Travail » !
Il existe enfin un dispositif fortement motivant pour le travail d'une lecture orale de qualité : la présentation de livre à la classe des tout-petits/petits de l'école maternelle Victor Hugo (classe de Nathalie Ramas du chantier maternelle), concernant trois enfants chaque semaine.
Et puis ?
Ma dynamique de « freinétiste » m'a donc engagé dans la recherche d'une sorte de « noyau irréductible ». La simplicité conquise permet de dégager du temps, de l'énergie, de l'attention, pour autre chose d'autrement essentiel : le « centre » dont tout émane. Revenons-en à la base de départ : les enfants produisent des textes et c'est sur cette base qu'ils sont ensuite des élèves. Et comme enseignant, on peut facilement oublier les premiers au profit exclusif des seconds, en oubliant qu'il s'agit de la même personne. Et ce serait oublier les finalités, et donc se « couper » de ce qui peut faire – entre autres – que la classe devient un lieu de vie paisible où l'on court chaque matin parce qu'on y existe comme personne, qu'on soit enfant ou adulte. Par l'expression et la création, les enfants se construisent, « viennent à eux-mêmes », et c'est là qu'est l'essentiel. La partie la plus féconde, la plus passionnante, la plus difficile aussi, de notre travail – en tout cas celle que j'interroge le plus actuellement – réside dans l'attention à tous les « signaux faibles » qu'il faut accueillir et accompagner pour que les personnes et les productions grandissent. Ce n'est plus alors qu'affaire de sensibilité, d'intervention minimaliste à la limite (jamais franchie !) d'un « non-agir », d'un simple mot bien choisi, d'une question anodine, mais bien aiguisée, d'un simple regard parfois, pour que le maximum de tout ce qui peut arriver... arrive. C'est pour être pleinement disponible à cette sensibilité-là qu'il me parait nécessaire de « régler son compte » à l'aspect matériel des choses, qui ne doit plus constituer un fardeau, qui ne doit plus focaliser l'essentiel des questions...
J.M. Guerrien (59)
La dictée coopérative
Après la séance d'écriture (9 h – 9 h 30), nous avons le lundi un « choix de textes ». Les enfants qui s'y inscrivent sont ceux qui viennent d'écrire un brouillon... et qui le veulent bien, soit parce qu'ils sont contents de ce qu'ils ont produit, soit parce que justement, ils sont insatisfaits et pensent que l'aide de la classe serait la bienvenue. Le « maitre de la parole » dirige comme d'habitude l'opération ; pour entendre le plus de textes possible, les questions et remarques sont limitées à trois. Le lecteur inscrit ensuite son prénom et le titre de son texte au tableau. Le maitre de la parole procède ensuite au vote.
Dans un premier temps, le texte choisi est relu par son auteur pour juger de sa cohérence, du bon ordre des phrases, des éléments manquants, etc. Je peux éventuellement noter quelques repères au tableau. Quand nous sommes d'accord sur la forme que le texte va prendre, nous démarrons le travail d'écriture sur le cahier d'étude de la langue.
La procédure est la suivante : nous reprenons le texte phrase par phrase, et chacune d'elle implique quatre étapes :
— recherche de la meilleure formulation, du terme exact, de synonymes afin d'éviter les répétitions ; toute formulation différente de l'original doit recevoir l'approbation de l'auteur, qui peut aussi choisir entre plusieurs propositions ;
— une fois la formulation arrêtée, je dicte la phrase ; les élèves ont pour consigne stricte de n'écrire que ce dont ils sont surs du point de vue orthographique et de laisser des trous pour ce qui suscite un doute ; il faut bien sûr passer systématiquement une ligne pour la correction ;
— une fois la phrase écrite, je pose la question rituelle « Y a-t-il des trous ? », ce qui signifie également qu'il faut avoir le stylo rouge en main pour écrire dans lesdits trous ; j'interroge ceux qui ont besoin d'aide ; d'autres lèvent la main pour signaler qu'ils ont la réponse ; je leur donne à leur tour la parole. Il existe trois types d'aide : épeler pour un mot d'usage ; donner le type de mot, le genre et le nombre pour un accord ; donner l'infinitif, le temps de conjugaison et le sujet s'il s'agit d'un accord de verbe ;
— une fois les demandes d'aide épuisées, j'envoie un élève au tableau ; il écrit la phrase ; nous nous interrogeons sur la justesse de sa transcription ; il reste à corriger, selon les règles habituelles : utiliser le stylo vert, souligner et réécrire sur la ligne libre.
Le but explicité est d'avoir un maximum de trous comblés en rouge et un minimum de correction en vert, ce qui manifeste la qualité satisfaisante du doute !
Puis nous passons à la phrase suivante. Il arrive que nous ne mettions pas au point l'intégralité du texte, à charge alors pour son auteur de continuer l'amélioration lors de la séance d'écriture suivante. Dans tous les cas, la mise au point est suivie d'une relecture et de la demande d'approbation de l'auteur (« Est-ce conforme à ce que tu désirais obtenir ? ») et la mise au point est recopiée dans le cahier d'œuvre au même titre que n'importe quel brouillon.
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La « feuille des remarques »
Au fur et à mesure de la dictée coopérative, j'ai noté tout ce qui semblait poser en général problème. Ceci me sert à établir la « feuille des remarques » ; elle comprend le plus souvent trois parties :
— une partie « grammaire » : analyse de deux ou trois phrases du texte afin de « rabâcher » la nomenclature minimale d'un langage grammatical commun ;
— une partie conjugaison sur les verbes un peu « difficiles » du texte ;
— une partie usage/accords consistant en accumulations d'exemples avec de petits cadres réservés aux régularités remarquées (« lois », « règles »... comme on voudra).
La feuille est matériellement une photocopie qui est collée sur le cahier. Nous la complétons ensemble lors d'une séance « intense » le mardi. Rien n'est écrit au tableau ; je donne la parole aux propositions des élèves ; tout est dicté et systématiquement épelé. Ce qui doit focaliser l'attention est entouré en rouge et colorié et jaune ; c'est également le cas des petites cases des « lois » ou « règles »...
Il va sans dire, désormais, que c'est le jeu de l'analogie qui est joué à fond, et que tout rapprochement de « ce qu'il ne faut pas confondre » (les fameux homophones grammaticaux) est évité comme la peste !
Mon travail consécutif consiste à construire une « fiche d'entrainement » (pour la semaine suivante) reprenant ces mêmes difficultés.
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La « réponse collective »
C'est tout simplement un « écho » (texte ou image, d'auteur) au texte mis au point, que nous collons dans le cahier, que nous lisons et commentons librement. Elle sert à apporter un élément culturel (cas le plus fréquent) ou à dédramatiser une situation rare comme pour le texte de Justine.
Exemple : Texte de John mis au point
À la mer
J'aime me promener sur la digue ou sur la plage, face au vent pour que les rafales me fouettent le visage. Je marche courbé pour lutter contre la bourrasque, le sable pique et gratte ma peau. J'aime que le ciel soit plombé de lourds nuages gris, que les vagues opaques et couleur de terre soient déchainées et couvertes d'écume. J'aime marcher dans l'eau fraiche qui me fait frissonner, sentir le sable mou sous mes pieds. J'aime respirer l'odeur iodée et entendre le grondement de la houle.
Réponse :
Hokusai : « La grande vague de Kanagawa ». Discussion : qui était Hokusai ? Quelle technique a-t-il utilisée pour produire cette œuvre ? Comment a-t-il composé son tableau (imbrication en symétrie centrale ciel/mer ; section dorée pour le placement du sommet du Fuji ; « jeu d'image » entre les vagues et le Fuji-Yama...) ?
Les phrases d'entrainement : il s'agit d'exercisation. Je sélectionne deux ou trois difficultés sur la feuille des remarques et je dicte des phrases (une dizaine à chaque séance) mettant en œuvre ce que nous avons dégagé comme « lois ». Les phrases sont corrigées une à une au tableau par un élève, avec l'obligation de justifier l'orthographe de certains mots d'usages obéissants à des régularités, accords et conjugaisons.
Toujours l'idée de répéter, répéter, répéter sans en avoir l'air, et d'installer les choses dans les esprits sans avoir à faire apprendre de leçons d'orthographe...
Le « livret de français » : C'est un livret inséré dans le cahier de français qui comporte une page par point à travailler, soit en grammaire, soit en conjugaison. Nous le remplissons au fur et à mesure des exemples rencontrés dans les textes mis au point. J'annonce par exemple : « Prenez le livret à la page des COD et recopiez telle ou telle phrase »... Quand le moment est venu, nous regardons l'accumulation de manière approfondie, nous la complétons et nous en tirons une loi, une règle, un résumé, un « truc », que nous notons dans un cadre réservé à cet effet en bas de page.
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[1] C.Freinet, dans Œuvres pédagogiques, T1, Éditions du Seuil , 1994
[3] Écrire nos mots, Jean Le Gal disponible en lecture sur le site de l’ICEM :
NE 204 - La goutte de pluie
Un témoignage de Véronique Nagiel, documentaliste au collège de Koumac en Nouvelle-Calédonie.
N°204 - Apprendre ? C'est vivre !
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Un projet d’écriture qui dépasse largement les seules acquisitions de français, un véritable travail sur la faune, la flore, la vie des hommes et des femmes de cette région. Un projet à conter aux plus jeunes, rythmé par des percussions. |
Les élèves de la classe de 5e4 du collège de Koumac en Nouvelle-Calédonie ont écrit et élaboré un album-conte dont le titre est « La goutte de pluie et la boussole ». Il s'agissait de la 13e édition de la langue française qui proposait cette année 2008 dix mots de la « rencontre » : apprivoiser, boussole, palabre, jubilatoire, passerelle, rhizome, s'attabler, tact, toi, visage.
À partir de ces dix mots, les participants devaient élaborer une production, un produit documentaire de leurs choix : un article, une poésie, une affiche, un cédérom, un conte, etc. Les élèves de la classe de 5e4 ont souhaité écrire un album-conte à destination des plus petites des écoles élémentaires, du CE2 au CM2, dans le cadre de la liaison-école-collège et de la maitrise de la langue française et des langues kanakes. La maitrise de la langue française est le premier axe des connaissances et des compétentes du décret du 11 juillet 2006, du « Socle commun des connaissances et des compétences » : « Savoir lire, écrire et parler le français, conditionne l'accès à tous les domaines du savoir et l'acquisition de toutes les compétences. La langue française est l'outil de l'égalité des chances, de la liberté du citoyen et de la civilité : elle permet de communiquer à l'oral comme à l'écrit dans diverses situations. Elle permet de comprendre et d'exprimer ses droits et ses devoirs. » Le conte écrit au club « lecture écriture » du CDI est un conte à lire aux élèves de l'école élémentaire, pour leur apprendre à s'approprier l'album-outil et à lire des histoires devant les autres avec des percussions tout en étant encadrés par les élèves du collège.
Le conte écrit par les élèves de 5
e4 est aujourd'hui publié sur le site du Centre de Documentation Pédagogique de Nouvelle-Calédonie en album-conte électronique pour la jeunesse
[1].
Pourquoi écrire un album-conte ?
Le premier objectif de l'album-conte est de transmettre des connaissances à des enfants plus petits que ceux de la classe de 5e. Le respect de la planète donne une dimension nouvelle à l'éducation à l'environnement en l'intégrant dans une perspective de développement durable. « La prise de conscience des questions environnementales [...], socioculturelles, doit, sans catastrophisme mais avec lucidité, les aider à mieux percevoir l'interdépendance des sociétés humaines avec l'ensemble du système planétaire et la nécessité pour tous d'adopter des comportements propices à la gestion durable de celui-ci ainsi qu'au développement d'une solidarité mondiale » (BOEN n° 28 du 15 juillet 2004). La seconde phase de généralisation de l'éducation au développement durable (EDD) permet d'inscrire plus largement l'éducation au développement durable dans les programmes d'enseignement (BOEN n° 14 du 5 avril 2007). La goutte de pluie raconte à des enfants, aux côtés de la boussole savante, son aventure au moment où le réchauffement climatique a des conséquences sur l'environnement. Dans la même perspective, les auteurs-conteurs décrivent l'environnement de la région de Koumac, dans la Province Nord de la Nouvelle-Calédonie, en donnant des indications sur la faune et la flore que les auditeurs ne connaissent pas : les noms des espèces d'oiseau de la région, la flore que l'explorateur peut trouver autour de la rivière, le Diahot, les noms et les espèces d'arbres, de fleurs. Les auteurs donnent des explications sur le développement durable, la biodiversité, le respect de l'environnement.
Le deuxième objectif est de décrire, à travers les personnages de la goutte de pluie et de la boussole savante, comment les habitants de la région de Koumac vivent leurs gouts et leurs mœurs constitutifs de leur culture très respectueuse de l'environnement, et les moyens mis en œuvre pour lutter contre le réchauffement de la terre. Les deux personnages principaux seront ainsi confrontés à des hommes parés de costumes végétaux et maquillés, exécutant des danses pour faire venir la pluie. Des explications sur les danses traditionnelles sont aussi données par les auteurs de l'album-conte ainsi que la définition de certains mots donnés par le jury, tels que « palabre » et « rhizome ».
Le réchauffement de la terre
Les élèves ont d'abord lu des documentaires sur la flore et la faune de la région de la rivière du Diahot de Koumac et ont souhaité introduire ce qu’ils y ont appris dans leur conte, pour transmettre des connaissances sur le réchauffement de la planète aux élèves de l'école élémentaire. Ensuite,, les conteurs ont comparé leurs informations avec celles données par un spécialiste scientifique et spécialiste du programme de conservation de la forêt sèche en Nouvelle-Calédonie, pour transmettre les noms avec leurs origines latines :
« Elles arrivèrent sur une étendue d'eau très belle, sur une grande fleur à côté d'un héron à crête blanche. La goutte de pluie s'exclama :
— On dirait un nénufar.
— C'est bien un nénufar Menyanthaceae du nom de Nymphoides indica. »
Le conte se compose de personnages mystérieux, d'une boussole savante qui a le pouvoir de parler, d'une goutte de pluie, d'un nénufar qui parle, d'arbres vivants, pour favoriser la maitrise de connaissances liées au respect de l'environnement et à l'éducation au développement durable. Chaque mot écrit en caractère gras permet un lien hypertexte vers un lexique qui se trouve à la fin de l'album-conte électronique qui donne les explications aux lecteurs. Les auteurs-conteurs ont élaboré ce lexique dès le départ pour permettre ensuite de faire des liens entre les elles et les différentes parties de l'album-conte. Les élèves ont d'abord cherché les définitions des mots dans le dictionnaire, puis les ont comparées à celles données par un scientifique pour élaborer leur propre lexique et écrire les différentes parties de l'histoire. Dans un album-conte électronique, le mot en gras qui permet un lien au lexique devient « mot-clé » puisque celui-ci est détenteur d'une définition et d'une vision synthétique du thème qui est abordé dans le conte. Les élèves sélectionnent les mots qu'ils choisissent d'utiliser dans leur album, les traitent et les valident pour réaliser une production finale. Le mot-clé va permettre à l'album de devenir électronique puisque l'hypermot favorise la recherche de l'information par l'usager qui peut à sa guise naviguer d'un paragraphe de l'album à un autre paragraphe. Ce rapport au support-objet est lié de près à la découverte du livre, à l'organisation de l'information, au rôle des auteurs. La relation tripartite support-outil, recul critique, pratique de l'argumentation, favorise en aval « la maitrise de l'information » de manière durable.
Du mot-clé « palabre » au réchauffement climatique
« Un palabre est une discussion entre des hommes coutumiers. Ces discussions sont longues et interminables et surtout réservées aux hommes. Comme la palabre était interdite aux femmes, elles s'en allèrent très vite. Elles prirent le chemin de gauche et le rhizome celui de droite pour arriver sur la passerelle qui menait à la tribu. Les anciens arbres étaient en plein palabre : il y avait trois banians, deux cocotiers, deux bois de fer et le plus ancien de tous, un grand pin colonnaire. De peur de se faire repérer, elles se cachèrent en silence. Elles aperçurent des hommes qui dansaient autour de plusieurs petits feux et qui faisaient des mouvements en rythme pour participer à la protection de l'environnement. Ils dansaient autour du feu pour chasser le soleil.
À cause du réchauffement de la planète, le climat se dérègle et les villageois font des danses pour faire venir la pluie, déclara la boussole. »
Les élèves-auteurs parlent simultanément du réchauffement de la planète, des mœurs et des gouts des villageois qui interprètent des danses pour permettre à la pluie d'intervenir. Les lecteurs apprennent de cette manière que les villageois rythment leur vie par des danses qui interviennent chaque saison : celle des pluies qui rythme les cultures de la terre, celles du soleil lorsque les plantes sortent de terre et germent. Chaque période correspond à des danses traditionnelles. Une partie de l'album permet au lecteur de trouver dans le lexique des renseignements sur les danses, les mœurs des villageois et le mot « palabre ». Le mot « palabre » conduit donc à découvrir les mœurs des villageois de la région de Koumac en Nouvelle-Calédonie, qui effectuent des danses pour faire venir la pluie qui se raréfie à cause du réchauffement climatique. Le travail d'écriture par les élèves permet de transmettre des connaissances et des savoirs sur le réchauffement de la planète, le développement durable, la biodiversité, la protection de l'environnement, mais aussi sur les danses traditionnelles, le palabre, les mœurs et les gouts des villageois. L'apprentissage de la lecture passe bien par le décodage et l'identification des mots conduisant à leur compréhension. Déchiffrer les mots dans l'ordre constitue un savoir-faire indispensable, mais ne suffit pas : les lecteurs trouvent les mots-clés qui sont écrits en caractères gras et accèdent au sens précis des mots grâce à un hyperlien qui mène à un lexique ou un atlas des mots. La lecture peut être définie comme le décodage de l'information par le lecteur-usager, un rapport à l’écriture, une mise en forme de l'information par un choix voulu par le ou les auteurs et par l'acquisition progressive de routines cognitives, de connaissances et de compétences nécessaires à l'acte de compréhension et de recherche d'informations. La lecture peut être définie comme une recherche active d'informations. L'intérêt est d'amener les élèves à prélever les différents indices ou marques de surface à la périphérie du texte pour permettre au mot et à l'image du mot d'acquérir une valeur idéographique. Dans cette conception, l'identification des indices de surface liés à la lisibilité de l'album-conte repose sur des éléments : un contexte physique, la présentation de l'album et les couleurs de la typographie employée, la police de caractère gras, italique, et sémiotique.
Les caractères d'imprimerie ont un statut particulier dans le conte. Les caractères gras fonctionnent comme des accents d'emphase, les caractères italiques sont souvent utilisés pour les légendes, les citations, les dialogues, les capitales servent pour les titres. Les élèves peuvent prêter plus d'attention à ces marques de surface, à la variété des caractères et en saisissent la portée. Les élèves-lecteurs ne placent plus sur le même plan le texte et la mise en forme de l'information en distinguant les règles de grammaire des exemples qui les illustrent.
De la lecture à la tradition orale
La percussion joue un rôle fondamental puisqu'elle permet de rythmer les différentes parties du conte et de favoriser la mise en place d'une méthodologie pour transmettre des connaissances de manière orale. L'éducation à la lecture ne peut se faire sans une structuration de l'histoire et sans la circulation de la connaissance dans un souci de l'éducation à la littérature orale et de l'écrit. Par exemple, un refrain revient toujours dans l'histoire et est répété par les élèves-conteurs :
« Comme elles ne voulaient pas se faire avaler, elles se sauvèrent très vite» (page 9).
« Comme le palabre était interdit aux femmes, elles s'en allèrent très vite » (page 11).
Le rythme de la percussion est lent ou plus rapide pour indiquer aux lecteurs que l'action entraine une réaction rapide des héroïnes qui doivent agir vite pour se sortir d'une situation-problème. Lorsqu'une nouvelle action intervient, le rythme n'est plus le même : celui-ci peut s'accélérer ou ralentir selon les actions des héros. Le percussionniste n'intervient pas sans le conteur et vice versa : les élèves apprennent à rythmer une histoire et à conter avec un instrument de musique pour favoriser la circularité de l'information comme dans les pays et les régions ou la tradition et l'histoire des sociétés se transmettent de manière orale. La percussion permet également un échange entre les conteurs et le public qui reprend les refrains après le conteur, exploite l'information pour permettre à l'action de se produire et à une autre action d'arriver. La percussion appelle l'auditoire avec le conteur pour lui dire qu'il va jouer un rôle dans l'échange entre le conteur et le conte qui est transmis. Le conte est ainsi lu par plusieurs conteurs de la classe de 5e à des élèves de CM2 ou de 6e et, ensuite, les élèves invitent ceux de l'auditoire qui le souhaitent à venir pour apprendre à lire un conte devant d'autres avec un instrument de musique. Les conteurs deviennent les guides des autres élèves qui apprennent à conter une histoire devant d'autres.
Le conte électronique apparait comme particulièrement adapté à la tradition orale pour transmettre des connaissances de manière orale.
Véronique Nagiel (Nouvelle-Calédonie)
[1] Le site du CDP : http://www.cdp.nc/TICE/LIVRE-OUTIL-CONTE/albumconte.PDF
NE 204 - Pédagogie y es-tu ?...
Une réflexion sur la pédagogie de Nadia Belaghlem Boukherouba, membre du Chantier de pédagogie sociale.
N° 204 - Apprendre ? C'est vivre
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La pédagogie sociale, scolaire, amicale ou familiale, peu importe l'adjectif... ce qui compte c'est la « pédagogie ».
J'ai longtemps réfléchi et tourné autour de ce mot « pédagogie ».
Mais qu'est ce que ça veut dire ?
Comment démarrer, quel pronom utiliser, le « je », le « il »; le « nous »...
Je me suis demandé si après tout, la pédagogie n'était pas une affaire de pronoms : personnels, possessifs, démonstratifs, définis ou indéfinis...
Et si...
Face à la page blanche, je suis retournée vers la définition et l'étymologie du mot « pédagogie ». J'ai lu : « conduire, mener, instruire, éduquer, méthode et procédé... »
Et puis cette phrase : « La petite histoire raconte que ce mot grec désignait la personne (généralement un esclave) accompagnant les enfants sur le chemin de l’école et ceci afin d’éviter de mauvaises rencontres. »
J'y ai retrouvé un mot qui me parle beaucoup : « rencontre ».
Et si la pédagogie n'était qu'une affaire de rencontre ? La rencontre des pronoms et des auxiliaires par exemple.
Et si tout commençait par là... et se terminait par l'alchimie qui se produit autour de cette rencontre.
La rencontre
Bonne ou mauvaise, elle emballe, elle provoque les pronoms qui parfois s'entrechoquent et se martèlent ; parfois se fondent et se confondent, s'opposent et s'unissent...
Il y' a celle que l'on choisit, celle que l'on évite, celle que l'on provoque, les improbables, et les évidentes... Toutes sont nourrissantes...
La vie ne commencerait-elle pas par la rencontre, belle et merveilleuse naissance, se terminant par elle, dans la triste et l'effroyable mort.
Après tout la mort de l'homme par exemple, pour prendre la pire des rencontres inévitables, que représente-t-elle pour l'univers ? On ne sait pas. Mais en regardant de très très loin, on peut voir d'elle une minuscule graine plantée dans la terre.
Bonne ou mauvaise, de toute façon la Rencontre est universelle et intemporelle. Elle conduit, mène, instruit, éduque, cultive, nous apprend, et nous rend différent à chaque fois.
De là s'en suit un processus de co-« naissance » essentiel aux apprentissages.
Les événements et la force de la vie nous démontrent souvent la petitesse de nos connaissances ébranlant nos certitudes en nous apprenant entre autres l'humilité, l'ouverture et la place essentielle de l'erreur en chacun de nous.
La pédagogie, c'est aussi savoir laisser la porte de ses certitudes entrouvertes pour y laisser place au doute « consubstantiel à toute véritable intelligence » (disait un avocat général).
Une toute petite place, comme celle que l'on accorderait au « vous » au « ils », aux autres, dans la jonglerie des pronoms à l'intérieur de soi.
La pédagogie ne se soumet pas au résultat qui dépendra du respect, de la justesse, de la confiance, et d'un tout plein de choses qui nous dépasse dans le processus de la vie.
Elle, répond à des attentes communes de différentes manières en attendant la prochaine question.
Elle se cuisine avec les mots, les gestes les imitations et les mîmes et bien d'autres encore.
Elle s'articule harmonieusement ou pas autour du vital, de l'essentiel, du nécessaire, de l'utile, de l'improbable...
C'est pour moi, une façon bien personnelle d'apprivoiser la vie et de transformer la mort au service de tous.
Nadia Belaghlem Boukherouba (77) , Chantier « Pédagogie sociale »