NE 204 - La goutte de pluie

Un témoignage de Véronique Nagiel, documentaliste au collège de Koumac en Nouvelle-Calédonie.
N°204 - Apprendre ? C'est vivre !
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Un projet d’écriture qui dépasse largement les seules acquisitions de français, un véritable travail sur la faune, la flore, la vie des hommes et des femmes de cette région. Un projet à conter aux plus jeunes, rythmé par des percussions.
 
Les élèves de la classe de 5e4 du collège de Koumac en Nouvelle-Calédonie ont écrit et élaboré un album-conte dont le titre est « La goutte de pluie et la boussole ». Il s'agissait de la 13e édition de la langue française qui proposait cette année 2008 dix mots de la « rencontre » : apprivoiser, boussole, palabre, jubilatoire, passerelle, rhizome, s'attabler, tact, toi, visage.
À partir de ces dix mots, les participants devaient élaborer une production, un produit documentaire de leurs choix : un article, une poésie, une affiche, un cédérom, un conte, etc. Les élèves de la classe de 5e4 ont souhaité écrire un album-conte à destination des plus petites des écoles élémentaires, du CE2 au CM2, dans le cadre de la liaison-école-collège et de la maitrise de la langue française et des langues kanakes. La maitrise de la langue française est le premier axe des connaissances et des compétentes du décret du 11 juillet 2006, du « Socle commun des connaissances et des compétences » : « Savoir lire, écrire et parler le français, conditionne l'accès à tous les domaines du savoir et l'acquisition de toutes les compétences. La langue française est l'outil de l'égalité des chances, de la liberté du citoyen et de la civilité : elle permet de communiquer à l'oral comme à l'écrit dans diverses situations. Elle permet de comprendre et d'exprimer ses droits et ses devoirs. » Le conte écrit au club « lecture écriture » du CDI est un conte à lire aux élèves de l'école élémentaire, pour leur apprendre à s'approprier l'album-outil et à lire des histoires devant les autres avec des percussions tout en étant encadrés par les élèves du collège.
Le conte écrit par les élèves de 5e4 est aujourd'hui publié sur le site du Centre de Documentation Pédagogique de Nouvelle-Calédonie en album-conte électronique pour la jeunesse[1].
 
Pourquoi écrire un album-conte ?
 
Le premier objectif de l'album-conte est de transmettre des connaissances à des enfants plus petits que ceux de la classe de 5e. Le respect de la planète donne une dimension nouvelle à l'éducation à l'environnement en l'intégrant dans une perspective de développement durable. « La prise de conscience des questions environnementales [...], socioculturelles, doit, sans catastrophisme mais avec lucidité, les aider à mieux percevoir l'interdépendance des sociétés humaines avec l'ensemble du système planétaire et la nécessité pour tous d'adopter des comportements propices à la gestion durable de celui-ci ainsi qu'au développement d'une solidarité mondiale » (BOEN n° 28 du 15 juillet 2004). La seconde phase de généralisation de l'éducation au développement durable (EDD) permet d'inscrire plus largement l'éducation au développement durable dans les programmes d'enseignement (BOEN n° 14 du 5 avril 2007). La goutte de pluie raconte à des enfants, aux côtés de la boussole savante, son aventure au moment où le réchauffement climatique a des conséquences sur l'environnement. Dans la même perspective, les auteurs-conteurs décrivent l'environnement de la région de Koumac, dans la Province Nord de la Nouvelle-Calédonie, en donnant des indications sur la faune et la flore que les auditeurs ne connaissent pas : les noms des espèces d'oiseau de la région, la flore que l'explorateur peut trouver autour de la rivière, le Diahot, les noms et les espèces d'arbres, de fleurs. Les auteurs donnent des explications sur le développement durable, la biodiversité, le respect de l'environnement.
Le deuxième objectif est de décrire, à travers les personnages de la goutte de pluie et de la boussole savante, comment les habitants de la région de Koumac vivent leurs gouts et leurs mœurs constitutifs de leur culture très respectueuse de l'environnement, et les moyens mis en œuvre pour lutter contre le réchauffement de la terre. Les deux personnages principaux seront ainsi confrontés à des hommes parés de costumes végétaux et maquillés, exécutant des danses pour faire venir la pluie. Des explications sur les danses traditionnelles sont aussi données par les auteurs de l'album-conte ainsi que la définition de certains mots donnés par le jury, tels que « palabre » et « rhizome ».
 
Le réchauffement de la terre
 
Les élèves ont d'abord lu des documentaires sur la flore et la faune de la région de la rivière du Diahot de Koumac et ont souhaité introduire ce qu’ils y ont appris dans leur conte, pour transmettre des connaissances sur le réchauffement de la planète aux élèves de l'école élémentaire. Ensuite,, les conteurs ont comparé leurs informations avec celles données par un spécialiste scientifique et spécialiste du programme de conservation de la forêt sèche en Nouvelle-Calédonie, pour transmettre les noms avec leurs origines latines :
« Elles arrivèrent sur une étendue d'eau très belle, sur une grande fleur à côté d'un héron à crête blanche. La goutte de pluie s'exclama :                                                                             
— On dirait un nénufar.
— C'est bien un nénufar Menyanthaceae du nom de Nymphoides indica. »
Le conte se compose de personnages mystérieux, d'une boussole savante qui a le pouvoir de parler, d'une goutte de pluie, d'un nénufar qui parle, d'arbres vivants, pour favoriser la maitrise de connaissances liées au respect de l'environnement et à l'éducation au développement durable. Chaque mot écrit en caractère gras permet un lien hypertexte vers un lexique qui se trouve à la fin de l'album-conte électronique qui donne les explications aux lecteurs. Les auteurs-conteurs ont élaboré ce lexique dès le départ pour permettre ensuite de faire des liens entre les elles et les différentes parties de l'album-conte. Les élèves ont d'abord cherché les définitions des mots dans le dictionnaire, puis les ont comparées à celles données par un scientifique pour élaborer leur propre lexique et écrire les différentes parties de l'histoire. Dans un album-conte électronique, le mot en gras qui permet un lien au lexique devient « mot-clé » puisque celui-ci est détenteur d'une définition et d'une vision synthétique du thème qui est abordé dans le conte. Les élèves sélectionnent les mots qu'ils choisissent d'utiliser dans leur album, les traitent et les valident pour réaliser une production finale. Le mot-clé va permettre à l'album de devenir électronique puisque l'hypermot favorise la recherche de l'information par l'usager qui peut à sa guise naviguer d'un paragraphe de l'album à un autre paragraphe. Ce rapport au support-objet est lié de près à la découverte du livre, à l'organisation de l'information, au rôle des auteurs. La relation tripartite support-outil, recul critique, pratique de l'argumentation, favorise en aval « la maitrise de l'information » de manière durable.
 
Du mot-clé « palabre » au réchauffement climatique
 
« Un palabre est une discussion entre des hommes coutumiers. Ces discussions sont longues et interminables et surtout réservées aux hommes. Comme la palabre était interdite aux femmes, elles s'en allèrent très vite. Elles prirent le chemin de gauche et le rhizome celui de droite pour arriver sur la passerelle qui menait à la tribu. Les anciens arbres étaient en plein palabre : il y avait trois banians, deux cocotiers, deux bois de fer et le plus ancien de tous, un grand pin colonnaire. De peur de se faire repérer, elles se cachèrent en silence. Elles aperçurent des hommes qui dansaient autour de plusieurs petits feux et qui faisaient des mouvements en rythme pour participer à la protection de l'environnement. Ils dansaient autour du feu pour chasser le soleil.
À cause du réchauffement de la planète, le climat se dérègle et les villageois font des danses pour faire venir la pluie, déclara la boussole. »
Les élèves-auteurs parlent simultanément du réchauffement de la planète, des mœurs et des gouts des villageois qui interprètent des danses pour permettre à la pluie d'intervenir. Les lecteurs apprennent de cette manière que les villageois rythment leur vie par des danses qui interviennent chaque saison : celle des pluies qui rythme les cultures de la terre, celles du soleil lorsque les plantes sortent de terre et germent. Chaque période correspond à des danses traditionnelles. Une partie de l'album permet au lecteur de trouver dans le lexique des renseignements sur les danses, les mœurs des villageois et le mot « palabre ». Le mot « palabre » conduit donc à découvrir les mœurs des villageois de la région de Koumac en Nouvelle-Calédonie, qui effectuent des danses pour faire venir la pluie qui se raréfie à cause du réchauffement climatique. Le travail d'écriture par les élèves permet de transmettre des connaissances et des savoirs sur le réchauffement de la planète, le développement durable, la biodiversité, la protection de l'environnement, mais aussi sur les danses traditionnelles, le palabre, les mœurs et les gouts des villageois. L'apprentissage de la lecture passe bien par le décodage et l'identification des mots conduisant à leur compréhension. Déchiffrer les mots dans l'ordre constitue un savoir-faire indispensable, mais ne suffit pas : les lecteurs trouvent les mots-clés qui sont écrits en caractères gras et accèdent au sens précis des mots grâce à un hyperlien qui mène à un lexique ou un atlas des mots. La lecture peut être définie comme le décodage de l'information par le lecteur-usager, un rapport à l’écriture, une mise en forme de l'information par un choix voulu par le ou les auteurs et par l'acquisition progressive de routines cognitives, de connaissances et de compétences nécessaires à l'acte de compréhension et de recherche d'informations. La lecture peut être définie comme une recherche active d'informations. L'intérêt est d'amener les élèves à prélever les différents indices ou marques de surface à la périphérie du texte pour permettre au mot et à l'image du mot d'acquérir une valeur idéographique. Dans cette conception, l'identification des indices de surface liés à la lisibilité de l'album-conte repose sur des éléments : un contexte physique, la présentation de l'album et les couleurs de la typographie employée, la police de caractère gras, italique, et sémiotique.
Les caractères d'imprimerie ont un statut particulier dans le conte. Les caractères gras fonctionnent comme des accents d'emphase, les caractères italiques sont souvent utilisés pour les légendes, les citations, les dialogues, les capitales servent pour les titres. Les élèves peuvent prêter plus d'attention à ces marques de surface, à la variété des caractères et en saisissent la portée. Les élèves-lecteurs ne placent plus sur le même plan le texte et la mise en forme de l'information en distinguant les règles de grammaire des exemples qui les illustrent.
 
  
De la lecture à la tradition orale
 
La percussion joue un rôle fondamental puisqu'elle permet de rythmer les différentes parties du conte et de favoriser la mise en place d'une méthodologie pour transmettre des connaissances de manière orale. L'éducation à la lecture ne peut se faire sans une structuration de l'histoire et sans la circulation de la connaissance dans un souci de l'éducation à la littérature orale et de l'écrit. Par exemple, un refrain revient toujours dans l'histoire et est répété par les élèves-conteurs :
« Comme elles ne voulaient pas se faire avaler, elles se sauvèrent très vite» (page 9).
« Comme le  palabre était interdit aux femmes, elles s'en allèrent très vite » (page 11).
Le rythme de la percussion est lent ou plus rapide pour indiquer aux lecteurs que l'action entraine une réaction rapide des héroïnes qui doivent agir vite pour se sortir d'une situation-problème. Lorsqu'une nouvelle action intervient, le rythme n'est plus le même : celui-ci peut s'accélérer ou ralentir selon les actions des héros. Le percussionniste n'intervient pas sans le conteur et vice versa : les élèves apprennent à rythmer une histoire et à conter avec un instrument de musique pour favoriser la circularité de l'information comme dans les pays et les régions ou la tradition et l'histoire des sociétés se transmettent de manière orale. La percussion permet également un échange entre les conteurs et le public qui reprend les refrains après le conteur, exploite l'information pour permettre à l'action de se produire et à une autre action d'arriver. La percussion appelle l'auditoire avec le conteur pour lui dire qu'il va jouer un rôle dans l'échange entre le conteur et le conte qui est transmis. Le conte est ainsi lu par plusieurs conteurs de la classe de 5e à des élèves de CM2 ou de 6e et, ensuite, les élèves invitent ceux de l'auditoire qui le souhaitent à venir pour apprendre à lire un conte devant d'autres avec un instrument de musique. Les conteurs deviennent les guides des autres élèves qui apprennent à conter une histoire devant d'autres.
Le conte électronique apparait comme particulièrement adapté à la tradition orale pour transmettre des connaissances de manière orale.
 
Véronique Nagiel (Nouvelle-Calédonie)
 
 


[1] Le site du CDP : http://www.cdp.nc/TICE/LIVRE-OUTIL-CONTE/albumconte.PDF