Pour la rhétorique (III)

Septembre 1970
POUR LA RHETORIQUE (III)*  
développer l'oral
 
 

“La plus haute science du gouvernement est la rhétorique, c'est-à-dire la science du parler... Cependant si la parole est donnée à tous les hommes, la sagesse est donnée à peu. Je dirai donc qu'il y a quatre sortes de parleurs : les uns sont de grand sens et de bonne parlure, c'est la fleur du monde ; les autres sont également vides de sens, et c'est grande calamité ; les autres sont également vides de sens, mais bien parlants, et c'est le plus grand péril ; les derniers sont pleins de sens, mais force leur est de se taire, pour la pauvreté de leur parlure, et ainsi ils appellent à I'aide.

 

Or il est constant que la science de rhétorique ne vient pas du tout de la nature et de l'usage, mais de l'enseignement et de l'art ”. Brunetto LATINI (1220- 1294)
 
 

Quatrième règle : mettre l'accent sur l'actio et la memoria

 

D'autres diraient “développer l'oral ”. J'ai un dossier ORAL où se trouvent l'essentiel des références vraiment utiles touchant ce problème mais la notion elle-même me paraît chargée de connotations fâcheuses dans le triangle
 
 

ORAL                    SPONTANEITE

 

 
 

                 ECRIT

 

 
C'est-à-dire que l'oral est souvent senti comme l'expression d'une spontanéité souhaitable et s'oppose à l'écrit.
Ce triangle me paraît mener à une impasse ; par le biais ORAL - - - -SPONTANEITE, il privilégie les élèves qui parlent avec facilité et à l'étourdie, aux dépens des timides voués à subir le terrorisme intellectuel des premiers.
Et par le biais ORAL - - - - ECRIT relation fondée sur une opposition irréductible, on s'interdit tout progrès dans l'élocutio.
Ne parlons pas du rapport ECRIT- - - - SPONTANEITE qui dans cette perspective apparaît comme un monstre logique.
Or, lorsque nous pensons nous pouvons soit parler, soit écrire, soit écrire après avoir parlé (à haute voix ou intérieurement). Ainsi cet article écrit au fil de la plume avec pour guide simplement un graphe même pas écrit est le produit de nombreuses ruminations ; j'ai failli d'ailleurs l'inscrire sous forme de cassette pour un cahier de roulement et l'urgence de l'édition (il fallait un article pour BRECH£) m'a obligé à passer à l'écrit. Sans doute l'aurais-je parlé avec plus d'abandon mais la démarche du point de vue de l'élocutio, c'est-à-dire du style est la même. Sans doute y a-t-il une différence énorme entre l'oral et l'écrit, entre la conversation courante et un texte, mais, précisément, le problème de la rhétorique est de ne pas laisser s'engluer le locuteur dans un oral aux articulations relâchées. Que ceci ne soit pas recevable dans les premières années d'apprentissage soit, mais, progressivement, il faut en arriver au moment où l'élève devra pratiquer un oral dominé sous peine d'être automatiquement disqualifié dans un débat public (réunion de parents, réunion syndicale, politique, interviews, etc.), sous peine d'être constamment le vaincu des luttes sociales.
 
Dès lors l'actio doit requérir tous nos soins parce que c'est elle qui féconde et justifie les autres catégories selon le graphe suivant :
 
 

ACTIO _ _ _ _ _ MEMORIA                       _ _ _ _ _ _ _ _ _ IMPROVISATION

 

 

I      I                          I _ _ _ _ _ _ _ _ _ I

 

 

I      I

 

 

I      I_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ SCRIPTURA _ _ _ _ PRESENTATION

 

 

I                                                                                                                           MISE EN PAGE

 

 

I _ _ _ INVENTIO _ _ _ POETICA                                                                      AFFICHE - DADZIBAO

 

 

               I             _ _ _ ORATORIA                                  I           I                                              I

 

 

               I                                                                           I           I                                              I

 

 

         DISPOSITIO _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ I _ _ _ I _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ I

 

 
Comme ceci concerne tous les élèves, on est donc amené à prévoir des types de communications précises et rapides marquées par des temps d'intervention de longueur variable :
- toute la série des communications sur la formule TROIS MINUTES, c'est-à-dire la durée standard d'une communication téléphonique, d'une chanson, d'une intervention construite et percutante,
- des communications d'une durée plus longue où deux élèves peuvent présenter ensemble (en chant alterné) une production : cela comprend de 5 à 10 minutes : contes recréés, comptes rendus de livres, de films, etc.,
- des communications d'une durée de 15 à 20 minutes : explications de textes notamment,
- les communications plus longues sont exclues, sauf les montages de lecture, mais, comme ils sont fragmentés par de brefs débats, ils se ramènent à l'une des figures précédentes.
En d'autres termes, une heure de cours verra au moins deux types d'activités, même dans les cas les plus cIassiques. Ainsi une explication de texte d'une heure sera-t-elle programmée ainsi :
- explication de l'élève : 20 minutes
- correction du professeur : 10 minutes
- débat à propos du texte et autour de lui : 30 minutes.
Si l'explication est mal faite et que le professeur doit intervenir, on a alors un chant alterné professeur-élève assez pénible puisqu'il faut aider le locuteur dans l'explication mot à mot, ce qui ralentit l'ensemble soit donc 40 minutes et il ne reste plus que 20 minutes d'un débat ouvert. En cas de besoin on peut faire deux explications dans l'heure et même arriver à une programmation :
1° heure: 1° texte expliqué (20') + correction du professeur (10')
2° texte expliqué (20') + id
2° heure 3° texte expliqué (20') + id
4° texte expliqué (20') + id
3° heure débat à partir des quatre textes
On peut ainsi imaginer des séquences de travaux (ex : 4 textes autour de la notion de romanesque suivie d'un débat sur le romanesque. Ou sur la peine de mort... ex : explication du texte de Michel Sardou, d'un autre texte pris dans la BT2 19 Peine de mort, d'une enquête sur cassette et d'une analyse de faits divers... nous avons là quatre travaux préliminaires à un débat de synthèse ou inversement on commence par un débat informel sur la question suivi de présentations de travaux... Tout est possible mais tout n'est pas faisable, ni performant, ni intéressant).
 
En cas de débats informels, il en faut ! la part du maître peut être réduite, mais je crois qu'il est normal, même s'il n'intervient pas dans le débat, qu'il l'arrête dix minutes avant la fin de l'heure afin de faire reconstruire rapidement par les élèves le graphe de synthèse qu'il aura préparé dans son coin, graphe qui servira à relancer d'autres travaux... Encore faut-il avoir des systèmes de corrélats vraiment performants et ceci est une autre histoire.
 
 

Cinquième règle : toujours songer à la communication sur l'extérieur

 

 
Il y en a de trois types :
- l'investigation par écrit ou par oral près d'organismes ou de personnes à qui l'on demande un renseignement.
Ex : une recherche sur la bande dessinée mène à écrire au Syndicat d'Initiative de Bayeux pour obtenir des reproductions de la Tapisserie de la reine Mathilde (dont faire la lettre : inventio oratoria - dispositio - élocutio - scriptura !) ; un débat sur abandon-adoption mène à écrire à “S.O.S. Village d'enfants” pour savoir comment fonctionne l'organisme, etc. Bref chaque fois qu'une question se pose il faut avoir les réponses ; c'est même le graphe d'une dissertation !
 
En effet une question Q ? doit aboutir aux réponses possibles R1, R2, R3, Rn... parmi lesquelles je choisirai au besoin en panachant ma réponse personnelle et temporaire R pers. Dans le graphe les rectangles marquent simplement les faits recueillis et interprétés :
 

                            _ _ _ _ _ _ _ _ Q ? _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
                           I                                                   I                                                                           I
 _ _ _ _ _ _ _ _ _I_ _ _                                   _ _ _I_ _ _ _ _ _ _ _ _                                                 I
I                                   I                                 I                                    I                                               I
I                                   I_ _                      _ _ I                                    I                                     vers Rn
I_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _I      I                   I      I_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ I                                               I
                                           I                   I
 _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _       I                   I       _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
I                                   I      I                   I      I                                    I
I                                   I_ _ I                   I_ _ I                                    I
I_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _I      I                   I      I_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _I
                                         R1                R2
                                           I                   I
                                               R. pers.
 
On voit que par les biais des embranchements, on revient constamment sur les notions de base, ici la dispositio.
Une enquête doit prendre place dans un ensemble et cet ensemble doit être clairement visualisé ; le maître-mot ici est vue d'ensemble.
 
Le second type de communication est la correspondance scolaire. A partir du moment où les travaux sont brefs, ordonnés (textes de création courts, fiches-guides de recherche et de débats préparés par les élèves) il est possible après avoir tiré au limographe (voir règle n° 1) d'avoir des exemplaires supplémentaires qui alimenteront la correspondance. Ainsi un texte d'élève choisi par la classe pour être édité partira-t-il dans plusieurs directions :
 
 
TEXTE LIBRE
 
(la classe souhaite son édition ; l'élève l'accorde et ceci vaut autorisation de publication ;
le texte est donc personnel et revendiqué par l'auteur)
 I       I        I - - - - - - - - - - - - - - >
BT2 MAGAZINE - GERBE
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - >
revues du mouvement
 I       I - - - - - - - - - - - - - - -- - - >
 I
DEBAT - - - - - - - - - - - - - - - - - >
PROLONGEMENTS possibles précisés sous forme de GRAPHES - prise en charge par les élèves puis PART AIDANTE (DU MAITRE)
 

 I                          (écho en retour

 

 I                              pour l'auteur)

 
 
 

 I - - - - - - - - - - - - - - - - - - -- - - >
 
CORRESPONDANCE COLLECTIVE - - - - - - - - - - - - >
suppose une organisation de la classe - - - - - - - - - - - - - >
SOCIOGRAMME 
GROUPES DE TRAVAIL

 

 (écho en retour pour l'auteur)

 
 
 
 
Le troisième type de communication est le journal : on voit très bien qu'il peut se greffer sur le graphe précédent.
Personnellement j'ai pu remettre en route des correspondances scolaires sans difficulté mais pas encore le journal scolaire ; j'en avais un autrefois, fort médiocre et dont l'utilité n'était pas évidente. Il y a ainsi des avancées et des reculs. Ce n'est que lorsque j'ai pu vraiment résoudre les problèmes de base (que je définis dans ces règles) que j'ai pu relancer des activités réellement ouvertes. En d'autres termes: ne pas s'obstiner dans la pratique d'une technique que l'on possède mal, mais chercher inlassablement d'où venaient les blocages, les blocages les plus lointains étant les plus importants.
 
* ont précédé : Pour la Rhétorique (I) : La Brèche n° 48-49 (avril-mai 1979), Pour la Rhétorique (Il): La Brèche n° 50 (juin 1979)