Le démarrage en Langues Vivantes

Septembre 1975


 

LE DEMARRAGE EN LANGUES VIVANTES

 

NOTRE HYPOTHESE DE TRAVAIL EST QUE L'APPRENTISSAGE DES LANGUES SE FAIT PAR TATONNEMENT EXPERIMENTAL


 

Cela implique :

 

- que cet apprentissage soit motivé

 

- que les phases alternent en périodes de travail personnalisé individuel ou de groupe, permettant à chacun de travailler à son rythme et à son niveau et en périodes de travail collectif permettant la socialisation

 

- que le milieu dans lequel se trouve l'apprenti soit riche et aidant, autrement dit que l'organisation au niveau de groupe soit coopérative.

 

 

 Nous mettons en oeuvre un certain nombre de techniques développées par ailleurs dans des articles

 

de L'Educateur, dans des Dossiers pédagogiques (n° 27 et 44) . Le point se fera dans le 3/4 de La Brèche à paraître en novembre/décembre.

 

En bref, la pratique fondamentale est l'expression libre orale et écrite "alimentée" par la correspondance collective sonore ou individuelle écrite, la bibliothèque (plus de manuels mais des livres, des journaux, des brochures ... ), la discothèque, la sonothèque, la filmothèque, la télévision en circuit ouvert ou fermé, les interv iews, les enquêtes, les débats ...

 

L'exploitation de tel ou tel é lément motive le travail personnalisé :

 

- Ateliers d'écrit : reformulation du travail fait en phase collective, réponse à la correspondance,

 

préparation d'un compte rendu, exposé, script de montage aud iovisuel, bande dessinée, texte d'expression spontanée ...

 

- Ateliers d'oral : réponse à la correspondance, mise au point de l'exposé, de la lecture du texte à présenter, réalisation d' interviews, conversation libre, .réa lisation de dias .. .

 

Une phase de socialisation permet la présentation orale au groupe classe du travail mis au point individuellement ou par groupes dans la phase précédente . Ainsi ce travail est-il soumis à la critique des pairs, puis à ce lle du professeur qui complète, aide à la synthèse, prolonge au besoin par une leçon" a postériori ...

 

Et le travail peut enfin poursuivre sa route dans le circuit de communication

 

journal scolaire, correspondance sous toutes ses formes.

 

 
COMMENT DEMARRER ?

 

classeur, affichage,

 

Quatre camarades, par leurs témoignages, indiquent des pistes diverses ou complémentaires ...

 

 
Voici le témoignage de Danièle DAGOIS

 

"Durant mes deux premières années d'enseignement, j 'ai pratiqué la pédagogie, traditionnelle préconisée au centre de CEG dont je sortais. J'essayais de rendre ma classe la plus "vivante" possible, répétant cependant à chaque cours l'éternelle structure " interrogation/explication de vocabulaire, copie de ce vocabulaire .. . " Les élèves les plus scolaris en tiraient profit, tand is qu'une certaine frange "décrochait" progressivement . Ceci ne m'inquiétait pas trop puisque, comme tout débutant, j'avais entendu à de nombreuses récréations, qu'il y a dans chaque classe une proportion d'élèves "indécrottables", proportion inévitable dont il n'y a pas lieu de s'inquiéter : propos déculpabilisant s'il en est.

 

 

Au mois de novembre de la deuxième année, j'al eu la chance de recevoir dans ma classe une allemande enseignant le français à Osrtabrück. Nous nous sommes découvert de nombreuses affinités, et à la rentrée suivante, je recevais d'elle une lettre me proposant pour nos classes une correspondance pouvant aboutir à un voyage-échange : elle avait la possibilitéde venir à Dompierre avec ses vingt élèves. Cette proposition coïncida avec l'instauration de la %.

 

J'ai donc travaillé toute l'année, durant les séances de la %, avec un groupe de trente élèves intéressés, venant de mes quatre classes de quatrième et de troisième. En dehors de ces séances tous les élèves germanistes continuaient à travailler selon la progression du manuel, ce qui ne m'empêchait pas d'utiliser en classe les documents arrivant d'Osnabrück (textes, poèmes, chants, exposés).

 

Puis approcha la date prévue de l'arrivée des Allemands à Dompierre. Un mois avant cette date , nous avons arrêté le cours pour nous consacrer entièrement à l'élaboration de sketches illustrant les différentes situations dans lesquelles nous allions nous trouver avec nos invités (réception à la gare, présentation de l' école). Ces sketches ont fait déboucher les élèves sur de nombreuses notions de vocabulaire et de grammaire. Le séjour s'est bien passé.

 

Cette année, les élèves de troisième (ceux qui étaient en quatrième lors du séjour des allemands) ont continué une correspondance individuelle et nous avons passé dix jours à Osnabrück avant les vacances de Pâques. Le travail de toute l'année a été passionnant et j'ai eu cette année avec mes élèves des rapports étroits et en ichissants. A la fin de l'année de troisième la moitié des élèves (soit 32 élèves) a choisi l'option allemand au BEPC. Je n'avais jamais dépassé le nombre de 10 durant les années précédentes.

 

Toujours au cours de cette année 74-75, j'ai enseigné en classe de quatrième de manière tout à fait traditionnelle faute de correspondants. Les résultats ont été catastrophiques ou tout au moins je les ai ressentis comme tels, tant ils étaient loin de ceux que j'avais obtenus des troisièmes. Je n'ai pu établir aucun contact avec ces nouveaux élèves , rien qui puisse rappeler les relations ouvertes qui étaient nées spontanément l'année précédente.

 

J'étais le professeur, ils étaient les élèves. Face à cet échec, je devenais agressive et eux se retranchaient dans leur mutisme. Il m'est maintenant très clair que ce problème ne trouve pas de solution dans les méthodes traditionnelles. Le seul moment vraiment positif de mon enseignement , c'est-à-dire celui durant lequel les élèves ont été véritablement motivés et ont par conséquent progressé plus vite en y prenant plaisir est à la correspondance et à la liaison directe avec des Allemands.

 

La correspondance a été le déclic qui m'a permis de prendre conscience de problèmes qui m'étaient masqués jusqu'à ce jour par des méthodes trop rigides. Ce déclic aurait pu être tout autre, la correspondance n'étant pas le seul moteur de l'enseignement des langues. Mais il est important de constater que, cette prise de conscience faite, on ne peut plus enseigner comme avant".

 

 
Puis celui de Denise CORRE

 

"J'enseigne cette année uniquement l'anglais dans 5 classes

 

3e (24 élèves)

 

4e B (28 élèves)

 

4e A aménagée (16 élèves)

 

5e A (22 élèves) très faible

 

5e B (23 élèves)

 

Le CEG est petit (205 élèves) et assez mal équipé puisqu'il devait être supprimé. Il n'a été reconnu officiellement qu'en juin dernier. Etant municipal, il ne reçoit bien sûr pas de crédits de fonctionnement de l'état. Je dispose cependant d'un magnétophone et d'un poste pour la radio scolaire. Par contre, pas de crédits pour la correspondance, les revues.

 

Or, le milieu est pauvre petits fermiers, pêcheurs.. Je n'ai pas non plus de salle réservée à l'anglais. Ce qui est gênant pour les documents que je n'ai pas bien sûr en plusieurs exemplaires.

 

 

 

Comment avons-nous commencé ? Le premier mois, dialogue dans la classe à partir des vacances, de la vie quotidienne des élèves. Mais personnellement j'arrive assez vite à épuiser les centres d'intérêts de cette manière. En effet, les 5e étaient incapables, par exemple d 'écrire une phrase simple correcte. Et même en 3e, j'ai eu un texte absolument incompréhensible.

 

Alors se pose le problème des acquisitions.

 

En dehors de la correspondance, je ne vois pas ce que peuvent être des heures d 'anglais, sinon des heures d'apprentissage, d'acquisition, avec ce que cela suppose, au fond , de traditionnel, que ce so it modernisé ou non pour mieux "passer". Communication ?

 

Expression ? En français, d'accord. Mais à mon avis, il est artificiel de s'exprimer entre Français dans une langue étrangère. Et les 5e, et même mes 4e si faibles, sont incapables de faire un débat ou un exposé en langue étrangère.

 

Donc, sans correspondants jusqu 'à La Toussaint, après avoir épuisé le thème des vacances et de la vie quotidienne immédiate, nous avons travaillé à partir de certaines lons enregistrées à la radio scolaire, d'articles que j'ai polycopiés extraits de revues pour adolescents (Butterjfy, Catch, .. .) de sketches enregistrés sur disques (BBC et Richard et Hal/). Parfois aussi, surtout dans les petites classes, je distribue des dessins polycopiés à commenter.

 

Nous commentons aussi des diapositives (Véronèse , Butterfly), bref j'essaie de varier pour mieux faire avaler ..

 

Car l'année dernière, j'ai attendu en vain textes libres et exposés en 4e. En 3e par contre, j'ai davantage recours à l'expression personnelle orale et écrite. Je leur ai amené trois gros classeurs de documents sur la vie quotidienne en Angleterre (photos ou articles découpés dans des revues des années passées Big Ben .. . J'ai établi une liste d'exposés possibles avec les références des documents et les élèves acceptent ces petits exposés. Ils en ajoutenl d'aulres d'ailleurs. Je dispose ainsi de 3 boites de fiches auto-correclives, ce qui esl insuffisant pour les 5 classes.

 

J'espère, à partir de maintenant, pouvoir établir une correspondance avec au moins une classe anglaise et j'en attends beaucoup ".

 

 
Comment aborder le premi er mois d 'apprentissage ?

 

Témoignage de Michèle POSLANIEC (de la rentrée au 18/ 10/ 73)

 

Rien d'extraordinaire : Je vais dire un peu le démarrage en pensant à ceux qui se posent trop de questions 

 

Je dois d'abord préciser ceci : pour mes classes, la correspondance avec l'Angleterre est un fait acquis depuis 1970-71. Elle est reconduite chaque année presque tacitement entre mon collègue et moi, c'est-à-dire entre ma classe de 6e et la classe des grands (10-11 ans) de son école primaire.

 

 
"Good morning ! My name is Mrs Poslaniec ! "

 

et spontanément "on" m'a dit son nom - Bien entendu, il a fallu insister pour certains.

 

La première rencontre s'est donc divisée en deux moments :

 

1) Familiarisation avec la structure, échanges avec moi, entre eux, puis 2 à 2 :

 

- What 's your name ? - My name is ...

 

2) Présentation (en français) de nos correspondants: lieu géographique situé sur une carte. Pour le reste, les correspondants s'en chargent dans leurs envois.

 

Audition d'un petit bout de bande (Mes correspondants de l'an passé) avec explication rapide des passages intéressants où ils ont reconnu des mots - ou cru reconnaÎtre 

 

Ils reconnaissent effectivement :

 

les mots déjà entendus (à l'école ou chez eux chansons, etc.)

 

les mots utilisés en France, par exemple

 

football - France
Bien que prononcés différemment les mots qui ressemblent au français :

 

coffee - bowl - soup ...

 

Le passage de la bande est d 'ailleurs choisi en fonction de ces découvertes faciles : Nous ne sommes pas allés plus loin la 1ère fois et les enfants étaient déjà bien sensibilisés.

 

 

La fois suivante (ou celle d'après) ils ont enregistré leur 1ère bande pour les correspondants: présentation individuelle simple, courte et autant que possible différente pour chaque enfant - un peu en anglais, ceux qui le voulaient. L'enregistrement s'est fait aux heures dédoublées (13 enfants à chaque fois)

 

Pour compléter cette présentation, les idées furent nombreuses : charades, devinettes,chanson (mais elle était mal connue et mal chantée) parler des loisirs, du sport, enregistrerune leçon d'anglais et un poème sur la France_ ..

 

Ils ont finalement choisi le poème et aussi des charades que nous avons triées pour qu'elles soient très simples. Nous gardons les autres idées pour une autre fois. Une bande ne doit jamais être longue surtout pour les débutants.

 

- Le poème (en français) fut fait de façon mi-collective, mi-individuelle

 

Je m'explique: des idées de tous au tableau - chacun reprenant à son compte ce qu'il voulait.

 

Un fut choisi, sans difficulté, avec grosse majorité.

 

J'ai oublié de signaler que trois responsables de la correspondance s'étaient portés volontaires avant l'enregistrement, pour collecter l'argent, faire le paquet, et le poster.

 

Voilà pour le début.

 

Pendant le premier mois, il y a eu des étapes successives d'acquisition à l'aide d'un tableau de feutre plus figurines, du livre aussi - le HO chez Bordas -- (qu'on a utilisé

avec précaution au début en ne l'ouvrant pas tout de suite - plus les élèves ont du mal à prononcer, plus il faut retarder la lecture et l'écriture, à mon avis).

 

Il y avait déjà des embryons de création orale : jeux avec les mots et les phrases en essayant de créer des choses drôles - le monde à l'envers en quelque sorte.

 

Au bout d'un mois, ils étaient assez à l'aise et les dialogues, les débuts d'histoires (illustrées), les phrases simplement, proliféraient.

 

Nous présentions, expliquions, jouions, gardions pour la classe (sur grand cahier) et pour les correspondants. Il était question aussi d'un journal qu'on pourrait vendre pour avoir de l'argent (pour aller en Angleterre, et on y est allé! )"

 

Pour le démarrage en 6e, cf. aussi brochure pédagogique ICEM n° 44.

 

 
Beaucoup de problèmes donc au démarrage.

 

L'idéal est de démarrer la correspondance et se garder de présenter et vouloir mettre en oeuvre à la fois toutes les techniques énumérées ci -dessus. A partir du moment où le premier envoi arrive il faut laisser les faits s'enchaîner de façon naturelle. Mais une technique d'apprentissage basée essentiellement sur la correspondance pourrait passer pour peu réaliste si l'on considère

 

les difficultés que nous avons à trouver des classes correspondantes, à les initier à notre façon de travailler et enfin à les conserver.

 

Certaines classes débuteront par l'exposé, d'autres par le compte-rendu, d'autres par le texte libre ...

 

Il faut être attentif et bien saisir les situations qui se présentent. A chacun de trouver, d'inventer son point de départ.

 

Ensuite il faut s'organiser sur le plan matériel au fur et à mesure que les techniques libératrices font naÎtre un nouveau chantier. Pour faciliter la production le groupe a besoin de responsables qui organisent la bibliothèque de classe

 

- qui dès les premiers travaux d'atelier ou débats rassemblent les documents par thèmes

 

- qui tiennent à jour les différents plannings de correspondance, d'alternance des phdses de travail

 

...

 

- qui gèrent les finances

 

... ainsi le groupe progresse lentement dans son organisation_

 

Beaucoup d'autres petits problémes se poseront qu'il aidera à résoudre. Enfin, le professeur qui démarre a besoin de ne pas se sentir seul et il trouvera des recours aidants dans le travail coopératif avec les différents chantiers de travail, tant sur le plan départemental que national, et dans la lecture de "La Brèche", des Dossiers pédagogiques déjà parus, de "l'Essai de psychologie

 

sensible" et de "L'Education du travail".

 

Michel BERTRAND

CEG - 37 SAINTE MAURE