CréAtions N° 94 – Les lieux, les autres et moi - novembre/décembre 2000

Décembre 2000

 


CréAtions n° 94 - Les lieux, les autres et moi

novembre/décembre 2000

Ont participé à l'élaboration de ce numéro : Rémi Brault, Simone Cixous, Marlène Boyer, Brigitte Filoque, Monique Godfroi, Jeannette Go Roudier, Agnès Joyeux, Janou et Edmond Lémery, Hervé Nunez, Eliane Sayou, Annie Solas.

Photographies : George Buchin, Brigitte Filoque, Maud Léchopier, Gisèle Lemaire, Corinne et Dominique Lémery, Gisèle Lemaire.

 

 
Titre et chapeau

Niveau classe

thème

Techniques utilisées

artiste
Les lieux, les autres et moi
 

Edito

 
 

 

Traces, empreintes, art et nature             

maternelle

Un projet d’école (langage et communication) en ZEP, une classe culturelle à Lascaux sur les traces des hommes préhistoriques.

dessin, peinture,
gravure, empreintes,
création de couleurs avec des argiles, sculpture, in-situ,
écriture 

Hervé Chassaniol, Odile Fix et Yacine Ahmed, plasticiens

Georges Buchin

 

Interview
Envahissement des
déchets

sculpture
dessin

Georges Buchin, sculpteur

Femmes de Namibie

 

… Des femmes s’organisent en coopérative et brodent leur environnement, faune et flore

broderie

 

La peinture murale des mablyrots

élémentaire

collège 

Dans le cadre d’un jumelage avec le Burkina Faso, un projet pour comprendre et connaître une communauté africaine.

dessin, utilisation de gabarits

peinture

 

Tic-tic au collège

 

Une correspondance-vidéo avec un artiste pour préparer sa résidence au collège.

peinture,sculpture
dessin,
installations éphémères,
anamorphoses, photographie

 

Emmanuel Aragon, Samuel Buckman, plasticiens

Des conflits, des idées, un projet, une peinture murale

élémentaire

Les arts plastiques pour s’approprier son environnement scolaire , le respecter et mieux vivre ensemble.

dessin,
maquette,
craies

Brigitte Filoque, peintre

 

Peindre des « transfos »

élémentaire

Un projet-décor pour l’environnement.

dessin, recherche documentaire,
peinture

 

La peau des murs



Entretien
La peau des murs titre emprunté à l’ouvrage de M-O Briot et C Humblot

sérigraphie

Ernest Pignon-Ernest, plasticien

Bibliographie

 
 
 
 


 

 

Edito: Les lieux, les autres et moi

Décembre 2000

 

 

CréAtions n° 94 - Les lieux, les autres et moi

publié en novembre/décembre 2000 (Editions PEMF)

Edito

 


Edito

 

Pour de multiples raisons, au fil de son histoire, l'être humain a cherché à marquer son lieu de vie. Il l'a d'ailleurs modelé de façon irréversible.

Il a agi sur son environnement pour ne plus en avoir peur, pour l'apprivoiser et faciliter sa vie. Pour ne plus le subir.

Mais il a aussi et surtout posé son empreinte sur son environnement afin d'y inscrire son histoire, de la communiquer à ses pairs et à ses descendants. Pour s'y inscrire. Son témoignage est un message informatif, politique, social, esthétique.

En vill, l'environnement est souvent subi. Le transformer, le réaménager, de manière éphémère ou durable, c'est aussi poser un acte joyeux, c'est lutter contre la morosité.

L'enfant qui découvre le monde prend plaisir à le transformer: le berceau, la maison, puis le village ou le quartier, l'école. L'école doit, elle aussi, à son tour,  lui ouvrir d'autres horizons et lui permettre, par de multiples transformations, de s'approprier l'espace qui l'entoure.

L'enfant élargit son regard, agrandit sa perspective du monde. Il prend conscience que rien n'est définitif, qu'un autre peut toujous voir et faire autrement. Il devient curieux et attentif à ce qui l'entoure quotidiennement.

Revisiter un espace habituel (la rue, un jardin public, une école) en transformant ses perspectives, ses volumes, ses reliefs, c'est tout à coup s'offrir la possibilité de voir différemment et dans le nouveau de rechercher l'ancien.

Prendre possession de la rue, des espaces publics, c'est aussi désacraliser l'art, le rendre à tous et à chacun.

Mais ces actions sur l'environnement - dans la mesure où elles concernent plusieurs personnes - passent forcément par l'élaboration de projets négociés entre enfants ou avec des partenaires. La coopération, l'esprit d'ouverture et l'écoute de l'autre seront la clé de voûte de la réussite du projet.

Eduquer, c'est permettre à l'enfant de maîtriser peu à peu son environnement. Pour cela, il s'agit de l'aider, tout au long de son chemin d'appropriation, à construire les outils d'investigation dont il a besoin.

Cette maîtrise que l'enfant acquiert peu à peu sur son environnement, il peut concrètement la mettre en oeuvre, la matérialiser au travers d'actions plastiques sur ce même environnement. Cette action est à la fois fin et moyen, outil d'investigation et objectif éducatif.

Les divers articles de ce numéro sont une incitation, une invitation à sortir de l'école pour découvrir le monde et y rencontrer les autres acteurs sociaux, apprendre à connaître: observer, écouter et transformer de toutes les manières possibles notre environnement.

En ces temps de grande frilosité dès qu'il s'agit de passer le portail de l'école, puisse ce dossier être u encouragement pour tous ceux qui hésiteraient encore.

Agnès Joyeux

 


Sommaire
CréAtions 94
 

 

 

Traces, empreintes, art et nature

Décembre 2000

 

 
 

CréAtions 94 -Les lieux, les autres et moi
publié en
novembre/décembre 2000 

Ecole maternelle Mercoeur, Clermont Ferrand (63000)
Enseignante: Corinne Lemery

Traces, empreintes,

art et nature

Les activités décrites ont été vécues dans la grande section de l'Ecole maternelle Mercoeur de Clermont-Ferrand (classe de Corinne Lemery) mais en coopération avec les classes de petite et moyenne sections ( Patricia Bayeux et Bernadette Guitard), ainsi qu'avec l'Ecole maternelle F. Buisson (classe de Claudine Boyer), avec l'Ecole maternelle Charles Perrault (classe de Valérie Malaval), et avec l'Ecole maternelle Jean-Zay à Beaumont (classe de Christel Bourdier). Au cours de ces deux années de projet sont intervenus Robert de Rosa (conseiller pédagogique), Hervé Chassaniol, Odile Fix et Yacine Ahmed (plasticiens). 

Nos premières impressions

"Le rhinocéros, le mammouth, les peintures de Font de Gaume,
c'était beau
et j'aimais aussi faire l'empreinte de la main." Estelle

« J’ai tout raconté : le mammouth, le rhinocéros, les taureaux peints, les chevaux et les bisons peints » Julian




 

« Quand le monsieur a éteint la lumière, les animaux bougeaient parce qu’il avait une lampe. »

Quelques étapes d’un projet « Traces, empreintes,... » qui a évolué selon les circonstances qui se sont présentées pendant deux années, sont évoquées ici par des photos, des productions d’enfants et quelques commentaires. Parce que tout a été vécu dans des circonstances données, parfois inopinées, ce document n’a d’autre objectif que de suggérer quelques idées pour saisir la complexité de la vie qui entre dans l’école.

Dans le projet de la maternelle Mercoeur, située en ZEP, à Clermond-Ferrand, une priorité a été donnée au langage, à la communication, aux expériences vécues, à une multiplicité d’approches de l’environnement pour enrichir la personnalité de chaque enfant et élargir son champ d’expériences.

   

 Sommaire
Créations n° 94

Vers
la revue CréAtions
en ligne
 Suite: Naissance du projet,
sur les traces
des hommes préhistoriques



 

Georges Buchin, sculpteur

Décembre 2000

 

 

CréAtions 94 - Les lieux, les autres et moi
publié en
novembre/décembre 2000 

Interview réalisé par Monique Godfroi

 

Georges Buchin

 

Interview réalisé par Monique Godfroi 

Georges Buchin : Ma démarche repose essentiellement sur une interrogation de notre devenir. Pour l’exprimer, j’ai choisi, par dérision, un des problèmes marquants de notre temps : l’envahissement des déchets. Dérision mais aussi récupération et régénérescence puisque mes œuvres trouvent leur consistance dans ces rebuts.

La création en général et dans tous les domaines est, à mon avis, une nécessité absolue pour l’homme, pour sa survie et contre l’ennui. Je regrette seulement que l’homme utilise son imagination un peu trop souvent pour se détruire.
 
Futurogrand Duc
M.G. Quelle est votre formation ?
 
G.B. : Ma vraie formation est la visite constante de tous les musées, de toutes les expositions. Depuis les grottes de Lascaux jusqu’aux expositions les plus contemporaines, sans oublier l’art brut, l’art singulier, etc. C’est au hasard d’une rencontre dans ces expositions que l’on trouve aussi parfois des sources d’inspiration.
 
M.G. : L’artiste peut-il vivre de son art ?
 

G.B. : Pour préserver ma liberté totale de créer, j’ai toujours assuré ma vie matérielle en additionnant quelques activités annexes proches : décoration, restauration de tableaux, galeriste, etc.

 


M.G.: Avant de réaliser une œuvre, avez-vous un projet personnel ? Y a-t-il décalage entre le projet et la réalisation ?

G.B. : Quelques vagues croquis aident à trouver quelques idées, mais sans contraintes. Alors je me lance dans le brouillard. Par exemple, pour une sculpture, je dépends des matériaux (et j’y tiens). Ils n’ont pas été prévus à l’avance et s’imposent à moi : ainsi, un haut-parleur de radio va devenir le morceau d’une tête d’animal que j’imagine post-historique, donc métamorphosé. Il va prendre les formes que lui imposera sa nourriture supposée, faite uniquement de déchets. L’œuvre terminée sera passée par une évolution permanente de mon imagination et par la contrainte de tel ou tel matériau. Elle ne prendra sa forme définitive qu’au tout dernier moment. Cela modifie complètement le projet-croquis du début et c’est bien mieux ainsi.
A mon avis, l’art commence lorsque l’artiste est dépassé par sa propre démarche.
 
Futuroptérix

 

 
M.G. : Quand pour vous une œuvre est-elle achevée ?
 
G.B. : L’œuvre est achevée lorsque je sens que tout rajout ne ferait que nuire au résultat. Il m’arrive de cacher une œuvre quelques mois et de la redécouvrir ensuite ; alors je sens qu’il faut modifier (ou pas) tel ou tel détail. Le mot « fini » ne veut surtout pas dire bien fignolé, mais expressivement satisfaisant.
 
 
 
Futuratortua

  

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Femmes de Namibie

Décembre 2000

 

 

CréAtions 94 -Les lieux, les autres et moi
publié en
novembre/décembre 2000 

Propos recueillis par Corinne Marlot pour la revue Créations auprès de Thierry Azam, responsable de la galerie associative “ Le garage ” à Lorgues (Var), au retour d’un voyage en Namibie.

 

Femmes de Namibie

Pour enrayer la misère économique, liée à la désertification galopante du pays, des femmes s’organisent en coopérative et brodent leur environnement, faune et flore.

 


La Namibie est un grand pays situé en bordure de l’Océan Atlantique et frontalier de l’Afrique du Sud. Sur toute la longueur du pays, côté océan, et sur une largeur de 150 à 300 km, s’étend le désert. Dans le sud du pays, la désertification avance, laissant place à une extrême sécheresse. Depuis une vingtaine d’années, on assiste à la chute du mouton “ Karakul ”, qui représentait une source importante de revenus. Cet élevage est remplacé par celui de la chèvre, moins rentable. L’indépendance de la Namibie en 1989 a laissé abandonnées de très grandes fermes autrefois gérées par les blancs. Ces fermes étaient encloses et permettaient d’assurer une autarcie sur un territoire assez vaste. Actuellement, leur terrain est constitué de désert à 95 %.

Dans les trois quarts de la Namibie les fermes restantes sont blanches, les villages noirs et les villes mixtes. Il y a bien peu de travail, ce qui se traduit pour la population par un désoeuvrement, qui conduit souvent à l’alcoolisme, et un exode rural. Les familles sont désorganisées ; il n’y a plus de repères. Depuis l’indépendance, les fonctionnaires se partagent le pouvoir : on voit pour chaque poste un blanc et un noir. Mais ce partage est fictif, le pouvoir demeure dans les mains des blancs. C’est dans ces régions du sud que la colonisation a été la plus cruelle : après une quasi-extinction des ethnies, les populations ont du subir l’apartheid. Le peuple “ Nama ”, cousin des “ bushmen ” a été contraint à une sédentarisation forcée.
 
 
 
 
 
                  
 
 
Les “ Namas ” sont un des peuples les plus anciens de la terre : c’étaient des chasseurs qui vivaient dans le désert du Kalahari. Dans leur dialecte, ils possèdent un phonème supplémentaire, le claquement de langue, qui donne beaucoup de vivacité au parler.
C’est dans ce contexte difficile qu’est née en 1987, la coopérative “ ANIN ” qui veut dire “ beaucoup d’oiseaux ” en langue Nama. Une femme allemande, Heïdi von Hase, propriétaire d’une de ces fermes, à proximité du village de Hoachanas, est à l’origine de ce projet. Elle démarre cette coopérative avec les femmes noires du village. La plupart des hommes étant partis chercher du travail à la ville, ils sont absents du projet. Les rapports entre ces femmes vont dans le sens du partage des tâches et de la valorisation des compétences. Deux cent cinquante femmes sont impliquées dans ce projet : deux cents travaillent aux opérations simples : tissage, teinture et préparation des tissus ; une cinquantaine brodent et signent leur travail. La plupart des pièces produites sont des pièces uniques.
Ce partenariat dans un effort de travail a sauvé le village de la misère. Le produit de la vente représente 70 % des revenus du village. Les principaux débouchés sont l’Afrique du Sud et l’Allemagne. Un gros travail de diffusion reste à faire pour ouvrir sur d’autres pays dont la France.
 

La technique de broderie a été apprise aux femmes il y a une centaine d’années par les missionnaires. Les femmes ont choisi de représenter leur environnement immédiat : animaux, éléments de la nature, dans une grande liberté d’interprétation de la réalité.

Cette expérience est remarquable dans la qualité des rapports et des relations établis entre la ferme blanche et le village noir : les locaux de production sont situés dans la ferme et les femmes qui y travaillent se sont réellement approprié les lieux, actrices à part entière de l’aventure.
Thierry Azam, dans le cadre de l’association MDLC - le Miistère de la Culture - a proposé aux femmes de la ferme “ Jena ”, d’exposer leur travail dans la galerie gérée par l’association. Ce fut chose faite du 18 décembre au 2 janvier 2000 à Lorgues (Var). Nous souhaitons vivement que cette exposition puisse circuler dans d’autres lieux en France, ouvrir sur de nouveaux points de vente et permettre ainsi à cette initiative coopérative du bout du monde de se développer.
C’est une question de vie.

   
 


“ L’association MDLC a été créée à Lorgues dans le Var. Elle s’occupe de promouvoir la création artistique sous toutes ses formes, de créer un réseau international d’artistes, d’initier des projets et d’animer des ateliers d’expression. Elle possède une galerie, “ Le Garage ”, qui accueille régulièrement des plasticiens.

 
 
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La peinture murale des mablyrots

Décembre 2000

 

 

 

CréAtions n°94 -Les lieux, les autres et moi
publié en
novembre/décembre 2000 

CM1-CM2, Ecole Jacque Prévert, Mably (Loire), classe de Michel Vernet

6ème et 5ème, Collège Louis Aragon, Mably (Loire)

 

La peinture murale des mablyrots

 

Origine du projet

La commune de Mably (riveraine de Roanne) est jumelée avec le village de Pô au Burkina Faso.
Ce projet est mis en place :
- afin de marquer cette liaison par des traces concrètes, en plus de la coopération qui existe et s'installe de plus en plus entre les deux communautés.
- afin de permettre aux jeunes de Mably de comprendre, connaître une communauté africaine avec laquelle ils vont tisser des liens par une action "semblable" à la leur, dans leur cadre de vie, même si la signification diffère forcément du fait des différences de civilisation. Les maisons de Pô, dans la province de Nahouri au Burkina, sont peinte, "décorées" de fresques géométriques.
Quelle est leur raison d'être? leur signification réelle?
En tout cas, elles se livrent au regard, déjà comme trace esthétique, et font image dans l'environnement, le cadre visuel de chacun.

Le collège Louis Aragon, à Mably

 

Le village de Tiébélé, au Burkina Faso


Motivation

Quelques photos rapportées de Pô par les Mablyrots voyageurs émissaires ont déclenché le projet.
C'est d'abord l'aspect purement esthétique, décoratif, qui retient l'attention puis la raison et la signification deviennent questions.
Quelques recherches permettent de comprendre que ce ne sont pas de simples figures géométriques juxtaposées mais que ce sont les symboles des objets de la vie quotidienne des habitants du village:
- nuit étoilée/ nuit noire;
- soleil;
- guitare, tam-tam;
- canaris, serpents, boas;
- pattes de biches;
- herbe;
- noix de karité.
 
Ce sont des figures symboliques traditionnelles au Burkina Faso. Ce qui est difficile à comprendre par les enfants d'une société o l'on consomme l'instant et l'objet présents sans connaître la valeur symbolique et historique des choses, des instants et des gestes.
             
 

Réalisation de la peinture murale

Tout d'abord, les enfants recherchent des éléments picturaux de même type que ceux observés mais lus adaptés à notre société:

- nos animaux;

- nos arbres;

-nos traditions (maques de Mardi gras);

- notre climat (neige, pluie);

mais aussi en liaison avec l'Afrique (éléphants, etc.).

L'organisation spatiale a le même aspect: frises, algorithmes.

Les dessins étant trop détaillés, les enfants essaient de les styliser pour ne garder que des formes symboliques significatives. Certaines représentations picturales sont finalement retenues, les gabarits confectionnés, les couleurs choisies et des projets réalisés sur papier.

 
 
La peinture du fond est prise en charge par les employés municipaux. Il faut organiser le travail de tous les concepteurs et réalisateurs concernés. Les motifs sont reproduits sur tout le mur avec une rigueur mathématique, à l'aide de gabarits, puis mis en peinture.
Comme dans le village de Pô, l'organisation spatiale met en oeuvre frises, alternances, algorithmes.
 


Un lien visuel permanent

Peindre le mur extérieur de l'école visible d'une route à grande circulation à la manière des Burkinabés permet à chaque "passant" de s'interroger ou de se souvenir, d'avoir en fait un lien visuel avec cette région du monde qui entretient avec les habitants de Mably des relations suivies;

- relations coopératives:

*un grand marché africain réalisé un week-end, en présence d'une délégation de Pô, qui permet d'investir dans des travaux à Pô l'argent ainsi récolté;

*des échanges de correspondance entre les écoles;

*des parrainages scolaires (financiers et culturels) mis en place entre les familles.

- relations culturelles:

*comme la rencontre entre un joaillier de Saint Jean Saint Maurice et un bronzier de Pô qui s'est concrétisée par l'installation d'une oeuvre sur l'espace public, devant le mur peint.

 


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Tic-tic au collège

Décembre 2000

 

 

 

CréAtions 94 -Les lieux, les autres et moi
publié en novembre/décembre 2000 

Collège K.Thoueilles, Monsempron - Libos (Lot et Garonne) - Enseignant Hervé Nunez
Intervenants: Emmanuel Aragon, Samuel Buckman

 

Tic-tic au collège

 

Le collège K.Thoueilles est situé dans la ZEP du Fumélois en Lot et Garonne.
C’est une zone prioritaire parce qu’elle est située dans un bassin industriel qui, comme d’autres, subit depuis quelque années des restructurations importantes, entraînant avec elles un cortège de licenciements. On craint même aujourd’hui la fermeture prochaine de l’usine sidérurgique qui employait encore, il y a peu, quelques deux mille ouvriers; des harkis ou des pieds noirs rapatriés d’Algérie dans les années 1960, des travailleurs immigrés installés dans le bassin avec leur famille.
La zone est également classée prioritaire parce qu’elle se situe dans une région agricole (maraîchers, fruitiers) employant beaucoup de saisonniers. Des précaires s’il en est.

L’art en zone sinistrée ?
Dans un tel contexte, on pourrait penser que la relation à l’art n’est pas vraiment à l’ordre du jour, considérée comme un simple « plus » culturel.
Les élus ont cependant créé des structures d’expositions et des évènements artistiques faisant appel à des artistes majeurs ont lieu régulièrement (Picasso, Braque, Tapiès, Garouste (Voir CréAtions N°83), Cueco, Erro dans le courant de l’été 2000, etc.
Des artistes locaux sont actifs et exposent régulièrement leur travail. y compris dans leurs ateliers.
Des postes de médiateurs culturels viennent d’être créés par la mairie de Libos, par la communauté des communes du Fumélois. Ils ont notamment pour objectifs la diffusion et la formation à l’art et à l’esthétique.



Anamorphoses réalisées avec les "collés" du mercredi après-midi

 

A Monflanquin, petite « ville » du Nord du département, des « résidences d’artistes » accueillent  depuis plusieurs années maintenant des jeunes artistes tout juste sortis des écoles d'art. Ils créent sur place, ils rencontrent la population et exposent au bout de trois mois leurs oeuvres dans un centre réservé et aménagé. Cette expérience est unique en Aquitaine en ce qui concerne l’art contemporain.
 
 

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 suite : Un artiste dans le collège

 

 

Des conflits, des idées, un projet, une peinture murale

Décembre 2000

 

CréAtions 94 -Les lieux, les autres et moi  publié en novembre/décembre 2000 

CM1, Groupe scolaire Gaston Monmousseau, Méry-sur-Oise (Val d'Oise) - Enseignant: Rémi Brault - Intervenante: Brigitte Filoque

Des conflits, des idées, un projet,

une peinture murale

 

Au conseil de coopé. de CM1 de l'école Gaston Monmousseau à Méry-sur-Oise, les filles disent: "Les garçons nous empêchent de jouer dans la cour quand ils jouent au football. Ils prennent toute la place."

Les garçons répliquent: "Elles nous gênent aussi. Elles se mettent toujours au milieu du jeu. elles ont qu'à jouer à autre chose, on ne peut pas ?"

Les filles: "Et si on veut jouer à autre chose, on ne peut pas ?"

L'instituteur intervient: "Y a -t-il des solutions pour que chacun puisse jouer dans la cour en étant moins gêné par le jeu des autres ?"

Après le conflit exprimé, l'idée

C'est à partir de ce genre de conflits que l'idée de la peinture murale naît. Celle-ci est adoptée par la classe. Cette peinture aidera les enfants à trouver un compromis, une solution, pour que chacun trouve sa place dans un espace commun, ici la cour de récréation. Elle va témoigner de l'histoire du cheminement des enfants. Les problèmes de jeux de récréation et les différentes solutions proposées sont discutées au niveau de l'école au Conseil de délégués. Parmi les décisions prises (création de zones, achats de ballons), l'idée de la peinture murale est entérinée. La classe de Cm1 est chargée de la réalisation, les autres classes apporteront leur soutien financier grâce à une vente de gâteaux tous les jeudis. Des personnes ressources vont être mises à contribution: un parent d'élève, une collègue de l'école, un peintre.

Dans la classe, trois groupes se dégagent en fonction des thèmes évoqués.

Les enfants veulent peindre:

-des buts de football (majorité de garçons),

-un coin échasse (filles, garçons),

-des bâtiments et des champs (filles).

La rencontre avec le peintre

Le peintre, Brigitte Filoque, raconte:

Je suis présente au "quoi de neuf?". Les enfants exposent leur projet, indiquent le mur choisi et parlent des thèmes. J'explique mon travail et parle des peintres qui ont réalisé des peintures murales. Les enfants sont motivés par la réalisation mais également très déterminés à défendre leur territoire. La peinture murale semble tenir un rôle d'arbitre entre ces trois groupes distincts. Le projet se met en place. Je demande à chaque enfant de réaliser un dessin de la réalisation comme il l'imagine. De mon côté, je m'engage à réaliser une maquette du mur choisi.

Nous nous retrouvons une semaine après, et observons les dessins. Certains enfants ont dessiné les trois thèmes. Deux élèves ont dessiné des motifs décoratifs. A partir des dessins, et avec l'aide de la maquette, les enfants commencent à construire ensemble, à prendre un détail d'un dessin pour l'assembler à un autre, etc. Naturellement, ils disposent les buts de foot sur la gauche du mur, là où le recul est le plus important. Les bâtiments et les champs sont placés au milieu, et le coin échasse sur la droite. Cet espace encaissé et protégé permet les jeux calmes. Les enfants commencent à trouver des liens entre chaque production. L'idée de l'oeuvre commune se construit.

 

 

 

La recherche des couleurs

A l'aide d'une boîte de craies de couleur et d'une feuille de papier, les enfants partent à la recherche des couleurs de l'école. Je demande aux élèves d'aller dans la cour, de repérer une couleur, de la reproduire et de noter où elle se trouve. Je constate qu'ils reviennent tous avec un gris, un ocre clair. Certains ont trouvé du noir. Le gris et l'ocre sont sur le mur, le noir est la couleur du goudron. Nous repartons voir le mur, et nous constatons qu'il y a du vert (mousse), du rouge (morceaux de gravier). Puis le bleu des fenêtres de l'école, le rose des fleurs des pommiers, etc. C'est alors la course à la couleur. L'apothéose se situe pendant la récréation quand un enfant remarque les vêtements de ses camarades. L'enthousiasme des élèves éveille la curiosité des enfants des autres classent qui participent à cette recherche.

L'objectif de ce travail est de permettre aux enfants de découvrir autrement leur quotidien, d'exercer leur regard, d'affiner leur perception des couleurs. Ils réalisent que certaines couleurs devront être fabriquées. Les déplacements pour aller rechercher la couleur habituent l'enfant à prendre du recul, à s'approprier vraiment la couleur qu'il a aimée, à en parler aux autres et à moi, à faire partager sa découverte. Ce temps est essentiel, il permet également au groupe de construire le projet à partir de la réalité de l'environnement. Les enfants collectent des informations diverses et précisent leurs données afin que chacun puissent en bénéficier, s'il le souhaite.

Cette peinture murale fera désormais partie de leur environnement, de leur quotidien; les enfants vont aussi comprendre qu'elle sera là au même titre que les arbres, les murs, etc. Ils sont maintenant acteurs dans l'aménagement de leur école.

Le travail sur le mur

Les élèves ont tout d'abord peint le fond sur une hauteur de deux mètres cinquante et une longueur de dix mètres avec l'aide d'un parent d'élève. Ensuite il a fallu disposer les différents éléments de dessin à la craie. Le premier groupe commence par les buts de football. Jusque là tout va bien. Cependant une difficulté surgit: comment dessiner un gardien de foot qui arrête un ballon en plein vol? Tous les yeux se tournent vers moi. Evidemment, j'attendais ce moment avec impatience mais je leur demande de trouver une solution commune. Au départ, chacun essaye de dessiner à tour de rôle, cependant le gardien est toujours: "trop petit ou trop grand ou trop quelque chose". Après ces différents essais qui ne conviennent à personne, un enfant dit : "Je vais poser pour vous et vous me dessinerez." Chaque enfant s'essaie, les avis vont bon train, tout le monde travaille, observe, mais le résultat ne plaît toujours pas au groupe. Après un petit moment de désarroi, l'idée surgit: un enfant vient se coller au mur en position de gardien et dit: " Vite, dessinez-moi, je ne tiendrai pas longtemps!".

 

Le groupe se précipite et dessine les contours de notre gardien. La difficulté a été surmontée. L'idée est adoptée, les jugements de valeur rejetés, on peut travailler. Le travail sur cette peinture murale a évolué dans ce sens pour le groupe et également entre les groupes. Les différents liens -la route qui traverse toute la largeur de la peinture ou le parking - se sont construits au fur et à mesure de l'évolution du travail. Le passage d'un groupe à l'autre s'est fait "naturellement": les filles par exemple ont commencé à peindre le quadrillé du filet des buts de foot avec des couleurs différentes. Plastiquement, ce choix était complètement justifié, donc accepté par le groupe.

Les groupes ont également évolué. La notion même de groupe, notion très marquée au départ, n'a plus eu de sens lorsque les efforts de la classe se sont concentrée sur la réussite de l'entreprise.

Entre les séances, une petite "dégradation" a été faite par deux élèves de CM2. Très vite repérés, il a été alors convenu avec eux qu'ils "retrouveraient" les couleurs qu'ils avaient abîmées. Ils se sont effectivement appliqués à retrouver très exactement la couleur. Ces élèves ont demandé ensuite à venir travailler sur la peinture murale à chaque séance. Ils se sont parfaitement intégrés au travail et ont fait partie de l'équipe. Ils ont amenés une autre dimension, un élargissement du projet à l'école. Les dégradations ne se sont jamais reproduites sur le mur après cet incident.

Quelques questions cependant restent posées: combien de temps peut-on garder une peinture murale?

Qui peut l'effacer?

L'idée du mur perpétuel s'est posée.

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Peindre des transfos

Décembre 2000

 

 

CréAtions 94 -Les lieux, les autres et moi publié en novembre/décembre 2000 

Classe unique, Ecole de SAGRIES-SANILHAC (Gard) - Enseignante : Marie-Françoise Joseph

Peindre des transfos

Un projet-décor pour l’environnement
 
 


Ce fut un moment fort pour les habitants du petit village de Sagries que ce vote à l’école pour choisir , parmi les travaux des enfants, ceux qui décoreraient les deux transfos du village. Inquiets pour leur petite école en voie de fermeture, ils ont saisi l’occasion de se rassembler sur l’invitation des enfants et de leur enseignante. D’abord surpris, par le vote proposé, ils s’y sont pliés sérieusement en respectant les consignes données par les enfants, avec peut-être le secret espoir que cette action prouverait, quelque part, l’importance de l’école pour la vie du village…

Origine du projet :
L’association locale souhaitait faire décorer les deux transformateurs du village sur le thème de “La garrigue” par les enfants de l’école. Je leur ai demandé d’écrire cette proposition aux enfants . Leur lettre a été le point de départ du projet pour lequel ils ont voté oui au conseil.
En ce qui concerne les diverses autorisations administratives (EDF, Mairie), elles avaient été faites par l’association avant même que je sois au courant du projet.


*Caprifolia : association environnement locale.

1ère étape : découvrir le milieu
Avant de mettre en place le travail, nous avons décidé, pour nous imprégner du thème, de découvrir la garrigue et de parcourir le sentier botanique. Il y a eu le plaisir de la découverte des différentes essences, les enfants ont cueilli, récolté, nous nous sommes documentés pour procéder à des classements et avons réalisé des herbiers.
Puis, nous avons jeté pêle-mêle les idées : on pourrait peindre des arbres, des fleurs, des collines. Oui, mais on ne peut pas peindre directement, et où sont les transfos ?
Il faut faire des essais, choisir les thèmes à illustrer. Je propose d’aller d’abord voir les transfos pour bien prendre conscience de l’espace à peindre, puis de préparer des projets : peindre, dessiner librement les sujets qui nous plaisent. Nous y sommes allés avec papier, crayons et un mètre ! Plusieurs visites ont été nécessaires. Heureusement le village est petit et les enfants peu nombreux.

2° étape : les premiers essais
En classe, les élèves ont réalisé les premiers dessins et peintures. Le travail s’est effectué sur trois séances de une heure trente. Ils ont surtout utilisé les craies grasses et la gouache : ils travaillaient sur plan vertical ou horizontal tout à fait librement. Certains se spécialisaient sur un thème, répétant les essais pour comparer, d’autres tâtonnaient sur des sujets divers. Les fins de séances étant consacrées à regarder et échanger pour faire des choix ensemble. La plupart des enfants ont fait des recherches sur la couleur, ils voulaient arriver à la “ vraie “ couleur des cyprès, au “ vrai rose ” des amandiers. Ils essayaient de rester dans la réalité visuelle.
Une petite du CP s’est tellement absorbée dans cette recherche qu’oubliant le thème, elle a réalisé des bandes en camaïeu...:

 

 

3 ° étape : la maquette et le vote
Pour la quatrième séance, nous avons décidé de réaliser les maquettes définitives avec les thèmes choisis au cours des essais. Mais pour passer de l’essai à la maquette, il fallait préparer un espace qui correspondrait à celui des transfos ( 1 feuille de 20 cm correspondant à un espace de 2m). On s’est alors aperçu que le petit format éliminait certains sujets réalisés avec aisance sur grand format. Pour passer de l’essai à la maquette, il a fallu prendre en compte les différents paramètres : la rugosité du support qui ne permettait pas des représentations petites, fines, les irrégularités (angles pseudo-droits, portes et ferrures à contourner). C’est en atelier de géométrie que les enfants ont mis en place de façon précise la maquette: les CM ont procédé à des conversions pour préparer le matériel.

Le travail terminé, la question du choix parmi ces différentes propositions s’est alors posée. Le conseil décida de les soumettre à une consultation des habitants au cours de laquelle ils pourraient s’exprimer et voter.

Le vote des habitants
Une exposition a été préparée dans la salle d’accueil de l’école. Des tracts, affiches ont été exposés et distribués invitant les habitants à participer à la décision. Pour recevoir les votants, des tâches ont été déterminées puis réparties entre les enfants : hôtes d’accueil, serveurs autour du buffet. Le vote s’est effectué par le procédé des gommettes qu’on colle sur les thèmes choisis. Quarante personnes ont visité l’exposition en une semaine et voté. Les éléments plébiscités ont été l’amandier, les cyprès, les grandes fleurs et l’immense soleil.


La réalisation
Enfin, nous avons pu passer au travail sur le terrain. Chaque enfant a choisi le sujet qu’il représenterait et ils se sont regroupés par affinité sur chaque face à peindre. La répartition sur les deux transfos s’est opérée en fonction de leur forme et les enfants ont compris d’eux-mêmes quels thèmes s’adapteraient le mieux sur le grand et sur le petit. Ils ont opté pour des techniques de réalisation correspondant à leur âge: alors que les CM commençaient par le fond pour finir par les détails, les CP peignaient instinctivement ce qui leur paraissait le plus important (une fleur etc.) et organisaient le fond tout à la fin. Je ne suis intervenue que sur ce qui concernait le soin, la propreté et la netteté.
En conclusion, je peux dire que ce projet a été positif pour les enfants même s’il n’a pas eu les répercussions souhaitées.


Ce fut une bonne occasion pour les CM de se coltiner avec la dure réalité géométrique et pour les CP-CE de comprendre la nécessité de faire des calculs. Ils ont appris un peu plus à travailler en commun et acquis la maîtrise de nouvelles techniques.. En outre, ce projet a créé une nouvelle dynamique avec la prise de responsabilités en particulier pour le vote. Ils étaient très heureux d’attirer tant de monde dans leur école d’ordinaire plutôt silencieuse et dans ce village où les rues sont le plus souvent désertes…Tout à coup, quarante personnes arrivent, se croisent, discutent , c’est important !

Deux ans plus tard… l’école a fermé… Les transfos sont toujours là et rappellent aux passants qu ‘un jour… ” Quand je passe devant , dit l’un d’eux, et que je vois ce grand soleil, je me souviens des jours de peinture…vous savez… ”sommaire Créations n° 94

sommaire Créations n° 94   

 

 

La peau des murs - Avec Ernest Pignon Ernest

Décembre 2000

 

 

CréAtions 94 -Les lieux, les autres et moi, publié en novembre/décembre 2000 

Collège K.Thoueilles, Monsempron Libos (Lot-et-Garonne) - Enseignant Hervé Nunez

La peau des murs
Avec Ernest Pignon Ernest

 

 

J’ai collé environ soixante-dix à quatre-vingt
exemplaires de cette sérigraphie, exclusivement
dans les rues pavées d’énormes dalles de
lave noire. Je tenais beaucoup à cette confrontation
entre la fragilité de la main ouverte et affaissée,
la fragilité du papier et la force à la fois plastique

et symbolique de ces dalles noires extraites
du volcan (je l’avais préparée par mon dessin
que j’ai refait onze fois).

Je crois vraiment que cette confrontation
contribue plus à la force suggestive de
cette image que le dessin lui-même.

« L’art commence par des empreintes corporelles sur les murs des grottes.
Quand Pignon Ernest intègre son image sur les murs des villes, il crée réellement un lien charnel avec les lieux.
L’image est le médium où se révèle l’interférence du corps à l’espace, de l’être au monde. »
Marie Odile Briot

 

Par son utilisation de la sérigraphie, Pignon Ernest fabrique traces et empreintes. En outre, le déplacement de l’atelier dans l’espace urbain induit l’obligation d’une frontière entre l’espace réel et l’espace fictif. Et par son travail en noir et blanc Pignon Ernest affirme qu’il évoque le fictif, mais il maintient l’effet de réalité par l’utilisation de l’échelle humaine.

 
 
 
Question : en quoi consiste votre travail ?

E.P.E.: Le fait que je bâtisse toutes mes images à partir de personnages grandeur nature, ou suggérant la grandeur nature, prépare une rencontre, un face à face qui tend à l’identification.
Je mets dans mon dessin beaucoup d’éléments qui vont dans ce sens, vers l’effet de réel. Tout ce travail plastique et graphique qui doit éviter que l’image ait l’air exposée, parachutée, y contribue énormément. C’est un travail qui a pour objet de fondre physiquement l’image dans le lieu.
Je fais du mur une partie de mon œuvre, en le prenant à la fois comme matériau plastique (texture-couleur-matière-comment la lumière arrive dessus), comme un peintre et un sculpteur, et en prenant également en compte les choses qui ne se voient pas, l’histoire du mur. Je résumerai ainsi mon travail : c’est un bout de réalité dans laquelle se glisse un élément de fiction que sont mes images.
Et mes images visent à interroger les murs. Quelqu’un m’a dit un jour à Naples « les images ont l’air de suinter du mur. C’est bien ça, comme si je faisais apparaître des choses, qui, potentiellement sont là.


Question : ainsi vous voyez un mur qui va vous inspirer des images ?

E.P.E : Le plus souvent, les idées viennent de ce qui ne se voit pas. Je travaille beaucoup sur les lieux. Par exemple, pour mon travail à Naples, j’ai lu plus de cent livres, de la Bible au dernier roman publié dans cette ville. Je marche également, je marche beaucoup, et à un moment, les choses se croisent : ce que je sais du lieu et ce que j’en vois. A un moment, il y a conjonction entre les choses et tout s'éclaire.

Question : Vous vous servez de la matière du mur, de sa forme, de ses angles, du sol parfois ?

EPE : oui, je travaille tout ça. Ce sont des éléments plastiques comme pour le peintre qui utilise des couleurs. Mais, moi, je n’en mets pas, j’utilise les couleurs du mur, je mets en relation.
Quand je pose l’image sur un mur, je suis comme un peintre qui compose un tableau. Quelquefois, j’enlève mon image pour la déplacer de dix centimètres. Il y a une organisation plastique par rapport à un graffiti, à une pierre du mur. Quand j’ai fait le dessin, je sais où je vais le placer, mais tout de même je vérifie. Donc, je recule, puis je marche vers le lieu où j’ai mis l’image pour voir le « comment » de la rencontre.
 
 
 
Question : Vous utilisez un papier particulier pour vos dessins ?
EPE : Les sérigraphies sont toutes réalisées sur un papier très pauvre. Ce sont des chutes de rotatives du Monde, la fin des rouleaux. Ce papier présente plein d’inconvénients pour le dessin car il peluche tout de suite. J’ai donc trouvé des techniques très spécifiques pour dessiner. Mais l’intérêt de ce papier c’est qu’il est mou. Je peux donc le faire rentrer dans la moindre anfractuosité du mur. Mon dessin se nourrit alors de toute la matière du mur.
Je choisis parfois certains types d’enduits parce qu’ils vont gangrener le dessin. Je choisis aussi parfois une fissure qui va traverser un corps et le rendre plus dramatique. Je fais rentrer le papier dans la fente du mur, il en prend la matière et s’enrichit beaucoup.
Il faut que j’accumule à la fois tout ce que je peux savoir du sujet, que je l’assimile et que je le mette à l’épreuve des contraintes plastiques, celles du dessin et de l’insertion dans le lieu. Je dis contraintes, mais ça peut évidemment être envisagé comme un stimulant. Surmonter des contraintes ou des contradictions superposées et complexes peut amener à trouver des solutions plastiques ou graphiques originales, singulières.
Je fais beaucoup d’images uniques par rapport à un lieu spécifique. Mais Naples, par exemple, est une ville très luxuriante, folle, avec un bruit et un décor visuel incroyables. Là, j’ai multiplié certaines images et j’ai créé des parcours. C’est le cas de celle qui porte un corps sur son dos. Cette façon de porter le corps est très fréquente dans les peintures qui rendent compte des grandes pestes. En même temps, dans toutes ces rues où j’ai collé cette image, il y avait des seringues, et l’épidémie, aujourd’hui, c’est le sida et la drogue. Je souhaitais donc qu’il y ait tout ça : les corps, le linge, la sensualité, la main pendant sur le pavé. Cette image est nourrie de toutes les peintures napolitaines que j’ai travaillées, le Caravage, Mattia Pretti aussi.
Dans la ville, dans les rues, les gens passent tous les jours, et il y a une espèce de banalisation des lieux, même les plus extraordinaires ; et tout à coup mes images font voir à nouveau les lieux, leur redonnent une force suggestive. C’est un travail poétique et plastique.
 
 

Mort de la Vierge, inspirée de Caravage. Dessin collé à Spaccanapoli, Naples, 1990. Pierre noire.
J'ai eu quelques difficultés avec le raccourci du bras gauche de la vierge et la main qui ne fonctionnait pas
dans cette rue étroite où l'image n'est jamais absorbée de face.

 
Question : Est-ce que c’est facile de faire accepter partout des collages ? Les Napolitains sont peut-être moins propriétaires de leurs murs. Avez-vous déjà été agressé ?

EPE : En France, j’ai déjà été arrêté cinquante fois au moins, mais à Naples, ce qui se passe, c’est que beaucoup de dessins sont adoptés par des gens du quartier.
Là bas, j’ai beaucoup travaillé sur les lieux. Ainsi les images prennent un sens dans le lieu où je les colle, les gens comprennent pourquoi je les y ai mises.
Mais il est certain que, lorsqu’on pose des dessins dans les rues, il y a un gros problème d’espace.
L’un des plus importants que j’ai rencontrés fut relatif à l’installation de « la mort de la Vierge » de Caravage. Je constatai l’impossibilité d’utiliser l’ensemble de la toile dans les rues actuelles, et mettre la Vierge seule dans la rue ne me semblait pas possible non plus. Hantant la ville, avec ce que je possédais dans mon magasin mental, j’arrivais à hauteur de deux vieilles femmes que j’avais déjà remarquées souvent, qui vendaient des cigarettes de contrebande dans le creux de la porte d’une chapelle. Et simplement parce que leur table de bois carrée était placée différemment, il m’est apparu qu’elles pouvaient être cette présence charnière entre l’image de la Vierge et la rue.
 

Antonietta, la veilleuse de la mort de la Vierge.
Dessin collé via Biagio dei Librai, Naples, octobre 1995. Pierre noire. Antonietta était de ces personnes qui font que Naples est la seule ville qui semble résister au rouleau compresseur culturel anglo-saxon.
Je ne pouvais, en la dessinant, imaginer l’émotion, le trouble, le climat que la découverte de cette image provoquaient. J’ai du dissuader les commerçants de la rue qui proposaient une collecte afin d'apposer une vitre sur le dessin.

Les deux vielles femmes ont découvert un matin le dessin qu’elles ont adopté, presque veillé. Il est resté là trois ans sans que personne n’y touche dans une rue où il passe des milliers de personnes chaque jour. Plus tard, lors d’un voyage, j’ai remarqué qu’il n’y avait plus le dessin, plus la vieille Antonietta qui passait ses journées là depuis des décennies. J’ai appris qu’elle était morte. Comme j’avais une photo de mon dessin avec la dame à côté, dans la nuit je l’ai dessinée où elle était tous les jours et j’ai collé le dessin. C’est devenu une image presque sainte.
La tété allemande m’a envoyé un film où l’on voit les gens dans la rue qui passent et embrassent le dessin de la vieille dame.
En résumé, des gens qui adoptent les dessins et qui les conservent et le entretiennent, c’est un bon repère. Si mon image n’est pas désirée en cinq minutes, le papier peut être enlevé. Si elle reste, c’est qu’elle exprime autre chose que « moi ». Parfois les gens trouvent absurde que je travaille autant le dessin, mais c’est indispensable, sinon il ne supporterait pas la confrontation avec la rue et sa richesse.
Mes collages, c’est à tout point de vue la négation du cadre. Tout est conçu dans le mouvement, le mouvement de celui qui marche dans la rue découvre et ne voit jamais l’image cadrée, mais aussi je dirais le mouvement du temps. L’image n’existe vraiment que dans la relation à ce qui l’enture et essentiellement les traces signifiantes du temps.
 
 
Le titre La peau des murs est emprunté à l’ouvrage « Ernest Pignon Ernest » de Marie Odile Briot et Catherine Humblot.
 
Ce travail a pu être réalisé grâce à l’émission de France Culture "Les chemins de la Connaissance. Au pied du mur" et au livre « Ernest Pignon Ernest, Sudari di carta (Suaires de papier), édité par le musée d’Art Moderne et Contemporain de Nice.
 
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Bibliographie

Décembre 2000

 

CréAtions n° 94 - Les lieux, les autres et moi publié en novembre/décembre 2000 (Editions PEMF)

 

Bibliographie

 

Bibliographie


- Atlas de l'âme: cartes de l'invisible, agenda Ed. Autrement, 1996.

 

- Les Villes invisibles, Italo Calvino, coll. "Points" n°273, Editions du Seuil, 1996.
"Il n'est pas dit que Kublai Khan croit à tout ce que Marco Polo lui raconte quand il lui décrit les villes qu'il a visités dans le cours de ses ambassades": c'est ainsi que commence cette relation de voyages dans les villes qui n'ont leur place sur aucun atlas.

 

- Essai sur l'exotisme: une esthétique du divers, Victor Segalen, coll. Le livre de poche n°4042, Ed. LGF, 1999.
Segalen veut réévaluer la notion d'exotisme. Il veut lui redonner authenticité et plénitude. Pour lui, c'est l'art d'accéder à l'autre.

 

- Le livre du mur peint: art et techniques, Dominique Durand, Daniel Boulogne, Ed. Alternatives, 1987.

 

- Les espaces utopiques de l'art, Art press spécial n°15, 1994.

"Prisonnier du monde et de ses images, ils (les hommes) feignent d'ignorer que peinture et sculpture partagent avec l'architecture le privilège de trancher dans le rideau du monde, avec cette particularité, en contraste avec l'architecture, d'avoir des espaces utopiques."

 

- Transculturel n°1, revue Alliage n°41-42, hiver 1999.

Pour un dialogue transculturel.

 

- Dictionnaire des couleurs de notre temps: symbolique et société, Michel Pastoureau, Coll. "Images et symboles", Ed. C.Bonneton, 1999.

 

-Naples revisité, Ernest Pignon-Ernest, Ed. Mémoire des arts, cassette vidéo de 30 mn.

 

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