La méthode naturelle? Elle va mieux, merci!

Mars 1980

Nous sommes, qu'on se le dise, en pleine année de la lecture. Un colloque s'est tenu en juin 1979 sous l'égide du Ministère de l'Education sur l'apprentissage et la pratique de la lecture à l'école élémentaire. Un document doit être élaboré à l'usage des instituteurs. Un peu partout, fleurissent conférences pédagogiques et réunions d'information sur ce sujet. On peut s'interroger sur le pourquoi de cette opération d'envergure, mais là n'est pas notre propos.

Le colloque de juin n'a pas apporté de réponses décisives (ce qui aurait été inquiétant), mais défini des champs de réflexion, reformulé des questions, développé des éclairages différents, plutôt que lancé des pistes nouvelles.

Notons en passant qu'il est bien regrettable qu'une grande partie de la presse, du Monde au Figaro, ait donné de ce colloque une image déformée, avec en première page, Debray- Rilzen et la «mise à mort de la méthode globale». Nulle part, on n'a rendu compte de la richesse et de la diversité des prises de position des participants. Cela permettait, par contre, de situer le débat au niveau des querelles de méthode, tout en faisant oublier qu'au même moment on «redéployait» et on «globalisait» les effectifs pour fermer des classes.

A la lecture des contributions au colloque, nous constatons que la réflexion reste largement ouverte et que nous pouvons sans crainte y participer, car un bon nombre de pistes et d'hypothèses de travail semblent corroborer les nôtres.

Nous avons prêté particulièrement attention aux propos et aux écrits d'Emilia Ferreiro expliquant comment les enfants se construisent leurs propres systèmes de l'écrit qu'ils ajustent progressivement au système commun à tous. Citons encore Diatkine et l'importance qu'il donne au plaisir et au désir dans la relation de l'enfant à l'écrit, Mialaret et sa vigoureuse prise de position en faveur de la méthode globale, Richaudeau énonçant les exigences d'une lecture moderne, Bentolila insistant sur les comportements de lecteur qu'il convient de mettre en place pour que chacun parvienne à une lecture complète des différents types d'écrits. Mesdames Chiland, Zazzo, Gratiot- Alphandéry ont replacé fort justement la lecture et les problèmes qui en découlent dons te contexte socio-culturel.

On nous a souvent reproché et parfois à l'intérieur de notre mouvement de ne pas chercher à sortir de nos murs, de négliger les recherches extérieures aux nôtres. Si tant est que ce fut vrai à un moment de notre histoire, et cela reste à prouver, nous croyons que ce reproche est très peu fondé aujourd'hui. En ce qui concerne la lecture, nous avons peut-être frôlé le danger inverse : l'engouement pour toutes les modes nouvelles, et Dieu sait s'il y en a dans ce domaine ! Ainsi avons-nous vu la méthode naturelle tiraillée à nue et à dia dans des directions diamétralement opposées, allant des pratiques fortement influencées par le «Sablier», à celles plus nouvelles dominées par le «Foucambertisme», en passant par l'initiation précoce à la lecture sur les traces de Rachel Cohen. Il faut le dire nettement, les pratiques «Sablier» ont fait et font encore beaucoup de mal à la méthode naturelle quand elles prennent cette appellation, car elles n'ont plus rien de commun avec la méthode globale telle que l'ont définie Dottrens puis Freinet. Par ailleurs, si nous considérons comme normal le contact avec l'écrit en maternelle, nous récusons tout enseignement technique précoce de la lecture.

A l'extérieur du mouvement, on utilise cette appellation de méthode naturelle à tort et à travers, pour toute pratique pariant de textes d'enfants, quels que soient les traitements qu'on leur fait subir. Dans la plupart de ces pratiques popularisées par les écoles normales et les stages de recyclage, sans aucune référence à Freinet, nous ne nous reconnaissons pas du tout. Ainsi, des documents audio-visuels circulent actuellement sous l'égide de l'I.N.R.P. et portent la dénomination de méthode naturelle. Nous n'y retrouvons en rien nos pratiques actuelles.

Il nous a donc paru urgent de retourner aux sources, de retrouver nos lignes de force, celles de Freinet : le respect des processus naturels
d'apprentissage et le souci premier de la construction de la personnalité de l'enfant. Dans ce but, nous avons cru nécessaire de redonner son unité à la méthode naturelle, la nôtre, en redéfinissant ce qui pour nous est une méthode naturelle ou n'en est pas. Qu'on nous comprenne bien, il ne s'agit pas pour nous de rester isolés et d'ignorer les recherches en cours actuellement dans le domaine de la lecture. Nous devons nous situer face aux courants contradictoires ou complémentaires, non en suivant le dernier qui a écrit, mais en retrouvant et affirmant notre identité au-dedans et à l'extérieur de notre mouvement. Pour faire le point sur la lecture à l'I.C.E.M. en 1979, il nous fallait inventorier nos pratiques, les analyser, expliquer leur évolution tout en précisant sans cesse nos objectifs. C'est ce que nous avons essayé de faire dans le livre : Pour une méthode naturelle de lecture (1) et dans celui qui est en préparation.

Comment l'enfant construit-il son apprentissage ? Comment pouvons-nous l'aider ? Voilà les questions qui sont au centre de notre réflexion. Nous ne prétendons qu'apporter des éléments de réponses, susceptibles d'être confrontés à d'autres recherches. Nous avons entre autres choses observé comment les enfants prennent des repères dans l'écrit et comment ils les réinvestissent pour arriver à la maîtrise de la lecture. Nous avons essayé aussi de comprendre l'évolution du processus d'apprentissage, d'analyser nos interventions d'enseignants et leur influence sur le déroulement de ce processus. Nous avons également amorcé une réflexion sur l'évaluation.

Il nous faut continuer ce travail et nous avons besoin de l'aide de camarades exerçant à tous les niveaux de l'enseignement. Les problèmes que pose la lecture ne sont pas résolus à la sortie du C.P. On apprend à lire toute sa vie. Il nous faut promouvoir et populariser notre méthode naturelle. La diffusion de nos pratiques se fait à travers le travail et les explications de chacun dans sa classe et à l'intérieur du groupe départemental. Nous avons un rôle important d'information et d'aide à assumer auprès des jeunes qui veulent «se lancer». Cela oblige chacun de nous à clarifier ses objectifs, à confronter sa pratique avec celle des autres, pratique qui dans tous les cas doit être raisonnée et efficace.

Cela nous oblige aussi à organiser au plan local et national notre ouverture vers l'extérieur, à dialoguer avec les chercheurs et les autres praticiens-chercheurs, chaque fois que nous le pouvons. Si nous la voulons, cette «ouverture pour une pédagogie au service et au bénéfice des enfants», trouvons le moyen de la rendre efficace et sans tomber dans les erreurs dénoncées plus haut, rassemblons recherches et observations, fabriquons les outils nécessaires : fichiers, livrets, dossiers dont nous avons le plus urgent besoin.

Pour le secteur «Lecture»,
Michèle DELCOS Pierrette FERRANDI
(1) Ce livre sort aux Editions Casterman en ce moment.