Annie Chartrain, un parcours initiatique

Mai 2004

 

 

CréAtions n° 112 - Travailler ensemble

publié en mai/juin 2004 (Editions PEMF)

Propos recueillis sur place par Jeannette Roudier.

 

Annie Chartrain, un parcours initiatique

De l’apprentissage d’une technique ancestrale à son appropriation.

« Quand c’est raté, c’est réussi. » disait Paul Le Bohec pour encourager les uns et les autres lors d’échecs divers. On pourrait appliquer cette « devise » à Annie qui a rencontré au cours de sa carrière de professeur une déception amère lors de la suppression dans son établissement de sa classe de SEGPA qu’elle appréciait beaucoup…
En 1999, elle part en vacances à la découverte d’une pratique d’artisanat et découvre un centre culturel au Kerala, en Inde. Elle choisit la pratique de la sculpture et de la peinture, à raison de deux heures et demie de cours par jour. Au bout de deux semaines, elle commence à travailler à la maison, et fréquente le petit musée de peintures murales du village. C’est pour elle la découverte d’une passion : la peinture murale traditionnelle du Kerala. Elle se met alors en quête d’une documentation sur ce sujet et fait l’acquisition de livres.
De retour en France pour assurer la rentrée scolaire, elle décide alors rapidement de repartir au Kerala à Noël pour suivre ses cours. Elle ne choisit alors qu’une seule activité : la peinture. Elle travaille huit à neuf heures par jour et parvient à la réalisation d’un tableau. Ce sera pour elle la fin d’une psychanalyse de douze ans.
Alors, tout s’enchaîne rapidement. A la suite d’un arrêt maladie, elle se met en disponibilité et repart en Inde où elle arrive en Janvier 2001. Elle suit deux heures et demie de cours par jour et le reste du temps, elle peint chez elle. Avec cette discipline qu’elle s’est imposée, elle découvre « une sérénité et un bien être inimaginables ». A la rentrée 2003, elle demandera une troisième année de disponibilité et est prête à démissionner si elle ne l’obtient pas.
Elle commence des études approfondies des techniques murales avec son nouveau professeur à l’aide de différents sujets comme Shiva et Parvati son épouse, chasseurs dans la pièce de Khatakhali (théâtre spécifique du Kerala utilisant d’énormes masques). La plupart du temps, sur une idée d’Annie, Suresh dessine sur une feuille un sujet similaire à ce qu’elle va représenter. Elle y ajoute tous les codes conventionnels.
Et c’est l’occasion pour Suresh d’introduire de nouveaux décors d’arrière plan. Ces interventions nouvelles permettent de préciser certaines techniques rencontrées auparavant, comme l’ordre d’exécution du tableau, toujours le même. En peinture murale, seules cinq couleurs de base sont employées : blanc, noir, jaune, rouge et vert (correspondant aux seules couleurs minérales existant dans le Kerala) on ne peut les utiliser dans n’importe quel ordre.
Annie Chartrain née à Bourges en 1946 d’un père ébéniste et d’une mère couturière, n’avait jamais peint avant d’arriver en Inde...
Voici ce qu’elle m’a confiée : « J’aime le Kerala, ses fêtes religieuses grandioses. Les gens sont sereins, porteurs de sourires d’amour. Je me sens si bien, que peut être, je terminerai ma vie ici.
J’aimerais poursuivre mes recherches dans la peinture murale mais aussi exploiter la technique pour des créations personnelles représentant la vie quotidienne du pays. »
Elle passe alors à la peinture sur toile avec un mélange eau et acrylique.
Parallèlement à sa pratique de la peinture, Annie s’adonne à la lecture du Mahabharata et du Ramayana, les deux grandes épopées indiennes dont les textes embrassent plusieurs siècles autour de conflits et de luttes entre les dieux héros et les démons. Cette lecture éveille en elle le désir de représenter des scènes de ces contes mythologiques.
Après ce tableau, et devant le désir de perfectionnement d’Annie dans la peinture murale traditionnelle, un professeur plus qualifié et reconnu, Suresh Muthukulam va la guider dans sa démarche.

Légendes
Photo 1 L’arbre de vie

Photo 2 Tout au début de son installation, elle peint sur papier avec de la peinture à l’eau.
Elle réalise une création personnelle en utilisant un personnage de l’histoire des dieux et déesses : Varuna, considéré comme dieu de l’Univers et souvent représenté dans un carrosse tiré par des cygnes.
Elle place ce personnage dans un environnement (qu’elle crée) d’arbres et de fleurs du Kerala.

Photo 3 Dans son désir de peindre la nature qu’elle admire, avec des personnages mytholo-giques, elle réalise un Ganesh dans un fond réaliste.

Photo 4 Pour étudier les contrastes et les reliefs, elle utilise le crayon.

Photo 5 Après ses débuts sur papier, elle tente un essai de peinture sur bois avec de l’acrylique pure qui se révèle, pour elle, peu concluant.

Photo 6 Elle réalise Lakshmi (épouse du dieu Vishnu) sur son trône, inspiration d’une peinture murale très abîmée. En recherche de fond, elle introduit des plantes de l’Italie du Sud, trouvées dans son herbier. A remarquer : le sens de l’équilibre dans cette peinture.

Photo 7 Ici, représentation de Hanuman, roi des singes (il protège les primates réfugiés dans les temples) retrouvant Sita retenue prisonnière par le monstre Ravana. Une recherche active s’est mise en place pour remplir le fond de motifs.

Photo 8 Ce tableau complexe est inspiré initialement par la photo d’un professeur de danse : Padayani (danses sacrées des temples dédiées à a déesse Durga dont la victoire sur le démon buffle compte parmi les mythes Hindous les plus célèbres). Cette danse symbolique et violente est interprétée par les danseurs habités par Durga, qui tombent en transes. Annie a adapté la photo à la technique de la peinture murale. Elle a ajouté trois musiciens, trois masques représentant la colère de Durga et en haut à droite Durga elle-même. Ce tableau est donc une création personnelle.

Photo 9- Suresh, son professeur, lui apprend aussi la représentation des 5 éléments dans le style mural. Par exemple, l’eau est toujours symbolisée par des vagues représentant sa surface.

Photo 10
Elle va poursuivre la réalisation de peintures mythologiques avec son premier professeur.
Dans l’écriture du Mahabharata, le sage poète dicte son poème à Ganesh, choisi par Brahma.

Photo 11 -Rencontre de Rahama et Parashurama qui lui donne son pouvoir par l’arme céleste.

Photos 12, 13 14, 15 Exemples d’une technique : progression de la réalisation d’un peinture murale. Tout d’abord l’esquisse en jaune, ensuite redéfinie en rouge avec tous ses détails. La couleur jaune est appliquée, et le rouge et le vert viennent en superposition du jaune pour donner le relief. Enfin le noir est appliqué et à la fin du tableau chaque trait rouge est repassé en noir.

Photo 16- Ayant vu la pièce de Khatakhali peu avant, Annie a dessiné et peint seule Shiva.

Photo 17 -Annie Chartrain sur sa terrasse en Inde.

Photo 18 - Parvati

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