Histoire d'un tableau

Décembre 1996

 

 

CréAtions 74 - Calligraphie - Ecriture  -  publié en novembre-décembre 1996

Marc Bellanger, sculpte

 

                Histoire d'un tableau

 

                                  Marc Bellanger, sculpteur

Du principe d'incertitude,
résine polyester, faïence, 51 x 62 cm.

Je me rappelle très tôt avoir fait du modelage avec beaucoup de plaisir et de facilité. J’ai continué dans cette voie en fréquentant M.J.C. et centres culturels. La première fois que je disposais d’un véritable atelier, c’était à la résidence universitaire de Toulouse-Rangueil, en 1981. Je l’employais immédiatement à expérimenter le moulage en plâtre sur des théières et statuettes de ma production. J’étais en licence de biochimie ; j’allais abandonner l’année suivante, en maîtrise, pour me consacrer exclusivement à la sculpture.

La vente de mes œuvres ne m’a jamais procuré les revenus suffisants pour en vivre. J’ai trouvé, après divers emplois, un complément de revenus en donnant régulièrement des cours de sculpture. Le statu d’artiste, dont je bénéficie depuis 1990, date de mon affiliation à la Maison des artistes, me permet de travailler avec des institutions (DRAC, rectorat…) en encadrant des stages plus spécialisés.

 

 

 

Au carrefour de la peinture et de la sculpture, mes travaux se présentent comme des tableaux en relief. Les éléments qui les composent sont issus de mon environnement quotidien (chaussures, plaques d’égout…), plus particulièrement du vivant et du comestible, ou simplement leurs épluchures et déchets : poireaux, œufs au plat, peaux de bananes, pattes de poule, pelures d’orange…
Il s’agissait au début d’effectuer une expérience plastique sur le poireau. Je choisis ce légume car il me paraissant suffisamment rigide et fibreux pour résister à la pression d’une feuille d’argile, et produire une empreinte en creux. En y coulant ensuite du plâtre, j’obtenais la réplique durable et permanente de mon poireau. J’étais subjugué par les jeux de lumière, l’entrelacs des racines sur ce matériau blanc-gris tout neuf. Mon attention se porta ensuite sur des fruits capables de rouler en imprimant la terre : épis de maïs et ananas.

Fuite de poireaux et banane filante, résine polyester, 107 x 84 cm.

Schrödingers katze, résine polyester, 50 x 52 cm.

Je me procure de tels objets avec une intention particulière et sachant ce que je vais en faire. Quelquefois, je les découvre au hasard de mes promenades. Ils attirent mon attention parce que je les trouve beaux, intéressants ou rares. Je les conserve tels quels ou je les moule lorsqu’ils se dégradent rapidement. Ce fut le cas d’un cadavre de chat trouvé sur les berges de la Garonne. J’en moulais la tête. La peau tannée, tendue sur le crâne et la mâchoire grande ouverte laissant apparaître les crocs exprimaient une atroce souffrance.

Il est difficile de décrire comment viennent les idées. Elles peuvent survenir et se développer à tout instant, surtout dans les moments d’attention flottante, en bicyclette, dans le métro, en regardant la rue, la nature, au gré d’une rêverie. Ainsi, à la suite d’une lecture (Le Chat de Schrödinger de John Gribbin), j’eus l’idée d’un tableau avec la tête du chat trouvé, évoquant ce fameux paradoxe de la physique quantique. En fait, je crée surtout en dehors de mon atelier. Il me vient tout d’abord à l’esprit une image mentale qui intègre l’objet trouvé et le sujet du tableau. Elle s’impose d’elle-même, ou elle est mûre, réfléchie longuement pendant plusieurs semaines, voir plusieurs mois.

 

   

Je définis ensuite les matériaux et techniques à mettre en œuvre. Je cherche des astuces, des trucs inédits. Mon plan de travail ressemble à un organigramme. Je ne fais pas d’esquisse mais j’écris quelques mots sur un carnet. En fait, j’ai une idée très précise de ce que je eux obtenir quand je commence à sculpter. Les objets sont moulés sur nature avec du latex, du silicone, et reproduits en résine polyester. Leur assemblage se fait aussi en résine polyester, par l’intermédiaire d’un moule en plâtre, obligatoirement cassé pour dégager la forme. Chaque composition est donc unique et peinte ensuite avec toute la gamme des médiums et pigments. La couleur, inspirée du réel et rehaussée, souligne les volumes, renforce les ombres, et devient même parfois criarde ; jeu du réel et du faux, pour sur-représenter une réalité qui, dès lors, nous saute à la figure.

Paysage en forme de Scherzo, résine polyester, faïence, 67 x 97 cm.

  

 

 

 

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