De la nécessité des mouvements pédagogiques

Billet d'humeur

          
Lorsqu’on demandait à Freinet : « Quelle est la ligne de votre mouvement ? » celui-ci avait l’habitude de répondre : « Nous sommes le mouvement qui déplace les lignes. »
Qu’en est-il aujourd’hui de l’ICEM, comme de l’ensemble des mouvements pédagogiques qui inscrivent leur action dans le service public d’éducation ? Dans un système devenu si sclérosé, quelles lignes sont-ils encore en mesure de déplacer ?
Les écoles Freinet, mais aussi toutes les classes où les enseignants mettent en œuvre au quotidien la coopération, l’expression, la construction des savoirs dans le respect des droits de l’enfant, toutes les écoles où le travail en équipe des enseignants permet de démultiplier les principes pédagogiques fondateurs, sont-elles toujours considérées comme des lieux d’expérimentation pédagogique et sociale ?
Ces lieux de bouillonnement pédagogique ne se sont-ils pas réduits ces dernières années, rendant confidentielles les démarches des praticiens en recherche ?
L’innovation, l’expérimentation, l’audace sont-elles encore possibles dans notre système éducatif ?
 
En cinq ans, le délit de pédagogie s’est généralisé…
Pour le ministre de l’Éducation nationale, les pédagogues seraient responsables de l’échec du système éducatif révélé par les mauvais résultats de la France aux évaluations internationales. S’en sont suivi le déni de la recherche pédagogique, le démantèlement des lieux institutionnels de recherche et de formation, la non-reconnaissance des apports de l’expérience et des pratiques des mouvements pédagogiques.
   Accusés de laxisme, de manque d’autorité et de sévérité, ils seraient même à l’origine des comportements délinquants de la jeunesse. Il faudrait revenir aux leçons de morale, à l’apprentissage par cœur des règles de bonne conduite et – pourquoi pas ? – aux blouses, aux prix et aux classements.  
 
… et l’éducation n’est plus une priorité nationale !
Le gouvernement a porté les objectifs économiques libéraux du désengagement de l’État, de la privatisation du service public, de la mise en concurrence des établissements scolaires et a réduit sa participation financière au strict minimum.
La performance, la rentabilité, les économies d’échelle… toute une vision à court terme qui ignore l'inscription dans la durée nécessaire à l'éducation. Le sacrifice d’une génération !
 
Pourtant une autre École est possible !  
Depuis des dizaines d’années, les mouvements pédagogiques œuvrent pour que l’École publique accueille tous les enfants dans une totale mixité sociale.
Sans faiblir, ils résistent pour que l’École publique cesse de reproduire les valeurs élitistes et d’exclusion et qu’elle devienne populaire, émancipatrice et coopérative.
Un projet ambitieux pour que se construisent des individus libres et responsables, capables de comprendre et de rêver le monde. 
 
En ce mois de mai, un souhait !
Un nouveau président a été élu, un nouveau ministre est nommé et les mouvements pédagogiques s’autorisent à espérer un retour à la légitimité de leurs pratiques.  
Que ce nouveau ministre reconnaisse le formidable patrimoine culturel et la richesse humaine des mouvements pédagogiques ! Qu’il les soutienne et leur donne toute leur place dans les lieux de recherche, de formation et s’appuie sur eux !  
 
Et qu’enfin tous ces mouvements retrouvent les moyens de déplacer les lignes !
 
Catherine Chabrun, mai 2012