L'Educateur n°5 - année 1968-1969

Janvier 1969

Notre travail nous unira

Janvier 1969

Ce que je pense de cette division qui, à nouveau, va effriter nos forces en aiguisant les malentendus et en décourageant les velléités d'action des faibles et des indécis ?

Quand les ruisseaux s'en vont, serpentant péniblement ri travers la plaine, ils tardent à se rejoindre parce que le moindre bras de terre est pour eux un obstacle infranchissable.

Mais lorsqu'ils dévalent, impétueux, de la montagne, entraînant dans leurs remous écumeux des troncs d'arbres ou des pierres qui font d'invincibles béliers, alors rien ne les arrête dans leur course vers d'autres ruisseaux. Leur jonction ajoute à leur force. Si l'on essaie de dévier leur cours, ils refluent un instant, puis reviennent à la charge et emportent le ridicule barrage.

Il y faut seulement la pente et. l'élan sans lesquels le torrent ne serait qu'inutile mare croupissante.

Notre courant commun, c'est le TRAVAIL.

Les éducateurs gardent l'avantage insigne de pouvoir s'appliquer à une tâche que la technique humaine n'a pas encore dépouillée de ses attributs naturels. Le torrent est là, qui gronde et s'agite. C'est parce que nous l'endiguons trop tôt qu'il s'immobilise dans la plaine. Il ne tient qu'à nous de le voir à nouveau dévaler les pentes, de les dévaler avec lui, faisant bélier contre les obstacles à renverser, nous accrochant parfois aux racines de la berge pour tempérer certaines impétuosités, nous habituant au grondement et au rythme des eaux qui s'en vont, invincibles, vers la fertilité et la vie.

Si nous savons nous replacer dans ce torrent, mus n'aurons même pas le temps de voir sur les rives les éternels pessimistes lever les bras au ciel et prodiguer des mises en garde désespérées au spectacle de notre commun et harmonieux effort.

Ne vous retirez pas sur la berge où vous recouvriraient lentement la mousse et te limon. Suivez audacieusement le torrent de la vie,

C. FPEINET Les Dits de Mathieu
 

 

L'heure du choix

Janvier 1969

Voici venue l'heure d'un choix crucial pour l'avenir du mouvement Freinet.

Après la mort de Freinet qui fut pendant quarante ans notre maître et notre guide, après le grand branle-bas de mai et avant la mise en place d'une réforme de l'enseignement imposée du sommet, il me semble que nous avons à choisir entre deux options :

1°) celle qui fut la nôtre jusqu'à présent : un groupe dynamique de camarades, recherchant entre eux une constante amélioration des techniques de la pédagogie Freinet. Groupe autonome, vivant entièrement sur ses propres ressources dont les membres sont liés par l'amitié, groupe démocratique qui s'est donné à lui-même sa Charte de l'Ecole Moderne, mais aussi groupe ouvert à l'occasion des congrès, des stages, des réunions départementales aux non-initiés désireux de s'informer et dont un certain nombre viendra grossir nos rangs.

2°) celle dont nous discutons depuis plusieurs années, celle vers laquelle les efforts de Freinet ont toujours tendu, celle de la pédagogie de masse offerte à tous les instituteurs comme à tous les enfants.

Cette deuxième voie, qui n'est certes pas la plus facile, me paraît cependant être la seule qui réponde véritablement aux objectifs de notre Charte, qui, rappelons-le n'est pas née en mai 68, mais il y a quarante ans, sous l'impulsion de Freinet à la naissance de notre CEL et dont les buts : la formation d'un homme nouveau capable de créer demain une société fraternelle et socialiste d'où sera bannie toute exploitation de l'homme par l'homme, sont ceux d'une philosophie révolutionnaire de l'éducation.

Or cette deuxième option, si nous la choisissons, nous oblige à une reconsidération totale des structures de notre mouvement et de la vie même de nos groupes départementaux et nationaux.

En effet, depuis des années, nous parlions de pédagogie de masse sans être jamais mêlés à cette masse. Depuis des années, nous supputions les dangers de cette extension de la pédagogie Freinet à l'ensemble des instituteurs.

Mais nous nous refusions à tirer les conséquences de cette vérité première : dès lors que dans nos classes nous n'excluons aucun enfant de notre démarche éducative, dès lors que nous estimons que la pédagogie Freinet est valable pour tous les enfants, nous sommes obligés d'admettre qu'elle doit être valable pour tous les maîtres et que les disciples de Freinet doivent être l'avant-garde capable d'entraîner la masse.

Je sais : nous avions pour nous garder à droite et à gauche d'excellentes raisons. Depuis la mort de Freinet qui sut, lui, rassembler des milliers d'éducateurs il travers le monde et qui, toujours, s'est placé résolument dans cette optique d'une pédagogie révolutionnaire faite pour tous les enfants et pour tous les maîtres, nous avons dû faire face à une demande accrue alors que nous étions livrés à nos propres forces, souvent très modestes.

Les meilleurs d'entre nous, ceux dont les recherches sont une fête perpétuelle pour l'esprit et pour le cœur ont continué à marcher, sous les yeux éblouis des camarades qu'ils entraînaient de près ou de loin, sans que les maillons de la chaîne soient toujours solidement joints.

«Trois pas en avant» disait Lénine, parlant de la marche du parti révolutionnaire dans son rôle d'entraîneur des masses.

L'avant-garde pédagogique ne doit pas, elle non plus, échapper à cette exigence. Et si l'arbre cache parfois la forêt, si le feu d'artifice fait oublier un instant les myriades d'étoiles, nous savons qu'ils nous révèlent le secret des profondeurs de cette forêt et de ce ciel, nous ramenant à eux et à la vie quotidienne, au tranquille bonheur du travail de chaque jour, au coude à coude fraternel des milliers d'enfants et d'éducateurs en marche vers un nouveau devenir. La lucidité me semble devoir être la vertu première de cette avant-garde pédagogique. Elle doit connaître ses propres forces : la richesse des outils d'une pédagogie de bon sens à travers laquelle chaque enfant découvre et exerce ses pouvoirs d'expression, de création, de communication, de coopération, grâce à laquelle i1 devient peu à peu responsable de lui-même et de la vie du groupe.

Ces outils, Freinet et Elise nous les ont donnés : texte libre, imprimerie, journal scolaire, correspondance interscolaire, art enfantin, BT, méthodes naturelles. L'ICEM les met au point et nous pouvons les offrir à tout instituteur conscient de son rôle d'éveilleur des enfants du peuple.

Encore faut-il que nous nous sentions proches de la masse des instituteurs, que nous puissions instaurer avec eux le compagnonnage qui est la règle de vie de nos classes.

Or voici qu'en mai nous avons pu un peu partout engager le dialogue avec les maîtres, les parents, les étudiants, voire les élèves d'autres classes que les nôtres. Nos actions fort diverses ont été quasi générales et notre rôle d'animateurs d'une pédagogie révolutionnaire n'a été nulle part contesté. Depuis la rentrée, un peu partout, des équipes de volontaires pour une rénovation pédagogique se mettent en place. Notre rôle d'animateurs de ces équipes doit nous permettre à plus ou moins longue échéance, selon les moyens qui nous seront donnés, de promouvoir la pédagogie Freinet au rang de pédagogie de masse sans la trahir.

Je ne pense pas que nous puissions refuser ce rôle. Mon expérience d'inspectrice, de onze ans de pédagogie Freinet de masse, me prouve que nous avons beaucoup à gagner à approfondir nos méthodes et nos techniques à ce niveau. J'y ai personnellement appris à éprouver tous les jours et dans les conditions les plus diverses la justesse et la profondeur de la pensée de Freinet, h réfléchir sur la valeur du tâtonnement expérimental et sur les meilleurs moyens de le favoriser, à soumettre à l'examen de toutes les trouvailles des meilleures, à vivre de la vie multiple de 300 classes et de 10 000 enfants. Et si notre chemin est parfois sinueux, il est jalonné de tant de joies, de tant d'offrandes naïves et vraies que nous avons oublié la rudesse de la première montée.

Toutefois il est bien évident que si notre mouvement accepte ce rôle, nous devrons mobiliser toutes nos forces pour gagner cette bataille d'un changement d'esprit radical dans le corps des enseignants.

Il nous faudra nous appuyer fortement sur les forces départementales et régionales ; aider les jeunes et les nouveaux dans leur démarrage ; organiser des journées et des stages d'information et de formation.

Il nous faudra crier bien haut et partout ce que nous sommes, montrer que depuis quarante ans nous avons gardé, à travers vents et marées, et quel que soit le pouvoir gouvernemental, la même règle de vie, la même fidélité à cette image d'un homme nouveau libre et fraternel que nous voulons faire naître.

Il nous faudra mettre l'accent sur l'aspect libérateur, pour l'enfant et pour le maître, de nos techniques. Mais surtout il nous faudra suivie pas à pas chacun des maîtres conquis, rompre l'isolement, encourager, aider sans perdre de vue l'esprit qui anime nos techniques.

Comme dans une classe, ce sont les échanges directs et amicaux qui susciteront l'enrichissement continu des expériences.

Quelles que soient les réformes imposées d'en haut par le ministère, nous devons suivre la ligne que Freinet nous a tracée et dont les événements de mai ont montré la justesse et le dynamisme. Ces événements eux-mêmes ont créé cet appel des jeunes vers nous et notre réponse ne peut être qu'une ouverture de plus en plus grande du mouvement à la masse.

Quelle meilleure réponse pourrions- nous donner que l'organisation dans 5 ou 6 grandes régions françaises de stages - journées d'études régionaux ainsi que le propose Elise Freinet?

La Bretagne sera-t-elle la première à adopter cette nouvelle forme de travail?

D'ores et déjà je puis vous dire que les bases d'un stage-congrès régional sont jetées à Brest, qu'un appel puissant est lancé auprès de tous les responsables de la région bretonne afin que les très nombreux jeunes (et moins jeunes) de l'Ouest vivent ensemble quatre jours de chaude camaraderie, de découvertes pédagogiques, de réflexion et d'entraide. Sur le thème proposé par Elise de « L'école ouverte » sont prévus des travaux de commission où chacun apportera ses documents pour une confrontation efficace, des séances de synthèse où se dégageront les grandes lignes de notre pédagogie, une exposition d'art enfantin qui réjouira les cœurs et enfin, si le désir s'en manifeste, des débats autour de notre thème ou d'autres choisis par les stagiaires.

Et nous enverrons à Grenoble quelques représentants qui y apporteront un écho de nos travaux. Alors le Nord, l'Est, la Normandie, le Sud- Ouest, la Provence, le Massif Central, nous vous lançons la balle. Qui l'attrape?

M. PORQUET

CONGRÈS RÉGIONAUX

Une première réponse

Le groupe Bas-Normand de l'Ecole Moderne organisera son premier Congrès Régional les 17, 18 et 19 février 1969 à l'Ecole Normale d'Instituteurs de St-Lo.

La journée du 19 février sera consacrée à l'information des personnes qui désirent prendre contact avec la pédagogie Freinet.

Programme de cette journée :

9 h - 13 h : Travaux de Commissions-Démonstration.

14 h : Réception des officiels.

14 h 30 : Visite de l'exposition artistique.

16 h ; Séance plénière suivie d'un débat sur le thème : « Sens de la pédagogie Freinet ».

Les camarades intéressés sont priés de demander une feuille d'inscription au Congrès en expédiant une enveloppe timbrée au responsable du groupe départemental.

Calvados : BARRIER, 8, rue d'Herman- ville, Caen.

Manche : FEUILLET, CEG Les Pieux, 50.

Orne : LEGOT, 25, rue des Tisons, Alençon,

Sarthe : MOLIERE, Changé, 72.

 

 

L'expression libre et l'actualité

Janvier 1969

 

le tâtonnement expérimental processus universel d'apprentissage - Expérience personnelle et finalité

Janvier 1969

Poursuivons la comparaison entre l'être vivant et le robot, tous deux étant considérés, dans la généralité, comme organismes autogouvernés, réglés par auto-réaction.

«...Dans son principe, écrit Pierre de Latil, la rétroaction est une fonction reliant un effet à sa cause... C'est pratiquement une chaîne d'effecteurs dont l'un joue un rôle de « détecteur » et l'autre de «réacteur »... Le feedback peut-il être appliqué sur n'importe quel facteur ? En principe oui, En pratique, on doit observer les règles générales : le facteur doit être réglable, il doit avoir un quotient d'efficacité élevé, il doit agir le plus près possible de la sortie du système. »

Ici est mise en évidence la notion de finalité. La finalité est, par excellence, la caractéristique des êtres vivants, tant sur le plan physiologique que sur le plan psychique : les infinies fonctions de la vie ont une finalité incluse dans le rythme des êtres pour naître, grandir, durer, se reproduire. C'est par une infinité de chaînes à effet de rétroaction — nous dirons à effet de Tâtonnement — que les êtres vivants mettent au point les mécanismes de leurs expériences vitales : ainsi, par exemple, sur le plan organique, un corps étranger suscite dans l'œil, des réflexes, des humeurs, des hormones, qui neutralisent la cause offensante et rétablissent l'équilibre : c'est l'expérience réussie qui confirme la finalité.

Dans tous les tissus, tous les organes, dans toute l'ampleur des phénomènes de vie, s'impose l'expérience réussie. Sans elle la vie serait vouée à une éternelle incertitude, la fixité des espèces ne saurait se réaliser : la fixité du milieu interne (étant) la condition de la vie libre. » (1). Il en est de même sur le plan psychique qui double ou chevauche le plan organique.

« Notre comportement, écrit Freinet, s'organise par la systématisation successive d'expériences réussies qui font alors partie de notre nature, de notre être, que nous ne pouvons plus modifier sans nuire gravement à notre équilibre immédiat, et à la solidité définitive de l'édifice. » (2)

Cette systématisation d'expériences réussies, Freinet la rend sensible et comme objective par l'image d'une chaîne personnelle dont les maillons s'encastrent avec à propos et efficacité les uns dans les autres. Mais alors que la machine n'a qu'une chaîne répondant à un programme donné et construite une fois pour toutes, sans possibilité d'être jamais renforcée ou allongée, l'organisme a le pouvoir de construire sa chaîne dans une continuité d'expérience qui lui donne solidité, progression dans le temps, accroissement d'effets dans des directions nouvelles. Cela d'autant plus et d'autant mieux que, par l'imitation, l'expérience des autres s'imbrique dans l'expérience personnelle : « L'homme forge peu à peu, à force d'expériences tâtonnées (puis intelligentes) la ligne définitive de ses règles de vie. Il monte lentement et pierre a pierre, les murs de sa maison. Tant qu'il est « creuser les fondations, puis à bâtir les murs, il sera très heureux de recevoir de l'aide d'un passant qui se dit habile dans l'art de construire les murs et qui se met à l'ouvrage...

...L'imitation est, en somme, le processus par lequel une expérience extérieure s'imbrique dans la chaîne de notre propre expérience. Elle ne peut s'y imbriquer que si la chaîne est encore en cours de formation. Si elle est définitivement soudée en règle de vie, l'imitation ne fera que se greffer sur notre propre expérience sans s'y intégrer. Il faut aussi que cette expérience extérieure réponde si bien à nos propres besoins qu'elle puisse s'ajuster dans la faille de la chaîne de notre propre expérience.. Si les conditions optima sont réalisées, l'acte imité devient maillon de notre chaîne, aussi solidement soudé à notre comportement que nos propres maillons...

...C'est à la solidité et à l'harmonie d'une chaîne qu'on mesurera la valeur humaine d'un comportement. Nom aurons des chaînes rigoureusement ajustées où tous les maillons sont bien intégrés à l'être, soit qu'ils aient été forgés par l'expérience personnelle, soit qu'ils soient le résultat de l'appropriation par l'individu d'une expérience extérieure valable à 100% pour notre comportement. » Et Freinet formule sa neuvième loi du comportement :

« a) L'acte réussi appelle automatiquement sa répétition. L'acte réussi par d'autres entraîne la même répétition automatique lorsqu'il s'inscrit dans le processus fonctionnel de l'individu.

1. L'imitation, comme la répétition d'actes réussis, n'est jamais à l'origine d'un raisonnement quelconque ou d'une décision consciente.

2. - L'imitation ne demande jamais aucun effort particulier,

3. - L'exemple, au même titre que l'expérience personnelle réussie, tend « se fixer, tel quel, en automatisme qui crée une tendance et suscite une règle de vie parfois indéracinable. » (3)

Ce qui revient A dire que l'organisation d'un être vivant, la construction de ses structures s'étendent à son environnement dans lequel il a la possibilité de choisir les facteurs utiles à sa formation, à son équilibre, à son adaptation au milieu. Tout cela par des circuits de rétroaction, c'est-à- dire par tâtonnement.

La machine cybernétique pourrait-elle arriver à ce degré de complexité et d'organisation à travers la contingence? Autrement dit, le robot pourrait-il accéder à une sorte d'arbitrage entre les solutions diverses que l'environnement lui propose, comme le fait l'être vivant ?

Pour les cybernéticiens la chose semble possible car il ne s'agit en apparence que d'une complexité des mécanismes, réalisés en chaînes diverses de façon que le robot soit sensible à plusieurs sensations connexes : par exemple, on pourrait réaliser des tortues ayant des organes percepteurs sensibles non seulement à la lumière niais à la chaleur, aux sons, aux bruits, au choc, à l'humidité, etc. Mais, il faudra d'avance décider dans quelles limites et vers quelle finalité se fait la réaction à ces données contingentes. C'est-à-dire qu'il faut prévoir des chaînes de feedback spécialisées et qu'il n'y aura jamais qu'une solution possible pour chacune de ces chaînes. Il resterait encore à relier ces chaînes entre elles, à les agrafer en quelque sorte, sur un système central qui déclencherait au moment voulu, les comportements adéquats. C'est ce qu'exprime en termes de généralité Pierre de Latil : « On est contraint de penser que les animaux synthétiques de demain se comporteront selon de très subtiles nuances quand, au lieu de réduire à l'extrême leur mécanisme, on cherchera, au contraire, à combiner de façon compliquée des mécanismes aux nombreux degrés de sensibilité : au lieu de vouloir un « modèle » d'économie de moyens, donner un « modèle » de complexité.

Pour les plus déterminés cybernéticiens, entre de tels mécanismes électroniques et les mécanismes cérébraux, il n'y a qu'une question de complexité. En tout cas, il est évident que pour passer des uns aux autres, nous n'avons plus à sauter un abîme sans le moindre point d'appui... Si de tels automates ne sont que de demain, d'aujourd'hui déjà sont les « modèles » des réflexes conditionnés. Oui, nous en sommes déjà là. Dès maintenant, la méthode des « modèles » parvient à une grande conquête. » (4)

Nous sommes là, en effet, dans le domaine des réflexes conditionnés de Pavlov qui peuvent matériellement être mis en évidence dans des mécanismes « modèles » permettant d'accéder à des déductions scientifiques et mathématiques. Mais, Pavlov révèle une réalité de vie adaptive beaucoup plus ample et subtile que le simple réflexe conditionné primaire. C'est dans le jeu du passage des réflexes conditionnés aux réflexes inconditionnés de divers niveaux que se fait l'adaptation des organismes au milieu par l'intermédiaire du système nerveux central.

L'intervention du. cortex assure l'union entre le physiologique et le psychique et ainsi est expliquée, par l'expérience même, l'union fonctionnelle de tout l'organisme formant une unité indissoluble : « L'organisme est un tout uni grâce à l'unité de l'élément psychique avec l'élément somatique. ».

Quand Freinet, en 1940, dans le brouhaha du camp de concentration, sans le secours d'une quelconque bibliothèque, s'essaye à condenser en théorie son expérience pédagogique de quelque vingt années, il n'en est encore qu'à la période géniale d'intuition, Il est cependant, à son insu, en plein dans les découvertes fondamentales de Pavlov qu'il n'a jamais lues et il ignore quels recours pourraient ultérieurement lui venir d'elles.

D'emblée, il a mis en évidence, sous des vocables différents et dans des perspectives exclusivement psycho-pédagogiques — la psychologie n'étant jamais pour lui séparée de la pédagogie — les points essentiels de l'œuvre pavlovienne. A savoir :

1. - Le passage des réflexes conditionnés aux réflexes inconditionnés par la mécanisation des réflexes inclus dans le tâtonnement mécanique d'abord et l'automatisme de l'acte réussi ensuite.

« La mécanisation des réflexes, écrit-il, loin d'être une attitude mineure du fait qu'elle nous est commune, avec les animaux, doit être regardée comme la condition même du développement ultérieur de l'individu. » C'est là, ni plus ni moins, l'art de faire passer le conscient dans l'inconscient.

Elargissant le problème, Freinet précise : « ...L'éducation est l'aide que nous pouvons apporter, la direction que nous pouvons imprimer au processus normal d'adaptation et de vie qui consiste en la mécanisation successive des comportements qui se reproduisent alors automatiquement, constituant une assise vitale sur laquelle se bâtit pierre à pierre l'organisme efficient. »

2. - Le rôle médiateur et organisateur du système nerveux central, condition majeure et sélective des réflexes conditionnés vu par Pavlov, Freinet en donne la réplique par sa conception d'une chaîne personnelle. Cette chaîne établit sans cesse — tout comme le système nerveux — la liaison entre le milieu interne et le milieu externe, mais qui plus est assure la continuité de l'expérience, la perméabilité à l'expérience, et l'intégration par imitation de l'expérience des autres,

3. - L'importance des effets d'exaltation et d'inhibition que Pavlov a surtout mise en évidence dans la psychopathologie et la psychiatrie, Freinet en fait la base de sa psychopédagogie qu'il résume d'un mot : « le besoin de puissance au service de l'universel instinct de vie », mais qu'il développe, analyse, amplifie pas à pas dans les quelque vingt-cinq lois de son Essai de psychologie sensible.

4. - Mais plus loin que Pavlov, Freinet s'est ingénié à déceler les moyens par lesquels l'individu fait en somme le bilan de ses réflexes exaltants et inhibiteurs par la découverte d'une technique de vie ; celle qui vient de tous les antécédents de l'être et qui a fait ses preuves dans le passé : l'instinct ; celle qui n'est que la traduction de ce besoin de puissance qui pousse tout individu à la réalisation maximum de son cycle de vie dans un milieu donné,

Nous reviendrons sur le parallélisme qui existe entre l'œuvre de Pavlov et l'œuvre psychologique de Freinet, Constatons, pour l'instant, les analogies essentielles que nous venons de souligner, comme celles que nous avons déjà notées en liaison avec la cybernétique.

Nous sommes là dans des théories générales du comportement. Mais un comportement qui se soucie à la fois d'un déterminisme intérieur de l'être et d'un déterminisme extérieur à l'être. 

Il n'en est pas ainsi avec le conditionnement opérant mis en honneur par les psychologies dérivées du behaviorisme. Les behavioristes, dans leurs particularismes, se réservent le droit d'ignorer tout ce qui se passe entre les points extrêmes de la chaîne : stimuli-réponse. Ni les antécédents du stimuli, ni les conséquences des réponses n'ont à entrer dans la règle du jeu. L'essentiel de l'expérience c'est la capacité d'apprentissage sous conditionnement extérieur. L'organisme conditionné subit, il n'agit pas.

Mais, disent les technocrates, l'essentiel est que l'individu soit facteur de rendement de la société et non facteur de modification de cette société.

Quelles que soient les insuffisances du conditionnement opérant, quelles que soient les oppositions rencontrées par les travaux de Pavlov, des cybernéticiens, de Freinet, par les psychologues dits abusivement d'esprit moderne, ces diverses théories du comportement ont entre elles des lieux communs de rencontre :

1) Elles sont toutes expérimentales, soumises à l'épreuve des faits qui en ont affirmé les réelles conquêtes.

2) Elles ont le souci de déboucher dans un pragmatisme qui en assure l'usage et qui, à l'appui de cet usage, peut toujours être perfectionné, remis en cause si nécessaire, chaque fois qu'il est contredit par la vie.

3) Centrées par les phénomènes universels de rétroaction, elles mettent en valeur la spontanéité même de la vie. Cette spontanéité étant comptée comme valeur essentielle de contrôle,

4) Elles sont en réaction contre une psychologie dépendante d'états de conscience essentiellement subjectifs pour lesquels les méthodes introspectives plus ou moins déguisées sont la seule clef d'interprétation, Elles récusent de même une psychologie dite de situation naturelle, qui s'appesantit sur rien et sur tout pour donner, à l'aide d'une mathématique illusoire, l'impression d'une méthode scientifique sécurisante.

Dès à présent, une chose est certaine, la psychologie doit déserter les théories nées de l'ingéniosité intellectuelle des Maîtres, de leur prolixité littéraire, de l'autorité momentanée de leur règne, pour aborder loyalement, en toute simplicité et en toute impartialité intellectuelle, les vastes champs de la vie.

Dans ces domaines, l'œuvre de Freinet mérite des développements fructueux que fout pressentir les voies qu'il a ouvertes dans le no man's land de la connaissance de l'homme,

(à suivre) E. FREINET

(1) Claude Bernard.
(2) C. Freinet : Essai de Psychologie Sensible, p. 31 (Edition 1950).
(3) C. Freinet : Essai de Psychologie Sensible, p. 49-50 (Edition 1950). 
(4) Page 335. 

 

Perplexité

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Le langage et la communication chez les grands inadaptés

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La rénovation pédagogique à l'heure de l'Europe

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Francisco Ferrer

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Nos relations avec les parents

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La pédagogie Freinet, qu'y a-t-il de changé?

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Pour une éducation coopérative

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Le document et la méthode en histoire

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Constatation, consolation ... et espoir

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Magnétophone et tâtonnement expérimental

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