Vaucluse, à la recherche de l'histoire

Janvier 1976

 

VAUCLUSE:
À la recherche de l'histoire
 
ORGANISATION D'UNE SORTIE À AVIGNON (en vue d'un travail commun en histoire).
 
Rassemblement de deux cents enfants et quatorze enseignants (huit classes 5e-6e), venus de sept établissements différents du Vaucluse, Lycée, CES, CEG, villages, villes. Un camarade s'occupe des visites envisagées, de la lettre d'information aux parents, des relations avec les intervenants extérieurs et l'inspection académique : tout cela au nom de l'ICEM.
L'Inspection académique donne son accord, les établissements paient les déplacements en car aidés des coopératives de classe, les enfants participent au frais pour une somme de 2 à 5 F, chaque maître obtient de son principal la possibilité d 'apporter une modification à son emploi du temps, compte tenu du rattrapage des heures de cours. Chacun résout aisément ces difficultés d'ordre administratif et matériel.
 
CONTENU DE LA VISITE D'AVIGNON :
Six enquêtes : Le Rhône - Le pont St-Bénézet - Le palais des papes - Le musée du palais - Les archives départementales - Le champ de fouilles actuel d'Avignon.
Chaque visite est guidée par des personnes qualifiées : conservateur et secrétaire du palais du Roure - . guides - conférenciers des monuments historiques - animateurs du C. A.C.* - directeur des archives - responsables du service éducatif des archives, personnes que les enseignants rencontrent toute une matinée afin de prévoir avec elles la démarche à suivre.
 
CALENDRIER DES ACTIVITÉS
11 février : rencontre avec les intervenants extérieurs
18 février : sortie des enfants et visite d'Avignon
26 février : départementale réservée à une mise au point du travail
1 mois de travail
19 mars : départementale réservée à la mise au point des cansons en vue de l'exposition des travaux au congrès de Bordeaux.
3e trimestre : voyage de l'exposition dans les sept établissements concernés.
14 mai : rencontre des deux cents enfants à Cadenet (village du Lubéron) pour une approche du milieu rural et naturel - pour un regard critique sur ce genre de travail et rencontre.
11 juin : rencontre avec tous les intervenants ext. : présentation du montage audio-visuel, panneaux .des enfants et discussion, projets 76.
 
BUTS POURSUIVIS
A) A la recherche de la vie :
1) Entreprendre un travail collectif susceptible de souder le groupe second degré du Vaucluse (l'oxygéner, le dynamiser).
2) Rompre l'isolement, l'ennui, les habitudes de chacun par un travail d'équipe. Affranchir les camarades de leurs inquiétudes, leurs hésitations en P.F ., en se lançant dans une aventure collective où ils ne seraient pas pour une fois, sur leur terrain, ni ne seraient les détenteurs du savoir.
3) Atteler les enfants à cette oeuvre collective, les tirer de leurs classes qui éclateraient en groupes hétérogènes. Rompre l'unité de la classe paraissant alors un avantage, une nécessité.
4) Etablir des échanges nouveaux, une communication enfants et aduItes, véritable correspondance de travail, les tentatives du groupe 2d ayant échoué jusque là sur ce point.
 
B) A la recherche de la connaissance :
1) Permettre aux enfants une approche vivante de l'histoire (les mettre en contact avec les monuments, la nature, les livres, les documents, les recherches sur le terrain et la matérialisation des recherches. Et cela en utilisant leur milieu (Avignon), (même s'il est artificiel de déplacer le villageois vers la ville), en faisant appel aux chercheurs et aux spécialistes d'histoire qu'un camarade connaissait bien et qui seraient susceptibles de parler aux enfants, de discuter avec eux de leur travail de tous les jours, selon un langage qui est aussi le nôtre.
2) Traduire cette approche de l'histoire en panneaux de canson (synthèse) aborder le problème de la composition critique des "images" et celui de la communication d'une recherche. Le regroupement des cansons serait l'expo, laquelle circulerait.
3) Projeter une 2e rencontre en milieu rural pour une critique du travail et l'approche d'un milieu tout différent.
"Le 18 février, l'attaque d'Avignon se déroulait comme prévu. Deux heures après, dans le magnifique centre aéré de la Barthelasse, les enfants se détendaient et déjeunaient. A 14 heures, les six groupes se mettaient au travail, avec un plan de travail précis, car chaque maître n'avait fait qu'une enquête, dans la classe il aurait les six morceaux à réanimer".
Remarque : ambiguïté entre A et B : espèce de volonté de faire autre chose, aspect aventureux de l'entreprise, chacun l'ayant vécu à sa manière.
 
(*) C.A .C. : Comité d'Action Culturelle, lié au festival d'Avignon
 
 
LA DÉMARCHE:
1) Celui qui a eu l'idée de ce travail est un camarade du Pontet qui, parce qu'il est très près d'Avignon, qu'il enseigne l'histoire, qu'il connaît pas mal de personnes pour avoir fait une expo art enfantin ICEM dans le cadre d'un festival d'Avignon, pour avoir conduit x fois ses classes de 5e au Palais des papes pour avoir accumulé une somme de documents historiques et vivants sur le palais, désirait partager son expérience et montrer à toutes les  personnes du "palais" et du C.A.C. l'intérêt que des enfants pouvaient porter à l'histoire et aux monuments historiques d'Avignon.
2) Donc le groupe 2d D décide d'élargir l'expérience du camarade et sur ses propositions. Chacun présente le projet dans sa classe (part du programme de se, approche du milieu, rencontre d'enfants).
L'imprégnation est plus ou moins forte suivant la compétence et l'intérêt du maître (seuls six maîtres enseignent l'histoire et pas forcément en 5e ni cette année, les autres enseignent maths, anglais, français, sciences ou en transition).
3) Le matin de la visite, les spécialistes ont assuré toutes les explications et cela selon un plan pré-établi avec les enseignants et selon leurs propres préoccupations d'historiens. Par exemple :
 Les archives : l'archiviste tenait à ce que les enfants reçoivent une notion d'histoire concernant en gros le XIIIe-XIVe siècle puis elle insisterait sur l'aspect économique et social du Moyen Age – définition des finalités des archives - interview d'un lecteur d'archives observation d'un document - elle montrerait les difficultés d'une recherche.
Le Rhône : l'animateur tenait à l'aspect technique de l'observation croquis - photos – interview au magnéto.
Le Palais : aborder le problème technique de restauration des fresques alors en chantier- le guide insisterait sur la vie du palais puis les aspects de monastère et forteresse du palais.
Les fouilles : la méthode - la permanence de la recherche.
Ce qui contrariait ces personnes, c'était de ne pas savoir exactement ce que nous recherchions et ce que les enfants désiraient. Lors de la visite, ils ont apporté une grande quantité d'informations avec le souci d'être clairs, simples, exacts, complets (au-delà même de ce que les enfants pouvaient supporter). lls ont livré des documents écrits photographiques et sonores. lls sont restés à notre entière disposition pour toute correspondance, pour toute création de documents photographiques.
4) La part du maître auprès des enfants a été pratiquement nulle avant et pendant la visite (le champ est laissé libre aux enfants qui doivent poser des questions).
Mais après il a aidé les enfants à organiser le travail : six propositions de sujets d'enquêtes d'après ce qui avait frappé les enfants le matin ou ce qu'il avait vu lui-même :
- choix des thèmes
- décodage des enregistrements, des notes prises (en classe)
- recherche d'une documentation plus importante selon les questions posées a posteriori ;
- retour au livre d'histoire - au recueil de légendes etc.
- organisation d'un débat sur l'intérêt d'une telle sortie et sur la construction de l'histoire : magnéto - texte
- composition des panneaux : le panneau de canson était la forme imposée à tous afin de reconstituer le puzzle des enquêtes.
- en apprenant à analyser et à composer des images, les enfants ne pourraient-ils prendre distance par rapport aux images qu'ils subissent journellement (télé-ciné - tutti quanti ?).
5) Les enfants affrontent l'enquête: ils voient, écoutent, posent des questions, prennent des notes, des croquis, enregistrent, photographient, tout cela avec sérieux, et entrain.
Puis dès l'après-midi, et après dans la classe, ils touchent du doigt les difficultés de l'analyse et de l'exploitation des documents. Cette activité amorce une prise de conscience du travail de l'historien. Ils prennent l'initiative d'organiser, conduire leur travail de synthèse; certains décident même de prospecter de la même manière leur propre milieu ; d'autres abordent personnellement, dans le détail, l'une des six enquêtes.
 
QUELQUES IDÉES : COMMENT LA P.F. PEUT-ELLE POUSSER PLUS LOIN LA RUPTURE ?
1) Attitude des enfants face aux documents
"Le matin ce fut un long travail d'écoute, d'attention, de script, d'étude." dixit un enfant.
"L'histoire-légende, l'histoire anecdotique semble seule les accrocher ; mais ils écoutent avec moins d'attention tout ce qui fait référence à des connaissances qu'ils n'ont pas : allusion aux temps des Papes, à Philippe le Bel. Ils redeviennent alors des élèves subissant un cours et attendant sans essayer de comprendre. La vision chronologique de l'histoire d'Avignon, qu'est-ce que cela signifie pour eux? Les papes, le Combat, le Royaume, le Moyen Age, le XIlIe, les notions d'antérieur, et postérieur n'ont pas pour la majorité d'entre eux un sens très clair. L'enseignement de l'histoire ne vise-t-il pas à mettre de l'ordre dans le fouillis de ce qui est passé? En tous cas si ce but existe, rien n'a été réussi en ce sens. Les explications nécessaires n'entraient pas dans les attributions du cicérone, 'mais n'est-ce pas là-dessus qu'il aurait fallu travailler ?
"ON a vu , on a entendu, on a observé, on a lu , on a étudié, on a ri".
"La chambre du pape est belle avec ses peintures de toutes les couleurs. Les murs ressemblent à une forêt avec tous ces animaux : faisans, famille d'écureuil, hermines. Le sol était couvert d'un carrelage multicolore, du bleu, du blanc, de l'orange, du rouge. Je suis impressionné par cette masse de pierre importante où l'usure du temps n'a pas laissé de traces. J'ai ressenti bien de la fierté d'être né dans le comtat venaissin où se dresse le plus beau palais du monde. J'admirais les créneaux, les machicoulis qu'éclairait un chaud soleil d'hiver. J'aimerais retourner visiter ce monastère.
Maintenant je verrais plus de choses, je comprendrais mieux, ça m'a plus énormément", dixit enfants.
Même si le travail était plus agréable sous cette forme, l'enfant n'a pas été mis véritablement en situation de recherche ; une 2e visite aurait soulevé plus de questions plus constructives. Aussi peut-on inscrire ici, les critiques apportées par le congrès de Bordeaux.
"L'expo est décevante par le contenu ; ce n'est pas de l'histoire , c'est du tourisme intelligent.
Limiter l'histoire aux vieux cailloux si prestigieux soient-ils, 'est tout simplement reproduire un manuel Isaac en plus attrayant. Où est l'homme là-dedans ? On sait comment vivait le pape, mais SES SUJETS ? l'histoire est l'occasion d'aborder des sujets brûlants, gênants, Il y a eu filtrage de l'information au niveau des documents publiés par les manuels. Ce serait peut-être le rôle des profs Freinet de montrer les autres faces du dé".
"Méthode naturelle en histoire ? Ne commencerait-elle pas par une sortie et un aperçu partant de élèves, des objets historiques ou divers documents ? Pourquoi ne pas pousser plus loin ? Faire élaborer l'histoire aux enfants ? C'est possible à partir des documents d'archives dans les départements où il y a un service éducatif des archives .. , et si .l'on prend le musée comme outil de travail et non comme lieu de visite".
2) Attitude des enfants face aux intervenants extérieurs
"On a vu des mariniers, ils ont eu peur de nous, on n'a pas pu discuter avec eux ; notre guide s'est très bien débrouillé".
"Un monsieur nous explique longuement l'histoire du palais ; heureusement que le magnéto était là , car nous n'aurions jamais pu retenir tout cela".
"La dame nous montre de vieux documents ; c'était bien : elle savait tour'.
"Le guide, une jeune fille un peu timide mais savante, nous explique".
"On avait de la chance d'avoir un spécialiste qui nous parle et nous montre en profondeur ce qu'on étudie. Avignon n'a plus de secrets pour nous".
"Dans le palais il n'y a que des murs, au musée du palais la dame nous fait voir la vie, c'est mieux", Dixit enfants.
Comment démolir cette image de l'adulte quel qu'il soit enseignant ou non enseignant, détenteur d'un savoir qui lui confère tous les pouvoirs et que l'enfants fige dans sa spécialité?
Comment permettre aux enfants de se servir des "adultes" ? et du milieu ? et se mettre en situation de recherche ? Curiosité et intérêt ont été dirigés.
Il semble que notre concertation à ce sujet ait fait défaut, manqué d'harmonie.
3) Attitude des enfants entre eux : la communication
La communication immédiate le jour même de la visite est riche ; celle plus reculée dans le temps, en classe, est problématique : correspondance difficile, rare, ponctuelle.
"Il y a une drôle d'ambiance, tout le monde discute, joue et rit ; j'ai trouvé cela génial : on est libre, chacun fait ce qui lui plaît et n'a personne derrière lui pour le corriger, c'est drôlement agréable d'être avec des gens qu'on ne voit qu'une fois par an",
"Ce fut une journée magnifique grâce au soleil, et aux professeurs qui n'en étaient plus ; leur comportement nous apportait l'envie de travailler avec plaisir".
"En montant dans les salles à manger, on se bouscule pour trouver une table vide où l'on puisse discuter avec des camarades. Nous avons mangé de la salade, du fromage de tête, de la purée très bonne, des tournedos exquis ... , à la fin de repas j'avais l'estomac qui tirait. Nous descendons pour nous dégourdir. Malgré que nous ne nous connaissions pas, nous avons discuté pendant tout le repas. Les uns parlaient du travail de leur classe, de leurs professeurs, d'autres de leur village, de leur famille, de leurs goûts ? Ce qui m'a passionné, car nous n'avions pas les mêmes idées et nous nous comprenions.
"C'est dommage qu'on a trop écrit ce que l'on a vu ; ça fait pas un ensemble qui se suit. Il y a des choses qui se répètent. SI ON S'ETAIT REVUS avant de finir les travaux, on aurait pu peut-être mieux montrer comment se fait l'histoire" disent les enfants.
Remarque : l'expo sous cette forme n'est pas communicable au plus grand nombre : d'où recherche d'une autre forme: création d'albums, création d'une DT, création d'un montage audio-visuel (celui-ci est fait : un camarade seul s'en est chargé ; on peut imaginer que chacun fasse le sien compte-tenu de la richesse des documents recueillis le 18 février; ça intéresse le CDDP d'Avignon et le C.A.C. et les personnes d'Avignon : tangibilité de notre travail.
 
EN GUISE DE CONCLUSION
Une entreprise de trop grande envergure, pour laquelle les enfants et les enseignants n'étaient pas préparés (aspect un peu fou de cette oxygénation).
Venue un peu tard, en février, cela ne nous a pas permis de multiplier les rencontres si profitables pour l'amitié liée entre les enfants (à la 3e rencontre, on se faisait des tas de copains ! dixit enfants).
Pour les enseignants, encore des peurs : peur de réagir en fonction des décisions d'une équipe, d'un groupe; chacun réagit en fonction de sa personnalité aux difficultés nées dans sa classe ; nous ne savons pas encore travailler ensemble. Défaut d'harmonisation des travaux. Difficulté d'exploiter à fond l'extraordinaire disponibilité des personnes d'Avignon, disponibilité qui ne peut pas se renouveler indéfiniment.
Mais des projets pour 76 : des rencontres d'enfants à effectif plus réduit. Un travail en relation avec les animateurs du C.A.C. Ouverture sur le CDDP. Prospection du milieu auquel les enfants d'un établissement appartiennent directement puis échanges avec d'autres.
Pour le groupe second degré de
l'Institut Vauclusien de l'Ecole Moderne
Arlette TESSIER
84 - Cadenet