«KART-OF-FEL-SALAT»

Janvier 1976

 


«KART-OF-FEL-SALAT»

Groupe germanistes

Cet article constitue la synthèse de ce que nous avons l'habitude d'appeler un cahier de roulement. Quelques feuillets ont tourné par correspondance entre plusieurs camarades - ici au nombre de quatre germanistes - et pendant plusieurs tours - ici trois. Sur la page de gauche on expose son expérience, sur la page de droite on note ses remarques au sujet des expériences des camarades.

D'un intérêt manifeste pour la prise de conscience de l'identité des difficultés rencontrées; pour la recherche collective de solutions et de pistes de travail, une telle synthèse ne remplace pas un témoignage direct d'expérience vécue et de démarrage chaque année renouvelé en Pédagogie Freinet. Nous en avons conscience et souhaiterions de ce fait d'autres articles, "tranches de vie" et témoignages de "démarrages" ...

La Rédaction-Brèche

1) Exposé des classes respectives allant de la 6e à la 3e.

Premières difficultés :

- effectifs trop maigres (sept élèves par exemple)

- heures aberrantes (une heure sur quatre).

2) Problèmes matériels nombreux :

- vétusté des lieux

- classes "itinérantes"

- manque de matériel (magnétophone, tourne-disque, etc.)

- pas d'armoire

- une imprimerie, mais pas de classe fixe pour l'installer

- bandes magnétiques de mauvaise qualité

- retards de tous ordres à la rentrée

Quelques points positifs :

- une classe fixe accordée

- du matériel audio-visuel et des armoires, des panneaux pour accrocher plannings et travaux d'élèves.

Mais un sur quatre à bénéficier de cela, c'est limité. Il faut beaucoup "investir" personnellement.

3) Méthodes de travail

Selon les moyens et les tempéraments, le travail s'organise autour :

- de plannings et de travaux de groupe

- de leçons en responsabilité, entreprises par les élèves

- de fiches de grammaire, de vocabulaire, d'observation (révision, travail d'approfondissement individuel)

- d'écoutes de bandes

- d'élaboration d'enquêtes, de sketches, présentés ou non à la classe

- de journaux édités par la classe et diffusés par les élèves

- de la correspondance collective ou individuelle

- de lectures d'articles

- de méthodes audiovisuelles (type RTS)

- de travaux libres (textes, BD, etc.)

- d'exposés (grammaire, sujets divers librement choisis, d'où l'importance d'une bibliothèque)

4) Impressions générales

Le cahier révèle chez tous le plaisir de s'entraider, de réfléchir ensemble à des problèmes de tous les jours, de se donner des idées pour aller plus loin.

Beaucoup se sentent encore peu sûrs d'eux, peu "bien dans leur peau" . Le besoin d'accéder à une "méthode sans méthode», loin des sentiers battus du traditionnel et l'incertitude devant le bien ou le mal que cela peut engendrer créent un déséquilibre que tous, nos élèves et nous, ressentent avec une certaine appréhension.

Il faut sans cesse se remettre en cause, prendre sur soi, se "débloquer" ; il y a sans cesse des doutes quant à la progression du savoir qui n'est plus ressentie comme organisée, imposée (comme dans les livres), mais plus libre, plus responsable aussi, donc moins facile à cerner.

(Plus de modèle, plus d'échelle de valeurs). L'observation critique, la prise en charge sont des démarches peu conformes à la ligne traditionnelle, d'où angoisse. "Vivre sa propre vérité" devient essentiel, tant pour soi que pour l'enfant que pour le groupe. Et le "droit à la connerie" est une découverte qui met en péril l'image de marque extérieure si elle libère en même temps l'expression.

Dominique pose le problème à sa manière:

"Pourquoi voulons-nous que cela change ? "

Les élèves s'ennuient ou s'ennuyaient dans nos classes, et maintenant tout le monde est-il satisfait ? Je crois que non, parce que la même angoisse qui nous fait faire des contrôles, mettre des notes, etc., s'installe chez les élèves que l'on dit scolaires. N'étant pas sûrs de détenir la vérité, comment pouvons-nous faire pour que les élèves ne fassent pas marche arrière ?

Si l'on fait ce que tout le monde fait, on est bêtement rassuré. On enseigne avec le livre comme on se marie, pour faire comme tout le monde. Seuls les enfants briIlants ou qui s'en fichent sont à l'aise partout, mais ils ne constituent pas la majorité. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous faisons une pédagogie d'élite ... ce qui serait contraire à nos buts, mais à l'heure actuelle, dans le contexte hostile d'un établissement où l'on travaille seul (avec sept ou huit profs dans les autres matières qui travaillent différemment les uns des autres) notre tentative pédagogique peut passer pour vaine. Trois ou quatre heures, c'est peu pour se faire connaître des élèves, les mettre en confiance. Si en plus il n'y a pas d'équipe de profs ...

Qu'est-ce que notre pédagogie ? Une pédagogie de la liberté d'expression ou une autre pédagogie ? A l'heure actuelle, j'ai l'impression pour en avoir discuté avec d'autres, qu'il s'agit surtout d'une autre pédagogie. Il existe des gens qui se limitent aux techniques et imposent le texte libre, par exemple. Je ne suis pas d'accord. La seule imposition que je me sens vraiment le droit de faire est celle, hélas, du travail rentable une fois qu'il a été choisi, c'est-à-dire de pouvoir contrôler les acquisitions, et encore il faut s'entendre sur le mot contrôle.

C'est une fin logique plutôt que le désir de voir une note figurer au palmarès du gosse. Maintenant même si je ne veux pas imposer de limites, il y a des contraintes extérieures qui font que cette pédagogie ne fait qu'entrouvrir une toute petite fenêtre sur la liberté. Il faut de toute façon que l' enfant choisisse un travail à faire à une heure donnée, qu'il en ait ou non envie à cette heure. Oui. .. lorsqu'il entrera dans la vie active il faudra aussi qu'il choisisse" et on ferme le cercle : il ne faut pas en faire des inadaptés en les laissant délirer trop. Conformons-les le plus vite possible ... Il vaut mieux que je m'arrête, je délire.

Et pourtant, on arrive à faire craquer parfois le carcan du conditionnement, modestement , humblement , comme nous le reconnaissons tous ; à "les sentir mieux vivre, être satisfaits quelquefois", à les faire décoller d'un texte, les faire jouer avec les mots, leur faire raconter quelque chose à eux. Il suffit seulement de partager leur plaisir, pour se sentir un peu rassuré.

Synthèse élaborée à partir du cahier "Kart-of-fel" auquel ont participé:

Michèle Christiany, Dominique Pichard,

Marie-France Truffaut, Karin Haddad

(qui a fait la synthèse)