L'Educateur Prolétarien n°6 - année 1932-1933

Mars 1933

La réaction allemande contre l'école populaire

Mars 1933
Allemagne

"La Nativité dans une étable"

Mars 1933

 

Ligue Internationale pour l'Education Nouvelle (section belge)

Mars 1933

 

Pour la défense de l'éducation nouvelle dans les écoles populaires

Mars 1933

Nous avons longuement réfléchi avant la publication du document qui va suivre : Notre intention n’est nullement de crier sans cesse au scandale et de poser au martyre attaqué de toutes parts.

Nous ne tombons pas non plus dans ce travers de croire et d’affirmer que la conduite de notre classe ne peut souffrir aucune critique et que nul éducateur ne peut mieux faire que nous. Nous pensons au contraire que, selon le mot de M. Rosset, les chercheurs, même s’ils ne réussissent pas d’emblée, auraient besoin tout à la fois d’une grande indulgence et d’une sympathique compréhension pour continuer leur lutte difficile et pourtant nécessaire contre la routine et la tradition.

Nous ne voudrions pas enfin qu’on voie dans ces pages une attaque personnelle contre notre Inspecteur. Il ne s’agit jamais ici de la personnalité de Freinet ni de celle de l'inspecteur Primaire. S’il voulait obtenir un bon rapport d’inspection, s’il voulait la paix individuelle et la bourgeoise tranquillité. Freinet n’aurait qu’à marcher dans la voie qu’administrateurs et hommes politiques lui présentent sans cesse comme la seule susceptible de solutionner le conflit : se taire !

La question est plus haute et nous n’accepterons pas qu’on la rabaisse intentionnellement : Educateurs de l'enseignement public, essayant d’introduire l’éducation nouvelle dans nos écoles populaires, obligés du fait de notre situation de fonctionnaires publics de travailler dans le cadre des règlements et des programmes, notre lutte est un continuel compromis.

C’est ce compromis que nous voulons étaler au grand jour, en toute loyauté, car nous ne voulons rien bâtir sur le bluff et la restriction mentale.

Voici ce que Freinet a réalisé dans classe, dans son étable pour enfants — restée 20 jours sans balayage ! — malgré la diffamation, les calomnies, les menaces, la grève.

Voici l’appréciation de l’inspecteur Primaire.

Voici ma réponse à ses critiques.

Que nos camarades tâchent d’en tirer un enseignement pour l’adaptation permanente de nos techniques à la conduite de leur classe.

Que les pédagogues comprennent les conditions dans lesquelles nous réalisons et nous créons et les obstacles permanents que nous avons à vaincre pour avancer, malgré tout, sur la voie nouvelle.

Depuis la rédaction de cette réfutation, l’inspecteur d’Académie lui-même, nouvellement nommé au poste de l’inspecteur déplacé, est venu se rendre compte sur place.

Il a tenu d’abord à préciser que l’essentiel était, dans nos classes, un enseignement normal pour les trois disciplines importantes : lecture, écriture, calcul, que pour le reste, qu’on ait acquis plus ou moins de connaissances, cela n’a pas une importance primordiale à l’école primaire... ce qui ne l’a pas empêché de demander à un élève si la définition du dam2 : « carré qui a 10 m. de côté » est une définition « évidente », et si l’eau est un mélange ou une combinaison !

La conclusion, cependant précieuse de cette enquête personnelle c’est que M. l’inspecteur d’Académie ne voit aucun inconvénient à ce que nous continuions notre méthode. Ce qui le « choque » seulement (et ce qui peut choquer des parents d’élèves, dit-il) c’est la conduite libérale de la classe, ces élèves qui ne font pas tous les mêmes devoirs en même temps, qui se placent au gré de leurs désirs ou de leurs besoins, qui travaillent selon leurs tendances ou leur rythme.

Ce sont, comme je l’ai précisé, deux conceptions pédagogiques qui s’affrontent. Il faut que nous sachions si la nôtre a tout de même le droit de s’affirmer et de prouver la supériorité incontestable que lui reconnaissent tous les éducateurs contemporains.

***

Au moment où l’administration, pour si étrange que cela paraisse, essaie de justifier les plaintes de parents suscitées par l’abominable campagne de diffamation menée localement et nationalement contre moi, je ne puis accepter sans protestation et sans mise au point le rapport que M. l’Inspecteur Primaire de Cannes vient de dresser à la suite de son enquête.

***

Je ne suis plus un débutant en pédagogie. Les méthodes que M. l’I. me prône comme des remèdes au mal dont souffrirait ma classe, je les connais certes pour les avoir pratiquées. Je n’ai ni pu ni voulu m'y borner parce que, sur le conseil des grands éducateurs classiques nos maitres, je n’ai pas cessé de réfléchir à la mission qui est la nôtre, et que, disciple des pédagogues contemporains : Dewey, Montessori, Décroly, Ferrière, Claparède... j’ai voulu, dans la mesure de mes moyens, réaliser les principes irréfutables de l’éducation nouvelle.

Je savais certes quelle besogne ingrate nous entreprenions et nous poursuivions. J’espérais du moins que, respectueux des lois et des règlements scolaires, je pourrais compter sur le jugement impartial des témoins de notre téméraire générosité.

Et lorsque, au Palais de la Méditerranée, à Nice, Monsieur le Professeur Longevin me présentait au Congrès et à Monsieur le Ministre de l’Education Nationale comme un des bons ouvriers qui honorent l’éducation nouvelle en France, je ne pensais pas qu’on allait, six mois après, me faire accuser d’incapacité pédagogique par un inspecteur qui, ayant reçu régulièrement nos diverses publications n'a su en comprendre ni la portée ni l'esprit.

Celle attaque pédagogique dépasse de beaucoup ma personnalité comme l’attaque politique a débordé l'instituteur de St-Paul. C’est tout notre groupe, ce sont tous les éducateurs partisans du progrès pédagogique qui sont menacés par un jugement qui prétend condamner la pédagogie nouvelle au nom, des pratiques traditionnelles, qui voudrait condamner l’avenir au nom du passé.

Les véritables éducateurs ne le permettront pas.

« Ceux qui vous admirent, ont objecté M. l'inspecteur d'Académie et M. l'inspecteur Primaire, n'ont jamais visité votre, classe », laissant sous-entendre qu’il y aurait du bluff à l'origine de nos réalisations.

Qu’à cela ne tienne ! Nous allons publier et le rapport de M. l’inspecteur et la mise au point que j’ai cru nécessaire afin qu’on puisse juger en toute impartialité.

Les amis de l’éducation nouvelle verront s’ils doivent soutenir l’initiateur de l’imprimerie à l’Ecole ou se ranger à l’avis de ses censeurs.

Nous attendons leur jugement avec sérénité.

***

 

BULLETIN D'INSPECTION

 

Elèves présents : 13 à 15 sur 28 inscrits.

Etat du local : Passable. Des améliorations ont été apportées en attendant la réalisation des projets envisagés.

Tenue : Le balayage est assuré par les élèves. Les privés laissent à désirer.

Décoration : Pourrait être mieux présentée ; de la poussière et des toiles d’araignées.

Tenue des registres : J’ai indiqué sur les registres (appel, matricule, bibliothèque) ce qu’il faut faire.

Musée scolaire : Les collections ont été sérieusement enrichies. En tire-t-on tout le parti désirable ?

Hygiène et propreté : y attacher plus d’importance, malgré les conditions défavorables actuelles. Faire allumer le poêle avant huit heures. Faire la visite de propreté. Faire enlever les bérets en entrant en classe.

Education et discipline : Ne pas confondre liberté et laisser-aller (élève qui miaule parce qu’il aperçoit un chat dans la cour, etc..., etc.) La classe doit être active, vivante, tout en étant disciplinée.

Répartition des matières du programme et préparation de la classe : La répartition, l’emploi du temps, la préparation de la classe n’existent pas par écrit (observation déjà faite dans les rapports précédents (16 mai 29, etc...).

Il n’y a pas de cahier de roulement permettant d’avoir des renseignements précis sur le développement du programme et la progression des leçons à tel ou tel moment de l’année.

Choix et correction des devoirs : On peut espérer que le cas des devoirs maladroits ne se reproduira plus. Avoir toujours le bon sens en éveil. Il y a parfois un lien louable entre les devoirs écrits, mais la progression nécessaire se concilie-t-elle avec le système suivi par M. Freinet. Je voudrais des exercices plus intuitifs, notamment pour les élèves du 3e groupe (observation déjà faite précédemment). Ne pas abuser de la copie (voir programme officiel), ni de la rédaction libre : « de temps à autre »... « au cours supérieur », disent les Instructions de 1923.

Tenue des cahiers : du passable à l’assez bien et même au bien. L’écriture laisse à désirer. Ne pourrait-on encourager les élèves par une note chiffrée ? Sur le cahier de devoirs mensuels indiquer les devoirs avec plus de netteté (dictée, ou copie, ou rédaction libre). Faire figurer toutes les matières sur le cahier journalier. S’assurer qu’il ne reste ni faute ni erreur dans les devoirs, en particulier dans les carnets spéciaux de la première division si l’on conserve ceux-ci.

Observation générale : Les élèves se plaçant et se déplaçant à leur gré, les groupes sont mêlés, ce qui ne facilite ni l’attention ni la surveillance, ni les explications ou corrections collectives. Plusieurs élèves tournent le dos aux fenêtres et l’éclairage normal ; les entrées et sorties sont bruyantes ; la liberté doit se concilier avec l’ordre et le silence indispensables dans une classe qui compte trois cours différents et où il faut éviter toute perte de temps.

Leçons entendues : Samedi 11 (classe du matin) : La première demi-heure est consacrée au visa des devoirs par le maître. Une correction au tableau à l’heure prévue pour chacune des matières ayant donné lieu à un devoir ne serait-elle pas préférable ! La date du jour et une maxime (J’aide et je protège les petits) sont écrites au tableau par le maître, lues individuellement, sur un ton chantant sans conviction. Un conte « La Fougasse », rédigé par l’élève Castelli, à qui son père l’a raconté, conte dont on a commencé la copie le 7 février est continué... Le maître écrit au tableau cette troisième ou quatrième partie — après lecture des précédentes par l’auteur —. Il corrige l’orthographe et les fautes de français. Les élèves copient ce texte qui donne lieu, chemin faisant, à deux recherches sur le dictionnaire (Bien). Ce texte est lu ensuite, d’abord par un élève très faible, qui lit en syllabant et qui hésite devant beaucoup d’éléments. Au lieu de lui « souffler » le mot, ne serait-il pas préférable de lui montrer l’élément sur un tableau récapitulatif ? 7 autres élèves des deux derniers groupes lisent avec plus de facilité, quoique d’une façon bien médiocre au point de vue de l’expression. Un exercice de conjugaison, présent, plus-que-parfait, futur) extrait du texte et trois problèmes (un pour chaque groupe) sont donnés à faire. Entre temps, 4 élèves ont reclassé, à la table d’imprimerie, les lettres utilisées la veille et les autres ont composé chacun deux lignes de 40 lettres chacune, du texte placé au tableau. M. Freinet fait preuve de beaucoup de patience en satisfaisant aux demandes des uns et des autres, faites parfois hors de propos. Nous croyons que sa tâche serait facilitée avec plus d’ordre et une discipline plus ferme. On n’a pas le temps de faire une correction sérieuse des exercices... il est dix heures.

Après la récréation, l’analyse de quelques mots et d’une phrase du texte, un exercice de vocabulaire (chasse aux mots), un exercice de calcul oral me paraissent mieux dirigés.

Mardi 14 (classe du soir) : Interrogation (La Seine) et exposé (La Loire) sont insuffisants. Je suis surpris surtout de ce qu’aucune gravure n’est utilisée. Est-ce la peine d’avoir de belles collections?

4e Résultats constatés. — Appréciation générale : Réservée en raison du faible nombre d’élèves présents.

1. La récitation : Sauf pour un élève, laisse beaucoup à désirer. Revoir les instructions officielles et les conseils ci-joints. Obtenir plus d’expression, une articulation meilleure, les respects de la ponctuation. Faire un meilleur choix.

2° La lecture pour le 2e et le 3e groupe, manque d’aisance. On n’a pas l’impression que les élèves ont du plaisir à lire. J’estime que le livre de lecture est indispensable.

3. Le calcul mental paraît bien conduit. Certains problèmes sont bien adaptés ; insister davantage sur l’explication des opérations faites et sur la correction du raisonnement.

4. En histoire et en sciences, les carnets spéciaux de la première division révèlent, en Histoire surtout, des lacunes inquiétantes. Ici, comme en géographie, les livres individuels seraient préférables aux résumés secs, abstraits, sans gravures, ni schémas. Les quelques livres — en très mauvais état souvent — mis à la disposition des élèves, ne suffisent pas.

5° Les exercices (peser, modeler, mesurer) ne sont utiles qu’à la condition d’être dirigés, surveillés, contrôlés. (Observation déjà faite le 9 mai 1927).

6° La dictée du mardi avec les 6 premiers élèves a donné des résultats encourageants. Un élève n’a fait aucune faute bien que le texte fût difficile.

7. Un élève reçu l’an dernier au C.E.P., après repêchage.

 

Conseils donnés :

 

a) Concilier la liberté et l’initiative avec le respect de l’ordre indispensable dans tout groupe travaillant en commun.

b) Respecter les règlements établis : l’emploi du temps est obligatoire (art. 18 de l’arrêté Organique), la répartition des matières du programme, les tableaux de récitation et de chant sont prescrits par les Instructions de 1923, le cahier de roulement recommandé par une circulaire peut faciliter la défense d’un maître critiqué : la préparation de la classe constitue un devoir professionnel. L’Imprimerie à l’école ne peut pas remplacer les livres dont le minimum obligatoire est prescrit par le décret du 29 janvier 1890. Ne pas oublier que si « les directeurs d’écoles privés sont entièrement libres dans le choix des méthodes, des programmes, des livres » (art. 35 de la loi de 1886) les instituteurs publics ne peuvent se soustraire aux obligations réglementaires. Celles-ci ont été pour la plupart déjà rappelées par écrit (rapport de M. Gauthier) et verbalement par moi-même au cours de mes 8 visites précédentes à l’école de garçons de Saint-Paul et au cours des conférences pédagogiques à Gagnes depuis 1929. J’ai le regret de constater que M. Freinet n’a tenu aucun compte des règlements en vigueur, des conseils donnés, des réserves faites.

Elèves interrogés en histoire le vendredi 24 février : Réponses acceptables souvent pour un élève, tout à fait insuffisantes ou nulles pour les 13 autres.

***

Je vais d'abord examiner point par point, le rapport ci-dessus pour donner ensuite les explications générales qui s’imposent.

M. l’I.P. note en tête, encore une fois, la date des huit visites qu’il prétend avoir fait dans ma classe de 1029 à 1932. Ce que furent ces visites : M. l’I P. entrait dans ma classe en coup de vent, comptait hâtivement les présents qu’il notait sur le registre d’appel et se sauvait. Il n'a jamais regardé les cahiers ni interrogé les élèves. Mieux : M. l’I. note une visite le 13 juin 1932. De quoi s’agit-il en l’occurrence ? M. l’I., descendant de Vence (C.E P.E.) est passé à Saint- Paul après quatre heures en compagnie de membres de la Commission qui, paraît-il, voulaient connaître mon travail. Et nous avons, effectivement, parlé assez longtemps, mais ne croyez-vous pas que M. FI. torture un tout petit peu la vérité quand il note cette visite comme visite à l’école ?

Et d’ailleurs si toutes ces visites avaient été effectivement des visites scolaires, est-ce que M. l’I. aurait été aussi totalement ignorant du travail de ma classe, et n’aurait-il pas dû notamment, signaler par écrit les manquements graves au règlement dont il feint d’être effrayé aujourd’hui ?

Il ne reste absolument aucune trace de ces visites sauf une signature sur le registre d’appel. Je suis donc bien autorisé à dire que M. l’I. n’ayant jamais visité ma classe jusqu’à ce jour ne pouvait être au courant de notre travail.

Cette responsabilité, Monsieur le Directeur de l’Ecole Normale l’a reconnue d’ailleurs formellement au temps où il nous disait, au début de l’affaire :

— Je ne dis pas qu’il n’y ait une petite maladresse de votre part, mais la grosse responsabilité retombe sur M- A.... qui n’a pas su se tenir au courant de votre travail. Si j’avais été votre inspecteur, je me serais fait un devoir d’aller vous visiter très souvent et je suis certain que tous les malentendus auraient été évités.

Que chacun du moins reconnaisse ses fautes !

Etat du local : Passable, note M. l’I. au moment où ma classe n’est plus balayée, où les détritus s’entassent dans la cour, où les cabinets débordent. Une véritable écurie ! Et c’est passable !

Des améliorations ont été apportées! Depuis octobre 1930 (réfection du préau), nous n’avons plus rien pu obtenir malgré mes réclamations incessantes. Il y a vraiment de quoi être satisfait !

Décoration : Pourrait être mieux présentée. — C’est un avis. Mais que M. l’I. cite donc des classes décorées par de magnifiques tableaux d’élèves, par de belles photos d’élèves et par une vingtaine de liseuses dont on change plusieurs fois par semaine le contenu.

De la poussière, des toiles d’araignées ! comme s’il était possible de lutter contre la poussière dans un semblable taudis.

Tire-t-on tout le parti désirable des collections ? Mais si M. l’I. l’ignore, pourquoi cette interrogation suspecte et gratuite, et que ne se renseigne-t-il au lieu d’insinuer ?

Le poêle : Faire allumer le poêle avant huit heures. C’est formidable ! M. l’I. n’ignore pas que le chauffage ne m’incombe pas, que le poêle devrait être allumé par les soins de la Mairie et que si je le fais allumer avant huit heures dans les conditions d’insécurité actuelles c’est à mes risques et périls.

Il ignore encore moins cependant que je n’ai pas l’inhumanité de laisser arriver les petits campagnards dans une salle glaciale ; que, tous les matins, bien avant huit heures, je suis occupé à scier le bois de la classe, à refendre le bois sec de ma provision qui servira à l’allumage, et qu’il me faut souvent mettre la main à la pâte. Le matin où M. l’I. est venu il a bien vu lui-même que la malchance ou la maladresse avaient voulu que le poêle refuse de s’allumer. Il a fallu y revenir à plusieurs reprises. Cela arrive plus d’une fois, hélas !

Me faire un semblable reproche est au moins un singulier et combien injuste parti-pris !

La visite de propreté ? A quoi sert-elle si je ne puis envoyer les enfants se laver à la fontaine du village à 150 m. ? J’ai fait mieux que d’opérer à la traditionnelle visite de propreté, et M. l'I. oublie à dessein de le signaler : j’ai mis les enfants dans la possibilité de se laver quand ils sont sales. A cet effet j’ai acheté de mes propres deniers, un lavabo qui est installé dans la cour avec brosse et savon. Agir est mieux que prêcher, nous a-t-on enseigné.

Faire enlever les bérets en rentrant en classe ! Les enfants les enlèveraient plus régulièrement, certes, s'ils savaient où les accrocher à l’abri de la poussière et du vent.

Education et discipline : Je proteste contre l’insinuation de M. l’I. qu’il y aurait du laisser-aller dans ma classe. Lorsqu’il avait visité celle-ci, le 12 décembre 1932, alors qu’elle était encore au complet, et malgré la campagne menée contre moi dans le village, il m’avait dit lui-même : Oui, on voit qu’ils travaillent et qu’il y a un bon esprit !

Deux mois après, c’est le laisser-aller.

La répartition, l'emploi du temps n’existent pas par écrit et ne sont pas affichés. C’est la première fois que M- A. m’en fait la remarque. Je reconnais d’ailleurs avoir contrevenu là au règlement. Mais il y a deux ans et plus que je réclame auprès de l'administration, auprès des pouvoirs publics contre des manquements autrement graves aux lois qui nous régissent !

Je m’étonne que M. l’I. signale contre moi le fait qu’il n’y a pas de préparation écrite ni de cahier de roulement. Et M. l’I. ne devrait pas ignorer que la recherche et la préparation de mes milliers de fiches, la préparation du travail libre des élèves ne se font pas tout seuls non plus et sont cependant la meilleure des préparations matérielles de la classe.

Choix et correction des devoirs : La progression nécessaire se concilie- t-elle avec le système suivi par M. Freinet ? A qui M. l’I. pose-t-il donc la question ? N’était-ce pas à lui de répondre après examen approfondi au lieu d’insinuer sans rien prouver ?

Ne pas abuser de la copie: Critique nettement inconsidérée : mes élèves font très peu de copie. Le matin, ils transcrivent sur leur cahier le texte à imprimer écrit au tableau. Ce n’est pas là de la vulgaire copie mais bien de l’écriture, prévue au programme, agrémentée de dessin décoratif, prévu au programme également.

Cette copie n’est d’ailleurs pas strictement obligatoire. Les grands élèves ne la font pas et les autres même peuvent, lorsqu’ils ont une rédaction libre, la transcrire sur une fiche jointe au livre de vie de la classe.

Ne pas abuser de la rédaction libre. Dans ma classe les élèves ne font que très accidentellement des rédactions libres. En tous cas aucun moment n'est prévu à l’emploi du temps pour cet exercice. Si, stimulés par notre technique, les élèves rédigent librement à la maison les nombreuses rédactions qu’ils nous apportent : si, aux quelques moments libres, ils racontent ce qui les intéresse ; si, au moment du travail libre par groupe, ils coopèrent pour la réalisation d’une oeuvre originale, peut-on me le reprocher et peut-on soutenir que je ne suis pas strictement les instructions de 1923 ?

Leçons entendues : « La première demi-heure est consacrée à la correction des devoirs... Une correction au tableau ne serait-elle pas préférable

Il y a là une erreur manifeste : Ma classe comprend une bonne moitié de campagnards qui ont près d’une heure de chemin à faire. Il n’y a pas d’horloge à St-Paul. Pendant la mauvaise saison ces élèves arrivent parfois avec quelque retard, ce qui allonge un peu la mise en train.

Puis, il y a achat des fournitures, cédées à la Coopérative scolaire — et cette opération est plus ou moins longue selon le nombre des acheteurs. Pendant ce temps les élèves reclassent les caractères et le phonographe (en réparation au moment de l’inspection) joue quelques morceaux de notre discothèque. Je mets ces quelques instants à profit pour contrôler si le travail du soir est satisfaisant.

La correction collective des devoirs du soir est toujours faite dans l’après- midi M. l’I. a reconnu son erreur lors de la deuxième visite, mais, comme il s’agit de charger, il se garde bien de rectifier son jugement prématuré.

Lecture : Un élève très faible lit en syllabant. Cet élève, qui ne vient régulièrement en classe que depuis l’affaire, aurait dû apprendre à lire dans la deuxième classe. Je l’ai pris dans ma classe à cause de son âge, mais son retard ne saurait m’être imputable. Je lui enseigne la lecture selon la méthode globale par l’imprimerie, et je suis libre, je pense, de ne pas suivre sur ce point les conseils de M. l’I.

***

Les autres critiques ont un caractère plus général et je me placerai aussi sur un plan plus général pour les réfuter.

Le plan de M. l’I.P. — et, je le regrette de le dire, de M. l’I.A. aussi — est bien visible : il s’agit de prouver, par le rapport pédagogique, que mes méthodes sont insuffisantes et ont bien pu motiver la réaction des parents : que ma classe est loin de pouvoir être donnée en modèle ; que mes élèves ne sont pas suffisamment avancés, etc...

Nous avons là une mise au point à faire : Notre méthode, nous l’avons toujours dit, n’est pas une méthode de bourrage. Il se peut donc que, pour ce qui concerne la pure et sèche acquisition, nos élèves ne brillent pas toujours à côté de ceux des écoles traditionnelles habitués au savoir de mots. Nous disons du moins que, en employant les méthodes éducatives que nous préconisons nous parvenons à une acquisition au moins normale dans les principales disciplines. Et le rapport lui-même en est un témoignage.

On se plaît à rappeler que les taches essentielles de l’école sont Lire, écrire et compter.

Lire : Sauf l’élève cité plus haut, sept autres élèves des deux derniers groupes lisent avec plus de facilité ... Autrement dit, c’est normal. M. l’I. ajoute bien « quoique d’une façon bien médiocre au point de vue de l’expression. » Mais M. de Costa, inspecteur général, ne dit-il pas : « La lecture à haute voix est factice. La lecture expressive n’a guère de raison d’être… »

Les 5 grands élèves n’ont pas été interrogés en lecture, et aucun élève n’a été entendu lisant sur des imprimés. Le jugement est à notre avis, singulièrement hâtif. Nous en retenons du moins que les résultats n’en sont point mauvais.

Ecrire : (rédaction et orthographe). — Pour la rédaction, s’il y a dans ma classe trop de rédactions libres spontanées, écrites hors de toute obligation scolastique, c’est donc que les enfants aiment à écrire. Et, bien que M. I’I. se soit gardé de le signaler, ce besoin de s’exprimer, d’écrire, de rédiger, est bien une des grandes conquêtes de notre technique.

A ma grande surprise. M. l’1.A. a voulu me prouver aussi l’insuffisance de la préparation par l'imprimerie à l’Ecole. Il a tiré des archives des certificats d’études la copie de français de mon candidat de l’an dernier, et s’est réjoui à me lire la phrase du début qui contient une grosse faute de français, en disant : une méthode qui donne de semblables résultats ne peut cire recommandée !

Il est certain que nos techniques ne réalisent pas le miracle d’enseigner en quelques années le français correct à des enfants d’origine italienne à peine acclimatés dans nos milieux, qui parlent hors de la classe un charabia qui n’a de rapport avec aucune langue et qui sont, par surcroît, notoirement déficients et abrutis par leurs premières années d’enseignement traditionnel.

Il ne suffit pas de prendre une copie d’examen et de dire : Voilà ce qu’a donné votre méthode. La loyauté voudrait qu’on examinât ce qu’était cet élève il y a quatre ans, et ce que j’ai fait par nos techniques : de considérer ce que les méthodes traditionnelles ont donné avec des enfants semblables ; ce que j’ai obtenu d’autre part, dans ma classe avec les enfants normalement doués.

Au moment où la mesure scientifique pénètre peu à peu dans le domaine de la pédagogie on trouvera au moins étrange la condamnation d’une méthode après l’examen d'une seule copie d’examen.

Autre grande conquête : Une bonne orthographe.

Nous avons toujours affirmé que nos techniques assuraient tout particulièrement une excellente orthographe. Le rapport de M. l’I. le prouve.

Il note lui-même : « La dictée du mardi avec les six premiers élèves a donné des résultats encourageants. Un élève n’a fait aucune faute bien que le texte fut difficile ».

Il a fallu vraiment que le résultat soit bon pour que M. l’I. n’ait pas pu l’escamoter. En effet, la dictée était très difficile. Quand M. l’I. l’a lue, il s’est exclamé : « Si je donnais des dictées comme ça au CE.P.E., qu’est-ce que vous diriez, vous autres, instituteurs ! »

Voici les résultats pour 4 candidats de cette année (1 candidat absent) : André (12 a.) 0 faute ; Eugène (11 a 5 m.) 3 f. 1/2 ; Pagani (EP.) 5 f. 1/4. : Mathieu : 5 f. 1/4.

Vraiment une méthode qui mène à ces résultats à la mi-février avec des élèves de moins de 12 ans, n’a-t-elle pas les qualités incontestables que nous lui reconnaissons ?

Compter :

« Le calcul mental paraît bien conduit : certains problèmes sont bien adaptés ».

Autrement dit, 1e résultat est au moins largement acceptable. Et M l’I. a naturellement omis de signaler l’effort original que j’ai fait :

a) Pour rattacher le calcul à la vie véritable de l’enfant par la composition de problèmes adaptés au centre d’intérêt de la journée ;

b) Pour permettre aux élèves de se perfectionner individuellement par l’usage des fiches auto-correctives de calcul ;

c) Pour ta mise au point d’un fichier de calcul, complet, qui sera prochainement édité par l’imprimerie à l’Ecole.

Il me serait dès lors possible de clore ici cette réfutation et de dire : Pour les disciplines essentielles du programme mon enseignement a donné des résultats officiellement reconnus comme acceptables et même bons. Que me demande-t-on de plus ?

* * *

Voyons cependant, pour être complets, les griefs secondaires qui me sont faits :

Correction des cahiers : Je suivais ici les conseils de mes chefs dans les Conférences pédagogiques : « Pas trop d’encre rouge, nous disaient-ils; il n'est pas nécessaire que tous les devoirs soient corrigés de votre main ».

J’ajouterai que je tendais même dans ma classe à supprimer toute correction ostentatoire, marquant parfois au simple crayon noir les fautes à rectifier pour que l’enfant pût corriger lui-même. Partisan indéfectible du travail personnel des élèves, j’ai toujours tout fait pour encourager ceux- ci dans une besogne qui est rarement parfaite certes, mais qui n’a pas besoin des traits rageurs de l’éducateur lorsqu’un élan intérieur pousse les enfants à se perfectionner sans cesse.

Ne pourrait-on encourager les élèves par une note chiffrée? Et pourquoi les encourager ? M. l’I. a-t-il seulement constaté leur découragement ? Et des enfants non stimulés écrivent-ils souvent chez eux des rédactions libres, résolvent-ils le soir, sans qu’on leur en donne, des problèmes qu’ils corrigent eux-mêmes le matin ?

Si j’ai supprimé tout classement dans ma classe, c’est parce que je sais être dans la plus haute et la plus digne tradition pédagogique de tous les véritables éducateurs. Partisan d’une éducation basée sur la Coopération, sur la solidarité et la fraternité, je désapprouve totalement toute compétition scolastique qui ne fait que flatter les sentiments inférieurs de l’enfant.

Mous avons remplacé cette fausse émulation — et M. I’I. oublie de le signaler aussi — par le désir et le besoin de s’exprimer et d’agir, par la collaboration désintéressée de tous les membres du groupe à une œuvre coopérative intéressante, par la participation à un échange intense avec 25 écoles françaises et étrangères.

Il est trop simple — mais un peu simpliste aussi — de me conseiller les vieilles techniques que je n'ignore pas, sans mentionner seulement les réalisations nouvelles que j’ai voulu leur substituer.

L’ organisation de la classe :

Et oui, les élèves se placent où ils veulent dans la classe pourvu que soient respectées certaines nécessités:

a) Les élèves du même groupe doivent être placés dans un même rayon;

b) Un changement de place ne peut se faire que si les élèves intéressés sont consentants de façon à ce que aucune discussion ne puisse en résulter.

c) Ces changements ne doivent pas s’opérer au moment du travail.

Ce faisant je me conforme entièrement aux suggestions de tous les pédagogues d’éducation nouvelle qui prêchent la liberté des enfants pour s’organiser en classe selon leurs affinités, leurs besoins et leurs goûts.

Une classe traditionnelle serait certainement gênée par cette diversité qui choque M. l’I P. Dans ma classe plus individualisée, où le même travail est fait rarement par tous les groupes simultanément, où je favorise au maximum le travail en commun et la collaboration, il est normal que les enfants se groupent à leur gré même s’ils tournent momentanément le dos à la fenêtre.

« L’ordre et le silence indispensables ». L’ordre n’est pas forcément militaire et scolastique. Il est un ordre supérieur qui naît des besoins satisfaits et de l’harmonie entre les membres du groupe ; c’est cet ordre que je recherche et auquel j’ai en partie atteint.

Quant au silence, tous les théoriciens et les praticiens de la pédagogie nouvelle attesteront qu’il ne peut être la norme dans une classe qui veut être active et vivante. Il est faux de dire d’ailleurs que seul le silence est profitable, comme si la mort était la plus sûre préparation à la vie.

M* l’I. m’objecte : Mais si vous aviez 50 à 60 élèves ! Si j’avais 50 à 60 élèves, certes, je ferais peut-être comme mes collègues qui « font de la discipline » parce qu’ils ne peuvent procéder autrement par suite de la surcharge excessive de leur classe, mais regrettent la besogne à laquelle ils sont contraints.

Et va-t-on me reprocher d’adapter mes méthodes et ma discipline au nombre de mes élèves et à mes possibilités de travail, comme si cette adaptation n’était pas un des premiers devoirs de l’éducateur ?

L'Imprimerie à l'Ecole :

Chose un peu étonnante : M. l’I.P. mentionne ce travail sans faire aucune critique.

Mais M. l’inspecteur d’Académie ne m’a-t-il pas reproché de façon assez inattendue « d’employer plusieurs heures par jour au travail d’imprimerie ».

Même avec notre effectif réduit actuel, voici quel est l’horaire moyen du travail à l’imprimerie :

Chaque élève compose en moyenne tous les trois jours à raison de 10 minutes environ chaque fois, soit 50 minutes en moyenne par jour.

Chaque élève imprime une fois par semaine en moyenne. Durée : une demi heure environ, soit en moyenne 5 minutes par jour.

Le reclassement des caractères se fait le matin pendant la distribution des fournitures ou aux moments perdus de la journée.

Total du temps employé en moyenne par chaque élève pour ce travail : 10 minutes par jour, soit 50 minutes par semaine du plus passionnant des travaux manuels. (La préparation du texte est naturellement un travail de français, incluse dans les 7 h. et demie par semaine consacrées à cette discipline).

Il est donc manifestement erroné d’affirmer que nous faisons trop d’imprimerie et que celle-ci nous fait perdre du temps.

Leçons et interrogations de géographie :

Comme je l’ai déclaré à diverses reprises, j’ai supprimé dans ma classe les leçons et interrogations que j’ai remplacées par l’organisation du travail des élèves.

Si l’on se réfère aux principes traditionnels, mon exposé sur la Loire était manifestement insuffisant. Je ne fais pas la leçon ; je donne quelques directives pour le travail des élèves et je les informe que nous allons chercher dans notre fichier tous les documents qui, placés dans nos liseuses spéciales, sont affichés au mur à l’entière disposition des élèves.

Je leur signale également, dans les livres de géographie à leur disposition les pages qu’ils peuvent lire avec profit.

Quand se fait alors le travail proprement dit des élèves ?

Si M. l’I. était venu un lundi, un mercredi ou un samedi à la rentrée de 13 heures, il aurait pu voir les élèves, organisés librement par groupes, prendre avec eux toutes ces fiches ainsi que des livres de géographie, aller librement sous le préau, et là, examiner collectivement les documents. Ce travail fait, quelques notes sont déposées parfois sur le cahier de groupe comme résultat du travail en commun.

Si M. l’I. avait eu de la curiosité non seulement pour les manquements aux règlements, mais aussi pour les réalisations véritables de la classe, il aurait pu voir aussi, sur l’étagère, rayon géographie, quatre albums originaux d’itinéraires géographiques, travail des élèves de l’an dernier, et qui va être repris et continué dès maintenant.

Il aurait vu là comment, en partant des pays de nos correspondants, que nous connaissons pratiquement par les imprimés, nos élèves pérégrinent dans tous les pays de France, collant les vues caractéristiques des divers pays traversés, étudiant, avec la collaboration active de leurs correspondants, l’économie de ces pays.

Est-ce la peine d’avoir de belles collections ? se demande M. PI. Comment expliquer alors que, lorsque mes élèves feuillettent des manuels de géographie, ils s’exclament devant certaines photographies : celles-là nous les avons vues sur nos fiches... celles-ci au cinéma.

Ah, certes, nous ne faisons pas sur chaque document le verbiage scolastique désiré par M. l’I. Nous réprouvons ce savoir de mots, mais M. l’I. a pu constater lui-même que, lorsqu’il a parlé de l’estuaire de la Seine et du canal de Tancarville, les élèves « savaient » beaucoup de choses parce qu’ils les avaient apprises de la bonne manière, en étudiant de nombreux documents, en vivant avec les populations des divers pays grâce aux correspondances interscolaires et au cinéma.

Nous avons supprimé en grande partie les leçons de géographie, mais nous donnons d’une façon précieuse, adaptée aux possibilités nouvelles de l’édition, la connaissance géographique profonde qui seule est un enrichissement.

La lecture et les livres de lecture :

Nous voulons bien croire que M- l’I. est capable de juger la capacité en lecture de mes élèves sans les avoir fait lire puisqu’il ne les a pas entendus lisant un texte imprimé. Passons.

Mes élèves n’auraient pas de plaisir à lire ? Que ne les a-t-il vus recevant les feuilles imprimées de leurs correspondants de Millac (Vienne) ? Il aurait été surpris de l’acharnement avec lequel tous s’empressent de comprendre et de sentir le texte, et de la joie avec laquelle ils lisent les textes de leurs camarades. Mais tout cela ne compte sans doute pas... Ce serait peut-être même du bruit et du désordre.

M. l’I. a-t-il essayé de se rendre compte de l’aptitude de mes élèves à la lecture silencieuse et à la compréhension du texte ? Dans un compte- rendu — que M. l’I. me transmet justement — d’une conférence de M. da Costa, je lis en tête une éloquente réfutation des griefs qui me sont faits : « La vraie lecture est silencieuse, la lecture à haute voix est factice- La lecture expressive n’a guère de raison d’être. La lecture collective est un non sens ».

Je m’efforce de mon mieux, depuis des années, à suivre ces conseils judicieux.

***

Comment expliquer enfin cette obstination de M. l'inspecteur Primaire et de M. l’inspecteur d’Académie, à continuer de déformer nos techniques de travail en affirmant, contre l’éloquente réalité, que les enfants n’ont pas de livres ?

«J’estime, dit M. FI., que le livre de lecture est indispensable ».

Je dis, moi, que les livres de lecture sont indispensables. Et nous avons effectivement dans ma classe :

Un livre de Saint-Paul pour chaque élève, contenant tous les textes imprimés à Saint-Paul et auxquels nous joignons, selon les nécessités des centres d’intérêts, des feuillets de notre Fichier Scolaire Coopératif contenant des textes de grands écrivains.

A la fin de l'année, ce livre mixte — textes d’enfants et textes d’adultes — contient 200 pages environ.

Un Livre de Millac pour chaque élève, contenant tous les textes imprimés à l’école de Millac. A la fin de l’année, ce livre contient 120 à 150 pages.

Ces deux livres sont à la base de notre enseignement parce qu’ils sont l’expression de la vie des enfants, donc entièrement sentis par eux, et en même temps profondément éducatifs: par la diversité même du travail et de la vie dans les diverses régions.

Vingt journaux scolaires reçus tous les mois de nos correspondants choisis un peu partout en France et à l’étranger. Ces journaux, tous très intéressants pour les enfants, sont de plus une mine insoupçonnée de documents intéressants et instructifs pour nos classes- Et innombrables sont les acquisitions solides qui résultent de ces échanges qui n’avaient jamais été organisés, en France, ni dans le monde, avec une telle méthode et un tel profit pédagogique.

Ces vingt journaux reliés par nous en fin d’année constituent encore vingt livres scolaires qui enrichiront l’an prochain notre Bibliothèque de Travail.

Une bibliothèque de Travail assez fournie est à l’entière disposition des enfants qui peuvent prendre les livres quand ils veulent : pendant la classe, aux moments de travail libre — ou les emporter le soir pour lire à la maison.

En parlant des sciences et de l’Histoire, M. l’I. ajoute : « les quelques livres — en très mauvais état souvent — mis à la disposition des élèves, ne suffisent pas ».

J’ai donc fait le relevé des livres de la Bibliothèque de Travail de ma classe et j’ai compté :

— 10 livres de sciences, en bon état;

— 5 livres de géographie, dont deux assez usagés, il est vrai ;

— 7 livres d’histoire ;

— 70 autres livres différents: manuels scolaires, livres de morale, recueils divers, etc..

Soit au total près de cent livres qui sont, je le répète, à l’entière disposition coopérative des élèves, tout comme s’ils étaient leur propriété.

Quelle école traditionnelle peut s’enorgueillir de posséder une telle documentation ?

— Nous avons enfin un Fichier scolaire coopératif, enrichi sans cesse par la collaboration des enfants, et qui comprend :

— 1.000 fiches environ, format 13.5 X 21 ;

— 500 fiches environ format 21 X 27,

Et comprenant, par ordre de quantités, des documents précieux de :

Je proteste enfin encore une fois contre le reproche inconsidéré que nous dédaignons le livre. C’est bien le contraire, on le voit. Nous voulons que l’enfant soit environné de livres — que nous désirerions certes plus beaux et plus propres que ceux dont nous disposons ; nous tâchons de l'habituer à en extraire la « substantifique moelle » au lieu de nous contenter du traditionnel et superficiel enseignement des manuels scolaires.

Sciences et Histoire :

M- l’I. parle de carnets spéciaux, secs, abstraits, sans gravures.

J’avais expliqué à M. l’I. — qui a peut-être omis de le signaler — qu’il s'agissait là d’une expérience que les événements de ces derniers mois m’ont empêché de développer harmonieusement.

Pour ce qui concerne les sciences, j’ai supprimé cette année, presque totalement, les leçons ex-cathédra. Je donne les idées directrices pour les chapitres à étudier, je mentionne les expériences à faire, les recherches à entreprendre, soit en dehors de la classe, soit en classe.

Pendant les heures de travail libre, les élèves ont fait de nombreuses expériences dont ils ont mentionné les résultats sur leurs livres de sciences.

Ces livres de sciences sont des recueils de fiches format 13,5 X 21 relues par des reliures boulons. Les élèves groupent là toutes les recherches effectuées, les comptes rendus de films, d’expériences, les pages intéressantes trouvées dans les livres, etc... Ces éléments regroupés ensuite par chapitres grâce au système de fiches constituent le véritable livre de science : vivantes et expérimentales.

La réalisation n’en certes par été parfaite, loin de là. Mais qui oserait m’en faire grief étant données les conditions actuelles. Tout éducateur sincère comprendra du moins la portée de cette expérience qui mérite d'être reprise et précisée.

Même essai pour l’histoire.

Sur des feuilles de format 13,5 X 21 reliées par nos reliures boulons, nous devions inscrire en quelque sorte le canevas de l’histoire. D’autres fiches que nous grouperions autour de ce canevas devaient porter la relation des principaux événements historiques, des recherches locales ou régionales, rédigées à St-Paul ou reçues de nos correspondants.

Nous aurions enrichi bientôt ce recueil de nos fiches de chronologie mobile d'histoire de France, que la Coopérative de l’Enseignement va éditer incessamment, de façon à obtenir une sorte de livre personnel d’histoire, à la mesure de nos élèves.

Les événements ont été tels que j’ai dû souvent ne donner que le canevas — qui est certes insuffisant. Mais aussi, en attendant cette réalisation, ai-je continué à faire régulièrement les leçons classiques d’Histoire de France, que les enfants ont étudiées sur les manuels à leur disposition.

Qu’a donné cet enseignement historique ? Ce qu’il donne dans toutes les autres classes : un savoir de mots d’autant moins imprécis que le bourrage a été plus intense. Or, personnellement, je réserve pour la fin l’année le bourrage intensif qui préparera les candidats aux interrogations du C.E.P.E.

Or, quel genre de contrôle a fait M. l’I. ?

Il est arrivé dans la classe à 14 h 20, et, jusqu'à 15 h. 10, il a interrogé les enfants sur les dates et les guerres de l’an 50 av. J.-C. jusqu’à la Révolution Française : Bataille des champs Catalauniques, avènement des Capétiens, invasion des Huns, date des Croisades, St-Barthélémy, Edit de Nantes, avènement des rois, traités divers et guerres du 17e et 18e siècle, etc.

Un élève, exténué vers la fin, a répondu presque à tout, élève qui, dans les cours secondaires où il était depuis trois ans, n’avait pas fait d’histoire de France.

Quant aux autres grands élèves, leurs réponses quoique partielles montrent du moins que j’ai fait régulièrement les leçons prévues au programme.

Interroger pendant 50 minutes (ça c’est pédagogique et scientifique !) des élèves sur cette caricature d’histoire que sont les dates et les guerres, quelle classe, quel cours honnêtement conduit y résisterait ? Ne pas s’informer seulement si j’ai initié mes élèves comme je prétends l’avoir fait, à la « philosophie » de l’histoire, n'est-ce pas montrer un parti-pris regrettable que les éducateurs jugeront ?

* * *

Et enfin, n’ai-je pas le droit de m’étonner de ce que M. l’ I.P. note :

7. Un élève reçu l’an dernier au C.E.P. après repêchage.

Je croyais jusqu’à ce jour qu’un élève reçu au C.E.P. était bien reçu et que nul — pas même le président de la commission — n’avait le droit de faire état des conditions dans lesquelles cet élève avait été admis.

Il me serait facile de répondre :

— Que je n’ai jamais eu la prétention de faire recevoir brillamment, à 12 ans, un élève d’origine étrangère, moyennement intelligent, que l’éducation traditionnelle avait littéralement abruti et que je ne suis pas parvenu à remonter totalement.

— Que M. l’I. lui-même s’est plaint l’an dernier que la Commission de Cagnes ait été anormalement sévère et qu’il ait été dans l’obligation de repêcher la moitié environ des candidats et candidates.

Que je n’ai jamais sollicité aucune faveur pour mes candidats, et que cette commission était parfaitement libre de refuser cet élève si elle le jugeait bon.

Il est en tous cas inadmissible que M. l’I. vienne joindre maintenant cette note au rapport comme pour ajouter encore au témoignage qu’il prétend donner de mes insuffisances, alors qu’il oublie systématiquement de noter :

— Que j’ai eu, en 4 ans, six élèves reçus au C.E.P. (et pas tous repêchés je pense) et 2 élèves reçus à l’école hôtelière, dans une école où il n’y avait pas eu de candidats depuis 15 ans, tellement les conditions y sont difficiles.

Que, pendant le même temps, l’école de filles n’a eu que trois élèves reçues au C.E.P.

— Que j’ai cette année :

— 4 bons candidats au C.E P. (voir plus haut pour épreuve d’orthographe)

— 1 candidat aux Bourses première série :

— 2 candidats aux Bourses deuxième série.

Tout cela n’a certainement que peu de valeur en face du repêchage que me reproche un président de commission qui, ce faisant, viole sciemment — et pour quelle besogne — le secret auquel il est légalement tenu.

***

Si, en conclusion, nous reprenons les articles du rapport et ma réfutation, il résulte :

1° Que, pour les disciplines essentielles de l’école : lecture, écriture et calcul, aucun reproche grave ne peut m'être adressé —au contraire — après l’enquête même de M. l’I.

2° Pour les disciplines secondaires: récitation, histoire, géographie, sciences, des réserves peuvent être faites, qui proviennent d’une différence fondamentale dans la conception de ces enseignements, sans cependant qu’il puisse être prouvé que je n’ai pas donné ces enseignements conformément aux programmes.

3° Que, bien que menée selon des principes d’éducation nouvelle, aucun grief grave ne peut être fait contre la conduite de ma classe.

4° Que, acharné à mettre en lumière ce qui pourrait me causer quelque tort, M. l’I. s’est abstenu systématiquement de signaler que :

a) J’ai moi-même, par mon travail et mes propres deniers organisé une classe pour laquelle il n’y a jamais eu aucun crédit de voté :

— Que les étagères sont à moi :

— Les liseuses et les gravures à moi ;

— Le lavabo payé par moi ;

Et que, le jour où je quitterai ce poste, je laisserai une classe misérable et dépouillée comme je l’avais trouvée.

b) Le Cinéma Pathé-Babv, acheté par la Caisse des Ecoles que j’ai fondée est alimenté par des films que je paie, étant donné que la Coopérative scolaire est complètement désorganisée et a perdu des fonds importants par suite de non-paiement des fournitures par les grévistes ;

c) Que j’utilise dans ma classe un phonographe payé par les auditeurs enthousiastes de mes conférences à l’institut J.-J. Rousseau de Genève, et que la location des disques est également payée par moi.

Je laisse à ceux qui liront ces lignes le soin de caractériser un rapport tellement objectif qu’il en oublie de mentionner TOUT ce qui pourrait être en ma faveur.

***

Oui, je n’ai pas respecté tous les règlements établis.

Je n’ai fait là que suivre, et de bien loin, l’exemple déplorable que m’ont donné mes chefs hiérarchiques, depuis M. l’I.P. jusqu’à Monsieur le Ministre.

Depuis deux ans, je leur signale les manquements graves à la loi dont souffre mon école. L’illégalité n’a fait que s’accentuer pour parvenir au mépris actuel de toutes les lois qui régissent l’enseignement primaire.

Si je suis coupable de n’avoir pas affiché l’emploi du temps et la répartition des matières, et si on se prépare à justifier une nouvelle sanction pour ces fautes bénignes, je demande quelles mesures un gouvernement républicain devra prendre contre les administrateurs qui permettent :

— Que mon école reste 20 jours sans être balayée ;

— Que les cabinets débordent pendant dix jours, empuantisant le local el mettant en danger la santé des élèves et du maître ;

— Que les balayures s’entassent dans la cour depuis trois mois :

— Qu’il n'y ait pas d’eau à l'école;

— Que le garde-champêtre use de son autorité pour faire retourner les enfants qui viennent à l’école ;

— Que le Maire réactionnaire fasse sur des parents d’élèves une pression délictueuse contre laquelle nous demandons depuis trois mois des sanctions.

* * *

Quand je dis que l’administration me livre sans défense à la réaction qui hurle contre l'école, Messieurs les Inspecteurs prétendent que j’exagère.

Que ceux à qui nous mettons entre les mains les éléments du procès jugent si M. l’inspecteur Primaire a défendu l’instituteur attaqué ou s’il ne s’est pas rangé délibérément aux côtés de mes diffamateurs.

Saint-Paul, le 2 mars 1933.

L’Instituteur,

C. FREINET.

Notre ami Delaunay s’étonne que nous ayons dans notre dernier numéro, comparé l'enquête de notre inspecteur primaire à une descente de police.

Que l’inspecteur ait le droit — et le devoir — de tout voir, de tout noter dans la classe, nous ne saurions y contredire. Mais lorsqu’on le voit le matin, à l’improviste, noter, élève par élève, avec précision, les devoirs faits à la maison ; lorsqu’il se fait présenter, dès que je viens de les corriger, tous les cahiers d’élèves, ne peut-on s’étonner de cet excès de zèle qui a pour l’éducateur quelque chose de regrettable et d’avilissant.

Et quand — sur l’ordre de qui ? — ce même Inspecteur s’en va de maison en maison recueillir les dépositions des parents protestataires, n’usurpe-t-il pas les fonctions des gendarmes ou des agents de police ?

Mais non ! Aujourd’hui l’inspecteur a pleins pouvoirs : s’il ne rencontre pas le père à la maison il va le rejoindre au champ et s’il ne l’y trouve pas, la mère le remplacera. L’Inspecteur écrit sur une feuille ce que l’intéressé répète — ce qu’on lui fait dire — Et si le déclarant ne sait pas signer, il fera une croix.

Ensuite, l’inspecteur d’Académie pourra brandir comme un glaive sur ma tête treize déclarations ainsi recueillies (sur 24 parents). Si je proteste que plusieurs, parmi ces parents m’avaient donné librement une attestation élogieuse il y a trois mois, que nous sommes en mesure d’établir d’autre part que le Maire a fait sur ses administrés une pression délictueuse, l’inspecteur d’Académie lèvera les bras au ciel en disant :

« Oh ! si nous entrons dans ces considérations ! J’ai envoyé mon Inspecteur primaire qui a recueilli ces déclarations... ce sont les dernières: je les considère comme seules valables ! »

Ce que disent ces déclarations ? Quelle est la part de vérité qu’elles contiennent? Et n'était-il pas juste d’entendre l’accusé après les accusateurs ?

On ne m’a pas donné lecture des déclarations en question et on m’a encore moins demandé d’explications sur les assertions et accusations qu’elles relatent.

Ces procédés ne s’apparentent-ils pas étrangement avec ceux, que nous connaissons aussi, de la police secrète ?

***

Lorsque, au début de l'affaire, j’avais demandé moi-même à l’inspecteur primaire d’aller ainsi recueillir chez tous les parents les attestations — favorables ou non — il avait paru scandalisé. De pareilles choses ne sont pas de mises dans l’enseignement ! L’Inspecteur primaire se tient à la Mairie où se présentent librement les parents qui ont des observations à faire.

Deux mois après sur production d’une plainte revêtue de fausses signatures et frauduleusement légalisée par le Maire, l’I. P fait cette besogne qu’il jugeait déshonorante quand il s’agissait de me défendre.

Ce sont là. on le comprendra, des précédents trop graves pour que nous ne les dénoncions pas avec vigueur. Qu’on laisse à la police — qui s’y connaît — le soin de produire les rapports secrets avec lesquels on se débarrasse des personnalités gênantes, mais que nos inspecteurs continuent au moins avec tact et dignité la besogne administrative et pédagogique qui est la leur.

 

L'obscurantisme et ses moyens

Mars 1933

 

Le régime contre l'école nouvelle

Mars 1933

 

Le travail et la peine des hommes

Mars 1933

Nous devons à l’intéressante suggestion de notre ami Gauthier de proposer pour le prochain concours trimestriel de La Gerbe un sujet original et dont tous les camarades comprendront l’intérêt.

Nous avons déjà dit comment, à mesure que notre œuvre est mieux connue, nous rencontrions toujours plus de difficultés pour obtenir l’autorisation de reproduire gratuitement dans notre Fichier les textes d’écrivains. Il est probable que ces difficultés ne feront que croître.

Il est à considérer d’autre part que, examinés d’un point de vue pédagogique strict, ces textes ne nous rendent pas toujours les services que nous attendons. La forme en est souvent trop compliquée pour des enfants de 12 à 13 ans et les documents qu’ils contiennent sont parfois plus ou moins exacts.

Pourquoi, avec la collaboration des centaines d’écoles réparties dans tout le pays, ne pas rédiger nous-mêmes, avec la collaboration des élèves, ces documentaires simples et précis dont nous avons besoin ? Nous enrichirons ainsi notre fichier de textes vraiment utiles, à la portée des enfants et dont l’emploi n’exclura pas cependant la lecture des textes de grands écrivains à laquelle nos inspecteurs tiennent tout particulièrement.

Quant à nous qui prisons plus la formation humaine de l’homme et du travailleur que l’assujettissement à une forme de langage essentiellement scolastique et aristocratique, nous disons avec enthousiasme à nos camarades : Vous qui vivez au milieu des travailleurs des champs, qui, par vos techniques, participez activement à l’effort et à la peine du fleuriste, du bûcheron, du berger ; vous qui, à la ville, êtes à même de connaître intimement la vraie vie des ouvriers ; vous qui allez, avec vos élèves, visiter les vieux métiers mourants, les petites fabriques locales ou les grandes usines, dites-nous les aspects divers des travaux dont vous êtes témoins, auxquels vous participez ; racontez-nous la vie des hommes, et celle des enfants aussi ; décrivez-nous les outils, les machines, les techniques.

Avec ces textes simples, précis et véridiques, accompagnés si possible de photos et de dessins, nous réaliserons de belles fiches, de belles brochures de notre Bibliothèque de Travail. Nous préparerons ainsi pour nos classes les plus pratiques et les plus honnêtes des matériaux.

Nous comptons sur la collaboration de tous nos camarades.

 

Procédés d'illustration

Mars 1933

 

 

Avec l'enfant... Pour l'enfant...

Mars 1933

Esperanto

Mars 1933

 

La vie de notre groupe

Mars 1933

 

Le cinéma

Mars 1933

 

La radio

Mars 1933

 

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Page 331

Documentation internationale

Mars 1933

 

U.R.S.S., URSS

Le peinture en grand à l'école

Mars 1933

 

 

 

Journaux et revues

Mars 1933