Vers l'autogestion

Avril 1967
 

Collection

Documents de l’ICEM N°7

 

Vers l’autogestion

 

 

 

Par la commission « Enfance inadaptée » animée par Pierre Yvin

BIBLIOTHEQUE DE L’ECOLE MODERNE


 


TABLE DES MATIÈRES

1re partie (Classe de Pierre YVIN)

INTRODUCTION
1. LE POUVOIR DE DÉCISION
2. APPLICATION DES DÉCISIONS : du projet au travail
3. DIFFÉRENTS TYPES D'INTERVENTION DE L'ÉDUCATEUR
4. CONTROLE ET BILAN DU TRAVAIL RÉALISÉ
CONCLUSION

2e partie (Classe de Jean LE GAL)

INTRODUCTION
1.LES CONDITIONS DE L'EXPÉRIENCE ACTUELLE
2. ANALYSE DE L'EXPÉRIENCE
3. LA DÉVIANCE
CONCLUSION

3e partie

L'ÉVOLUTION DES TECHNIQUES
1. LA CORRESPONDANCE INTERSCOLAIRE (Jean LE GAL)
2. LE TEXTE LIBRE ET LE JOURNAL SCOLAIRE (Jean LE GAL)
3. RENCONTRES D'ENFANTS (Pierre YVIN)
4. LE CONSEIL DE COOPÉRATIVE (Jean LE GAL)
5. LE PRÉSIDENT DE JOUR (Jean LE GAL)

4e partie (Classe d'Yvette BOLAND)

1. LES ENFANTS
2. OU EN SOMMES‑NOUS ?
3. UNE TRANCHE DE VIE DE LA CLASSE
CONCLUSION

5e partie (Classe de Lucette MAGNE)

1. CONDITIONS NÉCESSAIRES
2. NOTRE EXPÉRIENCE
3. ROLE DE LA FORMATION DES ÉDUCATEURS

Conclusions provisoires

PREFACE

Je ne consens guère à des préfaces, en ce sens que je les trouve inconvenantes : inopportunes, elles retardent le contact direct qui est la raison d'être de l’œuvre elle-même ; impertinentes, elles ne peuvent que répéter ou contredire. Mais voilà qu'il s'agit d'amis qui se recommandent de l'Ami qui nous fut cher et que nous n'oublions pas, Célestin Freinet. Il s'agit aussi de ces enfants des classes de perfectionnement qui constituent notre priorité, puisque les autres se sauveront finalement sans nous si nous sommes sages, contre nous, si nous sommes maladroits. Faute d'un intérêt prioritaire en faveur des plus démunis, nous trahirions l'esprit même de la Démocratie.

C'est dire l'intérêt passionnant d'une lecture qui répond à l'intérêt passionné des auteurs : Yvette Boland de Grivegnée (Belgique), Lucette Magne de Limoges, J. Le Gal et P. Yvin de Nantes. Sans doute, d'un document à l'autre, découvrira-t‑on ces nuances nécessaires de l'action éducative : « Parce que c'est lui, parce que c'est moi ». Le respect de l'authenticité du maître est l'un des facteurs de son efficacité. Et c'est en quoi la Pédagogie échappe au catalogue des recettes communicables. Mais au-delà de cette évidente singularité apparaît la convergence qui frappe, du propos et du ton : ne s'agit-il pas d'enfants qui font preuve des mêmes carences psychosociales ‑ et de maîtres qui se sont fortifiés au même mouvement créateur ? Attachons-nous à ces constantes...

Il s'agit tout d'abord de véritables monographies, de comptes rendus si vivants, si précis que nous aimerions en lire de semblables sous la plume de nos étudiants. Cependant, cette objectivité traduit d'abord une orientation, un but clairement défini, celui-là même que Célestin Freinet proposait à ses amis, au congrès de Caen, en 1962 : « préparer, non des écoliers dociles, mais des hommes et des citoyens qui sauront bâtir le monde nouveau de liberté, d'efficacité et de paix ». La finalité de l'éducation apparaît dans l'avènement progressif de personnes autonomes et sociabilisées. Encore importe-t-il de ne pas s'en tenir aux pieuses intentions. Les difficultés sont de méthodes.

Il convient tout d'abord de valoriser l'enfant : aussi démuni soit-il, il détient un immense capital de mots (d'où la valeur, d'ailleurs thérapeutique, de « l'expression libre »), de besoins, de tendances, de motivations. L'associer au travail en équipe, le faire participer aux décisions communes, l'écouter, c'est le réconcilier avec lui-même autant qu'avec les autres, c'est faire qu'il se découvre de s'entendre, qu'il soit, peu à peu, mieux dans sa peau. L'acceptation et l'autonomie de la personne enfantine, constatent les auteurs, passent par l'acceptation et la gestion du milieu scolaire : code de vie, organisation du travail respectant les règles, les personnes et les outils ‑ et préfigurant son propre code moral, ses propres méthodes de travail. La faculté de s'adapter, de créer, de coopérer, ces vertus de l'an 2000, passent par une pédagogie de l'aléatoire, de la réussite et de la dédicace.

Il se trouve qu'il n'y ait rien de mieux à ce propos que la pédagogie Freinet et singulièrement grâce à la multiplicité de ses activités concrètes, de ses techniques coopératives. Un sort doit être fait au rôle du Président de jour (comme l'entendait Makarenko), du responsable temporaire d'atelier coopératif, au conseil de classe (selon une formule qui intègre les apports de l'Office Central de la Coopération à l'Ecole et de la dynamique de groupe), à la correspondance interscolaire, peut-être technique privilégiée en semblable affaire...

Dès lors, apparaît le rôle du Maître, entre oppression et démission, du maître démocratique qui sait que son action seule peut combler tout ou partie du désolant déficit de ces enfants de Caïn. Là est l'apport le plus original des auteurs et peut-être leur plus significatif point de rassemblement. Partis de la pédagogie autocratique traditionnelle ou, un temps séduits par la non directivité intégrale, ils ont compris, à l'expérience et à la réflexion, ce qui était le plus difficile, le plus nécessaire : être présent sans être pressant ; être disponible et permissif, en restant ferme quand il le faut : « être un homme, un technicien, un organisateur », « que le maître s'informe et qu'il s'engage » ; qu'il choisisse la philosophie de son éducation, après avoir, d'évidence, éclairé sa philosophie. Qui doit changer ? Lui d'abord. Et là l'humilité est grande vertu. Si l'oblativité va d'abord...

Nous trahirions la pensée des auteurs si nous découvrions dans leurs comptes rendus une invite à refaire leurs propres expériences, à les étendre à l'ensemble d'une pédagogie qui sera toujours plus militante que triomphante. Au moins pouvons-nous dire qu'il y a là richesse d'informations, suggestions d'activités, promesse de réussites. Quoi de plus rassurant, en tout cas de plus tonique, que cet enthousiasme d'éducateurs heureux : ils se sont faits sauveurs d'hommes.

Jean Vial

 

« Quelles que soient les entraves que la société capitaliste met aux essais de rénovation de l'éducation populaire, nous nous emploierons à mêler, plus que jamais, l'école au peuple afin de dépouiller l'éducation de tout ce qu'elle a eu, jusqu'à ce jour, de mystiquement aristocratique pour en faire la puissante préparation à la vie prolétarienne. »

1928-29 C. FREINET, L'Educateur Prolétarien

en 1928 encore

« La libération de l'Ecole Populaire viendra d'abord de l'action intelligente et vigoureuse des instituteurs populaires eux-mêmes. »

Janvier 1931

« Il ne peut y avoir comme but à nos efforts que la société d'où sera exclue toute exploitation de l'homme par l'homme. »

Et en 1939, à l'occasion du Congrès de la Ligue pour l'Education Nouvelle, il écrivait, à propos de « l'école au service de l'idéal démocratique » :

« L'idéologie totalitaire joue sur un complexe d'infériorité de la grande masse qui cherche un maître et un chef. Nous disons, nous : l'enfant - et l'homme - sont capables d'organiser eux-mêmes leur vie et leur travail pour l'avantage maximum de tous. »

Ce qu'écrivait Freinet en 1939, reste plus vrai que jamais, mais surtout s'avère aujourd'hui, plus réalisable.

Les éducateurs de l'Ecole Moderne peuvent aujourd'hui offrir à leurs enfants une gamme variée d'outils, un riche éventail de techniques et d'activités. Une classe Freinet, en autogestion, est désormais possible. Un soubassement pédagogique constitué par l'ensemble des techniques Freinet, est nécessaire pour qu'une classe fonctionne en autogestion Toute tentative de ce genre dans une classe dont le matériel éducatif est la salive, la craie, les manuels, dont les techniques de travail restent les leçons, les devoirs, n'est qu'un leurre.

Face à la pédagogie autoritaire, système pouvant être défini par le fait que les institutions internes à la classe sont décidées uniquement par le maître (et quelles que soient les techniques utilisées), des éducateurs de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne relatent, dans ce document, l'expérience de leur classe et développent la conception d'une pédagogie basée sur l'autogestion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1ère PARTIE CLASSE DE PERFECTIONNEMENT de Pierre YVIN - Saint-Nazaire (44)

Avril 1967

 

1ère PARTIE
CLASSE DE PERFECTIONNEMENT de Pierre YVIN - Saint-Nazaire (44)

INTRODUCTION

1. LE POUVOIR DE DÉCISION

2. APPLICATION DES DÉCISIONS : du projet au travail

3. DIFFÉRENTS TYPES D'INTERVENTION DE L'ÉDUCATEUR

4. CONTROLE ET BILAN DU TRAVAIL RÉALISÉ

CONCLUSION

INTRODUCTION

Maître de classe de perfectionnement depuis sept ans, j'ai toujours cherché à pratiquer une pédagogie efficace et démocratique. Militant de l'O.C.C.E. et de l'I.C.E.M., j'ai toujours fait appel au maximum aux enfants pour ce qui concerne l'organisation de leur vie et de leur travail. Cependant, les nouvelles données apparues avec les travaux des pédagogues de la Pédagogie Institutionnelle m'ont amené à repenser les problèmes du choix des activités et des institutions de la communauté, ainsi que celui du pouvoir de décision des enfants, et à faire ainsi évoluer ma pédagogie vers l'autogestion. L'expérience - au sens de tentative - que je décris dans ce document se situe au cours de l'année 1967-1968, dans une classe de perfectionnement de garçons, de niveau 2e degré, à l'école Lamartine à Saint-Nazaire.

Une classe autogérée, ou en marche vers l'autogestion, est un milieu de vie complexe et unique, une synthèse originale d'éléments humains, de structures et de techniques. Et le climat d'une classe où les activités ne sont pas seulement verbales semble difficilement traduisible par des mots, encore moins par des chiffres. Aussi ce document n'aura d'autre prétention que d'être une monographie comportant essentiellement une description de l'évolution de la vie et du travail dans ma classe au cours d'une année scolaire.

La présente introduction portera sur les points ci-après :

‑ Les fondements philosophiques de l'expérience ;
‑ Les fondements pédagogiques de l'expérience ;
‑ Les enfants ;
‑ L'éducateur ;
- Les objectifs.

FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DE L'EXPÉRIENCE

Toute recherche pédagogique est basée sur un fondement philosophique. Cette expérience sous-entend une option philosophique touchant à l'individu, aux rapports humains, à la société.

Je cherche la voie éducative visant à former des êtres autonomes et responsables, susceptibles de s'adapter à l'évolution de la vie mo­derne. Il me paraît donc essentiel qu'au sein de la classe les enfants puissent prendre le maximum de responsabilités, s'exprimer librement à propos de tout, ‑ y compris des activités et des institutions de la classe ‑ et être maîtres de leurs initiatives et de leurs décisions.

Une formation basée sur l'autogestion, conduisant à l'autonomie de l'individu et du groupe où il vit, leur permettra de s'adapter à la so­ciété moderne, qui tend à faire participer tous les travailleurs à la gestion de leurs activités, et qui devrait surtout permettre de satisfaire les besoins essentiels de l'homme : création, invention, initiative et communication.

Une telle conception de la pédagogie peut paraître ambitieuse quand il s'agit des enfants, dont on dit souvent qu'ils sont passifs, incapables d'initiatives, de pensées ou de réflexions personnelles. Aussi il pourra sembler surprenant que, dans un climat de liberté, chacun s'engage au maximum pour des tâches aussi bien intellectuelles que manuelles, et que, faisant preuve d'un réel besoin de travail, l'ensemble parvienne à établir un équilibre des activités.

Une telle optique éducative peut paraître utopique appliquée à des enfants qui n'ont certes pas de grandes responsabilités dans la hiérarchie sociale. Mais du moins peut-on espérer qu'ils vivront avec plus de dignité leur situation de demain. Dans leur famille, ils auront à assumer des responsabilités, à prendre des décisions ; comme ci­toyens, ils auront à voter, donc à choisir. Or la société de demain se forme à l'école. La vie en démocratie s'apprend. C'est à l'école que revient le rôle difficile d'en jeter les bases solides.

FONDEMENTS PÉDAGOGIQUES DE L'EXPÉRIENCE

Eduquer ou mettre en condition : tel est le choix pour les ensei­gnants. Ce choix, à vrai dire, n'est pas nouveau, car de tout temps des pédagogues se sont dressés contre les usages établis.

Rousseau, dans l'Émile, écrit à propos de l'élève : « S'il se trompe, laissez-le faire, ne corrigez pas ses erreurs, attendez qu'il soit en état de les voir et de les corriger de lui­-même. »

Les pédagogues de l'Education Nouvelle, Mme Montessori, Decroly, Dewey, Cousinet... ont certes apporté des modifications très profondes au niveau de l'éducation, en centrant l'école sur l'enfant. Mais il ne suffit pas de partir de l'enfant ou de la vie, si le dogmatisme du maître resurgit ensuite dans le but exclusif de faire acquerir doc connaissances scolaires.

Le mouvement du Plan Dalton et de l'école de Winnetka, précurseurs de l'enseignement programmé, constitue une amorce d'auto-organisation de la part de l'élève. Cependant, autant que l'autonomie de l'élève, c'est l'autonomie du groupe qui doit permettre à celui-ci de fonctionner seul. Et c'est l'enfant qui doit décider de son style de travail : individuel, en équipes, collectif, par fiches, par bandes programmées, ou avec le concours du maître.

Freinet, en plaçant l'expression de l'enfant au centre de l'éducation, a opéré le renversement des valeurs pédagogiques admises jusque là. L'enfant, par le texte et le dessin libres, par la parole comme par le chant ou la danse, raconte, exprime ce qu'il ressent. Au cours de toutes ces activités d'expression libre ‑ qui peuvent être étendues à l'enquête ou à la conférence ‑, il devient maître de son activité, il l'autogére. Toutefois, ces activités, libres dans leur contenu, ne deviennent effectivement libres qu'à partir du moment où il décide lui-même de son activité, sans procédé de stimulation ou de contrôle imposé.

C'est surtout avec Profit, initiateur de la Coopérative Scolaire en France, puis avec Freinet, que la pédagogie s'oriente vers des formes plus démocratiques ; car il s'agit de remettre entre les mains des enfants l'économie et les activités de la classe, de les orienter vers une collaboration communautaire, en vue du véritable but à atteindre : la formation de l'homme.

Toutefois, un maître «coopérant» peut choisir au départ, à titre définitif, les techniques et les institutions. Aussi la prise en charge du travail et de la vie, pour qu'elle devienne réelle, suppose que les enfants puissent remettre en cause les techniques et les institutions en vigueur dans la classe.

Car ce qui compte en définitive, c'est que le pouvoir de décision appartienne au groupe et qu'au sein de l'organisation communautaire chaque membre puisse se réaliser suivant ses tendances.

C'est lorsque ce stade est atteint qu'on peut prétendre vraiment rejoindre l'autogestion. C'est ce que pensent notamment les pédagogues de la Pédagogie Institutionnelle, pour qui la classe est avant tout un champ de décisions (Lobrot, Lapassade). L'essentiel est que toute activité résulte de la décision de l'enfant.

LES ENFANTS

Ils ont tous de 10 à 14 ans. Ils sont profondément marqués par beaucoup de choses : milieux socio‑économiques défavorisés, milieux familiaux perturbés, milieux scolaires antérieurs, santé déficiente.

Sur un total de 15 enfants, 4 sont dans ma classe depuis octobre 1964. Ils ont déjà expérimenté des activités d'expression libre, la correspondance interscolaire, le journal scolaire et d'autres techniques, qui sont surtout celles de l'Ecole Moderne. Ils ont connu différents modes d'organisation, travaillé suivant différents styles (individuellement ou en équipe). Toutefois ils n'ont jamais joué un rôle dynamique au sein de leur communauté.

1. Philippe, 11 ans, Q.I. 68, fils d'ouvrier, ‑ Les progrès réalisés tant sur le plan scolaire que sur celui de l'autonomie sont gravement compromis par des difficultés permanentes de santé qui ont des répercussions sur son comportement et son caractère. Fermé, il se réfugie dans son monde intérieur et éprouve beaucoup de mal à accepter les autres.
2. Dominique, 10 ans, Q.I. 74, le frère du précédent avec lequel il ne s'entend guère, Handicapé sur le plan psychomoteur, il a aussi des difficultés de langage. Les progrès scolaires sont plus nets, surtout en calcul. Il vérifie les comptes de la coopérative, dont il est le trésorier-adjoint. Bien que capable d'initiative, il révèle des tendances « moutonnières ».
3. Pierre, 12 ans, Q.I. 65, fils d'ouvrier. ‑ Il est l'élément typique qui à lui seul, dérange toute la classe. Agressif, violent, il est très souvent opposant. Il croit que tout le monde lui en veut. Son niveau scolaire est très bas (CE 1).
4. Yannick, 14 ans, Q.I. 72, fils d'un ouvrier qui est souvent en déplacement. ‑Scolarité perturbée par un séjour en aérium. Très instable, il n'est jamais parvenu à jouer un rôle actif au sein de la coopérative, Fanfaron, il s'est tout de même rangé l'an dernier dans le sillage des camarades plus coopératifs. Mais il est « l'ancien », et il ne manque pas de le faire remarquer aux nouveaux.
Huit enfants viennent d'une autre classe de perfectionnement qui pratiquait une pédagogie ouverte (utilisation de la correspondance, étude du milieu). Mais l'expression libre authentique ne leur a pas souvent été permise. Peu habitués à prendre des initiatives, maintenus dans l'immobilisme, ce sont des enfants « sages ».
5. Michel, 12 ans, Q.I. 80. ‑ Son handicap physique est la cause de son retard scolaire ; un accident de voiture l'a rendu hémiplégique. Le père est directeur d'une société de transports. C'est un gentil garçon, et qui a déjà l'habitude de s'exprimer dans son milieu familial.
6. Alain, 11 ans, Q.I. 69, fils d'un ouvrier du port. L'enfant est le plus souvent livré à lui-même. Il a dès le départ une grande influence sur ses camarades.
7. Hubert, 10 ans, Q.I. 71, père mécanicien-dentiste, ‑ De santé déficiente. Semble indifférent à tout travail.
8. Yannick C., 11 ans, Q.I. 83. Le père, ouvrier, est en déplacement au Sahara. Milieu social aisé, mais milieu familial perturbé, Yannick a connu de nombreux échecs scolaires, notamment en orthographe.
9. Régis, 12 ans, Q.I. 74, père commerçant. ‑ Enfant passif et calme.
10. Jean‑Yves, 11 ans, Q.I. 81, père ouvrier mais milieu social assez aisé, La famille accepte mal son retard scolaire important.
11. Philippe F., 13 ans, Q.I. 73, père moniteur d'atelier ; mais c'est son 2e père, la mère s'étant remariée. Handicapé par une santé fragile .
12. Janick, 11 ans, Q.I. 70, père pêcheur. ‑ Agréable et gentil, mais éprouve peu d'intérêt pour l'école.
Quant aux trois derniers, ils viennent de classes « normales » où ils ont connu des échecs scolaires répétés et perdu toute confiance en eux-mêmes :
13. Jean-Luc, 11 ans, Q.I. 68, père employé de mairie, ‑ Handicapé par l'attitude du père à son égard (reproches, punitions continuelles), ce qui le rend craintif et accentue son inhibition.
14. Jean, 12 ans, Q.I. 63, père ouvrier. ‑ Enormes difficultés de langage.
15. Daniel, 10 ans, Q.I. 69 (1), père ouvrier, niveau social très bas. Enfant extrêmement instable, très agressif. Pauvre Daniel, qui se met en position de défense dès que je m'approche de lui ! Il s'est déjà forgé une « technique de vie » à base de coups et de punitions.

Certes, tous ces enfants présentent essentiellement des lenteurs d'acquisitions et de processus mentaux qui les rendent peu perméables à l'expérience. Ce qui me frappe surtout, c'est la passivité, le manque d'initiative des nouveaux. Je n'attribue pas cependant cet état d'esprit à une quelconque déficience mentale. Je me propose donc, dès le départ, de confier l'organisation de la classe, le choix des activités, le pouvoir de décision aux enfants, et la prise en charge du travail par le groupe.

(1) Le QI, est établi d'après la nouvelle échelle métrique de l'intelligence de Zazzo, Gilly et Verba. Tous les enfants ont été testés avant leur entrée en classe de perfectionnement.

L'ÉDUCATEUR

Une telle expérience suppose un maître véritablement libéré et non angoissé par les programmes, les emplois du temps, les horaires. Il n'est plus obnubilé par le souci de faire acquérir des connaissances. Il n'est pas absorbé par une activité particulière. Il n'a pas non plus de préjugés pédagogiques.

OBJECTIFS

La description des techniques utilisées ou des activités pratiquées me paraît superflue. Le lecteur reconnaîtra d'ailleurs l'ensemble des techniques de l'Ecole Moderne. Il me paraît plus important de savoir comment les enfants sont amenés à les utiliser et comment ils les pratiquent en fait.

Ce qui nous préoccupe, dans ce travail, ce n'est pas la matière à enseigner, mais de savoir comment un groupe d'enfants parvient à prendre ses décisions. Ce qui nous intéresse, ce ne sont pas d'abord les relations dans le groupe, mais la manière dont les enfants décident de leurs activités et comment ils les exécutent, sans oublier, bien entendu, les différentes formes d'intervention de l'éducateur. Ce que je veux décrire, c'est le fonctionnement démocratique d'une institution au niveau des activités.



I - LE POUVOIR DE DECISION

Dans le cadre d'une pédagogie dirigiste ou paternaliste, le problème du pouvoir de décision est simple : le maître sait d'avance ce qui est bon, et il décide seul des activités et de la manière de les organiser.

Mais si on estime que la classe est l'affaire des enfants tout autant que celle du maître, alors le problème est différent. La démocratie à l'école n'est pas une voie de facilité. Je me propose donc de décrire le tâtonnement de l'enfant venant s'intégrer dans le tâtonnement de la collectivité, à la recherche de son style de vie et de travail. Je montrerai comment, aux différents moments de l'année scolaire, les enfants décident de leurs activités.

Premier trimestre

EVOLUTION DU GROUPE VERS SA PROPRE AUTOGESTION

1°. LA RENTREE DES CLASSES ‑ UN DEPART NON DIRECTIF

Tout maître qui impose une disposition de classe, ou des outils, ou une décoration, n'impose-t-il pas déjà ses objectifs ? Ma classe se présente nue : pas de gravures, pas de travaux manuels exposés. Aucun atelier n'est en place. Tout l'abondant matériel dont je dispose est rangé dans les armoires et les placards. Je n'affiche ni emploi du temps, ni planning de travail. Les tables sont rangées d'une manière traditionnelle, le bureau placé sur le côté.

« Donner la parole à l'enfant », écrit C. Freinet. Encore faut-il qu'il veuille s'exprimer ! On a assez répété à tous mes nouveaux qu'à l'école il faut se taire. La présence de mes quatre anciens m'aidera à les faire sortir de leurs réflexes d'inhibition.

Passé l'effet de surprise de la rentrée, les langues vont se délier. Je provoque d'ailleurs moi-même le contact. Mais, surprise ! Alors que je cherche à éviter de parler de tout travail scolaire pour faire mieux connaissance avec mes élèves, Jean­-Yves me fait prendre conscience de la réalité. Pour ces enfants redevenus écoliers, je suis le maître. « L'école, c'est fait pour travailler ! », me dit ce garçon, qui, ayant échoué jusque là, compte bien qu'avec ce nouveau maître ça va marcher. Je pense d'ailleurs qu'il traduit, en fait, l'opinion de ses parents. Peut-être pense-t-il, par cette remarque, s'attirer ses bontés !

C'est à la demande du même Jean-Yves, appuyée par tout le groupe, que je distribue les manuels de lecture, d'histoire, de géographie. Cependant je ne prends aucune initiative ; je laisse les enfants consulter leurs nouveaux livres. Je note la gentillesse de Michel et de Régis ; Alain, lui, n'arrive pas à cacher son excès d'énergie.

Dès le début de l'après-midi, Yannick réclame l'installation des ateliers de travaux manuels et d'électricité. J'aide à organiser les ateliers et Yannick explique à ses camarades l'utilisation du filicoupeur.

En milieu d'après-midi, Pierre me demande si on fera une partie de foot ; demande approuvée avec joie par les nouveaux, peu habitués à pratiquer le foot à l'école.

Bilan de la journée : autour de l'établi, sur le terrain d'éducation physique, les esprits se sont éveillés, des échanges se sont créés. L'organisation de la journée, décidée par les enfants, les a amenés à parler entre eux, à parler au maître, à discuter, ‑ et cela d'une façon toute naturelle.

2°. LE 2e  JOUR DE CLASSE : MISE EN PLACE DU PROJET DE TRAVAIL ou PLAN DE TRAVAIL

Jean-Yves s'impose dès le 2e jour à ses camarades : « On va travailler sur nos livres. On devrait faire du calcul, une dictée, la lecture... » Là se place l'intervention du maître (dans son rôle de catalyseur). J'inscris au tableau les activités proposées : dictée, grammaire, récitation, travaux manuels. Mes « anciens » proposent aussi d'écrire aux correspondants, de réaliser des dessins au skrib, de faire du sport.

Je propose d'élaborer un plan de travail pour la journée et j'élabore dans le temps les activités désirées. Philippe F. : « Le matin, on fait tout le travail, la dictée, le calcul, tout ça... Et l'après-midi, on fait le travail manuel et le sport. » Approbation du groupe. « On vote ? » demande Yannick. A main levée, le groupe manifeste son accord.

Activités décidées :

le matin : lecture, calcul, avec utilisation de manuels ; dictée géographie d'après un manuel ;

l'après-midi : travaux manuels : découpage de maquettes d'après une documentation réclamée par Pierre, constituée essentiellement par les suppléments BT, dessin au skrib ; puis foot‑ball.

A mon avis, il est indispensable que l'éducateur s'en tienne, dès le début, au principe de l'activité demandée par l'enfant. Ce principe me paraît essentiel pour l'évolution vers l'autogestion.

3°. LE MOIS DE SEPTEMBRE

J'évite de faire des propositions de travail qui apparaîtraient comme des ordres et nuiraient au climat démocratique que je m'efforce de créer. Les enfants sont maîtres de leurs activités ; je les aide à les organiser : le matin, travail intellectuel ; l'après­-midi, activités manuelles et sportives.

Au cours de cette période, les enfants prennent conscience de la diversité des niveaux, notamment en calcul. J'attends d'eux qu'ils découvrent la solution qui facilitera le travail.

Régis, dont le niveau en calcul mécanique est supérieur à celui des autres, propose de travailler par groupes, approuvé en cela par ses camarades de l'an dernier : « On travaillait par groupes, dans la classe, avec M.., » La décision une fois prise, j'aide à la réaliser. Pour la constitution des groupes, je propose l'utilisation de tests de connaissances.

D'autre part, le groupe subit l'influence de quelques-ns, pour ce qui concerne le choix des activités. Alain propose davantage d'activités physiques dans la journée, au détriment des activités manuelles. Il est d'ailleurs suivi, et de mon côté j'évite toute intrusion directive.

Je propose aussi l'utilisation de matériel individuel de calcul : fichiers, bandes enseignantes programmées, cahiers autocorrectifs programmés.

Les nécessités matérielles appellent la définition de responsables élus par le groupe : responsables à l'atelier de menuiserie, aux stylos-feutres, au filicoupeur. Ces mêmes nécessités matérielles amènent l'institutionnalisation de la réunion de coopérative : nécessité d'acheter du matériel, de s'organiser pour alimenter la caisse (qui servira pour la correspondance, l'envoi de lettres et de colis). Les enfants décident la vente des objets fabriqués (sous-verres).

Fin octobre, la correspondance motive des enquêtes et des comptes rendus. A partir de novembre, le conseil de coopérative évolue peu à peu vers le Conseil de Travail où se fait spontanément le bilan de la journée et où s'élabore le plan de travail du lendemain.

Devant l'opposition de l'ensemble du groupe au travail de calcul mécanique ‑ pourtant décidé auparavant en commun ‑, je propose de nouvelles activités : géométrie, mathématiques, ateliers de calcul avec utilisation de bandes programmées. Nous expérimentons toutes ces activités.

4°. ACTIVITES INSTITUANTES (du 30 septembre au 13 novembre)

S'il me paraît essentiel que dès le départ le pouvoir de décision appartienne au groupe, je pense que les décisions prises n'ont de véritable sens qu'à partir du moment où les enfants peuvent choisir entre différents types d'activités et différents modèles d'organisation. Mon rôle sera, pendant cette période, de leur en offrir le plus large éventail, de proposer des modes de fonctionnement assez diversifiés qu'ils pourront expérimenter par tâtonnement.

Le 30 septembre, tous les enfants sont d'accord pour écrire à d'autres enfants ; je leur propose la classe de perfectionnement de Port-Vendres. Nous envoyons chacun notre lettre.

Le 2 octobre, nous écrivons notre première lettre collective

« En classe, nous faisons du filicoupeur. Avec le filicoupeur, nous découpons du contreplaqué. Nous fabriquons des maquette. Nous utilisons aussi des scies à main et une scie électrique. Faites-vous des maquettes ? »

Le 6 octobre, part une deuxième lettre

« Chers camarades,

Avez-vous bien reçu notre colis ? Ce matin, à St-Nazaire, il pleut.

Et à Port-Vendres, quel temps fait-il ?

Deux maîtres, ce matin sont venus en stage dans la classe.

Nous allons faire des sous-verres que nous vendrons au profit de la coopérative. »

Nos correspondants nous répondent le 9 octobre. Ils nous font parvenir aussi des textes imprimés. Nous les lisons, nous les commentons. Est-ce la certitude d'être lus par d'autres qui va inciter nos enfants à écrire des textes ?

Le 11 octobre, cinq enfants veulent lire leur texte. Nous choisissons celui d'Alain : « Histoire d'un petit enfant perdu ». Nous faisons une rapide mise au point, en évitant tout ce qui est scolaire.

Le 6 novembre, à la demande de Yannick, les enfants décident d'utiliser le magnétophone et de suivre certaines émissions de la télévision scolaire. A la demande de Pierre, le groupe décide d'imprimer les textes en vue d'éditer un journal de coopérative.

Pour que les enfants puissent s'administrer coopérativement et d'une façon authentiquement démocratique, je propose des modèles nouveaux de fonctionnement de l'institution :

Le président de jour ‑ L'idée est empruntée à Makarenko (cf. Poème pédagogique), Mais cette fonction n'est pas imposée aux enfants, et elle n'est assurée que pour un jour ; elle doit assurer le déroulement des activités décidées par les enfants, par référence au plan de travail élaboré par le groupe. Elle n'a aucun caractère d'autorité : l'équilibre et l'harmonie de la classe naissent à partir d'une organisation du travail librement choisi.

Les responsables d'activités (journal scolaire, correspondance, trésorier de la coopérative, enquêtes, lecture, sports, télévision, magnétophone). Ils sont désignés par le groupe en raison de la compétence qu'ils ont manifestée dans la réussite d'une épreuve. Il s'agit là d'une sorte de brevet (idée empruntée au scoutisme) en liaison avec la vie de la classe.

Ainsi, pour être responsable à l'atelier d'imprimerie, il faut satisfaire aux règles établies par le groupe : être capable de bien composer, de vérifier les composteurs des camarades de l'équipe, de savoir préparer le tirage, d'en assurer la bonne exécution, d'être gentil et coopérant.

Ainsi, au cours de cette période, les enfants ont pu expérimenter par tâtonnement mais en toute liberté tel matériel, telle technique (travail en groupes, ou individuel, ou collectif). Ils peuvent désormais, en connaissance de cause, décider de l'organisation du travail, du rythme et de la forme des activités, et déterminer ainsi leur style de vie. Les décisions succèdent aux expérimentations, elles-mêmes précédées de décisions.

5°. PRISE EN MAIN DU GROUPE VERS L'AUTOGESTION (13 novembre à Noël)

Au cours de cette période, je m'abstiens de toute proposition de travail. Je veux me rendre compte si les techniques et les activités expérimentées intéressent véritablement les enfants, et s'ils sont capables de les choisir sans aucune contrainte.

DIFFERENTS TYPES D'ORGANISATION

a) Organisation spontanée du travail

C'est le cas d'une activité qui suscite un grand intérêt et recueille l'adhésion unanime.

La correspondance interscolaire occupe une place importante dans la classe. En plus de nos rapports avec les enfants de Port-Vendres, et à la suite d'une rencontre avec des élèves d'une classe de perfectionnement de La Baule, à partir du 16 décembre onze d'entre nous décident de correspondre avec cette classe. De même, les enfants échangent des lettres collectives avec d'autres classes (demandes de renseignements, rencontres sportives).

La non-directivité pose peu de problèmes dans ce cas. Les enfants travaillent sans être forcés ni poussés. Lorsqu'un colis des correspondants nous parvient, c'est très naturellement qu'on lit leurs textes, qu'on rédige la réponse, qu'on dessine, qu'on fait d'autres travaux pour les correspondants : albums collectifs ou individuels, enquêtes, travaux manuels.

Discussions spontanées : elles s'engagent dès l'entrée en classe, à propos d'un événement local ou d'actualité, ou bien à propos d'un animal ou d'un objet apporté par un enfant. Le président du jour organise la discussion ; il donne la parole à qui la réclame. Cela dure tout le temps qu'il faut. Je n'interviens que pour répondre aux questions posées, sans chercher à aucun moment à profiter de la situation pour en faire une exploitation dogmatique.

Travail spontané : certains jours, dès l'arrivée en classe, les enfants se mettent les uns à découper leur maquette, les autres à prendre leur diorama, ou encore à pyrograver. Ainsi, au mois de novembre, ils consacrent deux matinées consécutives aux travaux manuels et artistiques, une partie de l'après-midi étant consacrée à des jeux ou à des activités sportives.

b) Activités réclamées par un ou plusieurs enfants

Il suffit parfois de l'intervention d'un seul pour entraîner le groupe. Ainsi, c'est Jean-Yves qui propose, le lundi matin 4 décembre : « On prend le magnétophone ? » Et jusqu'à la récréation on enregistre des lectures de textes, des histoires inventées, des chants. Après la récréation, c'est Régis qui propose : « On devrait faire des opérations, maintenant... » Et Daniel : « Y a qu'à voter ! » 10 voix pour, 6 contre ; je vote comme les enfants ; ils admettent la règle de la majorité.

Autre exemple : après la discussion libre du matin le 5 décembre, Janick, trésorier de la coopérative, propose : « Il faudrait voir combien d'argent on a dans la caisse avec les journaux qu'on a vendus ». Philippe, responsable de la correspondance : « On va répondre aux correspondants de La Baule ». Ces propositions sont adoptées à la majorité. Après la récréation, Michel suggère : « Comme l'on a fait hier des opérations, on va faire ce matin de la géométrie ». « Tous ensemble... », pense Philippe.

LE CONSEIL DE TRAVAIL

Il a lieu régulièrement l'après-midi de 15 h 15 à 15 h 45. Je m'abstiens de tout commentaire sur le travail qu'on devrait faire. Je fais confiance aux enfants ; ils prennent progressivement conscience de la nécessité d'une organisation du travail et d'un certain équilibre des activités.

Exemple de discussion sur l'organisation du travail. Régis se plaint de ne pouvoir peindre tranquillement : « Il y en a qui font du bruit avec les marteaux ou les scies ; il y en a qui passent en bousculant les autres ». Il propose de faire, un après-midi, « rien que de la peinture et du dessin » et, l'après-midi suivant, « le travail manuel et les expériences ». Proposition adoptée.

Autre discussion le 23 novembre :

Jean-Yves : « Je trouve qu'on devrait faire des dictées, comme au début ». Dominique : « On écrit déjà des textes ».

Michel : « Il y en a qui n'en écrivent jamais, toi, Yannick ! ». Yannick : « Et si je n'ai pas d'idées ? »

Jean-Yves : « Le texte libre, on écrit ce qu'on veut, quand on veut ; mais il faut faire des dictées pour apprendre l'orthographe ! ».

La proposition de Jean-Yves de faire des dictées deux fois par semaine est acceptée.

TYPE GENERAL D'ORGANISATION

C'est celui d'une sorte de classe à mi-temps. Le matin, ce sont les activités intellectuelles. Mais aux activités traditionnelles pratiquées au début de l'année se sont substituées des activités vivantes, puissamment motivées, telles que la correspondance et le texte d'enfant (motivé par le journal scolaire) ou encore le calcul vécu (motivé par une vie coopérative de plus en plus riche et par les travaux manuels). L'unanimité se fait souvent sur ces activités qui intéressent l'ensemble.

D'autres activités plus scolaires sont décidées à la majorité. Il s'agit en particulier de travaux de géométrie, de calcul mécanique, de dictées. Le groupe n'admet pas les « déviants ». L'attitude de Daniel, qui travaille au filicoupeur tandis que la classe est occupée à des tracés géométriques, est vivement condamnée : « Il n'a qu'à faire comme tout le monde, celui-là ! », déclare Philippe, approuvé par tous. L'après-midi, activités manuelles et sportives, conseil de travail et, une ou deux fois par semaine, émissions de la télévision scolaire.

LES ACTIVITES MANUELLES

Les enfants choisissent en début de semaine leurs travaux dans le répertoire des activités affiché en classe : liste des maquettes d'histoire et de géographie, liste de travaux scientifiques, liste d'activités manuelles diverses : rotin, corde armée, plâtre, marionnettes... Ils peuvent se référer à l'abondante documentation de la classe, SBT, Amis-Coop, Francs-Jeux, etc. Ils travaillent individuellement ou se groupent par affinités, et cette activité s'étale en général sur toute la semaine. Voici, pour une semaine, ce que les enfants ont décidé de réaliser :

Philippe F., le drakkar normand - Régis et Janick, le chalet savoyard - Michel, un pétrolier (à son idée) - Daniel, la benna gauloise - Jean-Yves, Alain, Hubert, un diorama sur les Alpes du Nord - Dominique, une marionnette - Yannick, une berline – Jean-Luc et Yannick C., un voilier - Pierre, une carte de France grand format découpée et pyrogravée - Philippe, un cadre pyrogravé - Jean, une galère égyptienne.

L'intérêt n'est certes pas, au départ, pour l'histoire ou la géographie ; mais de tels travaux nous conduisent à nous poser des questions d'ordre historique, géographique ou scientifique.

LES ACTIVITES PHYSIQUES

Ce sont les enfants qui en décident, par ex. : activités sur le portique et les poutres d'équilibre ; relais ;jeux : l'épervier ; puis football.

Il s'agit ici de plan de travail collectif. Le groupe décide en commun des activités de la journée et n'accepte pas d'auto-organisation de la part de chacun. Cependant certaines activités laissent libre cours au travail individuel : texte, lettre, fichiers, travaux manuels.

6°. BILAN DU 1er TRIMESTRE

a) Au cours de ce 1er trimestre, à aucun moment je n'ai orienté le choix ni influencé les décisions prises. Je crois que les enfants ont été, en permanence, maîtres de leurs activités.

b) Je constate que l'institution évolue vers une société sans contrainte. L'utilisation d'activités motivées (comme la correspondance) ou répondant à leurs besoins (comme les discussions) contribuent à l'amélioration psychique, affective et morale de chacun. Les décisions collectives rallient les opposants et les déviants. La collectivité n'est jamais plus soudée qu'au moment où les enfants et le maître « bâtissent » ensemble. Ils acquièrent peu à peu le sens du groupe. Et c'est ainsi qu'en fin de trimestre ils décident de décorer leur classe de peintures éclatantes.

c) Je suis cependant préoccupé par le rôle des leaders et leur influence. Jean-Yves, phraseur, donne libre cours à son besoin de bavarder, monopolisant la parole et la coupant volontiers à ses camarades. Avec Yannick C., il captive toute l'attention durant des discussions interminables. Ses interventions en conseil de travail sont plutôt verbomotrices qu'efficaces.

Régis, être d'action plus que de pensée, lui signifie qu'il fait perdre du temps.

Alain, soutenu par Yannick C. et par Janick, exerce lui aussi une forte influence. Quand il décide de faire des activités physiques, toute la classe le suit, et pareillement le lendemain quand il propose des activités manuelles.

Régis et Michel, quand ils interviennent en conseil de travail pour demander davantage de travail scolaire, ne sont pas suivis, Régis, un matin, propose de faire un compte rendu de la classe-exploration pour le journal : proposition repoussée. La même proposition formulée par Jean-Yves une semaine après, est acceptée.

Ainsi une décision est souvent prise en fonction de l'auteur de la proposition. D'une façon générale, c'est le premier qui parle ou qui agit, qui entraîne les autres. La plupart des enfants, et notamment Jean-Luc, Philippe, n'ont pas acquis assez de maturité intellectuelle, affective et sociale pour résister aux diverses influences ou participer à des discussions collectives.

Aussi je prends conscience que ce système d'organisation ne tient pas suffisamment compte des individualités, et qu'il importe que chaque décision soit prise par chacun d'une manière authentique. Je pense toutefois qu'en intervenant dans les décisions, je n'aurais pu me rendre compte de ce fait. J'aurais pu même devenir ainsi un obstacle pour l'évolution vers l'autogestion. L'enjeu valait qu'on prenne des risques. Il me reste maintenant à chercher la vole permettant à chacun de décider seul de ses activités. Mais alors comment le groupe arrivera-t-il à harmoniser l'ensemble des décisions ?

*

Deuxième trimestre

UN SYSTÈME D'AUTOGESTION QUI TIENT COMPTE DES INDIVIDUALITES

Je tenterai de montrer quelle est la part faite à la décision et à l'initiative de chaque enfant dans le mode d'organisation décidé par le groupe. Il s'agit de régler le problème en tenant compte des activités personnelles, des travaux en équipe et des activités communes. La vie en société a ses exigences et des limites acceptées par tous. En collaboration, maître et enfants harmoniseront l'ensemble des décisions de manière à aboutir à une organisation acceptable par tous.

1°. LA RENTREE (vendredi 5 janvier)

Après les vacances de Noël, les enfants ont beaucoup de choses à se raconter : Hubert parle de ses vacances à Chamonix, Janick de la pêche, Michel de la chasse, Jean-Yves des cadeaux de Noël...

Nous recevons un paquet de lettres et de textes de Port-Vendres, et spontanément nous décidons de répondre à nos correspondants. Nous faisons aussi les comptes de la coopérative, car nous voulons acheter un réveil et deux galettes des Rois. L'après-midi, activités manuelles et sportives.

2°. PROJETS DE TRAVAIL (samedi 6 janvier)

Le matin, la discussion s'organise et s'enlise sous l'influence de Jean-Yves, Yannick C., Hubert et Janick. Mais cette fois j'essaie de faire participer Jean-Luc, Pierre, Jean, qui se taisent et auraient pourtant quelque chose à dire.

En conseil de travail, les enfants font part de leurs projets

Pierre : faire des expériences - Michel : faire un colis pour les correspondants – Dominique : faire un théâtre de marionnettes - Michel : écrire des textes et faire des enquêtes – Yannick : faire des jeux l'après-midi - Pierre : du foot-ball – Pierre : du théâtre - Philippe : Moi, je ferai des albums pour mon correspondant.

Janick : On fera encore les symboles (de mathématiques). Régis propose de travailler le matin le calcul, les lettres, les textes, et l'après-midi le théâtre, le travail manuel et le sport. Mais Régis n'est pas un garçon de décision ; la difficulté est grande de passer de l'initiative à l'acte !

J'interviens alors pour écrire au tableau toutes les activités proposées, une sorte de planning qui permettra à chacun de choisir. Proposition acceptée

3°. CHOIX, DISCUSSION ET ORGANISATION DES ACTIVITES

a) Planning d'activités

REDACTION
ECRITURE
LECTURE
LANGAGE
ORTHOGRAPHE
GRAMMAIRE
PEINTURE
MENUISERIE
ENQUETES
MARIONNETTES

OPERATIONS
PROBLEMES
NOMBRES
T
ABLES
ATELIER CALCUL
GEOMETRIE
IMPRIMERIE
CHANT ‑ MUSIQUE
THEATRE
PROJECTION DIAPOS

HISTOIRE
GEOGRAPHIE
SCIENCES
TRAVAIL PRATIQUE
EDUC. PHYSIQUE
RECITATION
ELECTRICI TE
COOPERATIVE
TELEVISION
TRAV. MANUELS

Chaque enfant dispose le matin d'une feuille ronéotypée rappelant toutes les activités possibles en classe et au dehors, sans aucun exclusivisme pédagogique. Il s'agit, on le voit, autant d'activités purement scolaires que d'activités de création (manuelles, intellectuelles, physiques ou artistiques. En outre, un planning affiché en classe rappelle, pour chaque discipline, les diverses activités possibles. Un exemple :

REDACTION

-J'écris un texte libre;
-J'invente une histoire, un conte, un poème
-J'écris une lettre à mon correspondant ;
-Je rédige un album ou un compte rendu;
-J'écris un texte sur un sujet proposé par le maître ou un camarade,

Je cherche à obtenir un choix réellement libre. D'autre part, ce planning aide les enfants dont la mémoire est déficiente à se rappeler des activités qui les intéressent et qu'ils risquent cependant d'oublier.

b) Choix des activités

Chaque enfant colore la case désirée. Aucune activité n'est obligatoire. Exemples d'activités choisies : Michel : un texte libre, des opérations sur cahier autocorrectif, travail manuel, sport ; - Philippe : un album, atelier de calcul, travaux manuels, sports ; - Daniel : une lettre, travaux manuels, sport.

Je constate que les activités manuelles sont demandées par tous et le sport par la grande majorité ; les autres activités sont choisies de façon très inégale.

c) Discussion et organisation des activités

Le choix fait, j'inscris au tableau les souhaits de chacun. Entre temps, certains seront amenés à modifier leur choix en fonction des choix de leurs camarades. J'aide alors les enfants à élaborer le plan de travail de la journée, tandis qu'ils décident eux-mêmes de la répartition des activités dans la journée.

Cette organisation pose des problèmes. Certaines activités nécessitent la présence de tous, par exemple une activité de plein air, une émission de la télévision scolaire, une activité coopérative décidée par le groupe (comme le journal scolaire). Or je constate que la discussion ne suffit pas pour faire sortir certains de leur égocentrisme, surtout ceux dont l'âge mental est très bas (en particulier Philippe, Pierre, Daniel). Sans imposer mon point de vue, j'essaie de montrer à chacun les implications de son choix et de l'aider à aller jusqu'au bout.

Quelques-uns ne voient que leur problème et ne tiennent pas compte de celui des autres. Ainsi Daniel, un matin, voudrait poursuivre ses expériences d'électricité ; mais ses camarades lui demandent d'attendre l'après-midi, car ses déplacements dans la classe gênent la mise au point du texte libre.

Par contre, le groupe tolère que Philippe réalise un album sur son grillon et y travaille toute la matinée. Pierre peut s'attaquer dès 9 heures à ses divisions à deux chiffres au diviseur, avec l'aide de Régis. Et Philippe C. peut écrire une lettre à sa correspondante et lui envoyer un poème. Peu importe s'il ne participe pas à la mise au point du texte libre. Et Michel pourra lui aussi se mettre à la peinture d'une grande fresque durant toute la matinée.

d) Un exemple de projet de travail

Cet exemple montre qu'à partir d'un choix libre les enfants peuvent s'adonner aussi bien à des activités intellectuelles que manuelles, et uniquement à des activités scolaires. La création et l'invention ne sont pas permanentes dans la classe ; mais ce qui devient permanent, en février, c'est le TRAVAIL, le travail intelligent et libre parce que décidé et voulu. L'éducation trouve dans le travail son moteur essentiel. Voici donc ce projet :

-Hubert, Jean-Yves demandent à lire les textes de Port-Vendres, de Ragon et de La Baule ;
-Régis et Alain demandent à réciter Le corbeau et le renard ;
-Philippe F. demande qu'on apprenne une chanson de Guy Béart : Vive la rose et le lilas, Accord général ;
-Janick, Jean-Luc, Régis, Michel, Philippe, Yannick, Dominique, veulent faire de la géométrie. Après discussion, ils décident de travailler sur les triangles (construction ;
- Pierre, Philippe F., Jean-Luc, Régis, Jean, veulent faire des opérations, soit sur bande, soit sur cahier autocorrectif, soit sur manuel ;
- Jean-Yves propose une dictée de phrases. Tout le monde est d'accord ; c'est le maître qui, à leur demande, propose des phrases avec des difficultés rencontrées dans les textes ou les lettres ;
- Jean, Jean-Yves, Philippe veulent réaliser un album ;
- Régis propose une dictée de nombres. Accord général. De plus, il veut faire des problèmes tirés d'un manuel ;
 Jean, Janick, Régis, Michel, Jean-Yves demandent à être interrogés sur les tables de multiplication, Les camarades leur poseront des questions ;
- En travaux d'atelier, chacun effectue un travail d'histoire ou de géographie, ou une construction libre, ou un travail de décoration, de peinture…
- En éducation physique, Pierre, Alain, Daniel, veulent faire des acrobaties dans la salle de gymnastique ; les autres optent pour le basket ou le football.

Au cours de l'élaboration du plan de travail de la journée, les enfants décident des activités de la matinée (lecture, récitation, dictée de phrases, dictée de nombres, tables de multiplication, puis géométrie, opérations, album et chant) et de celles de l'après-midi (manuelles et physiques).

4°. DIFFERENTS TYPES D'INTERVENTION DE LEDUCATEUR

a) Elucidation du choix

Il ne s'agit pas d'influencer le choix ou d'orienter une opinion, mais d'exposer les faces d'un problème posé. Un exemple : les enfants ont décidé de faire des travaux manuels toute une après-midi, Je leur signale alors qu'un film sur l'Albanie sera justement projeté, dans le cadre des conférences « Connaissance du Monde ». Je montre l'intérêt d'un tel film et leur propose de reporter au lendemain les activités manuelles.

b) « Eduquer, c'est encourager » (Adler)

Je cherche à découvrir la cause de l'opposition de l'enfant à telle activité. Cette cause est quelquefois inattendue : ainsi Daniel refuse de faire de la géométrie parce qu'il a perdu son compas ! Mais le plus souvent il s'agit d'apporter son soutien à des enfants en situation d'échec. Ainsi, Pierre refuse une activité où il ne pense pas pouvoir réussir : « Je ne sais pas faire ! ». J'invite ses camarades à l'aider, et moi-même j'en ferai autant.

c) Exigences de la vie

En attendant le train qui devait nous conduire à La Baule, je constate que certains (Daniel, par ex.) ne savent pas lire l'heure. Quelques jours après, je propose à Daniel de travailler sur l'heure à l'atelier de calcul... Dans la classe de perfectionnement, où il faut acquérir des connaissances pratiques, force est bien d'intervenir ; mais cela se fait avec l'adhésion de l'enfant.

d) Intervention au niveau du contenu

Le plus souvent, ce sont les enfants qui décident du contenu des activités. Il s'agit de répondre aux questions qu'ils se posent, d'ordre historique, géographique ou scientifique. Mais je cherche à privilégier toutes les formes actives d'enseignement ; donc priorité à l'expérience et à l'observation, aux exposés d'enfants, aux méthodes audiovisuelles. Mais quand il s'agit de travail plus scolaire (grammaire, géométrie), je propose moi-même les exercices en rapport avec leur niveau et leurs difficultés antérieures,

5°. LE CONSEIL DE TRAVAIL

Il se tient presque quotidiennement, en fin d'après-midi. Il n'a aucun caractère de solennité ; c'est un moment où l'on se regroupe pour le bilan de la journée, où chacun fait part de l'avancement de ses travaux et donne son avis sur les tâches réalisées.

Philippe : « Il s'est bien débrouillé, Régis, avec son carrosse ! »
Hubert : « Je n'en reviens pas du travail de Philippe. »
Jean-Yves : « Tu pourrais, Daniel, mieux fignoler ta maison. »
Dominique : « Elle est belle, la lettre de Michel ! »
Mais au cours de cette période de l'année, les discussions portent de plus en plus sur le travail scolaire réalisé :
Jean-Yves : « Ce n'est pas marrant, il n'y a que trois ou quatre gars qui ont travaillé en calcul ce matin. »
Philippe : « On devrait faire des cartes de géographie, comme chez M... »
Régis : « Il y en a qui ne travaillent pas assez, Daniel, Hubert font trop de travail manuel. »
Philippe : « Il ne faudrait pas que certains s'amusent pendant que les autres travaillent ! »
Régis (responsable du journal de la coopérative) : « Hubert, Dominique, vous n'avez pas encore écrit de textes pour le journal. »
Janick (responsable à l'atelier d'imprimerie) : « Il faudrait peut-être que l'équipe de Jean-Yves imprime le texte de Pierre. »

La vie de la coopérative et ses activités ont des exigences que savent rappeler à l'occasion les responsables ; durant tout ce trimestre, ces derniers apportent de plus en plus de contribution au fonctionnement de l'institution.

6°. BILAN DU 2e TRIMESTRE

a) Un réel besoin de travail s'est manifesté. Il a été inutile de rattacher artificiellement les acquisitions scolaires aux activités d'expression libre. C'est à la demande des enfants que se fait ce travail.

b) Il arrive que certains, tels Daniel, Hubert, Alain, ne prennent pas encore, certains jours, l'initiative d'activités purement intellectuelles ; mais cela n'est pas inquiétant. En effet, certaines activités individualisées ou réalisées en équipe sont intégrées dans la vie collective : la lecture, la récitation, le compte rendu d'album, les tables de multiplication, les comptes rendus de travaux individuels : maquettes d'histoire, de géographie, expériences scientifiques. Toutes ces productions, individuelles ou de groupe, sont versées dans le creuset coopératif pour le profit de tous.

c) Je pense aussi qu'il est vain de vouloir accrocher un enfant à une activité qui ne l'intéresse pas, Le résultat en est insignifiant. Aussi je ne m'inquiète pas le jour où Daniel ne décide aucune activité de calcul il suffit qu'il soit disponible quelques courts moments dans la semaine à ce moment l'attention qu'il porte à résoudre une série de soustractions avec retenue est de qualité parce que non venue de l'extérieur, mais librement consentie.

d) Un tel système d'organisation tient compte de chaque personnalité mouvante. Ainsi Philippe aime travailler seul et à son rythme. Mais de nombreuses occasions se présentent de travailler en équipe spontanée : réalisation d'un album, d'une enquête, d'un diorama, recherche en mathématiques. Mais en même temps que naît dans la classe un climat de coopération et de solidarité, les enfants ressentent davantage la nécessité de travaux collectifs, qu'il s'agisse de la mise au point d'un texte, d'un compte rendu d'enquête, ou tout simplement d'une dictée.

e) L'expression libre, Parce qu'ils ne créent pas sur commande ou à heure fixe, les enfants, même les plus inhibés au départ, aiment écrire des textes comme ils aiment peindre. Dans un climat de liberté l'inspiration peut jouer à plein. Je cite ci-après quelques textes d'enfants, dont certains sont très significatifs de la personnalité de leur auteur.

J'ai 14 ans,
Je ne veux plus retourner à l'école l'an prochain,
Je ne veux pas rester jusqu'à 16 ans à l'école.
Je veux travailler,
J'ai compris pas mal de choses.
Je sais mesurer, compter.
Je veux devenir plâtrier.  

Philippe

LES SAISONS

La saison que je préfère est l’été.
J'aime l'été, l'été joli,
c'est les vacances chez ma grand-mère,
à la campagne, toute fleurie.
C'est les vacances, la liberté...

Jean-Yves

SI J'AVAIS UN BATEAU

Je naviguerais sur les flots,
Je courrais l'aventure,
Je voyagerais sans passeport,
Je serais heureux sur la mer.
Je chercherais l’île merveilleuse,
L
'Ile au Trésor.

Janick

SI J'ETAIS UN GRILLON

Si j'étais un grillon,
je chanterais cri cri cri cri !
Si j'étais un grillon, je vivrais dans la campagne.
Si j'étais un grillon, je me marierais
et j'inviterais tous mes amis.
Si j'étais un grillon, je dormirais au soleil.
Si j'étais un grillon,
je chanterais
cri cri cri cri !

Dominique

 

LE SOLEIL

Il est content d'être là,
Il apporte le bonheur, la joie.
Il sourit, il réveille la nature,
Tout chante, tout renaît,
Le voilà, le soleil,
avec ses longs cheveux d'or,

Régis

LES OISEAUX

Le matin, quand j'ouvre ma fenêtre,
j'entends les oiseaux qui chantent
cui - cui - cuic !
Ils se disent : Bonjour,
ils sont joyeux.
L'hiver s'en va,
ils chantent :
« Tiens, voilà le printemps,
Vive le printemps ! »

L'ORAGE

Il vient, le printemps.
Mais voilà, un gros nuage noir
recouvre le ciel bleu.
Et soudain, un grand coup de tonnerre :
la pluie se met à tomber à verse.
Une dame, apeurée, s'écrie :
“Qu'y a-t-il ? »
Un monsieur lui répond :
« C'est l'orage ! »
Mais l'orage se calme
et le soleil revient.

Philippe

f) Le déroulement des journées

L'ordre des activités a peu d'importance. Certains jours, les enfants commencent par discuter, d'autres jours certains lisent ou bien écrivent un texte. On peut tout aussi bien commencer la journée par une série d'opérations ou l'écoute d'un disque. Les jours se succèdent et ne se ressemblent pas. Il y a surtout la VIE qui, insidieusement entre dans la classe et qui se moque de l'ordre. Il s'agit alors, comme l'écrit C. Freinet, d'« embrayer sur la vie ».

UNE LETTRE DE PORT-VENDRES

Vendredi 8 mars

Chers amis,

Nous avons été très intéressés par ce que vous nous dites du port de St-Nazaire. Qu'est-ce qu'une barge ? A quoi correspond un tonneau de bateaux ? 92000 tonneaux = 92000 tonnes ??

Sur la feuille, le Roger a été construit en 1964, déjà il faut le réparer ? Est-ce le moteur ou la coque ?

Nous avons aimé le grillon et le coucou.

Le texte de Dominique était mal imprimé.

Jean-André n'a pas reçu de lettre de Yannick.

Aujourd'hui il pleut, on a déjà vu des hirondelles.

On nous a installé un tableau vert à deux volets.

Nous vous embrassons tous, même le maître.

(Suivent les signatures). (Il y a aussi un plan du tableau neuf).

D'autre part, au cours du mois de mars, certains jours les enfants reviennent à un cadre collectif de travail en recherchant un système d'organisation satisfaisant pour tout le monde. La pratique du vote à la majorité tend à disparaître. On recherche davantage l'unanimité. Cela correspond à une évolution du groupe vers une vie plus communautaire. D'autre part, si je m'oppose au besoin à l'influence des leaders comme à l'esprit moutonnier, il reste que la décision d'un enfant est en dernier ressort fonction de l'intérêt des autres.

Exemple de planification du travail pour le 20 mars. Activités décidées :

Le matin : Texte ou dessin - Mise au point collective du texte avec dictée sur le cahier - Travail par groupes en calcul - Observation : la grive apportée par Daniel ; naturalisation, puis compte rendu collectif.

L'après-midi : Travaux manuels par ateliers -Atelier du journal - tirage au duplicateur du compte rendu - tirage du texte à l'imprimerie Dessin lino (la grive) - Technique d'illustration : aluminium repoussé peinture sur verre – pyrogravure.

Ainsi ce sont les enfants qui me montrent la direction à prendre. Je laisse le groupe faire son expérience et chercher les voies qui lui paraissent favorables à son mode de vie et de travail.

*

Troisième trimestre

VERS UNE ORGANISATION PLUS STRUCTURÉE

DU TRAVAIL

Au cours de ce 3e trimestre je conserve ma ligne directrice, qui consiste à laisser le groupe tâtonner. Je continue à faire confiance aux enfants, à leur capacité de déterminer eux-mêmes leur style de vie et de travail. Je peux déjà mesurer avec satisfaction les progrès moraux et sociaux réalisés. Mais le groupe passera désormais à une organisation plus structurée du travail, déjà réclamée par certains au cours du trimestre précédent.

1°. Après les vacances de Pâques : UNE TRANCHE DE VIE DE LA CLASSE

Vendredi 19 avril

9 h - Les enfants conversent librement, par groupes spontanés. C'est la rentrée. Que de choses ils ont à se raconter ! Au bout d'une demi-heure, le ton de la conversation s'amplifiant, Philippe F. demande : « Qui est l'homme du jour ?... Quel boucan ! »

Yannick accepte d'être responsable du jour. Retour au calme. La discussion s'organise. Les enfants interviennent à tour de rôle, et moi aussi ; je parle de mes vacances. Mais nous venons de recevoir les lettres de nos correspondants de La Baule. Lecture des lettres, puis discussion, commentaires. Yannick demande : « Ira-t-on bientôt les voir ? Qui est d'accord ? ». Suit une discussion.

9 h 45 - J'interviens pour solliciter l'opinion de 3 enfants qui ne participent pas à la discussion. Pierre, qui n'a pas de correspondant à La Baule : « Quand on jouera au foot contre Herbin ? » Discussion ; avis divers.

9 h 50 – Régis : « Est-ce qu'on répond à La Baule ? » Discussion : aucune décision n'est prise pour la date de la rencontre.

10 h – Jean-Yves : « Et nos correspondants du Dahomey ? On les laisse tomber ? Ils n'ont pas encore écrit. » Discussion ; commentaires divers. Je ne suis pas intervenu dans les discussions.

10 h 05 - J'interviens pour demander d'écouter ceux qui parlent ; certains coupent la parole à leurs camarades. 10 h 10 - Je constate le manque d'intérêt de certains pour la discussion. Je leur demande alors ce qu'ils veulent faire. La conversation cesse.

10 h 15- Les enfants choisissent leurs activités : 9 (dont le maître) veulent répondre à eur correspondant (remarque : 3 enfants dans la classe n'ont pas voulu de correspondant à La Baule ; l'un a cessé d'écrire) ; 3 dessinent ; Hubert pyrograve ; Daniel, 10 ans, qui a pourtant un correspondant, préfère peindre ce matin ; Philippe écrit à sa correspondante de Port-Vendres.

Les activités se déroulent dans le calme jusqu'à midi.

Je corrige les lettres individuellement et j'interviens pour rappeler qu'on ne doit parler qu'à voix basse.

14 h - Après une discussion a propos de l'observation d'une plante dans la classe, je demande ce que chacun veut faire.

Activités choisies : Travaux manuels (maquettes, découpages) ; constructions libres ; correspondance (illustration des lettres) ; jeux ; sports.

On sort pour jouer quand on veut, sur le plateau d'éducation physique.

Vers 16 h 30 j'interviens pour demander le rangement de la classe.

16 h 45 - Quelques enfants viennent montrer leur travail aux camarades.

Les enfants sont heureux de s'être retrouvés et d'avoir retrouvé des activités enthousiasmantes.

Samedi 20

Même déroulement. Je n'interviens pas pour le choix des activités, qui sont aujourd'hui :les discussions - les activités manuelles et artistiques - l'illustration des lettres - la télé (match de foot Bordeaux-Quevilly) - le football en fin de journée.

Climat calme mais joyeux. L'unité psychique, affective, s'est rescellée ; l'aurait-elle été par un exercice scolaire, même vivant ?

Lundi 22

Les activités choisies puis pratiquées sont identiques à celles des jours précédents. Jean-Yves et Philippe font un album pour la classe, pour les copains. Mais Janick demande dès le matin une réunion de coopérative, et il propose des thèmes de discussion : matériel à acheter (contreplaqué, rotin) ; le voyage à La Baule le match de foot. On n'a rien décidé pour ces 2 questions.

Yannick C. : « Oui, on va voir ce qu'on a besoin faisons la réunion à deux heures ! » Accord du groupe.

14 h - Réunion de la coopé. Discussion sur les thèmes prévus et décisions. Discussion sur les achats. Examen de la situation financière (sur ma demande). Nous regardons les catalogues de prix. Nous évaluons rapidement la dépense à envisager : 80 F si on achète un pyrograveur, comme le demande Alain.

Autre thème abordé : la Fête des Mères ; l'offrande. Hubert : « On pourrait faire des porte-clés ». Discussion à propos de la dépense. J'élucide le choix des enfants : on ne peut tout acheter ! Finalement on repousse cet achat.

Et c'est Régis qui demande à son tour un autre thème : « On discute du travail… » On devrait reprendre le plan de travail d'avant les vacances : « On travaillerait le matin : les lettres, les dictées, le calcul; et l'après-midi on ferait les travaux manuels, le sport, l'imprimerie... »

J'interviens pour reporter la discussion du plan de travail au lendemain, car le temps passe. Proposition acceptée.

Mardi 23

Je laisse les enfants procéder à l'élaboration du plan de travail

Le matin, avant la récréation : discussion, chant, récitation, lecture, dessin, calcul (mental d'abord). Après la récréation : texte, ou lettre, ou dictée.

L'après-midi : travaux manuels, peinture, télé scolaire, rangement, conseil de travail, puis sports.

Ainsi le groupe, sous l'influence des plus évolués, ressent le besoin d'un cadre collectif de travail plus rationnel. Mais rien n'est simple dans une collectivité vivante, et les enfants ne se soumettent pas inconditionnellement à une institution qu'ils ont pourtant mise eux-mêmes en place !

2°. UN MODE DÉ FONCTIONNEMENT DIVERSIFIE

La rigidité apparente du cadre est tempérée, quand les enfants le désirent, par une certaine souplesse admettant tantôt plus d'individualisme, tantôt plus d'esprit d'équipe. Pour répondre aux besoins exprimés, je propose un mode de fonctionnement où chacun puisse trouver son compte, et j'assume le rôle de technicien de l'organisation.

Ainsi je propose un moment de travail libre le matin, pour le travail individuel. Voici par exemple les activités décidées le 15 mai par les enfants :

Le matin : récitation par trois enfants - discussion libre - comptes de la coopérative. Puis travail libre : opérations, ou lettre individuelle, ou texte, ou lecture personnelle. Quatre enfants se proposent d'écrire une lettre, au nom de la classe, aux correspondants de La Baule.

L'après-midi : travaux manuels, rangement du matériel et conseil de travail. Ensuite, jeux.

Ainsi la structuration du travail ne conduit pas à une contrainte du groupe.

3°. LES ACTIVITES

Tous les enfants participent désormais aux activités intellectuelles, à des exercices d'orthographe ou de calcul (que certains refusaient jusqu'alors). Les plus grands, les forts en calcul, décident d'acquérir telle ou telle connaissance ; ils se réfèrent à un planning des différentes notions souhaitables ; ils veulent alors étudier les fractions simples, les pourcentages, les nombres complexes, - notions déjà abordées d'ailleurs durant les trimestres précédents.

4°. INTERVENTION DE L'EDUCATEUR

Dans la mesure où je n'ai jamais imposé mon avis sans consulter le groupe et où j'ai été attentif aux réactions de tous, mon intervention est admise. Le climat démocratique de la classe a levé le masque de mon statut, qui reste celui d'un adulte certes, mais d'un adulte qui ne veut pas se substituer aux enfants. S'il n'y a plus dans la classe un individu qui commande et d'autres qui obéissent, les enfants admettent volontiers de la part de l'adulte une autorité technique et objective :

a) Au niveau des connaissances. Je peux proposer telle ou telle activité si le groupe reste maître souverain de son travail. Ainsi nous avons appris à écrire correctement une demande d'emploi ou de renseignements, à rédiger une fiche d'état civil. Nous avons décidé de faire des enquêtes sur le monde du travail, sur celui de leurs parents (ouvriers ou pêcheurs).

D'une manière générale, je peux apporter librement toute information que je juge utile ; elle est désormais mieux perçue par l'ensemble. Mon intervention ne présente plus ce danger d'aliénation qu'elle aurait pu comporter au départ.

b) Au niveau de la technique. Je puis, par exemple, proposer aux enfants de rédiger leur lettre directement, sans brouillon. Je constate à ce sujet un réel effort pour réaliser une écriture correcte.

CONCLUSION

Par tâtonnement expérimental le groupe, parti du besoin élémentaire de s'exprimer, de dessiner, d'agir, est arrivé à prendre des décisions, souvent à l'unanimité. Mais pour cela j'ai dû attendre, j'ai accepté de perdre du temps. Les routes diverses empruntées par les uns et par les autres, longues pour certains, se sont rencontrées, les menant à de nouvelles conquêtes où la connaissance était loin d'être exclue. L'organisation plus structurée vers laquelle nous avons évolué semble avoir conduit le groupe à une sorte de sécurité saine, qui, à ce stade, est constructive de la personnalité.

Le profit essentiel de l'autogestion est de former des êtres autonomes. Mais l'autonomie est le fruit d'une conquête lente sur soi-même et sur les autres.

L'autogestion, toutefois, ne consiste pas seulement à remettre le pouvoir de décision aux enfants. Il ne suffit pas qu'ils prennent l'initiative de leurs activités ; encore faut-il qu'ils agissent ensuite en conséquence. L'application des décisions doit être l'affaire du groupe.

2 ‑ APPLICATION DES DECISIONS

du projet au travail

COMMENT LES ENFANTS APPLIQUENT LES DECISIONS

ET EXECUTENT LEUR TRAVAIL

Lorsque le pouvoir de décision appartient au groupe dans le respect des individualités, il n'est guère besoin de lois coopératives ou de règles de vie ou de codes, pratiques inspirées de Makarenko et en usage dans certaines classes coopératives. Quand les activités intéressent véritablement l'enfant, il n'est pas nécessaire d'exiger de lui un « engagement », un contrat de travail, formules qui ont pour lui peu de sens, car il se consacre entièrement à une activité pourvu qu'elle soit à sa mesure et qu'elle puisse servir à quelque chose.

1°. La correspondance interscolaire

Je ne redirai pas ici l'intérêt que provoque cette technique, suffisamment décrite dans les brochures Ecole Moderne. Mais je montrerai comment les enfants autogérent cette activité.

Exemple du lundi 17 décembre, Le matin, un colis des correspondants vient d'arriver, provoquant l'enthousiasme. Philippe F., responsable de la correspondance, procède à la distribution des lettres et des cadeaux personnels. Lecture, commentaires, agitation. Régis demande à lire la grande lettre collective. Nos correspondants nous posent des questions sur le port, et six enfants se proposent pour répondre ; Yannick envisage de réaliser un album sur la pêche au carrelet.

Pierre demande s'il peut lire sa lettre. Et tour à tour les enfants viennent lire la leur, montrer les cadeaux et les dessins reçus. C'est aussi le moment où l'on pose des questions : « Qu'est »ce que c'est, des figues de Barbarie ? » - « Le papa d'Antoinette a gagné 720 F ; ça fait combien ? » Ou bien l'on discute : « La mère de Trinidad est malade; elle doit être triste, Trinidad ! » Hubert dit qu'il lui fera un petit cadeau.

A 10 h 30, Michel propose : « On va répondre aux correspondants ». Daniel n'est pas satisfait du travail peu soigné de son correspondant. Il lui répondra tout de même, à la demande de Philippe F. A 11 heures, chacun élabore le brouillon de sa lettre. Il y a en général peu de problèmes pour la rédaction de la réponse, car on ne manque pas d'idées ! Le contenu de la lettre est libre ; j'aide l'enfant s'il le demande, ou quand il est en difficulté. Je dis à Janick : « Tu écris que tu es allé à la pêche avec ton père, mais tu pourrais peut-être raconter cette partie de pêche ? » Et à Jean-Luc : « Ton père a acheté une caravane ; tu pourrais dire comment elle est ? » Jean-Luc me dit qu'il va la dessiner.

Le brouillon terminé, je corrige les fautes avec l'enfant ; je l'invite à rechercher le mot mal écrit dans l'orthodico en usage dans la classe ou bien dans le dictionnaire. Je rectifie la phrase mal construite ; il n'y aura plus qu'à recopier la lettre et à l'illustrer.

L'après-midi à 14 heures on continue les lettres, que chacun est très heureux de décorer. Aucun esprit de compétition ; mais chacun aime afficher son travail au tableau quand il l'a terminé. Le responsable Philippe donne un coup de main aux traînards ; il vérifie la propreté ; il compte les lettres, car le 24 novembre les correspondants nous ont écrit : « Joie et tristesse dans la classe : Marie-Rose et Trinidad n'ont rien trouvé dans votre colis... »

A 15h15, le moment est venu de confectionner le colis qui contiendra lettres, textes imprimés, dessins, travaux manuels et quelques petits trésors personnels. Yannick et Jean sont volontaires : ils pèsent le colis ; Jean indique les poids au tableau, consulte le tarif postal affiché dans la classe pour l'affranchissement du colis. Daniel se propose pour écrire l'adresse pendant que Yannick et Jean vont acheter les timbres.

Déjà la récréation ! Philippe en est surpris. « On n'a pas senti la journée passer, s'exclame Michel. Oh ! les gars, on fait une partie de foot-ball après la récré ? » Toute la classe approuve.

Ainsi se déroule, sans souci des horaires, une belle journée. Il n'a guère été besoin de solliciter l'attention, chacun s'appliquant à un travail favorisé par la motivation. Les liens affectifs créés à partir de la correspondance deviennent des stimulants pour nos enfants déshérités.

2°. Éléments favorisant l'application des décisions

Le déroulement des activités décidées dépend de la mise en place d'institutions internes acceptées par tous. Les enfants travaillent sur un rythme lent, et il y a des moments de flottement quand il s'agit de passer d'une activité à une autre. Lorsqu'il s'agit de travail très individualisé, seuls Régis, Philippe F., Michel, arrivent à l'organiser et à le réaliser convenablement dans le temps.

a) Le président de jour ‑ C'est un rôle difficile à remplir : il s'agit d'assurer le déroulement des activités, mais aussi, parfois, de faire face à des oppositions d'ordre humain et caractériel.

b) Les responsables ‑ Ils interviennent pour rappeler au besoin les décisions et veiller au bon fonctionnement de leur atelier ou de l'activité dont ils sont responsables. Ainsi Philippe F. se soucie de la propreté des lettres et de la régularité de la correspondance. Janick, responsable à l'imprimerie, vérifie les composteurs et aide son équipe en difficulté. Yannick organise l'atelier d'électricité, intervient en cas de panne.

c) Le maître ‑ L'aide que j'apporte aux responsables est fonction du degré de leur maturité intellectuelle, affective et sociale. Quand Philippe est président de jour et assure la marche du conseil de travail, j'interviens plus directement, car l'enfant n'est pas apte à pousser la discussion jusqu'à la décision. J'aide chaque fois qu'il s'agit d'aller dans le sens de l'enfant ou du groupe. Exemples :

Philippe F. demande à Pierre de mieux s'appliquer dans sa lettre ; mais Pierre admet mal la critique, surtout venant de Philippe : « Je ferai exprès de mal écrire ! » Pierre, par contre, accepte mes remarques.

Yannick veut renoncer à son travail d'imprimerie car il veut terminer sa pyrogravure. Janick (le responsable) ne parvient pas à le persuader : Yannick ne voit que son problème, il ne voit pas que son attitude peut perturber l'organisation collective. J'interviens pour faire respecter les décisions prises par le groupe, tout en proposant d'évoquer le problème en conseil de travail. Ce type d'intervention (qui reste exceptionnel) me parait indispensable tant que l'enfant n'est pas arrivé à se construire une conduite sociale.

3°. Le fonctionnement de la classe

L'essentiel est que les enfants puissent réaliser les activités décidées sans trop de mal, avec la part de réussite suffisante pour justifier leur élan et entretenir leur volonté de persévérance. Exemple d'une journée, en mars :

Le matin ‑ La discussion sur l'organisation du travail, sous la responsabilité de Dominique, nous a conduits jusqu'à 9h20. Le plan de travail de la journée est écrit au tableau. La discussion, limitée à un quart d'heure par le groupe, porte sur un thème proposé par Hubert : la guerre du Viet-nam. Il faut que j'aide Dominique, car la discussion s'égare, je dois insister sur des faits qui me paraissent importants : l'horreur, l'absurdité de la guerre.

Jean-Yves, Hubert et Pierre veulent alors lire les textes reçus de Port-Vendres. Régis est responsable à la lecture : il aide au besoin ceux qui ont des difficultés, pendant que les autres dessinent.

Il est 9 h 50. Nous passons au travail prévu : entraînement aux opérations au moyen de cahiers autocorrectifs. Je vais d'un enfant à l'autre, pour une aide éventuelle. Il nous reste encore une demi-heure avant la récréation pour faire du calcul mental et résoudre ensemble des problèmes que la vie quotidienne provoque. Au cours d'une sortie au port, nous avions interrogé les pêcheurs sur la vitesse de leur bateau : 4 nœuds ? 5 nœuds ? 12 nœuds ? « Qu'est-ce que c'est que ça, un nœud ? » a demandé Alain. Bonne occasion pour donner les explications voulues et poser quelques problèmes rapides.

Après la récréation, on se réfère à nouveau au plan de travail. Neuf enfants ont décidé d'écrire à leurs correspondants de La Baule ; les autres ont demandé un travail de grammaire. A quatre je propose de copier un texte de Port-Vendres à l'imparfait. Nous corrigeons ensemble le travail de grammaire, excepté Daniel, absorbé par un dessin au stylo-feutre.

A 11h30, Dominique barre au tableau les tâches accomplies. Nous pouvons maintenant aborder la géographie (tracé d'une carte de la Loire).

A 14 heures, la mise en train sera immédiate car chacun sait ce qu'il a à faire. L'équipe de Janick tire à la presse un texte composé la veille. Yannick C. et Jean-Luc tirent au duplicateur un compte rendu d'enquête. Quatre enfants sont à l'atelier de découpage sous la responsabilité de Yannick (maquettes d'histoire ou de géographie). Trois s'affairent à leur travail de rotin sous la responsabilité de Régis. Philippe décore sa lettre, ainsi qu'Hubert, et seul Daniel réalise un diorama à son idée. J'aide quiconque me sollicite, tout en jetant un coup d’œil discret dans chaque atelier.

15h - Dominique, président de jour, est absorbé par son travail un château-fort ; je lui rappelle qu'il est l'heure de s'arrêter et qu'il faut ranger les ateliers. A chacun sa tâche : Pierre balaie, Yannick range les pyrograveurs et filicoupeurs, Hubert range l'établi ; Jean-Luc nettoie le tableau.

Vers 15h25, Conseil de travail. Janick distribue à chacun une feuille imprimée qui va s'insérer dans le Cahier de vie personnel.

Yannick C. distribue également les feuilles ronéotypées. Puis se fait le compte rendu de la journée tel qu'il a été décrit précédemment, et dont on reparlera plus loin.

Reste la dernière heure, consacrée aux activités physiques. Si nous n'assistons plus à la détente explosive d'organismes longtemps comprimés par une pédagogie passive, les enfants ont tout de même besoin d'air et d'exercices ; ils peuvent donc à leur gré grimper à la corde, monter au portique, jouer au chat perché, à la course au coq, aux gendarmes et aux voleurs.

La journée se termine à 17 heures, et bien remplie. L’enfant y a senti que la classe était son affaire, L'autogestion s'étend à tous les niveaux : discussions, conseils de travail, fonctionnement des activités, ‑ et cela dans un climat de collaboration, d'entraide et d'amitié Les responsables (et chacun est responsable dans la classe) rappellent les projets élaborés et veillent à leur exécution. Et si j'interviens, c'est pour encourager et entraîner toujours plus loin vers le vrai travail.

CAS OU UN PROJET DE TRAVAIL EST ABANDONNE

. Par le groupe

‑ quand un événement extérieur surgit dans la classe : lettres ou colis des correspondants, apport d'un enfant ;

‑ quand une discussion intéressante pour tous se prolonge ;

‑ quand survient un événement local notable (lancement d'un bateau par ex.) ;

‑ quand un travail enthousiasme les enfants ; ainsi à la fin du 1er trimestre ils ont commencé à faire des marionnettes, puis ils ont mis au point tout un programme de spectacles, ce qui nous a demandé plusieurs jours ;

‑ il arrive aussi que l'intérêt pour une activité s'atténue. Quand les enfants sont fatigués, ils ont la possibilité de se reposer. Il faut vouloir pour eux, avec confiance et calme, dans les limites de ce qu'ils peuvent

2°. Par un ou plusieurs enfants

a) Quand ils sont pris par une activité plus passionnante. Ainsi Dominique demande de terminer sa maquette d'histoire pendant l'heure d'activités. Michel : « Moi aussi ! » Yannick C., président de jour : « Oui, deux ou trois, ça va ; mais pas plus, sans cela on ne pourra jamais faire des jeux ! » Le groupe donne son avis et donne son acceptation.

b) Il arrive qu'au cours de la journée des enfants renoncent à un travail pourtant prévu pour partager celui de leurs camarades. Exemples :

‑ La mise au point du texte libre. Il n'y a pas toujours unanimité pour le travail collectif de mise au point. Cela dépend à la fois de l'intérêt suscité par le texte choisi et du travail pour la mise au point. Ainsi lorsqu'il s'agit d'être créateur, en proposant mots nouveaux et nouvelles tournures, la participation peut être totale ; et les enfants abandonnent un travail pourtant prévu (dessin, lecture silencieuse, etc.) pour se joindre au travail collectif de mise au point.

‑ Une recherche mathématique. Cinq enfants ont décidé de participer à un travail que je propose : rechercher les différentes manières de partager un rectangle en deux parties égales ; ils y éprouvent tant d'intérêt que tous les autres veulent y participer parce que c'est un travail d'invention et de création.

‑ Lecture. Quatre enfants ont demandé à lire des textes tirés d'un livre de lecture. Je propose des extraits du Roman de Renart ; alors six autres, intéressés par l'histoire, réclament à leur tour de participer à la lecture.

Il en sera de même pour d'autres activités : albums, travaux manuels, jeux, etc.

CONCLUSION

Ainsi, au niveau de l'exécution du travail, l'organisation reste assez souple pour répondre aux besoins et satisfaire la curiosité de tous. C'est une question d'ambiance, variable suivant les circonstances, difficile à décrire, mais essentielle.

Il m'arrive par exemple d'intervenir pour tempérer l'application des décisions prises exigée parfois par Philippe F. Je cherche en toute occasion à faciliter et à rendre possible un style de vie démocratique qui garantisse au maximum la liberté de chacun.

3 ‑ DIFFERENTS TYPES D'INTERVENTION
DE L’EDUCATEUR

L'autogestion d'une classe où le groupe a le pouvoir de décision et où chacun reste maître souverain de son travail n'entraîne pas que le maître disparaisse ou qu'il se taise. Je ne reviendrai pas ici sur les interventions de l'éducateur dans l'élaboration du plan de travail quotidien et dans son exécution. Mais je préciserai comment elles peuvent s'exercer à d'autres niveaux.

AU NIVEAU DES RELATIONS DANS LE GROUPE

L'apprentissage de la vie communautaire ne se déroule pas sans heurts ni tensions. Faute d'éléments assez équilibrés pour maintenir une certaine stabilité, je dois moi-même faire face aux difficultés possibles. Tâche d'autant plus malaisée que j'ai à tenir compte des milieux qui ont jusque là imprégné l'enfant. La classe-atelier, par exemple, ne peut se concevoir dans le silence et l'ordre d'une classe auditorium-scriptorium, car les échanges y sont nombreux, les déplacements indispensables et le matériel abondant. D'autre part, comme le milieu est permissif et que la plupart des enfants sont confrontés à des problèmes affectifs mal ou non résolus, je puis me trouver placé devant des cas d'agressivité.

1°. Attitudes de l'éducateur

a) Quand l'action du groupe ou celle des responsables n'est pas assez efficace, je fais au besoin preuve de fermeté. Je n'accepte pas l'attitude de ceux qui pourraient détériorer le climat de la classe ou empêcher le bon fonctionnement des activités. Je dois alors assurer, en collaboration avec les enfants :

- le respect du calme de la classe ‑ le respect d'autrui ‑ le respect du matériel ‑ le respect du travail de chacun.

Ainsi Yannick salit volontairement la blouse de Jean-Luc à l'aide du rouleau d'imprimerie. « C'est pour s'amuser », affirme-t-il. Je lui demande de nettoyer la blouse de son camarade. Il est inutile de renchérir davantage en conseil de coopérative, ou de moraliser !

Philippe, par ses propos grossiers et ses cris, trouble la discussion : je le rejette du groupe.

Pierre est arrivé de mauvaise humeur. Il insulte le responsable du jour et réplique violemment quand je le prie de se taire. La classe est perturbée. Je le rejette de la collectivité, provisoirement d'ailleurs, car je sais qu'il s'agit d'une crise passagère ayant des causes extrascolaires. Je discute avec lui ; j'essaie de comprendre les raisons de son opposition. De toute manière, j'explique toujours aux enfants le pourquoi de mon intervention.

b) Une attitude variable suivant les enfants. Elle dépend du moment, des circonstances et des individus. Si je suis indulgent pour Philippe, de santé fragile, je suis plus ferme à l'égard de Yannick, qui traverse une crise d'opposition. Si j'évite de brusquer Jean-Luc et Jean, trop craintifs, je stimule Hubert qui se laisse mener, et je freine Alain, trop impulsif. Et si je suis sans inquiétude pour Régis quand il sort librement de la classe, je porte une attention plus grande à Pierre et à Daniel, car je les sais capables de faire naître des tensions.

2°. Aide morale

Ce n'est ni par le prêche ni par la leçon mais par l'action que je m'efforce de les amener à une collaboration communautaire. J'aide à terminer le travail ou à ranger le matériel. J'essaie par l'exemple de faire acquérir des habitudes d'ordre et de propreté, de donner le goût du travail bien fait : cahier, album, peintures, etc., car ces notions ne sont pas obligatoirement innées en chacun.

3°. Rôle aidant du groupe : camarades et maître

a) Je ne dois pas tant corriger que faire réussir et dépasser ses erreurs. Ainsi Daniel exaspère le groupe lorsqu'il détériore le matériel commun : il enlève les pointes de stylo-feutres, il manipule avec peu de bonheur le transformateur et les prises, il fait sauter les plombs. Jean-Yves se propose de l'aider en classe et de jouer avec lui sur la cour. Pris en charge par son camarade, Daniel finit par s'intégrer peu à peu au groupe, et Pierre commentant la situation, dit : « J'étais avant comme Daniel, et c'est Michel qui m'a aidé; maintenant ça va ! »

Alain subtilise l'argent dans la caisse du magasin des achats (atelier de calcul) : 1,95 F, qu'il utilise tranquillement pour acheter des pétards et des allumettes. Le groupe décide de ne plus mettre d'argent vrai à l'atelier et demande à Alain de rembourser ; mais celui-ci n'a pas osé demander cet argent à ses parents et de mon côté je ne leur en ai pas parlé, Le lendemain, Alain apporte des câbles de frein pour l'atelier électrique. Le groupe le félicite. Rouge de plaisir : il dit : « Je les ai trouvés dans une poubelle, j'en apporterai d'autres demain ».

Quelques jours après, il prend 11 journaux et les vend : c'est lui qui en vend le plus. Réflexion de Yannick : «  Il travaille quand même bien pour la coopérative, Alain ! » J'ai remis de l'argent vrai dans la caisse du magasin des achats. Quand Alain m'a demandé s'il pouvait travailler à l'atelier des monnaies, nous lui avons donné notre accord. Geste d'humanité ! Alain est fier de la confiance du groupe. Nous n'avons plus d'ennuis de sa part. Il est réhabilité !

Quand le groupe apprend que Dominique vend son journal 2 F au lieu d'l, il réagit violemment, d'autant plus que Dominique manque de franchise. Pourtant j'essaie de dédramatiser l'incident, car j'apprends par sa mère qu'il subit l'influence d'un adolescent de son quartier qui lui soutire de l'argent ; il a par ailleurs subtilisé un billet de 100 F dans l'armoire de la maison. Il semble cependant que Dominique a senti le préjudice causé au groupe.

Est-ce là faire preuve d'un optimisme inconsidéré ? Makarenko, qui a travaillé avec des enfants très difficiles, écrit : « Le pédagogue doit aborder chaque être humain avec une hypothèse optimiste, au risque même de se tromper ».

b) Même lorsque le groupe prend en main l'organisation de la vie et du travail, mon action se poursuit, patiente, persévérante, par exemple afin de nuancer des décisions de groupe trop nettes ou cassantes qui ne tiendraient pas assez compte de chaque individualité.

« Il n'a pas rangé son casier, Jean-Luc ; il ne fera pas de sport ! » propose Philippe F., approuvé par tous. Je demande : « Avez-vous tous votre casier en ordre ? » Jean-Luc n'est pas le seul à être désordonné, mais il suscite l'hostilité de quelques-uns à cause d'une dispute dans la cour avant l'entrée en classe. Ainsi dois-je tempérer l'application de certaines décisions ou l'autoritarisme de certains responsables.

Je reste toujours attentif au déroulement des activités coopératives. Je cherche à atténuer les dissensions, et non à monter les incidents en épingle. En aucun cas, certes, je ne me satisfais du laisser-faire et je combats les disputes et les moqueries, mais je fais preuve d'indulgence et de compréhension et laisse le plus possible le groupe en mesure de résoudre ses propres problèmes.

AU NIVEAU DE L'ORGANISATION MATERIELLE

De l'organisation rationnelle et minutieuse du travail dépend le bon fonctionnement de l'institution, Si je n'ai jamais imposé une quelconque organisation matérielle, je n'ai jamais laissé les enfants se débrouiller seuls mais en collaboration.

Exemple de l'installation de l'atelier-peinture : le 3 novembre, je présente aux enfants des peintures réalisées les années précédentes et je les invite à peindre. C'est ensemble que nous organisons l'atelier, que nous préparons les teintes, que nous disposons les tables. Les enfants font des essais, je les conseille, ils expérimentent.

Pour l'installation matérielle, les enfants ne disposent pas d'une liberté illimitée. En fonction des différents usages possibles, nous répartissons les tables en carré pour faciliter discussions et échanges.

Nous faisons de même pour les différents ateliers, afin de permettre le libre déplacement et éviter les bousculades. Nous rangeons l'outillage et le matériel de manière qu'ils soient faciles à atteindre.

Petit à petit le groupe prendra en charge cette organisation matérielle. Je dois cependant penser à prévoir le matériel qui manque : il suffit de peu de chose parfois (des pointes qui font défaut, un tube d'encre d'imprimerie vide, un pot de peinture épuisé) pour tout perturber.

Les enfants décident, par exemple, de faire une sortie-nature pour chercher des têtards. Cependant, si toute la classe adhère avec joie à cette proposition de Yannick, bien peu se préoccupent de l'organisation matérielle. Il faut que je leur suggère de préparer épuisettes, boîtes, bocaux, aquarium. Tout cela nous occupera une partie de la matinée, mais à 14 heures nous pourrons partir bien équipés pour notre pêche.

AIDE TECHNIQUE

1°. Aide à la demande

C'est là le cas le plus fréquent. Dans la classe, l'enfant aime se référer au maître, il montre son travail, fait part de ses difficultés, demande mon avis : « Il est beau mon dessin ? » « Vous trouvez qu'elle est bien écrite, ma lettre ? » Je me borne à encourager, à faire préciser ou approfondir suivant les cas.

2°. Une pédagogie de réussite

J'interviens pour placer l'enfant en situation de réussite et éviter les échecs décourageants.

Quand Pierre est en difficulté, il trouve une solution dans l'oisiveté, qui engendre rapidement le désordre. Je lui redonne confiance en lui apportant une aide assez discrète pour que le succès lui en revienne, Hubert est lymphatique et se fatigue vite :il m'arrive de lui écrire quelques lignes pour l'encourager à terminer sa lettre. Alain exécute rapidement mais superficiellement son travail :il m'arrive alors d'ajouter ici un trait, là une couleur sur la lettre qu'il illustre ; et le voilà entraîné à persévérer. Michel éprouve beaucoup de difficultés dans les exercices physiques : je l'aide amicalement à monter au portique.

Ce rôle aidant (et différent d'un enfant à un autre) va ensuite se nuançant au fur et à mesure que l'enfant évolue. Si je continue à aider sur le plan technique, j'interviens de moins en moins au niveau de l'action elle-même, car rien ne remplace, en cette matière, l'expérience personnelle.

3°. L'éducateur, participant actif au sein de la communauté

Plus encore que celui qui aide et soutient, il s'agit avant tout d'être soi-même. Aussi je m'exprime librement comme les enfants, je raconte ma promenade, j'écris à mon correspondant, je fais un exposé, j'écris mon texte libre, je joue au foot, j'interroge les pêcheurs du port. Sur la liste des participants de la classe, mon nom est inscrit et je suis, comme tous, président de jour à mon tour.

4°. L'éducateur renouvelle les techniques

Quand l'intérêt pour une activité faiblit, j'en propose d'autres. Ainsi certains enfants qui abandonnaient la technique de l'album éprouvent de l'intérêt pour celle des bandes, qui est comme la première une technique d'expression écrite. Il s'agit de bandes dessinées, succession d'images expliquées par des mots ou des phrases, ou bien d'histoires qui se déroulent comme un film, avec textes et dessins. Dominique s'y lance avec ténacité.

Exemple de bande sur la mer :

1
La mer

2

Comme elle est immense, la mer !

3

Et dans la mer, il y en a, des poissons de toutes sortes, de toutes les couleurs !

4

Il y en a qui sont méchants : le requin !

5

Mais les pêcheurs les attrapent avec leurs grands et larges filets.

6

Et quand ils reviennent au port ; ils en déchargent des milliers.

7

Mais il en faut des bateaux pour les attraper, à St-Nazaire, à Port-Vendres, à Lorient !

8

Il faudrait mettre l'océan à sec pour les prendre tous !

9

Moi, j'aimerais aller les voir, sous la mer.

10

J'irais en bathyscaphe et je les verrais nager parmi les algues.

Je renouvelle de même mes techniques artistiques, manuelles ou sportives. Ainsi un après-midi, pendant que les enfants sont occupés, je m'installe dans un coin de la classe pour exécuter une gravure sur une feuille d'aluminium. Quelques-uns viennent auprès de moi, l'air intéressé, et me demandent d'expérimenter à leur tour. Le lendemain, ils seront cinq à vouloir travailler à ce nouvel atelier, dont Philippe devient responsable. Ainsi le renouvellement des techniques est à l'origine de nouveaux efforts et de progrès.

INTERVENTION AU NIVEAU D'UNE ACTIVITE:

L'EXPRESSION LIBRE ECRITE

Je m'étendrai davantage sur ce chapitre. En effet, le choix du groupe ou de l'enfant pour une activité est fonction de l'intérêt qu'il y trouve, lequel est à son tour fonction de l'attitude de l'éducateur. Avant de rejeter sur les autres les échecs inévitables, il doit se demander si ce n'est pas lui qui en porte la responsabilité. Le maître ne peut pas attendre que naissent spontanément les idées et les sentiments, mais il lui appartient de susciter les moyens qui permettent leur expression. Une pédagogie de liberté ne saurait être confondue avec l'inertie de l'esprit.

1°. Moyens favorisant l'expression libre

a) La correspondance interscolaire, Les textes reçus de nos correspondants de Port-Vendres, comme la critique qu'ils font des nôtres, encouragent les enfants à écrire : « Nous avons aimé le texte de Philippe. Il est amusant le texte de Jean-Luc... Le texte de Janick sur la pêche nous a bien intéressés... »

b) Lejournal scolaire, C'est à la demande de Pierre que le groupe a décidé d'éditer un journal, après force discussions :

Michel : « Mais il faudra alors écrire davantage de textes ! »

Yannick : « Chacun est libre d'écrire ! »

Janick : « Oui, mais c'est surtout qu'on ne sait pas quoi raconter ! »

Moi : « J'aiderai tous ceux qui le veulent : il faudrait que tout le monde s'y mette pour avoir de jolis textes dans le journal ».

c) Part du maître. Elle est prudente, certes, mais nécessaire, avec des enfants conditionnés par leur milieu scolaire antérieur, par leur milieu familial, par la télévision, et qui ne croient plus en eux. Il me faut aller chercher de la vie là où apparemment tout est mort. Il me faut habituer l'enfant à penser par lui-même, il me faut lui montrer que ce qu'il dit ou écrit a un sens, - ce qu'il ignorait.

En octobre, j'encourage Alain, Michel, Philippe, à élaborer leur texte, tout en respectant la pensée de chacun. Je laisse tomber tout ce qui est purement scolaire et paralysant, Je cherche à libérer leur pensée en la débarrassant de tout souci de graphie correcte ou d'accords grammaticaux.

Le 7 novembre, cinq enfants n'ont pas encore écrit de textes. Pour les encourager, je leur en lis quelques-uns, relevés dans des journaux scolaires venus d'autres écoles. Neuf enfants se mettent alors avec plaisir à rédiger. C'est le premier texte de Daniel, et c'est pourtant le sien qui est choisi pour être imprimé dans le journal. Ce choix aura une répercussion heureuse : Daniel, instable, querelleur, grossier, rebelle à tout travail d'équipe, est admis par ses camarades, du moins en partie ; et son texte les a tous étonnés

LA NEIGE

La neige brille sur les toits.

Qui chante à haute voix ?

Est-ce vous, belle dame,

Qui préparez des crêpes

Pour votre enfant ?

La neige brille sur les toits.

Mais voici un cas d'inertie. Une sorte de peur paralyse Jean-Luc et l'inhibe complètement. L'expression libre ne lui a pas été souvent permise, et il ne sait que faire de la liberté qui lui est maintenant accordée ; il se réfugie alors dans un travail purement mécanique : fiches de calcul, copie de dessins. Je cherche à l'en sortir et je lui propose d'écrire (avec mon aide) ce qu'il m'a raconté. Mais quand il paraît devant ses camarades, le voilà paralysé. Il a écrit un petit paragraphe banal racontant une promenade. Je ne manque pas cependant de le valoriser, et lorsque l'un de ses textes sera choisi, Jean-Luc n'osera y croire ; je crois que ce jour-là il aura compris que sa vie d'enfant a un sens, et qu'il existe, qu'il EST.

Au cours du 1er trimestre, les enfants ont généralement écrit des textes sur des faits de la vie courante. Mais à partir de janvier, je vais tenter d'ouvrir de nouvelles pistes, en m'efforçant de développer leur sensibilité, de prêter attention à leurs manifestations sensorielles et émotionnelles, de leur faire prendre conscience du beau sous toutes ses formes, de les ouvrir à la vie.

Je favorise la création poétique et l'expression du « moi » intérieur, en lisant de temps en temps un poème, en faisant entendre des poésies enregistrées au magnétophone lors d'émissions de radio, en proposant des recueils poétiques où ils peuvent puiser largement. Mais je tolère parfaitement que l'enfant ne nous confie pas toujours ses problèmes intérieurs.

Au cours de l'année, je n'ai jamais cherché à imposer le texte libre. Je propose et encourage, mais on n'écrit que si on le désire. Et pourtant les histoires et les poèmes naissent, la vie jaillit dans les cœurs, au fur et à mesure que se crée un climat d'amitié et de collaboration.

2°. Interventions au niveau du choix du texte

Je constate que les enfants aiment lire leur texte devant leurs camarades. C'est alors un moment privilégié, une sorte de contrat affectif où la communauté se regroupe dès le matin. Le choix du texte n'est pas une obligation, d'autant plus que dans la classe on prête la même attention à tous les textes. Le problème du choix ne s'impose que si le texte doit être publié

a) J'interviens si c'est nécessaire pour élucider le choix, pour m'opposer par exemple, à la publication dans le journal d'un texte grossier d'Alain. Nous devons redresser certaines erreurs du milieu familial : liberté n'est pas synonyme de mauvaise éducation.

b) J'interviens pour valoriser un travail. Ainsi un matin le texte choisi est de Jean-Yves : « Le chasseur barbu » et il déchaîne le rire à cause de quelques mots vulgaires. Il recueille 8 voix. Celui de Pierre (7 voix) est d'allure poétique : « Les oiseaux ». Au sein du groupe, Jean-Yves est le beau parleur, l'amuseur public qui exerce une certaine influence ; Pierre, querelleur, bourru, n'a pas toujours l'audience générale. Jean-Yves, très adroit, se met en valeur dans les activités manuelles ; Pierre, au contraire, éprouve en cette matière des difficultés, et il abandonnerait rapidement si je n'étais là pour le soutenir. Jean-Yves anime les discussions, intéresse ses camarades par ses exposés, tandis que Pierre est effacé. Jean-Yves atteint le niveau du cours moyen 1e année, tandis que Pierre est à peine au niveau du C.E.2e année ; mais le texte libre est pour lui un moyen de s'affirmer, tout comme, d'ailleurs, l'expression artistique. Aussi j'interviens en faveur du texte de Pierre, tout en expliquant mes raisons : « Jean-Yves peut écrire tout ce qu'il veut et amuser ses camarades, mais je pense que nous ne pouvons pas publier son texte dans le journal. »

Jean-Yves, qui a par ailleurs bon caractère, accepte la remise en cause du vote ; le contraire eût été difficile. Si mon intervention n'est pas aliénante pour lui, par contre elle procure à Pierre une occasion de réussite. Jean-Yves pourra réussir en d'autres activités au cours de la journée ; Pierre, lui, est tout joyeux de voir son texte publié.

En aucun cas mon intervention n'est autoritaire ; répétée, elle serait un obstacle à la libre expression. Mais la tâche du pédagogue est, selon l'expression de Makarenko, de « projeter toujours en avant le meilleur de l'homme. »

3°. Intervention pour la mise au point du texte choisi

a) Aide technique

Il s'agit pour moi, avant tout, de marcher dans le sillage de l'enfant, de sentir avec lui ce qu'il a écrit. Je dois l'amener à exprimer en bon français une pensée souvent confuse et maladroite, sans pour autant déformer la naïveté de l'expression personnelle. Lors des premières mises au point, j'évite tout ce qui est scolaire, afin de déconditionner le texte libre ; puis progressivement, à partir de novembre, j'invite à e polir : quelques touches, une petite explication grammaticale au besoin, par ci, par là. Mais nous ne torturons pas la phrase pour n'en tirer que des acquisitions de grammaire, de vocabulaire ou d'orthographe. Ce dernier travail se fera par ailleurs, soit sur un texte d'enfant, soit sur un texte d'adulte, ou encore individuellement, par bandes programmées.

b) Respect de la pensée de l'enfant

J'interviens pour éviter que le groupe (ou une partie du groupe) s'empare d'un texte pour le modifier ou le dénaturer. Ainsi, après la rentrée de Noël, je laisse aux enfants le soin de faire sans mon aide le travail de mise au point, sous la responsabilité de Michel. Je constate que cette mise au point du texte choisi (celui de Jean) dure plus d'une heure et que plus de la moitié des enfants s'en désintéressent. Le texte original sera complètement modifié, sans soulever d'ailleurs de protestation de la part de son auteur !

Les enfants (comme les adultes !) ne se conduisent pas toujours en vrais démocrates. Qui donc veillera au fonctionnement de la démocratie, sinon le maître ? Aussi je conçois ici mon rôle comme celui d'un animateur qui fait passer au premier plan le respect absolu de la pensée de l'enfant.

4°. Conclusion

J'aurais pu conclure, au bout d'un mois, que ces enfants, déficients intellectuels, étaient incapables d'invention ou de création. J'ai accepté cependant de « perdre du temps » ! Mais loin de m'effacer, je me suis engagé, car pour moi liberté d'expression et autogestion sont intimement liées. S'exprimer librement, c'est dire, et en même temps se dire, être écouté, compris. Il faut savoir s'écouter les uns les autres, pour mieux se comprendre et s'entendre, afin de construire ensemble.

Si j'ai apporté mon aide amicale pour l'élaboration du texte individuel, son choix et sa mise au point, à tout moment cependant ce texte est resté objet de la décision de l'enfant.

L’ENGAGEMENT DE L'EDUCATEUR ‑ SON ROLE D'ELUCIDATION

L'expression libre orale ou écrite met les enfants en prise directe avec les réalités sociales. Le rôle de l'éducateur n'est pas alors d'éluder les problèmes qui les touchent de près. Exemple : la discussion du 18 mai :

Yannick C. ‑ Je suis allé pêcher des huîtres à Villès,.
Moi - J'irai aussi à la pêche dimanche.
Daniel –Ill y a la grève à Sud-Aviation, mon père a couché à l'usine.
Hubert - Sur la route il y a des inscriptions CDR.
Janick - Mon voisin a dit qu'il allait être rappelé.
Yannick ‑ Il y a un monsieur qui va venir à St-Nazaire ; il s'appelle Cohn-Bendit, il est révolutionnaire.
Jean - Mon père aussi a couché à l'usine de Sud-Aviation.
Alain - Ils vont venir les CRS, il y aura de la bagarre.
Jean-Yves - Les chantiers vont se mettre aussi en grève.
Jean-Luc - A Paris, les étudiants manifestent.
Pierre ‑ Qu'est-ce que c'est un étudiant, M'sieur ?
Moi ‑ C'est un monsieur qui fait des études pour devenir médecin, ou ingénieur, ou professeur.
Janick ‑ Il va y avoir une grève générale.
Jean ‑ Ils font grève à Sud-Aviation à Nantes.
Hubert - Les ouvriers vont foutre le gouvernement en l'air,
Yannick - Les révolutionnaires veulent la démission de De Gaulle.
Jean-Yves - Il est en Roumanie, le général,
Yannick ‑ Ils le regretteront, le départ du général.
Philippe F. ‑ Tous les soirs je vois passer les camions de CRS,.
Pierre ‑ Moi aussi.
Yannick C. ‑ A Paris, ils se vengent sur les voitures, ils font des barricades.
Yannick ‑ C'est les CRS qui se vengent.
Daniel ‑ Les ouvriers ont enfermé les gardiens et le patron.
Michel ‑ Mais pourquoi ils manifestent, les ouvriers et les étudiants ?
Daniel ‑ Mais vous, Monsieur, vous ne faites pas grève ?

On conçoit que le rôle de l'éducateur est bien difficile. Je ne puis rester neutre, car il faut bien répondre aux questions posées ; il s'agit de dialoguer authentiquement. Soucieux de ne pas endoctriner, j'apporte les éléments qui permettront à chacun de découvrir sa propre vérité.

CONCLUSION

Une conception de l'autogestion étendue à toutes les activités (projets et organisation du travail, activités d'expression libre, discussions sur les problèmes intéressant les enfants) ne signifie donc pas non-intervention du maître. Si j'ai renoncé à imposer mes vues, MA vérité, je pense toutefois que mon attitude tolérante, indulgente, optimiste, que ma totale disponibilité conditionnent le climat de la classe. J'ai accepté que le groupe tâtonne longtemps à la recherche de son style de travail et de vie, qu'il s'écarte parfois des voies qui n'étaient pas celles que je préférais.

L'exemple du maître ‑ dimension souvent oubliée ‑ reste pour les enfants le signe d'une direction à prendre, et, comme l'écrivait Jaurès, « On n'enseigne pas ce qu'on SAIT, mais ce qu'on EST ».

4 ‑ CONTROLE ET BILAN

DU TRAVAIL REALISE

Je n'attends pas de mon expérience une mutation rapide et spectaculaire. Il faut compter avec les exigences du tâtonnement expérimental ; il faut admettre certaines régressions de courte durée, certains échecs, certaines impuissances. En tout cas, mon souci permanent a été d'assurer le meilleur rendement psychique, physique, intellectuel, moral et social de l'être tout entier, et non le rendement étroit ‑ et souvent illusoire à mes yeux ‑ des acquisitions scolaires.

LE CONTROLE

Il me paraît que toute technique de contrôle habituel ou déguisé (planning de contrôle collectif) est incompatible avec le climat de confiance d'une classe en autogestion. Toute idée d'émulation entre techniques traditionnelles ou modernes risque de provoquer ou d'aggraver les oppositions, les rancœurs, les jalousies. Toutefois, l'absence de contrôle habituel n'exclut pas de ma part la parfaite connaissance et la mesure des efforts et des progrès de chacun dans tous les domaines. Ma présence auprès des enfants me permet en effet de suivre pas à pas les processus d’éducation et d'instruction à travers leurs activités.

1°. L'auto‑contrôle

Il se pratique au niveau du travail individualisé, par fiche ou par bandes programmées, Mais certains enfants préfèrent réclamer le contrôle du maître.

2°. Le maître, référence dans la classe

Pour n'importe quelle forme d'activités, le maître reste la référence. Les enfants s'adressent à moi en toute confiance. Dominique me présente le brouillon de sa lettre : « Regardez tout ce que j'ai écrit : est-ce que j'ai beaucoup de fautes ? » Pierre me demande : « Vous me posez des divisions, pour voir si je sais les faire ? » Aucune honte, aucune humiliation à craindre !

3°. Le Conseil de travail

En conseil de travail, les enfants sont amenés progressivement à confronter leur travail. Il s'agit là du constat d'une maîtrise remportée dans les activités manuelles, artistiques ou intellectuelles. Ainsi Yannick réalise devant ses camarades l'expérience du radiateur électrique. Philippe est invité à expliquer sa belle carte de France découpée et pyrogravée, où il a marqué les fleuves et les montagnes ; je lui demande de nous montrer la Loire, le Rhône ; ses camarades lui posent des questions... Ainsi, chaque soir se fait spontanément un bilan, parcellaire certes, mais profondément humain du travail réalisé.

4°. Le contrôle coopératif

Les enfants aiment faire la preuve de leurs compétences devant le groupe. Ainsi Dominique est invité à dresser le bilan des comptes de la coopérative, pour devenir trésorier-adjoint. Daniel veut montrer qu'il sait rendre la monnaie sur 1 F. Hubert, Janick, Yannick C. tiennent à prouver qu'ils savent lire l'heure. Pierre interpelle ses camarades : « Regardez, les gars, je grimpe tout en haut de la corde ! »

Au cours du second trimestre, tous les enfants décident de faire publiquement la preuve de leurs compétences en calcul : Régis réussit toutes les opérations, Jean-Yves toutes les multiplications, Philippe toutes les additions et les soustractions... Ce contrôle coopératif se pratique dans la journée, au cours des activités.

5°. Conclusion

Ainsi tout au long de l'année s'opère un contrôle permanent des connaissances auquel collaborent maître et enfants. Mais il s'agit désormais d'authentiques connaissances acquises de soi-même, par sa propre volonté. Les enfants aiment cette façon démocratique de se faire valoir, d'autant que le travail est chaque fois pour eux occasion de réussite et de joie.

BILAN DES ACTIVITES REALISEES ‑ LES DIVERSES DISCIPLINES

Les enfants arrivent progressivement à équilibrer les différentes activités dans la journée. Cependant, certaines sont privilégiées. Je les classerai suivant le temps qui leur est consacré.

1°. Les activités manuelles artistiques et physiques

Elles ont occupé 50 % du travail scolaire. Je ne m'attarderai pas sur l'intérêt qu'elles présentent. Elles ne peuvent être examinées à part ; elles ne sont pas arbitrairement séparées de la vie intellectuelle. Outre qu'elles ont été source de joie, elles ont favorisé l'équilibre physique et psychique qui conditionne le progrès intellectuel. Les ateliers nombreux et variés ont permis l'expérimentation manuelle et également intellectuelle. Ainsi les activités manuelles ont posé aux enfants des problèmes de mesure et de construction. La vente des travaux réalisés, l'achat du matériel indispensable ont eu le même résultat. Les dioramas, maquettes, plans divers ont provoqué des discussions sur l'histoire, la géographie, les sciences. Inversement, les travaux manuels ont aidé a une meilleure compréhension des choses observées : par exemple, au port, le fonctionnement d'une écluse ; puis en classe le fait d'en construire une en miniature.

2°. L'expression orale

Elle a occupé une place privilégiée (20 % du temps), tant il est vrai que la communication est un besoin vital. Et si, en début d'année, la parole a primé sur le langage écrit, les enfants sont arrivés d'eux-mêmes à équilibrer les activités d'expression orale comme celles d'expression écrite.

Cela a consisté d'abord en un simple bavardage, non dénué d'ailleurs d'intérêt pour moi, car il m'a permis de mieux connaître chaque enfant, et son entourage. Mais le monologue a conduit, grâce à l'aide facilitante du maître, à une véritable communication dans le groupe. Il n'y a pas eu de sujets tabous ; on a discuté de tout ce qu'on voulait : de leurs jeux autour de l'HLM, de Zorro, des dimanches tristes ou gais, des joies et des peines, des événements d'actualité.

Les enfants ont su s'exprimer ‑ parfois avec émotion ‑ à propos des problèmes des adultes : la paix, la faim dans le monde, la grève... Si l'étude de la châtaigne ou de la pomme n'a rencontré que peu d'intérêt, par contre ils se sont inquiétés de savoir comment s'est créée la terre et ont suivi le vol des cosmonautes. Cette liberté d'expression, étendue à tous les problèmes de vie et d'organisation du travail, a été motivée, surtout en début d'année, par l'utilisation du magnétophone.

3°. Les activités mathématiques

Elles ont pris environ 10 % de l'horaire. Deux jours par semaine en moyenne, nous étions amenés à résoudre les problèmes posés par la vie quotidienne, Certes ces problèmes ne passionnaient pas d'abord tout le monde ; mais quand les enfants ont senti qu'il ne s'agissait pas d'un simulacre de travail scolaire, ils ont participé au travail commun : problèmes posés par la vie coopérative, la correspondance, les enquêtes, les travaux manuels. Les mécanismes de calcul ont été travaillés individuellement ou en groupe d'une manière très inégale : un jour sur deux en moyenne pour les uns, et tous les jours pour certains. A la demande des enfants, les autres jours nous faisions des constructions géométriques, nous nous exercions au calcul mental, nous apprenions à écrire les nombres, nous faisions de nombreuses manipulations qui les reposaient de l'automatisme presque quotidien des fichiers ou des bandes programmées.

4°. L'expression écrite

a) La correspondance (10 % de l'horaire). Dans la classe, elle a motivé essentiellement l'expression écrite. Bien qu'elle se soit déroulée à un rythme. libre, une fois par semaine, chaque enfant a écrit à l'un de ses correspondants.

De plus, des lettres collectives ont été échangées avec d'autres classes (Rézé, Couéron, Decazeville, Dahomey).

b) Le texte libre. Il a été motivé essentiellement par le journal scolaire, qui cependant n'a pas constitué dans la classe une activité privilégiée. Nous avons publié dans l'année 4 journaux scolaires, contenant 38 textes individuels mis au point par la classe (ou une partie de la classe), 8 textes collectifs (compte rendu d'enquête ou d'observation de la vie de la classe).

5°. La lecture

Elle trouve sa place motivée dans la communication d'un texte libre, d'une lettre, d'un album des correspondants. Bien que la classe ait disposé d'une abondante documentation (B.T., albums, Francs-Jeux, Amis-Coop, livres de bibliothèque), la lecture individuelle n'a attiré qu'exceptionnellement les amateurs. La lecture à haute voix de textes d'auteurs pris dans les manuels a été pratiquée à la demande des enfants.

6°. Le vocabulaire, l'orthographe, la grammaire, la conjugaison

Le vocabulaire. Dans les textes, les lettres, les albums des correspondants, se trouvaient des mots nouveaux qui furent d'autant mieux assimilés qu'ils se situaient dans un contexte humain et affectif. De même, l'envoi de nos textes et de nos lettres nous obligeait à préciser, pour nos correspondants, le sens de certains mots.

L'orthographe, Le travail d'orthographe s'est fait essentiellement grâce à la correspondance, et progressivement par la correction individuelle du texte libre, à la demande de tel ou tel enfant, et de la correction collective du texte choisi. Pour faciliter la tâche, j'ai affiché sur un tableau de grandes étiquettes portant les mots usuels pour les lettres

Saint-Nazaire, le 
Cher Jean     
Chère Lydia    
nous avons reçu     
je suis content  
je te remercie    
je t'envoie     
je te serre la main       
une jolie lettre
tes beaux dessins
je fais, tu fais
nous avons joué
nous avons fabriqué
nous sommes allés
as-tu
est-ce que
peux-tu

J'invitais les enfants à se référer à ce tableau. Progressivement ils découvraient certains accords, par analyse :

nous avons joué

nous avons marché     

nous sommes allés

nous sommes partis

Nous enlevions certaines étiquettes quand le mot était acquis nous en ajoutions de nouvelles. Ainsi petit à petit s'opère une sorte d'imprégnation de l'orthographe. Les enfants ont pris ainsi l'habitude d'utiliser seulement pour leurs lettres les mots dont ils ont conservé le meilleur souvenir visuel.

La dictée. Cette activité a été réclamée par les enfants, car elle n'a plus pour eux son habituel caractère angoissant. Elle a été pratiquée surtout au 1er trimestre une ou deux fois par semaine. Puis, dans la mesure où la correspondance, sous forme de lettres individuelles, collectives, ou d'albums, devenait régulière, elle n'est plus apparue comme nécessaire. A partir de janvier, il nous arrivait parfois de combiner mise au point du texte et dictée, ceci à la demande des enfants. Quand il s'agissait d'un texte collectif (ou bien d'un texte individuel sans caractère affectif), je dictais des phrases ou des groupes de mots.

La grammaire, la conjugaison. Ces disciplines ne suscitent guère d'intérêt. Mais le travail de correspondance leur a fait comprendre que, pour écrire très correctement, il fallait connaître beaucoup de mots, savoir les associer en respectant les règles. C'est dans cette optique qu'ils ont pu décider d'un travail d'orthographe grammaticale, le plus souvent collectif d'ailleurs. Des tableaux affichés en classe portaient un certain nombre de règles simples auxquelles on pouvait se référer

je
tu
il, elle, on
nous
vous

ils, elles

jamais de t
s
jamais de s
ons
ez
nt

7°. L'histoire, la géographie, les sciences

a) Les moyens audiovisuels. Les enfants ont suivi certaines émissions de télé scolaire, notamment celles concernant le monde des animaux, la vie des enfants, la pêche... De même, ils ont utilisé la documentation de la classe, en diapositives, en BT sonores (documents sonores, illustrés de diacouleurs). Temps consacré : environ une demi-heure par semaine.

b) La correspondance. Elle a révélé aux enfants un autre milieu et leur a fait découvrir le leur. L'information ainsi acquise ne s'est pas faite sur le plan documentaire habituel, enquêtes notamment : elle était imprégnée d'affectivité et touchait au plus profond de l'être. Ils ont pu ainsi, par l'échange de lettres, de textes, d'albums, de colis, pénétrer dans le paysage et le mode de vie de leurs correspondants de Port-Vendres. lis connaissent les figues de Barbarie, les tourons aux noisettes et aux amandes, le chêne-vert, la pêche au lamparo, les asperges sauvages...

c) L'observation, Les graines que l'on a vu germer en classe, les objets ou animaux apportés, les actualités sur les fusées, sur les volcans... ont été autant d'occasions d'observer et de questionner. La classe-exploration, pratiquée en moyenne une après-midi par semaine, a donné lieu à une mine de remarques : on observait les travailleurs, pêcheurs ou ouvriers, on les questionnait ; on était attentif au fonctionnement des machines, des chantiers, des grues, des écluses ; on était sensible aux impressions visuelles et auditives... J'habituais à observer les champignons découverts en automne ; à écouter, au printemps, un pépiement d'oiseau... L'acquisition par les sens venait compenser d'une certaine façon l'inertie de l'intellect. « Il ne suffit pas de lire que le sable des plages est doux, je veux que mes pieds nus le sentent. Toute connaissance que n'a précédé une sensation m'est inutile » (A. Gide).

d) L'expérimentation, Un répertoire d'expériences physiques et chimiques était affiché en classe, et on pouvait s'y référer pour établir le plan de travail. L'atelier d'électricité a eu surtout la faveur des enfants, et ils ont pu ainsi réaliser de nombreuses expériences : montage de lampes, fabrication de sonnette électrique, de chauffe-eau, de radiateur électrique.

EVOLUTION DES ENFANTS ‑ QUELQUES CAS

Je me soucie ici encore moins de progrès scolaires contrôlés que des améliorations du comportement, des progrès vers une plus grande autonomie, se traduisant en initiatives et décisions, en travaux spontanés réalisés individuellement ou en groupe. J'évoquerai quelques cas significatifs :

YANNICK C.

Il a exercé dès le départ une forte influence sur le groupe, grâce à sa grande facilité d'élocution. Il a animé les discussions, menant des débats qui au bout d'une heure ne groupaient plus que trois ou quatre participants. Apathique à tout travail qui nécessiterait un effort intellectuel et qui lui rappellerait son passé scolaire, son intérêt ne s'éveille que pour les activités manuelles et sportives. L'utilisation des techniques motivées (la coopérative, la correspondance, le calcul vivant) l'ont conduit vers le travail intellectuel. Cependant, si ces activités l'ont intéressé, le passage aux activités plus scolaires (mécanismes de calcul notamment) est resté difficile jusqu'au début du 3e trimestre.

Ce passage fut facilité par l'aide du groupe. C'est ainsi qu'il accepta d'écrire davantage de textes, à la demande de son camarade Régis, responsable du journal scolaire. De mon côté, je fus tolérant à l'égard de son travail scolaire, quoique l'estimant insuffisant. Mais ce n'est pas une intervention extérieure qui l'a dirigé vers ce travail ; la décision n'est venue que de lui.

Un matin, Yannick nous montra une rose des sables rapportée par son père du Sahara. Spontanément, il proposa de faire un exposé sur le Sahara. Le jour venu, il projette et commente des diapositives prises par son père, et le voilà qui gagne de ce fait beaucoup de prestige. Il a désormais plus d'ardeur pour surmonter ses difficultés, dont il a d'ailleurs conscience : « Il n'y a qu'en orthographe que je suis mauvais ! » affirme-t-il ; mais il accepte cependant les courts exercices que nous faisons collectivement, il fournit un réel effort pour écrire sa lettre avec le minimum de fautes.

Ainsi, après s'être attardé aux activités qui répondaient davantage à son besoin d'agir, d'expérimenter manuellement, de parler ; après avoir adhéré aux activités vivantes et motivées de la classe, il accède enfin au travail vrai. J'aurais pu certes accélérer son cheminement, mais je pense que toute intervention brusquée de ma part aurait pu contribuer à le déséquilibrer davantage.

JEAN-LUC

Une pédagogie étriquée l'a maintenu trop longtemps au niveau du dressage. La famille, hélas, a encore aggravé son inertie mentale. Habitué à imiter, ignorant toute espèce d'initiative, il ne participe guère, au cours du 1er trimestre, à l'élaboration du plan de travail quotidien.

Recroquevillé sur lui-même, éteint par un système scolaire qui a tué en lui toute lueur d'espérance, il reprend confiance en lui le jour où il réussit une peinture.

Cependant on ne redresse pas vite le conditionnement de plusieurs années. Au 2e trimestre, Jean-Luc ne sait que faire de la liberté de choix qui lui est accordée. Il se réfugie dans des tâches purement mécaniques : fiches autocorrectives de calcul et de grammaire, copie de textes ou de dessins. C'est la correspondance qui l'aidera à s'en évader, ainsi que l'aide du groupe, le travail en commun, qui sont pour lui un stimulant.

En fait, le succès scolaire n'est que très limité. Jean-Luc s'accroche à l'imprimerie ; les nombreuses manipulations l'aident à progresser dans tout ce qui constitue le calcul pratique : monnaie, mesure, poids, temps. Cependant Jean-Luc devient de plus en plus autonome et indépendant. S'il ne joue qu'un rôle minime pour l'organisation du travail, il assume correctement sa responsabilité au sein de la coopérative ; il tient ses affaires en ordre et aide souvent à ranger la classe. Il devient plus sûr de lui ; il n'est plus à la remorque d'un camarade pour les activités qu'il veut réaliser.

REGIS

Passif au départ, il subit l'influence de Jean-Yves et de Yannick C. (qui orientent l'opinion du groupe). Cependant il devient rapidement l'élément le plus actif de la classe. Il exerce une influence (à mon sens salutaire) par son calme, son esprit d'initiative, sa facilité de relations, son âge. Il frappe ses camarades par le sérieux qu'il apporte à son travail, le souci qu'il a de le bien faire, l'énergie qu'il y emploie.

Régis intervient au niveau des conseils et des projets de travail.

Il est à l'origine d'une organisation plus structurée des activités ; il fait preuve de maturité quand il s'agit de prendre des décisions. Bien que la nécessité d'un président de coopérative n'ait jamais été ressentie par les enfants, il apparaît comme une sorte de leader non-directif.

« Il travaille bien, Régis, pour son plaisir ! » s'écrie un jour Philippe en conseil de travail. Ses élans gentils et généreux ont prévalu sur les tendances autoritaires et égoïstes de quelques-uns. Ceux qui voulaient jouer aux leaders se sont peu à peu rangés dans le sillage d'un ami tranquille et coopérant. Régis, responsable du journal scolaire et de l'activité lecture, joue maintenant un grand rôle : il est capable de programmer une journée de travail, d'équilibrer les activités, de les exécuter. Il se réfère au planning des acquisitions affiché en classe et il me demande du travail purement scolaire (où ses progrès sont supérieurs à ceux de ses camarades). Bref, avec son accord, en fin d'année je décide de le placer dans la classe de fin d'études.

MICHEL

La transformation opérée à tous les plans chez Michel est plus remarquable encore, car son milieu familial est sain et équilibré. Ses parents, en cours d'année, manifestent qu'ils sont d'accord avec le sens de notre travail, et ils soutiennent son effort.

DANIEL

Au cours de l'année, il a négligé les acquisitions scolaires. « Je suis libre de faire ce que je veux ! » prétend-il. Seuls les ateliers de travaux manuels l'intéressent. Mais quand ses mains sont occupées, l'enfant se calme et se concentre ; son travail réussi lui procure satisfaction. Il piétine longtemps dans cette satisfaction matérielle, mais progressivement, avec l'aide du groupe tout entier, il prend conscience du milieu où il évolue, des relations avec les camarades, des impératifs d'une vie collective. S'il reste l'élément marginal du groupe (et peu constructif), il s'intègre néanmoins peu à peu dans la communauté ; il donne son avis, accepte les décisions. Son milieu familial fruste ne contribue pas cependant à aplanir toutes les difficultés de l'enfant.

CONCLUSION

Certes, tous les enfants n'ont pas atteint le même degré de maturité psychologique, psychique, intellectuelle et morale. Trop de facteurs interviennent pour accélérer (ou au contraire freiner) leur évolution : le passé scolaire, la situation familiale, l'âge mental, les phénomènes de croissance : alimentation, hygiène, fatigabilité.

CONCLUSION

1°. LE TRAVAIL NE PEUT VENIR QUE DU GROUPE ET DE L'ENFANT

Chaque être est unique, complexe, irremplaçable. C'est de ses besoins essentiels, en fonction de la société à laquelle il appartient, que découle toute ma pédagogie. A mon sens, l'expérience décrite dans ce document tend à prouver qu'avant tout travail scolaire d'acquisitions, il est nécessaire que le groupe fasse ses expériences, et que le maître réponde aux besoins élémentaires et naturels de l'enfant.

Pour qu'un travail quelconque soit réalisé, il me paraît essentiel que la parole s'installe d'abord dans le groupe. L'enfant doit pouvoir ensuite expérimenter, aussi longtemps qu'il le désire, les activités manuelles, artistiques et physiques vers lesquelles il se tourne spontanément quand on le laisse libre de les choisir.

Le rôle du pédagogue n'est donc pas de brûler les étapes, mais de permettre à l'enfant de faire ses expériences tâtonnées et, partant de ces activités de base, de l'accompagner dans son cheminement vers la conquête du savoir. L'éducateur doit deviner les besoins, les intérêts, le rythme de travail de l'enfant.

Ce travail librement choisi et décidé, pris en charge par le groupe ou l'individu, se réalise dans un climat de coopération et de collaboration entre les enfants eux-mêmes, entre le groupe et l'éducateur.

2°. L'ENFANT NE TRAVAILLÉ RÉELLEMENT QUE LORSQU'IL A L'INITIATIVE DE SES ACTIVITÉS

Ce qui compte en définitive, ce n'est pas tant le fait que certaines activités aient occupé une place privilégiée dans la classe. On ne peut, en effet, les hiérarchiser : quelques-unes se juxtaposent, s'interpénètrent ; quelques-unes sont complexes et fournissent l'occasion d'un travail littéraire ou scientifique, manuel ou mental, oral ou graphique.

La moindre réussite dans une activité peut mettre l'enfant en disposition pour d'autres, susciter son énergie et augmenter son rendement, qu'il s'agisse de peinture, d'expériences, d'exposés. Elle peut être souvent l'origine d'efforts et de progrès en chaîne en diverses matières.

Aussi ne faut-il pas s'inquiéter lorsque le groupe ou l'enfant néglige certaines activités intellectuelles au détriment d'activités manuelles ou d'expression orale qui sont parfaitement capables de l'orienter vers le travail vrai. Toute activité peut être constructive et culturelle si elle répond à ses besoins et l'épanouit dans le succès.

D'autre part, ce n'est pas tant la durée d'une activité qui compte, ni la quantité de travail effectif fourni, que l'énergie intérieure, la concentration que procure un travail librement décidé. Un travail limité, de courte durée, exécuté à la demande de l'enfant, est aussi profitable et efficace que des heures consacrées à des acquisitions scolaires dont il ne ressent pas le besoin. La méthode utilisée importe peu ; seule compte son adhésion.

3°. CONSTATATIONS PSYCHO‑PEDAGOGIQUES A PROPOS DES ENFANTS

En fait, on juge trop souvent les enfants des classes de perfectionnement inférieurs à ce qu'ils sont. La vérité est qu'ils ont été abîmés par le manque de confiance des adultes et l'absence d'une pédagogie de libération appropriée. S'il n'existe pas de miracles du point de vue des normes habituelles de l'école, les enfants qui sont placés dans des sentiers qui sont les leurs redeviennent actifs, curieux et capables d'invention. Ils arrivent à penser par eux-mêmes, ils deviennent, responsables de leurs propres moyens de vivre, ils se situent par rapport aux autres.

Cette maturité psychique, psychologique, intellectuelle, sociale et morale ne peut être le simple épanouissement d'un élan naturel. Elle est le produit d'une éducation basée sur l'autogestion. J'estime que les structures mentales de certains enfants apparaissent, dans les discussions concernant l'organisation de la classe ou tout autre problème, au moins égales à celles d'enfants de même âge et de quotient intellectuel normal.

La passivité, le manque d'esprit d'initiative, l'absence du sens des responsabilités sont le produit de systèmes autoritaires, de procédés de conditionnement. Un système éducatif basé sur l'autogestion offre par contre toutes les possibilités d'une réelle transformation.

4°. L'AUTOGESTION PEDAGOGIQUE N'EST PAS UNE UTOPIE

Six heures de classe face à certains milieux déficients, cela semble peu. Mais dans la mesure où j'ai toujours eu des contacts réguliers avec les parents, je constate que le climat de la classe a des répercussions sur le climat familial et que la plupart des parents finissent par adopter à l'égard de leurs enfants une attitude plus libérale et plus compréhensive. L'école reste (à mon avis) de tous les milieux, l'endroit privilégié de toute véritable éducation.



 

2ème PARTIE CLASSE DE PERFECTIONNEMENT De Jean LE GAL Ecole de Ragon à Rezé (44)

Avril 1967

 

2ème PARTIE

CLASSE DE PERFECTIONNEMENT

De Jean LE GAL Ecole de Ragon à Rezé (44)

INTRODUCTION

1.LES CONDITIONS DE L'EXPÉRIENCE ACTUELLE

2. ANALYSE DE L'EXPÉRIENCE

3. LA DÉVIANCE

CONCLUSION

INTRODUCTION

Aider à la naissance d'un homme qui saura lutter pour une société dont la liberté, la justice, la fraternité et le travail désaliéné seront les fondements, une société d'où aura été bannie l'exploitation de l'homme par l'homme : tel est le but que FREINET, dès l'origine de son action, offrait aux éducateurs populaires s'engageant à ses côtés.

Aujourd'hui, dans un monde en mutation où la misère et la guerre continuent d'exercer leurs ravages, alors que l'homme réalise son rêve ancestral de conquérir la Lune et le ciel, il est plus que jamais nécessaire que l'enfant soit préparé :
- à prendre fermement sa vie en main ;
- à comprendre les autres et à les accepter dans leur originalité ;
- à établir avec eux des relations d'amitié et de coopération ;
- à développer en lui le sentiment de l'unité de l'humanité.

Nous savons que cet enfant, qui vit avec nous seulement six heures par jour, est le produit d'une société qui ignore ou combat les valeurs qui sont les nôtres.

Nous savons que notre action va à contre-courant et que ses résultats sont sans cesse remis en cause; mais nous continuons à lutter pour une organisation scolaire qui permette à l'enfant :
- d'être HEUREUX, car c'est dans le présent que chacun doit pouvoir vivre sa joie, et non dans un avenir hypothétique ;
- de S'EXPRIMER LIBREMENT au sein d'un groupe qui l'écoute et lui répond ;
- de CRÉER UN MILIEU où il puisse par son expérience organiser sa propre connaissance des êtres et des choses;
- de se forger une TECHNIQUE DE VIE fondée sur une connaissance profonde de lui-même dans ses relations avec les autres.

Depuis plusieurs années nous cherchons, les enfants et moi, cette organisation coopérative, humaine, libératrice et enrichissante, et chaque année elle est différente de la précédente, car les données de cette recherche que sont les enfants, le maître, le milieu scolaire, le milieu familial, le milieu social, évoluent elles aussi.

Nous ne prétendons pas aujourd'hui avoir répondu à tous les problèmes qui se posent tant au niveau des relations humaines qu'à celui des institutions. C'est pourquoi ce bilan ne peut être qu'un moment de réflexion, de retour sur soi, pour reprendre avec plus de lucidité la marche en avant, marche qui d'ailleurs ne devra jamais s'arrêter, sous peine de tomber dans le dogmatisme et la sclérose.

1 ‑ LES CONDITIONS DE

L'EXPERIENCE ACTUELLE

Il est impossible de comprendre l'expérience actuelle si l'on ne possède quelques éléments qui la situent dans l'espace et dans le temps et la conditionnent :

-          le milieu social
-          le milieu scolaire
-          les enfants
-          le maître
-          l'historique de l'expérience.

LE MILIEU SOCIAL

Le quartier de Ragon est demeuré agricole, dans une ville-dortoir en pleine expansion démographique, et il est connu pour ses campements de gitans sédentaires ou nomades, et ses baraques où s'entassent les parents avec leurs nombreux enfants, dans une promiscuité peu propice à des relations affectives sécurisantes.

Les enfants de ma classe sont issus de familles de travailleurs, et quelques-uns d'un sous-prolétariat vivant dans des conditions matérielles précaires.

J'entretiens en général de bonnes relations avec les parents.

LE MILIEU SCOLAIRE

1. L'ECOLE

Le groupe scolaire comprend une école de filles de 9 classes (5 primaires, 2 enfantines, 2 cdp) et une école de garçons de 6 classes (5 primaires, 1 cdp).

Jusqu'à cette année, aucune classe ne pratiquait une pédagogie se rapprochant de la nôtre, mais le changement de directeur et le vent de rénovation qui souffle sur l'école française ont modifié le climat et les institutions :

-Toutes les classes sont mixtes, ce qui permet aux filles et aux garçons de notre coopérative de ne plus être séparés, comme ils devaient le faire antérieurement, au moment des récréations.

- Plusieurs collègues pratiquent l'étude du milieu. Une sortie collective à Nantes est prévue, qui groupera 4 classes, dont la nôtre ; les enfants seront répartis en 3 groupes hétérogènes.

- Chaque classe a sa coopérative et une fête est prévue pour Noël.

- Le CM2 se lance dans la correspondance. Nous lui avons prêté des lettres et un album, pour que nos camarades voient les possibilités qui leur sont offertes, et ils nous ont présenté leur étude sur Rezé.

- Chaque lundi et mercredi après-midi, de 15h15 à 16h45, des ateliers sont organisés, chaque maître ayant opté pour une spécialité, et les enfants se répartissent librement. Je reçois, pour ma part, ceux qui veulent dessiner et peindre. Mes enfants sont très heureux d'offrir leur local et leurs outils, et d'aller travailler eux-mêmes avec d'autres maîtres et d'autres enfants.

Cette mutation de l'école influe favorablement sur le climat de notre propre collectivité et nous a amenés à modifier notre plan de travail hebdomadaire.

2. NOTRE CLASSE

Notre local, qui est un bungalow Sofaco, est situé en dehors du groupe scolaire, dans un petit jardinet et à proximité du plateau d'éducation physique. Cela nous donne une autonomie totale pour nos activités.

L'intérieur de la classe est peint en bleu, et sur les murs éclatent des dessins aux riches couleurs. Les meubles sont neufs et offrent de grandes surfaces d'exposition. L'ensemble constitue un milieu chaud et agréable.

Nous nous regroupons selon différentes formations, suivant les activités. Cette possibilité constitue un facteur important, car le seul fait de pouvoir s'asseoir en cercle, au coude-à-coude, contribue à créer un courant de sympathie et une atmosphère amicale.

Pour l'entretien du matin et le conseil de classe du soir, nous sommes assis sur des tabourets autour du bureau, devenu table d'exposition. Pour les autres activités et les conseils extraordinaires en Philips 66, les enfants sont assis à leur pupitre.

Ils se sont constitués librement en 4 groupes. Catherine a été déplacée par le conseil du groupe 3 dans le groupe 4, sa présence perturbant ses 3 camarades, et elle a été remplacée par Fabien, un garçon volontaire.

 

Pour le conseil de coopé hebdomadaire, nous adoptons une formation en U, chacun demeurant à son pupitre et le maître prenant la place du président

3. LES INSTITUTIONS EXTERNES

Nous travaillons dans une totale liberté. Notre Inspecteur spécialisé est très favorable aux recherches poursuivies depuis cinq ans dans la classe.

Nous recevons des normaliennes et des maîtres du Centre de Formation des maîtres de l'Enfance Inadaptée en stage, mais ni l'Ecole normale, ni le Centre n'interviennent dans nos activités.

LES ENFANTS

Les enfants sont entrés dans la classe pour déficience intellectuelle. Ils savent tous lire. La plupart viennent de la classe de perfectionnement (niveau initiation) de l'école des filles, où ils se sont initiés à plusieurs techniques que nous utilisons.

GROUPE 1 (niveau scolaire : CE‑CM)

(Pour chaque élève, sont indiqués successivement : le prénom ‑ l'âge l'ancienneté dans la classe ‑ la provenance ‑ les observations).

Jacky : 14 ans – 3e  année ‑ cdp initiation
Enfant instable et très agressif lors de son arrivée. Il s'est calmé peu à peu mais a encore des crises d'opposition. Il a eu du mal à accepter la présidence des filles, car il a d'importants problèmes relationnels avec sa mère. Il est le leader naturel des garçons et supporte mal d'être réduit au rôle de simple participant.

Alain : 13 ans – 2e année ‑ cdp initiation
Enfant très calme, issu d'un milieu familial qui le traumatise, Très coopérant. Ses problèmes lui ôtent parfois une grande partie de son dynamisme.

Patrick : 14 ans – 2e année ‑ cdp initiation
Enfant efféminé lors de son arrivée, Il est le benjamin de sa famille et a été « surcouvé » par sa mère. Il s'est affirmé très rapidement. Très coopérant.

Marcel : 14 ans – 2e année ‑ CM1
Enfant passif; a eu des difficultés à s'intégrer à des activités qui supposent un choix personnel, Actuellement il fait partie du groupe. Il a d'importants problèmes affectifs familiaux. Se dit heureux en classe et est très coopérant.

GROUPE 2 (niveau : CE‑CM)

Jeannick : 13 ans 2 mois – 2e année ‑ fin d'études
A eu d'importants problèmes d'intégration. Elle avait été rejetée à cause de son agressivité. Elle est chez une nourrice (sa mère étant morte) et parle peu chez elle, Peu à peu elle a été acceptée, et cette année elle a un rôle actif.

Jeannette : 11 ans 5 mois – 2e année ‑ cdp initiation
Enfant qui s'est affirmée au fil des jours. Timide et boudeuse à son arrivée, elle est maintenant très ferme lors de ses interventions,

Josée : 13 ans 5 mois – 2e année ‑ CE2
Enfant venant d'un CE où se pratiquait la pédagogie Freinet, Elle s'est affirmée tout de suite et est le leader naturel des filles. Son niveau de réflexion est nettement au-dessus de celui des autres enfants. Instable lors de son arrivée, elle se contrôle maintenant beaucoup mieux.

Violette : 12 ans 2 mois – 2e année ‑ cdp initiation
Enfant timide lors de son arrivée, elle parle maintenant sans appréhension. Elle est l'élément modérateur et conciliateur du groupe. Elle montre une grande maturité.

GROUPE 3 (niveau : CP‑CE1)

Fabien : 12 ans – 2e année ‑ CP
Ne savait pas écrire ni compter à son arrivée. Délaissé dans l'école privée où il était auparavant. ll réagit d'une manière très infantile. Le groupe l'a pris sous sa protection et encourage ses moindres progrès, Il vit un rêve éveillé et dit aux visiteurs : « La classe, c'est les vacances ! » Il travaille pourtant sans arrêt.

Monique : 10 ans 7 mois – 1re année ‑ cdp initiation
Monique est très timide et avait grand peur d'avoir un maître. Elle parle peu aux discussions du matin, mais a accepté d'être présidente de jour. Dans ses lettres, elle se dit heureuse.

Andrée : 11 ans, 10 mois – 1re année ‑ cdp initiation
Elle a subi un traumatisme crânien. A peu de dynamisme mais participe maintenant activement aux activités.

Marina : 10 ans 4 mois – 1re année ‑ cdp initiation
La plus petite et la plus jeune du groupe, Elle adore taquiner les autres. Elle intervient peu dans les discussions, sauf lorsqu'elle est interpellée par un camarade ou par le président ; alors elle se défend avec énergie.

GROUPE 4 (niveau CP‑CE1)

Catherine : 11 ans 4 mois – 1re année ‑ cdp initiation
Enfant qui se sent toujours agressée et réagit violemment, verbalement ou physiquement. Le groupe a tendance à la rejeter; mais elle fait des efforts pour s'intégrer, en apportant de nombreux textes, des fleurs, des objets divers, Catherine vit dans un milieu familial perturbé.

Jacky P. : 12 ans 6 mois – 2e année ‑ cdp initiation
Agressif et sale lors de son arrivée, il est en voie de complète transformation, Son langage s'est affiné et son comportement est beaucoup plus amical, En général coopérant et actif.

Christian : 14 ans – 2e année ‑ cdp initiation
Christian a beaucoup manqué l'école à cause d'une santé fragile. Il a conscience de son retard et en éprouve un sentiment d'infériorité. Ce sentiment et son manque de tonus le conduisent à la passivité dans l'effort, Par contre, il est très actif au cours des discussions, qu'il fait avancer par son esprit logique.

LE MAITRE

Quelle que soit son attitude, le maître demeure l'élément fondamental du groupe-classe. C'est lui qui conditionne l'évolution du groupe par ce qu'il EST dans ses relations avec lui-même et avec les enfants.

L'important est qu'il soit à l'écoute des autres, afin de saisir leurs motivations profondes, de comprendre leur comportement, de répondre à leur demande ou à leur attente, et aussi afin de toujours demeurer en mouvement.

Il lui est cependant indispensable de bien se connaître, et pour cela de se poser la question : « Qui suis-je ici et maintenant dans ma classe ? » et de solliciter dans ce but l'analyse critique de ceux qui le regardent vivre. A cette question puis-je répondre avec objectivité ?

Je me sens un éducateur engagé qui a choisi de lutter, dans sa classe et dans la société, pour des valeurs auxquelles il est fermement attaché : Paix ‑ Justice sociale ‑ Liberté d'expression ‑ Droits de l'homme et de l'enfant ‑ Droit de chacun à participer à la gestion de sa vie et à celle du groupe auquel il appartient (autogestion) ‑ Amitié entre les hommes.

Ce faisant, je me sens pleinement en accord avec la Charte des Droits de l'Enfant, adoptée le 20 novembre 1959 par l'Assemblée Générale des Nations Unies, à l'unanimité de ses 78 pays membres. Charte qu'aucun éducateur ne peut se permettre d'ignorer, encore moins de ne pas respecter :

Principe 10. – « L'enfant doit être protégé contre les pratiques qui peuvent pousser à la discrimination raciale, à la discrimination religieuse, et à toute autre forme de discrimination.

« Il doit être élevé dans un esprit de compréhension, de tolérance, d'amitié entre les peuples, de paix et de fraternité universelle, et dans le sentiment qu'il lui appartient de consacrer son énergie et ses talents au service de ses semblables. »

Je fais miens ces vers de Dorothy ROIGT (Ride with the Sun), extraits de la plaquette que l'UNICEF vous enverra gracieusement : « L'UNICEF et les Droits de l'Enfant »

LA CHARTE DES ENFANTS

La paix viendra sur terre ; mais pas avant
que chaque enfant mange chaque jour à sa faim,
qu'il affronte chaudement vêtu le vent de l'hiver
et qu'il apprenne ses leçons l'esprit tranquille,
Lorsqu'il sera délivré de la faim, de la crainte et du besoin,
quelle que soit sa couleur, sa race ou sa foi,
il lèvera la tête et sourira au ciel,
et dans ses yeux se reflétera sa foi en l'homme.

Dans la classe, je me veux AUTHENTIQUE, car « il n'y a de dialogue possible qu'entre gens qui sont ce qu'ils sont et qui parlent vrai » (A. CAMUS). Je me refuse à être un enseignant neutre, qui s'abstient de mettre en discussion les sujets-tabous ou qui évite d'y participer (cf. Educateur n°1, sept.-oct. 68 : « Laïcité et Engagement de l'Educateur »).

Notre groupe a débattu des problèmes graves de la vie, à la suite de textes libres ou de questions posées à propos d'articles de journaux ou d'émissions de télévision :

- Comment viennent les enfants ?
- Comment est venu le premier homme ?
- Pourquoi y a-t-il la guerre au Vietnam, au Biafra ?
- Pourquoi dépense-t-on de l'argent pour aller sur la lune, alors que les gens meurent de faim ?
- Pourquoi y a-t-il des bombes atomiques ? ‑ Pourquoi les travailleurs font-ils grève ?
- Qui nous trouvera une place à 14 ans ? Le patron pourra-t-il nous renvoyer ?
- Quels sont les droits des parents sur les enfants ?

J'ai participé à ces débats, j'ai dialogué d'une manière authentique, en respectant les opinions de chacun, et je me suis vu contesté, car la parole du maître n'est plus synonyme de vérité à croire inconditionnellement.

Ainsi je me veux fidèle à la riche voie d'humanisme que nous traçait Jean ROSTAND :

Former les esprits sans les conformer,
les enrichir sans les endoctriner, les armer sans les enrôler,
leur communiquer une force dont ils puissent faire leur force,
les séduire au vrai
pour les amener à leur propre vérité,
leur donner le meilleur de soi
sans attendre ce salaire qu'est la ressemblance.

Plus qu'enseignant, je suis UN HOMME qui vit avec les enfants. Comme chacun d'eux je m'exprime librement par l'expression orale, écrite, graphique, picturale, gestuelle et je suis VRAI dans mes réactions: Si je suis heureux, je vis et j'exprime ma joie.

Si je suis mécontent, je vis et j'exprime mon mécontentement. Mais que suis-je dans mes relations avec les enfants ?

Je me veux permissif, libérateur, amical, membre participant de la collectivité, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les enfants.

Mais suis-je véritablement ce maître que je voudrais être ? Seule une analyse objective de la vie de la classe, faite par un observateur, pourrait répondre à cette question. Voici donc quelques images renvoyées par des stagiaires qui ont vécu avec nous ; elles ont la valeur de flashes qui fixent un moment dans un processus en constante mouvance :

Le maître est quelqu'un qui fait prendre conscience au groupe de ses intérêts, qui essaie de les harmoniser pour permettre à chacun de s'exprimer, d'apprendre, et pour faciliter les relations à l'intérieur du groupe, Nous nous sommes trouvés en face de la non-directivité promue au rang d'institution éducative... (2 étudiants en psychologie, janvier 1968).

Il me semble que vous vous efforcez d'être un membre du groupe, à part entière et au même titre que les enfants. Vous demandez la parole comme eux. Vous ne profitez pas de votre position de maître pour inculquer quelque chose... N'êtes-vous pas pour eux malgré tout une figure de l'autorité ? (Etudiant en psychologie, janvier 1968).

Il m'est apparu ici que le maître vivait vraiment l'activité et même vivait vraiment tout simplement Il utilisait les techniques d'expression libre institutionnalisées pour son propre compte...

Dans ses relations avec les enfants, il établit une simple relation, je dirai d'homme à homme. Il ne joue aucunement sur l'affectivité et place les enfants face à leurs responsabilités. (Normalienne, mai 1969).

Le maître en lui-même : il montre aussi bien son plaisir que son mécontentement. Il est très sûr de lui. Il en impose. Il essaie de ne pas s'imposer en tant que « le maître ». Il respecte les enfants en tant qu'individus, Le maître et les enfants forment un groupe dans lequel le maître essaie le plus possible d'avoir la même place que les élèves. C'est difficile : les enfants ont de la peine à le considérer comme leur égal. Ils semblent le craindre, mais ils ont une grande confiance en lui qui leur permet de s'exprimer librement, Il n'existe aucune gêne dans le groupe. Les enfants se disent ce qu'ils ont à se dire sans provoquer de rancunes, Le climat est très cordial, très amical, malgré quelques petits heurts. C'est un climat de confiance, (Deux normaliennes, novembre 1969).

Mais peut-être sera-t-il possible de cerner avec plus de précision l'image du maître et ses relations avec les enfants, dans l'analyse que représente le bref historique d'une expérience qui, partie de la coopérative, tend aujourd'hui à déboucher sur l'autogestion. Cette analyse permettra aussi de mieux connaître ce qu'était le groupe actuel lors de son démarrage le lundi 8 septembre 1959.

HISTORIQUE DE L'EXPÉRIENCE

SEPTEMBRE 1959. A la suite du choc affectif que j'ai subi en visitant l'école Freinet à Vence, pendant les vacances, je me lance avec résolution dans une pédagogie qui m'est totalement inconnue. J'ai acheté, pour m'y aider, deux ouvrages de Freinet : « Les Dits de Mathieu » et « Les Méthodes Naturelles dans la Pédagogie Moderne ».

Fini l'auditorium-criptorium où l'on reste assis toute la journée finies les punitions, finis les classements ;place à la démocratie !

J'apprends alors, à mes dépens, que des enfants habitués à obéir ne peuvent user subitement et avec discernement de la liberté, et je médite les conseils de Freinet aux débutants :

« Ne commettez pas l'erreur d'accorder sentimentalement trop vite et trop brusquement, la liberté à vos élèves.

« Non seulement parce qu'ils n'y sont pas habitués et risquent fort, en conséquence, d'en faire un mauvais usage, mais parce qu'il faut surtout éviter de considérer la liberté comme une sorte d'entité intellectuelle. Or cette liberté n'existe que dans les livres, On est libre de faire quelque chose ou de ne pas le faire.

« C'est dans le travail et la vie que l'enfant doit sentir et posséder la liberté… La liberté ne sera pas au début. Elle sera l'aboutissement de la nouvelle organisation du travail. »

Ayant pris conscience de la difficulté de la mutation que je demande aux enfants de réaliser, j'essaie d'organiser rationnellement avec eux la mise en place d'un travail vivant et motivé. Je m'attache en particulier aux conditions matérielles et aux règles de la vie en commun. Dans des discussions libres, nous abordons tous les problèmes qui se présentent à nous.

Je leur propose d'écrire librement ce qu'ils voient, entendent, pensent, rêvent, et de présenter ces textes à leurs camarades, qui en choisiront un pour être tiré dans le journal. Je les mets en contact avec d'autres enfants par la correspondance interscolaire.

Une à une, les techniques Freinet pénètrent dans la classe, au fil de ma propre information. Au 2e trimestre, après la correspondance, viennent successivement : les fichiers, qui les libèrent de ma tutelle ; le calcul vivant et les ateliers d'expression, qui nous conduisent au travail par équipes.

Nous voici placés devant la nécessité d'organiser la classe sur une base coopérative, avec répartition des responsabilités. Chaque samedi après-midi, une assemblée générale étudie les succès, les échecs, les heurts. Peu à peu les critiques constructives apparaissent et notre loi s'élabore.

A la fin de l'année, nous avons un code de coopérative, que vont respecter ces 35 enfants de Cours Elémentaire 1re année, pour qui la règle a encore un caractère sacré.

Article 1 ‑ CHACUN APPORTE SA PART A L'CEUVRE COMMUNE

‑ textes libres ;
‑ lettres propres et bien illustrées ;
‑ effort pour apprendre le calcul afin de pouvoir aider aux comptes de coopérative ;
‑ participation au rangement.

Article 2 ‑ CHACUN RESPECTE LES TRAVAUX DES AUTRES ET LES OUTILS COLLECTIFS

Article 3 ‑ CHACUN DOIT RESPECTER LES REGLES ETABLIES PAR TOUS:

- 3 en circulation dans les allées au maximum ;
- 1 à la bibliothèque ;
- 1 au bureau du maître ;
- celui qui est dans un atelier ne peut le quitter sans l'accord du responsable ;
- on ne peut ni courir, ni stationner dans le couloir ;
- lorsqu'un camarade parle à voix haute à tous, on se tait et on écoute ;
- au cours d'une discussion, si l'on veut la parole, on la demande au président ; le maître doit respecter aussi la règle ;
- si le silence est nécessaire au travail, le responsable du travail le demande ; sinon, on parle à voix basse (même règle pour le maître) ;
- celui qui fait tort à la coopérative ou ne respecte pas les règles devra une réparation.

Article 4 ‑ LES DROITS

Chacun pourra participer à toutes les activités de la coopérative :
peinture ‑ bibliothèque ‑ journal
ateliers de calcul
correspondance
enquêtes ‑ étude du milieu
Chacun pourra être chef d'équipe, membre du bureau de coopé­rative, président de coopérative,
Chacun pourra écrire ses critiques et ses désirs au journal mural.

*

De cette première expérience je tire un bilan positif, tant sur le plan des acquisitions scolaires figurant à notre programme, que sur celui des relations humaines au sein de la classe, et je décide de recommencer l'année suivante avec d'autres enfants, car l'organisation de l'école ne me permet de garder les mêmes qu'une seule année.

Je prends conscience des difficultés de ma propre mutation. J'ai du mal à respecter les règles de la coopérative, et en particulier la discipline de parole. Je me rends compte que le maître doit être :

- un HOMME accueillant, compréhensif, à l'écoute des enfants

- un TECHNICIEN capable d'apporter un conseil pour toutes les activités et sans cesse désireux de posséder parfaitement les techniques à utiliser ;

- un ORGANISATEUR sachant aider à la mise en place de nouvelles structures, harmoniser travaux collectifs et travaux individuels, et ne pas se disperser dans une coopérative aux multiples activités.

En 1960, je découvre Makarenko, et je propose aux enfants d'instituer un président de jour qui remplacera le président de coopérative élu pour une certaine durée. Cette institution, qui permet à chacun d'être responsable à son tour, est adoptée par tous avec plaisir. Elle fait disparaître les heurts nés du refus de suivre les directives d'un président de coopérative qui tend parfois à devenir un chef plus autoritaire que l'ancien maître.

Durant cinq années de cours élémentaire 1re ou 2e année, je n'assiste jamais à la remise en cause des techniques de travail par les enfants. Cela provient peut-être du fait que, progressant moi-même au fil de mon tâtonnement expérimental en suivant attentivement nos activités et en les confrontant avec celles d'autres classes, je suis conduit à proposer des modifications des techniques existantes et à en instituer de nouvelles. Je réponds sans doute souvent à l'attente des enfants ; mais je ne leur laisse pas le temps d'en prendre conscience et de l'exprimer.

En 1965, je suis nommé dans une cdp qui accueille des déficients intellectuels de 10 à 12 ans, à la suite d'un stage d'un an qui m'a permis de faire le point après ces quelques années de tâtonnement, de lire beaucoup, d'étudier de près de nouvelles expériences pédagogiques et de découvrir Rogers et la non-directivité.

Je redémarre cependant avec les mêmes techniques qu'au C.E., techniques alors pour la plupart officialisées et que j'estime propres à permettre l'épanouissement d'enfants inadaptés. Mais dès le départ je propose le conseil de classe quotidien animé par le président de jour, au cours duquel on fait le bilan de la journée et on prévoit le plan de travail du lendemain. Ici, la dimension « temps » nous est favorable : les enfants resteront de 2 à 4 ans dans la classe.

Les deux premières années, on voit les enfants prendre progressivement en main, avec mon aide, la gestion des activités et des institutions.

En 1967-68, je décide de me retirer quasi totalement du groupe et de ne répondre qu'à la demande. Les techniques, remises en cause, évoluent (voir chapitre Evolution des Techniques), mais les enfants ont maintenant entre 13 et 14 ans, et certains sont perturbés par leur entrée dans la période pubertaire. Des agressivités se manifestent. Mon attitude ne constitue plus une barrière pour deux enfants caractériels dont l'instabilité augmente. Les heurts physiques deviennent fréquents.

Dans de telles conditions, les enfants peuvent difficilement prendre des décisions et les appliquer. Plusieurs projets de sorties ne peuvent aboutir à cause de l'opposition systématique de Martine, qui est une déviante (voir chap. La déviance).

Je me décide alors à reprendre ma place de maître-participant. Je neutralise les éléments perturbateurs et, ce faisant, je rétablis une autorité que je voulais faire totalement disparaître. Mais je n'interviens que pour demander l'application des règles que le groupe s'est données.

La vie coopérative retrouve peu à peu son rythme, et au 3e trimestre le conseil de coopérative fonctionne à nouveau sans mon aide (ci-dessous compte rendu du conseil du 10 mai). En mai, la révolte des étudiants contribue à la maturation des membres du groupe, qui discutent chaque jour des événements et prennent conscience qu'ils ont pouvoir de se gérer.

CONSEIL DE COOPERATIVE DU VENDREDI 10 MAI 1968

Président : DOMINIQUE ‑ Compte rendu : DOMINIQUE et PHILIPPE.

Quand nous avons commencé le conseil, nous avons parlé de la semaine de travail. Le président a donné une feuille à chacun pour qu'il marque ce que nous ferons la semaine prochaine. La secrétaire ANNIE inscrit ensuite toutes les propositions au tableau, et nous avons décidé :

LUNDI

MARDI

MERCREDI

VENDREDI

SAMEDI

Lecture ‑ Disc

Lecture ‑ Disc.

Lecture ‑ Disc.

Lecture ‑ Disc.

Lecture ‑ Disc.

Grammaire

Texte libre

Travail indiv.

Texte libre

A programmer

au

Conseil

de

vendredi

Nos comptes

Calcul indiv.

Texte chiffré

Educ. Phys. et saute‑mouton

Chant

Chant

Chant

Calcul indiv.

       

Ed. phys.: atel.

de sport, indiv.

Foot‑ball

Cimetière :porter des fleurs sur la tombe de notre camarade Annick

Conseil de coopérative

Code de la Rte

Code de la Rte

Travail indiv

Travail indiv.

Travail indiv.

Ateliers

Ateliers

Conseil

Conseil

 

Conseil

Le Plan de travail décidé est présenté à Monsieur Le Gal. Il accepte la part qu'on lui demande.

*

EXAMEN DU JOURNAL MURAL

Gérard, le responsable, lit les critiques.

- Patrick a critiqué Gérard qui s'est battu avec un garçon de Fin d'Etudes,

Gérard dit que Patrick est un menteur.

M. Le Gal dit que c'est le garçon de F.É. qui a commencé.

Nous avons décidé que : « Celui qui se battrait serait exclu de nos activités pendant un jour, si c'est lui qui attaque. »

- Patrick est félicité par Martine, parce qu'il a apporté des graines pour le jardin de la coopérative.

Ces trois années de recherche m'amènent à cerner une partie du problème posé par l'évolution du groupe enfants-maître vers l'autogestion, autour de quatre points que nous retrouvons tant pour les activités que pour les institutions de la collectivité. (Analyse publiée dans Cahiers Pédagogiques n°81 : La Relation maître-élèves : Qu'est-ce qu'une classe autogérée ?)

1.       Proposer
2.       Discuter
3.       Décider
4.       Appliquer.

I. PROPOSER

QUI propose des activités ou des institutions ?
-          le maître (structure directive)
-          les élèves ? (structure non-directive)
-          le maître et les élèves ? (structure démocratique avec le maître participant).
COMMENT ? oralement ? par écrit ? (journal mural, cahier spécial de propositions, etc.)
QUAND ? au moment du conseil ? ‑ à tout moment ?

II. DISCUTER

QUI discute ? les élèves seuls ? le maître et les élèves 
QUAND ?
-          chaque jour ?
-          chaque semaine ?
-          à quel moment de la journée (le matin ou le soir) ?
-          à quel moment de la semaine ?
COMMENT ?
-          Quelle sera la structure de la réunion ?
-          Qui présidera ? le maître ? un élève ?
-          Qui choisira le président (et comment) ?
-          Quel sera le rôle du maître ? participant au même titre que chaque élève ? non participant ? animateur ? président ?

III. DECIDER

QUI ?
-          le maître ? (structure directive et autoritaire)
-          les enfants seuls ? (structure non-directive)
-          le groupe enfants-maître ? (structure démocratique avec le maître comme membre du groupe coopératif).
COMMENT ?
-          par vote ?
-          à l'unanimité ? à la majorité (laquelle) ? à mains levées ? à bulletin secret ?

IV. APPLIQUER

QUI ?
-          le maître ?
-          les enfants seuls ?
-          le président du jour ?
-          un responsable d'activité ?
COMMENT ?
-          Sanctions pour ceux qui ne respectent pas les décisions ? punitions ? Réparations ?
-          Récompenses ?
-          Ni punitions ni récompenses ?
-          Qui prend les décisions de sanctions éventuelles ? le maître ? le président ? le conseil ?

Les heurts entre les enfants, ainsi que les événements de mai 1968 m'ont permis de mesurer combien l'amitié est nécessaire pour que les hommes puissent agir et construire ensemble. Sans elle, aucune autogestion n'est possible. Elle naît de l'action en commun et elle la conditionne.

D'autre part, l'analyse des difficultés d'expression de quelques enfants me fait prendre conscience que le problème de l'écoute du groupe est fondamental. Il n'y aura expression profonde de soi que si chacun trouve des auditeurs permissifs, attentifs, compréhensifs, qui écoutent et acceptent de répondre.

Je fais mienne l'idée de Carl Rogers, que « l'obstacle majeur aux communications entre personnes, c'est notre tendance très naturelle à juger, évaluer, approuver ou désapprouver les dires de l'autre personne ou de l'autre groupe » (« Liberté et Relations humaines », d'A. de Peretti).

Faire naître l'amitié en proposant aux enfants des activités qui les amènent à oeuvrer ensemble... et libérer l'expression par un climat d'écoute et de compréhension sont les deux buts premiers que je me fixe.

Dès le premier jour, j'institue un nouveau lieu de rencontre le BUREAU, devenu table-exposition au milieu de la classe, et autour duquel nous nous regroupons sur des tabourets. Ce coude à coude me paraît plus propice à la circulation du langage que notre formation de pupitres en U.

Effectivement, c'est à cet endroit qu'au fil des jours nous apprenons à nous parler, à nous dire, à nous donner un beau poème découvert dans un recueil, un texte libre, une découverte, une invention, un bouquet de fleurs, ou simplement un sourire.

Je lis moi aussi mes textes et je découvre que l'on peut avoir la gorge nouée lorsqu'on essaie de communiquer aux autres l'émotion que l'on ressent. Je me mets à créer des chansons.

L'entretien du matin devient un moment privilégié, un moment de joie et de plénitude libératrices, pas seulement pour les enfants, mais aussi pour tous les adultes vivant en classe.

« Au fur et à mesure du stage, il me semblait que je me libérais et m'ouvrais à toutes sortes de choses que je croyais avoir oubliées, telle la poésie faite de sentiments simples, que l'on éprouve, enfant, quand il fait beau, que la nature s'offre à vous. » (Une normalienne).

Voici quelques-uns de ces textes libres, dont la motivation n'est plus le journal, mais le don aux autres ;

J'aime la Loire,
le soir,
lorsque ses eaux roulent
Roulent
et s'enroulent.
J'aime la Loire
lorsque lentement
ses flots calmes
elle descend
vers l'immense Océan
J'aime la Loire
et ses plages ombragées
où il fait bon
se parler
et rêver.
J'aime la Loire
lorsque s'y reflètent
la lune brillante
et les lumières de Nantes.
J'aime la Loire.

Jean LE GAL

 

La Route mène au bonheur
Le chemin arrive à la paix..
Petit oiseau
va toujours dans son arbre ;
un pays pleure
un autre rit.
Poème,
on l'écoute toujours
car un poème
est toujours beau.

RENEE

 

 

J'aime la vie, Elle est belle. J'aime les camarades qui sont polis et gentils.
Ma maman, parfois, n'est pas gentille avec moi. Elle a une raison mais je ne la connais pas.
Certains garçons ne pensent qu'à taper et à embêter les autres.
Peut-être un jour aimeront-ils les autres.
Ce jour-là, ils seront des hommes.

PATRICK

 

 

 

 

 

Des cheveux doux à caresser,
Des yeux faits pour consoler,
Une bouche qui dit le mot aimer :
C'est ton portrait,
Amitié !

GENEVIEVE (stagiaire)

 

Toi,
Toi qui as une tête ronde, des yeux, un nez,
deux oreilles et une bouche,
Toi,
Toi qui penses à la vie, au monde,
à ce que tu dis,
Toi,
Toi qui as une bouche pour parler,
Crier, rire et dire l'amitié,
Toi,
Toi qui as un nez
pour sentir la pauvreté,
Toi,
Toi qui as deux yeux pour regarder,
pour voir et pleurer,
Toi,
Toi qui as la vie triste, tu travailles,
Tu as un patron, tu le bouscules, tu dis pardon,
Toi,
Toi qui es célibataire,
tu travailles seul sur la terr
e
Toi,

Toi qui as une femme, des enfants,
Tu travailles pour les nourrir, tout le temps.
Toi,
Toi qui as ta famille loin,
loin, très loin,
Toi,
Toi qui voudrais aller auprès d'eux,
tu sais penser, ça se voit,
ça se voit dans tes yeux.
Toi,
Toi qui te mets à genoux
devant le ciel pour prier,
Toi,
Toi qui penses au bonheur,
Toi qui penses à l'amitié,
Toi,

ANITA

Outre l'entretien du matin, je propose toutes les activités permettant la liberté d'expression et la relation humaine :
-          expression libre écrite, graphique, picturale, gestuelle, chantée ;
-          correspondance interscolaire ‑ journal ‑ rencontres d'enfants étude du milieu ;
-          activités manuelles ;
-          activités physiques.

Je propose aussi :

UN MODELE D'ORGANISATION:
-          coopérative avec président de jour ;
-          journal mural pour les critiques, les félicitations, les propositions ;
-          conseil de classe chaque soir, pour faire le bilan des activités de la journée et programmer celles du lendemain ;
-          conseil de coopérative le samedi, pour :
faire le bilan général de la semaine
prévoir les perspectives pour la semaine suivante
discuter des problèmes relationnels et des institutions.

DES REGLES DE VIE FONDEES SUR LE RESPECT :
-          respect des outils collectifs ;
-          respect des camarades : pas de brutalités, pas d'injures ni de moqueries ;
-          respect du travail des camarades pendant l'activité et respect des travaux réalisés ;
-          respect du calme de la classe : chacun parle à voix basse durant les activités individuelles ; chacun se déplace silencieusement.

Durant la 1re semaine, nous vivons ces propositions acceptées par tous. Plusieurs enfants ont des troubles du comportement ; j'interviens lorsque le président du jour ne suffit pas pour les amener à inhiber leur agressivité.

Au premier conseil du samedi, je demande que chacun écrive sur une feuille : CE QUE J'AIMERAIS FAIRE DANS LA CLASSE. J'affiche au mur toutes les propositions, afin que les enfants puissent s'y référer pour établir leur plan de travail. Ils reprennent d'ailleurs la structure de l'année précédente, qui leur est proposée par un ancien.

Durant toute l'année au cours des conseils j'aide le groupe à réfléchir sur lui-même et sur ses institutions. En Philips 66, nous étudions :
-          Qu'est-ce que le maître ?
-          Qu'est-ce que le président de jour ? (v. chap. Evolution des Techniques)
-          Pourquoi un journal ?
-          Pourquoi lire les textes libres,

Je demande, avant que les perspectives soient établies pour la semaine suivante, que chacun fasse le bilan de ses travaux commencés et qu'ensemble nous fassions le bilan des travaux collectifs en cours. A plusieurs reprises nous nous demandons : « Que voulons-nous faire ? »

Peu à peu le groupe s'affirme et prend conscience de ses responsabilités. Il décide en particulier que seul le Conseil aura pouvoir de décision et que le président de jour sera chargé de l'application s'il est défaillant, le maître fera appel au suivant.

Bien entendu, des heurts ont encore lieu, et un Code de coopérative prévoyant des réparations se constitue :

PAROLE Voix haute : Code Discussion. Pour un travail collectif, un seul parle à la fois. Le président

donne la parole.

DEPLACEMENT:

a) Je peux me déplacer en travail individuel pour aller chercher un outil, demander un renseignement, aller me laver les mains ;

b) Je ne peux pas me déplacer en travail collectif.

On se déplace sur la pointe des pieds. On ne se promène pas.

TRAVAIL NON EFFECTUE
ARRIVEE EN RETARD SANS
MOTIF
IMPOLITESSE
OUTIL CASSE PAR NEGLIGENCE
MOQUERIES ‑ BRUTALITES
INJURES ‑ GROSSIERETE

REPARATION

1.Mise au silence après un rappel

2.Exclusion des ateliers.

 

 

1.Demande de s'asseoir

2.Travail utile à tous

 

Rattrapage pendant les ateliers ou après la classe

Aller s'excuser

Remplacement de l'outil

a)Avertissement et excuses
b) Exclusion des activités pour une journée.

COMMENT EST LA CLASSE A LA FIN DE L'ANNEE ?

« Un milieu plein de stimulation, où l'on se sent au chaud, chez soi. »‑ (Etudiant en psycho.) ;

Avec une atmosphère qui étonne : « Ce qui me frappa lorsque je suis arrivée dans ta classe, c'est le calme qui y régnait. J'ai trouvé les enfants à leur place; en travail individuel tout se passait bien, chacun travaillait à son rythme, décontracté, paisible. » (Stagiaire CAEI).

Les deux buts fixés au départ :                        faire naître l'amitié

                                                                     libérer l'expression

sont atteints, et les enfants ont appris à vivre ensemble, à travailler ensemble, à gérer ensemble leur vie et leurs activités.

Onze d'entre eux vont revivre une nouvelle année dans la classe. Cette fois je me mettrai momentanément hors du groupe afin de les obliger à se prendre tout de suite en mains. Ainsi nous éviterons la passivité et chacun sera tenu d'être un créateur.

2 - ANALYSE DE L'EXPERIENCE

Dans un groupe qui agit, les institutions et les activités sont en étroite relation. Il est difficile de les dissocier. Mais, pour l'analyse de leur naissance et de leur évolution, je me vois contraint de faire un choix. J'étudierai d'abord les institutions, après avoir, dans un premier temps, décrit les premiers jours de classe.

LES PREMIERS JOURS

LUNDI 8 SEPTEMBRE

Ma voiture s'arrête près du portail de l'école. Quatre anciens sont là qui attendent : on se retrouve comme si on ne s'était pas quittés. Ils sont impatients de revoir notre maison commune. Ils rassemblent leurs camarades et rentrent seuls, car la maman d'une ancienne élève, soucieuse de l'avenir problématique de sa fille, me retient.

Lorsque, au bout de trente minutes, je les rejoins, je trouve les onze anciens assis à leurs pupitres habituels et discutant avec animation. Par contre, les quatre nouvelles sont demeurées debout dans un coin et se taisent. Je les invite à s'asseoir aux pupitres inoccupés et je m'installe moi-même sur une chaise, car je n'ai plus de bureau. Les pupitres sont demeurés en U depuis notre départ en juin ; les murs sont décorés de nos peintures et, sur les panneaux, les lettres de nos correspondants nous rappellent des joies anciennes.

Je ne dis rien. Brusquement le silence se crée. Il dure deux, trois minutes... Christian lève la main et me regarde. Je ne dis toujours rien... Il prend alors la parole pour demander pourquoi toute l'école est maintenant géminée.

Le groupe se tourne vers moi, qui suis seul à détenir la réponse. Je la donne, puis je me tais. Le silence réapparaît et dure. Je me retire alors à l'atelier-journal, afin de libérer les enfants qui attendent que je prenne l'initiative. Christian reprend la parole : « Il faudrait un président… Il n'y a qu'à reprendre la liste des noms. » (Christian propose là une structure de l'année précédente).

ALAIN : « Oui, mais il y a des nouveaux ! »

JACKY : « Qui veut être président ? Levez la main ! » (Jacky F. est le leader naturel des garçons, et il prend ici l'initiative).

Fabien est élu ; or il est capable d'assumer l'animation du groupe. Aussi Jacky lui conseille aussitôt : « Et fais respecter le calme ! » Fabien prend ses fonctions suivant le rituel des conseils de l'an passé.

FABIEN : Qui a quelque chose à dire ?
JACKY P. : Et pourquoi on ferait pas le jardin cet après-midi ?
JEANNICK : On est le matin !
CHRISTIAN : On pourrait cueillir quelques fleurs pour la classe, pour décorer.
PATRICK C. : Il faut faire les groupes pour le jardin.
JACKY P. : On pourrait faire après un peu de foot pour s'exercer !
CHRISTIAN : Je propose qu'on fasse jardin ce matin.
PRESIDENT : Qui vote pour ?
JOSEE : Avant de faire jardin on pourrait faire sport.
CHRISTIAN : Je propose d'entraîner deux filles. Josée et Jeannette, pour remplacer les deux garçons qui sont partis.
JOSEE : C'est à moi de décider si je joue ou pas.
(Rires nerveux dans le groupe).
PRESIDENT: Qui veut jouer au foot cet après-midi ?
(Jacky va au tableau et écrit : Après-midi, foot-ball).
CHRISTIAN : Après le foot on pourrait faire jardin ; il faudrait apporter des vieux pantalons, (Rires et bavardages).
PRESIDENT : Taisez-vous ! Coupez le courant !
(attitude de relaxation en position assise).
(Manifestations d'opposition et rires des nouvelles ; le calme revient peu à peu).
MARCEL : Mais après le jardin qu'est-ce qu'on fait ?
PRESIDENT : Coupez le courant puisque tout le monde parle.
(Personne n'obéit à cette injonction. La cloche sonne. Je rentre dans le groupe).
JLG : Je suis de service. Les maîtres se réunissent en conseil pour discuter des classes mixtes. NOUS DEVONS TOUS SORTIR. Vous n'avez rien décidé. En rentrant vous verrez ensemble ce que vous pouvez faire.
(La rentrée se fait en désordre. Je m'installe dans un coin de la salle et j'écris. Il y a beaucoup de bruit ; le président est incapable de ramener l'ordre. On chante, on crie. Puis la discussion reprend) :
CHRISTIAN : Il vaudrait mieux arrêter le foot. On en a assez du foot !!
JEANNICK : Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
CHRISTIAN : On pourrait se mettre d'autres habits et faire le jardin... Ils ne respectent pas le président !...
(On me regarde. Je demande la parole).
JLG : Je ne prendrai pas de décision à votre place. C'est à vous de savoir ce que vous voulez faire et de décider.
JACKY P. : Quand les coings vont être mûrs, on fera la confiture.
JACKY F. : Si vous ne marquez rien au tableau, ça veut rien dire. Les paroles, ça part...
JACKY P. (à Fabien) : Il faut que tu désignes quelqu'un pour écrire au tableau. (Jacky P. est choisi par Fabien). ALAIN : On fait des groupes pour le jardin ?
SECRETAIRE: Qui veut aller au jardin ?
(Il écrit : Sous le cognassier, Alain, Chapeau, Christian ; il fait voter pour désigner le 4e. Marcel est choisi et décide : « Il n'en faut que quatre ». Le secrétaire est alors pris a partie par les anciens, parce qu'il remplace le président et est renvoyé à sa place).
ALAIN. : Les filles causent même pas; elles s'amusent !
CHRISTIAN : Il faudrait aller voir s'il y a de l'herbe dans les fleurs.
PRESIDENT : Taisez-vous, Jeannette et Jeannick !!... Personne ne veut obéir au président !
MARCEL : Et les autres, que vont-ils faire ?
JOSEE : Faire dessin, nettoyer les bahuts.
(La cloche sonne. On sort en désordre). (A 13h45, lors de la rentrée) :
JLG : Vous n'avez pris aucune décision ce matin (Je vais m'asseoir hors du groupe).
ALAIN : On ne devrait pas être quatre au cognassier ! Que feront les autres ? Un dessin pour décorer la classe ?
CHRISTIAN : Les filles époussettent les bahuts pendant que nous sommes au jardin.
PATRICK C. : On fait visiter la classe aux quatre nouvelles.
(Cette proposition n'est pas reprise par le président).
JEANNETTE : Il faudrait prévoir aussi ce qu'on fait demain.
MARCEL : Au Conseil.
JEANNICK : Quand aurons-nous nos affaires ?
(Jacky F. va chercher le ballon).
JOSEE : Les propositions sont finies.
CHRISTIAN : Le secrétaire doit aller à sa place.
JEANNICK : Jacky P. dit tout au président !
JACKY P. : Il est dans la lune.
JEANNICK : Il n'y a qu'à changer de président !
(Le groupe hésite à aller en foot-ball).
PRESIDENT (après hésitation) : Allez sur le plateau !

PROPOSITIONS

Plusieurs propositions sont faites, en particulier par Christian, mais le président ne les reprend pas pour les faire discuter, afin qu'elles aboutissent à des décisions. Il est incapable d'éviter l'agitation.

 

 

 

 

C'est Jacky qui prend l'initiative. C'est un leader personne ne proteste.

 

 

Personne n'obéit au président. C'est le désordre complet.

 

Mon intervention est motivée par l'institution externe qui interdit aux enfants de rester en classe sans la présence du maître.

Je refuse tout pouvoir de décision au niveau du choix des activités.

 

Jacky fait ici une excellente analyse qui aboutit à la désignation d'un secrétaire chargé d'écrire les propositions au tableau.

 

Le secrétaire destitue le président, dirige les débats, prend des décisions. Mais le groupe prend conscience de l'usurpation et le renvoie à sa place. Nous retrouverons ce phénomène à plusieurs reprises.

 

 

 

Je note cet essai d'intégration des 4 nouvelles, qui demeurent silencieuses depuis ce matin.

 

Le conseil semble se réinstituer.

 

Jeannick pose le problème du remplacement d'un président incapable. Mais le groupe ne la suit pas.

Personne ne m'ayant demandé de jouer, j'assiste en spectateur au jeu, qui est assez brutal. Lorsque, après 45 minutes, une des filles reçoit le ballon dans la figure, après un shoot volontaire, je stoppe le match. Je suis intervenu ici au niveau du pouvoir exécutif, pour suppléer à la carence du président de jour, qui laisse les agressivités se défouler au détriment des plus faibles. Les enfants rentrent alors et spontanément discutent des brutalités.

La sortie et la rentrée de récréation se font dans le même désordre. Le président de jour abandonne son rôle. Le leader Jacky F. reprend alors le pouvoir : « On pourrait faire le jardin et ranger la classe ?. Les garçons font le jardin et les filles la classe. »

Proposition acceptée sans discussion. Chacun se met au travail. Catherine va au jardin avec les garçons. Je participe au rangement. Dès que la cloche sonne, chacun reprend rapidement son cartable et disparaît.

MARDI 9 SEPTEMBRE

8h45. Les enfants attendent sous le préau lorsque la cloche sonne. Je ne dis rien. Après 3 minutes d'attente, ils se décident à entrer et s'installent en silence à leur place.

Je prends la parole : « Jeannette avait proposé hier de prévoir les activités d'aujourd'hui. Marcel avait demandé que cela soit fait au conseil, mais on n'a rien décidé ! » Et je me retire du groupe.

Jeannette prend le pouvoir immédiatement et avec fermeté : « Qui veut être président ? » Plusieurs mains se lèvent. Elle fait voter et décide : « Jacky F. est élu président ». Cette fois, c'est le plus ancien et le leader de la classe qui est choisi. Les enfants paraissent avoir pris conscience de l'échec de la veille.

Et Jeannette se retire, avec un sourire satisfait.

PRESIDENT : Qui a quelque chose à dire ?
(Silence).
PATRICK C. : Il faudra finir le jardin.
PRESIDENT : Il faut quelqu'un pour écrire au tableau.
(Des mains se lèvent).
PRESIDENT : Ce sera Marcel... Qui veut finir le jardin ?
PATRICK C. : Ceux qui ont fait hier.
PRESIDENT : Ceux qui ont été hier vont faire le jardin.
JACKY P : Les fèves (fournitures), il faudrait les distribuer.
CHRISTIAN : On demande aux filles ce qu'elles veulent faire. Que voulez-vous faire ?
PRESIDENT : Voulez-vous faire un dessin pour décorer la classe ?
JEANNETTE : Catherine ne veut plus être au jardin.
PATRICK : Que vont-elles faire, les filles ?
CHRISTIAN : Dans quels ateliers ont-elles travaillé hier ?
PATRICK : Elles ont nettoyé et décoré.
(Quelques filles sont d'accord pour dessiner).
PRESIDENT : Les filles iront en dessin.
CATHERINE : Que fait-on maintenant ?
PRESIDENT : On ne décide pas pour maintenant, on décide pour tantôt : que fait-on tantôt ? Rien ? ‑ On va rester comme ça à rien faire ?
ALAIN : On n'a qu'à ranger les casiers.
CHRISTIAN : Ranger les caisses.
(Quelques-uns se mettent à ranger les casiers).
JEANNETTE (au président) : Ils sont en train de ranger les casiers,
PRESIDENT : C'est tantôt, c'est pas ce matin
CHRISTIAN : J'ai une idée... acheter une éponge !
JACKY P. : Et qu'est-ce qu'on fait comme sport ?
JEANNETTE : On peut faire passe à dix, ou balle au camp.
ALAIN : Epervier.
PRESIDENT : D'autres ? Moi, course.
(Une longue discussion s'ensuit. Le président fait voter à mains levées : ce sera balle au camp).
PATRICK C. : J'ai apporté des radios, Je peux montrer ?
(Il les montre ; il explique. Je participe en répondant aux questions ; je présente la colonne vertébrale, les hanches, les malformations. Discussion intéressante. A un moment, Christian a la parole. Il parle, parle...)
PRESIDENT : Tu n'as plus la parole !
CHRISTIAN : Tu me l'as donnée !
PRESIDENT : Ah ! oui !
JEANNETTE : Il faudrait maintenant continuer la journée.
(Jacky P., sans demander la parole, raconte une histoire drôle qui fait rire. Catherine s'énerve, parle fort).
PRESIDENT : On ne parle plus de ça.
CHRISTIAN : On ne va pas faire que ça !
(Jacky P., sans demander la parole, reprend son histoire et provoque une nouvelle perturbation).
FABIEN : Il faudrait faire discussion et lecture, comme l'année dernière.
CHRISTIAN : Il faudrait mettre le réveil à l'heure !
(Je fais le bilan des propositions et je constate que beaucoup n'ont pas été entendues. J'interviens) :
JLG : Comment faire pour que les propositions ne soient pas perdues ?
CHRISTIAN : Marquer les propositions derrière un tableau, ou bien le président prend un secrétaire qui écrit les propositions sur une feuille.
JOSEE: Pendant la journée y en a qui écrivent des propositions, et au conseil on regarde.

 

 

L'institution du secrétaire choisi par le président se consolide. Le président décide sans demander l'avis du groupe.

Les garçons essaient de prendre en main les filles, qui, à part Jeannette, demeurent passives.

 

 

 

Le président essaie de stimuler le groupe passif qui ne fait aucune proposition.

 

 

 

 

 

J'interviens au titre de membre participant. Je réponds à la demande verbalisée du groupe.

Le président semble fatigué.

Jacky P. a besoin d'attirer l'attention du groupe sur lui.

 

 

Le président ne renvoie pas la proposition de Fabien. Le président met le réveil à l'heure.

 

J'interviens en observateur qui renvoie au groupe son image, mais ma question dépasse ce rôle. Elle a pour but d'aider le groupe à s'organiser.

L'arrivée d'une personne étrangère à la classe vient provoquer une rupture dans l'équilibre qui s'était établi. Ma présence sécurise les enfants, même si je participe peu. Dès que je suis occupé, quelques enfants se perturbent.

Après quelques minutes d'essais infructueux pour poursuivre la discussion, le président met tout le groupe au silence. Il donne fermement sa directive et obtient le calme ; mais dès que la cloche sonne la récréation, les enfants se précipitent.

Je décide alors d'intervenir dès la rentrée en classe, car avec ce désordre et les cris qui l'accompagnent, nous dérangeons la classe enfantine voisine.

JLG : Tout à l'heure, la sortie s'est passée dans le bruit. J'ai entendu des bousculades et des cris dans le couloir, Lorsque la cloche a sonné, vous vous êtes tous précipités en vous bousculant, alors que les autres classes se mettaient en rang calmement.
PRÉSIDENT : Il faudrait faire une règle de sortie. Qui a des propositions ?
JLG : Comment pourrait-on faire pour les propositions ?
CHRISTIAN : On les écrit au tableau.
JOSEE : On cherche les propositions par groupe, puis on les présente et on discute. (C'est la technique du Philips 66, que nous avons utilisée déjà l'an passé).
PRESIDENT : Qui veut faire ainsi ?
(Le groupe est d'accord. Le président me propose d'être l'animateur. J'accepte et je pose une première question) :
JLG : Comment voulez-vous sortir ? Dans dix minutes, un rapporteur donnera les propositions et dira pourquoi il les fait.

*

RAPPORT

Gr. 4 : rapporteur Christian ; 3 garons (anciens)
« Les filles entrent d'abord et les garçons ensuite en groupe. Le président fait entrer les filles, puis ensuite les garçons. »

Gr. 3: rapporteur Catherine ; 4 filles (nouvelles) :
« Les filles se mettent deux par deux, Il ne faut pas se bousculer dans l'allée et le couloir. Il ne faut pas crier, parce que cela dérange toutes les autres classes. Il faut obéir à M. Le Gal. Le soir il faut bien se ranger pour traverser la cour des garçons. »
JOSEE trouve que ça perd du temps d'écrire les propositions au tableau.
JLG : Comment pourrions-nous faire pour nous rappeler sans écrire au tableau ?
JOSÉE : Vous écrivez vous sur le papier, puis vous les dites une par une.
JLG : Tu proposes que je fasse le secrétaire ?
PRÊSIDÉNT : Qui est d'accord ? (Unanimité).

Gr. 2 : rapporteur Jeannick ; 4 filles (anciennes) :
«  Nous proposons de sortir en deux groupes, les garçons devant et les filles derrière, Celui qui n'applique pas sera privé d'atelier. »

Gr. 1 : 4 garçons (anciens) :
« Nous proposons de sortir en groupe, parce que nous voulons montrer l'exemple aux nouveaux, Celui qui n'appliquera pas la règle de sortie aura une réparation, le conseil décidera de cette réparation. Le président doit conduire jusqu'à la route, et M. Le Gal devra nous faire sortir. »

Je relis toutes les propositions et les résume.

*

JLG : Maintenant il faut choisir.
JEANNETTE : Le président doit faire sortir.
JOSEE : Amener les filles d'abord, puis les garçons après, ça fait perdre du temps.
ALAIN : Faisons comme avant: M. Le Gal prend les garçons, et Mme D. les filles.
JOSEE : On n'a plus le droit d'aller dans la cour des filles.
JEANNICK : C'est les petits qui vont dans la cour des filles.
JEANNETTE : C'est le maître qui est responsable de la sortie.
JLG : Il n'y a plus de cour des filles ni de cour des garçons, Il y a deux cours mixtes : une de petits, une de grands.
JOSEE : On sort et on rentre tous ensemble, les garçons devant, les filles derrière en deux groupes. Il faut demander si on est d'accord.
PRESIDENT : Qui est d'accord ? (Unanimité).
JLG : Pour nous rappeler la règle, que pourrions-nous faire ?
PATRICK C. : On prend une grande feuille et on marque dessus.
CHRISTIAN : On la met dans le couloir.
JOSEE : On la met dans le couloir, et en classe on met les propositions.

J'écris notre première règle sur une feuille que j'affiche dans le couloir : « On sort et on rentre tous ensemble, les garçons devant, les filles derrière, en deux groupes, C'est le président qui diirige la sortie,

*

A 13h45, dès le coup de cloche, les enfants se rassemblent en deux groupes. Le président hésite. Je lui rappelle : « C'est toi qui fais entrer ! » Les enfants entrent, vont s'asseoir.

Reprenant une habitude que le groupe 68-69 avait instituée Josée distribue un gâteau à chacun. Le président propose d'aller voir le terrain de sport ; je précise que nous n'avons le terrain que jusqu'à 14h30. Personne ne m'ayant invité à participer à la partie de balle au camp, je demeure spectateur.

En rentrant, le président réclame une discussion sur le sport.

JOSEE : Catherine ne veut pas passer la balle à Monique.
FABIEN :  Jeannick se laisse faire.

PRESIDENT : Qu'est-ce qui a bien marché ?
FABIEN : La balle au camp.
JOSEE : La mise en groupe.
PRESIDENT : Qu'est-ce qui a mal marché ?
PLUSIEURS : L'épervier.
JOSEE : Catherine elle parle, mais elle ne demande pas la parole.
PATRICK C. : Peut-être que dans la classe de Mme D. ce ne sont pas les mêmes règles ?
PRESIDENT : Ceux qui étaient au jardin, allez au jardin ; les autres à la peinture.

Les candidats au dessin sont à l'atelier-peinture, mais il n'y a plus de peinture dans les pots. Que faire ? on se tourne vers moi :

JLG : Il faut refaire la peinture, et pour commencer gratter les pots.

(Cette activité ne passionne guère les enfants, qui abandonnent après avoir essayé 10 minutes. Je leur rappelle qu'ils se sont engagés à préparer l'atelier. Ils reprennent sans enthousiasme.)

Je vais au jardin ; le travail y est peu actif. Je reviens en classe après 20 minutes ; la table est couverte de peinture, les blouses aussi. J'arrête l'activité et nous allons en récréation. Fatigué, le président ne réagit plus.

En rentrant, je suis pris dans la classe d'à côté ; je demande aux enfants s'ils veulent faire une activité calme. Ils acceptent et proposent dessin et lecture. Je reviens au bout de 25 minutes : c'est le calme total. Personne n'intervient pour changer d'activité ; elle se poursuit jusqu'à la sortie. Les enfants OUBLIENT le conseil qu'ils avaient prévu. Le président organise.

La sortie, elle, se passe dans l'ordre. Le groupe m'attend au portail.

MERCREDI 10 SEPTEMBRE

Le même rituel est repris pour le choix du président de jour. Les activités jardin et peinture sont proposées à nouveau. Josée s'insurge parce qu' « on ne travaille pas » ; elle voudrait que l'on fasse du calcul et du français. Sa proposition n'est pas reprise, car le président est débordé par ses camarades.

Finalement, ils procèdent au rangement des fournitures, puis organisent un match de football que je stoppe à nouveau parce qu'une des petites nouvelles a reçu le ballon dans la figure. J'explique le pourquoi de mon intervention et je demande que chacun s'efforce de respecter les autres.

A 14 heures, je repose le problème de la sortie, la règle élaborée le mardi n'étant plus respectée. Jacky F., très énervé, perturbe la discussion, à laquelle seuls quelques enfants participent, tandis que les autres dorment ou bavardent.

Le groupe adopte une proposition de Josée : ceux qui ne respectent pas la règle de sortie devront une réparation.

Aucune activité collective n'ayant été proposée, chaque enfant peu à peu se met à lire ou à dessiner.

A 16h30, deux enfants ne respectent plus le calme ; le groupe décide de leur demander une réparation et établit une nouvelle règle : celui qui dérange les autres ou empêche la discussion aura une réparation.

VENDREDI 12 SEPTEMBRE

Le même rituel décide du choix du président et des activités. Le groupe me demande si je veux bien distribuer les fournitures. J'accepte, en posant mes conditions : « C'est à vous de me dire les cahiers dont vous avez besoin. »

Une liste fantaisiste m'est proposée ;je la refuse : « Je refuse, parce que le secrétaire a mis au tableau la liste de tous les cahiers demandés. Si quelqu'un dit « cahier de dessin », il faudrait l'avis de tous. »

Le président demande alors le pourquoi de chaque proposition, mais il est gêné par deux perturbateurs : Jacky F., qui accepte mal de n'être qu'un simple participant, et Alain son voisin. Le président n'ose pas intervenir. Je rappelle alors au groupe sa décision du mercredi : Celui qui dérange les autres ou empêche la discussion aura une réparation.

Aussitôt Jeannette propose qu'Alain range la bibliothèque, et Jacky le bahut qui contient les fournitures. La proposition est adoptée, y compris par les deux intéressés. Je demande alors : « Qui fera appliquer la décision ? » Christian répond : « Le maître ! » Je refuse, et c'est finalement au président que revient cette tâche.

Le calme étant revenu, la circulation du langage est excellente et des décisions d'attribution de responsabilités sont prises sans que j'intervienne :Marcel distribuera les cahiers et les vérifiera ; Alain vérifiera les crayons chaque soir.

Le groupe m'attribue aussi une part du travail, après avoir demandé mon accord : le maître contrôlera la propreté des cahiers le soir.

Jeannette propose une structure d'organisation qui est adoptée : Le groupe se mettra en U le samedi pour le conseil. Alain demande un conseil de coopérative le samedi matin.

Mais les bonnes relations sont troublées à la récréation par Jacky F., qui agresse le président à coups de pieds. A la rentrée, celui-ci en rend compte à ses camarades et une discussion s'ouvre :

CHRISTIAN : Pourquoi a-t-il fait ça ?
PRESIDENT : Parce que je l'ai mis au « Coupez le courant » et qu'il a eu une réparation.
JLG : Lorsque Jacky est président, il est capable de se défendre d'autres ne le pourront pas. Devons-nous laisser un coopérateur frapper le président ?
CHRISTIAN : Le président exécute les ordres décidés par tout le monde. Jacky a peut-être à parler de ça...
JACKY F. : Pourquoi il me fait taire moi et pas les autres ?
CHRISTIAN : Avec qui parlais-tu ?
PRESIDENT : La première fois que je lui ai dit de se taire il a continué. Je l'ai mis au « Coupez le courant ». Puis je l'ai remis assis. Il s'est remis à parler.

Le groupe décide alors que Jacky nettoiera la cabane du jardin, en réparation. Le calme revient. Jacky s'aperçoit que ses camarades ne se laissent plus dominer, comme l'an passé. Christian propose une sortie au bois pour l'après-midi : elle est adoptée avec enthousiasme.

Le bois ?Un tapis de feuilles mortes qui craquent sous les pas des enfants, qui courent, sautent, crient. Les filles bavardent près de moi ;au loin, les garçons jouent à la petite guerre.

Au-dessus de notre tête, un ciel de feuilles vertes, grandes palmes éclatantes de lumière ; des jeunes châtaigniers, sombre ramure des chênes ; et partout de la fougère teintée du fauve de l'automne. Il fait très doux.

Peu à peu les enfants reviennent et nous nous parlons longuement. L'amitié est là, présente. Aujourd'hui nous avons fait un grand pas. Agir ensemble et vivre des joies communes sont deux facteurs importants de structuration du groupe.

SAMEDI 13 SEPTEMBRE

Jeannette, la présidente, a beaucoup de difficultés pour lancer les activités. Les enfants sont passifs ou opposants. Je dois intervenir. Un plan de travail est élaboré, mais sans enthousiasme : mise en place des ateliers, électricité, peinture, rangement.

Cette activité a lieu dans le calme, mais peu à peu chacun l'abandonne et passe à une activité tranquille (lecture et dessin) ; tous oublient le conseil proposé par Alain la veille.

Au cours de la semaine que je viens de décrire, j'ai assumé plusieurs rôles, bien que me tenant au maximum hors du groupe :

- ÉLUCIDATION. Je commence à faire prendre conscience au groupe de ce qui se passe en lui ;
- MÉMOIRE DU GROUPE. Je lui rappelle les règles qu'il s'est données ;
- AUTORITÉ au niveau de l'APPLICATION. Je suis le garant du respect de l'intégrité physique de chacun.

Le groupe a pris conscience qu'il détenait le pouvoir de décision, que je répondrais à l'occasion à sa demande, mais que je me réservais le droit de refuser.

LES INSTITUTIONS

1°. LE PRÉSIDENT DE JOUR

Dès le jour de la rentrée nous voyons réapparaître le président de jour et un rituel se met en place. Je n'interviens que le 15 septembre, pour l'aider à organiser les propositions et établir la grille d'activités de la journée en tenant compte de la durée probable de chaque activité.

9 h à 10h15 ‑ Rangement des ateliers ;

10h30 ‑ Commentaire du dessin au tableau

11h30 à 11h45 ‑ Bilan de la matinée.

13h45 à 14h30 ‑ Balle au camp ;

14h30 à 15h15 ‑ Lecture silencieuse ; Dessin libre

15h30 à 16h15 ‑ Rangement des outils et des casiers individuels

16h15 à 16h45 ‑ Conseil.

Le mardi 16, je propose une rupture intentionnelle dans le système du choix du président.

A 8h45, les enfants attendent en deux groupes dans la cour pour entrer en classe. A 8h55, ils sont toujours devant la porte. Les autres jours, après 3 ou 4 minutes d'attente, si personne ne prenait l'initiative de faire avancer les groupes, je disais d'entrer. Aujourd'hui, je leur demande : « Que faites-vous là ? »

LES ENFANTS : On attend.
JLG : Qu'attendez-vous ?
CHRISTIAN : Que vous nous disiez d'entrer.
JLG : La règle ne dit pas que c'est à moi de faire entrer.

Immédiatement, Josée découvre ce qui ne va pas dans le système de choix adopté par le groupe et conclut : «  Il faudrait choisir un président le soir ». Cette proposition sera reprise et le soir même un président est élu au conseil.

Un nouveau système a donc été mis en place : le choix du président le soir. Mais dès le 23 la rupture se produit. Les enfants ont oublié, la veille, de choisir un président ; ce qui nous fait perdre du temps pour le lancement des activités. Aussi, à15h30, je constate : « Nous avons pris du retard aujourd'hui sur le plan de travail prévu, Pourquoi ? »

Alain répond, après réflexion : « Nous n'avions pas de président ce matin ». Je propose alors de travailler par groupes en Philips 66 pour essayer d'étudier en profondeur l'institution président de jour. Il nous faudra quatre réunions extraordinaires : le 23 septembre, le 18 octobre, le 20 octobre et le 4 novembre, pour aboutir à un certain nombre de décisions qui sont transcrites sur une fiche-guide servant de mémoire au président :

NOUS AVONS DECIDE :

- Chacun sera président à son tour s'il le désire. Une liste par ordre alphabétique sera établie.

LE PRESIDENT :

- doit donner l'exemple et il doit être ferme ;
il ne travaille pas, il aide les camarades durant les activités individuelles et les ateliers ;
- il ne parle pas fort au code voix basse.

LE MATIN :

- il contrôle la propreté des mains ;
- il met la pendule à l'heure et vérifie le calendrier ;
- il arrive le premier et place les tabourets autour du bureau ;
- il dirige l'entretien du matin et donne la parole.

REGLES :

- Il se contrôle lui-même. Si le président ne se contrôle pas, le maître prend sa place pendant cinq minutes. Si ça recommence, il demande le changement de président ;
- Le président ne donne pas de coups. S'il tape sur un camarade, il sera exclu des ateliers ;
- Si un camarade le frappe, il arrête tous les ateliers et le conseil prend une décision immédiatement ;
- Quand un camarade ne respecte pas une directive donnée par le président, il donne un avertissement, puis il demande une réparation au conseil ;
- Le président est chargé d'appliquer les règles de la coopérative. Il n'a pas le droit de décider ;
- Il organise les entrées et les sorties.

A propos de ce problème du choix du président, nous voyons clairement comment naît un système ; comment il tend vers un équilibre ; puis comment, à la suite d'une rupture, se produit un déséquilibre entraînant la naissance d'un nouveau système :

 

Le président de jour, chargé par ses camarades d'un certain nombre de responsabilités, rencontre de nombreuses difficultés :

- refus de se taire d'un ou plusieurs membres du groupe pendant les entretiens et les discussions ;
- agressivité verbale ou physique ;
- refus de suivre ses directives de travail.

Aussi n'est-il pas étonnant qu'il nous ait fallu faire deux réunions sur le pouvoir du président et la manière dont il pourrait faire appliquer les décisions prises.

Je me suis demandé alors si les sanctions du groupe à l'égard de ceux qui ne respectent pas ses lois pourraient être supprimées. Il semble que cela ne sera possible que le jour où chacun sera devenu un être autonome apte à s'autogérer lui-même et à respecter les autres.

J'ai posé aux enfants la question : Comment le président fera-t-il appliquer les décisions prises par le conseil ? Le samedi 18 octobre, des propositions diverses sont faites :

- Si le président ne se fait pas obéir, il va le dire au maître, et le maître punit ;
- Le président donne des sanctions, mais il ne bat pas
- Il le dit au conseil ;
- Il met ceux qui n'appliquent pas au « coupez le courant ».

Le lundi 20 octobre, je précise avant tout débat que les punitions du maître n'existent pas à la coopérative, et que c'est au groupe de régler lui-même ses problèmes. De nouvelles propositions sont alors faites :

- S'il n'obéit pas, on écrit à sa mère ; ou bien :
- il ne va pas dans les ateliers qui ont lieu à l'école ;
- on le met dans un coin de la classe pendant trois jours ;
- on lui donne un verbe à faire à la maison ;
- on lui fait couper le courant ;
- on lui donne une réparation (à décider par le conseil) ;
- ranger l'imprimerie ;
-  ranger la bibliothèque ;
- nettoyer les pinceaux...

Devant le refus du maître de punir, les enfants ne voient d'autres solutions que :

- la répression familiale,
- la suppression d'activité,
- le rejet hors du groupe,
- les réparations utiles à la collectivité.

Je fais remarquer, à propos du rejet hors du groupe, que ce rejet est lui aussi souvent refusé ; alors que fera le président si un camarade refuse par exemple de quitter un atelier ?

- le président fait stopper les ateliers et le conseil décide ;
- on le met chez le directeur ;
- on le met à la porte.

Afin de faire prendre plus nettement conscience du problème, je mime la scène avec Jacky ; il est à l'atelier peinture, et je suis le président :

- Va à ta place, Jacky, puisque tu ne respectes pas le calme de l'atelier !
- Non !
- Va à la porte !
- Non !
- Va chez le directeur !
- Non !

Je pose alors à tous la question : « Qu'est-ce que je fais maintenant ? » Le groupe reste muet ; ni eux ni moi n'avons de solution à proposer...

Le 4 novembre se produit la rupture qui relance le débat. La présidente du jour, qui n'arrive pas à faire stopper une activité, donne un coup de règle sur la tête de Marina, qui proteste avec énergie.

Je propose au groupe de réétudier le problème : comment le président procédera-t-il pour faire appliquer ses directives ? Cette fois, des décisions sont prises :

- Le président ne donne pas de coups ; s'il tape sur un camarade, il sera exclu des ateliers. Si un camarade le frappe, il arrête tous les ateliers et le conseil prend une décision immédiate ;
- Quand un camarade ne respecte pas une directive donnée par le président, il donne un avertissement, puis il demande une réparation au conseil.

Depuis le 4 novembre, plusieurs enfants ont dû demander des réparations pour se faire respecter. Mais la compétence des présidents grandit ; les règles de vie sont mieux connues ; l'agressivité d'ordre affectif diminue. Tout cela laisse espérer une disparition progressive de toute sanction.

J'ai été amené à diverses reprises à prendre momentanément la place d'un président de jour défaillant. Je préside alors avec fermeté. Cette responsabilité est épuisante pour certains, mais tous, désormais (même les nouvelles arrivées) tiennent à l'assumer.

J'ai même de la peine parfois à reconnaître tels ou tels d'entre eux, qui sont totalement différents dans leur attitude, leur comportement, leur dynamisme, lorsqu'ils sont présidents de jour.

2°. LE CONSEIL DE CLASSE JOURNALIER

Bien que programmé à plusieurs reprises, il n'a lieu pour la première fois que le mardi 16 septembre, et ceci parce que je fais stopper le travail (rédaction d'un texte sur les vacances).

La mise en train d'une activité (comme son interruption) est souvent fort longue. Les enfants, en ce début d'année, n'ont qu'une notion très vague du temps qui passe. Jeannick préside ; une camarade du groupe Freinet est présente :

JEANNICK : Qu'est-ce qui a mal marché ?
JEANNETTE : Ça a mal marché.
JEANNICK : Pourquoi ?

(Le groupe reste passif ; Christian fait du bruit).

JLG : Christian n'écoute pas ; il essaie de se faire remarquer.
JEANNICK : Montrez vos dessins.

Les dessins sont présentés. Les critiques sont positives. Puis le groupe demande à Monique S., qui a passé la journée avec nous, de dire ce qu'elle pense. Monique a assisté, en mon absence, à une agression collective contre Catherine, agression violente et méchante ; Catherine a servi de bouc émissaire à l'insécurité ressentie par tous. Monique donne son avis au milieu d'une très grande attention.

CHRISTIAN : Elle a dit que ce matin elle ne se sentait pas autant à l'aise que cet après-midi.
JEANNETTE : Elle viendra nous voir. Elle nous a donné un livre de poèmes.
CHRISTIAN : Je lui ai demandé si je pouvais lui écrire, Il faut son adresse.
JLG : J'ai reçu un coup de téléphone de l'école normale ; on me demande si j'accepte deux normaliennes qui viendraient un jour par semaine. Moi je veux bien, mais j'accepte que si elles peuvent être heureuses avec nous, si elles ne sont pas injuriées par certains comme l'an passé, quand je suis absent. Qu'en pensez-vous ?

Après discussion, il est décidé d'accepter les deux normaliennes. Puis un président est choisi pour le lendemain.

Le conseil fonctionne généralement selon le même rituel. Il permet de jeter un regard sur la journée écoulée et d'en analyser les éléments essentiels. Il est parfois très court, ou bien il n'a pas lieu, lorsque le président oublie l'heure. Aussi, depuis le début de novembre je fais l'horloge parlante, afin que les enfants s'habituent à placer leurs activités dans la dimension-temps exacte dont ils disposent.

Son intérêt dépend des capacités d'animation du président de jour et de sa disponibilité. C'est ainsi que, le 7 novembre, le conseil se trouve bloqué à la suite d'un échange de grossièretés entre Josée (présidente) et Jacky P.

Faisant la mémoire du groupe, je rappelle une règle précédemment élaborée : « Celui qui dit une grossièreté s'excuse ». Jacky s'excuse effectivement, mais Josée refuse et boude. Le conseil se trouve subitement sans président. Tous parlent fort ; certains demandent la parole en levant le doigt. La présidente boude toujours. J'interviens : « Au code discussion, pour avoir la parole on lève le doigt ! »

Remarque ‑ Nous avons 3 codes de parole :

- Code discussion un seul parle à voix haute après avoir demandé la parole
- Code voix basse chacun peut parler librement
- Code silence : personne ne parle ; les directives sont écrites au tableau.

La cloche sonne ; personne ne bouge ; puis on commence à s'impatienter. Je demande la parole : « Le conseil n'est pas terminé ! » La présidente demande alors une réparation, car elle refuse de s'excuser ; le groupe lui donne l'imprimerie à ranger. Après quoi le conseil reprend, à la satisfaction de tous. Nous sortons avec 20 minutes de retard.

Chacun apprenant peu à peu à se freiner et à respecter les droits des autres, et les présidents étant plus efficaces, le conseil tend à devenir un bon outil d'analyse des activités et des comportements.

Nous serons amenés certainement bientôt à réfléchir sur cette institution, comme nous l'avons fait à propos du président de jour et du conseil de coopérative.

3°. LE CONSEIL DE COOPERATIVE

Le premier conseil de coopérative est programmé le samedi 20 septembre. Il a pour but d'établir le plan de travail de la semaine, les enfants ayant pris conscience qu'il fallait établir certains projets à l'avance afin qu'on puisse préparer leur réalisation : sorties d'étude du milieu, matches contre les autres classes, en particulier.

Je propose que chacun écrive sur une feuille ses propositions et ensuite qu'on fasse ensemble le bilan. Cette activité nous prend une heure. Nous décidons de continuer le lundi 22, car nous n'avons pas pu prendre de décisions. Le président de jour Jacky F. préside ce premier conseil.

PRÉSIDENT : Qui a quelque chose à dire pour la journée d'aujourd'hui ?
JEANNETTE : Il faut répondre à la lettre de Couëron. On l'a depuis longtemps.
(Le président lit la lettre qui nous a été envoyée par une classe de filles avec laquelle nous correspondions l'an passé ; il lit mal et en est complexé.)
PRÉSIDENT (agressivement) : Veux-tu la lire ?
PATRICK : Ils marquent qu'il faut aller les voir, mais il n'y a pas d'argent... Ce sont les filles qui doivent écrire.
PRÉSIDENT : Qui veut écrire ?

(Des mains se lèvent, dont celle de Catherine, qui n'a rien écouté. Je demande au président de préciser le travail demandé, afin que chacun puisse se décider en connaissance de cause. Plusieurs propositions d'activités sont faites, et le plan de travail est inscrit au tableau) :

Français :                   lettre à Coueron ;

                                   lettre aux visiteurs de la classe ;

                                   travail individuel ;

Calcul :                      faire les comptes ;

Après-midi :                mouvements sportifs ;

                                   mise en ordre des propositions faites le samedi ;

                                   ateliers ;

                                   conseil de classe.

Puis, a propos de l'achat d'un thermomètre pour l'atelier calcul, se pose le problème de l'argent de la coopérative. Le groupe avait demandé à chacun 0,50 F et Jeannette avait été choisie pour recueillir l'argent. Patrick est chargé de l'achat :

JLG : Qui a le droit de donner l'argent ?
CHRISTIAN : La trésorière.
PRÉSIDENT : Qui est la trésorière ? C'est Jeannette. Donne l'argent.
ALAIN : Jeannette n'a jamais été élue trésorière.
JLG : Jeannette n'a jamais été élue trésorière.
CHRISTIAN : C'est le président qui donne l'argent.
JLG : Qui a décidé que c'est le président qui donne l'argent ?
PRÉSIDENT : Qui veut être trésorier ?... C'est Marcel qui tenait le cahier l'an passé.

(Marcel est réélu par 9 voix sur 15.)

L'après-midi, je participe à la mise en ordre des propositions. Josée demande que l'on mette des numéros (1 pour les achats, 2 pour les exercices) et qu'on fasse des groupes de travail. Elle se fâche, car le président ne comprend pas. J'aide les enfants à établir d'abord la liste des grandes rubriques :

              1 = achats                                            5 = ateliers

              2 = français                                           6 = règles de vie

              3 = calcul                                             7 = rangement

              4 = les choses à régler                         8 = sport

Puis ils se répartissent en 8 équipes. Mais ils sont fatigués et ce travail n'avance pas. Je demande au président de faire stopper et je participe plus activement. Finalement, une grande feuille est mise au mur :

ACHATS : un thermomètre ‑ des feutres ‑ des pinceaux ‑ de la peinture un ballon ‑ une poubelle ‑ des balles ‑ un torchon ‑ réparer la machine à écrire.
FRANCAIS : lettres aux correspondants ‑ lecture ‑ écrire à Monique écrire à M.Chaveau ‑ texte libre ‑ exercices ‑ fichier orthographe discussion du matin.
CALCUL : l'heure ‑ fichier calcul ‑ tables ‑ bandes ateliers ‑ les comptes ‑ division à deux chiffres ‑ cahiers de calcul.
CHOSES A REGLER : tubes de colle percés ‑ les calendriers ‑ les assurances ‑ le trésorier ‑ les normaliennes.
SPORT : foot‑ball ‑ balle au camp avec le CM 2 ‑ foot‑ball avec le CM2 ‑ passe à dix ‑ mouvements pour les muscles.
ATELIERS : théâtre ‑ couture ‑journal ‑ poupées en coquillages – aluminium ‑ boites d'allumettes ‑ décorer la cantine atelier cuisine.
REGLES DE VIE : le président de jour.
RANGEMENT : nettoyer le lavabo ‑ bibliothèque fichiers ‑ les bahuts ‑ les casiers ‑ le couloir ‑ l'imprimerie ‑ l'atelier peinture.

Au cours des semaines suivantes, ces propositions ne sont pas consultées lorsque le plan de travail est établi. L'apparition de ce tableau était prématurée pour le groupe. Quelques enfants cependant ont rappelé à plusieurs reprises son existence pour, en particulier, barrer ce qui avait été réalisé.

*

Chaque semaine, le conseil de coopérative a lieu et il trouve peu à peu une structure :

1°. Propositions ;
2°. Plan de travail de la semaine
. Lecture du tableau mural. Ce tableau recueille critiques et propositions, mais la colonne JE SUIS CONTENT reste toujours vierge.
- Je critique Patrick qui balaie mes cheveux avec le balai ;
- Je ne suis pas contente de Catherine qui enlève le thermomètre de l'eau ;
- Je ne suis pas content car on a pris mon crayon de bois ;
- Je critique Christian qui est sorti de la cour pendant la cantine.
- Je voudrais qu'on achète une lame pour couper le carton ;
- Je voudrais qu'on achète un thermomètre ;
- Je ne voudrais plus être présidente de jour ;
- Je voudrais changer de place.

Au cours des conseils, j'interviens :

- pour renvoyer en discussion les propositions que le président n'a pas entendues ;
- pour rappeler le cadre-temps dans lequel ont lieu nos activités ;
- pour donner au groupe l'image de ce qui se passe :
• le président ne préside pas ;
• Christian a pris la parole 10 fois sans la demander ;
• Marina et Catherine bavardent ;
• La discussion a commencé sur la pièce à préparer ; elle est maintenant sur la télévision.

Après avoir laissé le groupe tâtonner pendant plusieurs semaines, je pense, le 18 novembre, qu'il est mûr pour réfléchir sur l'institution elle-même et que cette réflexion lui fera prendre conscience des problèmes de gestion qui se posent, ainsi que des problèmes relationnels.

Le président de jour, appliquant le plan prévu au conseil de coopérative précédent, dit : « On fait le conseil ».

Je demande la parole : « Nous décidons pour chaque samedi d'un conseil de coopérative, mais nous ne nous sommes jamais demandé ce qu'était le conseil de coopérative celle année. L'an passé, je vous l'avais proposé. En avons-nous encore besoin cette année ? Doit-il rester le même ? Je vous propose d'en discuter par petits groupes, puis un rapporteur dira ce que chaque groupe propose. Nous pourrions d'abord nous poser toutes les questions à propos du conseil ».

Ma proposition est adoptée, et les groupes discutent de la 1re  question : « Quelles questions vous posez-vous à propos du conseil de coopérative ? »

Le groupe 1 est formé de 4 anciens de niveau CE-CM, de 13 à 14 ans ;
Le groupe 2              »           4 anciennes de niveau CE‑CM, de 12 à 14 ans ;
Le groupe 3              »           3 nouvelles et d'l ancien de niveau CP‑CE1,
                                                                                                 de 12 à 14 ans ;
Le groupe 4              »           une nouvelle et de deux anciens de niveau
                                                                                    CP‑CE1 de 11 à 14 ans.

Ces groupes se sont formés spontanément à la rentrée. Le conseil a déplacé une nouvelle du Gr 3 dans le Gr 4, car elle empêchait les autres de travailler. Elle a été remplacée par un volontaire du Gr 4, Fabien, qui est accepté par le groupe mais n'a pas réussi à s'y intégrer ; il vit dans son monde à lui.

QUELLES QUESTIONS VOUS ETES-VOUS POSEES SUR LE CONSEIL DE COOPERATIVE ?

- Gr 1 : Pourquoi a-t-on fait conseil ? Qui a fait le conseil ? Qui le dirigera ? Qu'est-ce qu'on fait au conseil ? De quoi qu'on parle au conseil ?
- Gr 2 : A quoi sert le conseil ? Pourquoi y a-t-il un conseil ? Pourquoi y a-t-il un plan de travail ? Pourquoi y a-t-il un tableau mural ?
- Gr 3 : On s'est trompé ; on n'a pas répondu à la question.
- Gr 4 : Qui a inventé le conseil ? Pourquoi le conseil est-il fait ?

Je réponds à la question : QUI A INVENTÉ LE CONSEIL DE COOPÉRATIVE ? et : POURQUOI IL Y A UN CONSEIL DANS LA CLASSE ? (historique de l'expérience). Puis je propose qu'on discute sur la question :

FAUT-IL OU NE FAUT-IL PAS UN CONSEIL ? (10 minutes)

- Gr 1 : Nous voulons un conseil : pour que la classe marche mieux pour qu'on désigne un président par jour ‑ pour que la classe se dirige bien. Si le président ne marche pas, le conseil décidera.
- Gr 2 : Oui, il faut un conseil : Pour le plan de travail ‑ pour régler les affaires ‑ pour discuter du président ‑ pour diriger le travail ‑ pour donner des réparations.
- Gr 3 : Il y a un conseil pour régler les affaires ‑ pour commander la classe.
- Gr 4 : Il faut un conseil pour régler les affaires de la coopérative, Le conseil est fait pour régler les affaires de la classe et les sorties.

JLG : Puisque chaque groupe est d'accord, il faudrait régler quoi ?
JOSEE (Gr 2) : Il faudrait savoir ce qu'on fait au conseil de coopérative.
JLG : Voulez-vous répondre à la question : Que fait-on au conseil de coopérative ?

- Gr 1 : Au conseil, nous faisons le plan de travail de la semaine ; nous proposons des voyages et des matches de foot‑ball aux autres classes ; nous proposons de faire des ateliers. Les propositions du tableau mural sont réglées. On apporte ce qu'on a vu et entendu.
- Gr 2 : On fait le plan de travail pour la semaine. Nous proposons de régler les affaires, On lit le tableau mural.
- Gr 3 : On règle les affaires et on fait le plan de travail. On discute de ce qui a bien ou mal marché.
- Gr 4 : Le conseil décide de ce qu'on va faire. On fait le plan de travail; on lit le tableau mural. Il sert pour les achats et les ventes.

Je fais la synthèse et je soumets chaque proposition à la décision du groupe, qui adopte les règles suivantes :

- Le conseil décide du plan de travail de la semaine suivante ;
- On discute de ce qui a bien ou mal marché durant la semaine ;
- On lit le tableau mural ;
- On décide des achats et des ventes ;
- On discute et on décide des propositions.

La proposition : « On apporte ce qu'on a vu et entendu » est rejetée : cette activité est réservée à l'entretien libre qui a lieu chaque matin. J'inscris au tableau les propositions adoptées et je demande d'y réfléchir. Après un moment de silence :

JOSEE : Il faudrait maintenant savoir comment on va faire.
JACKY : Il faudrait savoir par quoi on commence.

JLG : Chaque groupe pourrait réfléchir pour mettre en ordre les propositions.

- Gr 1 : 1°. Ce qui a bien ou mal marché ; 2°. Le plan de travail de la semaine ; 3°. Les propositions ; 4° Les achats et les ventes ; 5°. le tableau mural.
- Gr 2 : 1°. Les propositions ; 2°. Le plan de travail ; 3°. Les achats et les ventes ; 4°. Le tableau mural ; 5°. Ce qui a bien ou mal marché.
- Gr 3 : 1°. Les propositions ; 2°. Le plan de travail.
- Gr 4 : 1°. Le plan de travail ; 2°. Le journal mural.

(Gr 3 et Gr 4 ont eu des problèmes relationnels durant cette discussion et n'ont pu réfléchir.)

J'ouvre un débat, après avoir constaté que les propositions ne sont pas les mêmes :

VIOLETTE (Gr 2), critiquant les propositions du Gr 1 : « Les propositions doivent être discutées avant le plan de travail, car elles sont faites en vue du plan de travail. »
JLG : Etes-vous d'accord ?
TOUS : Oui.
JLG (le groupe se trouvant bloqué) : Afin de faire le plan de travail de la semaine, ne faudrait-il pas établir le bilan de la semaine qui se termine ?

On est d'accord, et le plan de conseil est adopté :

1°. Bilan de la semaine passée avec présentation des travaux ;
2°. Propositions ;
3°. Plan de travail de la semaine suivante ;
4°. Achats et ventes ;
Tableau mural.

Je reprends alors les dernières questions :

- POURQUOI Y A-T-IL UN TABLEAU MURAL ? Chacun sait à quoi il sert ; désirez-vous le conserver ? (OUI à l'unanimité) ;
- POURQUOI Y A-T-IL UN PLAN DE TRAVAIL DE LA SEMAINE ? Vous avez décidé de le prévoir dans le conseil et vous savez à quoi il sert : désirez-vous le garder ? (OUI à l'unanimité) ;
- QUI DIRIGERA LE CONSEIL DE COOPERATIVE ? Il est 11h30 ; il nous reste 15 minutes avant la sortie. Nous discutons depuis 9h30. En 5 minutes, chaque petit groupe veut-il répondre à cette question ? (On est d'accord).
- Gr 1 : Tout le monde doit diriger le conseil. Chaque samedi, il y aura un candidat ;
- Gr 2 : Tous les samedis, on choisit un président qui est capable de diriger le conseil ;
- Gr 3 : Le président de jour dirigera le conseil ;
- Gr 4 : Le conseil sera dirigé par le président de jour.

Il est l'heure de sortir ; la suite de la discussion est reportée à lundi.

Le lundi 10 novembre, je pose immédiatement la question : QUI PRESIDERA LE CONSEIL ? et je redonne les réponses de chaque petit groupe. Puis j'ouvre le débat :

JACKY (Gr 1) : Je propose que chaque samedi le président de jour désigne un garçon ou une fille pour diriger le conseil.
MARCEL (Gr 1) : Je crois que c'est à tout le conseil de désigner le président qui sait présider.
CHRISTIAN (Gr 4) : Je propose que c'est chacun notre tour le président. Quand les anciens seront partis, les autres ne sauront pas présider.
JEANNETTE (Gr 2) : C'est chacun son tour; comme ça il n'y aura pas de jaloux.
ALAIN (Gr 1) : Oui, mais si c'est Monique ou Andrée (des nouvelles) qui ne savent pas présider, il faudra changer !

Je fais la synthèse des interventions et je conclus : « Chacun pourra présider, ou seulement ceux qui savent. C'est au conseil de décider ».

PATRICK (Gr 1) : Les nouvelles regardent d'abord les anciens présider.
VIOLETTE (Gr 2) : Un samedi, un ancien préside le conseil, et le samedi suivant une nouvelle.

La participation à la discussion est médiocre. Je propose que chacun cherche sur son cahier de brouillon toutes les implications de chaque proposition, puis que ces réflexions soient mises en commun dans les petits groupes de Philips 66.

- Gr 1 : Ceux qui savent présider président, afin que les nouvelles de la classe sachent présider à leur tour. Tout le monde doit présider pour apprendre à présider: une semaine les anciens, une autre semaine les nouvelles président.
- Gr 2 : Tout le monde peut présider : les anciens d'abord, les nouvelles après. Si les nouvelles ne président pas, elles ne sauront jamais et elles ne pourront pas montrer aux autres comment faire. Ce ne serait pas bien de laisser juste ceux qui savent présider.
- Gr 3 : Nous proposons : d'abord les anciens, puis les nouvelles.
- Gr 4 : Tout le monde peut présider, et chacun son tour. On marque sur une feuille, Tout le monde peut présider car on apprend à présider.

Je fais la synthèse et je soumets chaque point à la décision du conseil qui tranche et décide :

- Tout le monde a le droit de présider pour apprendre à présider ;
- Un président dirige le conseil ;
- Les anciens présideront d'abord, les nouvelles ensuite.
JLG : Aujourd'hui nous commençons par les anciens. Qui va présider ?
VIOLETTE : On regarde sur le panneau qui est président de jour.
JOSÉE : On demande qui veut présider et on choisit un qui est capable.
JACKY : On fait la liste des volontaires. (Proposition acceptée Alain et Violette ne veulent pas présider).
JLG : Comment allons-nous faire la liste ?
JACKY : On fait la liste par groupes.
JOSEE : Non, d'abord ceux qui savent présider.
MARCEL : On pourrait faire la liste alphabétique.

Les enfants ont des difficultés à choisir, puis finalement ils optent pour une liste par groupes, en commençant par le Gr 1. Je conclu : « Le président est Patrick Chapeau. Le conseil est ouvert ». Le groupe se met en formation en U . Patrick prend ma place.

*

Les conseils des 10, 15 et 24 novembre sont dirigés avec fermeté. J'interviens en apportant des moyens aux enfants pour mieux gérer leur vie. C'est ainsi que le 24 je propose que, pour le bilan du travail de la semaine, chacun fasse d'abord son propre bilan à l'aide de son plan de travail individuel, et ensuite le bilan collectif sur deux colonnes. Nous mettons en commun nos recherches sur le tableau ; et c'est ainsi au fil des tâtonnements de tous, que me viennent aussi des idées nouvelles.

TRAVAUX

terminés

commencés

Discussion

Les hippies

La Margarine

Apollo XII: Pourquoi les hommes vont-ils sur la lune ?

Textes

Journal 22

Journal 23 : Texte de Denise (normalienne)

Calcul

 

Bandes ‑ Tables ‑ Comptes - L'heure ‑ les pesées

Français

Lettres individuelles

à la Baule et à Couëron,

Lettre à une classe de

Rezé pour une rencontre.

Lettre à la Communauté

d'Emmaüs pour une visite

Etude des mots

Album de poèmes

Album sur les animaux

Etude de ETRE et AVOIR

Ateliers

Sculpture

Cartes de Noël

Coffrets pyrogravés

Jardin ‑ Imprimerie

Conseil

 

Responsabilités dans le rangement

Ce tableau aide beaucoup les enfants à programmer leurs activités de la semaine ; ils ont une vision globale plus claire de leur travail. Au cours de la discussion, j'observe que le président a des difficultés pour se souvenir des propositions et les relancer afin qu'elles aboutissent à des décisions. Afin de ne pas être obligé d'intervenir, je propose qu'un des enfants soit le secrétaire aux propositions ; il aura pour tâche de rappeler au président ses oublis. Josée est choisie et elle assume bien ce rôle.

Nous découvrirons sans doute d'autres techniques pour assurer à la programmation un équilibre harmonieux entre les désirs du groupe et les intérêts de chacun de ses membres.

4°. LES REGLES DE VIE ET LEUR APPLICATION,

Au cours de ces trois mois, un certain nombre de règles ont été élaborées par les enfants :

9 septembre          On sort et on rentre tous ensemble, les garçons devant, les filles derrière, en deux groupes. C'est le président qui dirige la sortie.

10 septembre        - Ceux qui ne respectent pas la règle de sortie auront une réparation.

                            - Celui qui dérange les autres ou empêche la discussion aura une réparation.

12 septembre        - Le président de jour contrôle les réparations.

                            - Le groupe se mettra en U samedi pour le conseil.

19 septembre        Celui qui dira une grossièreté à quelqu'un devra aller s'excuser.

29 septembre        Celui qui arrive en retard sans mot d'excuse rattrape le temps perdu après la classe.

3 octobre              Si le maître arrive en retard, il aura une réparation.

4 octobre              Celui qui veut écrire au tableau mural le fait corriger d'abord.

11 octobre            Celui qui veut manger un bonbon en offre à tout le monde.

                            S'il en mange en classe sans en donner, le président prend sa boîte et la partage.

7 novembre           Chacun est responsable de sa réparation. Jacky P. contrôlera et rendra compte au conseil.

*

Le groupe est généralement conscient des règles qu'il a établies, et il en exige le respect, malgré les difficultés inévitables. C'est ainsi que, le 3 octobre, je suis mis en cause pour être arrivé en retard (j'en donne d'ailleurs le motif : j'ai dû emprunter une déviation).

CATHERINE : En récréation, les filles ont dit que M. Le Gal aurait une réparation
JEANNICK : M. Le Gal en donne bien !
JACKY P, : Sa femme devrait lui donner un mot.
ALAIN : Sa femme ne le suit pas.
VIOLETTE : Il a donné une raison.
PRÉSIDENT : Il faut prendre une décision.
JLG : Je n'ai jamais donné de réparation, comme le dit Jeannick. J'en ai demandé !
JACKY F. : C'est le conseil qui les donne.
CHRISTIAN : M. Le Gal est majeur, il est sous sa responsabilité.
JACKY P, : On lui donne une réparation…
JOSÉE : ... et il nous laisse faire tout ce qu'on veut au bois.
JLG : Je suis responsable des accidents !

Cette remise en cause est positive. Elle est d'ailleurs sanctionnée par mon rejet de l'animation du travail calcul ; le groupe me donne ainsi du temps libre pour pouvoir parler aux normaliennes.

La règle des bonbons soulève les protestations de ceux qui se font confisquer leur boîte, mais ils finissent par accepter.

*

Est-ce à dire que chaque jour tout soit parfait ? Non, certes. Il m'arrive de devoir intervenir avec fermeté lorsque l'ensemble du groupe se perturbe, y compris le président de jour. J'ai repris le pouvoir à trois reprises, et en particulier en revenant des châtaignes, les enfants n'ayant pas respecté les règles de sécurité qu'ils s'étaient données avant le départ.

Mais je n'interviens jamais pour imposer une règle personnelle je m'appuie toujours sur la loi élaborée par le groupe, loi qu'il peut à tout moment modifier si l'accord se fait sur d'autres règles.

LES ACTIVITÉS

Je vais étudier les activités dans la chronologie de leur apparition, en essayant de montrer comment elles ont été proposées et comment elles ont évolué, sans prétendre toutefois en faire une étude exhaustive qui ne pourrait trouver place dans cette brochure.

1°. ACTIVITES SPORTIVES

Le foot-ball apparaît dès le premier jour, Jacky F. (le leader) étant particulièrement brillant dans ce sport, et notre groupe ayant trouvé là un moyen de valorisation. A plusieurs reprises nous avons battu, l'an passé, des classes de l'école et des écoles voisines. Cette activité permet aussi aux garçons de canaliser leur agressivité naturelle, mais cette dernière, la première semaine, est encore trop forte, et je suis amené à interrompre des matches.

Au mois d'octobre, nous rencontrons le CM2 et le FE, sur lesquels notre classe remporte des succès faciles. Ces rencontres motivent un échange de lettres.

Les classes étant géminées cette année, les filles jouent à la balle au camp avec le CM2 et le FE. Parfois le moniteur d'éducation physique et moi-même regroupons nos deux classes ; il prend alors toutes les filles et je prends les garçons. Ces activités contribuent grandement à la socialisation des enfants au niveau du groupe scolaire.

Nous projetons aussi de nous déplacer le 19 décembre pour rencontrer une autre cdp de Rezé. Le programme est mis au point par un échange de propositions dont chaque groupe discute au cours de ses conseils. Il comporte en général : une activité sportive ‑ des jeux ‑ des spectacles ‑ un goûter fait de gâteaux ou autres mets préparés par les enfants des deux classes.

2°. ACTIVITES MANUELLES ET ESTHETIQUES

Chaque année, le jardin est le premier pôle d'attraction. Les garçons aiment à y fournir un effort physique et les filles à y cueillir des fleurs. Les coings motivent la fabrication de gelée, dont la vente approvisionne nos premières recettes.

Les ateliers d'expression artistique (gouache, feutres, drawing-gum) ont été lancés aussi dès les premiers jours.

Mais l'organisation coopérative des activités au niveau de l'école à partir du 15 octobre a modifié totalement nos activités. Pour l'instant nous avons abandonné le travail manuel.

3°. LES SORTIES

Dès la première semaine les enfants programment une sortie au bois le vendredi après-midi. Nous en faisons deux autres : aux châtaignes et aux vendanges.

Depuis, la pluie est apparue et aucun enfant ne propose plus de sortir. Il a fallu attendre une invitation d'une école voisine pour que le groupe décide de quitter la classe.

4°. LECTURE SILENCIEUSE

Mon absence le mardi 9 et la fatigue des enfants les conduisent à proposer cette activité calme.

5°. JEU DRAMATIQUE

C'est une activité que nous avons pratiquée l'an passé à plusieurs reprises, à partir d'un dessin au tableau ou d'un texte libre. Elle est programmée le lundi 15 septembre, un groupe de filles ayant demandé de pouvoir dessiner au tableau. Elle intéresse beaucoup les enfants, mais ils ne la reproposent plus par la suite.

6°. EXPRESSION LIBRE ET JOURNAL

Le mardi 16 septembre, les enfants décident d'écrire un texte sur les vacances, mais il faudra attendre le vendredi 19 pour voir apparaître le premier texte d'expression libre, qui coïncide d'ailleurs avec la mise en place de l'entretien du matin.

C'est Catherine qui nous le présente au cours de l'entretien, reprenant ainsi spontanément une habitude adoptée l'an passé par les anciens. Je reprends aussi ma participation à l'expression libre en lisant un de mes poèmes. Catherine est la seule à écrire, et le groupe décide de lui mettre un texte au point pour le journal, qui redémarre le 24 septembre.

A partir du 26, les textes deviennent plus nombreux, et ils sont lus chaque matin. Les adultes qui vivent avec nous : normaliennes, stagiaires, participent eux aussi, et cela les aide à être mieux intégrés au groupe. Chacun choisit pour le journal le texte qu'il désire. Ma proposition de changement de format (adoption du format 21 x 27) est retenue.

A plusieurs reprises, je demande le silence, pour que chacun puisse « regarder en lui », pendant que la musique emplit l'air. Chacun alors écrit ou dessine librement, ou bien, tout simplement, il écoute. Les textes deviennent plus riches, plus profonds.

Le matin, je suis dans mon lit bien chaud. Il est l'heure de l'école. Ma mère ouvre la porte, allume la lumière, elle nous fait mal aux yeux. Elle ouvre les volets, Le soleil apparaît sur l'arbre de l'automne, Les oiseaux chantent, on n'ose pas se lever tellement c'est beau.

VIOLETTE

*

Je suis toute seule et je réfléchis. J'entends les murs qui craquent, les portes qui grincent et la sonnette.

Au bout d'un moment, tout devient calme, On entend seulement le bruit d'une petite mouche qui vrombit et le tic-tac du réveil, J'aime être toute seule dans le calme de la maison.

JOSÉE

*

N'as-tu jamais vu                                                             N'as-tu jamais ri

Ce regard merveilleux                                                      Devant un ciel tout bleu

Qui en dit bien plus                                                          De voir tes amis

Que les mots les plus beaux ?                                          Qui semblaient si heureux ?

« Je suis ton ami,                                                             Mais oui, toi aussi

Et si tu le veux                                                                  Bien sûr tu le peux,

Nous irons par la vie                                                       Oubliant tes soucis

Ensemble tous les deux. »                                                Etre heureux tout comme eux,

                                                                                        (NORMALIENNE)

                                                            

*

7°. ENTRETIEN DU MATIN

Au conseil du mercredi 17, cette activité réapparaît. Le vendredi Jacky F., président de jour, installe les tabourets autour du bureau avant l'arrivée de ses camarades. Chacun s'asseoit et immédiatement retrouve les habitudes anciennes.

Neuf poèmes sont lus. Fabien nous montre un dessin. Catherine nous lit ses textes. C'est le calme total. Puis les enfants se parlent. La conversation aborde différents thèmes : les chats ‑ un accident ‑ la naissance des enfants ‑ les matches de foot‑ball ‑la maîtresse qui manque dans l'école ‑ le voyage des parents de Josée ‑ la foire de septembre à Nantes... On sent renaître l'amitié, le don de soi.

L'entretien du matin n'est pas toujours aussi calme, car il est parfois perturbé par quelques enfants difficiles. Mais il reste néanmoins la technique essentielle d'apprentissage du Dire et de l'Ecoute.

8°. CALCUL

C'est le travail aux bandes atelier de calcul qui est proposé le premier. Il démarre le vendredi 19 septembre et les enfants me demandent de constituer des équipes de 2. Le 22 septembre, nous faisons un compte et nous prenons conscience qu'un certain nombre ne savent pas effectuer les opérations. Je demande « Comment pourrait-on apprendre les opérations ? » Tous proposent « On pourrait travailler avec les cahiers autocorrectifs ».

A la fin septembre, toutes les activités calcul ont démarré quelques-uns apportent des textes chiffrés ; l'étude des tables est programmée ; la progression sur les cahiers est rapide.

CORRESPONDANCE

Nous recevons une lettre de nos camarades de Couëron et les filles y répondent le vendredi 22 septembre. Le 1er octobre, les garçons rédigent avec moi une lettre collective à leurs anciens correspondants de La Baule, pendant que les filles écrivent leur lettre individuelle à Couëron. Je les corrige ; elles les recopient puis les présentent à la classe. Marina, qui a écrit 5 lignes seulement et dont la lettre est sale, est unanimement désapprouvée, tandis que Monique, qui s'exprime encore peu, parle longuement de la sienne et reçoit des félicitations.

A partir du 1er novembre, chaque enfant a un correspondant individuel dans une cdp, et le groupe correspond en outre avec une classe de petits de Belgique qu'il a pris en charge, ainsi qu'avec une classe du Dahomey.

Les échanges sont totalement libres ; chacun peut écrire ou non ; mais s'il le fait, j'exige une lettre propre.

Le groupe a décidé que l'illustration serait faite soit en étude, soit à la maison, afin de gagner du temps pour les autres activités. Cependant le président est obligé d'intervenir, surtout auprès des nouvelles qui, l'an passé, illustraient leur lettre en classe ; ce changement dans leurs habitudes leur parait difficile.

1°. CHANT ET MUSIQUE

Le chant démarre le 23 septembre. Andrée (une nouvelle) nous présente une chanson qu'elle a apprise l'année passée ; elle est cependant timide, mais elle témoigne là de l'ambiance amicale qui commence à s'installer dans le groupe.

Le 24 septembre, les enfants décident d'apprendre « La Chanson des escargots », que Violette a lue au cours de l'entretien. Andrée leur dit qu'une ancienne élève, Aline, va nous apporter un disque. Ils s'aperçoivent alors que l'électrophone et le magnétophone sont toujours dans le bahut et ils me demandent de les réinstaller.

A partir de ce moment, la musique retrouve une grande place. Nous l'insérons dans les activités individuelles, les ateliers, ainsi que le matin pendant que chacun revoit lectures et textes avant l'entretien. Le chant libre démarre lui aussi doucement. D'autre part, 14 enfants participent à l'atelier de musique et chant choral de l'école.

11°. LES ACTIVITES INDIVIDUELLES

Avec la correspondance est réapparu le besoin de temps libre pour écrire. Ce temps est programmé régulièrement depuis l'après-midi du 9 octobre. Il n'est pas consacré uniquement aux lettres ; les enfants rédigent leurs textes libres, en recopient d'autres, préparent des lectures, travaillent à leur cahier de calcul.

Le président de jour est le responsable de cette activité. Je corrige les textes pendant ce temps, je donne des travaux d'entraînement en fonction des erreurs commises. Je fais lire. Comme je ne peux être disponible partout en même temps, le groupe décide de donner un moniteur de lecture à Christian et un moniteur de calcul à Fabien. L'entraide mutuelle est un élément très important.

Peu à peu, le rythme de travail progresse. Le samedi 15 novembre, Violette propose de reprendre les plans de travail, afin que chacun se rappelle ses travaux d'entraînement et puisse juger de ses progrès. Le lundi 24, nous faisons un bilan collectif de la semaine :

NOMBRE

0

1

2

3

4

5 et plus

 

Lectures présentées

Textes libres

N calcul aux cahiers

Lettres

1

6

1

1

2

4

6

10

4

2

3

1

1

5

2

3

9

 

Nombres d’enfants

En cette fin de novembre, toutes les activités de l'an passé ont redémarré sans que j'intervienne ; aucune activité nouvelle n'a été proposée. Les enfants ont retrouvé une grille équilibrée qu'ils reprennent chaque semaine :

 

LUNDI

MARDI

MERCREDI

VENDREDI

SAMEDI

8 h 45 à 9 h 30

‑ Musique

‑ Lecture libre de textes préparés

‑ Discussion

‑ Lecture de textes libres

9 h 30 à 10 h 15

‑ Mise au point des textes libres

‑ Rédaction des lettres collectives

‑ Etude collective grammaticale

Conseil

de

Coopérative

10 h 30 à 11 h 30

‑ Calcul

11 h 30 à 11 h 45

‑ Chant

13 h 45 à 14 h 30

15 h

16 h 45

Travail

individuel

Conseil

Ateliers de

l'école

Activité

sportive

Trav. ind.

Ateliers

Conseil

Travail

individuel

Conseil

Ateliers de

l’école

Activité

sportive

Trav. ind.

Ateliers

Conseil

 

Il nous reste à découvrir des moyens permettant au groupe d'apprécier ses progrès dans tous les domaines, car cette appréciation est le moteur de l'enthousiasme collectif. Nous les chercherons et nous les créerons ensemble.

Au niveau des activités, j'ai un rôle d'aide à assumer. Je soutiens l'effort des plus faibles ; je stimule ceux qui, comme Christian et Jacky P., manquent de dynamisme ; j'essaie d'amener chacun à être exigeant pour lui-même ; je mets en valeur chaque réussite.

Cela n'empêche pas les journées d'être très différentes suivant la disponibilité des enfants. Ils sont parfois très apathiques ; d'autres fois, c'est l'énervement qui s'empare d'eux, Mais ils arrivent progressivement à une meilleure maîtrise d'eux-mêmes.

L'éducation d'un travailleur responsable, capable de gérer son activité, est oeuvre de longue durée, surtout avec nos enfants aux intérêts souvent fugitifs et changeants, ces enfants à qui nous devons redonner à la fois le désir du travail et le goût de l'effort.

*

Le bilan de ces deux premiers mois montre une évolution favorable vers l'autogestion. Les membres les plus difficiles du groupe, Jacky F. et Catherine, sont en voie d'intégration. Jacky, après avoir tenté de m'affronter pour attirer sur lui l'attention, est maintenant en train de devenir un leader positif du groupe ; il aime cependant encore, lorsque nous avons des stagiaires, jouer au « play-boy » qui se désintéresse des activités de ses semblables. Ses camarades deviennent aussi plus indépendants à son égard, ce qui le pousse à changer d'attitude.

Catherine, frustrée par son milieu familial et très agressive en début d'année, est mieux acceptée. Elle essaie de s'intégrer par ses nombreux textes libres et ses lectures. Elle a encore des mouvements agressifs violents, mais ils se font plus rares.

L'identification des nouvelles au groupe s'est opérée. Elles parlent maintenant de « notre classe », de « nos correspondants », et se montrent attachées à nos activités.

Les enfants ont encore besoin de mon aide pour gérer leur vie, mais cette aide se fait de jour en jour plus légère ; elle tend à suivre pas à pas les possibilités d'un groupe qui prend de plus en plus conscience de ses responsabilités.

*

 

3. LA DEVIANCE

Pour qu'un groupe puisse agir avec cohésion, il est nécessaire que chacun de ses membres accepte les buts fixés. Or il arrive que certains enfants refusent ces buts et les normes établies par le groupe, perturbant ainsi les activités de la collectivité. Ce sont les déviants dont parle Lapassade dans son ouvrage : « Groupes, Organisations et Institutions » (LIFOD) :

« On peut encore observer dans les groupes une pression vers l'uniformité qui implique notamment comme conséquence le rejet des déviants.

Un membre déviant pose un problème: en même temps qu'on tend à le rejeter, on peut aussi imaginer qu'il pourrait apporter des éléments nouveaux, des solutions aux problèmes que se pose le groupe, D'où les efforts pour le rallier à celui-ci…

Plus la maturation du groupe est forte, et plus est accrue la tendance à rejeter un déviant. »

Nous allons pouvoir étudier ces manifestations de déviance dans le cas de Martine, et les réactions du groupe.

Mais qui est Martine ? Martine a 10 ans et 10 mois lorsqu'elle entre dans ma cdp en septembre 1965. Elle a un Q.I. de 77 au B.S. Physiquement, elle parait 14 ans ; elle est plutôt lourde dans ses mouvements.

J'ai appris cette année qu'elle avait une déviation de la colonne vertébrale, ce qui expliquerait ses difficultés motrices, et sans doute son opposition aux activités d'éducation physique et à la danse, où elle se sent mal à l'aise.

Son milieu familial est très uni. Elle est couvée par ses parents: Elle est la troisième fille, et un garçon la suit, Patrick, qui se trouve lui aussi en cdp. La sœur qui la précède est en F.C. et présente une débilité supérieure à la sienne. Avec ses sœurs et son frère, elle se montre vindicative et peu coopérante ; elle a tendance à les commander.

On note d'ailleurs une certaine évolution dans son attitude. En janvier 1966, sa mère me la présente comme une opposante « ayant toujours raison » et peu coopérative. En octobre de la même année, elle est devenue « sérieuse » et étonne son milieu familial, mais ce comportement se dégrade rapidement, puisque, fin octobre, sa mère revient me rendre visite : « Martine répond grossièrement ; elle a écrit une lettre grossière à ses sœurs ; elle s'oppose à tout ce que nous disons... »

Il semble que père et mère n'ont guère d'autorité sur Martine, qui les manipule aisément. C'est ainsi qu'elle participe très activement aux travaux du ménage, se levant tôt chaque matin, obligeant sa sœur plus aînée à faire de même, ce qui lui permet d'obtenir ainsi quelques privilèges.

En septembre 1967, elle fait partie d'un groupe de jeunes qui se produit dans les fêtes en exécutant des danses folkloriques. A la maison, elle a acquis l'autonomie d'une jeune fille. Lorsqu'une activité de la classe lui déplaît (sortie de plein air par exemple), elle se dit malade.

Comment se manifeste cette déviance ?

Le lundi 8 janvier, Martine rentre de vacances ; elle présente un texte sur l'UNICEF.

Le mardi 19 décembre, nous avons vu à la télévision une émission sur l'UNICEF.

Mireille Mathieu lançait un appel pour « la faim dans le monde ». J'espère que tout le monde l'a écouté attentivement. our ces gens qui meurent de faim, faites un effort, aidez-es à vivre.

Quand nous voyons ces gens maigres, dont on aperçoit les os, nous avons pitié. Nous mangeons, et eux meurent de faim.

Je voudrais que tout le monde soit heureux, faites quelque chose pour eux, ne pensez pas toujours à vous. Il y a des gens qui ne pensent qu'à gaspiller leur argent.

MARTINE

Ce texte est choisi et suscite une riche discussion. Il fait prendre conscience à ses camarades d'un problème vital pour l'humanité tout entière : la faim dans le monde. Les enfants décideront d'ailleurs, au cours de leur conseil de coopérative, de créer une caisse de fonds pour l'UNICEF et de lancer un appel à des classes françaises et étrangères, par l'intermédiaire de leur journal et de la Gerbe internationale. (Éduc. N°1, sept.-oct. 1968 : Laïcité et engagement de l'Educateur).

Confirmant l'hypothèse de Lapassade, Martine a fait faire aux autres enfants un bond en avant dans leur maturation sociale ; mais elle se heurte au groupe au cours du conseil. Elle propose la suppression des critiques, et seule Renée la soutient. Alors, lorsque ses camarades proposent de faire des maths le lendemain, elle est seule à refuser : elle veut travailler aux bandes ; et comme ses camarades lui refusent ce droit, elle se réfugie dans le mutisme.

Le mardi, au cours d'une activité que j'anime avec Renée et qu'elle gêne (groupe de bruitage), je la prie de se taire : elle me répond par une grossièreté. A la récréation, je lui demande d'aller dans la cour, car je n'ai pas envie de passer ma récréation avec quelqu'un de grossier. Elle sort en grognant, car elle aime beaucoup rester en classe pour y écouter des disques.

Le mercredi, elle présente une lecture sans avoir préparé de questions, contrairement à ce qu'a décidé le conseil. Elle refuse d'en poser à la demande de la présidente de jour.

Immédiatement après, en discussion, elle présente une coupure de journal avec la photo de trois petits enfants vietnamiens orphelins du fait de la guerre. Sur ma demande, elle lit le texte qui accompagne cette illustration, et qui est du reste très intéressant. Une discussion suit ; elle y est très active.

Je propose alors aux enfants que notre journal reflète ces discussions, qui font partie de notre vie. L'accord est unanime, et pendant une heure nous ferons un excellent travail enrichissant sur « notre vie ». Cette dimension discursive, nous la devons incontestablement à Martine.

Lors de la sortie à midi, les filles doivent se mettre derrière les garçons, à la suite d'une décision du conseil. Martine n'attend jamais les autres filles. Or je dois veiller à la sortie sur la route (institution externe). Martine, Françoise et Annie marchent à 10 mètres devant les autres. Comme la présidente n'intervient pas, alors qu'elle est responsable du groupe durant la traversée de la cour, je l'envoie prévenir les trois filles de nous attendre au portail. Elles sortent néanmoins, puis refusent de revenir. Je les rejoins en voiture et je demande des explications. Seule, Françoise me répond : « On sort toujours en retard ! »

Au conseil du soir, je demande de discuter de cette affaire. Au cours de la discussion, Martine chantonne, se désintéressant complètement du débat. Mais son attitude (refus de la règle concernant la sortie sur la route) met le groupe en situation de la rejeter. Elle est prise à partie et réagit violemment : « Cela ne vous regarde pas ! » J'interviens pour lui rappeler qu'elle vit dans un groupe dont les règles sont à respecter et que je ne lui permettrai pas d'agir comme elle fait. « Je m'en fous ! », déclare-t-elle. Je la prie de se retirer dans un atelier hors du groupe. Je discute ensuite seul à seul avec elle, et elle reprend ses activités.

Ces attitudes de Martine provoquent des réactions violentes du groupe lorsqu'elles risquent d'empêcher une activité pour laquelle les autres sont très fortement motivés. Ce fut le cas, par exemple, lors du voyage-rencontre avec nos correspondants de Saint-Nazaire.

Dès le mois de juin, les enfants avaient demandé un voyage-rencontre avec des correspondants pas trop éloignés. Au cours du premier choix de date, le vote avait donné 14 voix pour et 1 voix contre. Le vote était secret. Par la suite, lors du report du voyage (pour motif de grève), et devant la joie de Martine contrastant avec la déception des autres, on comprit que c'était elle qui avait voté contre.

La deuxième date choisie fut aussi reportée pour cause de verglas. Martine, présente le matin, ne comptait pas de toute façon venir à St-Nazaire.

Enfin le voyage est décidé pour le 20 janvier, et cette fois tout semble bien en place. Le 19, nous en discutons en conseil de coopé ; Annie et Martine ne veulent plus venir. Je leur fais remarquer qu'elles ont eu la parole lors de la décision à prendre, et qu'elles n'ont alors rien dit. Le groupe a pris une décision ; j'ai fait tout le travail, j'ai pris le billet à la gare, j'ai envoyé une lettre à l’I.D.E.P., etc. Je trouve leur procédé inadmissible. D'autre part, ont-elles pensé à la déception de leurs correspondantes ? (Je leur rappelle à ce sujet que ce sont elles qui les ont choisies.

Annie accepte alors de revenir sur sa décision (recul par timidité, peut-être ), mais pas Martine ; on la sent murée dans son refus. Les autres la sollicitent gentiment, puis se fâchent. lis sont excédés, ils veulent l'expulser de la classe, mais je leur dis que cette solution est impossible. Ils ne savent plus comment réagir.

Le matin du voyage, elle est absente, mais son frère me prévient qu'elle nous rejoindra à 10 heures. Nous l'attendons, mais à 10h30 elle n'est pas là. Je fais passer le car devant chez elle. Entre temps, elle est partie à l'école. Nous la récupérons : elle nous a fait perdre une heure.

A Saint-Nazaire, elle réagit de façon hostile en face des filles, puis elle accroche avec l'une d'elles, et finalement elle prend la présidence du conseil commun de fin de journée, dont aucun élève de notre classe ne voulait assumer la responsabilité.

Durant toute l'année, Martine perturbera ainsi nos activités, mais ses réactions (comme ses apports) éviteront au groupe de se sécuriser et de se scléroser. Nous n'avons jamais pu connaître avec certitude les raisons profondes de son attitude. Elle se sentait probablement dévalorisée par sa présence dans une classe de perfectionnement ; elle avait honte des autres et les méprisait.

Depuis sa sortie de la classe, elle revient nous voir. Elle nous a envoyé plusieurs lettres, et j'entretiens avec elle d'excellentes relations.

CONCLUSION

Est-il souhaitable d'apprendre aux enfants à prendre en main leur vie au sein d'un groupe coopératif dont l'amitié, la compréhension, l'acceptation des autres, sont les fondements relationnels ?

Est-il souhaitable de leur donner le goût de la liberté, de l'expression libre, du travail créateur, de la relation vraie avec les autres, qui sont des valeurs d'une société libre, différente de la société de compétition, de contrainte, d'aliénation du travailleur, dans laquelle ils vivent ?

Est-il souhaitable de les aider à développer leur esprit critique, face aux moyens de pression utilisés pour la mise en condition des hommes : propagande, publicité ?

Est-il souhaitable d'aider à la naissance d'êtres autonomes, libérés, lucides, qui ne pourront accepter la société telle qu'elle est et lutteront pour la transformer ?

Je le pense, car si mon action d'éducateur se situe dans un but de bonheur immédiat de l'enfant à l'école, bonheur conditionné par un climat d'amitié, de liberté, lui permettant de mettre en action sa spontanéité créatrice, d'établir des relations vraies avec les autres, de se cultiver à même ses propres expériences, elle se situe aussi dans un projet de révolution de la société et dans l'hypothèse que seuls des êtres autonomes et libérés sauront construire la société libre qui répondra à leurs besoins profonds d'hommes.

Et cela, je me sens en profond accord avec le message de Freinet, qui disait en 1962 au congrès de Caen :

« Nous préparons, non plus de dociles écoliers, mais des hommes qui savent leurs responsabilités, décidés à s'organiser dans le milieu où le sort les a placés, des hommes qui relèvent la tête, regardent en face les choses et les individus, des hommes et des citoyens qui sauront bâtir demain le monde nouveau de liberté, d'efficience et de paix. »

 

3ème PARTIE - l'évolution des techniques

Avril 1967

3ème PARTIE

*

L’EVOLUTION DES TECHNIQUES

Jean LE GAL et Pierre YVIN

L'ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

1. LA CORRESPONDANCE INTERSCOLAIRE (Jean LE GAL)

2. LE TEXTE LIBRE ET LE JOURNAL SCOLAIRE (Jean LE GAL)

3. RENCONTRES D'ENFANTS (Pierre YVIN)

4. LE CONSEIL DE COOPÉRATIVE (Jean LE GAL)

5. LE PRÉSIDENT DE JOUR (Jean LE GAL)

L'EVOLUTION DES TECHNIQUES

« Quand on se repose les problèmes, lorsqu'on ne se contente pas d'emboîter le pas, lorsqu'on critique et qu'on essaie d'améliorer, on est toujours sur la bonne voie. » (Freinet)

Il est impossible de dissocier l'autogestion des techniques de travail utilisées, car elles conditionnent l'attitude des enfants et celle du maître, et la prise en main par les enfants de leur vie fait évoluer inéluctablement les techniques. Cela permet, comme le souhaitait Freinet, de « ne pas jalonner de routines les voies nouvelles ». (L'Educateur, 1.11.45)

Ne pouvant donner ici une vision complète de l'évolution de toutes les techniques, j'ai choisi :
• deux techniques Freinet qui tendent actuellement à se généraliser :
- la correspondance interscolaire ;
- le texte libre et le journal scolaire.
• deux techniques institutionnelles :
- le conseil de coopérative ;
- le président de jour ;

et afin de cerner avec le maximum de précision le processus de remise en cause, je me suis plus particulièrement attaché à la correspondance.

1. LA CORRESPONDANCE INTERSCOLAIRE EN CLASSE DE PERFECTIONNEMENT MIXTE 12-14 ANS

Lorsque, en septembre 1965, j'ai été nommé dans une classe de perfectionnement mixte, j'avais déjà pensé y pratiquer la correspondance interscolaire, technique que je connaissais par une expérience de cinq années au cours élémentaire.

Je trouvai un camarade, H.Thomas, qui avait une classe de perfectionnement de même niveau que la mienne et de même structure : 8 garçons, 7 filles. Nous déterminâmes ensemble les modalités de nos échanges :
- une lettre individuelle une semaine ;
- une lettre collective la semaine suivante (avec albums éventuellement) ;
- un colis par trimestre ;
- des textes libres ;
- occasionnellement des bandes magnétiques.

Je proposai à Henri une présentation du travail qui m'avait satisfait au CE :

- une lettre individuelle sur page double de cahier, avec un dessin sur la première page, la lettre à l'intérieur, un texte libre sur la 4e page ;
- une lettre collective avec une lettre composée collectivement, des parties individuelles (texte sur un thème choisi par le groupe et retenu par l'enfant, textes libres non choisis) et des dessins décoratifs.

Nous attribuâmes à chacun un (ou une) correspondant, en tenant compte des âges, des possibilités, du milieu, etc.

Je déterminai, en fonction de mon expérience passée, des enfants, des modalités retenues, l'organisation du travail sur une semaine.

HORAIRE DE TRAVAIL SUIVI (Lettres individuelles, semaine du 29.11 au 4.12)

Mardi 30 novembre

13 h 45 à 14 h 30                    Réception du paquet, pesée, affranchissement.
                                             Lecture silencieuse des lettres. Discussion libre.
                                             Lecture à haute voix et dessin pour la réponse pendant la lecture.
                                             Suite du dessin et recherche d'idées pour la réponse.
Etude :                                          
Mercredi 1er  décembre
9 h                                        PLAN en commun au tableau
                                            (1) Je réponds :
                                            - Je parle de sa lettre
                                                      comment elle est
                                                      l'écriture, les dessins.
                                            - Je parle de ce qu'il y a dans sa lettre
                                            - Je réponds à ses questions.
                                            (2) Je parle de ma vie
                                            (3) Je termine :         Je pense à toi
                                                                            Je te serre la main
                                                                            Bien amicalement.
9 h 15 à10 h15                       Rédaction de la REPONSE
                                            Sur le cahier de correspondance, au crayon.
                                            Je suis le travail. Je note les erreurs en les soulignant pour les plus forts (groupe 3 et 2).
                                            Je corrige, j'aide.
                                            Toute l'heure est utilisée à la rédaction.
                                            Chacun fait le maximum pour corriger
                                            (carnet
                                            (ortho-dico
                                            (Gr 3-2
10 h 50 A 11 h 45                  Les enfants sont en calcul aux bandes.
                                            Je corrige les lettres avec les enfants.
                                            Certaines sont longues.
                                            Je souligne les erreurs qu'ils peuvent corriger : (je compte 8 minutes par enfant,
                                            pour le groupe des CE‑CM1                     1e correction
                                                                                                           2e correction
                                            Mise à jour, au fur et à mesure, du planning
                                            « lettre 0 erreur »
12 h 45 A 13 h 25                  CORRECTION sans les enfants de 7 cahiers sur les 9 restant.
                                            (J'avais commencé le matin par le groupe 3 (CE-CM).
                                            Je n'ai pas pu corriger les lettres de Jean6Luc (G 2)
                                            et Patrick (G 1), qui sont illisibles à cause de la déformation des mots.)
13 h 45                                  Je fais le BILAN de la rédaction des lettres,
                                            puis mise à jour du planning lancement
                                            « lettres 0 erreur » (10 échelons : 3l ‑ 41 ‑ 51 ‑ 61 - 71 – 81 – 91 – 101 – 111 - 121).
                                            Dans le G3(CE-CM), Annie réussit 24 lignes, Philippe 16, les autres entre 10 et 15.
14 h A 14 h 40                       COPIE DE LA LETTRE. Code de travail (adopté par les enfants) :
                                            -Silence pendant la copie
                                            -Les enfants peuvent s'isoler (ateliers du couloir, atelier derrière les bahuts).
                                            Je corrige les lettres de Jean-Luc et de Patrick.
                                            Ceux qui ont terminé illustrent et me font revoir leur lettre.
                                            Je note par un point les lignes où il y a des erreurs de copie,
                                            et nous mettons à jour le planning-lancement
                                            « copie de lettres 0 erreur » (10 échelons qui vont de 3 à 20 lignes ;
                                            dernier échelon : 1 lettre de plus de 20 1. sans erreur).
                                            Plusieurs atteignent 16, 18, 20 lignes : Annie réussit le dernier échelon.
15 h 30 A 16 h 15                  Pendant l'« atelier », fin de la copie de la lettre pour quelques enfants
                                            qui ont de longues lettres : Philippe 3 pages, Marylène 2 ½
                                            ou pour Patrick et Gérard qui écrivent très lentement,
                                            et illustration des pages intérieures avec les crayons-feutres
                                            et les crayolor (recherche de couleurs, fignolage).
                                            Ateliers pour ceux qui ont terminé copie et illustration.
Etude ‑ maison                      Recherche des cartes postales et des éléments de découpage pour des collages.

Vendredi 3 décembre
13 h 451.                               Rechercher 3 questions à poser au correspondant, sur le cahier de brouillon ;
                                            2. Copie d'un texte libre et illustration. Pendant ce temps, je corrige les questions.
                                            3. Lorsque copie et illustrations sont terminées,
                                            les enfants copient leurs 3 questions sur une feuille de dessin (format cahier)
                                            qu'ils décorent ensuite s'ils le désirent de cartes postales
                                            et découpages divers ou de dessins. Je corrige les copies de T.L.
15 h 30 à 16 h 15                   Suite du travail pour ceux qui n'ont pas terminé et ateliers pour les autres.
                                            Une équipe de 3 se charge de la lettre de Renée qui est absente.

Samedi 4 décembre
9 h à 9 h 30                           Pendant les « activités libres », ceux qui le désirent viennent lire
                                            leur lettre à leurs camarades ou présenter leurs dessins.
                                            L'enveloppe est préparée, puis le paquet pesé et affranchi.
                                            Il sera expédié à midi et arrivera ainsi le mardi chez nos correspondants.

PLAN DE LA LETTRE
Nous utilisons des feuilles doubles de cahier :
1re page
Collage d'un dessin réalisé sur papier dessin. Ce dessin peut être fait d'avance par chaque enfant et est rangé alors dans une enveloppe (Educateur) qui recueille aussi les coupures de presse, les cartes postales, photos, etc. Certains ont deux ou trois dessins terminés et en donnent aux absents.
2e et 3e page
Lettre copiée sur la feuille et illustrée.
4e page
Copie d'un texte libre et illustration.
N-‑B. Deux enfants utilisent maintenant deux feuilles doubles.

Les trois questions sont copiées sur une feuille de dessin qui sera décorée de découpages, de cartes postales, de dessins, puis glissée dans la lettre.

Cette organisation du travail nous permet d'obtenir d'excellentes et agréables lettres, tout en sauvegardant la liberté d'expression de l'enfant dans les textes et les dessins.

Pour ces enfants de 10 à 13 ans qui sortaient d'une classe traditionnelle, ces échanges étaient un rayon de soleil riche de possibilités. Et effectivement ils s'enrichirent sur le plan des relations sociales, de l'expression, de la formation de l'esprit, par cette technique qu'ils avaient adoptée avec joie. Que de progrès dans l'écriture, dans l'expression écrite, le goût du travail bien fait !

Certains y trouvèrent aussi un meilleur équilibre psychique, les échanges leur apportant cette part de relations affectives dont ils avaient été frustrés.

L'intérêt global pour ces échanges réguliers s'est nuancé au fil des jours. L'attirance des enfants pour les lettres individuelles s'affirmait rapidement, du fait qu'elles apportent davantage sur le plan affectif. La lettre collective provoquait des moues de désappointement parfois, bien que chacun admirât cette oeuvre des camarades lorsqu'elle était largement déployée à la sortie du paquet.

Mais pendant la première année et jusqu'au troisième trimestre de cette année d'échanges avec la classe d'Henri Thomas, jamais les enfants ne ménagèrent leurs efforts pour « faire plaisir aux correspondants ».

Depuis la rentrée de Pâques, j'ai senti des refus, qui se manifestent surtout par une certaine passivité : dessins inachevés lorsque le groupe a prévu de les réaliser à la maison, lettres moins copieuses, etc.

Que faire ? Nous avons un contrat avec nos camarades de St-Brieuc, mais la correspondance doit s'inscrire dans un climat de liberté et de prise en mains par les enfants de leur vie scolaire. « Ce n'est jamais par l'abstention ou la répression qu'il faut tâcher de solutionner le problème, jamais par l'inhibition, mais toujours par l'audace et l'action », écrit Freinet dans son Essai de Psychologie sensible.

Alors essayons d'agir ; mais comment ? Plusieurs attitudes sont possibles :

·                     Avoir un comportement directif :
- l'ordre et la menace étant exclus, je peux conseiller, essayer de faire prendre une décision par le groupe, afin de maintenir nos structures et relancer leur bon fonctionnement ;
- je peux aussi apporter une aide plus grande à ceux dont l'intérêt faiblit ;
- je peux avoir un comportement d'évaluation : « Tu sais, un bon coopérateur répond à une lettre reçue. Ton correspondant a fait un effort : ce serait très mal de ne lui envoyer qu'une lettre sans valeur... »
- ou bien un comportement d'interprétation : « Je comprends pourquoi tu n'as pas fait une longue lettre. Tu n'as rien à dire à ton correspondant ! »... » ou bien : « Tu n'as pas eu le temps de faire ton dessin : peut-être pensais-tu pouvoir le faire en classe... »
·                     Avoir un comportement non directif, le comportement de « compréhension ». J'essaie de me mettre à la place des enfants et de comprendre le pourquoi de ce refus inconscient.

C'est ce dernier comportement que j'ai essayé d'adopter. J'ai senti qu'il me serait difficile d'avoir un intérêt profond pour une correspondance qui tend à devenir routinière par sa périodicité régulière et sa forme inchangée, qui risque de devenir une technique scolaire et non plus une technique de vie. Et puis j'ai aussi ressenti combien était artificielle cette attribution aux enfants d'un correspondant sans demander leur avis... Alors que faire ?

Il existe bien une solution : celle de la correspondance LIBRE, dont je connais les éléments essentiels. Je pourrais la proposer. Mais ne serait-ce pas maintenir pratiquement l'enfant en situation de dépendance ? Or ce qui est notre but final, c'est d'amener l'enfant et le groupe a l'autonomie.

Il faut donc que je les mette en situation de responsabilité face à leur problème. Mais alors dois-je attendre qu'ils prennent conscience de ce problème ? ou bien dois-je essayer de les amener à prendre cette conscience et à expliciter leurs refus ou leurs désirs ?

Je choisis cette dernière voie, et je demande l'inscription de la correspondance à l'ordre du jour du conseil de coopérative du 6 mai.

*

Comme il est de coutume, le président donne la parole à celui qui a proposé une question à discuter. C'est mon cas. Je propose donc à tous les enfants, à la lumière de leur expérience, d'examiner le problème de la correspondance, car il me semble remarquer un manque d'intérêt certain. Or on ne peut correspondre que dans la liberté. Il faudrait donc essayer de voir s'il existe des solutions plus satisfaisantes.

Je leur explique le pourquoi de nos habitudes présentes et leur demande d'exprimer leurs critiques et leurs désirs. A eux de décider éventuellement des nouvelles modalités et de les proposer aux camarades de St-Brieuc.

Après trois minutes de silence, les enfants se polarisent sur les cas de Guy et de Gilles. Guy n'a plus de correspondant, le sien ayant quitté l'école. Quant à Patrick, il répond par 6 ou 7 lignes aux deux pages de son correspondant Gilles.

Quelques enfants estiment que Guy pourrait écrire à Gilles, puisque Patrick (qui a de grandes difficultés graphiques) ne montre guère d'enthousiasme pour l'expression écrite. Mais Philippe pense que l'on ne peut rien changer sans l'avis de Gilles, et Martine (qui préside) demande à Patrick de réfléchir sur la question.

La discussion a bien démarré. Renée propose que les filles écrivent aux garçons. Marylène, qui a un garçon pour correspondant, n'est pas d'accord et aimerait changer. Françoise lui propose un échange.

Il semble que se manifeste une certaine lassitude. Quelques-uns écrivent au même correspondant depuis un an et demi, et nous n'avons pu réaliser un voyage-échange l'an passé. Cependant, les lettres individuelles conservent une nette avance sur les échanges collectifs.

La discussion se porte maintenant sur la lettre collective. Aline : « Moi je préfère recevoir une lettre pour moi ! » Après discussion, on s'oriente vers une lettre collective où chacun mettrait « quelque chose » pour son correspondant, qui pourrait, à l'arrivée, le lire aux autres. Mais les enfants ne précisent pas : il faudra donc y revenir.

Puis on aborde le problème des échanges individuels. Un enfant propose d'écrire le mardi au lieu du mercredi, proposition qui permet à chacun de préciser ses désirs. J'interviens alors pour aider l'enfant à raisonner son choix. Plusieurs jours sont proposés : lundi, mardi, mercredi, vendredi... et diverses raisons sont invoquées.

Le délai de 15 jours est lui aussi remis en cause. Certains proposent une semaine (« quinze jours c'est trop long… »), d'autres un mois (« on ne sait plus quoi dire… »), d'autres le statu quo (« une semaine c'est trop court, on ne saurait pas quoi dire ; mais un mois c'est trop long... ») Gérard propose alors : « Chacun aura plusieurs jours pour faire sa lettre ; il choisira son jour ». Mais Dominique pose la question : « Ferons-nous un envoi ou plusieurs clans la semaine ? »

L'heure de sortir arrête le débat, que les enfants reportent au lundi 8 mai.

LE 8 MAI

Nous recevons une lettre collective format « accordéon ». Ils l'étalent sur les pupitres après avoir admiré l'illustration : « Ils ont fait du progrès ! » On se bouscule un peu pour pouvoir lire la lettre. Nous en discutons immédiatement et Philippe propose : « Chacun devrait mettre une page pour son correspondant ».

(En général, je découpais les pages de la lettre reçue et les faisais circuler. Ceux dont les correspondants avaient écrit un texte le lisaient ; les autres étaient souvent mécontents que leur correspondant n'ait pas mis sa part dans la lettre collective. J'ai observé la même réaction pour les textes imprimés : « Moi, mon correspondant il n'a jamais de texte choisi ! » C'est d'ailleurs le correspondant qui semble mis en cause, et non la collectivité qui ne lui choisit pas de texte. Dans notre classe, les enfants ont décidé que chacun aurait un texte dans chaque journal et un texte seulement.)

Après cette parenthèse pour situer le fond d'expérience qui a servi de base au débat, je reprends le fil de l'observation.

Après la proposition de Philippe, Patrick propose de demander aux camarades de St-Brieuc : « Comment faites-vous pour lire la lettre collective ? » Puis Marylène demande que l'on lise la lettre, chacun lisant une page à haute voix. Après lecture, la collectivité décide d'y répondre le mardi 9.

Le 8 mai, au conseil de classe, nous reprenons comme prévu la discussion sur la correspondance. Je fais la synthèse des débats du lundi et je propose de discuter deux questions importantes restées en suspens : Quel jour écrirons-nous ? Ferons-nous un envoi ou plusieurs envois dans la semaine ? Cette fois, la discussion démarre rapidement :

DOMINIQUE : Si on fait plusieurs envois dans la semaine, on n'aura plus d'argent ; il vaut mieux faire un seul envoi.
Voilà déjà la contrainte financière qui apparaît.
MARYLENE : Chacun apporte 30 c pour acheter un timbre.
MARTINE : Il vaut mieux apporter un timbre.
GERARD : On envoie une lettre nous, dans une enveloppe.
(La correspondance individuelle va-t-elle sortir du cadre de la classe pour acquérir une liberté totale ?)
ANITA : Il faut avoir des enveloppes ! (Anita est d'une famille très pauvre).
DOMINIQUE : Chacun recevra alors sa lettre à son tour ; ça sera pas très bien !
PHILIPPE : Il faut l'avis des correspondants.
MARYLENE : On peut la poster nous-mêmes.
GUY : Qui la corrigera ?
MARTINE : Nos parents.
FRANÇOISE : Oui, mais Anita et Aline, leur maman ne sait pas lire !
GERARD : On l'amène ici pour la corriger !

Le débat tourne autour de :
1°. Un envoi ou plusieurs envois ? Qui fera l'envoi ?
2°. La rédaction de la lettre : le jour ? qui corrigera ?
Je demande la parole et je fais la synthèse en précisant ces deux points et je pose deux questions :
1°. Comment saurai-je que chaque camarade de St-Brieuc aura reçu une lettre ?
2°. Comment sauraije que les lettres sont « bien », c'est-à-dire bien écrites et sans erreurs ?
L'heure de la sortie arrête encore le débat. Je me demande si mes deux questions ne relèvent pas d'une attitude de contrôle injustifiée. Si les échanges prennent la voie de la liberté, le problème de la réception ou de la non-réception d'une lettre se règlera entre les enfants. D'ailleurs Henri pourrait éventuellement me faire part confidentiellement des réactions. Reste le problème de la présentation : puis-je accepter que des lettres mal écrites, non corrigées, soient envoyées à St-Brieuc ? Je laisse la question en suspens, car elle demande réflexion.

9 MAI

Nous répondons à la lettre collective et cette fois les désirs et les propositions se précisent.

« Nous avons reçu votre lettre le lundi 8 mai, Les dessins étaient jolis mais vous mettez trop de textes libres, Nous aimons les poèmes, les contes. Vous pourriez parler de votre vie, de ce qui se passe autour de vous.
« Nous allons vous poser quelques questions :
- Le journal et la TV ne parlent plus du mazout : avez-vous des nouvelles sur la marée noire ? Où en est le nettoyage ?
- Qu'est-ce qu'un crabinodrome ? (mot trouvé dans le texte).
- Que mangent vos tourterelles ?
- Que pensez-vous de la guerre ? »

A ce moment, Françoise propose : « On pourrait coller les pages sur des cartons et ne pas les attacher ». Une discussion s'engage sur le procédé le plus pratique. Finalement les feuilles libres obtiennent l'accord.

Au cours de cette discussion, je suis intervenu plusieurs fois pour aider les enfants à pousser leur raisonnement jusqu'au bout. « Tu dis d'agrafer, mais si on agrafe les feuilles, comment feront les camarades pour lire les textes ? »

Et nous continuons la rédaction de la réponse collective : « Que pensez-vous de la présentation des lettres collectives ? Nous vous proposons de ne plus attacher les feuilles : ce sera plus pratique... »

Je pose alors la question : « Ne mettrons-nous dans notre lettre que cette page ? » La totalité des enfants pense qu'il est nécessaire de parler de notre vie, comme nous faisions jusque là, chacun choisissant un thème. Cette partie individuelle est remise au mercredi 10 mai.

LE 10 MAI, comme prévu, les enfants proposent des thèmes tournant autour de notre vie, puis ils font leur choix :

 

Je note avec plaisir un approfondissement des textes ; ceux de Martine, Annie et Renée, en particulier, posent des problèmes humains aux correspondants :

ANNIE : Ce matin, Martine nous a parlé de la mère et l'enfant. Pourquoi il y a des enfants malheureux sur la terre ? Parfois le journal parle des enfants malheureux. Il y a beaucoup d'enfants qui sont mal habillés et d'autres bien habillés. Quand je suis allée en colonie de vacances il y avait des filles et des garçons qui étaient de l'assistance ou en nourrice. Ils ne voyaient leurs parents que de temps en temps, c'est triste pour eux. Je me demande pourquoi on vit sur la terre. Car on meurt. Heureusement que les enfants sont enlevés à leurs parents quand ils sont malheureux.
MARTINE : Le devoir de la maman est de ne pas rendre malheureux son enfant. Si elle n'aime pas les enfants, elle n'a qu'à pas en avoir, Ce n'est pas l'enfant qui demande à venir au monde. Pour moi la maman qui rend son enfant malheureux est une mère indigne Pourtant les enfants, c'est tellement mignon, souriant, Moi j'adore les enfants. S'il fait des bêtises, c'est qu'il est trop petit. Pourquoi alors les taper, les tuer parfois. Il devrait y avoir une loi qui oblige la mère à rendre son enfant heureux...
RENEE (Le Viet-Nam) : Au Viet-Nam il y a la guerre, c'est très triste. Il y a des enfants qui meurent et de pauvres mamans qui souffrent. Les papas se battent pour défendre leurs enfants et leurs femmes. Tous les jours, il y a des morts et des blessés. Ils n'ont rien à manger, moi je les plains les pauvres petits ainsi que les parents. Je pense que les autres qui leur font ça sont des méchants. Qu'en pensez-vous ?...

Le soir, au conseil de classe, le débat reprend. Je présente d'abord la synthèse des discussions précédentes et nous redémarrons sur le problème des envois.

L'obstacle financier est remis en avant. Je leur propose de le laisser de côté momentanément afin qu'il ne les empêche pas d'aller dans le sens de leur plus grand intérêt. Le problème demeure pourtant sans solution ; j'interviens alors et je demande :

« Qui voudrait écrire chaque semaine ? » ‑ Marylène et Jean-Luc.
« Qui voudrait écrire tous les quinze jours ? » ‑ Tous les autres.

Je demande : « Marylène et Jean-Luc doivent-ils faire comme tout le monde ou bien pourront-ils écrire chaque semaine ? » Les enfants sont d'accord pour que Marylène et Jean-Luc écrivent chaque semaine. Je propose alors que Marylène et Jean-Luc écrivent une lettre à leur correspondant le vendredi 12, leur lettre partant avec la lettre collective. Proposition acceptée. Mais Marylène voudrait changer de correspondant avec Françoise : cette dernière écrira aussi pour expliquer à sa correspondante.

Patrick propose alors que chacun choisisse un nouveau correspondant ; mais plusieurs enfants ne sont pas d'accord ; la question reste en suspens.

Je fais ensuite porter la discussion sur le format et la présentation des lettres. La majorité préfère écrire sur le format de son choix. Sur proposition de Philippe, il est décidé que le vendredi nous ferons une lettre collective pour envoyer nos propositions aux camarades de St-Brieuc.

VENDREDI 12 MAI

Nous essayons donc de préciser nos propositions aux correspondants et je demande d'abord aux enfants quels sont les problèmes que nous avons posés. Ils trouvent, après réflexion :
-          les correspondants à changer ;
-          le jour où l'on écrit ;
-          le jour où l'on envoie ;
-          les délais ;
-          envoi individuel ou dans le paquet collectif ;
-          format et présentation des lettres.

a) Les correspondants à changer

Jean-Luc propose de conserver chacun le sien, puisque nous irons bientôt à St-Brieuc. Tous (sauf Marylène et Renée) acceptent cette proposition. Martine demande à Marylène et à Renée pourquoi elles désirent ce changement.

RENEE : Parce qu'il ne dessine pas bien.
MARYLENE : Il ne répond pas à mes questions.

b) Le jour où l'on envoie les lettres

Après discussion, il est décidé que les lettres partiraient dès qu'elles seraient terminées.

c) Comment saurons-nous que chacun a écrit ?

Je repose ma question. Renée propose de marquer le nom de tous sur une feuille : « Quand on reçoit la lettre on marque la date, et puis ensuite on marque quand on envoie notre lettre ».

Avant de passer aux propositions écrites, Guy P. tire la conclusion du débat : « On peut faire un essai ».

Avec la lettre collective, nous envoyons le texte suivant

PROPOSITIONS LETTRES INDIVIDUELLES :

1°. Renée et Marylène aimeraient changer de correspondant ;
2°. Certains veulent écrire chaque semaine et d'autres tous les 15 jours ;
3°. Chacun enverrait sa lettre quand elle serait terminée ;
4°. Chacun envoie ce qu'il veut (lettre, carte, coupures de journaux, textes libres, contes, dessins.

Il ne reste plus qu'à attendre les réactions des camarades. Mais nous recevons un paquet de lettres individuelles le mardi 16 mai, que je ne donne que le vendredi 19, car je suis absent de la classe. Aussitôt six enfants décident de répondre. Leurs lettres partent le samedi soir avec des propositions collectives pour notre voyage à St-Brieuc. Je note que tous ont conservé notre présentation habituelle.

LE LUNDI 22 MAI, les autres enfants écrivent. Cette fois quelques-uns sortent de nos habitudes. Une émulation vers la lettre la plus originale, la plus richement décorée, semble naître. Seul un enfant copie un texte libre en plus de sa lettre. Marylène ne semble plus désireuse de changer de correspondant, pas plus d'ailleurs que Renée, qui écrit : « Je suis très contente de ta lettre ».

LE MARDI 23 MAI, nous recevons une très riche lettre collective de St-Brieuc où nos camarades nous écrivent :

« Nous sommes d'accord pour la nouvelle présentation des lettres collectives : nous aurons besoin de moins de couvertures de cahiers et de moins de ruban adhésif.
« Nous sommes ennuyés car, ici, personne ne veut changer de correspondant. Nous ne sommes pas d'accord pour recevoir les lettres chez nous.
« Quant à l'expédition, nous n'aurons chez nous ni timbre ni enveloppe. Et qui corrigera les fautes ? »

LE 26 MAI, je reçois une lettre d'Henri Thomas, qui me fait savoir que les réactions ont été assez violentes le mardi 23 lorsque sont arrivées les six premières lettres.

Nos correspondants restent fermes, d'ailleurs, sur leur envoi groupé le samedi.

*

Le mois de juin ayant été très perturbé par mes absences fréquentes, je n'ai pu suivre de très près l'évolution de la technique, mais j'ai cependant constaté :

- que les enfants appréciaient la plus grande liberté qui leur était donnée ;
- qu'ils avaient tendance à conserver la présentation habituelle des lettres individuelles.

Après notre voyage-échange avec St-Brieuc, nous avons fait le bilan de deux années d'échanges, et les enfants m'ont fait des propositions pour notre demande de correspondants 1967-68 :

- Trouver des correspondants, garçons et filles, que nous puissions aller voir (nous aurons par ailleurs des échanges avec une classe de Porto-Novo au Dahomey) ;
- Continuer la correspondance libre ;
- Choisir soi-même son correspondant. Chacun enverrait sa photo, avec son nom, sa taille, ses goûts, etc.

Il me reste maintenant à trouver des correspondants pour pouvoir démarrer une nouvelle expérience...

LE PROBLEME DU CHOIX

En juin 67, les enfants ont donc défini au cours de leurs conseils, les modalités des échanges qu'ils voudraient établir pour l'année scolaire 67-68 :

- Echanges réguliers avec une classe mixte suffisamment proche pour que nous puissions organiser des rencontres ;
- Echanges collectifs et individuels avec une classe à l'étranger ;
- Correspondance libre, avec pour critères :
- choix par chacun de son correspondant ;
- rédaction libre des lettres (contenu, forme, périodicité) ;
- part du maître : correction des brouillons ‑ vérification des copies ;
- échanges collectifs de lettres collectives, d'albums, de colis, etc.

CHOIX DES CLASSES CORRESPONDANTES,

Ces critères me laissent une marge de recherche très limitée. La rentrée a lieu sans que j'aie trouvé « l'oiseau rare » qui acceptera nos conditions d'échange. Je présente donc un bilan négatif à la collectivité : pas de classe pour des échanges réguliers et pas de classe à l'étranger, la classe du Dahomey sur laquelle nous comptions ne répondant pas.

Malgré la déception, nous demeurons optimistes, ce en quoi nous avons raison, car un coup de téléphone venant de St-Nazaire vient nous proposer une solution : une classe mixte de 10 filles et 5 garçons aimerait entrer en relation avec nous.

Une courte discussion en conseil extraordinaire règle le problème principal : des garçons accepteront-ils de correspondre avec des filles ? Nous venons donc de trouver l'oiseau rare tout près de nous, et au mois de décembre nous établirons aussi le contact avec une classe de Cotonou au Dahomey.

CHOIX PAR CHACUN DE SON CORRESPONDANT

Immédiatement, le conseil programme les premiers travaux de correspondance :

-          lettre collective de propositions
-          préparation d'un imprimé pour la fiche d'identité.

FICHE D'IDENTITE

Nom et prénom :

Date de naissance :

Age:

Taille :

Poids :

Adresse :

Goûts:

J'aimerais écrire                         à une fille

                                                   à un garçon

J'écrirai chaque semaine ‑ tous les 15 jours

Je suis capable d'écrire           lignes           pages

Signature         Photo

 

Chacun remplit consciencieusement sa fiche, mais il nous manque les photos. Nous décidons de prendre des photos de groupe et nous expédions des imprimés vierges àSt-Nazaire.

Le 26 octobre, nous recevons les photos et les fiches de nos correspondants. Comment allons-nous choisir ? La discussion s'engage entre les enfants et je n'interviens que pour permettre à chacun d'exprimer son point de vue. Robert Brenans à St-Nazaire et moi-même ayant décidé d'adopter une attitude non-directive. Rapidement, un tableau des vœux exprimés sur les fiches apparaît nécessaire ; Guy nous en propose un :

RAGON

ST‑NAZAIRE

Désirent 1 fille

1 garçon

1 fille

1 garçon

Patrick R

Gérard

Dominique

Jacky

Guy

Etc…

Jean-Luc

Philippe

Joël

Jean-Paul

Lionel Pascal

Pierrette

MarieClaude

Marcel

Anna

Simone

Mimi

Nous nous trouvons devant un problème apparemment insoluble. Martine présente son avis en s'appuyant sur notre expérience antérieure : « Nous, nous voulons des filles, et les garçons eux ont tous choisi une fille. Nous, nous préférons une fille, car on se confie mieux à une fille ! Pourquoi on ne ferait pas comme l'an dernier, un garçon prend un garçon, une fille prend une fille. Quand on ira à St-Nazaire, quand le garçon se trouvera devant nous, il ne saura pas quoi dire. Un garçon c'est timide, et il partira avec les autres garçons. Alors nous qu'est-ce qu'on deviendra ? C'est pas la peine ! »

Mais Guy et Patrick Rousseau, qui ont déjà choisi une fille d'après les photos n'admettent pas l'argumentation de Martine. Renée et Jean-Luc pensent que la solution serait de se rencontrer avant de choisir.

Après un court débat sur les éléments qui peuvent permettre de choisir : aspect extérieur, écriture, goûts.... Dominique propose que les filles choisissent d'abord. La proposition est adoptée par 10 voix, mais Guy proteste : « Je corresponds à condition que je garde toujours celle-là ! »

Jean-Luc demande alors : « On devrait faire comme l'an passé. Les deux maîtres choisiraient ; ça irait plus vite ! » Proposition repoussée par 11 voix. J'interviens pour faire la synthèse de la discussion, et je demande comment seront faites les propositions à St-Nazaire. Il est décidé que nous enverrons nos fiches, nos photos, une lettre collective, des lettres individuelles de proposition.

Comme prévu, les filles vont d'abord choisir :

Anita                     choisit                Jean‑Paul
Aline                          »                   Claudine
Renée                        »                   Claude
Françoise                   »                   Claudine (elle ne veut pas de Marie-Claude,
                                                      parce que cette dernière boude)
Martine                      »                   Mimi
Annie                         »                   Brigitte
Jeanne                       »                   Pierrette.

Puis c'est le tour des garçons. Guy et Jacky veulent Simone. Guy est en colère : « Moi j'ai choisi quelqu'un, mais Jacky fait exprès de choisir la même » Ils abandonnent alors leur choix tous les deux et c'est Gérard qui prend Simone.

Patrick Rousseau   choisit             Anna
Dominique             «                     Claude
Gérard                  «                     Simone.

5 garçons ne choisissent pas.

La lettre collective est écrite en commun, puis ceux qui ont choisi préparent leur première lettre. J'extrais de celle de Renée (qui se trouve en compétition avec Dominique) : « Je t'écris pour la première fois et j'espère que tu me choisiras. Si tu ne me choisis pas, je ne sais pas qui choisir d'autre. Moi j'aime la peinture et le cinéma. J'ai les mêmes goûts que toi... »

Que se passe-t-il à St-Nazaire lorsque notre paquet arrive le 3 novembre ?

Les 8 enfants qui ont reçu une ou deux lettres sont heureux. Claude choisit Renée, car « elle me dit comment faire la confiture » et Claudine choisit Aline : « Moi je garde Aline, elle m'a fait des beaux dessins ».

Les enfants qui n'ont pas été choisis sont déçus. Ici se pose le problème de la frustration, qui fera l'objet d'un autre article.

PATRICIA : Pourquoi il y en a qui en ont eu et pas les autres ?
NELLY : Ils ne veulent pas de nous ?
(Vont-ils choisir parmi les enfants de Ragon qui n'ont pas de correspondant ?)
NELLY : Je ne veux pas un garçon. Si quand on l'a en face de nous il ne nous plait plus ?... Je prends Dominique, mais il n'est pas beau !
LIONEL : Je prends Jean-Luc,
(Pascal choisit Guy et Joël choisit Patrick R).
MARIE-CLAUDE : Moi je veux Françoise ou personne d'autre !
MARCEL : Moi aussi je veux Philippe ou personne !

Il reste Patricia, qui ne veut que Jean-Luc. Lionel accepte de prendre Jacky. Ainsi tout le monde a maintenant choisi.

Mais ce choix sera-t-il accepté à Ragon ?

Nous recevons une lettre collective avec les nouvelles propositions de choix, Ceux qui ont vu leur choix retenu sont heureux. Dominique accepte le rejet de Claude, mais Françoise est très mécontente et refuse Marie-Claude. Guy, qui voulait une fille, n'accepte pas Pascal. Quant aux autres, ils attendent une lettre individuelle pour se décider.

Le 10 novembre, les lettres individuelles sont là. C'est l'effervescence. Chacun se précipite à l'appel de son nom, y compris Guy et Françoise. Mais Guy manifeste rapidement son refus. Martine lui demande de préciser la raison. Guy s'obstine dans son refus, alors que Françoise accepte finalement Marie-Claude.

Philippe ne veut pas de Marcel : « Je veux un grand, pas un petit. Il a onze ans ! » (Philippe est le plus grand de notre classe et a 14 ans). Après quelques minutes de discussion, Guy accepte Pascal, Philippe écrira à Patricia, Jean-Luc à Joël et Patrick à Marcel.

Le choix est accepté à St-Nazaire et ne sera plus remis en cause jusqu'au voyage-encontre du 20 janvier. Nous notons que Françoise et Marie-Claude sont particulièrement accrochées et que Guy fait un effort exceptionnel pour envoyer des lettres originales à Pascal.

Que se passe-t-il au cours du voyage à St-Nazaire le 20 janvier ?

Le contact est difficile. Au cours de la promenade au port, les clans de chaque classe se reforment, puis petit à petit les contacts ont lieu ; mais les relations ne s'établissent pas pour tous sur la base du choix qu'ils avaient fait. Anna et Marie-Claude forment un groupe avec Jeanne et Françoise. Plus tard, Guy et Dominique viendront se joindre à eux. Mimi, Simone et Claude se promènent bras dessus bras dessous avec Martine et Annie. Renée et Nelly fraternisent et s'embrassent.

Chez les garçons, seul Jean-Paul accroche avec Patrick R. Tout au long de cet après-midi on s'aperçoit que les choix primitifs sont remis en cause. En fin de journée, plusieurs enfants souhaitent de changer de correspondant et des propositions directes sont faites.

Le 21 janvier, la discussion est animée à Ragon et à St-Nazaire

A Ragon, Jeanne est critiquée pour ne pas avoir parlé à Pierrette. Guy veut écrire à Marie-Claude, mais Françoise n'accepte pas le partage. Martine veut écrire à Mimi et à Simone. Renée désire avoir Nelly pour correspondante. Chez les garçons qui avaient choisi une fille, c'est la déception. Gérard n'a pas osé parler à Simone et Patrick Rousseau est vexé d'avoir été délaissé par Anna. Philippe a été mal accueilli par Patricia, qui s'est montrée très perturbée. Quant à Dominique, Renée lui a enlevé Nelly.

A St-Nazaire, le processus de choix initial est remis en cause.

Simone : « Il fallait pas les choisir sur les photos ; il aurait fallu aller devant eux ! »
Pascal : « Avant de correspondre il aurait fallu passer une journée avec eux. »

Un grand nombre d'enfants désirent changer de correspondant. Mais seule Patricia, qui n'a d'ailleurs parlé à aucun garçon de Ragon, désire encore avoir un garçon pour correspondant ; les autres filles veulent une fille.

Un nouvel échange de proposition a lieu, mais cette fois les choix sont beaucoup plus motivés. La frustration est plus grande pour les enfants qui ne reçoivent pas de proposition.

A ce jour 17 février, et alors qu'une nouvelle rencontre est prévue à Ragon pour le 2 mars, les liens sont solides entre :

Françoise et Marie-Claude                                Patrick Rublon et Marcel
Martine et Mimi                                                Jean-Luc et Joël
Renée et Nelly                                                 Dominique et Pascal
Annie et Claudine                                             Jeanne et Anna.
Les liens se créent entre
Anita et Pierrette                                              Philippe et Lionel

Aline n'a pu établir de contact. Brigitte ne répond pas à la proposition de Patrick Rousseau, car elle ne veut pas d'un garçon. Claude accepte Jacky mais ne lui écrit pas. Gérard, qui avait repris ses échanges avec Simone, se retrouve seul, Simone ayant quitté l'école. Quant à Guy, qui avait reçu une lettre de Marie-Claude et qui en était enthousiasmé il vient de subir une grande déception : Françoise a réussi à obliger Marie-Claude à abandonner Guy en la menaçant de la quitter si elle continuait cet échange.

QUELLES CONCLUSIONS PROVISOIRES pouvons-nous tirer de ces 4 mois d'échanges libres en ce qui concerne le problème particulier du choix ?

- Tout d'abord qu'au niveau de nos enfants de 12 à 14 ans, les relations filles-garçons sont difficiles ;
- Que la fiche d'identité ne permet pas un choix solide, et qu'il serait préférable d'organiser une ou plusieurs rencontres avant d'engager des échanges individuels ;
- Qu'il paraît difficile, sinon impossible, que chaque enfant trouve dans la classe correspondante un camarade qui lui convienne. (Pour éviter une frustration trop forte, il serait nécessaire de trouver des correspondants dans d'autres classes).
- Que le maître doit accepter le refus de quelques enfants d'écrire.

L'expérience continue...

*

Jusqu'au mois de mai, Robert et moi-même n'intervenions pas dans les échanges, sauf pour corriger les lettres, à la demande des enfants.

Or, voici que les lettres individuelles se font plus rares et deviennent moins intéressantes ; une certaine lassitude se fait sentir. D'autre part, le groupe s'avère incapable d'animer les échanges collectifs. Aussi, d'un commun accord, nous décidons de participer plus activement.

Immédiatement, l'intérêt est relancé. Les enfants sont heureux de cette nouvelle attitude de ma part et le manifestent à plusieurs reprises sur le journal mural et au conseil.

Cette expérience ne permet pas d'affirmer que la correspondance de classe à classe, d'enfant à enfant, ne pourrait avoir lieu sans la participation du maître ; mais elle montre que cette participation est un facteur indéniable de réussite. Aussi, en septembre 1968, je démarre l'année avec une nouvelle hypothèse : celle du maître-participant.

Les enfants, cette fois, font des propositions à plusieurs classes les filles trouvent des correspondants à Couëron (cdp) et à St-Servan (4e pratique), et les garçons à La Baule (cdp). Quelques enfants ont des échanges avec deux classes.

Tous écrivent librement ; mais je suis attentif à la richesse du contenu des lettres que l'on me fait corriger, ainsi qu'à la propreté des copies. Je soutiens l'effort des handicapés. J'écris moi aussi aux maîtres pendant les séances programmées de correspondance, et j'ai ma page dans les lettres collectives et les albums.

Depuis un an ce processus n'a pas été remis en cause et il semble donner satisfaction à tous. Mais il serait étonnant qu'un incident imprévu ne nous oblige pas à nous reposer le problème, et ainsi à reprendre notre recherche...

2. TEXTE LIBRE ET JOURNAL SCOLAIRE

En septembre 1965, je propose aux enfants le processus adopté en général par les classes pratiquant les techniques Freinet :
- Chacun écrit ses textes quand il veut et où il veut
- Les lundi, mercredi et vendredi, celui qui a un texte peut le lire au groupe ; nous choisissons par un vote celui qui nous plaît ; nous le mettons au point ensemble, et il est ensuite tiré soit à l'imprimerie, soit au limographe.

Je n'exige pas que les enfants écrivent, mais tous utilisent largement ce moyen d'expression. Ils expérimentent pendant plusieurs mois cette technique sans la remettre en cause ; puis, en mai 1966, une exigence de justice se manifeste sur deux plans :

- le plan du droit : il est décidé en conseil que chacun aura droit à une page dans le journal, et à une page seulement ;
- le plan du devoir : chacun devra présenter un texte par semaine.

A cette époque, l'application des décisions revient soit au président, soit au groupe, soit au maître. Pour ce qui est de la première, pas de problème relationnel : à chaque séance de texte libre, le choix se fait entre les enfants n'ayant pas encore de texte dans le journal, les autres textes inscrits au tableau restant exclus de la compétition. Seul le journal en subit les conséquences : comme notre rythme de tirage est trop lent, de mensuel il devient trimestriel.

La deuxième décision, reprise aux rentrées de 66 et de 67, provoque quelques discussions durant les conseils ; mais en général les enfants écrivent beaucoup et il est rare que quelqu'un ne présente pas un texte au cours d'une semaine.

Il n'en est plus de même en octobre et novembre 67. Le groupe s'oppose de plus en plus à Martine, qui est une déviante et qui rejette à cette époque quasi systématiquement nos règles de vie et nos activités quand elle ne fait pas partie du groupe qui les a décidées. Elle n'écrit que rarement, malgré les rappels du conseil de coopérative et mes propositions d'aide.

Le conseil m'ayant donné pouvoir au niveau de l'application, le vendredi 10 novembre je décide de provoquer un choc. je donne une rédaction à quatre enfants pendant que les autres travaillent avec moi à la mise au point du texte choisi.

Martine rédige à contrecœur et la semaine suivante nous présente un texte sur le Vietnam, qui est choisi à l'unanimité :

La guerre au Vietnam doit être horrible. On doit entendre tous ces gens se plaindre et crier de peur. Les enfants ne doivent plus retrouver leurs parents. Nous, en France, on est heureux, On n'a pas de soucis de guerre. On peut se promener dans les rues, rigoler, passer de bons week-end. Mais eux, ils n'ont pas ce bonheur-là. Ils sont sans cesse bombardés par les autres, Je dis qu'on ne se soucie pas assez de la guerre au Vietnam. Si on s'en était occupé bien plus, eh bien, il n'y aurait plus de guerre. Tout le monde serait heureux ; ça ne sert à rien de se tuer. Mais ce n'est pas facile d'arrêter la guerre. Moi, je plains de tout mon cœur ces gens comme nous. Je voudrais qu'ils soient heureux.

MARTINE

Ce texte donne lieu à une discussion intense au cours de laquelle les enfants me demandent quelle est ma position. Educateur engagé dans la lutte pour la paix, et soucieux d'être authentique et de parler vrai aux enfants afin que le dialogue s'établisse, je n'hésite pas à donner mon avis.

Cependant, en dépit du succès de mon expérience, je pense avoir commis une erreur. Aussi, au cours d'un conseil, je pose une question à Martine, que je sens riche d'idées originales propres à nous faire progresser vers plus de profondeur : « Martine, pourquoi ne présentes-tu pas de textes ? »

MARTINE : Je n'ai pas d'idées.
MOI : Que proposes-tu alors ?
MARTINE : La rédaction ne m'apprend rien ; il vaut mieux que je participe au texte libre avec vous (sans attendre la mise au point).
FRANCOISE : Tu écoutes nos textes, ça te donnera des idées tu écriras ensuite.
MOI : C'est en écrivant que tu apprendras à écrire.
MARTINE : Je n'ai pas d'idées; vous n'avez qu'à me donner un sujet !
MOI : Mais si, tu as des idées. Tu nous dis des choses intéressantes en discussion, le matin. Je ne te donnerai plus de sujet.

Après cette discussion, et sans qu'une nouvelle décision soit prise, le groupe abandonne son exigence et chacun devient libre de ne pas présenter un texte par semaine.

Au mois de février, au cours d'une discussion sur le texte libre, à une Journée départementale du groupe Freinet, je suis amené à penser et à dire que le maître devrait aussi participer à l'expression libre écrite dans la classe. Je me mets donc à écrire : « Mon vélo demi-course », texte sur un vélo que j'ai acheté à la communauté d'Emmaüs le jour de la visite qu'a fait notre classe.

Lorsque j'annonce mon texte, les yeux reflètent la surprise et quelques sourires se dessinent. Quand il est lu, des questions me sont posées, en particulier si je vais venir à l'école à vélo, chacun se promettant de bien rire à mes dépens.

Quelque temps après, mon texte « Février » est choisi à son tour, et au conseil de classe les enfants décident que j'aurai ma page dans chaque numéro du journal, « comme tout le monde » (ajoute Gérard), puisque le maître fait aussi partie de la coopérative.

En septembre 68, je m'engage plus délibérément dans l'expression libre. Mon texte, « Au bois » est choisi

AU BOIS

Samedi                                                        Nous courons
le bois nous accueille,                                nous grimpons
l'air est doux,                                              nous sautons
tout est calme,                                             nous jouons.
le soleil ravi                                                Nous admirons les eaux calmes
laisse ses rayons                                         de l'étang endormi,
jouer à cache-cache                                   les premières feuilles détachées
dans les buissons.                                       des grands arbres
                                                                   viennent s'y poser
                                                                   comme des papillons légers.

L'expression devient rapidement plus riche, plus confidentielle. Et nous nous posons des questions : qu'est-ce que le texte libre ? pourquoi les textes libres ?

Josée l'exprime ainsi : « Vous êtes tous mes amis, j'aime vous lire mes textes, j'aime que vous les écoutiez et qu'ensuite vous me parliez ».

Autres questions : pourquoi un journal ? Comment sera-t-il fait ? Que contiendra-t-il ?

A la suite de ces réflexions, nous décidons de lire nos textes chaque matin pendant l'entretien et de ne plus choisir. Une nouvelle règle est instituée : chacun aura une page dans le journal et le maître aussi. Chacun choisira lui-même son texte, l'illustrera et le tirera. La mise au point se fera avec l'aide de tous.

Actuellement, le conseil programme deux ou trois séances de mise au point par semaine, et c'est le suivant sur la liste alphabétique qui présente un texte pour sa page du journal. S'il n'a encore rien à proposer, il cède son tour.

L'an passé, comme notre journal paraissait irrégulièrement, le conseil avait décidé de tirer éventuellement des suppléments, pour diffusion rapide. Un seul tirage a eu lieu (annexe la Solidarité Internationale). Cette année, cette décision n'a pas été reprise.

J'ai proposé d'adopter le format 21 x 27 et de faire figurer nos discussions dans notre premier numéro. Ces deux propositions ont été adoptées, mais nous n'avons pas encore résolu le problème de la rapidité du tirage. Faut-il envisager une organisation plus rationnelle des outils nouveaux ? Nous cherchons.

(Jean LE GAL)

3. RENCONTRES D'ENFANTS

La mode est aux rassemblements d'enfants et d'adolescents, aux congrès des coopérateurs. Loin de moi l'idée de dénigrer ce genre de rencontres, qui comportent certes des éléments positifs.

Mais je pense qu'elles pourraient être plus enrichissantes, plus fructueuses encore pour les adolescents, si ceux-ci, au cours de l'année scolaire, dans leur classe, avaient véritablement le droit à la parole, le droit de critique, et s'ils étaient habitués au travail coopératif. Pour nos enfants « d'âge primaire », cela ne semble pas aller de soi. Certes, les expositions des travaux popularisent davantage les techniques coopératives (échanges, étude du milieu, etc.), mais pourquoi faut-il vouloir calquer les organisations d'enfants sur celles des adultes ?

Le voyage-échange, hélas souvent irréalisable et surtout les rencontres entre correspondants (peu éloignés les uns des autres) assez fréquentes, permettent réellement une confrontation d'idées à propos du travail de la classe, des techniques qui y sont utilisées, du climat d'amitié qui y règne.

En conseil de coopérative, en fin d'année, nous décidions de continuer les échanges. Mais la correspondance se ferait désormais avec des camarades que l'on pourrait aller visiter, avec qui nous pourrions jouer ou discuter dans la plus franche camaraderie.

Nos correspondants sont à La Baule, à 11 kilomètres de St-Nazaire. Depuis la rentrée, nous nous sommes rencontrés deux fois.

Je n'insisterai pas sur les multiples avantages de ces échanges très rapprochés, surtout au niveau de nos classes de perfectionnement. Je mettrai l'accent sur le côté original, je crois, de nos rencontres.

Auparavant, je dois vous dire que dans ma classe, quotidiennement ou presque, en conseil de travail, les enfants donnent leur avis sur ce qui se fait en classe et sur la manière dont cela se fait. Ils émettent leur opinion sur les techniques utilisées, le matériel en usage, etc. L'atmosphère permet une totale liberté d'opinion.

Dès l'arrivée en classe des correspondants, c'est spontanément que se formèrent les groupes. Par deux ou par trois, les enfants se mirent à parler des travaux réalisés : dioramas, peintures, maquettes, travaux de rotin, naturalisation d'oiseaux, etc.

Et Didier d'expliquer comment il avait fabriqué son diorama. Et Richard de dire comment fonctionne le limographe, Philippe de montrer son casseau de caractères bien rangé.

Rien de figé, je vous assure ; des enfants très détendus, parlant spontanément de leur travail avec fierté et enthousiasme.

Une réunion s'organisa ensuite, sous la présidence d'un enfant. En somme, une assemblée extraordinaire d'enfants, ayant les mêmes préoccupations, les mêmes habitudes. Et les questions fusaient nombreuses. Je ne mentionne que quelques thèmes de discussion, quelques idées lancées spontanément.

Le journal scolaire

Les enfants discutèrent de la présentation de leurs journaux, des moyens d'illustration, du contenu, de la nature des textes (vrais ou inventés).

Michel (St-Nazaire) : « Nous vendons 80 journaux ».

Un enfant de La Baule : « Comment faites-vous pour en vendre tant ? »

Yannick (St-Nazaire) : « A l'école on en vend déjà vingt, aux maîtres et aux maîtresses ; et puis, c'est une question de bonne volonté de la part de chacun ».

Ils discutèrent aussi des dépenses occasionnées par le journal feuilles, encre, stencils. « A St-Nazaire, c'est la mairie qui nous donne les feuilles pour rien » - « Nous, à La Baule, on les achète ».

La peinture

Les enfants de La Baule demandèrent à leurs camarades comment ils s'y prenaient pour réaliser de si belles peintures. Et Michel d'expliquer sa technique, puis Gilbert, puis Pierre. Tout ceci n'avait rien de formel d'ailleurs ; nos enfants se comprenaient d'autant mieux que leurs techniques de travail étaient voisines : texte libre, journal scolaire, classe-exploration, peinture libre, travail aux bandes, etc.

Ils cherchèrent aussi les moyens d'améliorer la qualité des échanges : échanges de travaux personnels, découpages libres.

Le travail apparaît alors comme le seul moyen d'expression et d'exaltation de ce « besoin d'être », et conséquemment, comme le seul lien commun entre les membres de la société. (C. Freinet, L'Education du travail).

Gilbert était en classe, l'an dernier, à Biarritz. Il a gardé une certaine nostalgie de cette région, qu'il exprime d'ailleurs dans ses textes libres, ses poèmes, ses peintures. Sans doute voulait-il la communiquer à ses correspondants. Sa conférence sur Biarritz et sur le Pays Basque, il l'avait réservée pour les « corres. ». Cartes postales, banderilles, tout était prêt. Avec quel bonheur il sut évoquer cette région et passionner son auditoire, uni dans une même attention !

Charles réalise beaucoup de bandes individuelles. Il est triomphant quand il en a terminé une. Le jour de la visite des correspondants, il leur a présenté sa bande La tortue. La bande, abondamment illustrée, se déroulait sous les yeux des camarades étonnés, cependant que Charles, épanoui, donnait ses explications.

Des enfants ouverts à d'autres enfants ! Des camarades ouverts à des camarades ! Les éducateurs doivent exploiter ce besoin naturel de l'enfant de communiquer avec d'autres.

Nos deux rencontres ont permis à nos enfants handicapés de devenir plus confiants, plus ouverts, plus libres. Elles les ont réhabilités en valorisant leur travail, et dans ces échanges d'idées, de travaux, de sentiments, nos enfants ont connu des heures de fraternité joyeuse.

La vraie fraternité, c'est la fraternité du travail (C. Freinet).

(P. YVIN)

4. LE CONSEIL DE COOPÉRATIVE

Dans ma classe, depuis 10 ans (c'est-à-dire depuis que j'ai adopté la pédagogie Freinet), le conseil de coopérative du samedi a été un des éléments importants de la prise en main par les enfants de leur vie scolaire.

Ils y établissent leurs lois, jugent les infractions commises (avec humanité), examinent les propositions concernant les activités et les relations au sein du groupe, mettent au point leur plan collectif de travail pour la semaine suivante, discutent de leurs réalisations.

L'évolution de ce conseil, institutionnalisé la première année par moi-même dans un CE1, fut variable. Cela tenait à ma propre évolution tâtonnée, car nous nous heurtions, dans ces classes à un seul cours, à un élément fondamental de toute éducation : le temps.

Cette dimension s'est trouvée complètement bouleversée dans ma cdp actuelle, où je garde pendant plusieurs années les mêmes enfants. L'esprit critique, l'esprit d'initiative, le goût de la liberté, le sens des responsabilités vis-à-vis de soi-même et du groupe, se développent en profondeur.

Il serait trop long d'étudier d'une manière exhaustive les diverses formes prises par le conseil de coopérative du samedi. Je donnerai simplement le compte rendu d'une évolution, ce fait pédagogique permettant d'apprécier, dans son aspect expérimental, l'attitude du groupe et la mienne en face de ce problème.

*

Nous sommes au début du 2e trimestre de l'année scolaire 67-68. Les enfants sont dans la classe pour la 3e année. Ils ont programmé pour le lundi un conseil de coopérative.

Avant de démarrer, je demande que soit examiné le problème de ce conseil lui-même, car il devient de plus en plus routinier ; on le programme plus par habitude que par une nécessité profondément ressentie ; les propositions y sont rares et le président a fort à faire pour secouer l'inertie des participants.

Je demande donc : « Désirez-vous conserver le conseil de coopérative ? » Personne ne réagit, malgré l'invitation de Philippe, qui demande qu'on se prononce sur ma question. Je précise que si la classe ne prend pas de décision, ce sera à moi de la prendre. Alors je deviendrai celui qui commande, et dans ce cas ils n'auront plus qu'à obéir. Je donne quelques exemples de décisions les concernant qui seront à prendre soit par tous soit par moi seul.

Mais désirent-ils donner leur avis en ce qui concerne leur vie ? Sollicités par le président, les enfants répondent unanimement par l'affirmative. Françoise s'abstient dans un premier temps, mais je lui rappelle qu'elle intervient souvent quand les décisions la concernent ; elle participe alors à l'adhésion de ses camarades.

Cette question étant réglée, je demande : « A quel moment donnerons-nous notre avis ? » Jusqu'ici nous avions un conseil chaque soir et un conseil de coopérative en fin de semaine.

Renée répond : « Il faudrait qu'il n'y ait pas de critiques ;il faudrait qu'il y ait des félicitations. Quand les gens viennent, ils voient les critiques ! » (Depuis deux ans, les critiques ont été écrites sur le journal mural, solution que j'avais proposée à la suite des « rapportages » des premiers jours. Le journal a été largement utilisé).

Une discussion suit la proposition de Renée : on pourrait écrire les critiques derrière le tableau, ou bien sur une feuille accrochée derrière... Je demande : « Maintenons-nous les critiques ? »

ANITA : S'il n'y a pas de critiques, on viendra rapporter.
L'argument d'Anita emporte la décision : les critiques sont maintenues.
MOI : Les mettrons-nous sur le journal mural ou derrière le tableau ?
Gérard propose de les écrire sur un cahier. Après discussion, Annie est choisie pour tenir le cahier des critiques et pour les lire au conseil.
MOI : Que ferons-nous au conseil ??
FRANÇOISE : Le travail fait pendant la semaine.
DOMINIQUE : Faire le plan de l'autre semaine ; voir ce que l'on n'a pas fait et les ateliers qui marchent.
MOI : Quand verrons-nous le cahier de critiques ?
FRANÇOISE : … et l'examen des propositions ?
GERARD : Sur le journal mural resteront les félicitations et les propositions.
MOI : Qui est d'accord ? Douze. Quand examinerons-nous les propositions ?

(Jusqu'à ce jour le conseil avait lieu le samedi ; il s'était d'ailleurs déplacé de l'après-midi au matin afin de dégager l'après-midi entière pour le plein air, à la suite d'une proposition d'un enfant.)

MARTINE : On devrait faire tous les deux jours l'examen des propositions.

Guy démontre que les conseils ne tomberaient jamais les mêmes jours. Gérard propose le samedi. Je relance les deux propositions au groupe. Dominique propose le vendredi, en motivant sa proposition par le fait que nous pourrions éventuellement le terminer le samedi.

Il est alors décidé que le conseil aura lieu le vendredi, de 14h15 à 15h15. Cette décision tient compte des institutions externes : heure de la récréation et travail des filles avec une collègue de 15h30 à 16h30.

MOI : Qui présidera le conseil ? Ce ne sera jamais moi.

Le premier trimestre, les enfants avaient décidé de choisir Dominique comme président unique, car il leur paraissait seul capable de donner la parole, Mais quelques camarades étaient jaloux de lui. Il est intéressant de remarquer qu'il y a deux ans, 14 enfants tenaient fermement à présider, alors que maintenant les candidats sont moins nombreux, sans doute se sont-ils rendu compte de la difficulté qu'il y a à diriger une discussion ?

Guy demande qu'il y ait deux présidents, afin de pouvoir se remplacer en cas d'empêchement.

MARTINE : Il faut prendre ceux qui n'ont jamais été présidents.
RENEÉ : Non ; chacun son tour...
GUY : Ceux qui ne président pas bien seront enlevés.

Après discussion, les six candidats sont retenus, et on commencera par le plus petit. Je propose alors à Patrick de prendre la présidence de ce premier conseil de coopérative du deuxième trimestre.

*

Chaque année le conseil évolue, car il est une des pièces maîtresses de l'autogestion, avec le président de jour et le conseil de classe quotidien. Nous cherchons, à travers de multiples tâtonnements, l'organisation qui permette :

- à chacun, de présenter ses propositions et de donner son point de vue dans les discussions ;

- au groupe, de prendre des décisions et de veiller à leur application.

La maturation sociale des enfants se faisant progressivement, il est indispensable de prévoir des réflexions périodiques sur le conseil lui-même, afin de mieux l'adapter à nos besoins.

(J. LE GAL)

5. LE PRÉSIDENT DE JOUR

En 1960‑61 à la suite de la lecture du Poème Pédagogique de Makarenko, je propose aux enfants de mon CE1 une nouvelle institution : le président de jour.

Cette proposition est unanimement acceptée, car elle permet à chacun de diriger les activités à son tour et évite la directivité contraignante d'un président élu pour une certaine durée. Elle correspond aussi à mes buts éducatifs : donner à chacun alternativement les fonctions d'organisateur et de travailleur, de responsable et d'exécutant. Un président permanent en face d'enfants réduits au rôle d'exécutants, cela peut fabriquer de futurs « chefs », mais non donner à tous le sens des responsabilités.

Appliquée chaque jour par un président différent, la loi élaborée en commun au cours des conseils est beaucoup mieux respectée. Lorsqu'un enfant refuse de la suivre, le conseil lui enlève un tour de présidence de jour. Pour être capable de diriger les autres, il faut d'abord savoir se diriger soi-même.

Au mois de février, le président de jour préside presque toutes les activités avec une aide plus ou moins grande de ma part, l'exercice de cette fonction ne pouvant s'acquérir que par tâtonnement.

Lorsque, en 1965, je prends la cclp de Ragon avec des enfants de niveau CP-CE de 10/12 ans, je propose immédiatement la même institution. La première et la deuxième année, tous les enfants acceptent de présider. Mais est-ce à cause de l'âge, du déficit intellectuel, des difficiles problèmes posés par les enfants caractériels, l'institution ne fonctionne pas aussi bien qu'au cours élémentaire.

En 1967, les enfants cherchent d'autres solutions, car c'est souvent moi qui dois présider, or ils savent que je désire les voir prendre en main la vie de leur coopérative.

Ils essaient d'un président élu, mais ils ne respectent pas plus ses décisions que celles des présidents de jour antérieurs. Ils reviennent au président de jour ; mais devant les difficultés de la tâche, deux enfants seulement acceptent encore ce rôle, devenu trop ingrat, les refus d'obéissance enlevant toute autorité. Un seul d'entre eux est suffisamment autonome pour s'imposer à lui-même les règles de vie qu'il est chargé en tant que président de faire respecter.

En 1968-69, je ne conserve que quatre anciens. Les nouveaux arrivés acceptent de jouer le rôle de présidents de jour. Je les aide plus que l'année précédente, afin d'éviter au groupe de se trouver sans un de ses membres comme animateur, et je les conduis à réfléchir sur les problèmes du maître et du président de jour, au cours de réunions exceptionnelles organisées en Philips 6 x 6, technique que j'ai apprise durant les vacances, en stage de pédagogie Freinet.

*

RÉUNION EXCEPTIONNELLE DEMANDEE PAR MOI-MEME

Le lundi 2 décembre 1968, en entrant en classe, à 13h45 :

MOI : Vous aviez prévu de faire éducation physique, et moi je ne veux pas aller sur le plateau avec des enfants qui se disputent, qui n'entendent pas les autres, qui n'écoutent pas les directives de travail.

Vous savez ce que je voudrais que vous soyez :
- des enfants qui respectent les autres : pas de moqueries, pas de coups, pas d'injures ;
- des enfants qui dirigent eux-mêmes leur classe.

Je vous propose de me dire clairement CE QUE VOUS VOULEZ QUE JE SOIS, Et pour que tout le monde puisse parler, on pourrait se réunir en 4 groupes ; dans chaque groupe un camarade note ce qui se dit et le fait ensuite connaître à tous.

Proposition adoptée à l'unanimité. Dans les groupes, les enfants discutent à voix basse. Fabien, Q.I. 57, embête les autres, et Jacky fait appel à moi. L'attitude de Fabien, agressif, incapable d'« entendre » les autres, de proposer quoi que ce soit, pose le problème des limites de l'autogestion, limites dues à des conditions objectives : maître-enfants, moyens techniques, milieu scolaire, milieu social et économique, etc.

Résultats après 10 minutes de discussion :

Groupe 1 (l ancien, 2 ‑‑> CdP, 1 ‑‑> cl, traditionnelle)
-          soit ami avec nous - ne se fâche pas - ne crie pas
-          soit à notre disposition quand nous avons besoin de lui
-          que le maître ne fait pas le gendarme
-          nous donne un coup de main.

Groupe 2 (3 anciens ayant déjà vécu les difficultés de la présidence de jour)
-          reste toute la journée avec nous pour travailler, car quand il y a un président, il y a toujours du bruit ;
-          nous voulons un président qui sait bien présider.

Groupe 3 (3 nouvelles, 2 ‑> cl. trad., 1 ‑‑> CdP)
-          qu'il soit le président, qu'il soit le chef.

Groupe 4 (1 ancien, 2 ‑‑> CdP, 1 ‑‑> cl, trad,)
-          on veut que vous êtes respecté ;
-          on veut pas que vous criez.

Je présente alors le bilan des réponses à ma question : QUE VOULEZ‑VOUS QUE JE SOIS ?

DISCUSSION GENERALE

JOSEE : Quand on ne fait que parler, vous êtes obligé de vous fâcher.
MOI : Qui veut la parole ?
P RUBLON : Le maître pourrait marquer au tableau mural.
P.ROUSSEAU : Josée, tu dis que le maître doit être le chef, et s'il n'est pas là, qui va commander ?
RENEE : On choisit le meilleur président.
JOSEE : Le maître ne peut pas venir tout de suite s'il est occupé avec un autre.
BRIGITTE : S'il est occupé on dit au président.
MOI : Et si c'est le maître le président ?
P.ROUSSEAU : Il faudrait deux présidents.
JOSEE : On pourrait mettre un président par semaine. (Murmures approbateurs.)
MOI : Qu'est-ce que vous en pensez ?
MARIEL : C'est trop long.
CHRISTIAN : Ce sera trop long.
JACKY : Ceux qui obéissent pas on les met au coin. (Murmures de protestation.)
JOSEE : Il y aurait un président pour un mois, et un autre tous les jours.
MOI : Nous parlons beaucoup du président. Nous pourrions nous poser des questions : que doit faire le président ? ‑ à quoi sert-le président ? - qu'attendez-vous du président ? ‑ Qui serait président. Vous avez 10 minutes pour en discuter.

Je m'absente ; et quand je reviens :

RENEE : Qu'est-ce que c'est silencieux maintenant !
On s'interpelle entre groupes : « Je te critique... etc. »

Bilan 2e discussion

G 1 Le président sert à nous contrôler - un président par groupe - qu'une fille soit la présidente.
G 2 un président qui ne bat pas quand on ne lui obéit pas proposition : les 2 Rousseau et Renée présidents pendant 1 semaine ; quand on a besoin de lui il faudrait qu'il soit près de nous et qu'il préside bien.
G 3 que çe soit J. Flouré et P. Chapeau le président ; le président sert à diriger - on attend du président des ordres.
G 4 sert à diriger la classe et la sortie ; le président sera Jacky Flouré et Patrick Chapeau.

DISCUSSION GENERALE

JOSEE : Je voudrais deux présidents par semaine.
(Josée vient d'une classe normale mais a été plusieurs années dans une classe Freinet. Elle est un élément moteur de la collectivité, bien qu'elle n'ait pas atteint sa propre autonomie).
MOI : Qui veut la parole ?
P. ROUSSEAU : Jacky quand il est président menace de battre comme tout à l'heure pendant l'absence du maître.
RENEE : Tout à l'heure Jacky donnait des ordres. Je lui ai dit: « Ce n'est pas à toi de commander, on n'a pas encore décidé ! » Il m'a dit un gros mot.
J. FLOURE : Je ne m'occupais pas de Renée. J'ai dit: « Assis-toi » à J. Provost. Renée m'a dit : « C'est pas toi qui commandes. Occupe-toi de tes oignons ». C'est pour ça que j'ai répondu.
J. PROVOST : Je voudrais que J. Flouré et P, Chapeau soient présidents.
MARIEL : Un président par groupe ce serait mieux.
JOSEE : P. Rousseau disait à tout le monde de le choisir.
ALAIN : Je ne choisis pas Renée et P, Rousseau parce qu'ils demandent à tout le monde de les choisir.
MOI (j'interviens à cause des interruptions) : Chacun a le droit de dire ce qu'il a à dire.
RENEE : Alain est un menteur : je n'ai pas demandé à me choisir.
JOSEE : C'est vrai.
P. FLOURE : C'est vrai; ce n'est pas Renée.
P. ROUSSEAU : Je ne serai pas président, d'accord ; on verra si vous présidez mieux que moi. Jacky, tu dis que Renée a bien présidé l'autre jour.
MOI : Et les autres alors ? ils n'auront jamais le droit de présider ? Jeannette aussi l'autre jour a bien présidé. Est-il juste que ce soient toujours les mêmes qui dirigent et toujours les mêmes qui obéissent ?
RENEE : Qui est-ce qui veut être président ?

(Tous, sauf P. Rublon, Violette et Anita.)

RENEE : On les marque tous au tableau et on vole pour en choisir un.
JOSEE : On est chacun notre tour comme avant, on en parle le soir: ce qui a été bien présidé, ce qui a été mal présidé.
RENEE : Y en a qui président bien et d'autres pas; quand c'était Jeannette on disait : Oh ! ma petite Jeannette ! Elle est petite Jeannette.
MOI : Il faut décider !

Proposition        Renée : 2 voix
Josée : 13 voix.

MOI : Je répondrai à votre demande : ne pas crier, ne pas me fâcher, être à votre disposition.
Il est 15h15. Après 1h30 de débat, prise de conscience : les rôles respectifs de l'adulte participant et du président de jour sont mieux perçus.

*

UNE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE EXTRAORDINAIRE

Thème : LE PRESIDENT

Le samedi 7 décembre, le conseil décide de programmer pour le mardi 10 une Assemblée générale extraordinaire de la coopé à 16 heures. Les enfants sont répartis en 4 groupes. Je demande d'en être l'animateur ; le groupe accepte.

                                                                                        OBSERVATIONS

1° Question : QUELLES QUESTIONS VOUS

POSEZ-VOUS A PROPOS DU PRESIDENT ?               Le groupe 4 s'amuse.

(6 minutes)                                                                        Je lui fais l'observation : il se met en discussion.

Gr 1 : A quoi sert le président ?                                    

Gr 2 : Qui va être le président ? (posée oralement)         

Gr 3 : Pourquoi il y a un président ?
             A quoi sert le président ?                                    Je fais préciser
             Que doit faire le président ??                             qu'on ne peut
             Qui sera le président ?                                       choisir QUI qu'en

Gr 4 :     Que doit faire le président ?                               fonction de QUOI
             Qui sera le président ?                                       et nous sommes
Moi :     Quelle question allons-nous discuter en             d'accord pour la
             premier lieu ?                                                     2e question.
Patrick : A quoi sert le président ?                                   Je pose la 2e q.

2° Question : QUEL EST LE TRAVAIL DU

PRESIDENT ?
A QUOI SERT LE PRESIDENT ?

Gr 4 : Le président :
doit aider les camarades
        diriger la sortie                                                       Dans 2 groupes, un
        ramasser les cahiers                                                ou deux éléments
        regarder si les lettres sont bien faites                      sont inactifs.
        diriger les ateliers                                                   Les groupes sont
               déplacements                                                    agités (fatigue de la
regarder le magnétophone                                              fin de journée
               »      les bahuts                                                 cependant, les
               »      les mains                                                   enfants discutent.
               »      les bureaux
               »      les fenêtres                                               Le groupe 2 bavarde
               »      le plancher (propreté)                              pendant le rapport.

Gr 3 : Le président sert : à diriger-‑ à aller au
courrier - à aider à travailler - à aller
chercher le maître quand on a besoin
de lui.
Il doit respecter les ordres du maître
Il doit respecter les élèves
Il doit venir quand on en a besoin                                  C'est ce Gr 3 qui
Il ne doit pas faire de bruit                                             avait demandé que
Il doit parler à voix basse                                               le maître soit le
Il ne doit pas crier                                                                        chef, lors du pré-
                            pas battre                                            cédent Philips 6x6
                            pas rouspéter
                            pas être égoïste ou impoli

Gr 2 Le président sert à donner l'exemple
il décide le travail)                                                          (1) J'interviens
il remplace le maître quand celui-ci est absent                samedi le conseil a
il commande bien                                                            décidé que ce serait
il regarde si le travail est bien fait                                  au conseil de pren-
il regarde si les mains sont propres.                                dre les décisions.

Gr 1 :    Le président sert à nous contrôler
             il veille à ce qu'il n'y ait pas de bruit
             il aide quand on a besoin de lui
             il est à notre disposition
             il fait le rapport du travail au conseil
             il nous commande
             il nous donne le code de gentillesse.

Je relis toutes les réponses, et chacun peut exprimer accord ou désaccord.

RÈGLES ÉLABORÉES

- Quand le président ne peut pas aider, il appelle le maître ;
- Il contrôle l'électrophone, mais ce n'est pas lui qui met les disques.

La discussion sur les fonctions respectives du MAITRE et du PRESIDENT laisse en suspens les questions suivantes :

-          Que fait le maître quand le président est incapable de présider ?
-          Quel est le travail du maître ?
-          Le maître doit-il donner des ordres au président ?

La question : QUI SERA PRESIDENT ? n'est pas discutée, faute de temps. Nous conservons la décision précédente (ordre alphabétique).

Je demande alors : LE MAITRE POURRA-T-IL ETRE PRESIDENT ? Réponse à l'unanimité : OUI. Décision : le maître sera président le samedi.

*

A la suite de ce débat, j'établis une fiche‑-guide pour le président et j'assume moi-même ce rôle chaque samedi.

L'institution fonctionne de façon satisfaisante. Des heurts se produisent évidemment, car la marche vers l'autonomie est longue, mais à aucun moment il n'y a eu régression, peut-être à cause du climat d'amitié de la classe.

Arriverons‑-nous à faire disparaître la REPRESSION ? Seule l'expérience pourra répondre à ce problème, qui est celui de toute société réellement fondée sur la liberté.

*

Nous continuerons donc à chercher les solutions les plus propres à assurer notre marche vers l'autogestion ; et, comme le demandait Freinet, nous ne tiendrons jamais nos pistes et nos lumières pour définitives, car tout résultat est « sujet à révision, à modifications, à aménagements, selon les milieux et les temps ».

(J. LE GAL)



4ème PARTIE * CLASSE D’ENSEIGNEMENT SPECIAL d’Yvette BOLAND à Grivegnée (Belgique)

Avril 1967


4ème PARTIE

*

CLASSE D’ENSEIGNEMENT SPECIAL

d’Yvette BOLAND

à Grivegnée (Belgique)

 
1. LES ENFANTS
2. OU EN SOMMES‑NOUS ?
3. UNE TRANCHE DE VIE DE LA CLASSE
CONCLUSION

 

 

LA JOIE DE VIVRE
C'est bon de savoir vivre
en bonne entente
avec tous ceux
qui nous entourent !
C'est si bon de voir
les oiseaux s'ébattre
dans l'air,
car ils se sentent libres, libres
Rien ne les enchaîne
à rester dans une cage
où ils se sentiraient prisonniers
Là-haut dans le ciel
ils sentent la liberté venir à eux.
Nous, humains,
aimons aussi
vivre librement !
Nous imitons les oiseaux,
toujours à la recherche
de l'amitié,
de la liberté.
Nous désirons de tout notre cœur l'amitié,
que ce soit celle d'un homme
ou celle d'une femme :
Ce n'est que l'amitié qui compte.
Arlette DANSE

 
I - LES ENFANTS
Militante du mouvement international de l'Ecole Moderne, j'ai toujours pratiqué une pédagogie basée sur la coopération scolaire et la liberté d'expression. Toutefois, la lecture des expériences d'autogestion en classe de perfectionnement réalisées par mes camarades de l'ICEM, m'a conduite à accorder une part plus grande aux enfants pour ce qui concerne le choix des activités et les décisions de travail.
Durant cette année 1968-69, les enfants ont évolué dans un climat de liberté plus développé. Sans doute la discipline était jusque-là librement consentie ; la parole était donnée aux élèves quand ils la désiraient ; les conseils de classe étaient positifs. Mais l'effort fait dans ce sens cette année a été beaucoup plus ample.
Pour mieux comprendre l'esprit dans lequel l'expérience a été menée, il est nécessaire de bien situer ma classe.
Elle se compose de 14 élèves débiles légers : 7 filles et 7 garçons. Certains accusent des troubles caractériels. Ils ont tous de 12 à 16 ans (sauf un garçon âgé de plus de 17 ans). Tous sont issus d'un milieu socio-économique particulièrement défavorisé et perturbé. D'où traumatismes et blocages affectifs se soldant par des chutes, des transferts se liquidant en classe.
Sur l'ensemble des élèves, 3 sont dans ma classe depuis 64-65, et 5 ont déjà bénéficié de la pédagogie Freinet chez deux de mes collègues. Ils ont donc déjà joué un rôle dynamique au sein de leur groupe ; ceci me paraît très important.
Nous faisons partie d'un établissement d'Enseignement spécial de l'Etat groupant 150 élèves de 3 à 16 ans accusant toute espèce de déficience, sauf le handicap physique prononcé et l'infirmité motrice due à la paralysie cérébrale.
Je vais en quelques phrases vous présenter toute mon équipe.
1. MARC
14 ans, fils de manœuvre-maçon ; tendant à vivre replié sur lui-même ; bloqué affectivement; mauvais climat relationnel familial; caractériel. Père chômeur volontaire ; Marc s'en ressent, car il se dérobe face au travail.
Intelligence pratique. Au courant de l'actualité, il répugne à tout effort. Se tracasse parfois pour son devenir. A une fois giflé un ancien qui venait lui annoncer qu'il était embauché dans une usine métallurgique.
Marc a des tendances de meneur. Mais il ne veut jouer aucun rôle dans la coopé, malgré ses possibilités.
2. HENRI
15 ans, fils d'ouvrier maçon courageux ; mère ménagère active mais de petite santé. Très jaloux de son frère de 12 ans, qui n'a jamais essuyé aucun échec en classe. A son arrivée en 64, était très agressif et se singularisait dans son village par des actes de vandalisme (28 carreaux brisés par ses soins dans une maison momentanément inhabitée !) Langage de charretier. Complexe de persécution.
Niveau scolaire assez bas. Quand je voulais le pousser aux connaissances, il me répétait sans cesse : « Pourquoi te tracasser pour moi si je n'ai pas envie de travailler ? Tu sais bien que plus tard je veux m'engager à l'armée ! »
Cependant, dès que la brèche fut découverte, il fit preuve d'une relative activité. En effet, Henri est très attaché à sa mère malade, ce qui a provoqué chez lui une propension à se surpasser dans les activités culinaires ; il invente des recettes ! A obtenu son brevet de cuisinier.
Grâce à notre organisation du travail répartissant la classe en multiples ateliers (y compris coiffure et manucure), il a pu se réaliser enfin ; il est heureux
3. MARCEL
Fils d'ouvrier ; enfant passif inhibé, quoique grand nerveux (épileptique). Agréable ; venant d'une classe traditionnelle, ne savait même pas rire ni sourire. Niveau scolaire très bas.
Poète toutefois ; aime les lapins et... sa bicyclette. Vit en isolé, Communique très peu avec ses camarades; mais maintenant ses yeux respirent la joie. Va s'engager dans un atelier essentiellement pratique. Quand il a de l'argent en poche, ne songe qu'à s'acheter des outils.
4. HENRI II
17 ans. Très faible en connaissances scolaires. Doux. Langage enfantin. Adore le football, le vélo, et les filles (qu'il n'ose approcher, mais à qui il fait les yeux doux). Ne sachant écrire, il leur fait adresser des messages, leur offre des cadeaux.
Cadet d'une famille de 7 garçons, Surprotégé par sa mère et adulé par son père, mineur retraité. A reçu une bonne éducation, A 13 ans avait un langage de bébé et n’osait s'exprimer en public.
A réussi à trouver du travail dans une robinetterie où son chef ne tarit pas d'éloges à son sujet, Bien qu'il ne sache pas lire, arrive à déchiffrer les schèmes usuels de la vie et à se débrouiller pour retrouver son chemin quand il fait des livraisons. Heureux de vivre.
5. FRANCIS I
Fils de commerçants, Toujours occupé ; travailleur manuel; excellent producteur pour la coopé. Aime l'argent. Epileptique ; éclats de mauvaise humeur. Très jaloux de son frère de 11 ans. Plein d'initiative, Aime que les décisions soient vite prises, Rapide et dynamique dans l'exécution, Bougon autrefois, est devenu jovial et boute-en-train. Estimé de tous.
6. FRANCIS II
14 ans. Père très travailleur ; mère active. Jaloux de son frère jumeau qui réussit parfaitement à l'athénée (école secondaire).
La présidence de la coopé lui a donné une certaine assurance. Aime le travail manuel très actif. De santé très précaire : cardiaque et troubles de la psychomotricité. Ecriture presque illisible.
Elève très coopérant vis-à-vis de tous. Malheureusement, l'expression libre ne lui a pas été souvent permise dans l'école d'où il provient.
7. TONY
15 ans. Présenté comme vagabond et truand. Ejecté d'une école professionnelle voisine. Très intéressé par les recherches, les expériences et les documentations les plus diverses. Effectue des enquêtes d'après des livres d'adultes : « Animaux du monde ». Lit les classiques (J.J. Rousseau).
Surprotégé par sa mère, seule à élever 3 enfants ; c'est une gitane superstitieuse, qui s'occupe à effrayer l'enfant et à le rendre méfiant vis-à-vis de tout, Tony est son cadet ; elle l'aime par-dessus tout. Lors du voyage de fin d'année, elle lui a offert une montre en or pour qu'il ne nous accompagne pas, par crainte d'un accident (qu'elle avait lu dans le ciel !)
8. CHANTAL
13 ans ; père en prison ; mère analphabète profitant du moindre malaise pour garder sa fille à la maison, Famille aidée par l'Assistance publique. Chantal a souffert d'hyposcolarisation.
Depuis son arrivée chez nous il y a 2 ans, l'absentéisme a disparu. L'enfant aime l'école. Niveau scolaire en hausse, Prise en mains sérieuse des responsabilités par la fillette, qui réalise le handicap de sa mère et voudrait l'atténuer, « Ma mère s'est faite rouler en signant des papiers présentés par un démarcheur ; je ne veux plus que cela lui arrive ; ça ne m'arrivera pas, car je lis et essaie de comprendre tous les écrits » (même un vieux bout de papier trouvé par hasard).
Chantal a bien bougé. On envisage, pour la prochaine rentrée scolaire, de la remettre dans le circuit « normal » en section technique, Elément super-actif dans la coopé. Orthographe améliorée. T'out son travail est axé sur la correspondance : elle a écrit à 7 camarades.
9. ARLETTE
15 ans, Père retraité mineur, cardiaque. Atmosphère très lourde clans la famille : 2 frères épileptiques, un atteint de carie des os, une sœur amblyope et mal développée physiquement, une sœur mariée. Mère très énergique et agressive.
Arlette vivait repliée sur elle-même, timide, gênée dans ses mouvements. Hésitante ; n'arrivait pas à écrire trois mots. Peu d'initiative.
A présent elle est plongée dans les écrits, elle se libère, elle ose manifester son désaccord à l'occasion !
Elle est devenue la secrétaire de la classe ; s'occupe de la rédaction de la revue de nos trois coopés. Tous les textes sur stencil sont tapés par elle, Arlette est complètement transformée ; elle se sent quelqu'un !
10.JOSETTE
16 ans, Père militaire de carrière. Enfant agressive, instable. Se mettait en position de défense dès qu'on s'approchait d'elle.
Aime toutefois qu'on s'occupe d'elle, désire être 17attée, etc. Aime les petits, les protège. Poète à ses heures.
11. MARIANNE
15 ans, de milieu socio‑économique très bas et très perturbé le concubin de sa mère ne travaille pas.
Très douce et très aimante. Avait perdu toute confiance en elle-même. Enfant très agréable, coopérante, travailleuse. Mais elle est rejetée par sa mère qui ne manque aucune occasion de l'accabler publiquement. La fillette reporte toute son affection sur les animaux. Au point de vue scolaire, manifestait peu d'intérêt. A été accrochée par la correspondance et les recherches sur les animaux, dont elle assume la responsabilité.
12. JANINE
14 ans, élevée par sa mère veuve avec 4 enfants. Etait très tapageuse et criarde ; s'est affinée au contact des garçons. Eprouve peu d'intérêt pour l'école.
Très sensible cependant. Excellente artiste peintre, s'est révélée poète lors de nos dernières sorties.
13. MARIE-ROSE
14 ans, mère couturière, père forgeron. Très jalouse de son frère de 15 ans qui « brille » à l'école technique.
Arrivée dans ma classe à 13 ans ; ne lisait pas ; maintenant elle sait. N'écrivait pas ; maintenant adore la correspondance. Correspond avec un maître Ecole Moderne qui a été muté dans un établissement voisin ; ils échangent de vrais romans.
Non seulement Marie-Rose est arrivée au stade de la lecture courante, mais son orthographe se polit. Les aspérités de son caractères Disparaissent. Elève très agréable. Toutefois, fait des crises de jalousie aiguë ; a un penchant pour Marc, qui ne prête guère attention à elle. Très coopérante.
14. ELISABETH
15 ans. Gros problème : le père a abandonné la mère. Elisabeth est placée dans un home d'accueil par le Juge des enfants ; mère déchue.

Enfant fougueuse ; fait le mur ; rentre au home à 1 ou 2 heures du matin. Sort avec un jeune homme du voisinage, débile de 22 ans possédant une voiture.
Au début, élément très perturbateur dans la coopé, giflait sans raison ses camarades et surtout les garçons (tendances hystéroïdes). Devant mon indifférence à ses sautes d'humeur, elle se trouvait désarçonnée.
Très nerveuse, elle me dit : « J'ai envie de te piquer pour voir si tu réagirais. Tu es bien la seule à ne pas me poursuivre quand je me sauve ; tu ne te tracasses pas !… » (et pourtant !…)
Elle s'est transformée. Très affective, elle sent en moi une présence non hostile. M'embrasse chaque matin et chaque soir. Si bien améliorée que le juge l'a rendue à sa mère en juin, après un an de séjour dans notre classe.
Venant de cellules traditionnelles. Elisabeth était une petite épave morale qui se laissait facilement entraîner. Elle est devenue active au sein de notre équipe. Adore écrire des textes libres ; écrit à ses correspondants, même de chez elle, leur envoie des colis. Pendant les vacances, me téléphone régulièrement.
Un 15e cas qui à lui seul mériterait un mémoire
15. ROBERT
14 ans et demi, père retraité, mère ménagère, 2 frères adultes, une sœur mariée. Enfants de deux lits. Robert est rejeté.
Fréquentait l'enseignement secondaire d'où il fut exclu parce que trop perturbateur. Me fut présenté comme un sujet peu intéressant. Foin des étiquettes !
Robert était plutôt gêneur parce que trop actif. Aide précieuse en classe ;excellent collaborateur, plein d'initiative.
Niveau intellectuel assez élevé (Que de gaspillages d'intelligences dans trop d'écoles !) Hélas ! il était, pour les professeurs, trop contestataire ! Chez nous, il a trouvé sa place et nous n'avons jamais eu de heurts.
En fin d'année, il est allé tout seul s'engager dans une usine métallurgique. Se débrouille parfaitement. Vient régulièrement à la maison, compulse mes livres, peint, discute très sainement. Est très perméable à l'expérience. Passe du travail manuel au jardinage et à la recherche, avec une égale aisance. A sa demande, nous sommes allés ensemble visiter des musées de la capitale. Agressivité disparue.
2 ‑ OU EN SOMMES-NOUS ?
La forme d'organisation de notre coopérative est spontanée. Les décisions sont prises en majeure partie par les coopérateurs eux-mêmes. Les élèves se réunissent en assemblées (peu nombreuses), puis des réunions d'ensemble sont faites pour coordonner les décisions.
Les responsables sont mandatés pour une action très précise. Les liaisons sont aussi établies sur le plan local avec les autres coopératives (ici nos correspondants) : rapport de président à président, rapport de la vie dans les coopératives.
Le plan de travail est destiné à satisfaire des besoins réels et non des profits. Le conseil de classe est organisé.
Nous pensons qu'il est très possible d'instaurer ce système et que l'autogestion doit être prévue dès l'école primaire. Vivre une vie coopérative réelle préparant les enfants à leurs responsabilités d'hommes semble bien être indiqué dans l'enseignement spécial, et a fortiori dans l'enseignement ordinaire.
Je pense que nous devons faire davantage confiance aux enfants, leur permettre d'être, de vivre et d'agir. Alors seulement nous assisterons à l'éclosion d'élèves heureux.
UN BILAN
1°. Ce sont les élèves qui ont réclamé la 1re réunion en vue de créer une coopérative, après 15 jours de classe.
2°. Ils ont désigné, et ce dans un cadre très souple, les responsables :présidente, vice-présidente, trésorière, trésorière-adjointe, secrétaire, secrétaire-adjointe, en fonction du travail mesuré durant la 1re quinzaine.
3°. La définition des responsabilités a été motivée par les nombreuses tâches à assumer et les nécessités matérielles.
4°. La cotisation minimum obligatoire a été fixée à 2 F par les élèves eux-mêmes. Ils produisent et perçoivent 10 % de la vente ; donc celui qui n'a pas versé sa cotisation ne peut s'en prendre qu'à lui-même (voir plus loin).
5°. Le tableau mural a été relancé.
6°. Des visites ont été organisées par les enfants : la foire commerciale ‑ la caserne des pompiers ‑ la foire liégeoise d'octobre ‑ l'usine des vieux métaux ‑ la laiterie ‑ la cristallerie. Une visite à la biscuiterie et une à la brasserie sont en voie de réalisation.
7°. U n vote a été organisé pour demander au professeur de pédagogie s'il accepterait la visite de ses normaliennes. Sur 13 enfants, 8 sont d'accord, 3 ne sont pas d'accord, 2 sont indifférents. Les visites sont acceptées ; les 3 élèves qui ne sont pas d'accord travailleront aux ateliers.
8°. L'organisation du travail est beaucoup plus librement consentie. Le groupe prend davantage en charge les responsabilités.
9°. Il n'y a plus d'allergie au travail. La vie est bien plus heureuse.
10°. La plus grosse lutte à mener fut personnelle : sans vouloir s'effacer complètement, il faut écarter toute forme d'autoritarisme de la maîtresse, si minime soit-elle. Il faut être complètement détendu, toujours patient, ne pas manifester d'inquiétude ; bref, être libérée de soi-même.
Les résultats sont tangibles, et je sens que la coopérative évolue de jour en jour vers une société sans contrainte. Sans doute je donne souvent mon avis, mais il ne prime pas obligatoirement.
Nous bénéficions de la richesse des échanges interscolaires. Les élèves de Pierre Seykens, à Ougrée, nous permettent de mieux organiser le travail éducatif. Nous sommes sans cesse relancés les uns les autres dans un bain de recherches.
Nous avons reçu de très intéressants travaux présentés sous forme de bandes savamment programmées, et personne n'est resté passif. Les bandes ont provoqué un rebondissement. Les réponses furent ajoutées à la bande initiale ; ou bien une nouvelle bande fut élaborée en suivant un autre intérêt.
Les lettres personnelles, les albums, les diapositives, les bandes magnétiques ne sont toutefois pas ignorées. Nous avons reçu et transmis plus de 10 envois en 5 semaines ; la correspondance n'a jamais battu ce record.
LE POINT DE VUE « ACTIVITES-PRODUCTION »
Là aussi, ce sont les élèves qui organisent. De nombreuses équipes se sont constituées librement pour réaliser l'activité choisie, sans le moindre interventionnisme :
Préparation de maïs grillé ‑ de gaufres ‑ de crêpes ‑ de poires cuites ‑ de betteraves ;
Lavage de voitures ;
Préparation de gâteaux ‑ de crème ‑ de macédoine de fruits de chips ;
Réalisation d'émaux sur cuivre ;
Préparation de petits meubles, nichoirs...
Les enfants vendent leur production en ville au profit de la coopé et perçoivent 10 % de la vente.
Ce que nous avons voulu chercher ? De redonner aux enfants un besoin d'activité, de confrontation, de recherche, d'initiative, de surpassement.
Ce que nous avons voulu mettre sur pied dès le départ, c'est la possibilité pour chaque élément de se réaliser suivant ses propres aptitudes dans un ensemble coopératif disposant de la liberté de décision.
QU'A-T-IL FALLU CHANGER ?
En tout premier lieu, il a fallu me changer moi-même. Je ne me suis plus souciée des programmes ni des horaires. Je voulais mettre le futur citoyen en mesure d'agir selon ses responsabilités et de vivre en saine démocratie, plutôt que de lui faire acquérir des connaissances.
Je vais essayer de présenter des exemples qui montrent comment nous nous y prenons. C'est sur le principe de la non-directivité que s'est basé tout le travail de cette année. Tout se fait très naturellement. Ainsi, dès qu'on reçoit un envoi, on en prend connaissance et on répond, soit par un message sonore, soit par un album personnel, une recherche à plusieurs, une jolie poterie, des émaux, une bande ou une préparation culinaire.
MON BONHEUR
J'ai un petit lapin papillon
noir et blanc,
a de petites oreilles noires.
J'aime le regarder
quand il mange son pain.
Il est très beau, mon petit lapin.
Il saute loin,
Il remue le nez toute la journée.
Ses petites moustaches
blanches et noires
s'agitent un brin.
Je l'aime bien
mon petit lapin.
Marcel MUNAR
J'AIME
J'aime la nature et ses secrets.
J'aime tous les enfants du monde,
même ceux qui n'ont pas la même
couleur que moi.
J'aime les verts pâturages des prés
et leurs fleurs multicolores.
J'aime les hautes montagnes
vertigineuses que des alpinistes
escaladent.
J'aime TOUT.
Toni COLLINET
3 ‑ UNE TRANCHE DE VIE DE LA CLASSE
LUNDI
13 h 30 ‑ La matinée s'est passée à l'atelier et aux cours spéciaux de religion et de morale.
A la rentrée, les élèves discutent librement. Deux groupes sont constitués :
1°. Le comité exécutif de la coopé (président, secrétaire, trésorier + les 3 adjoints), qui se réunit dans le couloir ;
2°. Les autres participants, qui discutent librement en classe.
Le premier groupe rentre. Le président déclare ouverte la séance et demande si la semaine s'est bien écoulée pour tous et si chacun est content. Chacun se déclare satisfait, sauf Marie-Rose, qui s'excuse pour sa mauvaise humeur de jeudi : « Je ne sais pas ce que j'avais ce jour-là ;il faut m'excuser, mais je préfère qu'on n'en parle plus ! »
Le président ‑ Avant de commencer, nous pourrions peut-être expliquer comment nous avons passé le week-end.
FRANCIS : Oh ! moi je suis claqué ; je suis allé relever les vieux journaux pour les vendre au profit d'un sana.
ARLETTE : Moi je suis aussi fatiguée, mais ce n'était pas pour le travail : ma sœur s'est mariée et nous avons « nocé ».
Questions et réponses se succèdent à ce sujet. Arlette poursuit :
Chez Robert Cherain (élève qui nous quitte pour aller au travail), c'était aussi un mariage. Ils avaient l'air de bien s'amuser ! Robert n'a pas voulu assister au mariage de sa sœur. C'est drôle !
HENRI (15 ans ½, inhibé, qui n'a jamais rien à dire, qui vit replié sur lui-même) : Oh ! moi, au mariage, même si j'étais gêné de moi, j'y serais allé rien que pour pinter. J'aime ça, mais quand je sors avec mon père il ne fait pas le poids : après deux verres, il est cuit, il veut se bagarrer, je dois l'en empêcher !
MARIE-ROSE : Je suis plus gaie aujourd'hui : pendant le congé, j'ai dansé chez moi dans un réduit avec mes petites amies !
MARCEL : Pour moi ce qui compte c'est d'aller me promener. Je regarde la nature, les animaux, tout ce qui vit, mais pas les filles surtout !
FRANCIS I : C'était l'ouverture de la pêche ; je suis allé taquiner le poisson, J'irai encore dimanche.
MARIE-ANNE : Quatre coqs sont malades chez moi ; ils éternuent, c'est marrant ! Je me suis promenée dans la prairie ; le cheval a mangé la manche de mon pull et arraché les pages de mon livre.
MARC (qui n'a rien fichu au cours de travail manuel ni à la morale ce matin, et qui se déride peut-être cyniquement) : Moi, je me suis em… tout le week-end, mais j'ai bien ri quand on a ramené mon frère militaire en ambulance. Oh ! au fond il n'avait pas grand chose !
Dans tout cet échange, je n'interviens jamais, ou très peu. Il arrive cependant que le groupe me sollicite : « Et toi, Yvette, ça s'est passé comment, ton dimanche ? »
Il m'arrive de solliciter l'opinion des enfants passifs, mais d'une manière très souple, car si mes gars me soupçonnent de questionnite aiguë, ils pourraient bien se cabrer !
Je tiens à signaler que la conversation s'organise et tourne très naturellement. Les enfants interviennent à tour de rôle et moi aussi j'ai mon texte oral à faire. La conversation tombe d'elle-même quand elle ne présente plus d'intérêt. Mais nous sommes arrivés au stade où l'on ne se coupe plus la parole.
LE PRESIDENT : A quel point en sommes-‑nous dans nos comptes ?
LE SECRETAIRE : La trésorière est absente pour une raison valable ; elle m'a donné son cahier de comptes. Je vais vous lire la page de la semaine dernière : « Je vais toutefois vous signaler que j'avais repris 7 bagues en émail et que je croyais les vendre ce week-end ; je n'y suis pas parvenue ».
MARIE-ROSE : A propos de bagues, il manque des matières premières pour réaliser les émaux. Ce serait l'occasion de nous rendre à Sprimont chez Madame Morhay (l'artiste qui veut bien nous faire une démonstration).
JANINE : En même temps nous ferions là nos achats de poudre et de matériel.
LE PRESIDENT : On retient la proposition de Marie-Rose. Qui est d'accord pour aller à Sprimont ?
Vote à mains levées : unanimité.
MARIANNE : Qui se charge des démarches ?
Toni, Francis, Chantal se proposent. Marianne demande ensuite qui veut répondre à l'universitaire qui est venue en stage en classe. Elle se présente.
La séance est levée et chacun choisit ses activités
Emaux : Arlette, Elisabeth, Janine ;
Peinture : Marcel, Marc, Henri, Francis I ;
Imprimerie : Francis II, puis Marcel ;
Album : Marie-Rose ;
Bricolage : Marie-Anne.
La journée s'est passée dans l'enthousiasme et la joie. Le soir, dans une cabine publique, Toni a téléphoné à Mme Morhay pour savoir si elle est disponible le vendredi pour nous recevoir. Elle accepte, mais demande que tout lui soit confirmé, ainsi que le nombre de participants, car la séance de démonstration dure trois heures et elle se propose d'offrir une petite collation.
MON BONHEUR
Mon bonheur est de voir
les gens heureux
et qu'il n'y ait pas de guerre,
Mon bonheur, c'est la joie de vivre,
Mon bonheur est aussi
de voir mon père, ma mère,
mes frères et mes sœurs heureux,
                            0
L'AMITIE
L'amitié est de voir
des jeunes gens s'aimer.
L'amitié est aussi
avoir quelqu'un à aimer
et que ce quelqu'un
vous aime,
Toni COLLINET
                            0
LE BONHEUR
Le bonheur, c'est de savoir vivre gaiement,
prendre la vie du bon côté et s'aimer chacun
mais pas aimer rien que soi-même !
Il ne faut pas vivre dans la pénombre
replié sur soi-même !
Il faut s'ouvrir comme les animaux
qui prennent la vie du bon côté
et ne se cachent pas de se montrer
à leurs confrères qui sont d'une autre espèce
et d'une forme non connue.
Ce n'est que l'amitié qu'ils recherchent
mais non la bagarre
comme le font les humains
qui se battent pour un rien,
ou pour une femme !
Quelques animaux se battent aussi pour une femme
mais c'est bien plus rare
que chez nous, Humains !
Arlette DANSE
MARDI
Même déroulement , l'entretien familier qui se prolonge dans le conseil de classe. Je n'interviens pas pour le choix des activités. Pour Arlette, lecture de l'album de géographie envoyé par P. Seykens ; Toni, Francis, Chantal vont faire part de la proposition de la coopé au directeur, qui semble d'accord ; il faudra toutefois voir le professeur de gymnastique pour lui demander de nous libérer plus tôt. La réponse définitive sera pour demain. Il faudra aussi rendre disponible le chauffeur du minibus et que les élèves demandent à un de mes collègues de me remplacer pour la surveillance de midi à 13 h. (Vous voyez que la participation des enfants est effective, tant pour les contacts inter-élèves qu'entre élèves- professeurs, élèves extérieur, élèves-directeur).
Toni, Chantal, Francis font part de leurs démarches et signalent que M. Hamende veut bien me remplacer pour la surveillance.
J'insiste sur le fait que dans notre société (qui s'appelle la Coopé Sourire), chaque enfant s'engage selon ses possibilités. Tous ne pourraient pas prendre la direction des opérations, comme les trois cités plus haut , chacun s'engage à la mesure de ses aptitudes. On n'arrive pas non plus d'emblée au stade de l'autogestion, il y faut des paliers, comme en toute chose. Cependant, dans l'ensemble autogéré que nous essayons de former, chaque individualité s'exprime et se réalise.
Donc nous avons eu ce matin l'entretien familier, le conseil de classe, avec la critique de la journée de la veille et l'élaboration du plan de travail. Arlette a lu et présenté l'album de Philippe, ce qui a provoqué des réactions : comparaisons entre le nombre d'habitants au km² en Italie et en Belgique ‑ les travailleurs immigrés ‑ le nombre de chômeurs les chômeurs en Belgique ‑ le chômage des jeunes ‑ la manifestation du 22 mai, pourquoi ?
Ensuite, présentation par Janine d'un document audiovisuel sur Venise. Le hasard a voulu que notre stagiaire fût justement une vénitienne, qui a pu nous donner des compléments sur sa ville (gondoliers, cérémonies sur les canaux, enterrements, mariages).
De retour en classe, librement 3 enfants se proposent pour faire la critique de l'album de Philippe (Henri 1, Arlette, Francis 1). Lettre à Ougrée : Chantal et Marcel. Dessins illustrant l'album (3 enfants faibles mais intéressés) : Marc, Henri 1, Marcel, et Bruna, stagiaire, qui se joint au groupe. Emaux : Francis 1, Marianne, Francis II. Nettoyage : Janine, Chantal, Henri, Marc. Album sur les chiens : Marie-Rose.
Tout turbine sec. Chacun travaille, même les deux soi-disant « fainéants » (ou considérés comme tels par les professeurs) ; chez nous, ils s'activent toujours !
MON BONHEUR
Mon bonheur est mon petit chat
J'aime bien
mon petit chat !
Il mord parfois ma mère ;
malgré cela
je l'aime bien, moi
mon petit chat !
Francis BOTTECHER
MERCREDI
Je l'ai déjà dit : dans une société, toutes les valeurs ne peuvent être identiques ni s'orienter dans le même sens. Il y a les élèves plus doués pour les travaux plus poétiques, plus sensibles, plus intellectuels ; il y a aussi les travailleurs typiquement manuels. Aucune force n'est à dédaigner. L'important est de permettre à chacun de recevoir ce dont il a besoin et de tourner à plein rendement. Et quel autre moyen que l'autogestion pour parvenir à ce but ?
Ce mercredi donc, comme chaque jour, entretien familier, toujours très riche. Puis conseil de classe :
MOI : Que va-t-on faire aujourd'hui ?
Certains voudraient travailler aux albums ; d'autres préfèrent la lecture. Je signale que j'ai reçu d'un camarade français un cahier de roulement sur le BONHEUR (Le Gal) où se trouvent des poésies. Je vois alors Marc et Henri grimacer ! Ai-je le droit de leur en imposer la lecture ? Posons autrement le problème. « Cux qui veulent écouter les poésies se groupent avec les stagiaires ; es autres s'activent librement ».
Ils savent que le syndicat de chômage n'existe pas en classe. 9 élèves se groupent donc autour de la stagiaire, mais Robert m'interpelle : « Yvette, on aimerait que tu viennes écouter les poésies avec nous, et que tu laisses Marc, Henri et Francis qui sont capables de travailler tout seuls. » Jamais je n'ai connu pareille ambiance autour de textes lus et provoquant l'intérêt général.
Pendant la lecture, Marianne écrivit même une poésie (qu'elle a malheureusement égarée) : l'Oiseau Blanc. A la suite de l'audition de tous ces textes sur le Bonheur, quelques poésies sur le même sujet furent réalisées le même jour. Elles sont insérées dans les pages du présent article.
Pendant ce temps, les « concrets » réalisent des émaux sur cuivre et des travaux en mosaïque ; Marc s'affaire à la construction d'un avion en bois léger, et Henri d'une moto d'après plan.
Ensuite - trop tôt, hélas ! - les filles furent appelées à leur cours de cuisine. Je déplore que ces cours spéciaux viennent parfois briser et perturber le travail : l'organisation dans ce domaine est à revoir. Pendant ce temps, les garçons discutèrent ferme avec Robert, venu nous annoncer qu'il avait cherché du travail et était embauché à l'usine de la Vieille Montagne ; d'où questions et réponses nombreuses.
De 12 à 13 heures, je suis préposée à la surveillance ; j'ai rejeté toute forme de surveillante-pion au profit des ateliers de travail. J'assume la surveillance de 45 enfants, et les groupes suivants fonctionnent librement : peinture, imprimerie, bricolage, football, couture, chant, musique.
Je vais d'un atelier à l'autre. Il y a encore parfois des heurts dans les groupes où la coopération n'a pas eu le temps de mûrir, chez les gars sortant d'écoles ordinaires ou de classes à système plus rigide. On ne passe pas d'un seul coup et sans problèmes du système rigide à l'autogestion ; mais le fait, pour des enfants jusque là téléguidés, de se frotter à des élèves autogérés, peut accélérer bien des étapes. Nous avons vu en début d'année des enfants révoltés, agressifs, opposants, fugueurs, se transformer au contact de camarades libérés, ne s'emportant plus, devenus si peu agressifs qu'ils en imposaient par leur calme ou leur façon pacifique de réagir.
Dans notre équipe (trois collègues pratiquant la pédagogie Freinet), nous ne nous mettons pas en rang pour les déplacements. Et pourtant ce n'est pas la débandade ; nous calquons notre manière d'agir sur celle des usines.
Cette année, j'ai envoyé trois garçons à l'enseignement secondaire ordinaire. Elèves débiles légers, mais agressifs à leur arrivée, opposants, et de plus hyposcolarisés, ils suivent convenablement et se cantonnent tous les trois dans le premier tiers de leur classe sans échec. Oh ! ils n'ont pas totalement récupéré au point de vue du programme, car nous ne faisons pas de miracles, mais nous leur avons permis de se réaliser un peu plus et d'être perméables aux contacts humains et sociaux.
L'après-midi de ce même jour, pour les filles : cours spéciaux de couture ; pour les garçons, cours spécial de travail manuel.
LE PRINTEMPS
Les papillons vont revenir:
c'est le printemps.
Le Printemps fait tout revivre
les fleurs, les arbres, les herbes
et les petits oiseaux.
T'out cela va devenir très beau.
Il y aura du soleil, de l'eau : mille merveilles !
Les papillons vont bien s'amuser,
Les jolies fleurs
et même les bourdons
vont danser,
Tout va devenir gai,
nous allons chanter,
nous allons danser,
Marie-Anne BAJOT
 
 
JEUDI
Entretien familier, puis élaboration du plan de travail après le conseil de classe. Les filles proposent, soit la lecture des feuillets des correspondants, soit la présentation d'un album de nos correspondants d'Ougrée : Le Cirque. Cet album contient la fiche signalétique de nombreux animaux tels que : le gorille, le lion, le phoque, l'éléphant. Les enfants sont particulièrement intéressés par la période de gestation, la manière de vivre du mâle et la manière de s'abriter du couple, etc.
Les textes étant imprimés en caractères très petits, ils me demandent de lire avec expression, ce que j'essaie de faire. Tout le monde réagît, même Marc et Henri : ces deux enfants posent des problèmes à différents professeurs ; il s'agit de trouver avec eux une manière de procéder où chacun puisse trouver son compte. Ne sommes-nous pas là pour être un peu des techniciens de l'organisation ?
Après la présentation de l'album, réclamée par tous, c'est la récréation, puis le cours de religion ou de morale donné par des professeurs spéciaux. Puis pose de midi avec atelier d'expression libre.
L'après-midi, chacun travaille librement :
Janine et Rose-Marie : album sur les chiens Robert : album sur la R.T.B.
Marc : bricolage avion ;
Henri : fabrication de cadres ;
Francis II : impression de sa poésie (Mon Bonheur) ;
Francis 1 et Toni : jardinage ;
Elisabeth et Arlette : fabrication de gaufres à vendre pour la coopé
Marcel : lettre à Michel ;
Marianne : mise en ordre des ateliers.
Le président propose que le dernier quart d'heure soit réservé à la répartition des responsabilités pour le lendemain. Il s'agit de la visite, proposée par les enfants, chez Mme Morhay, où nous assisterons a une démonstration d'émaux sur cuivre.
L'après-midi se passe. A 3 heures, le président propose d'interrompre le travail puis de mettre en ordre les ateliers. Chaque équipe s'active, puis la réunion s'amorce.
LE PRESIDENT : Avez-vous des propositions à faire pour la visite de demain ?
ARLETTE : Je demande à Chantal si nos finances nous permettent de faire des frais.
LA TRESORIERE : En caisse il nous reste 340 F.
ROBERT : Je propose qu'on fasse un montage avec des diapositives.
FRANCIS : Moi je m'en charge !
LA TRESORIERE (à Marianne) : Donne-lui 140 F pour le film, plus 175 pour des diapositives.
TONI : A ce tarif-là il ne te restera rien pour acheter des émaux !
LA TRESORIERE : Je propose qu'on paie à la réception de la facture ; ainsi nos émaux nous auront déjà beaucoup rapporté, surtout qu'il y aura la fancy-fair.
MOI : Qui est d'accord ? (10 voix pour, 2 contre).
La sonnerie retentit ; on se prépare.
VENDREDI
Après le bain, nous nous rendons en minibus à Sprimont pour la visite de l'atelier. Après un accueil des plus sympathiques, on se met au travail. L'artiste me demande si elle doit faire des poses toutes les 20 ou 50 minutes, afin de ne pas lasser les enfants. Mais le groupe se met à rire. Et Robert s'exclame : « Vous nous prenez pour des bébés ! Nous, quand on travaille, on travaille ! »
Chacun se montre très intéressé par la démonstration. Les questions se succèdent. Le responsable prend des dias. On n'arrête qu'après une heure et demie. On sert la collation. L'ambiance chaude d'une maison très accueillante ravit les enfants, qui sont groupés devant le feu, sans aucune présence adulte. Le service se déroule dans la joie et la liberté. Là encore, aucune intervention de ma part ; personne n'était guindé, et toutefois les lois de la correction ont été respectées, ce qui nous valut des félicitations.
Extrait de la lettre reçue le lendemain matin
Chère Madame Boland,
Nous avons conservé un très agréable souvenir de votre visite en compagnie de vos protégés. Ce fut pour nous une très agréable journée qui nous a prouvé votre merveilleux sens pédagogique. Veuillez être notre interprète auprès de vos enfants pour les remercier de leur splendide comportement et accepter de notre part nos félicitations quant à leur éducation.
Nous vous prions de bien vouloir, etc,
                                                                                              M. MORHAY
Ce fut une journée vraiment enrichissante ; et 3 responsables (Arlette, Chantal et Francis) s'engagèrent pour étudier l'achat de matériel pour réalisation d'émaux sur cuivre en fonction de notre clientèle.
Voilà donc une bonne semaine, et nous en comptons beaucoup de semblables. Je ne puis vous les raconter toutes, et je ne veux pas non plus affirmer que notre système de travail est parfait ; mais nous avons senti, tout au long des jours, que les enfants vivaient dans la sérénité et la joie, et qu'ils s'engageaient plus à fond dans la prise de leurs responsabilités.
Le climat démocratique de la classe montre aux enfants que je ne désire pas imposer mes vues. Ils sentent bien que je ne suis pas avec eux uniquement pour commander, et qu'il ne leur reste qu'à obéir. J'ai simplement une voix, et je l'exprime, comme aux élections.
Exemple : Nous recevons de nombreuses visites de classe. Jusque là, ces visites nous étaient annoncées par la direction sans nous demander notre avis. Maintenant je signale la visite probable aux enfants, et l'on vote. Par exemple : Visite du professeur de pédagogie et de 25 normaliennes, 8 oui, 5 non ; c'est le oui qui l'emporte. Seulement, le jour de cette visite, je signale aux visiteurs qu'ils ne seront pas accueillis à bras ouverts, et je permets aux 5 qui ne sont pas d'accord de choisir une activité hors-circuit. Ainsi rien n'est forcé.
Le groupe a été ainsi conduit à une saine sécurité qui n'exclut pas la contestation. J'admets très bien qu'un enfant fortement traumatisé puisse s'opposer à toute visite. (J'ai entendu des gars dire : « Sommes-nous des bêtes fauves qu'on vient nous voir comme au zoo ? »).
Le plan de travail ‑ qui est en somme un contrat de travail n'a plus guère de raison d'être quand les activités intéressent profondément l'enfant. Quand il a choisi une activité, il s'y consacre corps et âme.
Les responsables ont leur rôle à jouer :
- Y a-t-il encore suffisamment d'émaux à réaliser ? (Francis)
- Les feuilles diminuent ; il faudra en commander pour la prochaine revue (Arlette) :
- Il n'y a plus de couleur pour la peinture (Janine).
Le maître intervient suivant les individus et les circonstances, avec un profond respect pour les tempéraments de chacun.
La constitution de ma classe cette année (7 garçons, 7 filles) fait un ensemble bien plus équilibré que l'année dernière avec mes 3 filles et mes 10 garçons. Là vraiment je devais intervenir avec plus de fermeté pour que les filles ne soient pas exploitées.
Maintenant on respire à tout moment des bouquets de joie. Quand ce n'est pas Francis qui siffle en préparant ses émaux, c'est Marie-Rose qui chante en s'activant à son album, ‑ et cela aussi a son importance.
Si mon attitude a changé, si je me suis davantage effacée, je le dois en majeure partie à Yvin, qui a lancé de fameuses et excellentes idées sur l'autogestion.
Et je terminerai par la copie de lettres adressées par des stagiaires ou des étudiants universitaires.
Liège, le 2 mai 1969
Chers amis et amies,
C'est avec tristesse que je vous ai quittés aujourd'hui, de reviendrai, c'est certain, mais je ne sais pas quand exactement, J'avais les larmes aux yeux quand je suis partie cet après-midi, vous avez été tous et toutes tellement gentils, affectueux même avec moi, que c'est avec beaucoup de regrets que je vous quitte pour quelque temps.
Je dois vous dire que c'est avec plaisir, avec joie, que je suis revenue une seconde fois aujourd'hui, car je vous aime beaucoup, autant les uns que les autres, et je n'oublie pas Mme Boland.
Vous faites tous et toutes du très bon travail, et je vous souhaite de continuer dans cette bonne voie.
J'ai mis le poème de Toni au mur de ma chambre. Mes amis et moi-même avons mangé vos gaufres qui étaient excellentes, selon l'avis de tout le monde, Je reviendrai en manger, car je suis gourmande, comme vous le savez déjà, Et si vous voulez bien m'envoyer vos poèmes, me donner de vos nouvelles, cela me fera toujours plaisir.
Je tiens également à vous remercier de votre accueil si chaleureux, de toute votre affection, de votre gentillesse, et aussi de ce que vous m'avez appris.
Je m'adresse à présent à votre institutrice qui m'a reçue si aimablement, qui m'a aidée à établir mes premiers contacts avec vous, qui m'a fait connaître la pédagogie de Freinet, que je trouve formidable,
Je vous remercie beaucoup, Madame Boland, et je puis vous assurer que je suis enchantée d'avoir fait votre connaissance. Je vous prie de croire en ma profonde reconnaissance, et si un jour je peux vous rendre un service quelconque, c'est avec plaisir que je le ferai. Mes chers amis et amies, je dois vous quitter ici car j'ai encore beaucoup de travail, étant donné que mes examens approchent à grands pas.
J'espère que je vous reverrai très bientôt. En attendant, je vous envoie toutes mes amitiés et je vous embrasse tous et toutes.
De tout cœur avec vous.
FRANÇOISE
Liège, le 29 mai 1969
Chère Madame,
Je vous remercie pour votre lettre et je suis heureuse de recevoir de vos nouvelles et de vos élèves.
Je pense souvent à vous et regrette beaucoup de ne pas avoir le temps de venir vous rendre visite, les examens approchant à grands pas. En effet, je commence lundi 2 juin et je termine le jeudi 19 juin. Mais je ne pourrai pas venir vous retrouver le vendredi car je dois me rendre à Theux. Je viendrai probablement le lundi après-midi. Je ne peux venir le matin car mes stages recommencent à partir du 21 jusqu'au 30 juin. La délibération a lieu le mardi 24 juin et j'espère que tout aura bien marché.
J'espère recevoir très vite des nouvelles de vos élèves, car cela me fera un très grand plaisir et me donnera aussi du courage pour mes examens, car je vous assure que par moments le moral n'est pas très bon, J'envisage malgré tout l'avenir avec plus ou moins d'optimisme, étant donné que j'avais réussi mes partiels avec distinction ; si je pouvais en faire autant à la session !
Je dois vous quitter ici car j'ai encore beaucoup de travail. Je vous envoie à vous ainsi qu'à vos élèves mon meilleur souvenir et de grosses bises. A bientôt.
FRANÇOISE
CONCLUSION
Je pense pouvoir affirmer que l'expérience menée tout au long de l'année s'est révélée rentable à tous points de vue.
A la fancy-fair organisée comme chaque année par le Comité des Parents avec l'aide de la direction et du personnel enseignant, j'en ai acquis la certitude, et l'attitude de mes élèves a montré qu'ils étaient capables de travailler dans l'esprit d'une pédagogie de l'autogestion.
C'est librement qu'ils avaient invité leurs correspondants d'Ougrée, qui ont très bien répondu. Ensemble ils avaient décidé de monter un stand de vente de maïs gonflé à l'huile et enrobé de sucre. Robert avait même décidé de préparer des beignets selon une recette polonaise jamais expérimentée jusque là, tandis que d'autres s'activaient à la réalisation d'émaux sur cuivre et de céramiques.
Pierre Seykens, l'instituteur de nos correspondants, était présent avec ses deux enfants. Il discuta avec mes élèves. Il affirma s'être rendu compte des effets pratiques d'une conception résolument moderne de la pédagogie :
« Il est vraiment réconfortant de voir ces enfants discuter avec sérieux comme des adultes, se trouver à l'aise en société, faire la preuve d'une affectivité bien équilibrée. Ils osent s'exprimer et prennent des initiatives. Ils sont fiers de leur classe. Ils deviennent de véritables instituteurs pour les visiteurs.
« Ce qui m'a le plus frappé, c'est le plaisir, la joie manifestée pour la visite de leurs correspondants, et surtout leur générosité. »
Effectivement, mes élèves ont le sens des contacts humains. Spontanément ils ont fleuri l'assistante sociale venue en visiteuse. Et au départ, le président de la coopé a tenu à fixer lui-même l'événement sur la pellicule.
En classe, les enfants ne sont pas abandonnés à eux-mêmes sous prétexte de liberté ; niais cette liberté leur est rendue possible. Je veux en faire des êtres autonomes et agissants, des témoins vivants de la libération.
Le milieu est organisé pour permettre à chacun de trouver ce dont il a besoin pour mener à bien un travail qu'il a choisi.
Détail caractéristique : tous les anciens restent en contact avec la classe ou avec moi. Ma maison est comme un moulin qui voit défiler :
-          un ouvrier en cordonnerie (Jules, parti l'année dernière) ;
-          un militaire (Gustave, engagé cette année) ;
-          un élève de technique ;
-         un ouvrier de robinetterie ;
-         un ouvrier de cristallerie, etc.
Les filles, moins libres de leurs mouvements, écrivent ou téléphonent.
Tous ces enfants, agressifs au départ, ou bien amorphes et lymphatiques, ont acquis un esprit d'initiative et un sens critique qui étonne les parents, les stagiaires et les visiteurs.
Je crois pouvoir affirmer que ces résultats sont dus à l'organisation de la classe par le groupe, au libre choix des activités, et, en définitive, à la prise en mains par chacun de sa propre destinée.
Une expérience si évidemment efficace sera naturellement poursuivie.
Yvette BOLAND
LE BONHEUR
Mon bonheur, pour moi
est de partir,
me sentir libre,
partir par un jour de soleil,
flâner dans l'air.
Le bonheur, pour moi aussi
serait d'être un vagabond
et libre dans le vent.
Coucher à la belle étoile,
un jour sous les ponts,
un jour sur le banc.
Pour moi, tout ça, c'est le bonheur.
Robert CHERAIN
 
 

 

 

5ème PARTIE * UNE EXPERIENCE EN INSTITUT MEDICO-PEDAGOGIQUE par Lucette MAGNE

Avril 1967

5ème PARTIE

*

UNE EXPERIENCE

EN INSTITUT MEDICO-PEDAGOGIQUE

par Lucette MAGNE
I.M.P. Bourneville, 87 – Limoges

1. CONDITIONS NÉCESSAIRES

2. NOTRE EXPÉRIENCE

3. ROLE DE LA FORMATION DES ÉDUCATEURS

I ‑ CONDITIONS NECESSAIRES

A) L'EDUCATEUR

1°. La pratique de l'autogestion exige un certain type d'éducateur

Certes, nous pensons que l'éducateur idéal n'existe pas. Cependant nous croyons qu'il doit posséder ‑ ou essayer d'acquérir les « vertus coopératives » suivantes :

- être généreux et disponible de façon permanente ;
- avoir une valeur morale, intellectuelle, technique, pédagogique certaine et sans cesse en voie de perfectionnement ;
- avoir une conception démocratique de la vie des sociétés futures ;
- savoir s'intégrer dans une unité de conception de l'homme et de l'éducation au sein d'un Etablissement ;
- savoir se retirer de l'équipe si ses conceptions ne sont pas celles de l'ensemble des membres de ce groupe ;
- savoir prendre des responsabilités ;
- savoir collaborer à tous les niveaux : parents, enfants, etc ;
- savoir se passer de directives, d'ordres hiérarchiques, tout en s'accommodant de ceux qui sont indispensables ;
- savoir « écouter » les autres, enfants ou adultes ;
- savoir aussi se taire, s'éloigner à certains moments ;
- savoir s'intégrer aux activités des enfants, en « participant », en aidant les uns et les autres ;
- savoir « communiquer » avec les enfants et les adultes ; comprendre les autres ;- avoir un jugement sûr, mais jamais définitif ;
- laisser toujours aux enfants une possibilité de se reprendre, de faire mieux ;
- écarter toute forme de paternalisme incompatible avec un climat d'auto-organisation. « L'adulte ne doit s'intéresser à l'enfant que pour lui-même, et non pour lui imposer ses propres intérêts » (P. Yvin) ;
- être entraîné au travail collectif ;
- être décidé à faire oeuvre commune avec l'ensemble des éducateurs ;
- être équilibré ;
- être réaliste (vue sur le monde environnant) ;
- respecter l'enfant dans sa personnalité ;
- aimer l'enfant (amour oblatif et non captatif) (P. Vernet).

2°. L'organisation en autogestion de la classe exige une nouvelle conception du rôle de l'adulte

La situation de l'adulte, dans le cadre d'une telle pédagogie, est tout autre que celle de l'enseignant qui dispense son savoir.

Le maître a sa place au sein de l'équipe au même titre que chacun des membres qui la composent.

Il a cependant la « responsabilité officielle » du groupe, et il est de son devoir de veiller à ce que soient bien appliquées les décisions de celui-ci et que soit entrepris un travail réellement efficace. Il est toujours disponible.

Dans la mesure où son rôle est bienveillant et aidant, il s'intègre parfaitement à la bonne coopération du groupe.

B) LES TECHNIQUES

A l'Ecole Moderne, nous pensons que l'attitude du maître ne peut, à elle seule, transformer les relations d'élève à élève et d'élèves à maître. Le climat d'une classe est lié à l'organisation du travail et à l'utilisation de nouveaux outils de travail, de techniques nouvelles qui, lorsqu'elles ne sont pas imposées, sont vivifiantes et enrichissantes pour l'individu et la collectivité.

Nous citerons des techniques qui aident adulte et enfants à créer le climat d'autogestion.

1°. Les techniques d'expression libre

Par le texte libre, par le dessin libre, par la parole comme par le chant, l'enfant raconte, exprime ce qu'il ressent. Il crée, il invente. Au cours de ces activités d'expression libre, pouvant être étendues à l'enquête, à la conférence, l'enfant se soustrait à la domination et à la pensée de l'adulte ; il devient, avec l'aide de ce dernier, maître de son activité, il autogère son activité.

2°. Le journal scolaire de classe ou d'établissement

A travers cette activité, qui doit être gérée par les enfants, se créent les responsabilités.

Le journal scolaire est un travail d'équipe qui prépare pratiquement à la coopération sociale. L'échange des journaux permet d'établir des rapports directs entre des enfants, de les familiariser avec d'autres modes de vie, et les aide à mieux comprendre les autres, par-delà les frontières, ou seulement les départements.

3°. La correspondance interscolaire

Je ne redirai pas ici, après Yvin, l'intérêt de cette technique. Sur la trame de la correspondance se tisse, jour par jour, riche et authentique, le Livre de vie de la classe, du groupe ou de l'établissement.

Ci-après un exemple des échanges ainsi réalisés entre la classe IMP Bourneville, Limoges (filles) et la classe de perfectionnement de Decazeville (garçons) :

Envoi du 3/11/1967 de Bourneville à Decazeville

-          Une page : « Nous avons retenu dans vos dernières lettres… »
-          Une lettre de la maîtresse ;
-          Quinze lettres individuelles ;
-          Un panneau: dessin et collage (collectif) ;
-          Nos textes :   L'hélicoptère
   Oradour-sur-glane
   Cueillette des châtaignes
   Une invitation ;
-          Notre journal : GERBE BAUDE n°1 – 1967 ;
-          Nos réponses aux questions posées par les correspondants ;
-          Nos questions (la pétanque, les châtaignes...) ;
-          Une bande enregistrée au magnétophone : A propos de la Découverte de Decazeville : lecture d'un texte ; questions posées aux correspondants sur cette « mine à ciel ouvert ».

Un exemple de ce que nous avons reçu : (le 17/11/67)

-          Une page : « Nous avons retenu dans vos lettres »
-          Un journal AU PAYS DES MINEURS ;
-          Réponses à nos questions (la pétanque; les châtaignes ;
-          Photos et diapositives couleurs : La Découverte de Decazeville (reportage‑enquête) ;
-          Bande de magnétophone explicative
-          La lettre du maître ;
-          Quinze lettres individuelles ;
-          Textes libres :   La Pêche ;
Notre Panorama ;
Les Champignons.

4°. La technique de l'enquête, l'utilisation de la T,V. scolaire

Elles modifient la situation du maître en lui donnant une autre fonction que celle d'enseignant.

5°. Les bandes programmées

Leur utilisation permet à l'enfant de se libérer davantage du maître. En lui permettant de se diriger lui-même, de se contrôler, l'éducateur donne à l'enfant un sentiment plus grand de sa responsabilité.

6°. Les activités physiques, le plein air contribuent également à mieux souder la communauté maître-enfants.

Je ne peux donner en détail les caractéristiques de techniques qui peuvent aider ou favoriser le fonctionnement démocratique de l'institution. L'essentiel est de proposer aux enfants le plus large éventail d'activités entre lesquelles ils pourront choisir.

Il faut encore signaler :

-          l'emploi de plans individuels, de plannings collectifs, de brevets, pour l'organisation du travail libre et le contrôle de ce travail ;
-          l'utilisation du journal de Coopé (autre forme du journal mural) ;
-          les ateliers de travail : de calcul, de travail manuel, d'expérimentation scientifique ;
-          l'utilisation des moyens audiovisuels : photos, bandes magnétiques, films, diapositives, etc. ;
-          la pratique de techniques d'expression corporelle (danse, théâtre, marionnettes...).

Certes, l'organisation de toute communauté ne se fait pas en un jour, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants instables ou débiles, perturbés ou agressifs, ou présentant toute autre sorte de troubles.

Ce n'est pas l'institution hâtive d'un bureau d'enfants, l'introduction dans la vie de la communauté de quelques techniques dites « coopératives » (conseil de classe par ex.) qui permettront le départ de cette forme nouvelle de vie.

Mais c'est avec l'aide de ces techniques que s'installera un nouveau « climat de vie » et que, par la création de responsabilités nouvelles et variées, naîtra chez l'enfant cette prise de conscience de la liberté dans le travail et l'éducation.

C) L'ENFANT

Un système d'organisation du travail n'est démocratique que dans la mesure où activités et techniques sont renouvelées, où l'enfant a son mot à dire quant à leur utilisation.

Chaque membre de la communauté doit avoir la possibilité de conserver sa liberté d'action au sein du groupe. Chacun doit pouvoir trouver sa voie dans cette vie collective : les uns s'affirment mieux dans un travail de groupe qui les valorise, les autres par un travail individuel. Chacun doit pouvoir s'épanouir selon ses goûts, ses possibilités, ses potentialités.

D) LA CLASSE FREINET EN AUTOGESTION

1°. Elle ne s'accommode pas d'une méthode traditionnelle de travail basée sur le manuel, le devoir, la leçon, ou de toute méthode basée uniquement sur le travail individuel et incompatible avec toute forme de collaboration communautaire.

2°. Elle ne se confond pas avec le laisser-aller. S'il n'y a pas une organisation rationnelle des activités de la communauté, on tombe inévitablement dans le désordre, la nervosité, et donc l'inefficacité.

« Si vous êtes seul à rouler sur une route privée, vous n'avez pas besoin de règlement, et vous trouveriez ridicule le fait d'appliquer ici le code de la route sous prétexte que ce code existe ailleurs. Mais dès que la circulation deviendra un peu plus complexe, alors oui le règlement s'imposera » (Dossier pédagogique I.C.E.M. 34-35).

Aussi, progressivement :

-          des règles de vie sont élaborées en commun, donc senties et approuvées, et respectées par tous. En effet, le matériel collectif appartient à tous. Il permet un travail d'équipe. Cela suppose une entente, une organisation, un règlement ;
-          l'éducateur doit supprimer, de façon sûre et rapide, tout climat d'irresponsabilité et de bagarre, opposé à l'esprit de collaboration. Il se peut qu'au départ les enfants n'aient aucun sens coopératif ; les rivalités de clans hostiles, les jalousies individuelles, des rapports sociaux basés sur la loi du plus fort, des troubles du comportement et de la conduite risquent de constituer un obstacle sérieux. C'est justement là que l'éducateur doit intervenir pour remettre de l'ordre, en agissant constamment sur l'acquisition de l'esprit de coopération ;
-          l'éducateur sait réduire au minimum les sanctions négatives qu'elles demeurent un pis-aller et qu'elles soient distribuées par le conseil de coopérative et non par un coopérateur, surtout si c'est le maître. Les sanctions s'opposent, par leur définition même, à toute acquisition du goût du travail, à tout effort personnel d'amélioration.

« Le propre des enfants difficiles ou retardés c'est qu'ils ne veulent pas, ou ne peuvent pas obéir, La sanction peut, dans certains cas, avec des élèves normaux, produire un effet, ne serait-ce que passager. Avec des enfants difficiles, toute punition manque totalement son but et ne fait qu'aggraver le mal, Ces enfants sont rebelles au dressage. » (C. Freinet)

3°. Elle s'oppose à toute forme bureaucratique d'organisation. Il faut laisser les enfants s'essayer à cette forme nouvelle de vie par tentatives et tâtonnements.

L'organisation ne peut être le fait d'un bureau plus ou moins autoritaire, plus ou moins actif, se substituant parfois à l'autorité ancienne du maître, elle est l’œuvre de tous.

Elle ne peut admettre le « caporalisme » dans la technique des responsabilités. Pour cela, il faut multiplier les postes de manière que chacun ait les deux possibilités : commander et obéir.

4°. L'autogestion en établissement suppose une unité de vues, des aspirations communes. En effet, les enfants ressentent inévitablement toutes les failles dans les relations entre adultes qui vivent avec eux.

Il faut un lien entre les adultes d'une communauté, pour que soit fort l'esprit de coopération ; et ce lien ne peut être qu'une volonté commune d'aboutir à une éducation totale des enfants, et ceci dans la perspective de la formation civique, intellectuelle, morale, psychologique, sociale, économique, démocratique de l'homme de demain, associé aux décisions à prendre quelles qu'elles puissent être.

2 ‑ NOTRE EXPERIENCE

A) PRESENTATION DE L'EXPERIENCE

Il s'agit ici d'une expérience tentée en I.M.P. pour enfants déficients intellectuels et présentant des troubles associés. Nous relaterons les étapes successives de cette tentative et nous donnerons quelques exemples pratiques des structures et de la vie coopérative. L'expérience porte ici sur 6 années.

1°. Première et deuxième année

Constitution d'une coopérative de classe (grandes filles). Pas de cotisations ‑ pas de bureau constitué ‑ pas de statuts. Mais achat de matériel permettant la réalisation d'un journal (imprimerie + limographe).

Utilisation des fichiers autocorrectifs. Demande de correspondants.

BILAN                   de jolies réalisations ;
                              du travail certain ;
                              un enthousiasme suscité chez les enfants ;
                              éveil de l'intérêt des adultes environnants.

2°. Troisième année

Choix de responsables dès le début de l'année dans cette même classe. Une autre classe de moyens coopère. Des échanges se font de la classe des grandes à celle des moyens. Les grandes initient les moyens au travail d'enquête, à la peinture, à la confection d'albums, au travail d'imprimerie.

Deux pages du journal des grandes sont consacrées aux textes des moyens. Les jeux, les sorties communes, les comptes rendus collectifs se multiplient entre ces classes.

En correspondance, on commence les échanges de bandes magnétiques.

Le directeur de l'Etablissement s'intéresse à l'aspect coopératif et aux réalisations des enfants. On tente de créer une Coopérative d'Etablissement ; mais elle restera trop formelle. Les réunions de responsables sont encore trop artificielles.

3°. Quatrième année

La classe des grandes filles échange ses travaux avec celle des grands garçons ils sont conquis, ainsi que leur maîtresse, à notre forme de travail ils achètent des Bibliothèque de Travail, ils font un journal, avec nous ils viennent visiter une laiterie.

Ils réalisent un album, et nous de même ; ces albums sont envoyés à un concours de l'O.C.C.E. et gagnent un prix.

Dans la maison, adultes et enfants considèrent cette activité très constructive et intéressante dans ces classes de grands. Les moyens continuent à nous suivre et font seuls leur journal.

Une classe de petits, au 3e trimestre, démarre le texte libre, le dessin libre.

Les réunions de maîtres ou d'enfants au niveau de la Maison sont un peu moins rigides, mais encore peu satisfaisantes.

Un travail intéressant est entrepris au niveau de l'internat. Les grandes filles ont la possibilité, avec leurs éducatrices, de faire le marché en dehors des heures de classe, pour l'enseignement ménager.

La fête scolaire de Noël est préparée au niveau du groupe avec les enfants, les éducatrices, la maîtresse.

On invite les éducatrices à déguster les plats préparés en enseignement ménager.

Les enfants peuvent continuer en internat ou en classe un travail commencé (correspondance, peinture, imprimerie). On a confiance.

4°. Cinquième année

1)      Au niveau de la classe : Un conseil de classe ‑ un statut des responsables élues ‑une organisation plus structurée (réunions plus nombreuses) ‑ tout ce travail est coopérativement organisé.

2)      Au niveau de l'Etablissement

-          4 journaux édités ;
-          3 réunions par des responsables de groupes, d'internat et de classes ;
-          participation d'une maîtresse au conseil d'administration des coopératives du département ;
-          activité très réelle, mais encore jugée insuffisante par l'ensemble des coopérateurs (lourdeurs administratives en cause, et manque de temps...).

5°. Sixième année

-          5 journaux édités
-          voyage-échange avec les correspondants (2 classes de l’I.M.P. reçoivent deux classes de Decazeville) ;
-          activité de plus en plus riche et prenante ;
-          la principale difficulté, s'opposant à cet enthousiasme réel des enfants et de certains adultes de la maison, c'est l'inertie, l'incompréhension de l'ensemble des adultes. Mais les enfants ne désespèrent pas ; ils sont courageux, ils nous donnent l'exemple, et avec eux tous les espoirs sont permis : la Coopérative progresse ; elle vivra

B) A PROPOS DU JOURNAL DE COOPERARIVE

Il circule dans la classe et est à la disposition de tous ; il remplace le journal murai qu'on trouve dans certaines classes. Il a pour but de préparer de façon permanente les réunions du conseil de coopérative (qui seront alimentées de cette manière).

Il permet une fois de plus aux enfants de s'exprimer en toute liberté. Il reflète tous les aspects de la vie de la petite communauté, dont il faut discuter ensemble.

Voici ce qu'en pensait Freinet :

« Nous, adultes, quand nous affrontons une discussion, nous avons le soin de rédiger au préalable, sur un aide-mémoire, les points a discuter.
« Sans le journal de coopérative, les enfants n'auront évidemment rien à discuter, sinon ce qui s'est passé quelques instants auparavant.
« Avec le journal, il y en aura toujours trop...
« En aucun cas, le journal de coopérative et sa lecture en réunion de la coopérative ne sont /à pour juger et sanctionner. Il s'agit plutôt de chercher ensemble les solutions techniques et affectives qui peuvent corriger les erreurs intervenues dans la vie de la communauté.
« Ni juge, ni règle, ni loi. Il faut que les enfants prennent conscience des problèmes qui se posent à eux. »

COMPTE RENDU D'UNE REUNION DU CONSEIL DE COOPERATIVE D'UNE CLASSE

Conseil du 27 avril 1968.

Présidente : Paulette, 14 ans, groupe des grandes, Q.I. 80 (B.S.)

1°. La présidente ouvre la séance.
2°. Elle lit les critiques, les remarques, les questions ou suggestions qui ont été inscrites sur le Journal de la classe. (Dans certaines classes, ce journal est mural ; ici, en raison d'un manque de place pour l'affichage, nous avons préféré un « journal tournant »).
3°. Chaque sujet est repris un à un, avec essai de trouver des solutions quand c'est nécessaire, ou bien dans le but de porter à la connaissance de tous certaines réflexions méritant la considération de toute la communauté.
4°. Première partie : JE CRITIQUE

Remarques

Propositions

‑ Les tableaux ne sont pas effacés quand on en a besoin

- A la cuisine, les torchons ne sont pas assez souvent changés ; il faudrait les changer tous les lundis.

 

- Les fiches sont mal classées dans le fichier des problèmes.

 

 

 

 

 

 

- Notre journal n'est pas aussi propre que celui des correspondants de Decazeville.

Solutions et Décisions

Annie, responsable de ce travail, reconnaît qu'elle oublie souvent le soir de faire son travail. Elle assure qu'elle va s'en occuper plus sérieusement.
‑ Béatrice et Evelyne pensent que la lingère sera d'accord pour renouveler plus souvent ces torchons. Elles vont aller la trouver pour s'entendre avec elle.
‑ On pourrait aussi demander que soit placé un porte­torchons, pour éviter que les torchons ne tombent et ne se salissent (ils n'ont pas de place propre).
‑ Thérèse, responsable de ce travail, demande aux deux camarades qui ont mis du désordre, de bien vouloir l'aider à reclasser ces fiches.
‑ La maîtresse fait ici remarquer que ce travail n'est pas faisable par la responsable seule et que c'est chacun d'entre nous qui aidera à maintenir un ordre parfait dans les fichiers ou les documents ou la bibliothèque, ceci en respectant la classification prévue.

Chacune est responsable des fiches ou des documents :
‑ quand elle les sort
‑ quand on les utilise
‑ quand on les replace.
‑ Anne‑Marie, responsable des journaux, dit que nous pourrions mettre moins d'encre pour imprimer.

‑ Chantal pense que nous ne laissons pas sécher assez
longtemps nos feuilles imprimées.
‑ Marie‑Josée dit que nous en recevons de plus sales que le nôtre.
‑ Paulette affirme qu'il ne faut pas copier les plus sales, mais les plus beaux.
‑ Nous allons donc y veiller.

Deuxième partie : JE FELICITE

‑ Béatrice range très bien les caractères d'imprimerie dans les casses.

‑ Chantal Gauthier a réussi à grimper à la corde, C'est formidable.

‑ Yvette a entrepris de changer tout le classement des bibliothèques de travail; elle y passe beaucoup de temps.

‑ Isabelle et son équipe ont fait le plus beau grand dessin pour décorer la classe: La Mer,

‑ Béatrice précise qu'elle n'est pas toute seule pour faire ce travail. Heureusement! ajoute Thérèse.
‑ Je croyais que je n'y arriverais jamais, dit Chantal.
‑ Oui, mais il y a deux ans que tu essaies, et tu vois, tu y arrives maintenant ! lui dit Anne-Marie.
‑ On pourrait bien l'aider, si elle veut. C'est d'accord ! dit Yvette.
On s'entendra avec elle pour continuer, comme elle a commencé ! dit Béatrice.
‑ Toute la classe reconnaît que ce panneau est bien joli, et on va le fixer au mur.
‑ Il fera très gai, avec ses jolies couleurs, sur ce mur du fond de la classe, affirme Paulette.
‑ C'est bien réussi, ajoute la maîtresse.

Troisième partie: JE PROPOSE

‑ Il faut remettre à jour le panneau d'affichage de nos textes libres.

 

 

 

 

 

‑ Je propose qu'on prépare l'album sur la visite de la Laiterie des Fayes avec les garçons de la grande classe, puisqu'on fait la visite avec eux.

 

‑ Renée En effet, il manque les deux derniers. ‑Yvette Je veux bien m'en occuper.
‑ Paulette : On pourrait composer chacune des paragraphes plus courts et se remplacer au fur et à mesure que l'une a flni.
‑ Anne-Marie : Je préfère être seule pour composer tout un paragraphe. Quand je suis lancée, ça va plus vite.
‑ Nicole : Moi je ne vais pas vite ; si on était à deux, ça irait mieux.
‑ Paulette : Si vous êtes d'accord, on peut laisser composer des grands morceaux à celles qui vont vite, comme Anne-Marie, et on remplacera celles qui vont plus lentement, quand elles auront fait deux lignes.
‑ La maîtresse : Mais alors celles qui vont lentement n'apprendront pas beaucoup à travailler mieux !
‑ Toutes : C'est vrai ! (C'est ici une question difficile : on y repensera).
‑ Yvette et Chantai iront voir les grands et leur maîtresse pour savoir si c'est possible ‑ On pourrait aussi se partager le travail (Paulette) ; eux prendraient des photos, et nous, par exemple, on enregistrerait au magnétophone.
‑ La maîtresse (avec toute la classe) : Il faudra réunir des responsables des deux classes pour préparer cette visite-enquête.

Une telle institution coopérative permet :

-          d'établir des contacts directs et libres entre tous les membres de la communauté ;
-          de poursuivre des échanges qui sont une source d'enrichissement mutuel, ainsi qu'un moyen nouveau de développer l'esprit de fraternité ;
-          de transformer nos maisons en familles accueillantes où enfants et adultes aiment vivre dans un désir collectif d'amélioration intellectuelle, morale et civique ;
-          à tous les membres de la communauté, d'avoir une action sur la gestion et le fonctionnement administratif ou financier des établissements.

A ce sujet, je préfère parler de co-gestion non-directive, et j'en donne la définition suivante :

La co-gestion non-directive en pédagogie institutionnelle, permet d'enthousiasmer enfants et adultes vivant dans un même établissement, pour des activités correspondant à leurs besoins et visant à la formation et à l'évolution de l'être humain tout entier, et par là-même de la société de demain.

Cette co-gestion non-directive ne peut se ramener à l'utilisation de quelques techniques libératrices, ni à quelques formules de vie nées des conseils de coopérative ; mais elle doit s'exercer à tous moments de la vie dans l'établissement, à tous les niveaux et dans chaque activité.

3 ‑ ROLE DE LA FORMATION DES EDUCATEURS

La formation des éducateurs doit jouer un rôle essentiel pour la pratique d'une pédagogie de l'autogestion. J'estime qu'elle doit répondre aux critères ci-après :

1°. Une pédagogie de l'autogestion ne s'enseigne pas, elle se vit

Il est essentiel que les éducateurs, stagiaires ou élèves-maîtres puissent vivre des expériences d'autogestion par un travail effectif dans les classes ; qu'ils puissent vivre l'esprit de cette pédagogie dans les stages de formation :

-          où l'on développera l'habitude et le goût du travail en commun et de la discussion ;
-          où l'on apprendra à écouter avec sympathie les idées énoncées par d'autres ;
-          où l'on bannira toutes possibilités de briller aux dépens des autres, de les écraser pour s'imposer.

2°. Former la personnalité des éducateurs

Plutôt que de faire acquérir aux futurs éducateurs une somme de connaissances livresques, scolaires ou autres, il convient de mettre l'accent sur la formation de la personnalité de l'éducateur.

L'éducateur doit être formé à l'animation et à l'organisation. Dès l'école normale, les enseignants seront entraînés à des travaux d'équipe, à des techniques de groupe. Une place importante sera faite à la dynamique de groupe.

3°. Donner aux éducateurs une large information

Il est nécessaire que l'éducateur ait une bonne connaissance de la psychologie des enfants et des adolescents, et du développement intellectuel et effectif de leur personnalité.

Toute formation doit permettre à l'éducateur de maîtriser les techniques pédagogiques : techniques d'expression libre, techniques audio‑visuelles, éducation artistique, travaux manuels, expression corporelle, etc.

4°. Nécessité d'une formation permanente

C'est tout au long de leur carrière que les éducateurs doivent avoir la possibilité de s'informer et de se former.

Il faudra que soient organisés de façon régulière des stages, des rencontres où enseignants, psychologues, inspecteurs pourront confronter les expériences, les recherches, et les discuter.

Des stages de perfectionnement devront permettre aux enseignants de s'informer des nouvelles techniques pédagogiques. Ces stages ne seront pas seulement limités à l'enseignement, mais pourront se dérouler en usine, à la campagne, dans les hôpitaux, etc., pour permettre une meilleure connaissance de la vie réelle.

Cette formation permanente pourra être organisée au sein même des établissements, le directeur pouvant en être l'animateur pédagogique.

5°. Importance du choix personnel et de la philosophie de l'éducateur

Au sein d'un même établissement, il est nécessaire d'accorder les points de vue sur les perspectives d'éducation des adultes. Je ne reviendrai pas sur les options philosophiques, déjà exprimées par P.Yvin, touchant à l'individu, aux rapports humains, à la société. On conçoit aisément que l'adhésion volontaire des éducateurs est la condition première de la pratique de l'autogestion.

Cet effort de renouvellement et de perfectionnement des enseignants ne pourra se réaliser que si on leur en offre les moyens : stages compris dans les horaires de travail, facilités matérielles.... et que, parallèlement, les conditions de travail soient améliorées (effectifs, locaux, horaires, programmes). C'est à ce prix seulement que pourra s'amorcer une véritable réforme de l'enseignement.

Cependant, différents groupements d'éducateurs travaillent déjà en vue de la rénovation et de la modernisation pédagogique. Parmi ceux-ci, l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne constitue un vaste chantier de confrontation et de création, par ses groupes départementaux et ses commissions. Il offre à chaque éducateur l'occasion de contribuer à élaborer et à approfondir des outils et des documents.

Par les nombreux stages qu'il organise, dont certains désormais en période scolaire, en collaboration avec d'autres organismes (S.N.I.., C.R.A.P., O.C.C.E.) avec des pédagogues (professeurs, inspecteurs), il apporte sa part dans le recyclage des éducateurs et prépare une sorte d'Université pédagogique permanente.

Lucette MAGNE

Conclusions provisoires

Avril 1967
CONCLUSIONS PROVISOIRES

UNE PÉDAGOGIE CENTRÉE SUR L'ENFANT

Les expériences présentées dans ce document ne doivent pas être considérées comme des modèles. Malgré la part toujours plus grande qui revient à l'enfant dans les classes Freinet, malgré l'éventail toujours plus large des outils et des techniques libératrices, la personnalité de l'éducateur reste un facteur déterminant.

Michel Plee, directeur pédagogique du Centre régional de formation des maîtres spécialisés de Nantes, écrit, dans un numéro de la revue LES CAHIERS PEDAGOGIQUES, consacré à la relation maître-élèves, à propos de la classe de P. Yvin :

« D'abord, la personnalité même de Pierre, que j'ai vu également au milieu de ses élèves, l'incline (presque par nature, si l'expression a encore un sens) à une attitude non-directive, c'est-à-dire, au sens rogérien, à une altitude de centration authentique sur les enfants. Toutefois, nonobstant la personnalité de Pierre, il faut préciser que la pédagogie qui permet aux enfants de créer les institutions internes de leur classe, n'est pas fondée sur une attitude non-directive. »

Certes, l'évolution de la vie et du travail dans un groupe qui s'autogère est différente d'un milieu à l'autre. La personnalité, le tonus d'une collectivité varient d'une classe à l'autre, et dans une même classe ne sont pas les mêmes d'une année à l'autre.

Cependant il convient de noter que, dans les expériences décrites dans ce document, sensiblement différentes les unes des autres, il y a bien centration du maître sur les enfants.

Au niveau de chaque activité, au niveau de l'organisation, le maître apporte sa part, mais seulement la sienne, la part totale étant celle de tous les individus composant la collectivité. Au niveau de toutes les activités choisies par le groupe, le maître donne son avis au titre de membre de l'équipe, mais « il ne se mêle pas de modeler les esprits, de les plier à sa fantaisie, pour les conduire il ne sait où d'ailleurs » (FREINET : Education du Travail).

Cette pédagogie, fondée sur une attitude semi-directive du maître, se caractérise essentiellement par l'autogestion des activités scolaires.

Enfin, les relations maître-élèves, loin d'induire des phénomènes de dépendance réciproque, facilitent d'authentiques relations d'élève à élève et l'accession de chacun à son autonomie, à son humanité.

L'éducation doit permettre à l'enfant d'acquérir une indépendance qui en quelque sorte le fortifiera et l'aidera à affronter des situations nouvelles. Un système d'autogestion favorisera l'intégration de l'adolescent dans la société moderne, où prévalent plus que jamais l'esprit d'initiative et de responsabilité.

L'autogestion à l'école est la pédagogie de notre temps. Elle seule est apte à amener les enfants et les adolescents ‑ adultes en devenir ‑ à construire la société socialiste de demain, où chacun trouvera SA place.

*

L'AUTOGESTION A L'ÉCOLE : UNE UTOPIE ?

Les expériences d'autogestion décrites dans ce document ont été réalisées dans l'enseignement spécial. Ce n'est certes pas un hasard. Dans les classes de perfectionnement où l'effectif est réduit (15 élèves), on autorise, et même on préconise une pédagogie rénovée ; on accorde aux maîtres une confiance et une grande liberté dans les programmes et dans les horaires. La nature des élèves, déficients intellectuels, leur interdisant d'aborder certaines valeurs, libère les maîtres d'un souci exclusif des connaissances. De telles conditions sont favorables à l'expérimentation pédagogique.

De même, des expériences se réalisent dans les classes de transition, qui bénéficient de certains avantages des classes de perfectionnement.

C'est aussi au niveau de l'école maternelle que se pratique une pédagogie de liberté « sans heures de classe régulières, réglementaires, comme dans toutes les écoles et à l'armée » (LA PART DU MAITRE : 8 Jours de classe, par Elise Freinet, BEM 41). C'est un système d'éducation qui tient compte des besoins et des intérêts de l'enfant et du groupe, où l'enfant se prend en charge tel qu'il est, à son niveau et à son rythme, avec l'aide du groupe maître-élèves,

De même à l'école de campagne, souvent classe unique, l'éducateur n'a pas le souci des paliers d'âge, tel celui de l'âge de la lecture (6 ans). Ayant les enfants pendant plusieurs années, il peut se libérer davantage des programmes et laisser chaque enfant suivre son rythme. De plus, il s'intègre à la vie du village. Il se crée, entre les familles et lui, un style de relations plus humain, plus authentique que celui qui existe entre l'instituteur de ville et les parents, ainsi que les élèves. L'école de campagne est l'école idéale pour une pédagogie de relations permettant aux enfants et au maître de vivre pleinement, et constituant un élément essentiel d'efficacité dans l'enseignement.

*

Une pédagogie de l'autogestion destinée à rendre les élèves maîtres de leurs initiatives et de leurs décisions pour tout ce qui concerne les activités et les modes d'organisation de vie et de travail, n'est-elle donc qu'un rêve pour les classes dites normales du primaire, du secondaire et du supérieur ?

Certes, de nombreux obstacles constituent un frein sérieux à l'application de l'autogestion dans certaines classes : ‑ les effectifs chargés ‑ les examens ‑ les programmes ‑ les structures de l'enseignement (secondaire notamment) ‑ l'opposition de certains Administrateurs (au secondaire) ‑ l'incompréhension de certains parents, par manque d'information.

Nous ne pensons pas qu'il suffise de critiquer, comme le font certains, la lourdeur des programmes officiels, du moins à l'école primaire, où ils sont en général sans prétention. Une transformation souhaitable serait la suppression des paliers d'âge, tels que :

‑ 6 ans, âge de la lecture. Même si les 3/4 des enfants sont murs a six ans pour la lecture, il reste qu'il y en a 25 % qui ne le sont pas ; et c'est justement là le pourcentage d'échecs au Cours Préparatoire en général. Méconnaître la psychologie de l'enfant, ignorer ses réels intérêts, c'est passer à côté de toute éducation. La grande majorité des maîtres de C.P. est actuellement conditionnée par l'idée que « le Cours Préparatoire est fait pour apprendre à lire aux enfants » (Instructions officielles de 1923).

‑ Autre palier : 11 ans, âge d'entrée en 6e : même conditionnement des maîtres et des enfants.

‑ Puis au lycée : à tel âge, tel examen.

Notre conviction est que les enseignants inventent trop souvent des limites à la liberté du maître et des élèves ; car ils ont beaucoup de mal à dépouiller complètement le vieil homme, à se déconditionner de l'habitude du déroulement folklorique d'une journée de classe (morale, écriture, lecture, calcul...) et de la progression rigide des acquisitions (répartitions mensuelles...), de tout ce qui les a marqués pendant leur propre scolarité, et qui est hélas encore trop souvent monté en épingle dans les Ecoles normales.

Ce qui leur manque, c'est la confiance en l'enfant, l'idée qu'il soit capable d'organiser à son rythme sa vie et son travail à l'école. Ils ne sont pas assez convaincus que la classe est tout autant l'affaire des enfants que la leur.

Certains se retranchent derrière le manque de crédits ou l'insuffisance du nombre de professeurs, comme si les crédits et les professeurs supplémentaires (que nous réclamons nous aussi) pouvaient lever les obstacles inhérents à la personne même de l'éducateur et à sa formation.

D'autres préfèrent attendre le « grand soir » qui verra naître la Société nouvelle à laquelle nous aspirons nous aussi. Comme si cette Société ne pouvait se préparer déjà à l'école, par la pratique d'une pédagogie visant à former des esprits plus libres, plus critiques, plus indépendants, et des êtres plus autonomes !

*

Ah ! si l'on considère la pesanteur des institutions et des mœurs, alors l'autogestion à l'école paraît une utopie Certes, cette entreprise est une chose difficile, très difficile ; et, dans les conditions actuelles de l'enseignement, nous n'arriverons pas à la mener, à tous les niveaux, d'une façon parfaite.

Mais, « en visant à des choses impossibles, on obtient à la longue des choses possibles auxquelles on n'eût jamais atteint autrement ». (Sainte-Beuve)

Cependant, la démarche de l'éducateur pratiquant une pédagogie de l'autogestion ‑ et qui est celle du tâtonnement expérimental de Freinet ‑ peut inspirer les maîtres des classes normales.

Dans un climat d'amitié et de coopération, le maître peut, lorsque se trouve levé le masque de son statut, proposer des activités du programme ; et l'enfant, par référence à un planning de connaissances, peut demander du travail purement scolaire. Nous ne saurions concevoir une attitude non-directive du maître, qui doit faire renaître dans l'élève ce besoin de connaître, d’œuvrer et de « monter selon la loi de la vie » (C. FREINET : Education du travail).

Nous ne cachons pas que de telles expériences, surtout quand elles sont poussées jusqu'à la liberté d'apprendre, exigent suffisamment d'audace et d'assurance de la part de l'éducateur. Elles peuvent comporter des risques, si l'éducateur lui-même ne procède pas d'abord progressivement à un rythme qui sera fonction de ses propres possibilités techniques.

Il est important que le maître possède bien l'esprit d'une technique ou d'une activité qu'il propose ; sinon, il ne présentera aux élèves qu'un ersatz de travail vivant. Et il aura vite fait de rejeter l'échec d'une activité sur leur manque d'intérêt, alors que c'est lui qui en porte la responsabilité.

Nous pensons que notre document pourra néanmoins aider les éducateurs qui veulent se lancer plus hardiment vers une pédagogie de liberté indispensable à une éducation véritablement démocratique.

*

L'ÉCOLE DE DEMAIN

VERS UNE ÉCOLE LAIQUE

POPULAIRE, MODERNE ET LIBÉRATRICE

LES ETUDIANTS,

-          las de l'autorité des adultes qui voulaient les garder en tutelle
-          las de subir un enseignement qui les réduisait à absorber passivement des connaissances souvent sans rapport avec les besoins d'une société moderne en constante et rapide évolution ;
-          las de voir leur formation tributaire des besoins d'une société fondée sur le profit et l'exploitation de l'homme ;
-          las d'être condamnés eux-mêmes à devenir des exploiteurs, grâce à « l'organisation systématique de l'embrigadement des étudiants dans l'appareil d'exploitation capitaliste »... (1)
se sont révoltés avec fermeté, en mai 1968
-          contre les structures hiérarchisées de l'Université ;
-          contre les méthodes pédagogiques et la relation autoritaire maître-élèves ;
-          contre la culture bourgeoise... et ont exigé l'autogestion de leur formation et de leur vie dans des Universités autonomes, où le pouvoir serait assumé par les usagers.

Leur mouvement révolutionnaire a introduit la démocratie directe à la base et instauré une discussion permanente sur les objectifs du combat engagé. Il a porté au premier plan les revendications fondamentales de tout homme libre :

-          le droit aux libertés d'expression, d'information, d'organisation, de discussion, de libre formation ;
-          le droit d'être le responsable de son propre devenir.

(1) Les Comités d'action, page 238, in revue PARTISANS, mai-juin 1968 : Ouvriers, étudiants, un seul combat !

Mais ils se sont très rapidement aperçus que les changements profonds et capitaux de l'Université ne pourraient avoir lieu que dans une société nouvelle, une société où chaque homme pourrait avoir prise sur son destin, en participant activement à la gestion de son travail et de sa vie. Car rien ne peut, en effet, être définitivement transformé, tant que la société reste gérée par une minorité détentrice des moyens de production et soucieuse avant tout de perpétuer ses privilèges de classe en maintenant le peuple en état d'assujettissement.

«  Les gouvernements des grands Etats ont entre les mains deux moyens pour tenir le peuple en dépendance, pour se faire craindre et obéir : un moyen plus grossier, l'armée ; un moyen plus subtil, l'école » (NIETSCHE: Opinions et sentences mêlées).

« L'Etat moderne façonne (il est contraint de le faire, ne fût-ce parfois que par un réflexe d'auto-défense) l'idéologie et la moralité sociale du peuple. C'est pourquoi, sous des formes atténuées ou accusées, il contrôle l'Education Nationale, l'information, voire la propagande » (M. PAPON: L’Ère des Responsables).

Toute contestation de l'Université doit donc déboucher obligatoirement sur une contestation de la société et de l'Etat. Ce fut, en mai 1968, l'aboutissement inéluctable des luttes étudiantes. Il n'est pas étonnant que les jeunes travailleurs, non aliénés encore à une société de consommation fondée sur le profit et l'exploitation de la masse laborieuse, adhérèrent profondément à ce vaste mouvement.

Les travailleurs dynamisés par cette combativité, ayant pris conscience de la nécessité impérieuse de créer une société nouvelle et de leur possibilité de vaincre, lancèrent alors spontanément une grève générale illimitée d'une ampleur sans précédent. Revendicative et politique à la fois, elle tendit rapidement à devenir gestionnaire, et le terme AUTOGESTION lancé par les étudiants devint familier à tous. Chacun n'avait pas encore pleinement conscience de toutes les implications d'un système autogéré, mais il ressentait cependant le besoin profond de pouvoir être le maître de son travail et de sa vie, dans une société de justice sociale, de liberté et de responsabilité.

En fonction de la relation dialectique entre la Société et l'Ecole, il était logique qu'une critique profonde de l'Ecole se fasse, tant chez les enseignants que chez les ouvriers et les agriculteurs.

Une question se posait à tous : L'Ecole actuelle est-elle compatible avec la revendication d'une société de justice sociale, de liberté et de responsabilité ?

Bien avant les événements de mai, les syndicats enseignants, les syndicats ouvriers et les syndicats agriculteurs avaient dénoncé l'école comme une entreprise de mise en condition, au service d'une société fondée sur le profit. Chacun savait que l'expression « démocratisation de l'enseignement » dont se parait chaque nouvelle réforme, n'était qu'un leurre, et que les enfants d'ouvriers et de paysans avaient toujours aussi peu de chances d'accéder à la faculté.

Dans une remarquable étude sur l'enseignement, le Centre Départemental des Jeunes Agriculteurs (C.D.J.A.) de Loire-Atlantique écrivait notamment :

« Les «bonnes études » sont-elles réservées aux « bonnes familles » ? Ce qui est certain, c'est qu'à l'école les enfants n'ont pas les mêmes chances de réussir, selon la classe sociale qui les a vus naître, et les différences se manifestent dès le primaire. Une enquête de l'institut National d'Etudes Démographiques démontre que, parmi les élèves que l'on peut classer comme « médiocres » ou « mauvais » à la fin du Cours moyen 2e année, il y en a 30 % chez les enfants de salariés agricoles, 29,6 % chez les enfants d'ouvriers, 23,5 % chez les enfants d'agriculteurs, mais seulement 9,9 % pour les cadres supérieurs.

« Quelles sont donc les raisons de cet état de chose ?

« «Rien n'autorise à conclure que les enfants de condition supérieure soient nécessairement plus doués intellectuellement que les enfants d'ouvriers. Il faut donc chercher d'autres explications, et parmi celles-ci, l'ambiance familiale, l'éducation reçue dans les familles, qui prépare et soutient (ou ne soutient pas) le jeune dans sa scolarité, les conversations familiales, les livres, les jouets reçus depuis l'enfance, le niveau culturel des parents, sont des éléments importants dans la réussite ou l'échec du jeune.

« Par ailleurs, l'organisation actuelle de l'enseignement n'est pas faite pour compenser les handicaps des enfants d'agriculteurs... Les méthodes d'enseignement font le plus souvent appel à la mémoire et aux notions abstraites sans relation avec la vie des enfants... »

Les pédagogues modernes ‑ et Freinet en particulier ‑ avaient déjà dénoncé depuis de nombreuses années un enseignement inadapté aux enfants du peuple et complètement détaché de leur vie. Mais leur action n'avait pas encore réussi à influencer la grande masse des enseignants, qui demeuraient prisonniers de pratiques pédagogiques traditionnelles dénoncées par tous, et cependant toujours fidèlement transmises par les Ecoles Normales.

La contestation estudiantine, l'engagement profond de nombreux enseignants dans le mouvement de mai et la communication rétablie avec les ouvriers et les paysans, ouvrirent la voie à une brutale remise en cause de l'organisation de l'enseignement qui perpétuait l'injustice sociale, et des méthodes pédagogiques incompatibles avec les aspirations à la liberté d'expression et à l'autogestion exprimées par les étudiants, les lycéens et les collégiens. Tous les travailleurs exigeaient l'abrogation de la réforme Foucher, élaborée pour les besoins en main-d’œuvre de l'économie capitaliste moderne :

30 % de manœuvres et d'ouvriers spécialisés fournis par les classes pratiques ;
40 % d'ouvriers et d'employés qualifiés fournis par les cycles courts et les C.E.T. ;
30 % de dirigeants moyens et supérieurs fournis par les lycées et les Universités.

Chef-d’œuvre de la ségrégation sociale, le plan Foucher était l'objet d'une unanime réprobation, et les commissions élèves-enseignants-travailleurs oeuvraient avec enthousiasme à la mise sur pied d'un projet fondé sur les principes du plan Langevin-Wallon. L'école nouvelle apparaissait à l'horizon de nos espoirs...

QUE SERA CETTE ECOLE ?
Une ECOLE UNIQUE,

-          car elle seule peut permettre à tous les enfants de se rencontrer, de se connaître, de s'apprécier, de se comprendre ;
-          elle seule peut être le fondement d'une société socialiste authentique, en apprenant dès l'enfance aux hommes à vivre ensemble, à prendre des responsabilités ensemble, à être heureux ensemble ;
-          elle seule peut être la garantie du respect des Droits de l'Enfant, dont l'art. 10 de la Déclaration des Droits de l'Enfant, adopté par l'Assemblée Générale des Nations-Unies le 29 novembre 1953, dit :

« L'enfant doit être protégé contre les pratiques qui peuvent pousser à la discrimination raciale, à la discrimination religieuse et à toute autre forme de discrimination. »

L'Ecole Unique ne pourra être étatique, mais elle sera une Ecole Nationale, gérée par les élèves, les éducateurs, les parents, les représentants de l'administration et par les syndicats des travailleurs. Elle apportera une solution définitive à l'opposition école pratique-école privée, si préjudiciable aux enfants des campagnes. Ecole de tous, elle ne pourra être qu'une ECOLE LAIQUE. Car la laïcité seule peut garantir la liberté pour chaque enfant de se déterminer lui-même, et assurer le respect de la démarche religieuse des consciences. Mais la laïcité ne se définit pas seulement par la neutralité religieuse, car elle est aussi synonyme de progrès humain.

Etre laïque, c'est lutter contre toutes les forces économiques, sociales, politiques, philosophiques, religieuses, adversaires du progrès et de la liberté ; c'est choisir des valeurs humanistes : paix, justice sociale, liberté d'expression, solidarité humaine.

L'éducateur laïque est en plein accord avec la Charte des Educateurs adoptée à Moscou par des représentants des grandes organisations internationales en 1955, qui dit dans son art. 1er : « Les devoirs essentiels des éducateurs sont le respect de la personne humaine chez l'enfant, la recherche et le développement de ses aptitudes, le souci d'éduquer en instruisant, le dessein permanent de former la moralité de l'homme et du citoyen futurs et d'éduquer l'enfant dans un esprit de démocratie, de paix et d'amitié entre les peuples ».

La laïcité suppose aussi l'égalité et la justice entre les hommes c'est pourquoi l'école unique laïque sera

une ECOLE DE JUSTICE SOCIALE, « Tous les enfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte. Ils ne doivent trouver d'autres limitations que celles de leurs aptitudes » (Projet de réforme Langevin‑-Wallon).

L'Etat devra assumer entièrement la charge financière de la scolarité des enfants, de la maternelle à la faculté, et permettre à toutes les familles de créer un milieu affectif, moral, intellectuel et vital, qui soit totalement épanouissant.

L'Ecole Nouvelle, école du travail créateur, donnera une égale valeur aux activités manuelles et aux activités intellectuelles ; ainsi chaque enfant, quelles que soient ses possibilités, pourra trouver une voie pour se réaliser et réussir. D'ailleurs, dans la société socialiste disparaîtra le préjugé antique d'une hiérarchie entre les tâches et les travailleurs : chacun sera un homme libre et un travailleur responsable.

Seule, une ECOLE DEMOCRATIQUE peut assurer la formation d'un tel homme.

Cette formation doit être basée sur l'AUTOGESTION qui, en germe à l'école primaire, pratiquée au lycée et surtout à l'Université, permettra un véritable changement dans la mentalité des individus.

Il est essentiel déjà que les enfants :

-          prennent le maximum de responsabilités
-          puissent s'exprimer librement et à propos de tout
-          apprennent à critiquer à propos de tout, et des institutions internes de la classe.

Dès l'école primaire les enfants doivent être maîtres de leurs initiatives et décider de leurs conditions de travail et de vie. Ainsi l'éducation sera épanouissement et élévation, et non accumulation de connaissances, dressage ou mise en condition.

Opposé à tout endoctrinement, l'éducateur se refusera à plier l'esprit de l'élève à un dogme infaillible et préétabli quel qu'il soit. Mais il s'appliquera à faire de ses élèves des adultes conscients et responsables, qui bâtiront un monde d'où seront proscrits la guerre, le racisme et toutes les formes de discrimination et d'exploitation de l'homme.

L'école laïque, démocratique et ouverte à la vie, sera aussi

une ECOLE DE LA TOTALITE HUMAINE. Par ses techniques éducatives modernes, elle permettra aux enfants de se former sur tous les plans : intellectuel, manuel, physique, esthétique, moral et civique.

Une reconversion des structures, des techniques, des outils, des programmes, une reconsidération des examens, seront fondées sur une telle perspective.

Certes, la réalité d'aujourd'hui est encore éloignée de cette école nouvelle prolétarienne. Déjà cependant de nombreux enseignants formés à une pratique pédagogique traditionnelle fondée sur une relation autoritaire maître-élèves, sont parvenus à ouvrir leur classe à l'auto-discipline, puis à la cogestion et à l'autogestion. La plupart sont regroupés au sein de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne, fondé il y a plus de 20 ans par Freinet et ouvert à tous les éducateurs désireux d’œuvrer coopérativement à la construction d'une école laïque populaire, moderne et libératrice.

Pour cette vaste entreprise révolutionnaire, les éducateurs de l'Ecole Moderne, là où ils se trouvent, se sont mobilisés, car leur expérience et leurs classes sont deux éléments majeurs de la victoire des enseignants qui ont commencé leur remise en cause pendant les journées exaltantes de mai 1968.

Depuis l'école du village jusque dans les campus de l'Université, les enseignants sont condamnés à devenir ensemble les inventeurs de l'avenir. L'homme n'est pas seulement celui de notre passé ; il est en avant de nous, et nous n'avancerons qu'en le cherchant avec le désir ardent de le faire. Ceux qui sont enlisés dans les sécurités du passé ne sont pas des têtes chercheuses d'humanité nouvelle.

Plus nombreux seront les enseignants à établir l'autogestion dans leurs classes, mieux ils prépareront l'école nouvelle libérée. Demain, l'autogestion à l'école sera le système d'éducation du Peuple au Pouvoir. Déjà dans nos classes en autogestion se préfigure la société socialiste et libre de demain. Si nos buts ne sont pas encore atteints, nous sommes sur la bonne voie. Que se joignent à nous ces hommes dont parle J. Rostand, « ces hommes qui ont dans l'âme ce grain de folie nécessaire pour secouer les sages inerties ».

P. YVIN ‑ J. LE GAL