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CollectionDocuments de l’ICEM N°7Vers l’autogestionPar la commission « Enfance inadaptée » animée par Pierre YvinBIBLIOTHEQUE DE L’ECOLE MODERNE |
TABLE DES MATIÈRES1re partie (Classe de Pierre YVIN) INTRODUCTION 2e partie (Classe de Jean LE GAL) INTRODUCTION L'ÉVOLUTION DES TECHNIQUES 4e partie (Classe d'Yvette BOLAND) 1. LES ENFANTS 5e partie (Classe de Lucette MAGNE) 1. CONDITIONS NÉCESSAIRES Conclusions provisoires |
PREFACEJe ne consens guère à des préfaces, en ce sens que je les trouve inconvenantes : inopportunes, elles retardent le contact direct qui est la raison d'être de l’œuvre elle-même ; impertinentes, elles ne peuvent que répéter ou contredire. Mais voilà qu'il s'agit d'amis qui se recommandent de l'Ami qui nous fut cher et que nous n'oublions pas, Célestin Freinet. Il s'agit aussi de ces enfants des classes de perfectionnement qui constituent notre priorité, puisque les autres se sauveront finalement sans nous si nous sommes sages, contre nous, si nous sommes maladroits. Faute d'un intérêt prioritaire en faveur des plus démunis, nous trahirions l'esprit même de la Démocratie. C'est dire l'intérêt passionnant d'une lecture qui répond à l'intérêt passionné des auteurs : Yvette Boland de Grivegnée (Belgique), Lucette Magne de Limoges, J. Le Gal et P. Yvin de Nantes. Sans doute, d'un document à l'autre, découvrira-t‑on ces nuances nécessaires de l'action éducative : « Parce que c'est lui, parce que c'est moi ». Le respect de l'authenticité du maître est l'un des facteurs de son efficacité. Et c'est en quoi la Pédagogie échappe au catalogue des recettes communicables. Mais au-delà de cette évidente singularité apparaît la convergence qui frappe, du propos et du ton : ne s'agit-il pas d'enfants qui font preuve des mêmes carences psychosociales ‑ et de maîtres qui se sont fortifiés au même mouvement créateur ? Attachons-nous à ces constantes... Il s'agit tout d'abord de véritables monographies, de comptes rendus si vivants, si précis que nous aimerions en lire de semblables sous la plume de nos étudiants. Cependant, cette objectivité traduit d'abord une orientation, un but clairement défini, celui-là même que Célestin Freinet proposait à ses amis, au congrès de Caen, en 1962 : « préparer, non des écoliers dociles, mais des hommes et des citoyens qui sauront bâtir le monde nouveau de liberté, d'efficacité et de paix ». La finalité de l'éducation apparaît dans l'avènement progressif de personnes autonomes et sociabilisées. Encore importe-t-il de ne pas s'en tenir aux pieuses intentions. Les difficultés sont de méthodes. Il convient tout d'abord de valoriser l'enfant : aussi démuni soit-il, il détient un immense capital de mots (d'où la valeur, d'ailleurs thérapeutique, de « l'expression libre »), de besoins, de tendances, de motivations. L'associer au travail en équipe, le faire participer aux décisions communes, l'écouter, c'est le réconcilier avec lui-même autant qu'avec les autres, c'est faire qu'il se découvre de s'entendre, qu'il soit, peu à peu, mieux dans sa peau. L'acceptation et l'autonomie de la personne enfantine, constatent les auteurs, passent par l'acceptation et la gestion du milieu scolaire : code de vie, organisation du travail respectant les règles, les personnes et les outils ‑ et préfigurant son propre code moral, ses propres méthodes de travail. La faculté de s'adapter, de créer, de coopérer, ces vertus de l'an 2000, passent par une pédagogie de l'aléatoire, de la réussite et de la dédicace. Il se trouve qu'il n'y ait rien de mieux à ce propos que la pédagogie Freinet et singulièrement grâce à la multiplicité de ses activités concrètes, de ses techniques coopératives. Un sort doit être fait au rôle du Président de jour (comme l'entendait Makarenko), du responsable temporaire d'atelier coopératif, au conseil de classe (selon une formule qui intègre les apports de l'Office Central de la Coopération à l'Ecole et de la dynamique de groupe), à la correspondance interscolaire, peut-être technique privilégiée en semblable affaire... Dès lors, apparaît le rôle du Maître, entre oppression et démission, du maître démocratique qui sait que son action seule peut combler tout ou partie du désolant déficit de ces enfants de Caïn. Là est l'apport le plus original des auteurs et peut-être leur plus significatif point de rassemblement. Partis de la pédagogie autocratique traditionnelle ou, un temps séduits par la non directivité intégrale, ils ont compris, à l'expérience et à la réflexion, ce qui était le plus difficile, le plus nécessaire : être présent sans être pressant ; être disponible et permissif, en restant ferme quand il le faut : « être un homme, un technicien, un organisateur », « que le maître s'informe et qu'il s'engage » ; qu'il choisisse la philosophie de son éducation, après avoir, d'évidence, éclairé sa philosophie. Qui doit changer ? Lui d'abord. Et là l'humilité est grande vertu. Si l'oblativité va d'abord... Nous trahirions la pensée des auteurs si nous découvrions dans leurs comptes rendus une invite à refaire leurs propres expériences, à les étendre à l'ensemble d'une pédagogie qui sera toujours plus militante que triomphante. Au moins pouvons-nous dire qu'il y a là richesse d'informations, suggestions d'activités, promesse de réussites. Quoi de plus rassurant, en tout cas de plus tonique, que cet enthousiasme d'éducateurs heureux : ils se sont faits sauveurs d'hommes. Jean Vial |
« Quelles que soient les entraves que la société capitaliste met aux essais de rénovation de l'éducation populaire, nous nous emploierons à mêler, plus que jamais, l'école au peuple afin de dépouiller l'éducation de tout ce qu'elle a eu, jusqu'à ce jour, de mystiquement aristocratique pour en faire la puissante préparation à la vie prolétarienne. » 1928-29 C. FREINET, L'Educateur Prolétarien en 1928 encore « La libération de l'Ecole Populaire viendra d'abord de l'action intelligente et vigoureuse des instituteurs populaires eux-mêmes. » Janvier 1931 « Il ne peut y avoir comme but à nos efforts que la société d'où sera exclue toute exploitation de l'homme par l'homme. » Et en 1939, à l'occasion du Congrès de la Ligue pour l'Education Nouvelle, il écrivait, à propos de « l'école au service de l'idéal démocratique » : « L'idéologie totalitaire joue sur un complexe d'infériorité de la grande masse qui cherche un maître et un chef. Nous disons, nous : l'enfant - et l'homme - sont capables d'organiser eux-mêmes leur vie et leur travail pour l'avantage maximum de tous. » Ce qu'écrivait Freinet en 1939, reste plus vrai que jamais, mais surtout s'avère aujourd'hui, plus réalisable. Les éducateurs de l'Ecole Moderne peuvent aujourd'hui offrir à leurs enfants une gamme variée d'outils, un riche éventail de techniques et d'activités. Une classe Freinet, en autogestion, est désormais possible. Un soubassement pédagogique constitué par l'ensemble des techniques Freinet, est nécessaire pour qu'une classe fonctionne en autogestion Toute tentative de ce genre dans une classe dont le matériel éducatif est la salive, la craie, les manuels, dont les techniques de travail restent les leçons, les devoirs, n'est qu'un leurre. Face à la pédagogie autoritaire, système pouvant être défini par le fait que les institutions internes à la classe sont décidées uniquement par le maître (et quelles que soient les techniques utilisées), des éducateurs de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne relatent, dans ce document, l'expérience de leur classe et développent la conception d'une pédagogie basée sur l'autogestion. |
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1ère PARTIE
CLASSE DE PERFECTIONNEMENT de Pierre YVIN - Saint-Nazaire (44) |
INTRODUCTION
2. APPLICATION DES DÉCISIONS : du projet au travail
3. DIFFÉRENTS TYPES D'INTERVENTION DE L'ÉDUCATEUR
4. CONTROLE ET BILAN DU TRAVAIL RÉALISÉ
2ème PARTIE CLASSE DE PERFECTIONNEMENT De Jean LE GAL Ecole de Ragon à Rezé (44) |
INTRODUCTION
1.LES CONDITIONS DE L'EXPÉRIENCE ACTUELLE
INTRODUCTIONAider à la naissance d'un homme qui saura lutter pour une société dont la liberté, la justice, la fraternité et le travail désaliéné seront les fondements, une société d'où aura été bannie l'exploitation de l'homme par l'homme : tel est le but que FREINET, dès l'origine de son action, offrait aux éducateurs populaires s'engageant à ses côtés. Aujourd'hui, dans un monde en mutation où la misère et la guerre continuent d'exercer leurs ravages, alors que l'homme réalise son rêve ancestral de conquérir la Lune et le ciel, il est plus que jamais nécessaire que l'enfant soit préparé : Nous savons que cet enfant, qui vit avec nous seulement six heures par jour, est le produit d'une société qui ignore ou combat les valeurs qui sont les nôtres. Nous savons que notre action va à contre-courant et que ses résultats sont sans cesse remis en cause; mais nous continuons à lutter pour une organisation scolaire qui permette à l'enfant : Depuis plusieurs années nous cherchons, les enfants et moi, cette organisation coopérative, humaine, libératrice et enrichissante, et chaque année elle est différente de la précédente, car les données de cette recherche que sont les enfants, le maître, le milieu scolaire, le milieu familial, le milieu social, évoluent elles aussi. Nous ne prétendons pas aujourd'hui avoir répondu à tous les problèmes qui se posent tant au niveau des relations humaines qu'à celui des institutions. C'est pourquoi ce bilan ne peut être qu'un moment de réflexion, de retour sur soi, pour reprendre avec plus de lucidité la marche en avant, marche qui d'ailleurs ne devra jamais s'arrêter, sous peine de tomber dans le dogmatisme et la sclérose. L'EXPERIENCE ACTUELLE Il est impossible de comprendre l'expérience actuelle si l'on ne possède quelques éléments qui la situent dans l'espace et dans le temps et la conditionnent : - le milieu social LE MILIEU SOCIALLe quartier de Ragon est demeuré agricole, dans une ville-dortoir en pleine expansion démographique, et il est connu pour ses campements de gitans sédentaires ou nomades, et ses baraques où s'entassent les parents avec leurs nombreux enfants, dans une promiscuité peu propice à des relations affectives sécurisantes. Les enfants de ma classe sont issus de familles de travailleurs, et quelques-uns d'un sous-prolétariat vivant dans des conditions matérielles précaires. J'entretiens en général de bonnes relations avec les parents. LE MILIEU SCOLAIRE 1. L'ECOLE Le groupe scolaire comprend une école de filles de 9 classes (5 primaires, 2 enfantines, 2 cdp) et une école de garçons de 6 classes (5 primaires, 1 cdp). Jusqu'à cette année, aucune classe ne pratiquait une pédagogie se rapprochant de la nôtre, mais le changement de directeur et le vent de rénovation qui souffle sur l'école française ont modifié le climat et les institutions : -Toutes les classes sont mixtes, ce qui permet aux filles et aux garçons de notre coopérative de ne plus être séparés, comme ils devaient le faire antérieurement, au moment des récréations. - Plusieurs collègues pratiquent l'étude du milieu. Une sortie collective à Nantes est prévue, qui groupera 4 classes, dont la nôtre ; les enfants seront répartis en 3 groupes hétérogènes. - Chaque classe a sa coopérative et une fête est prévue pour Noël. - Le CM2 se lance dans la correspondance. Nous lui avons prêté des lettres et un album, pour que nos camarades voient les possibilités qui leur sont offertes, et ils nous ont présenté leur étude sur Rezé. - Chaque lundi et mercredi après-midi, de 15h15 à 16h45, des ateliers sont organisés, chaque maître ayant opté pour une spécialité, et les enfants se répartissent librement. Je reçois, pour ma part, ceux qui veulent dessiner et peindre. Mes enfants sont très heureux d'offrir leur local et leurs outils, et d'aller travailler eux-mêmes avec d'autres maîtres et d'autres enfants. Cette mutation de l'école influe favorablement sur le climat de notre propre collectivité et nous a amenés à modifier notre plan de travail hebdomadaire.
LES ENFANTS Les enfants sont entrés dans la classe pour déficience intellectuelle. Ils savent tous lire. La plupart viennent de la classe de perfectionnement (niveau initiation) de l'école des filles, où ils se sont initiés à plusieurs techniques que nous utilisons. GROUPE 1 (niveau scolaire : CE‑CM) (Pour chaque élève, sont indiqués successivement : le prénom ‑ l'âge l'ancienneté dans la classe ‑ la provenance ‑ les observations). Jacky : 14 ans – 3e année ‑ cdp initiation Alain : 13 ans – 2e année ‑ cdp initiation Patrick : 14 ans – 2e année ‑ cdp initiation Marcel : 14 ans – 2e année ‑ CM1 GROUPE 2 (niveau : CE‑CM) Jeannick : 13 ans 2 mois – 2e année ‑ fin d'études Jeannette : 11 ans 5 mois – 2e année ‑ cdp initiation Josée : 13 ans 5 mois – 2e année ‑ CE2 Violette : 12 ans 2 mois – 2e année ‑ cdp initiation GROUPE 3 (niveau : CP‑CE1) Fabien : 12 ans – 2e année ‑ CP Monique : 10 ans 7 mois – 1re année ‑ cdp initiation Andrée : 11 ans, 10 mois – 1re année ‑ cdp initiation Marina : 10 ans 4 mois – 1re année ‑ cdp initiation GROUPE 4 (niveau CP‑CE1) Catherine : 11 ans 4 mois – 1re année ‑ cdp initiation Jacky P. : 12 ans 6 mois – 2e année ‑ cdp initiation Christian : 14 ans – 2e année ‑ cdp initiation LE MAITREQuelle que soit son attitude, le maître demeure l'élément fondamental du groupe-classe. C'est lui qui conditionne l'évolution du groupe par ce qu'il EST dans ses relations avec lui-même et avec les enfants. L'important est qu'il soit à l'écoute des autres, afin de saisir leurs motivations profondes, de comprendre leur comportement, de répondre à leur demande ou à leur attente, et aussi afin de toujours demeurer en mouvement. Il lui est cependant indispensable de bien se connaître, et pour cela de se poser la question : « Qui suis-je ici et maintenant dans ma classe ? » et de solliciter dans ce but l'analyse critique de ceux qui le regardent vivre. A cette question puis-je répondre avec objectivité ? Je me sens un éducateur engagé qui a choisi de lutter, dans sa classe et dans la société, pour des valeurs auxquelles il est fermement attaché : Paix ‑ Justice sociale ‑ Liberté d'expression ‑ Droits de l'homme et de l'enfant ‑ Droit de chacun à participer à la gestion de sa vie et à celle du groupe auquel il appartient (autogestion) ‑ Amitié entre les hommes. Ce faisant, je me sens pleinement en accord avec la Charte des Droits de l'Enfant, adoptée le 20 novembre 1959 par l'Assemblée Générale des Nations Unies, à l'unanimité de ses 78 pays membres. Charte qu'aucun éducateur ne peut se permettre d'ignorer, encore moins de ne pas respecter : Principe 10. – « L'enfant doit être protégé contre les pratiques qui peuvent pousser à la discrimination raciale, à la discrimination religieuse, et à toute autre forme de discrimination. « Il doit être élevé dans un esprit de compréhension, de tolérance, d'amitié entre les peuples, de paix et de fraternité universelle, et dans le sentiment qu'il lui appartient de consacrer son énergie et ses talents au service de ses semblables. » Je fais miens ces vers de Dorothy ROIGT (Ride with the Sun), extraits de la plaquette que l'UNICEF vous enverra gracieusement : « L'UNICEF et les Droits de l'Enfant » LA CHARTE DES ENFANTS La paix viendra sur terre ; mais pas avant Dans la classe, je me veux AUTHENTIQUE, car « il n'y a de dialogue possible qu'entre gens qui sont ce qu'ils sont et qui parlent vrai » (A. CAMUS). Je me refuse à être un enseignant neutre, qui s'abstient de mettre en discussion les sujets-tabous ou qui évite d'y participer (cf. Educateur n°1, sept.-oct. 68 : « Laïcité et Engagement de l'Educateur »). Notre groupe a débattu des problèmes graves de la vie, à la suite de textes libres ou de questions posées à propos d'articles de journaux ou d'émissions de télévision : - Comment viennent les enfants ? J'ai participé à ces débats, j'ai dialogué d'une manière authentique, en respectant les opinions de chacun, et je me suis vu contesté, car la parole du maître n'est plus synonyme de vérité à croire inconditionnellement. Ainsi je me veux fidèle à la riche voie d'humanisme que nous traçait Jean ROSTAND : Former les esprits sans les conformer, Plus qu'enseignant, je suis UN HOMME qui vit avec les enfants. Comme chacun d'eux je m'exprime librement par l'expression orale, écrite, graphique, picturale, gestuelle et je suis VRAI dans mes réactions: Si je suis heureux, je vis et j'exprime ma joie. Si je suis mécontent, je vis et j'exprime mon mécontentement. Mais que suis-je dans mes relations avec les enfants ? Je me veux permissif, libérateur, amical, membre participant de la collectivité, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les enfants. Mais suis-je véritablement ce maître que je voudrais être ? Seule une analyse objective de la vie de la classe, faite par un observateur, pourrait répondre à cette question. Voici donc quelques images renvoyées par des stagiaires qui ont vécu avec nous ; elles ont la valeur de flashes qui fixent un moment dans un processus en constante mouvance : Le maître est quelqu'un qui fait prendre conscience au groupe de ses intérêts, qui essaie de les harmoniser pour permettre à chacun de s'exprimer, d'apprendre, et pour faciliter les relations à l'intérieur du groupe, Nous nous sommes trouvés en face de la non-directivité promue au rang d'institution éducative... (2 étudiants en psychologie, janvier 1968). Il me semble que vous vous efforcez d'être un membre du groupe, à part entière et au même titre que les enfants. Vous demandez la parole comme eux. Vous ne profitez pas de votre position de maître pour inculquer quelque chose... N'êtes-vous pas pour eux malgré tout une figure de l'autorité ? (Etudiant en psychologie, janvier 1968). Il m'est apparu ici que le maître vivait vraiment l'activité et même vivait vraiment tout simplement Il utilisait les techniques d'expression libre institutionnalisées pour son propre compte... Dans ses relations avec les enfants, il établit une simple relation, je dirai d'homme à homme. Il ne joue aucunement sur l'affectivité et place les enfants face à leurs responsabilités. (Normalienne, mai 1969). Le maître en lui-même : il montre aussi bien son plaisir que son mécontentement. Il est très sûr de lui. Il en impose. Il essaie de ne pas s'imposer en tant que « le maître ». Il respecte les enfants en tant qu'individus, Le maître et les enfants forment un groupe dans lequel le maître essaie le plus possible d'avoir la même place que les élèves. C'est difficile : les enfants ont de la peine à le considérer comme leur égal. Ils semblent le craindre, mais ils ont une grande confiance en lui qui leur permet de s'exprimer librement, Il n'existe aucune gêne dans le groupe. Les enfants se disent ce qu'ils ont à se dire sans provoquer de rancunes, Le climat est très cordial, très amical, malgré quelques petits heurts. C'est un climat de confiance, (Deux normaliennes, novembre 1969). Mais peut-être sera-t-il possible de cerner avec plus de précision l'image du maître et ses relations avec les enfants, dans l'analyse que représente le bref historique d'une expérience qui, partie de la coopérative, tend aujourd'hui à déboucher sur l'autogestion. Cette analyse permettra aussi de mieux connaître ce qu'était le groupe actuel lors de son démarrage le lundi 8 septembre 1959. HISTORIQUE DE L'EXPÉRIENCESEPTEMBRE 1959. A la suite du choc affectif que j'ai subi en visitant l'école Freinet à Vence, pendant les vacances, je me lance avec résolution dans une pédagogie qui m'est totalement inconnue. J'ai acheté, pour m'y aider, deux ouvrages de Freinet : « Les Dits de Mathieu » et « Les Méthodes Naturelles dans la Pédagogie Moderne ». Fini l'auditorium-criptorium où l'on reste assis toute la journée finies les punitions, finis les classements ;place à la démocratie ! J'apprends alors, à mes dépens, que des enfants habitués à obéir ne peuvent user subitement et avec discernement de la liberté, et je médite les conseils de Freinet aux débutants : « Ne commettez pas l'erreur d'accorder sentimentalement trop vite et trop brusquement, la liberté à vos élèves. « Non seulement parce qu'ils n'y sont pas habitués et risquent fort, en conséquence, d'en faire un mauvais usage, mais parce qu'il faut surtout éviter de considérer la liberté comme une sorte d'entité intellectuelle. Or cette liberté n'existe que dans les livres, On est libre de faire quelque chose ou de ne pas le faire. « C'est dans le travail et la vie que l'enfant doit sentir et posséder la liberté… La liberté ne sera pas au début. Elle sera l'aboutissement de la nouvelle organisation du travail. » Ayant pris conscience de la difficulté de la mutation que je demande aux enfants de réaliser, j'essaie d'organiser rationnellement avec eux la mise en place d'un travail vivant et motivé. Je m'attache en particulier aux conditions matérielles et aux règles de la vie en commun. Dans des discussions libres, nous abordons tous les problèmes qui se présentent à nous. Je leur propose d'écrire librement ce qu'ils voient, entendent, pensent, rêvent, et de présenter ces textes à leurs camarades, qui en choisiront un pour être tiré dans le journal. Je les mets en contact avec d'autres enfants par la correspondance interscolaire. Une à une, les techniques Freinet pénètrent dans la classe, au fil de ma propre information. Au 2e trimestre, après la correspondance, viennent successivement : les fichiers, qui les libèrent de ma tutelle ; le calcul vivant et les ateliers d'expression, qui nous conduisent au travail par équipes. Nous voici placés devant la nécessité d'organiser la classe sur une base coopérative, avec répartition des responsabilités. Chaque samedi après-midi, une assemblée générale étudie les succès, les échecs, les heurts. Peu à peu les critiques constructives apparaissent et notre loi s'élabore. A la fin de l'année, nous avons un code de coopérative, que vont respecter ces 35 enfants de Cours Elémentaire 1re année, pour qui la règle a encore un caractère sacré. Article 1 ‑ CHACUN APPORTE SA PART A L'CEUVRE COMMUNE ‑ textes libres ; Article 2 ‑ CHACUN RESPECTE LES TRAVAUX DES AUTRES ET LES OUTILS COLLECTIFS Article 3 ‑ CHACUN DOIT RESPECTER LES REGLES ETABLIES PAR TOUS: - 3 en circulation dans les allées au maximum ; Article 4 ‑ LES DROITS Chacun pourra participer à toutes les activités de la coopérative : * De cette première expérience je tire un bilan positif, tant sur le plan des acquisitions scolaires figurant à notre programme, que sur celui des relations humaines au sein de la classe, et je décide de recommencer l'année suivante avec d'autres enfants, car l'organisation de l'école ne me permet de garder les mêmes qu'une seule année. Je prends conscience des difficultés de ma propre mutation. J'ai du mal à respecter les règles de la coopérative, et en particulier la discipline de parole. Je me rends compte que le maître doit être : - un HOMME accueillant, compréhensif, à l'écoute des enfants - un TECHNICIEN capable d'apporter un conseil pour toutes les activités et sans cesse désireux de posséder parfaitement les techniques à utiliser ; - un ORGANISATEUR sachant aider à la mise en place de nouvelles structures, harmoniser travaux collectifs et travaux individuels, et ne pas se disperser dans une coopérative aux multiples activités. En 1960, je découvre Makarenko, et je propose aux enfants d'instituer un président de jour qui remplacera le président de coopérative élu pour une certaine durée. Cette institution, qui permet à chacun d'être responsable à son tour, est adoptée par tous avec plaisir. Elle fait disparaître les heurts nés du refus de suivre les directives d'un président de coopérative qui tend parfois à devenir un chef plus autoritaire que l'ancien maître. Durant cinq années de cours élémentaire 1re ou 2e année, je n'assiste jamais à la remise en cause des techniques de travail par les enfants. Cela provient peut-être du fait que, progressant moi-même au fil de mon tâtonnement expérimental en suivant attentivement nos activités et en les confrontant avec celles d'autres classes, je suis conduit à proposer des modifications des techniques existantes et à en instituer de nouvelles. Je réponds sans doute souvent à l'attente des enfants ; mais je ne leur laisse pas le temps d'en prendre conscience et de l'exprimer. En 1965, je suis nommé dans une cdp qui accueille des déficients intellectuels de 10 à 12 ans, à la suite d'un stage d'un an qui m'a permis de faire le point après ces quelques années de tâtonnement, de lire beaucoup, d'étudier de près de nouvelles expériences pédagogiques et de découvrir Rogers et la non-directivité. Je redémarre cependant avec les mêmes techniques qu'au C.E., techniques alors pour la plupart officialisées et que j'estime propres à permettre l'épanouissement d'enfants inadaptés. Mais dès le départ je propose le conseil de classe quotidien animé par le président de jour, au cours duquel on fait le bilan de la journée et on prévoit le plan de travail du lendemain. Ici, la dimension « temps » nous est favorable : les enfants resteront de 2 à 4 ans dans la classe. Les deux premières années, on voit les enfants prendre progressivement en main, avec mon aide, la gestion des activités et des institutions. En 1967-68, je décide de me retirer quasi totalement du groupe et de ne répondre qu'à la demande. Les techniques, remises en cause, évoluent (voir chapitre Evolution des Techniques), mais les enfants ont maintenant entre 13 et 14 ans, et certains sont perturbés par leur entrée dans la période pubertaire. Des agressivités se manifestent. Mon attitude ne constitue plus une barrière pour deux enfants caractériels dont l'instabilité augmente. Les heurts physiques deviennent fréquents. Dans de telles conditions, les enfants peuvent difficilement prendre des décisions et les appliquer. Plusieurs projets de sorties ne peuvent aboutir à cause de l'opposition systématique de Martine, qui est une déviante (voir chap. La déviance). Je me décide alors à reprendre ma place de maître-participant. Je neutralise les éléments perturbateurs et, ce faisant, je rétablis une autorité que je voulais faire totalement disparaître. Mais je n'interviens que pour demander l'application des règles que le groupe s'est données. La vie coopérative retrouve peu à peu son rythme, et au 3e trimestre le conseil de coopérative fonctionne à nouveau sans mon aide (ci-dessous compte rendu du conseil du 10 mai). En mai, la révolte des étudiants contribue à la maturation des membres du groupe, qui discutent chaque jour des événements et prennent conscience qu'ils ont pouvoir de se gérer. CONSEIL DE COOPERATIVE DU VENDREDI 10 MAI 1968 Président : DOMINIQUE ‑ Compte rendu : DOMINIQUE et PHILIPPE. Quand nous avons commencé le conseil, nous avons parlé de la semaine de travail. Le président a donné une feuille à chacun pour qu'il marque ce que nous ferons la semaine prochaine. La secrétaire ANNIE inscrit ensuite toutes les propositions au tableau, et nous avons décidé :
Le Plan de travail décidé est présenté à Monsieur Le Gal. Il accepte la part qu'on lui demande. * EXAMEN DU JOURNAL MURALGérard, le responsable, lit les critiques. - Patrick a critiqué Gérard qui s'est battu avec un garçon de Fin d'Etudes, Gérard dit que Patrick est un menteur. M. Le Gal dit que c'est le garçon de F.É. qui a commencé. Nous avons décidé que : « Celui qui se battrait serait exclu de nos activités pendant un jour, si c'est lui qui attaque. » - Patrick est félicité par Martine, parce qu'il a apporté des graines pour le jardin de la coopérative. Ces trois années de recherche m'amènent à cerner une partie du problème posé par l'évolution du groupe enfants-maître vers l'autogestion, autour de quatre points que nous retrouvons tant pour les activités que pour les institutions de la collectivité. (Analyse publiée dans Cahiers Pédagogiques n°81 : La Relation maître-élèves : Qu'est-ce qu'une classe autogérée ?) 1. Proposer I. PROPOSERQUI propose des activités ou des institutions ? II. DISCUTER QUI discute ? les élèves seuls ? le maître et les élèves III. DECIDER QUI ? IV. APPLIQUER QUI ? Les heurts entre les enfants, ainsi que les événements de mai 1968 m'ont permis de mesurer combien l'amitié est nécessaire pour que les hommes puissent agir et construire ensemble. Sans elle, aucune autogestion n'est possible. Elle naît de l'action en commun et elle la conditionne. D'autre part, l'analyse des difficultés d'expression de quelques enfants me fait prendre conscience que le problème de l'écoute du groupe est fondamental. Il n'y aura expression profonde de soi que si chacun trouve des auditeurs permissifs, attentifs, compréhensifs, qui écoutent et acceptent de répondre. Je fais mienne l'idée de Carl Rogers, que « l'obstacle majeur aux communications entre personnes, c'est notre tendance très naturelle à juger, évaluer, approuver ou désapprouver les dires de l'autre personne ou de l'autre groupe » (« Liberté et Relations humaines », d'A. de Peretti). Faire naître l'amitié en proposant aux enfants des activités qui les amènent à oeuvrer ensemble... et libérer l'expression par un climat d'écoute et de compréhension sont les deux buts premiers que je me fixe. Dès le premier jour, j'institue un nouveau lieu de rencontre le BUREAU, devenu table-exposition au milieu de la classe, et autour duquel nous nous regroupons sur des tabourets. Ce coude à coude me paraît plus propice à la circulation du langage que notre formation de pupitres en U. Effectivement, c'est à cet endroit qu'au fil des jours nous apprenons à nous parler, à nous dire, à nous donner un beau poème découvert dans un recueil, un texte libre, une découverte, une invention, un bouquet de fleurs, ou simplement un sourire. Je lis moi aussi mes textes et je découvre que l'on peut avoir la gorge nouée lorsqu'on essaie de communiquer aux autres l'émotion que l'on ressent. Je me mets à créer des chansons. L'entretien du matin devient un moment privilégié, un moment de joie et de plénitude libératrices, pas seulement pour les enfants, mais aussi pour tous les adultes vivant en classe. « Au fur et à mesure du stage, il me semblait que je me libérais et m'ouvrais à toutes sortes de choses que je croyais avoir oubliées, telle la poésie faite de sentiments simples, que l'on éprouve, enfant, quand il fait beau, que la nature s'offre à vous. » (Une normalienne). Voici quelques-uns de ces textes libres, dont la motivation n'est plus le journal, mais le don aux autres ;
Outre l'entretien du matin, je propose toutes les activités permettant la liberté d'expression et la relation humaine : Je propose aussi : UN MODELE D'ORGANISATION: DES REGLES DE VIE FONDEES SUR LE RESPECT : Durant la 1re semaine, nous vivons ces propositions acceptées par tous. Plusieurs enfants ont des troubles du comportement ; j'interviens lorsque le président du jour ne suffit pas pour les amener à inhiber leur agressivité. Au premier conseil du samedi, je demande que chacun écrive sur une feuille : CE QUE J'AIMERAIS FAIRE DANS LA CLASSE. J'affiche au mur toutes les propositions, afin que les enfants puissent s'y référer pour établir leur plan de travail. Ils reprennent d'ailleurs la structure de l'année précédente, qui leur est proposée par un ancien. Durant toute l'année au cours des conseils j'aide le groupe à réfléchir sur lui-même et sur ses institutions. En Philips 66, nous étudions : Je demande, avant que les perspectives soient établies pour la semaine suivante, que chacun fasse le bilan de ses travaux commencés et qu'ensemble nous fassions le bilan des travaux collectifs en cours. A plusieurs reprises nous nous demandons : « Que voulons-nous faire ? » Peu à peu le groupe s'affirme et prend conscience de ses responsabilités. Il décide en particulier que seul le Conseil aura pouvoir de décision et que le président de jour sera chargé de l'application s'il est défaillant, le maître fera appel au suivant. Bien entendu, des heurts ont encore lieu, et un Code de coopérative prévoyant des réparations se constitue :
COMMENT EST LA CLASSE A LA FIN DE L'ANNEE ? « Un milieu plein de stimulation, où l'on se sent au chaud, chez soi. »‑ (Etudiant en psycho.) ; Avec une atmosphère qui étonne : « Ce qui me frappa lorsque je suis arrivée dans ta classe, c'est le calme qui y régnait. J'ai trouvé les enfants à leur place; en travail individuel tout se passait bien, chacun travaillait à son rythme, décontracté, paisible. » (Stagiaire CAEI). Les deux buts fixés au départ : faire naître l'amitié libérer l'expression sont atteints, et les enfants ont appris à vivre ensemble, à travailler ensemble, à gérer ensemble leur vie et leurs activités. Onze d'entre eux vont revivre une nouvelle année dans la classe. Cette fois je me mettrai momentanément hors du groupe afin de les obliger à se prendre tout de suite en mains. Ainsi nous éviterons la passivité et chacun sera tenu d'être un créateur. Dans un groupe qui agit, les institutions et les activités sont en étroite relation. Il est difficile de les dissocier. Mais, pour l'analyse de leur naissance et de leur évolution, je me vois contraint de faire un choix. J'étudierai d'abord les institutions, après avoir, dans un premier temps, décrit les premiers jours de classe. LES PREMIERS JOURSLUNDI 8 SEPTEMBRE Ma voiture s'arrête près du portail de l'école. Quatre anciens sont là qui attendent : on se retrouve comme si on ne s'était pas quittés. Ils sont impatients de revoir notre maison commune. Ils rassemblent leurs camarades et rentrent seuls, car la maman d'une ancienne élève, soucieuse de l'avenir problématique de sa fille, me retient. Lorsque, au bout de trente minutes, je les rejoins, je trouve les onze anciens assis à leurs pupitres habituels et discutant avec animation. Par contre, les quatre nouvelles sont demeurées debout dans un coin et se taisent. Je les invite à s'asseoir aux pupitres inoccupés et je m'installe moi-même sur une chaise, car je n'ai plus de bureau. Les pupitres sont demeurés en U depuis notre départ en juin ; les murs sont décorés de nos peintures et, sur les panneaux, les lettres de nos correspondants nous rappellent des joies anciennes. Je ne dis rien. Brusquement le silence se crée. Il dure deux, trois minutes... Christian lève la main et me regarde. Je ne dis toujours rien... Il prend alors la parole pour demander pourquoi toute l'école est maintenant géminée. Le groupe se tourne vers moi, qui suis seul à détenir la réponse. Je la donne, puis je me tais. Le silence réapparaît et dure. Je me retire alors à l'atelier-journal, afin de libérer les enfants qui attendent que je prenne l'initiative. Christian reprend la parole : « Il faudrait un président… Il n'y a qu'à reprendre la liste des noms. » (Christian propose là une structure de l'année précédente). ALAIN : « Oui, mais il y a des nouveaux ! » JACKY : « Qui veut être président ? Levez la main ! » (Jacky F. est le leader naturel des garçons, et il prend ici l'initiative). Fabien est élu ; or il est capable d'assumer l'animation du groupe. Aussi Jacky lui conseille aussitôt : « Et fais respecter le calme ! » Fabien prend ses fonctions suivant le rituel des conseils de l'an passé.
Personne ne m'ayant demandé de jouer, j'assiste en spectateur au jeu, qui est assez brutal. Lorsque, après 45 minutes, une des filles reçoit le ballon dans la figure, après un shoot volontaire, je stoppe le match. Je suis intervenu ici au niveau du pouvoir exécutif, pour suppléer à la carence du président de jour, qui laisse les agressivités se défouler au détriment des plus faibles. Les enfants rentrent alors et spontanément discutent des brutalités. La sortie et la rentrée de récréation se font dans le même désordre. Le président de jour abandonne son rôle. Le leader Jacky F. reprend alors le pouvoir : « On pourrait faire le jardin et ranger la classe ?. Les garçons font le jardin et les filles la classe. » Proposition acceptée sans discussion. Chacun se met au travail. Catherine va au jardin avec les garçons. Je participe au rangement. Dès que la cloche sonne, chacun reprend rapidement son cartable et disparaît. MARDI 9 SEPTEMBRE 8h45. Les enfants attendent sous le préau lorsque la cloche sonne. Je ne dis rien. Après 3 minutes d'attente, ils se décident à entrer et s'installent en silence à leur place. Je prends la parole : « Jeannette avait proposé hier de prévoir les activités d'aujourd'hui. Marcel avait demandé que cela soit fait au conseil, mais on n'a rien décidé ! » Et je me retire du groupe. Jeannette prend le pouvoir immédiatement et avec fermeté : « Qui veut être président ? » Plusieurs mains se lèvent. Elle fait voter et décide : « Jacky F. est élu président ». Cette fois, c'est le plus ancien et le leader de la classe qui est choisi. Les enfants paraissent avoir pris conscience de l'échec de la veille. Et Jeannette se retire, avec un sourire satisfait.
L'arrivée d'une personne étrangère à la classe vient provoquer une rupture dans l'équilibre qui s'était établi. Ma présence sécurise les enfants, même si je participe peu. Dès que je suis occupé, quelques enfants se perturbent. Après quelques minutes d'essais infructueux pour poursuivre la discussion, le président met tout le groupe au silence. Il donne fermement sa directive et obtient le calme ; mais dès que la cloche sonne la récréation, les enfants se précipitent. Je décide alors d'intervenir dès la rentrée en classe, car avec ce désordre et les cris qui l'accompagnent, nous dérangeons la classe enfantine voisine. JLG : Tout à l'heure, la sortie s'est passée dans le bruit. J'ai entendu des bousculades et des cris dans le couloir, Lorsque la cloche a sonné, vous vous êtes tous précipités en vous bousculant, alors que les autres classes se mettaient en rang calmement. * RAPPORT Gr. 4 : rapporteur Christian ; 3 garons (anciens) Gr. 3: rapporteur Catherine ; 4 filles (nouvelles) : Gr. 2 : rapporteur Jeannick ; 4 filles (anciennes) : Gr. 1 : 4 garçons (anciens) : Je relis toutes les propositions et les résume. * JLG : Maintenant il faut choisir. J'écris notre première règle sur une feuille que j'affiche dans le couloir : « On sort et on rentre tous ensemble, les garçons devant, les filles derrière, en deux groupes, C'est le président qui diirige la sortie, * A 13h45, dès le coup de cloche, les enfants se rassemblent en deux groupes. Le président hésite. Je lui rappelle : « C'est toi qui fais entrer ! » Les enfants entrent, vont s'asseoir. Reprenant une habitude que le groupe 68-69 avait instituée Josée distribue un gâteau à chacun. Le président propose d'aller voir le terrain de sport ; je précise que nous n'avons le terrain que jusqu'à 14h30. Personne ne m'ayant invité à participer à la partie de balle au camp, je demeure spectateur. En rentrant, le président réclame une discussion sur le sport. JOSEE : Catherine ne veut pas passer la balle à Monique. Les candidats au dessin sont à l'atelier-peinture, mais il n'y a plus de peinture dans les pots. Que faire ? on se tourne vers moi : JLG : Il faut refaire la peinture, et pour commencer gratter les pots. (Cette activité ne passionne guère les enfants, qui abandonnent après avoir essayé 10 minutes. Je leur rappelle qu'ils se sont engagés à préparer l'atelier. Ils reprennent sans enthousiasme.) Je vais au jardin ; le travail y est peu actif. Je reviens en classe après 20 minutes ; la table est couverte de peinture, les blouses aussi. J'arrête l'activité et nous allons en récréation. Fatigué, le président ne réagit plus. En rentrant, je suis pris dans la classe d'à côté ; je demande aux enfants s'ils veulent faire une activité calme. Ils acceptent et proposent dessin et lecture. Je reviens au bout de 25 minutes : c'est le calme total. Personne n'intervient pour changer d'activité ; elle se poursuit jusqu'à la sortie. Les enfants OUBLIENT le conseil qu'ils avaient prévu. Le président organise. La sortie, elle, se passe dans l'ordre. Le groupe m'attend au portail. MERCREDI 10 SEPTEMBRE Le même rituel est repris pour le choix du président de jour. Les activités jardin et peinture sont proposées à nouveau. Josée s'insurge parce qu' « on ne travaille pas » ; elle voudrait que l'on fasse du calcul et du français. Sa proposition n'est pas reprise, car le président est débordé par ses camarades. Finalement, ils procèdent au rangement des fournitures, puis organisent un match de football que je stoppe à nouveau parce qu'une des petites nouvelles a reçu le ballon dans la figure. J'explique le pourquoi de mon intervention et je demande que chacun s'efforce de respecter les autres. A 14 heures, je repose le problème de la sortie, la règle élaborée le mardi n'étant plus respectée. Jacky F., très énervé, perturbe la discussion, à laquelle seuls quelques enfants participent, tandis que les autres dorment ou bavardent. Le groupe adopte une proposition de Josée : ceux qui ne respectent pas la règle de sortie devront une réparation. Aucune activité collective n'ayant été proposée, chaque enfant peu à peu se met à lire ou à dessiner. A 16h30, deux enfants ne respectent plus le calme ; le groupe décide de leur demander une réparation et établit une nouvelle règle : celui qui dérange les autres ou empêche la discussion aura une réparation. VENDREDI 12 SEPTEMBRE Le même rituel décide du choix du président et des activités. Le groupe me demande si je veux bien distribuer les fournitures. J'accepte, en posant mes conditions : « C'est à vous de me dire les cahiers dont vous avez besoin. » Une liste fantaisiste m'est proposée ;je la refuse : « Je refuse, parce que le secrétaire a mis au tableau la liste de tous les cahiers demandés. Si quelqu'un dit « cahier de dessin », il faudrait l'avis de tous. » Le président demande alors le pourquoi de chaque proposition, mais il est gêné par deux perturbateurs : Jacky F., qui accepte mal de n'être qu'un simple participant, et Alain son voisin. Le président n'ose pas intervenir. Je rappelle alors au groupe sa décision du mercredi : Celui qui dérange les autres ou empêche la discussion aura une réparation. Aussitôt Jeannette propose qu'Alain range la bibliothèque, et Jacky le bahut qui contient les fournitures. La proposition est adoptée, y compris par les deux intéressés. Je demande alors : « Qui fera appliquer la décision ? » Christian répond : « Le maître ! » Je refuse, et c'est finalement au président que revient cette tâche. Le calme étant revenu, la circulation du langage est excellente et des décisions d'attribution de responsabilités sont prises sans que j'intervienne :Marcel distribuera les cahiers et les vérifiera ; Alain vérifiera les crayons chaque soir. Le groupe m'attribue aussi une part du travail, après avoir demandé mon accord : le maître contrôlera la propreté des cahiers le soir. Jeannette propose une structure d'organisation qui est adoptée : Le groupe se mettra en U le samedi pour le conseil. Alain demande un conseil de coopérative le samedi matin. Mais les bonnes relations sont troublées à la récréation par Jacky F., qui agresse le président à coups de pieds. A la rentrée, celui-ci en rend compte à ses camarades et une discussion s'ouvre : CHRISTIAN : Pourquoi a-t-il fait ça ? Le groupe décide alors que Jacky nettoiera la cabane du jardin, en réparation. Le calme revient. Jacky s'aperçoit que ses camarades ne se laissent plus dominer, comme l'an passé. Christian propose une sortie au bois pour l'après-midi : elle est adoptée avec enthousiasme. Le bois ?Un tapis de feuilles mortes qui craquent sous les pas des enfants, qui courent, sautent, crient. Les filles bavardent près de moi ;au loin, les garçons jouent à la petite guerre. Au-dessus de notre tête, un ciel de feuilles vertes, grandes palmes éclatantes de lumière ; des jeunes châtaigniers, sombre ramure des chênes ; et partout de la fougère teintée du fauve de l'automne. Il fait très doux. Peu à peu les enfants reviennent et nous nous parlons longuement. L'amitié est là, présente. Aujourd'hui nous avons fait un grand pas. Agir ensemble et vivre des joies communes sont deux facteurs importants de structuration du groupe. SAMEDI 13 SEPTEMBRE Jeannette, la présidente, a beaucoup de difficultés pour lancer les activités. Les enfants sont passifs ou opposants. Je dois intervenir. Un plan de travail est élaboré, mais sans enthousiasme : mise en place des ateliers, électricité, peinture, rangement. Cette activité a lieu dans le calme, mais peu à peu chacun l'abandonne et passe à une activité tranquille (lecture et dessin) ; tous oublient le conseil proposé par Alain la veille. Au cours de la semaine que je viens de décrire, j'ai assumé plusieurs rôles, bien que me tenant au maximum hors du groupe : - ÉLUCIDATION. Je commence à faire prendre conscience au groupe de ce qui se passe en lui ; Le groupe a pris conscience qu'il détenait le pouvoir de décision, que je répondrais à l'occasion à sa demande, mais que je me réservais le droit de refuser. LES INSTITUTIONS1°. LE PRÉSIDENT DE JOUR Dès le jour de la rentrée nous voyons réapparaître le président de jour et un rituel se met en place. Je n'interviens que le 15 septembre, pour l'aider à organiser les propositions et établir la grille d'activités de la journée en tenant compte de la durée probable de chaque activité. 9 h à 10h15 ‑ Rangement des ateliers ; 10h30 ‑ Commentaire du dessin au tableau 11h30 à 11h45 ‑ Bilan de la matinée. 13h45 à 14h30 ‑ Balle au camp ; 14h30 à 15h15 ‑ Lecture silencieuse ; Dessin libre 15h30 à 16h15 ‑ Rangement des outils et des casiers individuels 16h15 à 16h45 ‑ Conseil. Le mardi 16, je propose une rupture intentionnelle dans le système du choix du président. A 8h45, les enfants attendent en deux groupes dans la cour pour entrer en classe. A 8h55, ils sont toujours devant la porte. Les autres jours, après 3 ou 4 minutes d'attente, si personne ne prenait l'initiative de faire avancer les groupes, je disais d'entrer. Aujourd'hui, je leur demande : « Que faites-vous là ? » LES ENFANTS : On attend. Immédiatement, Josée découvre ce qui ne va pas dans le système de choix adopté par le groupe et conclut : « Il faudrait choisir un président le soir ». Cette proposition sera reprise et le soir même un président est élu au conseil. Un nouveau système a donc été mis en place : le choix du président le soir. Mais dès le 23 la rupture se produit. Les enfants ont oublié, la veille, de choisir un président ; ce qui nous fait perdre du temps pour le lancement des activités. Aussi, à15h30, je constate : « Nous avons pris du retard aujourd'hui sur le plan de travail prévu, Pourquoi ? » Alain répond, après réflexion : « Nous n'avions pas de président ce matin ». Je propose alors de travailler par groupes en Philips 66 pour essayer d'étudier en profondeur l'institution président de jour. Il nous faudra quatre réunions extraordinaires : le 23 septembre, le 18 octobre, le 20 octobre et le 4 novembre, pour aboutir à un certain nombre de décisions qui sont transcrites sur une fiche-guide servant de mémoire au président : NOUS AVONS DECIDE : - Chacun sera président à son tour s'il le désire. Une liste par ordre alphabétique sera établie. LE PRESIDENT : - doit donner l'exemple et il doit être ferme ; LE MATIN : - il contrôle la propreté des mains ; REGLES : - Il se contrôle lui-même. Si le président ne se contrôle pas, le maître prend sa place pendant cinq minutes. Si ça recommence, il demande le changement de président ; A propos de ce problème du choix du président, nous voyons clairement comment naît un système ; comment il tend vers un équilibre ; puis comment, à la suite d'une rupture, se produit un déséquilibre entraînant la naissance d'un nouveau système :
Le président de jour, chargé par ses camarades d'un certain nombre de responsabilités, rencontre de nombreuses difficultés : - refus de se taire d'un ou plusieurs membres du groupe pendant les entretiens et les discussions ; Aussi n'est-il pas étonnant qu'il nous ait fallu faire deux réunions sur le pouvoir du président et la manière dont il pourrait faire appliquer les décisions prises. Je me suis demandé alors si les sanctions du groupe à l'égard de ceux qui ne respectent pas ses lois pourraient être supprimées. Il semble que cela ne sera possible que le jour où chacun sera devenu un être autonome apte à s'autogérer lui-même et à respecter les autres. J'ai posé aux enfants la question : Comment le président fera-t-il appliquer les décisions prises par le conseil ? Le samedi 18 octobre, des propositions diverses sont faites : - Si le président ne se fait pas obéir, il va le dire au maître, et le maître punit ; Le lundi 20 octobre, je précise avant tout débat que les punitions du maître n'existent pas à la coopérative, et que c'est au groupe de régler lui-même ses problèmes. De nouvelles propositions sont alors faites : - S'il n'obéit pas, on écrit à sa mère ; ou bien : Devant le refus du maître de punir, les enfants ne voient d'autres solutions que : - la répression familiale, Je fais remarquer, à propos du rejet hors du groupe, que ce rejet est lui aussi souvent refusé ; alors que fera le président si un camarade refuse par exemple de quitter un atelier ? - le président fait stopper les ateliers et le conseil décide ; Afin de faire prendre plus nettement conscience du problème, je mime la scène avec Jacky ; il est à l'atelier peinture, et je suis le président : - Va à ta place, Jacky, puisque tu ne respectes pas le calme de l'atelier ! Je pose alors à tous la question : « Qu'est-ce que je fais maintenant ? » Le groupe reste muet ; ni eux ni moi n'avons de solution à proposer... Le 4 novembre se produit la rupture qui relance le débat. La présidente du jour, qui n'arrive pas à faire stopper une activité, donne un coup de règle sur la tête de Marina, qui proteste avec énergie. Je propose au groupe de réétudier le problème : comment le président procédera-t-il pour faire appliquer ses directives ? Cette fois, des décisions sont prises : - Le président ne donne pas de coups ; s'il tape sur un camarade, il sera exclu des ateliers. Si un camarade le frappe, il arrête tous les ateliers et le conseil prend une décision immédiate ; Depuis le 4 novembre, plusieurs enfants ont dû demander des réparations pour se faire respecter. Mais la compétence des présidents grandit ; les règles de vie sont mieux connues ; l'agressivité d'ordre affectif diminue. Tout cela laisse espérer une disparition progressive de toute sanction. J'ai été amené à diverses reprises à prendre momentanément la place d'un président de jour défaillant. Je préside alors avec fermeté. Cette responsabilité est épuisante pour certains, mais tous, désormais (même les nouvelles arrivées) tiennent à l'assumer. J'ai même de la peine parfois à reconnaître tels ou tels d'entre eux, qui sont totalement différents dans leur attitude, leur comportement, leur dynamisme, lorsqu'ils sont présidents de jour. 2°. LE CONSEIL DE CLASSE JOURNALIER Bien que programmé à plusieurs reprises, il n'a lieu pour la première fois que le mardi 16 septembre, et ceci parce que je fais stopper le travail (rédaction d'un texte sur les vacances). La mise en train d'une activité (comme son interruption) est souvent fort longue. Les enfants, en ce début d'année, n'ont qu'une notion très vague du temps qui passe. Jeannick préside ; une camarade du groupe Freinet est présente : JEANNICK : Qu'est-ce qui a mal marché ? (Le groupe reste passif ; Christian fait du bruit). JLG : Christian n'écoute pas ; il essaie de se faire remarquer. Les dessins sont présentés. Les critiques sont positives. Puis le groupe demande à Monique S., qui a passé la journée avec nous, de dire ce qu'elle pense. Monique a assisté, en mon absence, à une agression collective contre Catherine, agression violente et méchante ; Catherine a servi de bouc émissaire à l'insécurité ressentie par tous. Monique donne son avis au milieu d'une très grande attention. CHRISTIAN : Elle a dit que ce matin elle ne se sentait pas autant à l'aise que cet après-midi. Après discussion, il est décidé d'accepter les deux normaliennes. Puis un président est choisi pour le lendemain. Le conseil fonctionne généralement selon le même rituel. Il permet de jeter un regard sur la journée écoulée et d'en analyser les éléments essentiels. Il est parfois très court, ou bien il n'a pas lieu, lorsque le président oublie l'heure. Aussi, depuis le début de novembre je fais l'horloge parlante, afin que les enfants s'habituent à placer leurs activités dans la dimension-temps exacte dont ils disposent. Son intérêt dépend des capacités d'animation du président de jour et de sa disponibilité. C'est ainsi que, le 7 novembre, le conseil se trouve bloqué à la suite d'un échange de grossièretés entre Josée (présidente) et Jacky P. Faisant la mémoire du groupe, je rappelle une règle précédemment élaborée : « Celui qui dit une grossièreté s'excuse ». Jacky s'excuse effectivement, mais Josée refuse et boude. Le conseil se trouve subitement sans président. Tous parlent fort ; certains demandent la parole en levant le doigt. La présidente boude toujours. J'interviens : « Au code discussion, pour avoir la parole on lève le doigt ! » Remarque ‑ Nous avons 3 codes de parole : - Code discussion un seul parle à voix haute après avoir demandé la parole La cloche sonne ; personne ne bouge ; puis on commence à s'impatienter. Je demande la parole : « Le conseil n'est pas terminé ! » La présidente demande alors une réparation, car elle refuse de s'excuser ; le groupe lui donne l'imprimerie à ranger. Après quoi le conseil reprend, à la satisfaction de tous. Nous sortons avec 20 minutes de retard. Chacun apprenant peu à peu à se freiner et à respecter les droits des autres, et les présidents étant plus efficaces, le conseil tend à devenir un bon outil d'analyse des activités et des comportements. Nous serons amenés certainement bientôt à réfléchir sur cette institution, comme nous l'avons fait à propos du président de jour et du conseil de coopérative. 3°. LE CONSEIL DE COOPERATIVE Le premier conseil de coopérative est programmé le samedi 20 septembre. Il a pour but d'établir le plan de travail de la semaine, les enfants ayant pris conscience qu'il fallait établir certains projets à l'avance afin qu'on puisse préparer leur réalisation : sorties d'étude du milieu, matches contre les autres classes, en particulier. Je propose que chacun écrive sur une feuille ses propositions et ensuite qu'on fasse ensemble le bilan. Cette activité nous prend une heure. Nous décidons de continuer le lundi 22, car nous n'avons pas pu prendre de décisions. Le président de jour Jacky F. préside ce premier conseil. PRÉSIDENT : Qui a quelque chose à dire pour la journée d'aujourd'hui ? (Des mains se lèvent, dont celle de Catherine, qui n'a rien écouté. Je demande au président de préciser le travail demandé, afin que chacun puisse se décider en connaissance de cause. Plusieurs propositions d'activités sont faites, et le plan de travail est inscrit au tableau) : Français : lettre à Coueron ; lettre aux visiteurs de la classe ; travail individuel ; Calcul : faire les comptes ; Après-midi : mouvements sportifs ; mise en ordre des propositions faites le samedi ; ateliers ; conseil de classe. Puis, a propos de l'achat d'un thermomètre pour l'atelier calcul, se pose le problème de l'argent de la coopérative. Le groupe avait demandé à chacun 0,50 F et Jeannette avait été choisie pour recueillir l'argent. Patrick est chargé de l'achat : JLG : Qui a le droit de donner l'argent ? (Marcel est réélu par 9 voix sur 15.) L'après-midi, je participe à la mise en ordre des propositions. Josée demande que l'on mette des numéros (1 pour les achats, 2 pour les exercices) et qu'on fasse des groupes de travail. Elle se fâche, car le président ne comprend pas. J'aide les enfants à établir d'abord la liste des grandes rubriques : 1 = achats 5 = ateliers 2 = français 6 = règles de vie 3 = calcul 7 = rangement 4 = les choses à régler 8 = sport Puis ils se répartissent en 8 équipes. Mais ils sont fatigués et ce travail n'avance pas. Je demande au président de faire stopper et je participe plus activement. Finalement, une grande feuille est mise au mur : ACHATS : un thermomètre ‑ des feutres ‑ des pinceaux ‑ de la peinture un ballon ‑ une poubelle ‑ des balles ‑ un torchon ‑ réparer la machine à écrire. Au cours des semaines suivantes, ces propositions ne sont pas consultées lorsque le plan de travail est établi. L'apparition de ce tableau était prématurée pour le groupe. Quelques enfants cependant ont rappelé à plusieurs reprises son existence pour, en particulier, barrer ce qui avait été réalisé. * Chaque semaine, le conseil de coopérative a lieu et il trouve peu à peu une structure : 1°. Propositions ; Au cours des conseils, j'interviens : - pour renvoyer en discussion les propositions que le président n'a pas entendues ; Après avoir laissé le groupe tâtonner pendant plusieurs semaines, je pense, le 18 novembre, qu'il est mûr pour réfléchir sur l'institution elle-même et que cette réflexion lui fera prendre conscience des problèmes de gestion qui se posent, ainsi que des problèmes relationnels. Le président de jour, appliquant le plan prévu au conseil de coopérative précédent, dit : « On fait le conseil ». Je demande la parole : « Nous décidons pour chaque samedi d'un conseil de coopérative, mais nous ne nous sommes jamais demandé ce qu'était le conseil de coopérative celle année. L'an passé, je vous l'avais proposé. En avons-nous encore besoin cette année ? Doit-il rester le même ? Je vous propose d'en discuter par petits groupes, puis un rapporteur dira ce que chaque groupe propose. Nous pourrions d'abord nous poser toutes les questions à propos du conseil ». Ma proposition est adoptée, et les groupes discutent de la 1re question : « Quelles questions vous posez-vous à propos du conseil de coopérative ? » Le groupe 1 est formé de 4 anciens de niveau CE-CM, de 13 à 14 ans ; Ces groupes se sont formés spontanément à la rentrée. Le conseil a déplacé une nouvelle du Gr 3 dans le Gr 4, car elle empêchait les autres de travailler. Elle a été remplacée par un volontaire du Gr 4, Fabien, qui est accepté par le groupe mais n'a pas réussi à s'y intégrer ; il vit dans son monde à lui. QUELLES QUESTIONS VOUS ETES-VOUS POSEES SUR LE CONSEIL DE COOPERATIVE ? - Gr 1 : Pourquoi a-t-on fait conseil ? Qui a fait le conseil ? Qui le dirigera ? Qu'est-ce qu'on fait au conseil ? De quoi qu'on parle au conseil ? Je réponds à la question : QUI A INVENTÉ LE CONSEIL DE COOPÉRATIVE ? et : POURQUOI IL Y A UN CONSEIL DANS LA CLASSE ? (historique de l'expérience). Puis je propose qu'on discute sur la question : FAUT-IL OU NE FAUT-IL PAS UN CONSEIL ? (10 minutes) - Gr 1 : Nous voulons un conseil : pour que la classe marche mieux pour qu'on désigne un président par jour ‑ pour que la classe se dirige bien. Si le président ne marche pas, le conseil décidera. JLG : Puisque chaque groupe est d'accord, il faudrait régler quoi ? - Gr 1 : Au conseil, nous faisons le plan de travail de la semaine ; nous proposons des voyages et des matches de foot‑ball aux autres classes ; nous proposons de faire des ateliers. Les propositions du tableau mural sont réglées. On apporte ce qu'on a vu et entendu. Je fais la synthèse et je soumets chaque proposition à la décision du groupe, qui adopte les règles suivantes : - Le conseil décide du plan de travail de la semaine suivante ; La proposition : « On apporte ce qu'on a vu et entendu » est rejetée : cette activité est réservée à l'entretien libre qui a lieu chaque matin. J'inscris au tableau les propositions adoptées et je demande d'y réfléchir. Après un moment de silence : JOSEE : Il faudrait maintenant savoir comment on va faire. JLG : Chaque groupe pourrait réfléchir pour mettre en ordre les propositions. - Gr 1 : 1°. Ce qui a bien ou mal marché ; 2°. Le plan de travail de la semaine ; 3°. Les propositions ; 4° Les achats et les ventes ; 5°. le tableau mural. (Gr 3 et Gr 4 ont eu des problèmes relationnels durant cette discussion et n'ont pu réfléchir.) J'ouvre un débat, après avoir constaté que les propositions ne sont pas les mêmes : VIOLETTE (Gr 2), critiquant les propositions du Gr 1 : « Les propositions doivent être discutées avant le plan de travail, car elles sont faites en vue du plan de travail. » On est d'accord, et le plan de conseil est adopté : 1°. Bilan de la semaine passée avec présentation des travaux ; Je reprends alors les dernières questions : - POURQUOI Y A-T-IL UN TABLEAU MURAL ? Chacun sait à quoi il sert ; désirez-vous le conserver ? (OUI à l'unanimité) ; Il est l'heure de sortir ; la suite de la discussion est reportée à lundi. Le lundi 10 novembre, je pose immédiatement la question : QUI PRESIDERA LE CONSEIL ? et je redonne les réponses de chaque petit groupe. Puis j'ouvre le débat : JACKY (Gr 1) : Je propose que chaque samedi le président de jour désigne un garçon ou une fille pour diriger le conseil. Je fais la synthèse des interventions et je conclus : « Chacun pourra présider, ou seulement ceux qui savent. C'est au conseil de décider ». PATRICK (Gr 1) : Les nouvelles regardent d'abord les anciens présider. La participation à la discussion est médiocre. Je propose que chacun cherche sur son cahier de brouillon toutes les implications de chaque proposition, puis que ces réflexions soient mises en commun dans les petits groupes de Philips 66. - Gr 1 : Ceux qui savent présider président, afin que les nouvelles de la classe sachent présider à leur tour. Tout le monde doit présider pour apprendre à présider: une semaine les anciens, une autre semaine les nouvelles président. Je fais la synthèse et je soumets chaque point à la décision du conseil qui tranche et décide : - Tout le monde a le droit de présider pour apprendre à présider ; Les enfants ont des difficultés à choisir, puis finalement ils optent pour une liste par groupes, en commençant par le Gr 1. Je conclu : « Le président est Patrick Chapeau. Le conseil est ouvert ». Le groupe se met en formation en U . Patrick prend ma place. * Les conseils des 10, 15 et 24 novembre sont dirigés avec fermeté. J'interviens en apportant des moyens aux enfants pour mieux gérer leur vie. C'est ainsi que le 24 je propose que, pour le bilan du travail de la semaine, chacun fasse d'abord son propre bilan à l'aide de son plan de travail individuel, et ensuite le bilan collectif sur deux colonnes. Nous mettons en commun nos recherches sur le tableau ; et c'est ainsi au fil des tâtonnements de tous, que me viennent aussi des idées nouvelles.
Ce tableau aide beaucoup les enfants à programmer leurs activités de la semaine ; ils ont une vision globale plus claire de leur travail. Au cours de la discussion, j'observe que le président a des difficultés pour se souvenir des propositions et les relancer afin qu'elles aboutissent à des décisions. Afin de ne pas être obligé d'intervenir, je propose qu'un des enfants soit le secrétaire aux propositions ; il aura pour tâche de rappeler au président ses oublis. Josée est choisie et elle assume bien ce rôle. Nous découvrirons sans doute d'autres techniques pour assurer à la programmation un équilibre harmonieux entre les désirs du groupe et les intérêts de chacun de ses membres. 4°. LES REGLES DE VIE ET LEUR APPLICATION, Au cours de ces trois mois, un certain nombre de règles ont été élaborées par les enfants : 9 septembre On sort et on rentre tous ensemble, les garçons devant, les filles derrière, en deux groupes. C'est le président qui dirige la sortie. 10 septembre - Ceux qui ne respectent pas la règle de sortie auront une réparation. - Celui qui dérange les autres ou empêche la discussion aura une réparation. 12 septembre - Le président de jour contrôle les réparations. - Le groupe se mettra en U samedi pour le conseil. 19 septembre Celui qui dira une grossièreté à quelqu'un devra aller s'excuser. 29 septembre Celui qui arrive en retard sans mot d'excuse rattrape le temps perdu après la classe. 3 octobre Si le maître arrive en retard, il aura une réparation. 4 octobre Celui qui veut écrire au tableau mural le fait corriger d'abord. 11 octobre Celui qui veut manger un bonbon en offre à tout le monde. S'il en mange en classe sans en donner, le président prend sa boîte et la partage. 7 novembre Chacun est responsable de sa réparation. Jacky P. contrôlera et rendra compte au conseil. * Le groupe est généralement conscient des règles qu'il a établies, et il en exige le respect, malgré les difficultés inévitables. C'est ainsi que, le 3 octobre, je suis mis en cause pour être arrivé en retard (j'en donne d'ailleurs le motif : j'ai dû emprunter une déviation). CATHERINE : En récréation, les filles ont dit que M. Le Gal aurait une réparation Cette remise en cause est positive. Elle est d'ailleurs sanctionnée par mon rejet de l'animation du travail calcul ; le groupe me donne ainsi du temps libre pour pouvoir parler aux normaliennes. La règle des bonbons soulève les protestations de ceux qui se font confisquer leur boîte, mais ils finissent par accepter. * Est-ce à dire que chaque jour tout soit parfait ? Non, certes. Il m'arrive de devoir intervenir avec fermeté lorsque l'ensemble du groupe se perturbe, y compris le président de jour. J'ai repris le pouvoir à trois reprises, et en particulier en revenant des châtaignes, les enfants n'ayant pas respecté les règles de sécurité qu'ils s'étaient données avant le départ. Mais je n'interviens jamais pour imposer une règle personnelle je m'appuie toujours sur la loi élaborée par le groupe, loi qu'il peut à tout moment modifier si l'accord se fait sur d'autres règles. LES ACTIVITÉS Je vais étudier les activités dans la chronologie de leur apparition, en essayant de montrer comment elles ont été proposées et comment elles ont évolué, sans prétendre toutefois en faire une étude exhaustive qui ne pourrait trouver place dans cette brochure. 1°. ACTIVITES SPORTIVES Le foot-ball apparaît dès le premier jour, Jacky F. (le leader) étant particulièrement brillant dans ce sport, et notre groupe ayant trouvé là un moyen de valorisation. A plusieurs reprises nous avons battu, l'an passé, des classes de l'école et des écoles voisines. Cette activité permet aussi aux garçons de canaliser leur agressivité naturelle, mais cette dernière, la première semaine, est encore trop forte, et je suis amené à interrompre des matches. Au mois d'octobre, nous rencontrons le CM2 et le FE, sur lesquels notre classe remporte des succès faciles. Ces rencontres motivent un échange de lettres. Les classes étant géminées cette année, les filles jouent à la balle au camp avec le CM2 et le FE. Parfois le moniteur d'éducation physique et moi-même regroupons nos deux classes ; il prend alors toutes les filles et je prends les garçons. Ces activités contribuent grandement à la socialisation des enfants au niveau du groupe scolaire. Nous projetons aussi de nous déplacer le 19 décembre pour rencontrer une autre cdp de Rezé. Le programme est mis au point par un échange de propositions dont chaque groupe discute au cours de ses conseils. Il comporte en général : une activité sportive ‑ des jeux ‑ des spectacles ‑ un goûter fait de gâteaux ou autres mets préparés par les enfants des deux classes. 2°. ACTIVITES MANUELLES ET ESTHETIQUES Chaque année, le jardin est le premier pôle d'attraction. Les garçons aiment à y fournir un effort physique et les filles à y cueillir des fleurs. Les coings motivent la fabrication de gelée, dont la vente approvisionne nos premières recettes. Les ateliers d'expression artistique (gouache, feutres, drawing-gum) ont été lancés aussi dès les premiers jours. Mais l'organisation coopérative des activités au niveau de l'école à partir du 15 octobre a modifié totalement nos activités. Pour l'instant nous avons abandonné le travail manuel. 3°. LES SORTIES Dès la première semaine les enfants programment une sortie au bois le vendredi après-midi. Nous en faisons deux autres : aux châtaignes et aux vendanges. Depuis, la pluie est apparue et aucun enfant ne propose plus de sortir. Il a fallu attendre une invitation d'une école voisine pour que le groupe décide de quitter la classe. 4°. LECTURE SILENCIEUSE Mon absence le mardi 9 et la fatigue des enfants les conduisent à proposer cette activité calme. 5°. JEU DRAMATIQUE C'est une activité que nous avons pratiquée l'an passé à plusieurs reprises, à partir d'un dessin au tableau ou d'un texte libre. Elle est programmée le lundi 15 septembre, un groupe de filles ayant demandé de pouvoir dessiner au tableau. Elle intéresse beaucoup les enfants, mais ils ne la reproposent plus par la suite. 6°. EXPRESSION LIBRE ET JOURNAL Le mardi 16 septembre, les enfants décident d'écrire un texte sur les vacances, mais il faudra attendre le vendredi 19 pour voir apparaître le premier texte d'expression libre, qui coïncide d'ailleurs avec la mise en place de l'entretien du matin. C'est Catherine qui nous le présente au cours de l'entretien, reprenant ainsi spontanément une habitude adoptée l'an passé par les anciens. Je reprends aussi ma participation à l'expression libre en lisant un de mes poèmes. Catherine est la seule à écrire, et le groupe décide de lui mettre un texte au point pour le journal, qui redémarre le 24 septembre. A partir du 26, les textes deviennent plus nombreux, et ils sont lus chaque matin. Les adultes qui vivent avec nous : normaliennes, stagiaires, participent eux aussi, et cela les aide à être mieux intégrés au groupe. Chacun choisit pour le journal le texte qu'il désire. Ma proposition de changement de format (adoption du format 21 x 27) est retenue. A plusieurs reprises, je demande le silence, pour que chacun puisse « regarder en lui », pendant que la musique emplit l'air. Chacun alors écrit ou dessine librement, ou bien, tout simplement, il écoute. Les textes deviennent plus riches, plus profonds. Le matin, je suis dans mon lit bien chaud. Il est l'heure de l'école. Ma mère ouvre la porte, allume la lumière, elle nous fait mal aux yeux. Elle ouvre les volets, Le soleil apparaît sur l'arbre de l'automne, Les oiseaux chantent, on n'ose pas se lever tellement c'est beau. VIOLETTE * Je suis toute seule et je réfléchis. J'entends les murs qui craquent, les portes qui grincent et la sonnette. Au bout d'un moment, tout devient calme, On entend seulement le bruit d'une petite mouche qui vrombit et le tic-tac du réveil, J'aime être toute seule dans le calme de la maison. JOSÉE *
* 7°. ENTRETIEN DU MATIN Au conseil du mercredi 17, cette activité réapparaît. Le vendredi Jacky F., président de jour, installe les tabourets autour du bureau avant l'arrivée de ses camarades. Chacun s'asseoit et immédiatement retrouve les habitudes anciennes. Neuf poèmes sont lus. Fabien nous montre un dessin. Catherine nous lit ses textes. C'est le calme total. Puis les enfants se parlent. La conversation aborde différents thèmes : les chats ‑ un accident ‑ la naissance des enfants ‑ les matches de foot‑ball ‑la maîtresse qui manque dans l'école ‑ le voyage des parents de Josée ‑ la foire de septembre à Nantes... On sent renaître l'amitié, le don de soi. L'entretien du matin n'est pas toujours aussi calme, car il est parfois perturbé par quelques enfants difficiles. Mais il reste néanmoins la technique essentielle d'apprentissage du Dire et de l'Ecoute. 8°. CALCUL C'est le travail aux bandes atelier de calcul qui est proposé le premier. Il démarre le vendredi 19 septembre et les enfants me demandent de constituer des équipes de 2. Le 22 septembre, nous faisons un compte et nous prenons conscience qu'un certain nombre ne savent pas effectuer les opérations. Je demande « Comment pourrait-on apprendre les opérations ? » Tous proposent « On pourrait travailler avec les cahiers autocorrectifs ». A la fin septembre, toutes les activités calcul ont démarré quelques-uns apportent des textes chiffrés ; l'étude des tables est programmée ; la progression sur les cahiers est rapide. 9° CORRESPONDANCE Nous recevons une lettre de nos camarades de Couëron et les filles y répondent le vendredi 22 septembre. Le 1er octobre, les garçons rédigent avec moi une lettre collective à leurs anciens correspondants de La Baule, pendant que les filles écrivent leur lettre individuelle à Couëron. Je les corrige ; elles les recopient puis les présentent à la classe. Marina, qui a écrit 5 lignes seulement et dont la lettre est sale, est unanimement désapprouvée, tandis que Monique, qui s'exprime encore peu, parle longuement de la sienne et reçoit des félicitations. A partir du 1er novembre, chaque enfant a un correspondant individuel dans une cdp, et le groupe correspond en outre avec une classe de petits de Belgique qu'il a pris en charge, ainsi qu'avec une classe du Dahomey. Les échanges sont totalement libres ; chacun peut écrire ou non ; mais s'il le fait, j'exige une lettre propre. Le groupe a décidé que l'illustration serait faite soit en étude, soit à la maison, afin de gagner du temps pour les autres activités. Cependant le président est obligé d'intervenir, surtout auprès des nouvelles qui, l'an passé, illustraient leur lettre en classe ; ce changement dans leurs habitudes leur parait difficile. 1°. CHANT ET MUSIQUE Le chant démarre le 23 septembre. Andrée (une nouvelle) nous présente une chanson qu'elle a apprise l'année passée ; elle est cependant timide, mais elle témoigne là de l'ambiance amicale qui commence à s'installer dans le groupe. Le 24 septembre, les enfants décident d'apprendre « La Chanson des escargots », que Violette a lue au cours de l'entretien. Andrée leur dit qu'une ancienne élève, Aline, va nous apporter un disque. Ils s'aperçoivent alors que l'électrophone et le magnétophone sont toujours dans le bahut et ils me demandent de les réinstaller. A partir de ce moment, la musique retrouve une grande place. Nous l'insérons dans les activités individuelles, les ateliers, ainsi que le matin pendant que chacun revoit lectures et textes avant l'entretien. Le chant libre démarre lui aussi doucement. D'autre part, 14 enfants participent à l'atelier de musique et chant choral de l'école. 11°. LES ACTIVITES INDIVIDUELLES Avec la correspondance est réapparu le besoin de temps libre pour écrire. Ce temps est programmé régulièrement depuis l'après-midi du 9 octobre. Il n'est pas consacré uniquement aux lettres ; les enfants rédigent leurs textes libres, en recopient d'autres, préparent des lectures, travaillent à leur cahier de calcul. Le président de jour est le responsable de cette activité. Je corrige les textes pendant ce temps, je donne des travaux d'entraînement en fonction des erreurs commises. Je fais lire. Comme je ne peux être disponible partout en même temps, le groupe décide de donner un moniteur de lecture à Christian et un moniteur de calcul à Fabien. L'entraide mutuelle est un élément très important. Peu à peu, le rythme de travail progresse. Le samedi 15 novembre, Violette propose de reprendre les plans de travail, afin que chacun se rappelle ses travaux d'entraînement et puisse juger de ses progrès. Le lundi 24, nous faisons un bilan collectif de la semaine :
En cette fin de novembre, toutes les activités de l'an passé ont redémarré sans que j'intervienne ; aucune activité nouvelle n'a été proposée. Les enfants ont retrouvé une grille équilibrée qu'ils reprennent chaque semaine :
Il nous reste à découvrir des moyens permettant au groupe d'apprécier ses progrès dans tous les domaines, car cette appréciation est le moteur de l'enthousiasme collectif. Nous les chercherons et nous les créerons ensemble. Au niveau des activités, j'ai un rôle d'aide à assumer. Je soutiens l'effort des plus faibles ; je stimule ceux qui, comme Christian et Jacky P., manquent de dynamisme ; j'essaie d'amener chacun à être exigeant pour lui-même ; je mets en valeur chaque réussite. Cela n'empêche pas les journées d'être très différentes suivant la disponibilité des enfants. Ils sont parfois très apathiques ; d'autres fois, c'est l'énervement qui s'empare d'eux, Mais ils arrivent progressivement à une meilleure maîtrise d'eux-mêmes. L'éducation d'un travailleur responsable, capable de gérer son activité, est oeuvre de longue durée, surtout avec nos enfants aux intérêts souvent fugitifs et changeants, ces enfants à qui nous devons redonner à la fois le désir du travail et le goût de l'effort. * Le bilan de ces deux premiers mois montre une évolution favorable vers l'autogestion. Les membres les plus difficiles du groupe, Jacky F. et Catherine, sont en voie d'intégration. Jacky, après avoir tenté de m'affronter pour attirer sur lui l'attention, est maintenant en train de devenir un leader positif du groupe ; il aime cependant encore, lorsque nous avons des stagiaires, jouer au « play-boy » qui se désintéresse des activités de ses semblables. Ses camarades deviennent aussi plus indépendants à son égard, ce qui le pousse à changer d'attitude. Catherine, frustrée par son milieu familial et très agressive en début d'année, est mieux acceptée. Elle essaie de s'intégrer par ses nombreux textes libres et ses lectures. Elle a encore des mouvements agressifs violents, mais ils se font plus rares. L'identification des nouvelles au groupe s'est opérée. Elles parlent maintenant de « notre classe », de « nos correspondants », et se montrent attachées à nos activités. Les enfants ont encore besoin de mon aide pour gérer leur vie, mais cette aide se fait de jour en jour plus légère ; elle tend à suivre pas à pas les possibilités d'un groupe qui prend de plus en plus conscience de ses responsabilités. *
Pour qu'un groupe puisse agir avec cohésion, il est nécessaire que chacun de ses membres accepte les buts fixés. Or il arrive que certains enfants refusent ces buts et les normes établies par le groupe, perturbant ainsi les activités de la collectivité. Ce sont les déviants dont parle Lapassade dans son ouvrage : « Groupes, Organisations et Institutions » (LIFOD) : « On peut encore observer dans les groupes une pression vers l'uniformité qui implique notamment comme conséquence le rejet des déviants. Un membre déviant pose un problème: en même temps qu'on tend à le rejeter, on peut aussi imaginer qu'il pourrait apporter des éléments nouveaux, des solutions aux problèmes que se pose le groupe, D'où les efforts pour le rallier à celui-ci… Plus la maturation du groupe est forte, et plus est accrue la tendance à rejeter un déviant. » Nous allons pouvoir étudier ces manifestations de déviance dans le cas de Martine, et les réactions du groupe. Mais qui est Martine ? Martine a 10 ans et 10 mois lorsqu'elle entre dans ma cdp en septembre 1965. Elle a un Q.I. de 77 au B.S. Physiquement, elle parait 14 ans ; elle est plutôt lourde dans ses mouvements. J'ai appris cette année qu'elle avait une déviation de la colonne vertébrale, ce qui expliquerait ses difficultés motrices, et sans doute son opposition aux activités d'éducation physique et à la danse, où elle se sent mal à l'aise. Son milieu familial est très uni. Elle est couvée par ses parents: Elle est la troisième fille, et un garçon la suit, Patrick, qui se trouve lui aussi en cdp. La sœur qui la précède est en F.C. et présente une débilité supérieure à la sienne. Avec ses sœurs et son frère, elle se montre vindicative et peu coopérante ; elle a tendance à les commander. On note d'ailleurs une certaine évolution dans son attitude. En janvier 1966, sa mère me la présente comme une opposante « ayant toujours raison » et peu coopérative. En octobre de la même année, elle est devenue « sérieuse » et étonne son milieu familial, mais ce comportement se dégrade rapidement, puisque, fin octobre, sa mère revient me rendre visite : « Martine répond grossièrement ; elle a écrit une lettre grossière à ses sœurs ; elle s'oppose à tout ce que nous disons... » Il semble que père et mère n'ont guère d'autorité sur Martine, qui les manipule aisément. C'est ainsi qu'elle participe très activement aux travaux du ménage, se levant tôt chaque matin, obligeant sa sœur plus aînée à faire de même, ce qui lui permet d'obtenir ainsi quelques privilèges. En septembre 1967, elle fait partie d'un groupe de jeunes qui se produit dans les fêtes en exécutant des danses folkloriques. A la maison, elle a acquis l'autonomie d'une jeune fille. Lorsqu'une activité de la classe lui déplaît (sortie de plein air par exemple), elle se dit malade. Comment se manifeste cette déviance ? Le lundi 8 janvier, Martine rentre de vacances ; elle présente un texte sur l'UNICEF. Le mardi 19 décembre, nous avons vu à la télévision une émission sur l'UNICEF. Mireille Mathieu lançait un appel pour « la faim dans le monde ». J'espère que tout le monde l'a écouté attentivement. our ces gens qui meurent de faim, faites un effort, aidez-es à vivre. Quand nous voyons ces gens maigres, dont on aperçoit les os, nous avons pitié. Nous mangeons, et eux meurent de faim. Je voudrais que tout le monde soit heureux, faites quelque chose pour eux, ne pensez pas toujours à vous. Il y a des gens qui ne pensent qu'à gaspiller leur argent. MARTINE Ce texte est choisi et suscite une riche discussion. Il fait prendre conscience à ses camarades d'un problème vital pour l'humanité tout entière : la faim dans le monde. Les enfants décideront d'ailleurs, au cours de leur conseil de coopérative, de créer une caisse de fonds pour l'UNICEF et de lancer un appel à des classes françaises et étrangères, par l'intermédiaire de leur journal et de la Gerbe internationale. (Éduc. N°1, sept.-oct. 1968 : Laïcité et engagement de l'Educateur). Confirmant l'hypothèse de Lapassade, Martine a fait faire aux autres enfants un bond en avant dans leur maturation sociale ; mais elle se heurte au groupe au cours du conseil. Elle propose la suppression des critiques, et seule Renée la soutient. Alors, lorsque ses camarades proposent de faire des maths le lendemain, elle est seule à refuser : elle veut travailler aux bandes ; et comme ses camarades lui refusent ce droit, elle se réfugie dans le mutisme. Le mardi, au cours d'une activité que j'anime avec Renée et qu'elle gêne (groupe de bruitage), je la prie de se taire : elle me répond par une grossièreté. A la récréation, je lui demande d'aller dans la cour, car je n'ai pas envie de passer ma récréation avec quelqu'un de grossier. Elle sort en grognant, car elle aime beaucoup rester en classe pour y écouter des disques. Le mercredi, elle présente une lecture sans avoir préparé de questions, contrairement à ce qu'a décidé le conseil. Elle refuse d'en poser à la demande de la présidente de jour. Immédiatement après, en discussion, elle présente une coupure de journal avec la photo de trois petits enfants vietnamiens orphelins du fait de la guerre. Sur ma demande, elle lit le texte qui accompagne cette illustration, et qui est du reste très intéressant. Une discussion suit ; elle y est très active. Je propose alors aux enfants que notre journal reflète ces discussions, qui font partie de notre vie. L'accord est unanime, et pendant une heure nous ferons un excellent travail enrichissant sur « notre vie ». Cette dimension discursive, nous la devons incontestablement à Martine. Lors de la sortie à midi, les filles doivent se mettre derrière les garçons, à la suite d'une décision du conseil. Martine n'attend jamais les autres filles. Or je dois veiller à la sortie sur la route (institution externe). Martine, Françoise et Annie marchent à 10 mètres devant les autres. Comme la présidente n'intervient pas, alors qu'elle est responsable du groupe durant la traversée de la cour, je l'envoie prévenir les trois filles de nous attendre au portail. Elles sortent néanmoins, puis refusent de revenir. Je les rejoins en voiture et je demande des explications. Seule, Françoise me répond : « On sort toujours en retard ! » Au conseil du soir, je demande de discuter de cette affaire. Au cours de la discussion, Martine chantonne, se désintéressant complètement du débat. Mais son attitude (refus de la règle concernant la sortie sur la route) met le groupe en situation de la rejeter. Elle est prise à partie et réagit violemment : « Cela ne vous regarde pas ! » J'interviens pour lui rappeler qu'elle vit dans un groupe dont les règles sont à respecter et que je ne lui permettrai pas d'agir comme elle fait. « Je m'en fous ! », déclare-t-elle. Je la prie de se retirer dans un atelier hors du groupe. Je discute ensuite seul à seul avec elle, et elle reprend ses activités. Ces attitudes de Martine provoquent des réactions violentes du groupe lorsqu'elles risquent d'empêcher une activité pour laquelle les autres sont très fortement motivés. Ce fut le cas, par exemple, lors du voyage-rencontre avec nos correspondants de Saint-Nazaire. Dès le mois de juin, les enfants avaient demandé un voyage-rencontre avec des correspondants pas trop éloignés. Au cours du premier choix de date, le vote avait donné 14 voix pour et 1 voix contre. Le vote était secret. Par la suite, lors du report du voyage (pour motif de grève), et devant la joie de Martine contrastant avec la déception des autres, on comprit que c'était elle qui avait voté contre.
Est-il souhaitable d'apprendre aux enfants à prendre en main leur vie au sein d'un groupe coopératif dont l'amitié, la compréhension, l'acceptation des autres, sont les fondements relationnels ? Est-il souhaitable de leur donner le goût de la liberté, de l'expression libre, du travail créateur, de la relation vraie avec les autres, qui sont des valeurs d'une société libre, différente de la société de compétition, de contrainte, d'aliénation du travailleur, dans laquelle ils vivent ? Est-il souhaitable de les aider à développer leur esprit critique, face aux moyens de pression utilisés pour la mise en condition des hommes : propagande, publicité ? Est-il souhaitable d'aider à la naissance d'êtres autonomes, libérés, lucides, qui ne pourront accepter la société telle qu'elle est et lutteront pour la transformer ? Je le pense, car si mon action d'éducateur se situe dans un but de bonheur immédiat de l'enfant à l'école, bonheur conditionné par un climat d'amitié, de liberté, lui permettant de mettre en action sa spontanéité créatrice, d'établir des relations vraies avec les autres, de se cultiver à même ses propres expériences, elle se situe aussi dans un projet de révolution de la société et dans l'hypothèse que seuls des êtres autonomes et libérés sauront construire la société libre qui répondra à leurs besoins profonds d'hommes. Et cela, je me sens en profond accord avec le message de Freinet, qui disait en 1962 au congrès de Caen : « Nous préparons, non plus de dociles écoliers, mais des hommes qui savent leurs responsabilités, décidés à s'organiser dans le milieu où le sort les a placés, des hommes qui relèvent la tête, regardent en face les choses et les individus, des hommes et des citoyens qui sauront bâtir demain le monde nouveau de liberté, d'efficience et de paix. » |
3ème PARTIE * L’EVOLUTION DES TECHNIQUES Jean LE GAL et Pierre YVIN |
L'ÉVOLUTION DES TECHNIQUES
1. LA CORRESPONDANCE INTERSCOLAIRE (Jean LE GAL)
2. LE TEXTE LIBRE ET LE JOURNAL SCOLAIRE (Jean LE GAL)
3. RENCONTRES D'ENFANTS (Pierre YVIN)
4. LE CONSEIL DE COOPÉRATIVE (Jean LE GAL)
5. LE PRÉSIDENT DE JOUR (Jean LE GAL)
L'EVOLUTION DES TECHNIQUES
Ne pouvant donner ici une vision complète de l'évolution de toutes les techniques, j'ai choisi : et afin de cerner avec le maximum de précision le processus de remise en cause, je me suis plus particulièrement attaché à la correspondance. 1. LA CORRESPONDANCE INTERSCOLAIRE EN CLASSE DE PERFECTIONNEMENT MIXTE 12-14 ANS Lorsque, en septembre 1965, j'ai été nommé dans une classe de perfectionnement mixte, j'avais déjà pensé y pratiquer la correspondance interscolaire, technique que je connaissais par une expérience de cinq années au cours élémentaire. Je trouvai un camarade, H.Thomas, qui avait une classe de perfectionnement de même niveau que la mienne et de même structure : 8 garçons, 7 filles. Nous déterminâmes ensemble les modalités de nos échanges : Je proposai à Henri une présentation du travail qui m'avait satisfait au CE : - une lettre individuelle sur page double de cahier, avec un dessin sur la première page, la lettre à l'intérieur, un texte libre sur la 4e page ; Nous attribuâmes à chacun un (ou une) correspondant, en tenant compte des âges, des possibilités, du milieu, etc. Je déterminai, en fonction de mon expérience passée, des enfants, des modalités retenues, l'organisation du travail sur une semaine. HORAIRE DE TRAVAIL SUIVI (Lettres individuelles, semaine du 29.11 au 4.12) Mardi 30 novembre 13 h 45 à 14 h 30 Réception du paquet, pesée, affranchissement. Vendredi 3 décembre Samedi 4 décembre PLAN DE LA LETTRE Les trois questions sont copiées sur une feuille de dessin qui sera décorée de découpages, de cartes postales, de dessins, puis glissée dans la lettre. Cette organisation du travail nous permet d'obtenir d'excellentes et agréables lettres, tout en sauvegardant la liberté d'expression de l'enfant dans les textes et les dessins. Pour ces enfants de 10 à 13 ans qui sortaient d'une classe traditionnelle, ces échanges étaient un rayon de soleil riche de possibilités. Et effectivement ils s'enrichirent sur le plan des relations sociales, de l'expression, de la formation de l'esprit, par cette technique qu'ils avaient adoptée avec joie. Que de progrès dans l'écriture, dans l'expression écrite, le goût du travail bien fait ! Certains y trouvèrent aussi un meilleur équilibre psychique, les échanges leur apportant cette part de relations affectives dont ils avaient été frustrés. L'intérêt global pour ces échanges réguliers s'est nuancé au fil des jours. L'attirance des enfants pour les lettres individuelles s'affirmait rapidement, du fait qu'elles apportent davantage sur le plan affectif. La lettre collective provoquait des moues de désappointement parfois, bien que chacun admirât cette oeuvre des camarades lorsqu'elle était largement déployée à la sortie du paquet. Mais pendant la première année et jusqu'au troisième trimestre de cette année d'échanges avec la classe d'Henri Thomas, jamais les enfants ne ménagèrent leurs efforts pour « faire plaisir aux correspondants ». Depuis la rentrée de Pâques, j'ai senti des refus, qui se manifestent surtout par une certaine passivité : dessins inachevés lorsque le groupe a prévu de les réaliser à la maison, lettres moins copieuses, etc. Que faire ? Nous avons un contrat avec nos camarades de St-Brieuc, mais la correspondance doit s'inscrire dans un climat de liberté et de prise en mains par les enfants de leur vie scolaire. « Ce n'est jamais par l'abstention ou la répression qu'il faut tâcher de solutionner le problème, jamais par l'inhibition, mais toujours par l'audace et l'action », écrit Freinet dans son Essai de Psychologie sensible. Alors essayons d'agir ; mais comment ? Plusieurs attitudes sont possibles : · Avoir un comportement directif : C'est ce dernier comportement que j'ai essayé d'adopter. J'ai senti qu'il me serait difficile d'avoir un intérêt profond pour une correspondance qui tend à devenir routinière par sa périodicité régulière et sa forme inchangée, qui risque de devenir une technique scolaire et non plus une technique de vie. Et puis j'ai aussi ressenti combien était artificielle cette attribution aux enfants d'un correspondant sans demander leur avis... Alors que faire ? Il existe bien une solution : celle de la correspondance LIBRE, dont je connais les éléments essentiels. Je pourrais la proposer. Mais ne serait-ce pas maintenir pratiquement l'enfant en situation de dépendance ? Or ce qui est notre but final, c'est d'amener l'enfant et le groupe a l'autonomie. Il faut donc que je les mette en situation de responsabilité face à leur problème. Mais alors dois-je attendre qu'ils prennent conscience de ce problème ? ou bien dois-je essayer de les amener à prendre cette conscience et à expliciter leurs refus ou leurs désirs ? Je choisis cette dernière voie, et je demande l'inscription de la correspondance à l'ordre du jour du conseil de coopérative du 6 mai. * Comme il est de coutume, le président donne la parole à celui qui a proposé une question à discuter. C'est mon cas. Je propose donc à tous les enfants, à la lumière de leur expérience, d'examiner le problème de la correspondance, car il me semble remarquer un manque d'intérêt certain. Or on ne peut correspondre que dans la liberté. Il faudrait donc essayer de voir s'il existe des solutions plus satisfaisantes. Je leur explique le pourquoi de nos habitudes présentes et leur demande d'exprimer leurs critiques et leurs désirs. A eux de décider éventuellement des nouvelles modalités et de les proposer aux camarades de St-Brieuc. Après trois minutes de silence, les enfants se polarisent sur les cas de Guy et de Gilles. Guy n'a plus de correspondant, le sien ayant quitté l'école. Quant à Patrick, il répond par 6 ou 7 lignes aux deux pages de son correspondant Gilles. Quelques enfants estiment que Guy pourrait écrire à Gilles, puisque Patrick (qui a de grandes difficultés graphiques) ne montre guère d'enthousiasme pour l'expression écrite. Mais Philippe pense que l'on ne peut rien changer sans l'avis de Gilles, et Martine (qui préside) demande à Patrick de réfléchir sur la question. La discussion a bien démarré. Renée propose que les filles écrivent aux garçons. Marylène, qui a un garçon pour correspondant, n'est pas d'accord et aimerait changer. Françoise lui propose un échange. Il semble que se manifeste une certaine lassitude. Quelques-uns écrivent au même correspondant depuis un an et demi, et nous n'avons pu réaliser un voyage-échange l'an passé. Cependant, les lettres individuelles conservent une nette avance sur les échanges collectifs. La discussion se porte maintenant sur la lettre collective. Aline : « Moi je préfère recevoir une lettre pour moi ! » Après discussion, on s'oriente vers une lettre collective où chacun mettrait « quelque chose » pour son correspondant, qui pourrait, à l'arrivée, le lire aux autres. Mais les enfants ne précisent pas : il faudra donc y revenir. Puis on aborde le problème des échanges individuels. Un enfant propose d'écrire le mardi au lieu du mercredi, proposition qui permet à chacun de préciser ses désirs. J'interviens alors pour aider l'enfant à raisonner son choix. Plusieurs jours sont proposés : lundi, mardi, mercredi, vendredi... et diverses raisons sont invoquées. Le délai de 15 jours est lui aussi remis en cause. Certains proposent une semaine (« quinze jours c'est trop long… »), d'autres un mois (« on ne sait plus quoi dire… »), d'autres le statu quo (« une semaine c'est trop court, on ne saurait pas quoi dire ; mais un mois c'est trop long... ») Gérard propose alors : « Chacun aura plusieurs jours pour faire sa lettre ; il choisira son jour ». Mais Dominique pose la question : « Ferons-nous un envoi ou plusieurs clans la semaine ? » L'heure de sortir arrête le débat, que les enfants reportent au lundi 8 mai. LE 8 MAI Nous recevons une lettre collective format « accordéon ». Ils l'étalent sur les pupitres après avoir admiré l'illustration : « Ils ont fait du progrès ! » On se bouscule un peu pour pouvoir lire la lettre. Nous en discutons immédiatement et Philippe propose : « Chacun devrait mettre une page pour son correspondant ». (En général, je découpais les pages de la lettre reçue et les faisais circuler. Ceux dont les correspondants avaient écrit un texte le lisaient ; les autres étaient souvent mécontents que leur correspondant n'ait pas mis sa part dans la lettre collective. J'ai observé la même réaction pour les textes imprimés : « Moi, mon correspondant il n'a jamais de texte choisi ! » C'est d'ailleurs le correspondant qui semble mis en cause, et non la collectivité qui ne lui choisit pas de texte. Dans notre classe, les enfants ont décidé que chacun aurait un texte dans chaque journal et un texte seulement.) Après cette parenthèse pour situer le fond d'expérience qui a servi de base au débat, je reprends le fil de l'observation. Après la proposition de Philippe, Patrick propose de demander aux camarades de St-Brieuc : « Comment faites-vous pour lire la lettre collective ? » Puis Marylène demande que l'on lise la lettre, chacun lisant une page à haute voix. Après lecture, la collectivité décide d'y répondre le mardi 9. Le 8 mai, au conseil de classe, nous reprenons comme prévu la discussion sur la correspondance. Je fais la synthèse des débats du lundi et je propose de discuter deux questions importantes restées en suspens : Quel jour écrirons-nous ? Ferons-nous un envoi ou plusieurs envois dans la semaine ? Cette fois, la discussion démarre rapidement : DOMINIQUE : Si on fait plusieurs envois dans la semaine, on n'aura plus d'argent ; il vaut mieux faire un seul envoi. Le débat tourne autour de : 9 MAI Nous répondons à la lettre collective et cette fois les désirs et les propositions se précisent. « Nous avons reçu votre lettre le lundi 8 mai, Les dessins étaient jolis mais vous mettez trop de textes libres, Nous aimons les poèmes, les contes. Vous pourriez parler de votre vie, de ce qui se passe autour de vous. A ce moment, Françoise propose : « On pourrait coller les pages sur des cartons et ne pas les attacher ». Une discussion s'engage sur le procédé le plus pratique. Finalement les feuilles libres obtiennent l'accord. Au cours de cette discussion, je suis intervenu plusieurs fois pour aider les enfants à pousser leur raisonnement jusqu'au bout. « Tu dis d'agrafer, mais si on agrafe les feuilles, comment feront les camarades pour lire les textes ? » Et nous continuons la rédaction de la réponse collective : « Que pensez-vous de la présentation des lettres collectives ? Nous vous proposons de ne plus attacher les feuilles : ce sera plus pratique... » Je pose alors la question : « Ne mettrons-nous dans notre lettre que cette page ? » La totalité des enfants pense qu'il est nécessaire de parler de notre vie, comme nous faisions jusque là, chacun choisissant un thème. Cette partie individuelle est remise au mercredi 10 mai. LE 10 MAI, comme prévu, les enfants proposent des thèmes tournant autour de notre vie, puis ils font leur choix :
Je note avec plaisir un approfondissement des textes ; ceux de Martine, Annie et Renée, en particulier, posent des problèmes humains aux correspondants : ANNIE : Ce matin, Martine nous a parlé de la mère et l'enfant. Pourquoi il y a des enfants malheureux sur la terre ? Parfois le journal parle des enfants malheureux. Il y a beaucoup d'enfants qui sont mal habillés et d'autres bien habillés. Quand je suis allée en colonie de vacances il y avait des filles et des garçons qui étaient de l'assistance ou en nourrice. Ils ne voyaient leurs parents que de temps en temps, c'est triste pour eux. Je me demande pourquoi on vit sur la terre. Car on meurt. Heureusement que les enfants sont enlevés à leurs parents quand ils sont malheureux. Le soir, au conseil de classe, le débat reprend. Je présente d'abord la synthèse des discussions précédentes et nous redémarrons sur le problème des envois. L'obstacle financier est remis en avant. Je leur propose de le laisser de côté momentanément afin qu'il ne les empêche pas d'aller dans le sens de leur plus grand intérêt. Le problème demeure pourtant sans solution ; j'interviens alors et je demande : « Qui voudrait écrire chaque semaine ? » ‑ Marylène et Jean-Luc. Je demande : « Marylène et Jean-Luc doivent-ils faire comme tout le monde ou bien pourront-ils écrire chaque semaine ? » Les enfants sont d'accord pour que Marylène et Jean-Luc écrivent chaque semaine. Je propose alors que Marylène et Jean-Luc écrivent une lettre à leur correspondant le vendredi 12, leur lettre partant avec la lettre collective. Proposition acceptée. Mais Marylène voudrait changer de correspondant avec Françoise : cette dernière écrira aussi pour expliquer à sa correspondante. Patrick propose alors que chacun choisisse un nouveau correspondant ; mais plusieurs enfants ne sont pas d'accord ; la question reste en suspens. Je fais ensuite porter la discussion sur le format et la présentation des lettres. La majorité préfère écrire sur le format de son choix. Sur proposition de Philippe, il est décidé que le vendredi nous ferons une lettre collective pour envoyer nos propositions aux camarades de St-Brieuc. VENDREDI 12 MAI Nous essayons donc de préciser nos propositions aux correspondants et je demande d'abord aux enfants quels sont les problèmes que nous avons posés. Ils trouvent, après réflexion : a) Les correspondants à changer Jean-Luc propose de conserver chacun le sien, puisque nous irons bientôt à St-Brieuc. Tous (sauf Marylène et Renée) acceptent cette proposition. Martine demande à Marylène et à Renée pourquoi elles désirent ce changement. RENEE : Parce qu'il ne dessine pas bien. b) Le jour où l'on envoie les lettres Après discussion, il est décidé que les lettres partiraient dès qu'elles seraient terminées. c) Comment saurons-nous que chacun a écrit ? Je repose ma question. Renée propose de marquer le nom de tous sur une feuille : « Quand on reçoit la lettre on marque la date, et puis ensuite on marque quand on envoie notre lettre ». Avant de passer aux propositions écrites, Guy P. tire la conclusion du débat : « On peut faire un essai ». Avec la lettre collective, nous envoyons le texte suivant PROPOSITIONS LETTRES INDIVIDUELLES : 1°. Renée et Marylène aimeraient changer de correspondant ; Il ne reste plus qu'à attendre les réactions des camarades. Mais nous recevons un paquet de lettres individuelles le mardi 16 mai, que je ne donne que le vendredi 19, car je suis absent de la classe. Aussitôt six enfants décident de répondre. Leurs lettres partent le samedi soir avec des propositions collectives pour notre voyage à St-Brieuc. Je note que tous ont conservé notre présentation habituelle. LE LUNDI 22 MAI, les autres enfants écrivent. Cette fois quelques-uns sortent de nos habitudes. Une émulation vers la lettre la plus originale, la plus richement décorée, semble naître. Seul un enfant copie un texte libre en plus de sa lettre. Marylène ne semble plus désireuse de changer de correspondant, pas plus d'ailleurs que Renée, qui écrit : « Je suis très contente de ta lettre ». LE MARDI 23 MAI, nous recevons une très riche lettre collective de St-Brieuc où nos camarades nous écrivent : « Nous sommes d'accord pour la nouvelle présentation des lettres collectives : nous aurons besoin de moins de couvertures de cahiers et de moins de ruban adhésif. LE 26 MAI, je reçois une lettre d'Henri Thomas, qui me fait savoir que les réactions ont été assez violentes le mardi 23 lorsque sont arrivées les six premières lettres. Nos correspondants restent fermes, d'ailleurs, sur leur envoi groupé le samedi. * Le mois de juin ayant été très perturbé par mes absences fréquentes, je n'ai pu suivre de très près l'évolution de la technique, mais j'ai cependant constaté : - que les enfants appréciaient la plus grande liberté qui leur était donnée ; Après notre voyage-échange avec St-Brieuc, nous avons fait le bilan de deux années d'échanges, et les enfants m'ont fait des propositions pour notre demande de correspondants 1967-68 : - Trouver des correspondants, garçons et filles, que nous puissions aller voir (nous aurons par ailleurs des échanges avec une classe de Porto-Novo au Dahomey) ; Il me reste maintenant à trouver des correspondants pour pouvoir démarrer une nouvelle expérience... LE PROBLEME DU CHOIX En juin 67, les enfants ont donc défini au cours de leurs conseils, les modalités des échanges qu'ils voudraient établir pour l'année scolaire 67-68 : - Echanges réguliers avec une classe mixte suffisamment proche pour que nous puissions organiser des rencontres ; CHOIX DES CLASSES CORRESPONDANTES, Ces critères me laissent une marge de recherche très limitée. La rentrée a lieu sans que j'aie trouvé « l'oiseau rare » qui acceptera nos conditions d'échange. Je présente donc un bilan négatif à la collectivité : pas de classe pour des échanges réguliers et pas de classe à l'étranger, la classe du Dahomey sur laquelle nous comptions ne répondant pas. Malgré la déception, nous demeurons optimistes, ce en quoi nous avons raison, car un coup de téléphone venant de St-Nazaire vient nous proposer une solution : une classe mixte de 10 filles et 5 garçons aimerait entrer en relation avec nous. Une courte discussion en conseil extraordinaire règle le problème principal : des garçons accepteront-ils de correspondre avec des filles ? Nous venons donc de trouver l'oiseau rare tout près de nous, et au mois de décembre nous établirons aussi le contact avec une classe de Cotonou au Dahomey. CHOIX PAR CHACUN DE SON CORRESPONDANT Immédiatement, le conseil programme les premiers travaux de correspondance : - lettre collective de propositions
Chacun remplit consciencieusement sa fiche, mais il nous manque les photos. Nous décidons de prendre des photos de groupe et nous expédions des imprimés vierges àSt-Nazaire. Le 26 octobre, nous recevons les photos et les fiches de nos correspondants. Comment allons-nous choisir ? La discussion s'engage entre les enfants et je n'interviens que pour permettre à chacun d'exprimer son point de vue. Robert Brenans à St-Nazaire et moi-même ayant décidé d'adopter une attitude non-directive. Rapidement, un tableau des vœux exprimés sur les fiches apparaît nécessaire ; Guy nous en propose un :
Nous nous trouvons devant un problème apparemment insoluble. Martine présente son avis en s'appuyant sur notre expérience antérieure : « Nous, nous voulons des filles, et les garçons eux ont tous choisi une fille. Nous, nous préférons une fille, car on se confie mieux à une fille ! Pourquoi on ne ferait pas comme l'an dernier, un garçon prend un garçon, une fille prend une fille. Quand on ira à St-Nazaire, quand le garçon se trouvera devant nous, il ne saura pas quoi dire. Un garçon c'est timide, et il partira avec les autres garçons. Alors nous qu'est-ce qu'on deviendra ? C'est pas la peine ! » Mais Guy et Patrick Rousseau, qui ont déjà choisi une fille d'après les photos n'admettent pas l'argumentation de Martine. Renée et Jean-Luc pensent que la solution serait de se rencontrer avant de choisir. Après un court débat sur les éléments qui peuvent permettre de choisir : aspect extérieur, écriture, goûts.... Dominique propose que les filles choisissent d'abord. La proposition est adoptée par 10 voix, mais Guy proteste : « Je corresponds à condition que je garde toujours celle-là ! » Jean-Luc demande alors : « On devrait faire comme l'an passé. Les deux maîtres choisiraient ; ça irait plus vite ! » Proposition repoussée par 11 voix. J'interviens pour faire la synthèse de la discussion, et je demande comment seront faites les propositions à St-Nazaire. Il est décidé que nous enverrons nos fiches, nos photos, une lettre collective, des lettres individuelles de proposition. Comme prévu, les filles vont d'abord choisir : Anita choisit Jean‑Paul Puis c'est le tour des garçons. Guy et Jacky veulent Simone. Guy est en colère : « Moi j'ai choisi quelqu'un, mais Jacky fait exprès de choisir la même » Ils abandonnent alors leur choix tous les deux et c'est Gérard qui prend Simone. Patrick Rousseau choisit Anna 5 garçons ne choisissent pas. La lettre collective est écrite en commun, puis ceux qui ont choisi préparent leur première lettre. J'extrais de celle de Renée (qui se trouve en compétition avec Dominique) : « Je t'écris pour la première fois et j'espère que tu me choisiras. Si tu ne me choisis pas, je ne sais pas qui choisir d'autre. Moi j'aime la peinture et le cinéma. J'ai les mêmes goûts que toi... » Que se passe-t-il à St-Nazaire lorsque notre paquet arrive le 3 novembre ? Les 8 enfants qui ont reçu une ou deux lettres sont heureux. Claude choisit Renée, car « elle me dit comment faire la confiture » et Claudine choisit Aline : « Moi je garde Aline, elle m'a fait des beaux dessins ». Les enfants qui n'ont pas été choisis sont déçus. Ici se pose le problème de la frustration, qui fera l'objet d'un autre article. PATRICIA : Pourquoi il y en a qui en ont eu et pas les autres ? Il reste Patricia, qui ne veut que Jean-Luc. Lionel accepte de prendre Jacky. Ainsi tout le monde a maintenant choisi. Mais ce choix sera-t-il accepté à Ragon ? Nous recevons une lettre collective avec les nouvelles propositions de choix, Ceux qui ont vu leur choix retenu sont heureux. Dominique accepte le rejet de Claude, mais Françoise est très mécontente et refuse Marie-Claude. Guy, qui voulait une fille, n'accepte pas Pascal. Quant aux autres, ils attendent une lettre individuelle pour se décider. Le 10 novembre, les lettres individuelles sont là. C'est l'effervescence. Chacun se précipite à l'appel de son nom, y compris Guy et Françoise. Mais Guy manifeste rapidement son refus. Martine lui demande de préciser la raison. Guy s'obstine dans son refus, alors que Françoise accepte finalement Marie-Claude. Philippe ne veut pas de Marcel : « Je veux un grand, pas un petit. Il a onze ans ! » (Philippe est le plus grand de notre classe et a 14 ans). Après quelques minutes de discussion, Guy accepte Pascal, Philippe écrira à Patricia, Jean-Luc à Joël et Patrick à Marcel. Le choix est accepté à St-Nazaire et ne sera plus remis en cause jusqu'au voyage-encontre du 20 janvier. Nous notons que Françoise et Marie-Claude sont particulièrement accrochées et que Guy fait un effort exceptionnel pour envoyer des lettres originales à Pascal. Que se passe-t-il au cours du voyage à St-Nazaire le 20 janvier ? Le contact est difficile. Au cours de la promenade au port, les clans de chaque classe se reforment, puis petit à petit les contacts ont lieu ; mais les relations ne s'établissent pas pour tous sur la base du choix qu'ils avaient fait. Anna et Marie-Claude forment un groupe avec Jeanne et Françoise. Plus tard, Guy et Dominique viendront se joindre à eux. Mimi, Simone et Claude se promènent bras dessus bras dessous avec Martine et Annie. Renée et Nelly fraternisent et s'embrassent. Chez les garçons, seul Jean-Paul accroche avec Patrick R. Tout au long de cet après-midi on s'aperçoit que les choix primitifs sont remis en cause. En fin de journée, plusieurs enfants souhaitent de changer de correspondant et des propositions directes sont faites. Le 21 janvier, la discussion est animée à Ragon et à St-Nazaire A Ragon, Jeanne est critiquée pour ne pas avoir parlé à Pierrette. Guy veut écrire à Marie-Claude, mais Françoise n'accepte pas le partage. Martine veut écrire à Mimi et à Simone. Renée désire avoir Nelly pour correspondante. Chez les garçons qui avaient choisi une fille, c'est la déception. Gérard n'a pas osé parler à Simone et Patrick Rousseau est vexé d'avoir été délaissé par Anna. Philippe a été mal accueilli par Patricia, qui s'est montrée très perturbée. Quant à Dominique, Renée lui a enlevé Nelly. A St-Nazaire, le processus de choix initial est remis en cause. Simone : « Il fallait pas les choisir sur les photos ; il aurait fallu aller devant eux ! » Un grand nombre d'enfants désirent changer de correspondant. Mais seule Patricia, qui n'a d'ailleurs parlé à aucun garçon de Ragon, désire encore avoir un garçon pour correspondant ; les autres filles veulent une fille. Un nouvel échange de proposition a lieu, mais cette fois les choix sont beaucoup plus motivés. La frustration est plus grande pour les enfants qui ne reçoivent pas de proposition. A ce jour 17 février, et alors qu'une nouvelle rencontre est prévue à Ragon pour le 2 mars, les liens sont solides entre : Françoise et Marie-Claude Patrick Rublon et Marcel Aline n'a pu établir de contact. Brigitte ne répond pas à la proposition de Patrick Rousseau, car elle ne veut pas d'un garçon. Claude accepte Jacky mais ne lui écrit pas. Gérard, qui avait repris ses échanges avec Simone, se retrouve seul, Simone ayant quitté l'école. Quant à Guy, qui avait reçu une lettre de Marie-Claude et qui en était enthousiasmé il vient de subir une grande déception : Françoise a réussi à obliger Marie-Claude à abandonner Guy en la menaçant de la quitter si elle continuait cet échange. QUELLES CONCLUSIONS PROVISOIRES pouvons-nous tirer de ces 4 mois d'échanges libres en ce qui concerne le problème particulier du choix ? - Tout d'abord qu'au niveau de nos enfants de 12 à 14 ans, les relations filles-garçons sont difficiles ; L'expérience continue... * Jusqu'au mois de mai, Robert et moi-même n'intervenions pas dans les échanges, sauf pour corriger les lettres, à la demande des enfants. Or, voici que les lettres individuelles se font plus rares et deviennent moins intéressantes ; une certaine lassitude se fait sentir. D'autre part, le groupe s'avère incapable d'animer les échanges collectifs. Aussi, d'un commun accord, nous décidons de participer plus activement. Immédiatement, l'intérêt est relancé. Les enfants sont heureux de cette nouvelle attitude de ma part et le manifestent à plusieurs reprises sur le journal mural et au conseil. Cette expérience ne permet pas d'affirmer que la correspondance de classe à classe, d'enfant à enfant, ne pourrait avoir lieu sans la participation du maître ; mais elle montre que cette participation est un facteur indéniable de réussite. Aussi, en septembre 1968, je démarre l'année avec une nouvelle hypothèse : celle du maître-participant. Les enfants, cette fois, font des propositions à plusieurs classes les filles trouvent des correspondants à Couëron (cdp) et à St-Servan (4e pratique), et les garçons à La Baule (cdp). Quelques enfants ont des échanges avec deux classes. Tous écrivent librement ; mais je suis attentif à la richesse du contenu des lettres que l'on me fait corriger, ainsi qu'à la propreté des copies. Je soutiens l'effort des handicapés. J'écris moi aussi aux maîtres pendant les séances programmées de correspondance, et j'ai ma page dans les lettres collectives et les albums. Depuis un an ce processus n'a pas été remis en cause et il semble donner satisfaction à tous. Mais il serait étonnant qu'un incident imprévu ne nous oblige pas à nous reposer le problème, et ainsi à reprendre notre recherche... 2. TEXTE LIBRE ET JOURNAL SCOLAIRE En septembre 1965, je propose aux enfants le processus adopté en général par les classes pratiquant les techniques Freinet : Je n'exige pas que les enfants écrivent, mais tous utilisent largement ce moyen d'expression. Ils expérimentent pendant plusieurs mois cette technique sans la remettre en cause ; puis, en mai 1966, une exigence de justice se manifeste sur deux plans : - le plan du droit : il est décidé en conseil que chacun aura droit à une page dans le journal, et à une page seulement ; A cette époque, l'application des décisions revient soit au président, soit au groupe, soit au maître. Pour ce qui est de la première, pas de problème relationnel : à chaque séance de texte libre, le choix se fait entre les enfants n'ayant pas encore de texte dans le journal, les autres textes inscrits au tableau restant exclus de la compétition. Seul le journal en subit les conséquences : comme notre rythme de tirage est trop lent, de mensuel il devient trimestriel. La deuxième décision, reprise aux rentrées de 66 et de 67, provoque quelques discussions durant les conseils ; mais en général les enfants écrivent beaucoup et il est rare que quelqu'un ne présente pas un texte au cours d'une semaine. Il n'en est plus de même en octobre et novembre 67. Le groupe s'oppose de plus en plus à Martine, qui est une déviante et qui rejette à cette époque quasi systématiquement nos règles de vie et nos activités quand elle ne fait pas partie du groupe qui les a décidées. Elle n'écrit que rarement, malgré les rappels du conseil de coopérative et mes propositions d'aide. Le conseil m'ayant donné pouvoir au niveau de l'application, le vendredi 10 novembre je décide de provoquer un choc. je donne une rédaction à quatre enfants pendant que les autres travaillent avec moi à la mise au point du texte choisi. Martine rédige à contrecœur et la semaine suivante nous présente un texte sur le Vietnam, qui est choisi à l'unanimité : La guerre au Vietnam doit être horrible. On doit entendre tous ces gens se plaindre et crier de peur. Les enfants ne doivent plus retrouver leurs parents. Nous, en France, on est heureux, On n'a pas de soucis de guerre. On peut se promener dans les rues, rigoler, passer de bons week-end. Mais eux, ils n'ont pas ce bonheur-là. Ils sont sans cesse bombardés par les autres, Je dis qu'on ne se soucie pas assez de la guerre au Vietnam. Si on s'en était occupé bien plus, eh bien, il n'y aurait plus de guerre. Tout le monde serait heureux ; ça ne sert à rien de se tuer. Mais ce n'est pas facile d'arrêter la guerre. Moi, je plains de tout mon cœur ces gens comme nous. Je voudrais qu'ils soient heureux. MARTINE Ce texte donne lieu à une discussion intense au cours de laquelle les enfants me demandent quelle est ma position. Educateur engagé dans la lutte pour la paix, et soucieux d'être authentique et de parler vrai aux enfants afin que le dialogue s'établisse, je n'hésite pas à donner mon avis. Cependant, en dépit du succès de mon expérience, je pense avoir commis une erreur. Aussi, au cours d'un conseil, je pose une question à Martine, que je sens riche d'idées originales propres à nous faire progresser vers plus de profondeur : « Martine, pourquoi ne présentes-tu pas de textes ? » MARTINE : Je n'ai pas d'idées. Après cette discussion, et sans qu'une nouvelle décision soit prise, le groupe abandonne son exigence et chacun devient libre de ne pas présenter un texte par semaine. Au mois de février, au cours d'une discussion sur le texte libre, à une Journée départementale du groupe Freinet, je suis amené à penser et à dire que le maître devrait aussi participer à l'expression libre écrite dans la classe. Je me mets donc à écrire : « Mon vélo demi-course », texte sur un vélo que j'ai acheté à la communauté d'Emmaüs le jour de la visite qu'a fait notre classe. Lorsque j'annonce mon texte, les yeux reflètent la surprise et quelques sourires se dessinent. Quand il est lu, des questions me sont posées, en particulier si je vais venir à l'école à vélo, chacun se promettant de bien rire à mes dépens. Quelque temps après, mon texte « Février » est choisi à son tour, et au conseil de classe les enfants décident que j'aurai ma page dans chaque numéro du journal, « comme tout le monde » (ajoute Gérard), puisque le maître fait aussi partie de la coopérative. En septembre 68, je m'engage plus délibérément dans l'expression libre. Mon texte, « Au bois » est choisi AU BOIS Samedi Nous courons L'expression devient rapidement plus riche, plus confidentielle. Et nous nous posons des questions : qu'est-ce que le texte libre ? pourquoi les textes libres ? Josée l'exprime ainsi : « Vous êtes tous mes amis, j'aime vous lire mes textes, j'aime que vous les écoutiez et qu'ensuite vous me parliez ». Autres questions : pourquoi un journal ? Comment sera-t-il fait ? Que contiendra-t-il ? A la suite de ces réflexions, nous décidons de lire nos textes chaque matin pendant l'entretien et de ne plus choisir. Une nouvelle règle est instituée : chacun aura une page dans le journal et le maître aussi. Chacun choisira lui-même son texte, l'illustrera et le tirera. La mise au point se fera avec l'aide de tous. Actuellement, le conseil programme deux ou trois séances de mise au point par semaine, et c'est le suivant sur la liste alphabétique qui présente un texte pour sa page du journal. S'il n'a encore rien à proposer, il cède son tour. L'an passé, comme notre journal paraissait irrégulièrement, le conseil avait décidé de tirer éventuellement des suppléments, pour diffusion rapide. Un seul tirage a eu lieu (annexe la Solidarité Internationale). Cette année, cette décision n'a pas été reprise. J'ai proposé d'adopter le format 21 x 27 et de faire figurer nos discussions dans notre premier numéro. Ces deux propositions ont été adoptées, mais nous n'avons pas encore résolu le problème de la rapidité du tirage. Faut-il envisager une organisation plus rationnelle des outils nouveaux ? Nous cherchons. (Jean LE GAL) La mode est aux rassemblements d'enfants et d'adolescents, aux congrès des coopérateurs. Loin de moi l'idée de dénigrer ce genre de rencontres, qui comportent certes des éléments positifs. Mais je pense qu'elles pourraient être plus enrichissantes, plus fructueuses encore pour les adolescents, si ceux-ci, au cours de l'année scolaire, dans leur classe, avaient véritablement le droit à la parole, le droit de critique, et s'ils étaient habitués au travail coopératif. Pour nos enfants « d'âge primaire », cela ne semble pas aller de soi. Certes, les expositions des travaux popularisent davantage les techniques coopératives (échanges, étude du milieu, etc.), mais pourquoi faut-il vouloir calquer les organisations d'enfants sur celles des adultes ? Le voyage-échange, hélas souvent irréalisable et surtout les rencontres entre correspondants (peu éloignés les uns des autres) assez fréquentes, permettent réellement une confrontation d'idées à propos du travail de la classe, des techniques qui y sont utilisées, du climat d'amitié qui y règne. En conseil de coopérative, en fin d'année, nous décidions de continuer les échanges. Mais la correspondance se ferait désormais avec des camarades que l'on pourrait aller visiter, avec qui nous pourrions jouer ou discuter dans la plus franche camaraderie. Nos correspondants sont à La Baule, à 11 kilomètres de St-Nazaire. Depuis la rentrée, nous nous sommes rencontrés deux fois. Je n'insisterai pas sur les multiples avantages de ces échanges très rapprochés, surtout au niveau de nos classes de perfectionnement. Je mettrai l'accent sur le côté original, je crois, de nos rencontres. Auparavant, je dois vous dire que dans ma classe, quotidiennement ou presque, en conseil de travail, les enfants donnent leur avis sur ce qui se fait en classe et sur la manière dont cela se fait. Ils émettent leur opinion sur les techniques utilisées, le matériel en usage, etc. L'atmosphère permet une totale liberté d'opinion. Dès l'arrivée en classe des correspondants, c'est spontanément que se formèrent les groupes. Par deux ou par trois, les enfants se mirent à parler des travaux réalisés : dioramas, peintures, maquettes, travaux de rotin, naturalisation d'oiseaux, etc. Et Didier d'expliquer comment il avait fabriqué son diorama. Et Richard de dire comment fonctionne le limographe, Philippe de montrer son casseau de caractères bien rangé. Rien de figé, je vous assure ; des enfants très détendus, parlant spontanément de leur travail avec fierté et enthousiasme. Une réunion s'organisa ensuite, sous la présidence d'un enfant. En somme, une assemblée extraordinaire d'enfants, ayant les mêmes préoccupations, les mêmes habitudes. Et les questions fusaient nombreuses. Je ne mentionne que quelques thèmes de discussion, quelques idées lancées spontanément. Le journal scolaire Les enfants discutèrent de la présentation de leurs journaux, des moyens d'illustration, du contenu, de la nature des textes (vrais ou inventés). Michel (St-Nazaire) : « Nous vendons 80 journaux ». Un enfant de La Baule : « Comment faites-vous pour en vendre tant ? » Yannick (St-Nazaire) : « A l'école on en vend déjà vingt, aux maîtres et aux maîtresses ; et puis, c'est une question de bonne volonté de la part de chacun ». Ils discutèrent aussi des dépenses occasionnées par le journal feuilles, encre, stencils. « A St-Nazaire, c'est la mairie qui nous donne les feuilles pour rien » - « Nous, à La Baule, on les achète ». La peinture Les enfants de La Baule demandèrent à leurs camarades comment ils s'y prenaient pour réaliser de si belles peintures. Et Michel d'expliquer sa technique, puis Gilbert, puis Pierre. Tout ceci n'avait rien de formel d'ailleurs ; nos enfants se comprenaient d'autant mieux que leurs techniques de travail étaient voisines : texte libre, journal scolaire, classe-exploration, peinture libre, travail aux bandes, etc. Ils cherchèrent aussi les moyens d'améliorer la qualité des échanges : échanges de travaux personnels, découpages libres. Le travail apparaît alors comme le seul moyen d'expression et d'exaltation de ce « besoin d'être », et conséquemment, comme le seul lien commun entre les membres de la société. (C. Freinet, L'Education du travail). Gilbert était en classe, l'an dernier, à Biarritz. Il a gardé une certaine nostalgie de cette région, qu'il exprime d'ailleurs dans ses textes libres, ses poèmes, ses peintures. Sans doute voulait-il la communiquer à ses correspondants. Sa conférence sur Biarritz et sur le Pays Basque, il l'avait réservée pour les « corres. ». Cartes postales, banderilles, tout était prêt. Avec quel bonheur il sut évoquer cette région et passionner son auditoire, uni dans une même attention ! Charles réalise beaucoup de bandes individuelles. Il est triomphant quand il en a terminé une. Le jour de la visite des correspondants, il leur a présenté sa bande La tortue. La bande, abondamment illustrée, se déroulait sous les yeux des camarades étonnés, cependant que Charles, épanoui, donnait ses explications. Des enfants ouverts à d'autres enfants ! Des camarades ouverts à des camarades ! Les éducateurs doivent exploiter ce besoin naturel de l'enfant de communiquer avec d'autres. Nos deux rencontres ont permis à nos enfants handicapés de devenir plus confiants, plus ouverts, plus libres. Elles les ont réhabilités en valorisant leur travail, et dans ces échanges d'idées, de travaux, de sentiments, nos enfants ont connu des heures de fraternité joyeuse. La vraie fraternité, c'est la fraternité du travail (C. Freinet). (P. YVIN) Dans ma classe, depuis 10 ans (c'est-à-dire depuis que j'ai adopté la pédagogie Freinet), le conseil de coopérative du samedi a été un des éléments importants de la prise en main par les enfants de leur vie scolaire. Ils y établissent leurs lois, jugent les infractions commises (avec humanité), examinent les propositions concernant les activités et les relations au sein du groupe, mettent au point leur plan collectif de travail pour la semaine suivante, discutent de leurs réalisations. L'évolution de ce conseil, institutionnalisé la première année par moi-même dans un CE1, fut variable. Cela tenait à ma propre évolution tâtonnée, car nous nous heurtions, dans ces classes à un seul cours, à un élément fondamental de toute éducation : le temps. Cette dimension s'est trouvée complètement bouleversée dans ma cdp actuelle, où je garde pendant plusieurs années les mêmes enfants. L'esprit critique, l'esprit d'initiative, le goût de la liberté, le sens des responsabilités vis-à-vis de soi-même et du groupe, se développent en profondeur. Il serait trop long d'étudier d'une manière exhaustive les diverses formes prises par le conseil de coopérative du samedi. Je donnerai simplement le compte rendu d'une évolution, ce fait pédagogique permettant d'apprécier, dans son aspect expérimental, l'attitude du groupe et la mienne en face de ce problème. * Nous sommes au début du 2e trimestre de l'année scolaire 67-68. Les enfants sont dans la classe pour la 3e année. Ils ont programmé pour le lundi un conseil de coopérative. Avant de démarrer, je demande que soit examiné le problème de ce conseil lui-même, car il devient de plus en plus routinier ; on le programme plus par habitude que par une nécessité profondément ressentie ; les propositions y sont rares et le président a fort à faire pour secouer l'inertie des participants. Je demande donc : « Désirez-vous conserver le conseil de coopérative ? » Personne ne réagit, malgré l'invitation de Philippe, qui demande qu'on se prononce sur ma question. Je précise que si la classe ne prend pas de décision, ce sera à moi de la prendre. Alors je deviendrai celui qui commande, et dans ce cas ils n'auront plus qu'à obéir. Je donne quelques exemples de décisions les concernant qui seront à prendre soit par tous soit par moi seul. Mais désirent-ils donner leur avis en ce qui concerne leur vie ? Sollicités par le président, les enfants répondent unanimement par l'affirmative. Françoise s'abstient dans un premier temps, mais je lui rappelle qu'elle intervient souvent quand les décisions la concernent ; elle participe alors à l'adhésion de ses camarades. Cette question étant réglée, je demande : « A quel moment donnerons-nous notre avis ? » Jusqu'ici nous avions un conseil chaque soir et un conseil de coopérative en fin de semaine. Renée répond : « Il faudrait qu'il n'y ait pas de critiques ;il faudrait qu'il y ait des félicitations. Quand les gens viennent, ils voient les critiques ! » (Depuis deux ans, les critiques ont été écrites sur le journal mural, solution que j'avais proposée à la suite des « rapportages » des premiers jours. Le journal a été largement utilisé). Une discussion suit la proposition de Renée : on pourrait écrire les critiques derrière le tableau, ou bien sur une feuille accrochée derrière... Je demande : « Maintenons-nous les critiques ? » ANITA : S'il n'y a pas de critiques, on viendra rapporter. (Jusqu'à ce jour le conseil avait lieu le samedi ; il s'était d'ailleurs déplacé de l'après-midi au matin afin de dégager l'après-midi entière pour le plein air, à la suite d'une proposition d'un enfant.) MARTINE : On devrait faire tous les deux jours l'examen des propositions. Guy démontre que les conseils ne tomberaient jamais les mêmes jours. Gérard propose le samedi. Je relance les deux propositions au groupe. Dominique propose le vendredi, en motivant sa proposition par le fait que nous pourrions éventuellement le terminer le samedi. Il est alors décidé que le conseil aura lieu le vendredi, de 14h15 à 15h15. Cette décision tient compte des institutions externes : heure de la récréation et travail des filles avec une collègue de 15h30 à 16h30. MOI : Qui présidera le conseil ? Ce ne sera jamais moi. Le premier trimestre, les enfants avaient décidé de choisir Dominique comme président unique, car il leur paraissait seul capable de donner la parole, Mais quelques camarades étaient jaloux de lui. Il est intéressant de remarquer qu'il y a deux ans, 14 enfants tenaient fermement à présider, alors que maintenant les candidats sont moins nombreux, sans doute se sont-ils rendu compte de la difficulté qu'il y a à diriger une discussion ? Guy demande qu'il y ait deux présidents, afin de pouvoir se remplacer en cas d'empêchement. MARTINE : Il faut prendre ceux qui n'ont jamais été présidents. Après discussion, les six candidats sont retenus, et on commencera par le plus petit. Je propose alors à Patrick de prendre la présidence de ce premier conseil de coopérative du deuxième trimestre. * Chaque année le conseil évolue, car il est une des pièces maîtresses de l'autogestion, avec le président de jour et le conseil de classe quotidien. Nous cherchons, à travers de multiples tâtonnements, l'organisation qui permette : - à chacun, de présenter ses propositions et de donner son point de vue dans les discussions ; - au groupe, de prendre des décisions et de veiller à leur application. La maturation sociale des enfants se faisant progressivement, il est indispensable de prévoir des réflexions périodiques sur le conseil lui-même, afin de mieux l'adapter à nos besoins. (J. LE GAL) En 1960‑61 à la suite de la lecture du Poème Pédagogique de Makarenko, je propose aux enfants de mon CE1 une nouvelle institution : le président de jour. Cette proposition est unanimement acceptée, car elle permet à chacun de diriger les activités à son tour et évite la directivité contraignante d'un président élu pour une certaine durée. Elle correspond aussi à mes buts éducatifs : donner à chacun alternativement les fonctions d'organisateur et de travailleur, de responsable et d'exécutant. Un président permanent en face d'enfants réduits au rôle d'exécutants, cela peut fabriquer de futurs « chefs », mais non donner à tous le sens des responsabilités. Appliquée chaque jour par un président différent, la loi élaborée en commun au cours des conseils est beaucoup mieux respectée. Lorsqu'un enfant refuse de la suivre, le conseil lui enlève un tour de présidence de jour. Pour être capable de diriger les autres, il faut d'abord savoir se diriger soi-même. Au mois de février, le président de jour préside presque toutes les activités avec une aide plus ou moins grande de ma part, l'exercice de cette fonction ne pouvant s'acquérir que par tâtonnement. Lorsque, en 1965, je prends la cclp de Ragon avec des enfants de niveau CP-CE de 10/12 ans, je propose immédiatement la même institution. La première et la deuxième année, tous les enfants acceptent de présider. Mais est-ce à cause de l'âge, du déficit intellectuel, des difficiles problèmes posés par les enfants caractériels, l'institution ne fonctionne pas aussi bien qu'au cours élémentaire. En 1967, les enfants cherchent d'autres solutions, car c'est souvent moi qui dois présider, or ils savent que je désire les voir prendre en main la vie de leur coopérative. Ils essaient d'un président élu, mais ils ne respectent pas plus ses décisions que celles des présidents de jour antérieurs. Ils reviennent au président de jour ; mais devant les difficultés de la tâche, deux enfants seulement acceptent encore ce rôle, devenu trop ingrat, les refus d'obéissance enlevant toute autorité. Un seul d'entre eux est suffisamment autonome pour s'imposer à lui-même les règles de vie qu'il est chargé en tant que président de faire respecter. En 1968-69, je ne conserve que quatre anciens. Les nouveaux arrivés acceptent de jouer le rôle de présidents de jour. Je les aide plus que l'année précédente, afin d'éviter au groupe de se trouver sans un de ses membres comme animateur, et je les conduis à réfléchir sur les problèmes du maître et du président de jour, au cours de réunions exceptionnelles organisées en Philips 6 x 6, technique que j'ai apprise durant les vacances, en stage de pédagogie Freinet. * RÉUNION EXCEPTIONNELLE DEMANDEE PAR MOI-MEME Le lundi 2 décembre 1968, en entrant en classe, à 13h45 : MOI : Vous aviez prévu de faire éducation physique, et moi je ne veux pas aller sur le plateau avec des enfants qui se disputent, qui n'entendent pas les autres, qui n'écoutent pas les directives de travail. Vous savez ce que je voudrais que vous soyez : Je vous propose de me dire clairement CE QUE VOUS VOULEZ QUE JE SOIS, Et pour que tout le monde puisse parler, on pourrait se réunir en 4 groupes ; dans chaque groupe un camarade note ce qui se dit et le fait ensuite connaître à tous. Proposition adoptée à l'unanimité. Dans les groupes, les enfants discutent à voix basse. Fabien, Q.I. 57, embête les autres, et Jacky fait appel à moi. L'attitude de Fabien, agressif, incapable d'« entendre » les autres, de proposer quoi que ce soit, pose le problème des limites de l'autogestion, limites dues à des conditions objectives : maître-enfants, moyens techniques, milieu scolaire, milieu social et économique, etc. Résultats après 10 minutes de discussion : Groupe 1 (l ancien, 2 ‑‑> CdP, 1 ‑‑> cl, traditionnelle) Groupe 2 (3 anciens ayant déjà vécu les difficultés de la présidence de jour) Groupe 3 (3 nouvelles, 2 ‑> cl. trad., 1 ‑‑> CdP) Groupe 4 (1 ancien, 2 ‑‑> CdP, 1 ‑‑> cl, trad,) Je présente alors le bilan des réponses à ma question : QUE VOULEZ‑VOUS QUE JE SOIS ? DISCUSSION GENERALE JOSEE : Quand on ne fait que parler, vous êtes obligé de vous fâcher. Je m'absente ; et quand je reviens : RENEE : Qu'est-ce que c'est silencieux maintenant ! Bilan 2e discussion G 1 Le président sert à nous contrôler - un président par groupe - qu'une fille soit la présidente. DISCUSSION GENERALE JOSEE : Je voudrais deux présidents par semaine. (Tous, sauf P. Rublon, Violette et Anita.) RENEE : On les marque tous au tableau et on vole pour en choisir un. Proposition Renée : 2 voix MOI : Je répondrai à votre demande : ne pas crier, ne pas me fâcher, être à votre disposition. * UNE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE EXTRAORDINAIRE Thème : LE PRESIDENT Le samedi 7 décembre, le conseil décide de programmer pour le mardi 10 une Assemblée générale extraordinaire de la coopé à 16 heures. Les enfants sont répartis en 4 groupes. Je demande d'en être l'animateur ; le groupe accepte. OBSERVATIONS 1° Question : QUELLES QUESTIONS VOUS POSEZ-VOUS A PROPOS DU PRESIDENT ? Le groupe 4 s'amuse. (6 minutes) Je lui fais l'observation : il se met en discussion. Gr 1 : A quoi sert le président ? Gr 2 : Qui va être le président ? (posée oralement) Gr 3 : Pourquoi il y a un président ? Gr 4 : Que doit faire le président ? fonction de QUOI 2° Question : QUEL EST LE TRAVAIL DU PRESIDENT ? Gr 4 : Le président : Gr 3 : Le président sert : à diriger-‑ à aller au Gr 2 Le président sert à donner l'exemple Gr 1 : Le président sert à nous contrôler Je relis toutes les réponses, et chacun peut exprimer accord ou désaccord. RÈGLES ÉLABORÉES - Quand le président ne peut pas aider, il appelle le maître ; La discussion sur les fonctions respectives du MAITRE et du PRESIDENT laisse en suspens les questions suivantes : - Que fait le maître quand le président est incapable de présider ? La question : QUI SERA PRESIDENT ? n'est pas discutée, faute de temps. Nous conservons la décision précédente (ordre alphabétique). Je demande alors : LE MAITRE POURRA-T-IL ETRE PRESIDENT ? Réponse à l'unanimité : OUI. Décision : le maître sera président le samedi. * A la suite de ce débat, j'établis une fiche‑-guide pour le président et j'assume moi-même ce rôle chaque samedi. L'institution fonctionne de façon satisfaisante. Des heurts se produisent évidemment, car la marche vers l'autonomie est longue, mais à aucun moment il n'y a eu régression, peut-être à cause du climat d'amitié de la classe. Arriverons‑-nous à faire disparaître la REPRESSION ? Seule l'expérience pourra répondre à ce problème, qui est celui de toute société réellement fondée sur la liberté. * Nous continuerons donc à chercher les solutions les plus propres à assurer notre marche vers l'autogestion ; et, comme le demandait Freinet, nous ne tiendrons jamais nos pistes et nos lumières pour définitives, car tout résultat est « sujet à révision, à modifications, à aménagements, selon les milieux et les temps ». (J. LE GAL) |
4ème PARTIE * CLASSE D’ENSEIGNEMENT SPECIAL d’Yvette BOLAND à Grivegnée (Belgique) |
I - LES ENFANTS
Militante du mouvement international de l'Ecole Moderne, j'ai toujours pratiqué une pédagogie basée sur la coopération scolaire et la liberté d'expression. Toutefois, la lecture des expériences d'autogestion en classe de perfectionnement réalisées par mes camarades de l'ICEM, m'a conduite à accorder une part plus grande aux enfants pour ce qui concerne le choix des activités et les décisions de travail.
Durant cette année 1968-69, les enfants ont évolué dans un climat de liberté plus développé. Sans doute la discipline était jusque-là librement consentie ; la parole était donnée aux élèves quand ils la désiraient ; les conseils de classe étaient positifs. Mais l'effort fait dans ce sens cette année a été beaucoup plus ample.
Pour mieux comprendre l'esprit dans lequel l'expérience a été menée, il est nécessaire de bien situer ma classe.
Elle se compose de 14 élèves débiles légers : 7 filles et 7 garçons. Certains accusent des troubles caractériels. Ils ont tous de 12 à 16 ans (sauf un garçon âgé de plus de 17 ans). Tous sont issus d'un milieu socio-économique particulièrement défavorisé et perturbé. D'où traumatismes et blocages affectifs se soldant par des chutes, des transferts se liquidant en classe.
Sur l'ensemble des élèves, 3 sont dans ma classe depuis 64-65, et 5 ont déjà bénéficié de la pédagogie Freinet chez deux de mes collègues. Ils ont donc déjà joué un rôle dynamique au sein de leur groupe ; ceci me paraît très important.
Nous faisons partie d'un établissement d'Enseignement spécial de l'Etat groupant 150 élèves de 3 à 16 ans accusant toute espèce de déficience, sauf le handicap physique prononcé et l'infirmité motrice due à la paralysie cérébrale.
Je vais en quelques phrases vous présenter toute mon équipe.
1. MARC
14 ans, fils de manœuvre-maçon ; tendant à vivre replié sur lui-même ; bloqué affectivement; mauvais climat relationnel familial; caractériel. Père chômeur volontaire ; Marc s'en ressent, car il se dérobe face au travail. Intelligence pratique. Au courant de l'actualité, il répugne à tout effort. Se tracasse parfois pour son devenir. A une fois giflé un ancien qui venait lui annoncer qu'il était embauché dans une usine métallurgique. Marc a des tendances de meneur. Mais il ne veut jouer aucun rôle dans la coopé, malgré ses possibilités. 2. HENRI
15 ans, fils d'ouvrier maçon courageux ; mère ménagère active mais de petite santé. Très jaloux de son frère de 12 ans, qui n'a jamais essuyé aucun échec en classe. A son arrivée en 64, était très agressif et se singularisait dans son village par des actes de vandalisme (28 carreaux brisés par ses soins dans une maison momentanément inhabitée !) Langage de charretier. Complexe de persécution. Niveau scolaire assez bas. Quand je voulais le pousser aux connaissances, il me répétait sans cesse : « Pourquoi te tracasser pour moi si je n'ai pas envie de travailler ? Tu sais bien que plus tard je veux m'engager à l'armée ! » Cependant, dès que la brèche fut découverte, il fit preuve d'une relative activité. En effet, Henri est très attaché à sa mère malade, ce qui a provoqué chez lui une propension à se surpasser dans les activités culinaires ; il invente des recettes ! A obtenu son brevet de cuisinier. Grâce à notre organisation du travail répartissant la classe en multiples ateliers (y compris coiffure et manucure), il a pu se réaliser enfin ; il est heureux 3. MARCEL
Fils d'ouvrier ; enfant passif inhibé, quoique grand nerveux (épileptique). Agréable ; venant d'une classe traditionnelle, ne savait même pas rire ni sourire. Niveau scolaire très bas. Poète toutefois ; aime les lapins et... sa bicyclette. Vit en isolé, Communique très peu avec ses camarades; mais maintenant ses yeux respirent la joie. Va s'engager dans un atelier essentiellement pratique. Quand il a de l'argent en poche, ne songe qu'à s'acheter des outils. 4. HENRI II
17 ans. Très faible en connaissances scolaires. Doux. Langage enfantin. Adore le football, le vélo, et les filles (qu'il n'ose approcher, mais à qui il fait les yeux doux). Ne sachant écrire, il leur fait adresser des messages, leur offre des cadeaux. Cadet d'une famille de 7 garçons, Surprotégé par sa mère et adulé par son père, mineur retraité. A reçu une bonne éducation, A 13 ans avait un langage de bébé et n’osait s'exprimer en public. A réussi à trouver du travail dans une robinetterie où son chef ne tarit pas d'éloges à son sujet, Bien qu'il ne sache pas lire, arrive à déchiffrer les schèmes usuels de la vie et à se débrouiller pour retrouver son chemin quand il fait des livraisons. Heureux de vivre. 5. FRANCIS I
Fils de commerçants, Toujours occupé ; travailleur manuel; excellent producteur pour la coopé. Aime l'argent. Epileptique ; éclats de mauvaise humeur. Très jaloux de son frère de 11 ans. Plein d'initiative, Aime que les décisions soient vite prises, Rapide et dynamique dans l'exécution, Bougon autrefois, est devenu jovial et boute-en-train. Estimé de tous. 6. FRANCIS II
14 ans. Père très travailleur ; mère active. Jaloux de son frère jumeau qui réussit parfaitement à l'athénée (école secondaire). La présidence de la coopé lui a donné une certaine assurance. Aime le travail manuel très actif. De santé très précaire : cardiaque et troubles de la psychomotricité. Ecriture presque illisible. Elève très coopérant vis-à-vis de tous. Malheureusement, l'expression libre ne lui a pas été souvent permise dans l'école d'où il provient. 7. TONY
15 ans. Présenté comme vagabond et truand. Ejecté d'une école professionnelle voisine. Très intéressé par les recherches, les expériences et les documentations les plus diverses. Effectue des enquêtes d'après des livres d'adultes : « Animaux du monde ». Lit les classiques (J.J. Rousseau). Surprotégé par sa mère, seule à élever 3 enfants ; c'est une gitane superstitieuse, qui s'occupe à effrayer l'enfant et à le rendre méfiant vis-à-vis de tout, Tony est son cadet ; elle l'aime par-dessus tout. Lors du voyage de fin d'année, elle lui a offert une montre en or pour qu'il ne nous accompagne pas, par crainte d'un accident (qu'elle avait lu dans le ciel !) 8. CHANTAL
13 ans ; père en prison ; mère analphabète profitant du moindre malaise pour garder sa fille à la maison, Famille aidée par l'Assistance publique. Chantal a souffert d'hyposcolarisation. Depuis son arrivée chez nous il y a 2 ans, l'absentéisme a disparu. L'enfant aime l'école. Niveau scolaire en hausse, Prise en mains sérieuse des responsabilités par la fillette, qui réalise le handicap de sa mère et voudrait l'atténuer, « Ma mère s'est faite rouler en signant des papiers présentés par un démarcheur ; je ne veux plus que cela lui arrive ; ça ne m'arrivera pas, car je lis et essaie de comprendre tous les écrits » (même un vieux bout de papier trouvé par hasard). Chantal a bien bougé. On envisage, pour la prochaine rentrée scolaire, de la remettre dans le circuit « normal » en section technique, Elément super-actif dans la coopé. Orthographe améliorée. T'out son travail est axé sur la correspondance : elle a écrit à 7 camarades. 9. ARLETTE
15 ans, Père retraité mineur, cardiaque. Atmosphère très lourde clans la famille : 2 frères épileptiques, un atteint de carie des os, une sœur amblyope et mal développée physiquement, une sœur mariée. Mère très énergique et agressive. Arlette vivait repliée sur elle-même, timide, gênée dans ses mouvements. Hésitante ; n'arrivait pas à écrire trois mots. Peu d'initiative. A présent elle est plongée dans les écrits, elle se libère, elle ose manifester son désaccord à l'occasion ! Elle est devenue la secrétaire de la classe ; s'occupe de la rédaction de la revue de nos trois coopés. Tous les textes sur stencil sont tapés par elle, Arlette est complètement transformée ; elle se sent quelqu'un ! 10.JOSETTE
16 ans, Père militaire de carrière. Enfant agressive, instable. Se mettait en position de défense dès qu'on s'approchait d'elle. Aime toutefois qu'on s'occupe d'elle, désire être 17attée, etc. Aime les petits, les protège. Poète à ses heures. 11. MARIANNE
15 ans, de milieu socio‑économique très bas et très perturbé le concubin de sa mère ne travaille pas. Très douce et très aimante. Avait perdu toute confiance en elle-même. Enfant très agréable, coopérante, travailleuse. Mais elle est rejetée par sa mère qui ne manque aucune occasion de l'accabler publiquement. La fillette reporte toute son affection sur les animaux. Au point de vue scolaire, manifestait peu d'intérêt. A été accrochée par la correspondance et les recherches sur les animaux, dont elle assume la responsabilité. 12. JANINE
14 ans, élevée par sa mère veuve avec 4 enfants. Etait très tapageuse et criarde ; s'est affinée au contact des garçons. Eprouve peu d'intérêt pour l'école. Très sensible cependant. Excellente artiste peintre, s'est révélée poète lors de nos dernières sorties. 13. MARIE-ROSE
14 ans, mère couturière, père forgeron. Très jalouse de son frère de 15 ans qui « brille » à l'école technique. Arrivée dans ma classe à 13 ans ; ne lisait pas ; maintenant elle sait. N'écrivait pas ; maintenant adore la correspondance. Correspond avec un maître Ecole Moderne qui a été muté dans un établissement voisin ; ils échangent de vrais romans. Non seulement Marie-Rose est arrivée au stade de la lecture courante, mais son orthographe se polit. Les aspérités de son caractères Disparaissent. Elève très agréable. Toutefois, fait des crises de jalousie aiguë ; a un penchant pour Marc, qui ne prête guère attention à elle. Très coopérante. 14. ELISABETH
15 ans. Gros problème : le père a abandonné la mère. Elisabeth est placée dans un home d'accueil par le Juge des enfants ; mère déchue. Enfant fougueuse ; fait le mur ; rentre au home à 1 ou 2 heures du matin. Sort avec un jeune homme du voisinage, débile de 22 ans possédant une voiture. Au début, élément très perturbateur dans la coopé, giflait sans raison ses camarades et surtout les garçons (tendances hystéroïdes). Devant mon indifférence à ses sautes d'humeur, elle se trouvait désarçonnée. Très nerveuse, elle me dit : « J'ai envie de te piquer pour voir si tu réagirais. Tu es bien la seule à ne pas me poursuivre quand je me sauve ; tu ne te tracasses pas !… » (et pourtant !…) Elle s'est transformée. Très affective, elle sent en moi une présence non hostile. M'embrasse chaque matin et chaque soir. Si bien améliorée que le juge l'a rendue à sa mère en juin, après un an de séjour dans notre classe. Venant de cellules traditionnelles. Elisabeth était une petite épave morale qui se laissait facilement entraîner. Elle est devenue active au sein de notre équipe. Adore écrire des textes libres ; écrit à ses correspondants, même de chez elle, leur envoie des colis. Pendant les vacances, me téléphone régulièrement. Un 15e cas qui à lui seul mériterait un mémoire
15. ROBERT
14 ans et demi, père retraité, mère ménagère, 2 frères adultes, une sœur mariée. Enfants de deux lits. Robert est rejeté. Fréquentait l'enseignement secondaire d'où il fut exclu parce que trop perturbateur. Me fut présenté comme un sujet peu intéressant. Foin des étiquettes ! Robert était plutôt gêneur parce que trop actif. Aide précieuse en classe ;excellent collaborateur, plein d'initiative. Niveau intellectuel assez élevé (Que de gaspillages d'intelligences dans trop d'écoles !) Hélas ! il était, pour les professeurs, trop contestataire ! Chez nous, il a trouvé sa place et nous n'avons jamais eu de heurts. En fin d'année, il est allé tout seul s'engager dans une usine métallurgique. Se débrouille parfaitement. Vient régulièrement à la maison, compulse mes livres, peint, discute très sainement. Est très perméable à l'expérience. Passe du travail manuel au jardinage et à la recherche, avec une égale aisance. A sa demande, nous sommes allés ensemble visiter des musées de la capitale. Agressivité disparue. 2 ‑ OU EN SOMMES-NOUS ?
La forme d'organisation de notre coopérative est spontanée. Les décisions sont prises en majeure partie par les coopérateurs eux-mêmes. Les élèves se réunissent en assemblées (peu nombreuses), puis des réunions d'ensemble sont faites pour coordonner les décisions.
Les responsables sont mandatés pour une action très précise. Les liaisons sont aussi établies sur le plan local avec les autres coopératives (ici nos correspondants) : rapport de président à président, rapport de la vie dans les coopératives.
Le plan de travail est destiné à satisfaire des besoins réels et non des profits. Le conseil de classe est organisé.
Nous pensons qu'il est très possible d'instaurer ce système et que l'autogestion doit être prévue dès l'école primaire. Vivre une vie coopérative réelle préparant les enfants à leurs responsabilités d'hommes semble bien être indiqué dans l'enseignement spécial, et a fortiori dans l'enseignement ordinaire.
Je pense que nous devons faire davantage confiance aux enfants, leur permettre d'être, de vivre et d'agir. Alors seulement nous assisterons à l'éclosion d'élèves heureux.
UN BILAN
1°. Ce sont les élèves qui ont réclamé la 1re réunion en vue de créer une coopérative, après 15 jours de classe.
2°. Ils ont désigné, et ce dans un cadre très souple, les responsables :présidente, vice-présidente, trésorière, trésorière-adjointe, secrétaire, secrétaire-adjointe, en fonction du travail mesuré durant la 1re quinzaine. 3°. La définition des responsabilités a été motivée par les nombreuses tâches à assumer et les nécessités matérielles. 4°. La cotisation minimum obligatoire a été fixée à 2 F par les élèves eux-mêmes. Ils produisent et perçoivent 10 % de la vente ; donc celui qui n'a pas versé sa cotisation ne peut s'en prendre qu'à lui-même (voir plus loin). 5°. Le tableau mural a été relancé. 6°. Des visites ont été organisées par les enfants : la foire commerciale ‑ la caserne des pompiers ‑ la foire liégeoise d'octobre ‑ l'usine des vieux métaux ‑ la laiterie ‑ la cristallerie. Une visite à la biscuiterie et une à la brasserie sont en voie de réalisation. 7°. U n vote a été organisé pour demander au professeur de pédagogie s'il accepterait la visite de ses normaliennes. Sur 13 enfants, 8 sont d'accord, 3 ne sont pas d'accord, 2 sont indifférents. Les visites sont acceptées ; les 3 élèves qui ne sont pas d'accord travailleront aux ateliers. 8°. L'organisation du travail est beaucoup plus librement consentie. Le groupe prend davantage en charge les responsabilités. 9°. Il n'y a plus d'allergie au travail. La vie est bien plus heureuse. 10°. La plus grosse lutte à mener fut personnelle : sans vouloir s'effacer complètement, il faut écarter toute forme d'autoritarisme de la maîtresse, si minime soit-elle. Il faut être complètement détendu, toujours patient, ne pas manifester d'inquiétude ; bref, être libérée de soi-même. Les résultats sont tangibles, et je sens que la coopérative évolue de jour en jour vers une société sans contrainte. Sans doute je donne souvent mon avis, mais il ne prime pas obligatoirement.
Nous bénéficions de la richesse des échanges interscolaires. Les élèves de Pierre Seykens, à Ougrée, nous permettent de mieux organiser le travail éducatif. Nous sommes sans cesse relancés les uns les autres dans un bain de recherches.
Nous avons reçu de très intéressants travaux présentés sous forme de bandes savamment programmées, et personne n'est resté passif. Les bandes ont provoqué un rebondissement. Les réponses furent ajoutées à la bande initiale ; ou bien une nouvelle bande fut élaborée en suivant un autre intérêt.
Les lettres personnelles, les albums, les diapositives, les bandes magnétiques ne sont toutefois pas ignorées. Nous avons reçu et transmis plus de 10 envois en 5 semaines ; la correspondance n'a jamais battu ce record.
LE POINT DE VUE « ACTIVITES-PRODUCTION »
Là aussi, ce sont les élèves qui organisent. De nombreuses équipes se sont constituées librement pour réaliser l'activité choisie, sans le moindre interventionnisme :
Préparation de maïs grillé ‑ de gaufres ‑ de crêpes ‑ de poires cuites ‑ de betteraves ;
Lavage de voitures ; Préparation de gâteaux ‑ de crème ‑ de macédoine de fruits de chips ; Réalisation d'émaux sur cuivre ; Préparation de petits meubles, nichoirs... Les enfants vendent leur production en ville au profit de la coopé et perçoivent 10 % de la vente.
Ce que nous avons voulu chercher ? De redonner aux enfants un besoin d'activité, de confrontation, de recherche, d'initiative, de surpassement.
Ce que nous avons voulu mettre sur pied dès le départ, c'est la possibilité pour chaque élément de se réaliser suivant ses propres aptitudes dans un ensemble coopératif disposant de la liberté de décision.
QU'A-T-IL FALLU CHANGER ?
En tout premier lieu, il a fallu me changer moi-même. Je ne me suis plus souciée des programmes ni des horaires. Je voulais mettre le futur citoyen en mesure d'agir selon ses responsabilités et de vivre en saine démocratie, plutôt que de lui faire acquérir des connaissances.
Je vais essayer de présenter des exemples qui montrent comment nous nous y prenons. C'est sur le principe de la non-directivité que s'est basé tout le travail de cette année. Tout se fait très naturellement. Ainsi, dès qu'on reçoit un envoi, on en prend connaissance et on répond, soit par un message sonore, soit par un album personnel, une recherche à plusieurs, une jolie poterie, des émaux, une bande ou une préparation culinaire.
3 ‑ UNE TRANCHE DE VIE DE LA CLASSE
LUNDI
13 h 30 ‑ La matinée s'est passée à l'atelier et aux cours spéciaux de religion et de morale.
A la rentrée, les élèves discutent librement. Deux groupes sont constitués :
1°. Le comité exécutif de la coopé (président, secrétaire, trésorier + les 3 adjoints), qui se réunit dans le couloir ;
2°. Les autres participants, qui discutent librement en classe. Le premier groupe rentre. Le président déclare ouverte la séance et demande si la semaine s'est bien écoulée pour tous et si chacun est content. Chacun se déclare satisfait, sauf Marie-Rose, qui s'excuse pour sa mauvaise humeur de jeudi : « Je ne sais pas ce que j'avais ce jour-là ;il faut m'excuser, mais je préfère qu'on n'en parle plus ! »
Le président ‑ Avant de commencer, nous pourrions peut-être expliquer comment nous avons passé le week-end.
FRANCIS : Oh ! moi je suis claqué ; je suis allé relever les vieux journaux pour les vendre au profit d'un sana.
ARLETTE : Moi je suis aussi fatiguée, mais ce n'était pas pour le travail : ma sœur s'est mariée et nous avons « nocé ». Questions et réponses se succèdent à ce sujet. Arlette poursuit :
Chez Robert Cherain (élève qui nous quitte pour aller au travail), c'était aussi un mariage. Ils avaient l'air de bien s'amuser ! Robert n'a pas voulu assister au mariage de sa sœur. C'est drôle !
HENRI (15 ans ½, inhibé, qui n'a jamais rien à dire, qui vit replié sur lui-même) : Oh ! moi, au mariage, même si j'étais gêné de moi, j'y serais allé rien que pour pinter. J'aime ça, mais quand je sors avec mon père il ne fait pas le poids : après deux verres, il est cuit, il veut se bagarrer, je dois l'en empêcher ! MARIE-ROSE : Je suis plus gaie aujourd'hui : pendant le congé, j'ai dansé chez moi dans un réduit avec mes petites amies ! MARCEL : Pour moi ce qui compte c'est d'aller me promener. Je regarde la nature, les animaux, tout ce qui vit, mais pas les filles surtout ! FRANCIS I : C'était l'ouverture de la pêche ; je suis allé taquiner le poisson, J'irai encore dimanche. MARIE-ANNE : Quatre coqs sont malades chez moi ; ils éternuent, c'est marrant ! Je me suis promenée dans la prairie ; le cheval a mangé la manche de mon pull et arraché les pages de mon livre. MARC (qui n'a rien fichu au cours de travail manuel ni à la morale ce matin, et qui se déride peut-être cyniquement) : Moi, je me suis em… tout le week-end, mais j'ai bien ri quand on a ramené mon frère militaire en ambulance. Oh ! au fond il n'avait pas grand chose ! Dans tout cet échange, je n'interviens jamais, ou très peu. Il arrive cependant que le groupe me sollicite : « Et toi, Yvette, ça s'est passé comment, ton dimanche ? »
Il m'arrive de solliciter l'opinion des enfants passifs, mais d'une manière très souple, car si mes gars me soupçonnent de questionnite aiguë, ils pourraient bien se cabrer !
Je tiens à signaler que la conversation s'organise et tourne très naturellement. Les enfants interviennent à tour de rôle et moi aussi j'ai mon texte oral à faire. La conversation tombe d'elle-même quand elle ne présente plus d'intérêt. Mais nous sommes arrivés au stade où l'on ne se coupe plus la parole.
LE PRESIDENT : A quel point en sommes-‑nous dans nos comptes ?
LE SECRETAIRE : La trésorière est absente pour une raison valable ; elle m'a donné son cahier de comptes. Je vais vous lire la page de la semaine dernière : « Je vais toutefois vous signaler que j'avais repris 7 bagues en émail et que je croyais les vendre ce week-end ; je n'y suis pas parvenue ». MARIE-ROSE : A propos de bagues, il manque des matières premières pour réaliser les émaux. Ce serait l'occasion de nous rendre à Sprimont chez Madame Morhay (l'artiste qui veut bien nous faire une démonstration). JANINE : En même temps nous ferions là nos achats de poudre et de matériel. LE PRESIDENT : On retient la proposition de Marie-Rose. Qui est d'accord pour aller à Sprimont ? Vote à mains levées : unanimité. MARIANNE : Qui se charge des démarches ? Toni, Francis, Chantal se proposent. Marianne demande ensuite qui veut répondre à l'universitaire qui est venue en stage en classe. Elle se présente.
La séance est levée et chacun choisit ses activités
Emaux : Arlette, Elisabeth, Janine ;
Peinture : Marcel, Marc, Henri, Francis I ; Imprimerie : Francis II, puis Marcel ; Album : Marie-Rose ; Bricolage : Marie-Anne. La journée s'est passée dans l'enthousiasme et la joie. Le soir, dans une cabine publique, Toni a téléphoné à Mme Morhay pour savoir si elle est disponible le vendredi pour nous recevoir. Elle accepte, mais demande que tout lui soit confirmé, ainsi que le nombre de participants, car la séance de démonstration dure trois heures et elle se propose d'offrir une petite collation.
MARDI
Même déroulement , l'entretien familier qui se prolonge dans le conseil de classe. Je n'interviens pas pour le choix des activités. Pour Arlette, lecture de l'album de géographie envoyé par P. Seykens ; Toni, Francis, Chantal vont faire part de la proposition de la coopé au directeur, qui semble d'accord ; il faudra toutefois voir le professeur de gymnastique pour lui demander de nous libérer plus tôt. La réponse définitive sera pour demain. Il faudra aussi rendre disponible le chauffeur du minibus et que les élèves demandent à un de mes collègues de me remplacer pour la surveillance de midi à 13 h. (Vous voyez que la participation des enfants est effective, tant pour les contacts inter-élèves qu'entre élèves- professeurs, élèves extérieur, élèves-directeur).
Toni, Chantal, Francis font part de leurs démarches et signalent que M. Hamende veut bien me remplacer pour la surveillance.
J'insiste sur le fait que dans notre société (qui s'appelle la Coopé Sourire), chaque enfant s'engage selon ses possibilités. Tous ne pourraient pas prendre la direction des opérations, comme les trois cités plus haut , chacun s'engage à la mesure de ses aptitudes. On n'arrive pas non plus d'emblée au stade de l'autogestion, il y faut des paliers, comme en toute chose. Cependant, dans l'ensemble autogéré que nous essayons de former, chaque individualité s'exprime et se réalise.
Donc nous avons eu ce matin l'entretien familier, le conseil de classe, avec la critique de la journée de la veille et l'élaboration du plan de travail. Arlette a lu et présenté l'album de Philippe, ce qui a provoqué des réactions : comparaisons entre le nombre d'habitants au km² en Italie et en Belgique ‑ les travailleurs immigrés ‑ le nombre de chômeurs les chômeurs en Belgique ‑ le chômage des jeunes ‑ la manifestation du 22 mai, pourquoi ?
Ensuite, présentation par Janine d'un document audiovisuel sur Venise. Le hasard a voulu que notre stagiaire fût justement une vénitienne, qui a pu nous donner des compléments sur sa ville (gondoliers, cérémonies sur les canaux, enterrements, mariages).
De retour en classe, librement 3 enfants se proposent pour faire la critique de l'album de Philippe (Henri 1, Arlette, Francis 1). Lettre à Ougrée : Chantal et Marcel. Dessins illustrant l'album (3 enfants faibles mais intéressés) : Marc, Henri 1, Marcel, et Bruna, stagiaire, qui se joint au groupe. Emaux : Francis 1, Marianne, Francis II. Nettoyage : Janine, Chantal, Henri, Marc. Album sur les chiens : Marie-Rose.
Tout turbine sec. Chacun travaille, même les deux soi-disant « fainéants » (ou considérés comme tels par les professeurs) ; chez nous, ils s'activent toujours !
MERCREDI
Je l'ai déjà dit : dans une société, toutes les valeurs ne peuvent être identiques ni s'orienter dans le même sens. Il y a les élèves plus doués pour les travaux plus poétiques, plus sensibles, plus intellectuels ; il y a aussi les travailleurs typiquement manuels. Aucune force n'est à dédaigner. L'important est de permettre à chacun de recevoir ce dont il a besoin et de tourner à plein rendement. Et quel autre moyen que l'autogestion pour parvenir à ce but ?
Ce mercredi donc, comme chaque jour, entretien familier, toujours très riche. Puis conseil de classe :
MOI : Que va-t-on faire aujourd'hui ?
Certains voudraient travailler aux albums ; d'autres préfèrent la lecture. Je signale que j'ai reçu d'un camarade français un cahier de roulement sur le BONHEUR (Le Gal) où se trouvent des poésies. Je vois alors Marc et Henri grimacer ! Ai-je le droit de leur en imposer la lecture ? Posons autrement le problème. « Cux qui veulent écouter les poésies se groupent avec les stagiaires ; es autres s'activent librement ».
Ils savent que le syndicat de chômage n'existe pas en classe. 9 élèves se groupent donc autour de la stagiaire, mais Robert m'interpelle : « Yvette, on aimerait que tu viennes écouter les poésies avec nous, et que tu laisses Marc, Henri et Francis qui sont capables de travailler tout seuls. » Jamais je n'ai connu pareille ambiance autour de textes lus et provoquant l'intérêt général.
Pendant la lecture, Marianne écrivit même une poésie (qu'elle a malheureusement égarée) : l'Oiseau Blanc. A la suite de l'audition de tous ces textes sur le Bonheur, quelques poésies sur le même sujet furent réalisées le même jour. Elles sont insérées dans les pages du présent article.
Pendant ce temps, les « concrets » réalisent des émaux sur cuivre et des travaux en mosaïque ; Marc s'affaire à la construction d'un avion en bois léger, et Henri d'une moto d'après plan.
Ensuite - trop tôt, hélas ! - les filles furent appelées à leur cours de cuisine. Je déplore que ces cours spéciaux viennent parfois briser et perturber le travail : l'organisation dans ce domaine est à revoir. Pendant ce temps, les garçons discutèrent ferme avec Robert, venu nous annoncer qu'il avait cherché du travail et était embauché à l'usine de la Vieille Montagne ; d'où questions et réponses nombreuses.
De 12 à 13 heures, je suis préposée à la surveillance ; j'ai rejeté toute forme de surveillante-pion au profit des ateliers de travail. J'assume la surveillance de 45 enfants, et les groupes suivants fonctionnent librement : peinture, imprimerie, bricolage, football, couture, chant, musique.
Je vais d'un atelier à l'autre. Il y a encore parfois des heurts dans les groupes où la coopération n'a pas eu le temps de mûrir, chez les gars sortant d'écoles ordinaires ou de classes à système plus rigide. On ne passe pas d'un seul coup et sans problèmes du système rigide à l'autogestion ; mais le fait, pour des enfants jusque là téléguidés, de se frotter à des élèves autogérés, peut accélérer bien des étapes. Nous avons vu en début d'année des enfants révoltés, agressifs, opposants, fugueurs, se transformer au contact de camarades libérés, ne s'emportant plus, devenus si peu agressifs qu'ils en imposaient par leur calme ou leur façon pacifique de réagir.
Dans notre équipe (trois collègues pratiquant la pédagogie Freinet), nous ne nous mettons pas en rang pour les déplacements. Et pourtant ce n'est pas la débandade ; nous calquons notre manière d'agir sur celle des usines.
Cette année, j'ai envoyé trois garçons à l'enseignement secondaire ordinaire. Elèves débiles légers, mais agressifs à leur arrivée, opposants, et de plus hyposcolarisés, ils suivent convenablement et se cantonnent tous les trois dans le premier tiers de leur classe sans échec. Oh ! ils n'ont pas totalement récupéré au point de vue du programme, car nous ne faisons pas de miracles, mais nous leur avons permis de se réaliser un peu plus et d'être perméables aux contacts humains et sociaux.
L'après-midi de ce même jour, pour les filles : cours spéciaux de couture ; pour les garçons, cours spécial de travail manuel.
JEUDI
Entretien familier, puis élaboration du plan de travail après le conseil de classe. Les filles proposent, soit la lecture des feuillets des correspondants, soit la présentation d'un album de nos correspondants d'Ougrée : Le Cirque. Cet album contient la fiche signalétique de nombreux animaux tels que : le gorille, le lion, le phoque, l'éléphant. Les enfants sont particulièrement intéressés par la période de gestation, la manière de vivre du mâle et la manière de s'abriter du couple, etc.
Les textes étant imprimés en caractères très petits, ils me demandent de lire avec expression, ce que j'essaie de faire. Tout le monde réagît, même Marc et Henri : ces deux enfants posent des problèmes à différents professeurs ; il s'agit de trouver avec eux une manière de procéder où chacun puisse trouver son compte. Ne sommes-nous pas là pour être un peu des techniciens de l'organisation ?
Après la présentation de l'album, réclamée par tous, c'est la récréation, puis le cours de religion ou de morale donné par des professeurs spéciaux. Puis pose de midi avec atelier d'expression libre.
L'après-midi, chacun travaille librement :
Janine et Rose-Marie : album sur les chiens Robert : album sur la R.T.B. Marc : bricolage avion ; Henri : fabrication de cadres ; Francis II : impression de sa poésie (Mon Bonheur) ; Francis 1 et Toni : jardinage ; Elisabeth et Arlette : fabrication de gaufres à vendre pour la coopé Marcel : lettre à Michel ; Marianne : mise en ordre des ateliers. Le président propose que le dernier quart d'heure soit réservé à la répartition des responsabilités pour le lendemain. Il s'agit de la visite, proposée par les enfants, chez Mme Morhay, où nous assisterons a une démonstration d'émaux sur cuivre.
L'après-midi se passe. A 3 heures, le président propose d'interrompre le travail puis de mettre en ordre les ateliers. Chaque équipe s'active, puis la réunion s'amorce.
LE PRESIDENT : Avez-vous des propositions à faire pour la visite de demain ?
ARLETTE : Je demande à Chantal si nos finances nous permettent de faire des frais. LA TRESORIERE : En caisse il nous reste 340 F. ROBERT : Je propose qu'on fasse un montage avec des diapositives. FRANCIS : Moi je m'en charge ! LA TRESORIERE (à Marianne) : Donne-lui 140 F pour le film, plus 175 pour des diapositives. TONI : A ce tarif-là il ne te restera rien pour acheter des émaux ! LA TRESORIERE : Je propose qu'on paie à la réception de la facture ; ainsi nos émaux nous auront déjà beaucoup rapporté, surtout qu'il y aura la fancy-fair. MOI : Qui est d'accord ? (10 voix pour, 2 contre). La sonnerie retentit ; on se prépare. VENDREDI
Après le bain, nous nous rendons en minibus à Sprimont pour la visite de l'atelier. Après un accueil des plus sympathiques, on se met au travail. L'artiste me demande si elle doit faire des poses toutes les 20 ou 50 minutes, afin de ne pas lasser les enfants. Mais le groupe se met à rire. Et Robert s'exclame : « Vous nous prenez pour des bébés ! Nous, quand on travaille, on travaille ! »
Chacun se montre très intéressé par la démonstration. Les questions se succèdent. Le responsable prend des dias. On n'arrête qu'après une heure et demie. On sert la collation. L'ambiance chaude d'une maison très accueillante ravit les enfants, qui sont groupés devant le feu, sans aucune présence adulte. Le service se déroule dans la joie et la liberté. Là encore, aucune intervention de ma part ; personne n'était guindé, et toutefois les lois de la correction ont été respectées, ce qui nous valut des félicitations.
Extrait de la lettre reçue le lendemain matin
Chère Madame Boland,
Nous avons conservé un très agréable souvenir de votre visite en compagnie de vos protégés. Ce fut pour nous une très agréable journée qui nous a prouvé votre merveilleux sens pédagogique. Veuillez être notre interprète auprès de vos enfants pour les remercier de leur splendide comportement et accepter de notre part nos félicitations quant à leur éducation.
Nous vous prions de bien vouloir, etc,
M. MORHAY
Ce fut une journée vraiment enrichissante ; et 3 responsables (Arlette, Chantal et Francis) s'engagèrent pour étudier l'achat de matériel pour réalisation d'émaux sur cuivre en fonction de notre clientèle.
Voilà donc une bonne semaine, et nous en comptons beaucoup de semblables. Je ne puis vous les raconter toutes, et je ne veux pas non plus affirmer que notre système de travail est parfait ; mais nous avons senti, tout au long des jours, que les enfants vivaient dans la sérénité et la joie, et qu'ils s'engageaient plus à fond dans la prise de leurs responsabilités.
Le climat démocratique de la classe montre aux enfants que je ne désire pas imposer mes vues. Ils sentent bien que je ne suis pas avec eux uniquement pour commander, et qu'il ne leur reste qu'à obéir. J'ai simplement une voix, et je l'exprime, comme aux élections.
Exemple : Nous recevons de nombreuses visites de classe. Jusque là, ces visites nous étaient annoncées par la direction sans nous demander notre avis. Maintenant je signale la visite probable aux enfants, et l'on vote. Par exemple : Visite du professeur de pédagogie et de 25 normaliennes, 8 oui, 5 non ; c'est le oui qui l'emporte. Seulement, le jour de cette visite, je signale aux visiteurs qu'ils ne seront pas accueillis à bras ouverts, et je permets aux 5 qui ne sont pas d'accord de choisir une activité hors-circuit. Ainsi rien n'est forcé.
Le groupe a été ainsi conduit à une saine sécurité qui n'exclut pas la contestation. J'admets très bien qu'un enfant fortement traumatisé puisse s'opposer à toute visite. (J'ai entendu des gars dire : « Sommes-nous des bêtes fauves qu'on vient nous voir comme au zoo ? »).
Le plan de travail ‑ qui est en somme un contrat de travail n'a plus guère de raison d'être quand les activités intéressent profondément l'enfant. Quand il a choisi une activité, il s'y consacre corps et âme.
Les responsables ont leur rôle à jouer :
- Y a-t-il encore suffisamment d'émaux à réaliser ? (Francis)
- Les feuilles diminuent ; il faudra en commander pour la prochaine revue (Arlette) : - Il n'y a plus de couleur pour la peinture (Janine). Le maître intervient suivant les individus et les circonstances, avec un profond respect pour les tempéraments de chacun.
La constitution de ma classe cette année (7 garçons, 7 filles) fait un ensemble bien plus équilibré que l'année dernière avec mes 3 filles et mes 10 garçons. Là vraiment je devais intervenir avec plus de fermeté pour que les filles ne soient pas exploitées.
Maintenant on respire à tout moment des bouquets de joie. Quand ce n'est pas Francis qui siffle en préparant ses émaux, c'est Marie-Rose qui chante en s'activant à son album, ‑ et cela aussi a son importance.
Si mon attitude a changé, si je me suis davantage effacée, je le dois en majeure partie à Yvin, qui a lancé de fameuses et excellentes idées sur l'autogestion.
Et je terminerai par la copie de lettres adressées par des stagiaires ou des étudiants universitaires.
Liège, le 2 mai 1969
Chers amis et amies,
C'est avec tristesse que je vous ai quittés aujourd'hui, de reviendrai, c'est certain, mais je ne sais pas quand exactement, J'avais les larmes aux yeux quand je suis partie cet après-midi, vous avez été tous et toutes tellement gentils, affectueux même avec moi, que c'est avec beaucoup de regrets que je vous quitte pour quelque temps.
Je dois vous dire que c'est avec plaisir, avec joie, que je suis revenue une seconde fois aujourd'hui, car je vous aime beaucoup, autant les uns que les autres, et je n'oublie pas Mme Boland. Vous faites tous et toutes du très bon travail, et je vous souhaite de continuer dans cette bonne voie. J'ai mis le poème de Toni au mur de ma chambre. Mes amis et moi-même avons mangé vos gaufres qui étaient excellentes, selon l'avis de tout le monde, Je reviendrai en manger, car je suis gourmande, comme vous le savez déjà, Et si vous voulez bien m'envoyer vos poèmes, me donner de vos nouvelles, cela me fera toujours plaisir. Je tiens également à vous remercier de votre accueil si chaleureux, de toute votre affection, de votre gentillesse, et aussi de ce que vous m'avez appris. Je m'adresse à présent à votre institutrice qui m'a reçue si aimablement, qui m'a aidée à établir mes premiers contacts avec vous, qui m'a fait connaître la pédagogie de Freinet, que je trouve formidable, Je vous remercie beaucoup, Madame Boland, et je puis vous assurer que je suis enchantée d'avoir fait votre connaissance. Je vous prie de croire en ma profonde reconnaissance, et si un jour je peux vous rendre un service quelconque, c'est avec plaisir que je le ferai. Mes chers amis et amies, je dois vous quitter ici car j'ai encore beaucoup de travail, étant donné que mes examens approchent à grands pas. J'espère que je vous reverrai très bientôt. En attendant, je vous envoie toutes mes amitiés et je vous embrasse tous et toutes. De tout cœur avec vous. FRANÇOISE
Liège, le 29 mai 1969
Chère Madame,
Je vous remercie pour votre lettre et je suis heureuse de recevoir de vos nouvelles et de vos élèves.
Je pense souvent à vous et regrette beaucoup de ne pas avoir le temps de venir vous rendre visite, les examens approchant à grands pas. En effet, je commence lundi 2 juin et je termine le jeudi 19 juin. Mais je ne pourrai pas venir vous retrouver le vendredi car je dois me rendre à Theux. Je viendrai probablement le lundi après-midi. Je ne peux venir le matin car mes stages recommencent à partir du 21 jusqu'au 30 juin. La délibération a lieu le mardi 24 juin et j'espère que tout aura bien marché. J'espère recevoir très vite des nouvelles de vos élèves, car cela me fera un très grand plaisir et me donnera aussi du courage pour mes examens, car je vous assure que par moments le moral n'est pas très bon, J'envisage malgré tout l'avenir avec plus ou moins d'optimisme, étant donné que j'avais réussi mes partiels avec distinction ; si je pouvais en faire autant à la session ! Je dois vous quitter ici car j'ai encore beaucoup de travail. Je vous envoie à vous ainsi qu'à vos élèves mon meilleur souvenir et de grosses bises. A bientôt. FRANÇOISE
CONCLUSION
Je pense pouvoir affirmer que l'expérience menée tout au long de l'année s'est révélée rentable à tous points de vue.
A la fancy-fair organisée comme chaque année par le Comité des Parents avec l'aide de la direction et du personnel enseignant, j'en ai acquis la certitude, et l'attitude de mes élèves a montré qu'ils étaient capables de travailler dans l'esprit d'une pédagogie de l'autogestion.
C'est librement qu'ils avaient invité leurs correspondants d'Ougrée, qui ont très bien répondu. Ensemble ils avaient décidé de monter un stand de vente de maïs gonflé à l'huile et enrobé de sucre. Robert avait même décidé de préparer des beignets selon une recette polonaise jamais expérimentée jusque là, tandis que d'autres s'activaient à la réalisation d'émaux sur cuivre et de céramiques.
Pierre Seykens, l'instituteur de nos correspondants, était présent avec ses deux enfants. Il discuta avec mes élèves. Il affirma s'être rendu compte des effets pratiques d'une conception résolument moderne de la pédagogie :
« Il est vraiment réconfortant de voir ces enfants discuter avec sérieux comme des adultes, se trouver à l'aise en société, faire la preuve d'une affectivité bien équilibrée. Ils osent s'exprimer et prennent des initiatives. Ils sont fiers de leur classe. Ils deviennent de véritables instituteurs pour les visiteurs.
« Ce qui m'a le plus frappé, c'est le plaisir, la joie manifestée pour la visite de leurs correspondants, et surtout leur générosité. »
Effectivement, mes élèves ont le sens des contacts humains. Spontanément ils ont fleuri l'assistante sociale venue en visiteuse. Et au départ, le président de la coopé a tenu à fixer lui-même l'événement sur la pellicule.
En classe, les enfants ne sont pas abandonnés à eux-mêmes sous prétexte de liberté ; niais cette liberté leur est rendue possible. Je veux en faire des êtres autonomes et agissants, des témoins vivants de la libération.
Le milieu est organisé pour permettre à chacun de trouver ce dont il a besoin pour mener à bien un travail qu'il a choisi.
Détail caractéristique : tous les anciens restent en contact avec la classe ou avec moi. Ma maison est comme un moulin qui voit défiler :
- un ouvrier en cordonnerie (Jules, parti l'année dernière) ;
- un militaire (Gustave, engagé cette année) ; - un élève de technique ; - un ouvrier de robinetterie ; - un ouvrier de cristallerie, etc. Les filles, moins libres de leurs mouvements, écrivent ou téléphonent.
Tous ces enfants, agressifs au départ, ou bien amorphes et lymphatiques, ont acquis un esprit d'initiative et un sens critique qui étonne les parents, les stagiaires et les visiteurs.
Je crois pouvoir affirmer que ces résultats sont dus à l'organisation de la classe par le groupe, au libre choix des activités, et, en définitive, à la prise en mains par chacun de sa propre destinée.
Une expérience si évidemment efficace sera naturellement poursuivie.
Yvette BOLAND
LE BONHEUR
Mon bonheur, pour moi
est de partir, me sentir libre, partir par un jour de soleil, flâner dans l'air. Le bonheur, pour moi aussi serait d'être un vagabond et libre dans le vent. Coucher à la belle étoile, un jour sous les ponts, un jour sur le banc. Pour moi, tout ça, c'est le bonheur. Robert CHERAIN
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5ème PARTIE * UNE EXPERIENCE EN INSTITUT MEDICO-PEDAGOGIQUE par Lucette MAGNE |
3. ROLE DE LA FORMATION DES ÉDUCATEURS
I ‑ CONDITIONS NECESSAIRESA) L'EDUCATEUR 1°. La pratique de l'autogestion exige un certain type d'éducateur Certes, nous pensons que l'éducateur idéal n'existe pas. Cependant nous croyons qu'il doit posséder ‑ ou essayer d'acquérir les « vertus coopératives » suivantes : - être généreux et disponible de façon permanente ; 2°. L'organisation en autogestion de la classe exige une nouvelle conception du rôle de l'adulte La situation de l'adulte, dans le cadre d'une telle pédagogie, est tout autre que celle de l'enseignant qui dispense son savoir. Le maître a sa place au sein de l'équipe au même titre que chacun des membres qui la composent. Il a cependant la « responsabilité officielle » du groupe, et il est de son devoir de veiller à ce que soient bien appliquées les décisions de celui-ci et que soit entrepris un travail réellement efficace. Il est toujours disponible. Dans la mesure où son rôle est bienveillant et aidant, il s'intègre parfaitement à la bonne coopération du groupe. B) LES TECHNIQUES A l'Ecole Moderne, nous pensons que l'attitude du maître ne peut, à elle seule, transformer les relations d'élève à élève et d'élèves à maître. Le climat d'une classe est lié à l'organisation du travail et à l'utilisation de nouveaux outils de travail, de techniques nouvelles qui, lorsqu'elles ne sont pas imposées, sont vivifiantes et enrichissantes pour l'individu et la collectivité. Nous citerons des techniques qui aident adulte et enfants à créer le climat d'autogestion. 1°. Les techniques d'expression libre Par le texte libre, par le dessin libre, par la parole comme par le chant, l'enfant raconte, exprime ce qu'il ressent. Il crée, il invente. Au cours de ces activités d'expression libre, pouvant être étendues à l'enquête, à la conférence, l'enfant se soustrait à la domination et à la pensée de l'adulte ; il devient, avec l'aide de ce dernier, maître de son activité, il autogère son activité. 2°. Le journal scolaire de classe ou d'établissement A travers cette activité, qui doit être gérée par les enfants, se créent les responsabilités. Le journal scolaire est un travail d'équipe qui prépare pratiquement à la coopération sociale. L'échange des journaux permet d'établir des rapports directs entre des enfants, de les familiariser avec d'autres modes de vie, et les aide à mieux comprendre les autres, par-delà les frontières, ou seulement les départements. 3°. La correspondance interscolaire Je ne redirai pas ici, après Yvin, l'intérêt de cette technique. Sur la trame de la correspondance se tisse, jour par jour, riche et authentique, le Livre de vie de la classe, du groupe ou de l'établissement. Ci-après un exemple des échanges ainsi réalisés entre la classe IMP Bourneville, Limoges (filles) et la classe de perfectionnement de Decazeville (garçons) : Envoi du 3/11/1967 de Bourneville à Decazeville - Une page : « Nous avons retenu dans vos dernières lettres… » Un exemple de ce que nous avons reçu : (le 17/11/67) - Une page : « Nous avons retenu dans vos lettres » 4°. La technique de l'enquête, l'utilisation de la T,V. scolaire Elles modifient la situation du maître en lui donnant une autre fonction que celle d'enseignant. 5°. Les bandes programmées Leur utilisation permet à l'enfant de se libérer davantage du maître. En lui permettant de se diriger lui-même, de se contrôler, l'éducateur donne à l'enfant un sentiment plus grand de sa responsabilité. 6°. Les activités physiques, le plein air contribuent également à mieux souder la communauté maître-enfants. Je ne peux donner en détail les caractéristiques de techniques qui peuvent aider ou favoriser le fonctionnement démocratique de l'institution. L'essentiel est de proposer aux enfants le plus large éventail d'activités entre lesquelles ils pourront choisir. Il faut encore signaler : - l'emploi de plans individuels, de plannings collectifs, de brevets, pour l'organisation du travail libre et le contrôle de ce travail ; Certes, l'organisation de toute communauté ne se fait pas en un jour, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants instables ou débiles, perturbés ou agressifs, ou présentant toute autre sorte de troubles. Ce n'est pas l'institution hâtive d'un bureau d'enfants, l'introduction dans la vie de la communauté de quelques techniques dites « coopératives » (conseil de classe par ex.) qui permettront le départ de cette forme nouvelle de vie. Mais c'est avec l'aide de ces techniques que s'installera un nouveau « climat de vie » et que, par la création de responsabilités nouvelles et variées, naîtra chez l'enfant cette prise de conscience de la liberté dans le travail et l'éducation. C) L'ENFANT Un système d'organisation du travail n'est démocratique que dans la mesure où activités et techniques sont renouvelées, où l'enfant a son mot à dire quant à leur utilisation. Chaque membre de la communauté doit avoir la possibilité de conserver sa liberté d'action au sein du groupe. Chacun doit pouvoir trouver sa voie dans cette vie collective : les uns s'affirment mieux dans un travail de groupe qui les valorise, les autres par un travail individuel. Chacun doit pouvoir s'épanouir selon ses goûts, ses possibilités, ses potentialités. D) LA CLASSE FREINET EN AUTOGESTION 1°. Elle ne s'accommode pas d'une méthode traditionnelle de travail basée sur le manuel, le devoir, la leçon, ou de toute méthode basée uniquement sur le travail individuel et incompatible avec toute forme de collaboration communautaire. 2°. Elle ne se confond pas avec le laisser-aller. S'il n'y a pas une organisation rationnelle des activités de la communauté, on tombe inévitablement dans le désordre, la nervosité, et donc l'inefficacité. « Si vous êtes seul à rouler sur une route privée, vous n'avez pas besoin de règlement, et vous trouveriez ridicule le fait d'appliquer ici le code de la route sous prétexte que ce code existe ailleurs. Mais dès que la circulation deviendra un peu plus complexe, alors oui le règlement s'imposera » (Dossier pédagogique I.C.E.M. 34-35). Aussi, progressivement : - des règles de vie sont élaborées en commun, donc senties et approuvées, et respectées par tous. En effet, le matériel collectif appartient à tous. Il permet un travail d'équipe. Cela suppose une entente, une organisation, un règlement ; « Le propre des enfants difficiles ou retardés c'est qu'ils ne veulent pas, ou ne peuvent pas obéir, La sanction peut, dans certains cas, avec des élèves normaux, produire un effet, ne serait-ce que passager. Avec des enfants difficiles, toute punition manque totalement son but et ne fait qu'aggraver le mal, Ces enfants sont rebelles au dressage. » (C. Freinet) 3°. Elle s'oppose à toute forme bureaucratique d'organisation. Il faut laisser les enfants s'essayer à cette forme nouvelle de vie par tentatives et tâtonnements. L'organisation ne peut être le fait d'un bureau plus ou moins autoritaire, plus ou moins actif, se substituant parfois à l'autorité ancienne du maître, elle est l’œuvre de tous. Elle ne peut admettre le « caporalisme » dans la technique des responsabilités. Pour cela, il faut multiplier les postes de manière que chacun ait les deux possibilités : commander et obéir. 4°. L'autogestion en établissement suppose une unité de vues, des aspirations communes. En effet, les enfants ressentent inévitablement toutes les failles dans les relations entre adultes qui vivent avec eux. Il faut un lien entre les adultes d'une communauté, pour que soit fort l'esprit de coopération ; et ce lien ne peut être qu'une volonté commune d'aboutir à une éducation totale des enfants, et ceci dans la perspective de la formation civique, intellectuelle, morale, psychologique, sociale, économique, démocratique de l'homme de demain, associé aux décisions à prendre quelles qu'elles puissent être. A) PRESENTATION DE L'EXPERIENCE Il s'agit ici d'une expérience tentée en I.M.P. pour enfants déficients intellectuels et présentant des troubles associés. Nous relaterons les étapes successives de cette tentative et nous donnerons quelques exemples pratiques des structures et de la vie coopérative. L'expérience porte ici sur 6 années. 1°. Première et deuxième année Constitution d'une coopérative de classe (grandes filles). Pas de cotisations ‑ pas de bureau constitué ‑ pas de statuts. Mais achat de matériel permettant la réalisation d'un journal (imprimerie + limographe). Utilisation des fichiers autocorrectifs. Demande de correspondants. BILAN de jolies réalisations ; 2°. Troisième année Choix de responsables dès le début de l'année dans cette même classe. Une autre classe de moyens coopère. Des échanges se font de la classe des grandes à celle des moyens. Les grandes initient les moyens au travail d'enquête, à la peinture, à la confection d'albums, au travail d'imprimerie. Deux pages du journal des grandes sont consacrées aux textes des moyens. Les jeux, les sorties communes, les comptes rendus collectifs se multiplient entre ces classes. En correspondance, on commence les échanges de bandes magnétiques. Le directeur de l'Etablissement s'intéresse à l'aspect coopératif et aux réalisations des enfants. On tente de créer une Coopérative d'Etablissement ; mais elle restera trop formelle. Les réunions de responsables sont encore trop artificielles. 3°. Quatrième année La classe des grandes filles échange ses travaux avec celle des grands garçons ils sont conquis, ainsi que leur maîtresse, à notre forme de travail ils achètent des Bibliothèque de Travail, ils font un journal, avec nous ils viennent visiter une laiterie. Ils réalisent un album, et nous de même ; ces albums sont envoyés à un concours de l'O.C.C.E. et gagnent un prix. Dans la maison, adultes et enfants considèrent cette activité très constructive et intéressante dans ces classes de grands. Les moyens continuent à nous suivre et font seuls leur journal. Une classe de petits, au 3e trimestre, démarre le texte libre, le dessin libre. Les réunions de maîtres ou d'enfants au niveau de la Maison sont un peu moins rigides, mais encore peu satisfaisantes. Un travail intéressant est entrepris au niveau de l'internat. Les grandes filles ont la possibilité, avec leurs éducatrices, de faire le marché en dehors des heures de classe, pour l'enseignement ménager. La fête scolaire de Noël est préparée au niveau du groupe avec les enfants, les éducatrices, la maîtresse. On invite les éducatrices à déguster les plats préparés en enseignement ménager. Les enfants peuvent continuer en internat ou en classe un travail commencé (correspondance, peinture, imprimerie). On a confiance. 4°. Cinquième année 1) Au niveau de la classe : Un conseil de classe ‑ un statut des responsables élues ‑une organisation plus structurée (réunions plus nombreuses) ‑ tout ce travail est coopérativement organisé. 2) Au niveau de l'Etablissement - 4 journaux édités ; 5°. Sixième année - 5 journaux édités B) A PROPOS DU JOURNAL DE COOPERARIVE Il circule dans la classe et est à la disposition de tous ; il remplace le journal murai qu'on trouve dans certaines classes. Il a pour but de préparer de façon permanente les réunions du conseil de coopérative (qui seront alimentées de cette manière). Il permet une fois de plus aux enfants de s'exprimer en toute liberté. Il reflète tous les aspects de la vie de la petite communauté, dont il faut discuter ensemble. Voici ce qu'en pensait Freinet : « Nous, adultes, quand nous affrontons une discussion, nous avons le soin de rédiger au préalable, sur un aide-mémoire, les points a discuter. COMPTE RENDU D'UNE REUNION DU CONSEIL DE COOPERATIVE D'UNE CLASSE Conseil du 27 avril 1968. Présidente : Paulette, 14 ans, groupe des grandes, Q.I. 80 (B.S.) 1°. La présidente ouvre la séance.
Une telle institution coopérative permet : - d'établir des contacts directs et libres entre tous les membres de la communauté ; A ce sujet, je préfère parler de co-gestion non-directive, et j'en donne la définition suivante : La co-gestion non-directive en pédagogie institutionnelle, permet d'enthousiasmer enfants et adultes vivant dans un même établissement, pour des activités correspondant à leurs besoins et visant à la formation et à l'évolution de l'être humain tout entier, et par là-même de la société de demain. Cette co-gestion non-directive ne peut se ramener à l'utilisation de quelques techniques libératrices, ni à quelques formules de vie nées des conseils de coopérative ; mais elle doit s'exercer à tous moments de la vie dans l'établissement, à tous les niveaux et dans chaque activité. 3 ‑ ROLE DE LA FORMATION DES EDUCATEURS La formation des éducateurs doit jouer un rôle essentiel pour la pratique d'une pédagogie de l'autogestion. J'estime qu'elle doit répondre aux critères ci-après : 1°. Une pédagogie de l'autogestion ne s'enseigne pas, elle se vit Il est essentiel que les éducateurs, stagiaires ou élèves-maîtres puissent vivre des expériences d'autogestion par un travail effectif dans les classes ; qu'ils puissent vivre l'esprit de cette pédagogie dans les stages de formation : - où l'on développera l'habitude et le goût du travail en commun et de la discussion ; 2°. Former la personnalité des éducateurs Plutôt que de faire acquérir aux futurs éducateurs une somme de connaissances livresques, scolaires ou autres, il convient de mettre l'accent sur la formation de la personnalité de l'éducateur. L'éducateur doit être formé à l'animation et à l'organisation. Dès l'école normale, les enseignants seront entraînés à des travaux d'équipe, à des techniques de groupe. Une place importante sera faite à la dynamique de groupe. 3°. Donner aux éducateurs une large information Il est nécessaire que l'éducateur ait une bonne connaissance de la psychologie des enfants et des adolescents, et du développement intellectuel et effectif de leur personnalité. Toute formation doit permettre à l'éducateur de maîtriser les techniques pédagogiques : techniques d'expression libre, techniques audio‑visuelles, éducation artistique, travaux manuels, expression corporelle, etc. 4°. Nécessité d'une formation permanente C'est tout au long de leur carrière que les éducateurs doivent avoir la possibilité de s'informer et de se former. Il faudra que soient organisés de façon régulière des stages, des rencontres où enseignants, psychologues, inspecteurs pourront confronter les expériences, les recherches, et les discuter. Des stages de perfectionnement devront permettre aux enseignants de s'informer des nouvelles techniques pédagogiques. Ces stages ne seront pas seulement limités à l'enseignement, mais pourront se dérouler en usine, à la campagne, dans les hôpitaux, etc., pour permettre une meilleure connaissance de la vie réelle. Cette formation permanente pourra être organisée au sein même des établissements, le directeur pouvant en être l'animateur pédagogique. 5°. Importance du choix personnel et de la philosophie de l'éducateur Au sein d'un même établissement, il est nécessaire d'accorder les points de vue sur les perspectives d'éducation des adultes. Je ne reviendrai pas sur les options philosophiques, déjà exprimées par P.Yvin, touchant à l'individu, aux rapports humains, à la société. On conçoit aisément que l'adhésion volontaire des éducateurs est la condition première de la pratique de l'autogestion. Cet effort de renouvellement et de perfectionnement des enseignants ne pourra se réaliser que si on leur en offre les moyens : stages compris dans les horaires de travail, facilités matérielles.... et que, parallèlement, les conditions de travail soient améliorées (effectifs, locaux, horaires, programmes). C'est à ce prix seulement que pourra s'amorcer une véritable réforme de l'enseignement. Cependant, différents groupements d'éducateurs travaillent déjà en vue de la rénovation et de la modernisation pédagogique. Parmi ceux-ci, l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne constitue un vaste chantier de confrontation et de création, par ses groupes départementaux et ses commissions. Il offre à chaque éducateur l'occasion de contribuer à élaborer et à approfondir des outils et des documents. Par les nombreux stages qu'il organise, dont certains désormais en période scolaire, en collaboration avec d'autres organismes (S.N.I.., C.R.A.P., O.C.C.E.) avec des pédagogues (professeurs, inspecteurs), il apporte sa part dans le recyclage des éducateurs et prépare une sorte d'Université pédagogique permanente. Lucette MAGNE |
CONCLUSIONS PROVISOIRES
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UNE PÉDAGOGIE CENTRÉE SUR L'ENFANTLes expériences présentées dans ce document ne doivent pas être considérées comme des modèles. Malgré la part toujours plus grande qui revient à l'enfant dans les classes Freinet, malgré l'éventail toujours plus large des outils et des techniques libératrices, la personnalité de l'éducateur reste un facteur déterminant. Michel Plee, directeur pédagogique du Centre régional de formation des maîtres spécialisés de Nantes, écrit, dans un numéro de la revue LES CAHIERS PEDAGOGIQUES, consacré à la relation maître-élèves, à propos de la classe de P. Yvin : « D'abord, la personnalité même de Pierre, que j'ai vu également au milieu de ses élèves, l'incline (presque par nature, si l'expression a encore un sens) à une attitude non-directive, c'est-à-dire, au sens rogérien, à une altitude de centration authentique sur les enfants. Toutefois, nonobstant la personnalité de Pierre, il faut préciser que la pédagogie qui permet aux enfants de créer les institutions internes de leur classe, n'est pas fondée sur une attitude non-directive. » Certes, l'évolution de la vie et du travail dans un groupe qui s'autogère est différente d'un milieu à l'autre. La personnalité, le tonus d'une collectivité varient d'une classe à l'autre, et dans une même classe ne sont pas les mêmes d'une année à l'autre. Cependant il convient de noter que, dans les expériences décrites dans ce document, sensiblement différentes les unes des autres, il y a bien centration du maître sur les enfants. Au niveau de chaque activité, au niveau de l'organisation, le maître apporte sa part, mais seulement la sienne, la part totale étant celle de tous les individus composant la collectivité. Au niveau de toutes les activités choisies par le groupe, le maître donne son avis au titre de membre de l'équipe, mais « il ne se mêle pas de modeler les esprits, de les plier à sa fantaisie, pour les conduire il ne sait où d'ailleurs » (FREINET : Education du Travail). Cette pédagogie, fondée sur une attitude semi-directive du maître, se caractérise essentiellement par l'autogestion des activités scolaires. Enfin, les relations maître-élèves, loin d'induire des phénomènes de dépendance réciproque, facilitent d'authentiques relations d'élève à élève et l'accession de chacun à son autonomie, à son humanité. L'éducation doit permettre à l'enfant d'acquérir une indépendance qui en quelque sorte le fortifiera et l'aidera à affronter des situations nouvelles. Un système d'autogestion favorisera l'intégration de l'adolescent dans la société moderne, où prévalent plus que jamais l'esprit d'initiative et de responsabilité. L'autogestion à l'école est la pédagogie de notre temps. Elle seule est apte à amener les enfants et les adolescents ‑ adultes en devenir ‑ à construire la société socialiste de demain, où chacun trouvera SA place. * L'AUTOGESTION A L'ÉCOLE : UNE UTOPIE ? Les expériences d'autogestion décrites dans ce document ont été réalisées dans l'enseignement spécial. Ce n'est certes pas un hasard. Dans les classes de perfectionnement où l'effectif est réduit (15 élèves), on autorise, et même on préconise une pédagogie rénovée ; on accorde aux maîtres une confiance et une grande liberté dans les programmes et dans les horaires. La nature des élèves, déficients intellectuels, leur interdisant d'aborder certaines valeurs, libère les maîtres d'un souci exclusif des connaissances. De telles conditions sont favorables à l'expérimentation pédagogique. De même, des expériences se réalisent dans les classes de transition, qui bénéficient de certains avantages des classes de perfectionnement. C'est aussi au niveau de l'école maternelle que se pratique une pédagogie de liberté « sans heures de classe régulières, réglementaires, comme dans toutes les écoles et à l'armée » (LA PART DU MAITRE : 8 Jours de classe, par Elise Freinet, BEM 41). C'est un système d'éducation qui tient compte des besoins et des intérêts de l'enfant et du groupe, où l'enfant se prend en charge tel qu'il est, à son niveau et à son rythme, avec l'aide du groupe maître-élèves, De même à l'école de campagne, souvent classe unique, l'éducateur n'a pas le souci des paliers d'âge, tel celui de l'âge de la lecture (6 ans). Ayant les enfants pendant plusieurs années, il peut se libérer davantage des programmes et laisser chaque enfant suivre son rythme. De plus, il s'intègre à la vie du village. Il se crée, entre les familles et lui, un style de relations plus humain, plus authentique que celui qui existe entre l'instituteur de ville et les parents, ainsi que les élèves. L'école de campagne est l'école idéale pour une pédagogie de relations permettant aux enfants et au maître de vivre pleinement, et constituant un élément essentiel d'efficacité dans l'enseignement. * Une pédagogie de l'autogestion destinée à rendre les élèves maîtres de leurs initiatives et de leurs décisions pour tout ce qui concerne les activités et les modes d'organisation de vie et de travail, n'est-elle donc qu'un rêve pour les classes dites normales du primaire, du secondaire et du supérieur ? Certes, de nombreux obstacles constituent un frein sérieux à l'application de l'autogestion dans certaines classes : ‑ les effectifs chargés ‑ les examens ‑ les programmes ‑ les structures de l'enseignement (secondaire notamment) ‑ l'opposition de certains Administrateurs (au secondaire) ‑ l'incompréhension de certains parents, par manque d'information. Nous ne pensons pas qu'il suffise de critiquer, comme le font certains, la lourdeur des programmes officiels, du moins à l'école primaire, où ils sont en général sans prétention. Une transformation souhaitable serait la suppression des paliers d'âge, tels que : ‑ 6 ans, âge de la lecture. Même si les 3/4 des enfants sont murs a six ans pour la lecture, il reste qu'il y en a 25 % qui ne le sont pas ; et c'est justement là le pourcentage d'échecs au Cours Préparatoire en général. Méconnaître la psychologie de l'enfant, ignorer ses réels intérêts, c'est passer à côté de toute éducation. La grande majorité des maîtres de C.P. est actuellement conditionnée par l'idée que « le Cours Préparatoire est fait pour apprendre à lire aux enfants » (Instructions officielles de 1923). ‑ Autre palier : 11 ans, âge d'entrée en 6e : même conditionnement des maîtres et des enfants. ‑ Puis au lycée : à tel âge, tel examen. Notre conviction est que les enseignants inventent trop souvent des limites à la liberté du maître et des élèves ; car ils ont beaucoup de mal à dépouiller complètement le vieil homme, à se déconditionner de l'habitude du déroulement folklorique d'une journée de classe (morale, écriture, lecture, calcul...) et de la progression rigide des acquisitions (répartitions mensuelles...), de tout ce qui les a marqués pendant leur propre scolarité, et qui est hélas encore trop souvent monté en épingle dans les Ecoles normales. Ce qui leur manque, c'est la confiance en l'enfant, l'idée qu'il soit capable d'organiser à son rythme sa vie et son travail à l'école. Ils ne sont pas assez convaincus que la classe est tout autant l'affaire des enfants que la leur. Certains se retranchent derrière le manque de crédits ou l'insuffisance du nombre de professeurs, comme si les crédits et les professeurs supplémentaires (que nous réclamons nous aussi) pouvaient lever les obstacles inhérents à la personne même de l'éducateur et à sa formation. D'autres préfèrent attendre le « grand soir » qui verra naître la Société nouvelle à laquelle nous aspirons nous aussi. Comme si cette Société ne pouvait se préparer déjà à l'école, par la pratique d'une pédagogie visant à former des esprits plus libres, plus critiques, plus indépendants, et des êtres plus autonomes ! * Ah ! si l'on considère la pesanteur des institutions et des mœurs, alors l'autogestion à l'école paraît une utopie Certes, cette entreprise est une chose difficile, très difficile ; et, dans les conditions actuelles de l'enseignement, nous n'arriverons pas à la mener, à tous les niveaux, d'une façon parfaite. Mais, « en visant à des choses impossibles, on obtient à la longue des choses possibles auxquelles on n'eût jamais atteint autrement ». (Sainte-Beuve) Cependant, la démarche de l'éducateur pratiquant une pédagogie de l'autogestion ‑ et qui est celle du tâtonnement expérimental de Freinet ‑ peut inspirer les maîtres des classes normales. Dans un climat d'amitié et de coopération, le maître peut, lorsque se trouve levé le masque de son statut, proposer des activités du programme ; et l'enfant, par référence à un planning de connaissances, peut demander du travail purement scolaire. Nous ne saurions concevoir une attitude non-directive du maître, qui doit faire renaître dans l'élève ce besoin de connaître, d’œuvrer et de « monter selon la loi de la vie » (C. FREINET : Education du travail). Nous ne cachons pas que de telles expériences, surtout quand elles sont poussées jusqu'à la liberté d'apprendre, exigent suffisamment d'audace et d'assurance de la part de l'éducateur. Elles peuvent comporter des risques, si l'éducateur lui-même ne procède pas d'abord progressivement à un rythme qui sera fonction de ses propres possibilités techniques. Il est important que le maître possède bien l'esprit d'une technique ou d'une activité qu'il propose ; sinon, il ne présentera aux élèves qu'un ersatz de travail vivant. Et il aura vite fait de rejeter l'échec d'une activité sur leur manque d'intérêt, alors que c'est lui qui en porte la responsabilité. Nous pensons que notre document pourra néanmoins aider les éducateurs qui veulent se lancer plus hardiment vers une pédagogie de liberté indispensable à une éducation véritablement démocratique. * L'ÉCOLE DE DEMAIN VERS UNE ÉCOLE LAIQUE POPULAIRE, MODERNE ET LIBÉRATRICE LES ETUDIANTS, - las de l'autorité des adultes qui voulaient les garder en tutelle Leur mouvement révolutionnaire a introduit la démocratie directe à la base et instauré une discussion permanente sur les objectifs du combat engagé. Il a porté au premier plan les revendications fondamentales de tout homme libre : - le droit aux libertés d'expression, d'information, d'organisation, de discussion, de libre formation ; (1) Les Comités d'action, page 238, in revue PARTISANS, mai-juin 1968 : Ouvriers, étudiants, un seul combat ! Mais ils se sont très rapidement aperçus que les changements profonds et capitaux de l'Université ne pourraient avoir lieu que dans une société nouvelle, une société où chaque homme pourrait avoir prise sur son destin, en participant activement à la gestion de son travail et de sa vie. Car rien ne peut, en effet, être définitivement transformé, tant que la société reste gérée par une minorité détentrice des moyens de production et soucieuse avant tout de perpétuer ses privilèges de classe en maintenant le peuple en état d'assujettissement. « Les gouvernements des grands Etats ont entre les mains deux moyens pour tenir le peuple en dépendance, pour se faire craindre et obéir : un moyen plus grossier, l'armée ; un moyen plus subtil, l'école » (NIETSCHE: Opinions et sentences mêlées). « L'Etat moderne façonne (il est contraint de le faire, ne fût-ce parfois que par un réflexe d'auto-défense) l'idéologie et la moralité sociale du peuple. C'est pourquoi, sous des formes atténuées ou accusées, il contrôle l'Education Nationale, l'information, voire la propagande » (M. PAPON: L’Ère des Responsables). Toute contestation de l'Université doit donc déboucher obligatoirement sur une contestation de la société et de l'Etat. Ce fut, en mai 1968, l'aboutissement inéluctable des luttes étudiantes. Il n'est pas étonnant que les jeunes travailleurs, non aliénés encore à une société de consommation fondée sur le profit et l'exploitation de la masse laborieuse, adhérèrent profondément à ce vaste mouvement. Les travailleurs dynamisés par cette combativité, ayant pris conscience de la nécessité impérieuse de créer une société nouvelle et de leur possibilité de vaincre, lancèrent alors spontanément une grève générale illimitée d'une ampleur sans précédent. Revendicative et politique à la fois, elle tendit rapidement à devenir gestionnaire, et le terme AUTOGESTION lancé par les étudiants devint familier à tous. Chacun n'avait pas encore pleinement conscience de toutes les implications d'un système autogéré, mais il ressentait cependant le besoin profond de pouvoir être le maître de son travail et de sa vie, dans une société de justice sociale, de liberté et de responsabilité. En fonction de la relation dialectique entre la Société et l'Ecole, il était logique qu'une critique profonde de l'Ecole se fasse, tant chez les enseignants que chez les ouvriers et les agriculteurs. Une question se posait à tous : L'Ecole actuelle est-elle compatible avec la revendication d'une société de justice sociale, de liberté et de responsabilité ? Bien avant les événements de mai, les syndicats enseignants, les syndicats ouvriers et les syndicats agriculteurs avaient dénoncé l'école comme une entreprise de mise en condition, au service d'une société fondée sur le profit. Chacun savait que l'expression « démocratisation de l'enseignement » dont se parait chaque nouvelle réforme, n'était qu'un leurre, et que les enfants d'ouvriers et de paysans avaient toujours aussi peu de chances d'accéder à la faculté. Dans une remarquable étude sur l'enseignement, le Centre Départemental des Jeunes Agriculteurs (C.D.J.A.) de Loire-Atlantique écrivait notamment : « Les «bonnes études » sont-elles réservées aux « bonnes familles » ? Ce qui est certain, c'est qu'à l'école les enfants n'ont pas les mêmes chances de réussir, selon la classe sociale qui les a vus naître, et les différences se manifestent dès le primaire. Une enquête de l'institut National d'Etudes Démographiques démontre que, parmi les élèves que l'on peut classer comme « médiocres » ou « mauvais » à la fin du Cours moyen 2e année, il y en a 30 % chez les enfants de salariés agricoles, 29,6 % chez les enfants d'ouvriers, 23,5 % chez les enfants d'agriculteurs, mais seulement 9,9 % pour les cadres supérieurs. « Quelles sont donc les raisons de cet état de chose ? « «Rien n'autorise à conclure que les enfants de condition supérieure soient nécessairement plus doués intellectuellement que les enfants d'ouvriers. Il faut donc chercher d'autres explications, et parmi celles-ci, l'ambiance familiale, l'éducation reçue dans les familles, qui prépare et soutient (ou ne soutient pas) le jeune dans sa scolarité, les conversations familiales, les livres, les jouets reçus depuis l'enfance, le niveau culturel des parents, sont des éléments importants dans la réussite ou l'échec du jeune. « Par ailleurs, l'organisation actuelle de l'enseignement n'est pas faite pour compenser les handicaps des enfants d'agriculteurs... Les méthodes d'enseignement font le plus souvent appel à la mémoire et aux notions abstraites sans relation avec la vie des enfants... » Les pédagogues modernes ‑ et Freinet en particulier ‑ avaient déjà dénoncé depuis de nombreuses années un enseignement inadapté aux enfants du peuple et complètement détaché de leur vie. Mais leur action n'avait pas encore réussi à influencer la grande masse des enseignants, qui demeuraient prisonniers de pratiques pédagogiques traditionnelles dénoncées par tous, et cependant toujours fidèlement transmises par les Ecoles Normales. La contestation estudiantine, l'engagement profond de nombreux enseignants dans le mouvement de mai et la communication rétablie avec les ouvriers et les paysans, ouvrirent la voie à une brutale remise en cause de l'organisation de l'enseignement qui perpétuait l'injustice sociale, et des méthodes pédagogiques incompatibles avec les aspirations à la liberté d'expression et à l'autogestion exprimées par les étudiants, les lycéens et les collégiens. Tous les travailleurs exigeaient l'abrogation de la réforme Foucher, élaborée pour les besoins en main-d’œuvre de l'économie capitaliste moderne : 30 % de manœuvres et d'ouvriers spécialisés fournis par les classes pratiques ; Chef-d’œuvre de la ségrégation sociale, le plan Foucher était l'objet d'une unanime réprobation, et les commissions élèves-enseignants-travailleurs oeuvraient avec enthousiasme à la mise sur pied d'un projet fondé sur les principes du plan Langevin-Wallon. L'école nouvelle apparaissait à l'horizon de nos espoirs... QUE SERA CETTE ECOLE ? - car elle seule peut permettre à tous les enfants de se rencontrer, de se connaître, de s'apprécier, de se comprendre ; « L'enfant doit être protégé contre les pratiques qui peuvent pousser à la discrimination raciale, à la discrimination religieuse et à toute autre forme de discrimination. » L'Ecole Unique ne pourra être étatique, mais elle sera une Ecole Nationale, gérée par les élèves, les éducateurs, les parents, les représentants de l'administration et par les syndicats des travailleurs. Elle apportera une solution définitive à l'opposition école pratique-école privée, si préjudiciable aux enfants des campagnes. Ecole de tous, elle ne pourra être qu'une ECOLE LAIQUE. Car la laïcité seule peut garantir la liberté pour chaque enfant de se déterminer lui-même, et assurer le respect de la démarche religieuse des consciences. Mais la laïcité ne se définit pas seulement par la neutralité religieuse, car elle est aussi synonyme de progrès humain. Etre laïque, c'est lutter contre toutes les forces économiques, sociales, politiques, philosophiques, religieuses, adversaires du progrès et de la liberté ; c'est choisir des valeurs humanistes : paix, justice sociale, liberté d'expression, solidarité humaine. L'éducateur laïque est en plein accord avec la Charte des Educateurs adoptée à Moscou par des représentants des grandes organisations internationales en 1955, qui dit dans son art. 1er : « Les devoirs essentiels des éducateurs sont le respect de la personne humaine chez l'enfant, la recherche et le développement de ses aptitudes, le souci d'éduquer en instruisant, le dessein permanent de former la moralité de l'homme et du citoyen futurs et d'éduquer l'enfant dans un esprit de démocratie, de paix et d'amitié entre les peuples ». La laïcité suppose aussi l'égalité et la justice entre les hommes c'est pourquoi l'école unique laïque sera une ECOLE DE JUSTICE SOCIALE, « Tous les enfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte. Ils ne doivent trouver d'autres limitations que celles de leurs aptitudes » (Projet de réforme Langevin‑-Wallon). L'Etat devra assumer entièrement la charge financière de la scolarité des enfants, de la maternelle à la faculté, et permettre à toutes les familles de créer un milieu affectif, moral, intellectuel et vital, qui soit totalement épanouissant. L'Ecole Nouvelle, école du travail créateur, donnera une égale valeur aux activités manuelles et aux activités intellectuelles ; ainsi chaque enfant, quelles que soient ses possibilités, pourra trouver une voie pour se réaliser et réussir. D'ailleurs, dans la société socialiste disparaîtra le préjugé antique d'une hiérarchie entre les tâches et les travailleurs : chacun sera un homme libre et un travailleur responsable. Seule, une ECOLE DEMOCRATIQUE peut assurer la formation d'un tel homme. Cette formation doit être basée sur l'AUTOGESTION qui, en germe à l'école primaire, pratiquée au lycée et surtout à l'Université, permettra un véritable changement dans la mentalité des individus. Il est essentiel déjà que les enfants : - prennent le maximum de responsabilités Dès l'école primaire les enfants doivent être maîtres de leurs initiatives et décider de leurs conditions de travail et de vie. Ainsi l'éducation sera épanouissement et élévation, et non accumulation de connaissances, dressage ou mise en condition. Opposé à tout endoctrinement, l'éducateur se refusera à plier l'esprit de l'élève à un dogme infaillible et préétabli quel qu'il soit. Mais il s'appliquera à faire de ses élèves des adultes conscients et responsables, qui bâtiront un monde d'où seront proscrits la guerre, le racisme et toutes les formes de discrimination et d'exploitation de l'homme. L'école laïque, démocratique et ouverte à la vie, sera aussi une ECOLE DE LA TOTALITE HUMAINE. Par ses techniques éducatives modernes, elle permettra aux enfants de se former sur tous les plans : intellectuel, manuel, physique, esthétique, moral et civique. Une reconversion des structures, des techniques, des outils, des programmes, une reconsidération des examens, seront fondées sur une telle perspective. Certes, la réalité d'aujourd'hui est encore éloignée de cette école nouvelle prolétarienne. Déjà cependant de nombreux enseignants formés à une pratique pédagogique traditionnelle fondée sur une relation autoritaire maître-élèves, sont parvenus à ouvrir leur classe à l'auto-discipline, puis à la cogestion et à l'autogestion. La plupart sont regroupés au sein de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne, fondé il y a plus de 20 ans par Freinet et ouvert à tous les éducateurs désireux d’œuvrer coopérativement à la construction d'une école laïque populaire, moderne et libératrice. Pour cette vaste entreprise révolutionnaire, les éducateurs de l'Ecole Moderne, là où ils se trouvent, se sont mobilisés, car leur expérience et leurs classes sont deux éléments majeurs de la victoire des enseignants qui ont commencé leur remise en cause pendant les journées exaltantes de mai 1968. Depuis l'école du village jusque dans les campus de l'Université, les enseignants sont condamnés à devenir ensemble les inventeurs de l'avenir. L'homme n'est pas seulement celui de notre passé ; il est en avant de nous, et nous n'avancerons qu'en le cherchant avec le désir ardent de le faire. Ceux qui sont enlisés dans les sécurités du passé ne sont pas des têtes chercheuses d'humanité nouvelle. Plus nombreux seront les enseignants à établir l'autogestion dans leurs classes, mieux ils prépareront l'école nouvelle libérée. Demain, l'autogestion à l'école sera le système d'éducation du Peuple au Pouvoir. Déjà dans nos classes en autogestion se préfigure la société socialiste et libre de demain. Si nos buts ne sont pas encore atteints, nous sommes sur la bonne voie. Que se joignent à nous ces hommes dont parle J. Rostand, « ces hommes qui ont dans l'âme ce grain de folie nécessaire pour secouer les sages inerties ». P. YVIN ‑ J. LE GAL |