Les Techniques Freinet dans l’enseignement d’enfants aveugles et amblyopes, à Lisbonne

Décembre 1960

Travaillant dans un Centre de récupération d’enfants aveugles et amblyopes, à Lisbonne, nous sommes en train de mettre en pratique les Techniques Freinet.

L’une de nous a été à Vence, aux Journées internationales et au Stage de Saint-Larry.

Nous travaillons avec :

Une classe pour les première et 3e classes de l’instruction primaire, avec 8 élèves aveugles ;

Une classe pour les 2e et 4e classes de l’instruction primaire, avec 5 élèves aveugles ; Une classe pour le premier cycle (deux années) de l’enseignement secondaire, avec 5 élèves (aveugles et amblyopes) ;

Une classe unique pour amblyopes (les quatre années de l’instruction primaire), avec 7 élèves ;

Une classe maternelle pour amblyopes et aveugles, avec 4 élèves.

A la classe maternelle, on pratique le dessin et la peinture libres, mais l’institutrice n’a pas encore pris directement contact avec les Techniques de l’Ecole Moderne, bien que ce soit elle qui ait introduit chez nous le mouvement des activités artistiques libres (peinture, dessin, modelage, gravure, etc.).

Pour ce qui se rapporte aux autres classes, à la rentrée d’octobre (les classes ouvrent chez nous le 7), nous avons tout de suite mis en pratique le journal mural et, le premier samedi, on a réuni tous les enfants en assemblée générale, pour procéder à l’organisation du conseil de coopérative. Le président, le secrétaire et le trésorier ont été élus.

Depuis, on se réunit tous les samedis, le matin, de 11 heures à 12 heures. On lit le journal mural, on le discute et le critique. D’abord, ça a été quelque peu difficile, les enfants n’étant pas habitués à se juger eux-mêmes. Ayant dans notre Centre quatre classes (excepté la maternelle) mais un nombre réduit d’élèves, j’ai cru utile que le conseil coopératif englobe tous les élèves et que le journal mural soit commun aux quatre classes. Il y a ainsi collaboration et aide entre les voyants (amblyopes) et les aveugles et entre les plus âgés et les plus jeunes de nos élèves.

A mon grand étonnement, je me suis aperçue, à la fin de quatre ou cinq réunions, que les élèves moins âgés (de 8 à 12 ans) prenaient plus rapidement conscience de ce que l’on attendait d’eux et parlaient bien plus librement que les élèves du secondaire (quatre filles et un garçon, de 14 à 16 ans), qui se sont presque brouillés à cause de critiques inscrites au journal mural, m’obligeant à intervenir. Je crois que les aînés sont trop viciés par des méthodes d’autorité et que, chez eux, la prise de conscience va demander plus longtemps.

Au cours des réunions du conseil de coopérative, les décisions suivantes ont été prises :

— Cotisation de tous les élèves ;

— Exécution de billets-cartes pour Noël, en linogravure, pour être vendues ;

— Exécution d’une crèche en céramique, pour la fête de Noël ;

— Préparation d’une fête pour Noël, avec théâtre, chansons, musique, récitations, etc. ;

— Visite à une école de voyants et établissement d’une correspondance régulière avec elle (avec textes manuscrits et dactylographiés, étant donné que l’imprimerie que nous avons commandée à Cannes ne nous a pas encore été remise par la douane) ;

— Réalisation de trois visites à la demande des élèves : au port, à un bois, à l’aquarium (les aveugles ont visité la section de poissons embaumés) ;

— Exposé par un élève aveugle du procédé de préparation de petits poissons pour conservation, afin de pouvoir figurer dans le musée scolaire.

En plus, nous avons pratiqué le texte libre et avons continué à cultiver le dessin, la peinture, la linogravure et la céramique, avec les amblyopes et avec les aveugles. Nous avons aussi organisé des cahiers d’observation où les élèves enregistrent actuellement les observations se rapportant à la croissance de haricots qu’ils ont semé eux-mêmes dans des vases existant dans la classe (nous n’avons pas de jardin).

Cependant, il y a bien des difficultés à surmonter, les unes provenant surtout du fait que notre Centre est la seule école au Portugal où l’on essaye la pratique des Techniques Freinet, les autres provenant des problèmes que pose l’insuffisance visuelle de nos élèves.

Pour ce qui se rapporte au premier groupe, on pourra ordonner comme suit les difficultés :

— Manque de documentation (même les ouvrages et documents qui pourraient figurer dans notre fichier auraient besoin d’être imprimés en gros pour les amblyopes et en Braille pour les aveugles) ;

— Nécessité d’organiser un fichier scolaire coopératif en gros et en Braille ;

— Nécessité de traduire et d’adapter les bulletins de votre Bibliothèque de Travail et de produire des numéros sur le Portugal et les Portugais (histoire, géographie, coutumes, etc.) ;

— Manque de matériel (boîtes de travail, etc.) par manque de moyens économiques suffisants ; éventuellement, nécessité d’adapter ce matériel aux aveugles ;

— Manque de terrain pour cultures et élevages (nous travaillons dans un troisième étage).

Tout ce gros travail ne pourra pas être mené à bien par nous seules, il faut absolument intéresser aux techniques de l’Ecole Moderne d’autres professeurs, spécialistes de l’éducation et parents d’élèves, pour qu’ils s’organisent et travaillent coopérativement. A ce sujet, j’aimerais bien me mettre en rapport avec des camarades qui ont réalisé de semblables expériences hors de France.

Le manque de documentation nous empêche de pouvoir organiser dûment un plan de travail et de faire fonctionner comme il faut le travail libre dans le domaine des sciences, de l’histoire, de la,- géographie. Pour ce qui se rapporte au calcul, nous avons déjà fait venir les fichiers auto-correctifs, qu’il faut recopier en Braille et en gros caractères.

Quant au deuxième groupe de difficultés, il y a, en premier lieu, le problème de la correspondance et de l’imprimerie pour les aveugles. Ils peuvent écrire en Braille aux institutions d’aveugles, mais il n’y en a que trois chez nous et si routinières, hélas ! Une imprimerie Braille est trop chère et, en plus, il faut bien qu’ils se mettent en rapport avec des enfants voyants, c’est même indispensable, car, dans la vie, c’est parmi des voyants qu’ils vont vivre et non pas parmi des aveugles. Comment faire, alors, dans ce domaine ? Ils peuvent dactylographier leurs travaux et peut-être les imprimer en noir, mais ils ne pourront jamais lire les journaux imprimés de leurs correspondants, à moins que le professeur ne les traduise en Braille. Je crois que, pour eux, l’idéal serait la correspondance gravée, mais chez nous, habituellement, les écoles n’ont pas de magnétophone.

Pour les amblyopes aussi, le magnétophone serait d’une grande utilité car, souvent, eux non plus n’arriveront pas à lire ce que leurs camarades leur écriront.

Voilà où nous en sommes !

Pour les mois à venir, notre plan comprend :

— Organisation d’un fichier scolaire pour amblyopes et d’un autre pour aveugles, en Braille ;

— Poursuite de l’organisation du musée scolaire déjà commencé l’année dernière ;

— Organisation d’un vivarium ;

— Utilisation du magnétophone ;

— Peut-être l’organisation d’un atelier de cuisine et de couture pour les filles ;

— Introduction de l’imprimerie, sitôt qu’elle nous sera rendue ;

— Poursuite de toutes les autres activités ;

— Organisation d’une réunion avec des professeurs et autres individualités intéressés aux techniques de l’Ecole Moderne ;

— Acquisition de nouveau matériel dans la mesure des disponibilités économiques.

Sur tout ce que je viens d’exposer, je serais heureuse si les camarades pouvaient me donner leurs conseils et leurs avis.