En Chantier n°10 : La poésie nonsensique

La poésie nonsensique
en classe de collège.

Article suivi des textes d'un recueil réalisé par une classe de quatrième
(Collège d'Andernos, 2008/2009, enseignant Philippe Geneste)

 


 

 

La poésie nonsensique se trouve déjà au Moyen âge dans des poésies fondées sur le coq à l’âne (répertorié par les rhétoriqueurs de la fin du Moyen âge et de la Renaissance) et autres procédés de la littérature carnavalesque dont l’énumération chère à Rabelais, ou encore la néologie. L'allographie (transposition d’un texte en d’autres mots, comme en usent les charades et les rébus), l'antilogie (soit l’association de deux idées contradictoires), la dissociation (unir un thème et son propos qui sont incompatibles, c’est-à-dire une sorte d’antilogie au niveau de la phrase), l’effacement d’objet (un couteau sans lame dont il manque le manche), la polyglossie (utilisation de plusieurs langues) sont des procédés qui portent ou peuvent porter le texte à du non-sens. Quand on parle de poésie nonsensique, on pense immédiatement à Lewis Carroll. Ce dernier étant un logicien reconnu, il sera facile au lecteur de comprendre que derrière le non-sens se cache des règles. Et c’est de là que je suis parti.

Depuis plusieurs années, je fais faire des limericks (1) aux élèves. Mon modèle était le livre d’E. Lear, Poèmes sans sens. Je demandais, donc des poèmes de cinq vers, en multipliant l’appel aux procédés cités dans le paragraphe ci-dessus : antilogie etc.

 

 

1/ Poème humoristique, à l’origine en anglais, de 5 vers  (rimes en aabba)

 

Le plaisir engendré par les poèmes obtenus, le plaisir de les dire qui traverse le niveau des élèves en français, m’a poussé à rechercher d’autres procédés similaires. C’est ainsi que j’en suis venu à la poésie nonsensique que j’écris d’un seul mot et sans trait d’union. Mais, si pour le limerick, je partais directement des écrits des élèves, pour des poèmes plus longs, j’ai ressenti le besoin de m’appuyer sur une trame formelle. Du coup, l’occasion était trop belle, j’ai décidé d’amener les élèves dans une tranche de l’histoire de la poésie qui naît en Angleterre au XIXème siècle. Une revue, remarquablement éditée (Plein Chant n°14 de 1983), offre justement plusieurs poèmes de William Brighty Rands (1823-1880). Moins connu que Lear ou Carroll, Brighty Rands appartenait à ce courant de poésie nonsensique qui n’est pas sans lien avec celui des nursery rhymes (2).

Voici une de ces rimes de nursery dont on trouve un écho chez Lewis Carroll dans son Alice au pays des merveilles :
 
Humty-Dumpty/ sat on a wall / Humpty-Dumpty had / a great fall / All the King’s horses / And alla the king’s men / Couldn’t put Humpty / together again  (…) /

/ Humpty Dumpty assis / sur un mur / Humpty Dumpty se casse / la figure / Tous les chevaux du roi / Et tous les hommes du roi / N’ont pu remettre Humpty / à l’endroit

2/ Comptine anglaise

    Il me restait à trouver un dispositif pédagogique adéquat. Très vite je me suis dirigé vers une poésie collective, en me disant que la confrontation allait permettre de faire s’épanouir le rire et l’humour et motiver la recherche lexicale, syntaxique voire rhétorique par le groupe pour aller plus loin. Mais pour qu’il y ait poésie collective, il faut, bien sûr, qu’il y ait apports personnels de chaque élève. De plus, je trouve très lassant les textes collectifs -on ne sait jamais trop, au final quel est la part des élèves, celle de l’enseignant(e), la part de chacun enfin-. J’ai donc cherché une formule permettant d’allier les deux démarches d’écriture : bref, un poème collectif où chaque écrivain aurait à cœur de développer sa part de poésie de l’œuvre collective. J’ai donc adopté le dispositif suivant :

 


Dispositif pédagogique

1 - La classe est divisée en autant de groupes qu’il y a de poèmes dans la revue. Le nombre des membres du groupe dépend de la longueur des poèmes.

2 - Chaque groupe doit au préalable mettre noir sur blanc la structure du poème. Je suis les groupes, précise voire aide à trouver certaines structures de versification ou de composition. Cela signifie qu’on a étudié, en cours, les questions de versification, certaines figures de rhétorique, comment on travaille le rythme. Je dis au préalable, mais on pourrait très bien se lancer dans un travail sur le non-sens sans l’avoir fait. Personnellement, je préfère le faire.
 
3 - La structure du poème étant relevée, la versification étudiée, le rythme précisé, chaque élève est en possession de ce squelette poétique (il faut compter deux séances d’une heure de travail, mais on peut aller jusqu’à trois selon les groupes). Avec ce squelette, cette structure donc, chaque élève écrit un poème sur le modèle mais ne contenant aucun des mots du poème de Brighty Rands. Là aussi, il faut compter trois séances de travail. Un aller-retour enseignant/élève s’effectue hors cours avec, de la part de l’enseignant des propositions éventuelles de réécriture ou des rappels d’éléments de la structure initiale à suivre.

4 - Puis on revient dans la configuration des groupes initiaux. Et là, seulement à l’intérieur du groupe, chacun lit son texte.

5 - Quand tous les membres du groupe ont lu, je demande à ce que chaque groupe désigne un secrétaire du groupe (deux pour les groupes importants en nombre).

6 - Puis, chacun relit. Là, les autres commentent et désignent ce qu’ils trouvent de particulièrement bien comme membre de vers, comme vers ou comme mot, voire comme structure rythmique (c’est très rare). Le secrétaire du groupe prend note

  7 - Au final, chaque groupe est en présence d’un matériau. Commence alors, le travail collectif de réécriture du texte. L’impératif est de retenir quelque chose de chacun(e) des membres. La contrainte incompressible, c’est de s’en tenir à la structure du texte établie durant l’étape seconde de cette production. La seconde contrainte c’est d’aboutir à un texte en trois séances. Ici, comme depuis le début, l’enseignant suit les groupes, comme il a suivi les élèves durant la troisième étape.

8 - La troisième séance, est consacrée, entièrement à la justification de chaque vers par le groupe, cette justification faisant l’objet d’un écrit en face à face vers/justification. Un second secrétaire est alors, en général, établi en fonction par le groupe.

9 - Quand les textes sont achevés, ils sont remis à l’enseignant qui, hors cours, fait d’éventuelles propositions de réécriture, vérifiant surtout la compatibilité entre ce qui est écrit et la structure initiale, tout en étant tolérant sur certains écarts.
 
10 - C’est l’avant dernière séance : mise en commun des remarques de l’enseignant, acceptation ou non des remarques et pourquoi (de vive voix avec l’enseignant), puis c’est la mise au propre et la préparation de la lecture orale.

11 - Dernière séance en cours : lecture à voix haute des textes par chaque groupe (20 minutes de répétition des groupes entre eux puis 40 minutes de lecture au grand groupe).

12 - Hors cours : chaque groupe tape son texte et remet le fichier informatique à l’enseignant.

13 - Tous les textes étant rassemblés, tirage et reliure des textes en deux ou trois exemplaires ; tirage à part pour chaque élève.

14 - Exposition du recueil soit dans une manifestation publique (printemps des poètes d’Andernos ou salon du livre de jeunesse d’Andernos) ou dans une publication (dont En chantier, rare publication intéressée par les créations d’élèves pour leur valeur de création).

    L’année prochaine, je vais continuer à travailler sur la poésie nonsensique. Outre la revue Plein Chant sus nommée, je vais m’appuyer sur l’ouvrage Rabutes et Clignettes, poèmes nonsensiques traduits et adaptés des Nursery Rhymes par Frédéric Larchenc & Henri Meyer. Beaucoup de limericks, des comptines, de la joie et de la jubilation : «Tire Tire Pompon/ Il faudra vingt bobines / Pour sortir de la mine / Un gros sac de charbon / Pour faire la cuisine / Avec les Aubépines / Et rentrer les moutons» soit la maxime «Le meilleur moyen de se libérer l’esprit est de s’occuper les mains»… en écrivant par exemple.


 
Philippe GENESTE
contact :  emancipation.pg[arobase]wanadoo.fr


Les animaux pris aux mots

«Le cygne doit nous observer »
Dit le pou-qu’à-rit éberlué.

    Le clou n’est une araignée que pour nous
        «Epargnez-le, épargnez-le !»

        Pourquoi tu ris,
        Sous les coups
        Des qu’est-ce que tu fais
        De feux les fusils ?

La fourmi des grandeurs
n’a pas peur
de mourir à cette heure

    Et tous les hommes restent dans leurs cages
    Ils y voient des esprits comme des mirages

Même quand les nuages noirs offrent l’orage
    Des phrases de rage

 Martin, Rémy, Malvina, Julie, Chloé, Sacha

 

Poème

Le vent remue les rides
De ce clown à faire rire.
S’éclipsent de sa peau
Les sueurs du désarroi, pâles.

Les shorebreaks se cassent.
Je subis l’attraction
Des pentes intensifiées
Et la peur du vent

Si l’une de ces choses absurdes
Euphorise mon été
Je prendrai pour surdité
Le très froid du doute et du vide.

Si les comédies faisaient pleurer
Et le clown faisait rire, l’absurdité qui glace le sens
Envahirait les yeux égarés au gris étoilé.

 Huguesoxane, Valentin, Floriane, Jean-Christophe

La pensée
d’une camionnette
qui séjournait à Trois

Trois rouges-gorges embellis rêvant dans leur nid,
Trois caravanes de nuit arrivant de Russie,
Trois flocons de neige tel une pluie de paillettes
Trois feuilles au vent virevoltant dans le printemps,
Trois arbres volant dans le champ du beau temps,
Trois amants dans l’âge du temps qui lasse,
Trois fillettes dans un restaurant de la place,
Trois raison de vivre pour une journée et un an,
Trois chevaliers à la belle armure désargentée,
Trois hommes et un café dans une camionnette,
Trois passants malveillants braquant le Grand-Marbett
Trois fois de suite à tout cela j’ai pensé,
Avec des assiettes vides pour mieux jeûner
Et ma pensée, en achèvement, s’y abîmer.

 


Kelly, Basile, Kim, Louise, Vincent, Manon, Cédric, Sébastien



poèmes nonsensiques
mars 2009
enseignant : Philippe Geneste
Collège d’Andernos

Ce travail a été réalisé par le groupe Doc2d (Recherche documentaire au second degré)
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