La Brèche n°17 (Mars 1976)

Mars 1976

 

 

La Brèche, bulletin du Secteur Second Degré de l'ICEM
1974 - 1984, dix numéros par an
Des réflexions, des témoignages de pratiques, des comptes-rendus de lectures, de débats, ......
 

 

La créativité en EPS

Mars 1976

 

Un jeu nouveau est né: le basket-rugby ! Un exemple de libération de l'expression, du geste et de l'imagination.
 
 
LA CRÉATIVITÉ
en éducation physique et sportive
 
LE BASKET-RUGBY
Un jeu global, on pourrait dire "total" est né : le basket-rugby. Parce qu'il touche l'être tout entier, il soulève l'émoi, l'envie. C'est plus simple, disent les élèves, dès qu'on y pense, on se sent porté par quelque chose deplus fort que nous et j'ajoute pour l'avoir pratiqué, il pousse au délire, à l'ivresse, quelque chose qui vibre au ventre et qui vous fait aimer la vie d'un seul bloc.
Le basket-rugby, quand mes élèves en parlent, ça les fait briller comme des soleils, plus régionalement encore, quand ils le racontent, c'est tout leurs corps qui pétille comme du Perrier.Il faut l'avoir vu joué par les enfants. C'est un spectacle incomparable, la rage de vivre dans chaque élan, dans chaque geste. Si on pouvait le pratiquer au 14 juillet, ça ferait le plus beau feu d'artifice de l'expression.
Bizarre, ce jeu créé, nous verrons comment tout à l'heure, semble narguer les jeux construits et savants de l'adulte, dans lesquels rarement les enfants se sont montrés aussi bouillonnants, vivants et coopérants.
 
JEAN-PIERRE ET SON ÉQUIPE : LES AUTEURS DU BASKET-RUGBY
On le joue sur un terrain de basket avec un ballon soit de basket ou de rugby. Deux équipes de cinq à dix joueurs. Tout est autorisé dans les limites du terrain pour arriver à faire passer le ballon dans le cercle du panier adverse à l'exception des coups violents et des crocs en jambe. On arrête le ballon uniquement quand il sort des limites pour qu·un joueur le remette en jeu de l'extérieur. Un panier réussi n'arrête pas le jeu, on peut donc marquer coup sur coup.Ce sont les règles importantes. On peut comme dans certaines équipes donner de nouvelles règles.
Exemples : Une mêlée au centre du terrain pour faute personnelle (agression caractérisée).
Touche (renvoi de l'extérieur) comme au rugby avec les équipes disposées parallèlement à l'axe du renvoi de la balle.
 
COMMENT A-T-IL ÉTÉ CRÉÉ ?
J'ai dans une séance d'expression libre incité les élèves de la classe à Jean-Pierre à trouver des jeux autour des sports traditionnels collectifs. L'équipe à Jean-Pierre a trouvé le basket-rugby.
 
JEAN-PIERRE ET TANT D'AUTRES ...
C'était un garçon timide, renfermé, bloqué, participant très peu, entretenant très peu de relations. Pourtant un jour sa timidité a commencé à céder. L'entrée de Jean-Pierre dans le basket-rugby le métamorphosait. Maintenant il court, il saute, il shoote, il dribble, il parle, choses si rares chez lui auparavant.
 
LE SUPERMARCHÉ DE L'ACTION POUR LES ÉLÈVES
Le basket-rugby, c'est tout simplement un supermarché de l'action que s'offrent les enfants. Ils se sentent tous attirés et concernés. Chaque élève devient pour lui et pour les autres un véritable stand ambulant de gestes, de cris, d'appels, de feintes ... Jean-Pierre ne pouvait pas résister bien longtemps à ce tourbillon de vie, à cette fête de l'expression libre.
Jean-Pierre prit goût à l'action, il n'allait pas cesser de nous étonner par la suite.
 
L'APRÈS BASKET-RUGBY ET DE NOUVEAU LA PART DU MAÎTRE
Une séance par trimestre lui est consacré - deux autres sont consacrées à trouver des frères du basket-rugby (créativité).
Ainsi en deux ans : le foot-rugby, le volley-basket, et toute une longue série de jeux sont nés dans ces séances.
 
SI C'ETAIT POSSIBLE
J'aimerai faire pratiquer ces sports aux congressistes de Clermont-Ferrand à Pâques et après les avoir pratiqués, nous pourrions nous interroger de l'intérêt qu'ils offrent aux divers points du vue : psycho-socio-formation. Le débat porterait sur la créativité en EPS.
APPEL.
MARTIN Christian
CES Feuchères
ou
66 rue Pitot prolongée
30000 NIMES
 

 

Reportage chez Thérèse Lapp

Mars 1976

 

Un centre documentaire (C.D.I.) exerce un gros attrait sur les élèves de C.E.S. Mais comment susciter l'autonomie face à la documentation, et provoquer un regardcritique sur l'information ?
 
 
 
REPORTAGE:
chez Thérèse LAPP, docurnentaliste
QU'EST-CE QU'UN C.D.I. ? QU'UN DOCUMENTALISTE ?
M/JC. - Nous sommes dans le Centre de Documentation et d'Information du CES Lamartine. Tu en es la documentaliste, Thérèse. Peux-tu nous dire ce qu'est un C.D.I.-Bibliothèque ?
Th. - Dans les réunions officielles, dans les textes officiels, il apparaît que le rôle essentiel du C.D.I., c'est de canaliser les documents, de faire savoir aux gens qu'ils existent, puis de permettre de les trouver. Le classementadopté est le classement C.D.U. (Classification Décimale Universelle), qui est un instrument intellectuel, privilégié et élitiste, beaucoup plus accessible aux professeurs qu'aux élèves. Alors, la conséquence, c'est qu'un service de documentation traditionnel est avant tout au service des professeurs. Toujours selon les textes, le travail de la documentaliste consiste aussi à tenir les professeurs au courant des nouvelles parutions, des manifestations culturelles locales et régionales. Elle doit jouer le rôle de "public relations, ...
 
L'INFORMATION DES ENFANTS ... (LE BESOIN DE L'OUTIL-CLASSEMENT)
M/JC. - Sylvie, tu es élève de 3e ; tu connais bien le C.D.I. Que viens-tu y faire ?
- On est au début de l'année, et on ne vient ici que depuis quinze jours. Mais l'année dernière, j'ai fait un exposé en français sur la drogue, et je venais pour trouver des renseignements.
M/JC. - Et pour les trouver, tu cherchais toute seule dans les tiroirs et les étagères, ou tu demandais à Madame Lapp ?
- Les deux.
- (Nicole, 4e) : Si je veux un document sur les volcans, je vais voir d'abord les B.T. Après, je regarde dans le fichier, à l'entrée près de la porte, à la lettre V, et la fiche "volcan, m'envoie à un tiroir il y a les dossiers.
Th. - Quand les élèves ont besoin d'un document pour leur travail scolaire, j'essaie toujours qu'ils l'aient, c'est-à-dire que je range tous les documents que je trouve, pour qu'ils soient à leur disposition ; mais cela ne m'apparaît pas comme l'essentiel de mon travail : s'ils ont besoin de ces documents, il faut qu'ils les trouvent, et jeleur apprends à les trouver parce que c'est important, mais ce n'est pas moi qui de force vais leur dire : "Venez voir comment on fait pour trouver des documents ! ,,
M/JC. - Tu ne fais pas d'initiation systématique au classement ?
Th. - C'est ça, j'essaie toujours de partir des besoins des enfants, et du moment qu'ils ne me demandent pas de documents, je ne les oblige jamais à une "initiation", sauf s'ils me le demandent.
M/JC. - Tu attends que l'élève ressente le besoin de l'outil-classement.
Th. - Oui. Il y a peut-être une dizaine d'élèves pour qui c'est important : à chaque heure, c'est leur problème ; il leur faut des documents, ils s'amusent avec les tiroirs, ça leur plaît. Tant mieux, profitons-en, je suis très contente,mais je ne fais pas tout ce qui est possible pour cela, alors que dans les Instructions Officielles, on cherche d'abord à ce que le gosse apprenne à se servir du fichier.
M/JC. - Pourquoi ne fais-tu pas tout ce qui te serait possible pour initier les élèves au classement ? Ce serait pourtant un moyen, pour eux, d'être autonomes vis-à-vis de la documentation, d'être responsables de leur information,et cela s'inscrirait dans une des préoccupations majeures de la Pédagogie Freinet ?
Th. - Justement ! Le classement est important ! On nous prône partout la C.D.U. : les gamins ne s'y retrouvent pas ! J'ai aboli la C.D .U., je ne la pratique pas parce que je souhaite qu'un gosse qui vient dans mon serviceet qui veut trouver quelque chose sur le "vautour", aille chercher dans le fichier le mot "vautour" et le trouve sij'ai un document sur ce sujet. Ce n'est pas difficile de le trouver.
M/JC. - L'initiation dont on parlait tout à l'heure est vite faite, alors ?
Th. - Oui, et je peux la faire individuellement, quand un élève le demande parce qu'il en a besoin.
(Pierre, 6e) : C'est la deuxième fois, seulement qu'on vient en Bibliothèque. Il y a des livres d'histoire, de géographie ; pour les trouver, il faut se servir du fichier -bas, et pour ça, pour l'instant, on voit Madame Lapp. Maisil y a des livres de bibliothèque sur les étagères, et c'est indiqué : aventures, légendes ... Alors on se sert tout seul
M/JC. - Ton rôle n'est pas de former des virtuoses de fichiers complexes.
Th. - Non ! Un de mes rôles les plus importants, c'est l'information des enfants, mais pas contre leur gré !
Aussi, dans un premier temps, j'essaie qu'ils s'adaptent bien à la Bibliothèque, qu'ils s'y sentent bien, et dans un deuxième temps, j'essaie de les informer sur leur vie quotidienne.
 
ET LEUR BIEN-ÊTRE ...
(Pierre, 6C) : "On n'est pas obligé de venir ici ; on peut aller ·en étude, en permanence ; mais là-haut il y a du bruit et on est obligé de travailler même si on n'a rien à faire".
(Michèle, 6C) : "On nous oblige même à faire ·du travail qui n'est pas pour nous ; c'est pas intéressant".
(Jacqueline, 4C) : "On peut aller en étude, mais on préfère venir ici, c'est plus tranquille. Ici, c'est la détente".
(Yves, 3e) : "Ici, c'est bien, il y a des livres. On peut choisir ce qui nous plaît. A cette heure-là, on fait ce qu'on veut".
 
LEUR RESPONSABILITÉ, LEUR AUTONOMIE ...
M/JC. - Les élèves sont très sensibles à l'ambiance, à l’accueil qu'ils trouvent ici ; mais se sentent-ils concernéspar la bonne marche du C.D.I., s'en sentent-ils responsables ?
Th. - Une chose qui pour les élèves est un plaisir, c'est qu'ils participent à la construction du Service de Documentation.
C'est eux qui tapent toutes les fiches ; je ne tape aucune fiche. Les filles de "Pratique" qui viennent là ont envie de travailler : elles tapent des fiches et des articles. ·
(Bernadette, 3e pratique) : "Le jeudi, je n'ai pas classe ; alors je viens aider Madame Lapp ; je tape des fiches, des articles, des textes pour elle. L’année dernière, j’étais en sténo-dactylo, en CET, aussi, comme ça, je continue à m'entraîner au lieu de m'embêter chez moi, et puis ça rend service''.
M/JC. - Le C.D.I., Thérèse, est un endroit où l'on se sent bien. Il semble même être une sorte de refuge au centre du CES. Les élèves sont autonomes ou le deviennent face à la documentation ; ils se sentent en partie responsables de la marche du C.D.I., ils en assurent certaines tâches, et ils semblent également responsables de leur comportement : il y a actuellement une trentaine d'élèves, et il règne dans le service un calme relatif et une activité studieuse ; mais se sentent-ils autonomes dans leur recherche personnelle ou travaillent-ils sur "commande",sur celle de leurs professeurs par exemple ?
Th. - Des élèves viennent chercher des documents pour eux, pour leur documentation personnelle. Souvent je leur demande, quand par exemple ils viennent chercher des B.T. : "Tu fais un travail là-dessus ?ils me répondent : "Non, c'est parce que je m'y inresse". En ce moment, un petit sixième fait un élevage de serpents eh bien ! il vient chercher toute la documentation possible !
(Florence, 6e) : ''Ici on fait tout ce qui nous plaît. On cherche des livres de légendes, d'histoire, d'aventures, ou on cherche des documents sur ce qu'on fait en classe, mais parce que ça nous intéresse, c'est pour nous".
(Janine, 6e) : "En ce moment on travaille en classe sur la préhistoire ; ici, on peut prendre des livres, chercher nous-mêmes. On en sait un peu plus. Le professeur nous explique "la préhistoire, c'est ceci, c'est cela, mais là, on se pose les questions nous-mêmes, tandis qu'un professeur il a beaucoup de classes, et au bout d'un moment il ena marre, comme ça, en venant ici, on en sait un peu plus".
 
ICI, ON EST LIBRE ...
M/JC. - Tout à l'heure, Thése, nous avons porapidement une seule question aux élèves, individuellement : "Pourquoi êtes-vous là ? ", et la réponse arrivait toujours identique « Ici, on est libre". Comment fais-tu pour que les enfants, les adolescents se sentent libres dans ton service ?
Th. - Pour le moment, ils en sont au besoin de s'exprimer, et moi, au fond , je ne cherche pas autre chose, puisque se libérer est leur besoin essentiel. Une fille de quinze ans, de classe pratique, m'a dit : "De toute façon,je hais J'école, les profs n'ont pas su me faire aimer l'école, et je n'aime pas mes profs". Libérer les élèves, essayer de les faire s'exprimer sur leurs problèmes, j'en suis , c'est l'essentiel de mon travail pédagogique, avec le côté "information" que je n'oublie pas ... Je me laisse emmener là où ils veulent m'emmener ; c'est eux quidécident, en gros, de ce qui va se faire. Je ne dis pas : " Ils ne lisent pas ! Quelle barbe cette classe-! " On parle de la lecture : "Moi, je ne suis pas intéressé par la lecture". - Pourquoi ? - "Je n'aime que les bandes dessinées". - Pourquoi ? Ou bien, ils ricanent. Je les laisse ricaner, et ils sentent très vite qu'au fond je les aime bien comme ils sont. Cela m'est égal qu'ils ricanent ; je ne suis pas choquée s'ils sont grossiers. Je crois qu'ils ontbesoin de cela, le respect élémentaire des individus.
(Janine, 6e) : "On vient s'instruire comme ça nous plaît".
(Bernard, 4e) : "Le travail qu'on fait ici est à part du travail de classe. Ici c'est la détente ; parfois on doitse débrouiller tout seul , alors ici, quand on comprend pas, Madame Lapp, nous explique".
M/JC. - Tu nous disais, Bernadette, venir le jeudi au C.D.I. pour taper : c'est seulement pour taper ?
- Non, je viens aussi les lundi et vendredi après-midi ; avec Madame Lapp, je m'entends bien.
M/JC. - Et vous, les troisièmes, vous connaissez bien le C.D.I. : vous venez seulement pour travailler ?
- Ici, on est libre de se donner nos opinions entre nous. On peut discuter, on peut se plaindre de nos professeurs, on peut parler comme on veut, on peut avoir un langage plus libre. Avec Madame Lapp, on est libre,on discute avec elle, on parle de nos problèmes ; elle ne nous force pas à avoir son opinion, elle nous écoute ; elle donne son opinion comme on donne la nôtre.
M/JC. - Thérèse, nous sommes ici dans la première salle de ton service. De nouveaux élèves viennent d'arriver et certains se sont précipités dans l'autre salle ...
Th. - Oui, ils vont se réserver les trois machines ù écrire qui sont à leur disposition.
M/JC. - (Des troisièmes : Pourquoi venez-vous ici ? - Ici, on fait ce qu'on veut. - Pourquoi tapez-vous à la machine ? - Pour apprendre à taper, parce que ça nous plaît. - Que tapez-vous ? - Des poèmes. Pourquoi des pmes. - Parce que c'est court, et qu'à la fin de l'heure on a fini un texte complet. N'importe quoi, ça ne fait rien ? - Non, le principal, c'est de taper. - Si vous avez du travail de classe, vous le faites ici '? Non on reste en étude alors. - Vos professeurs ne vous demandent jamais de venir chercher des documents '? - Non, jamais ! Vous prenez des livres pour lire, ici ou chez vous ? - Parfois pas souvent).
 
ON A BESOIN DE FAIRE ... DE RÉALISER
M/JC. - Il apparaît que le niveau de réflexion et les motivations des élèves ne sont pas uniformes. Cependant, ce besoin de "faire", de travailler est important et révélateur, même s'il est parfois anarchique. Il permet des relations, entre eux, entre eux et toi, et ceci, parce que les enfants, les ados, sont sensibles à l'atmosphère de confiance, de compréhension qui règne ici. Ils sont sensibles à la possibilité de se cultiver, de s'informer aussi. On a l'impression, à les écouter que le C'.D. l. est le seul endroit du C'ES ou à peu près le seul où souffle un esprit culturel et où la liberté semble aux élèves comme une bouffée d'air frais, voire un ballon d'oxygène. Ton rôle de catalyseurapparaît nettement, mais ce climat affectif que tu considères comme essentiel et que les enfants ressentent tellement,permet-il d'avoir des activités de création véritable et le désir de communiquer avec l'extérieur duC.D.I. ?
Th. - Pour moi, c'est ce que je souhaitais faire dès le début. Cela a été d'emblée ce que j'ai cru que je ferais dans mon service de documentation. Mais j'ai dû faire machine arrière très vite ...
M/JC. - Peux-tu donner un exemple ?
Th. - Je me suis occupée de la réalisation de panneaux sur la condition de la femme, avec des filles qui étaient pourtant très intéressées par le problème. Je n'ai pas pu obtenir que ces enfants-là, après leur travail de cours, après la fatigue d'une journée, viennent faire quelque chose ici en plus. Malgré leur intérêt, et dans les conversations et dans les lectures, il n'y avait pas moyen d'obtenir qu'elles viennent travailler. Je cherche à comprendre pourquoi, alors que je leur propose de le faire avec elles, ce qui d'habitude est primordial. Pour les conversations par exemple, il faut que je sois et que je les aide.
M/JC. - Ils ne sentent pas la nécessité de faire ce travail ?
Th. - Il me semble. J'ai voulu commencer, et me suis aperçue que je le faisais toute seule ... Alors j'ai dit : "Non ! je ne suis pas là pour faire votre travail". Ils sont ravis si je peux leur proposer des travaux, mais les faire ne semble pas de leur domaine, et moi, mon but, pour le moment, c'est leur faire prendre conscience que c'est de leur domaine.
M/JC. - Les anciennes élèves dont tu parles sont maintenant en Seconde, mais quand elles ont un moment de libre, elles reviennent au C.D.I. Elles viennent d'arriver et elles nous affirment avoir réalisé elles-mêmes et pratiquement seules des panneaux d'affichage sur la condition de la femme, qui ont été exposés dans les couloirs du CES. Comment expliques-tu cette différence d'interprétation ?
Th. - Je ne sais pas. Peut-être que pour les élèves, ce qui comptait, c'était les discussions, les idées ; la réalisation matérielle ne s'imposait pas. Avec le recul, elles ont assimilé ces discussions, ces idées ; elles sont maintenant à elles, et la réalisation matérielle qui s'en est suivie aussi.
M/JC. - encore ce qui apparaît, ce qui demeure chez ces élèves, c'est le souvenir d'un moment heureux, privilégié dans leur vie scolaire.
Th. - Oui, et c'est ce climat de confiance qui est primordial, c'est cela qui permet des déblocages, des prises de conscience. Mais je pourrais ajouter que si les enfants ne ressentent pas le besoin de créer pour communiquer avec l'extérieur, c'est peut-être parce qu'ils doivent sentir inconsciemment qu'il a fallu justement se retrouver dans cet univers protégé du C.D.I. pour pouvoir communiquer entre soi ! Comment les amener à communiquer sans lescontraindre ? J'ai un rôle un peu différent de celui d'un professeur dans la mesure les élèves ne se sentent pas obligés de faire quelque chose. Ce qui me fait profondément défaut, c'est d'être coupée, par la force des choses, des collègues, qui ne travaillent pas comme moi.
 
LES PROFS ET LE C.D.I ....
M/JC. - Tu penses que si tu pouvais travailler en étroite relation avec des collègues, ton travail serait plus facile, et les élèves seraient plus facilement amenés à créer et à communiquer ?
Th. - C'est cela ! Je me dis que si le travail était fait en liaison avec une classe qui travaille en Pédagogie Freinet, avec un atelier information par exemple, il y aurait peut-être un relais ; mais toute seule, je ne peux pas.
Pour les enfants, ce serait extrêmement bénéfique s'ils sentaient qu'il y a un circuit entre le C.D.I., la Bibliothèque et le travail en classe ; et ça, ils le sentent rarement.
(Pierre, 6e) : "Si on trouve quelque chose en bibliothèque, qui nous intéresse, on peut le prendre pour le montrer à notre professeur, pour qu'on s'en serve en classe ; si le professeur pense que ça intéresse le cours et que c'est important, alors on s'en sert ; sinon on ne s'en sert pas".
(Catherine, 3e): "Parfois on a des exposés à faire ; l'année dernière, j'ai fait un exposé sur la jeunesse ; toi, sur la drogue, Sylvie".
M/JC. - Le professeur vous donne-t-il des explications, des directions de travail ?
(Yves) : "Le prof ne nous aide pas ; on doit se débrouiller tout seul ; quand ça ne va pas, on demande à Madame Lapp : elle nous aide, et parfois, elle le fait sans qu'on lui demande".
Catherine : "Le professeur ne s'occupe pas de nous diriger ; du moment que l'on trouve quelque chose, c'est le principal".
M/JC. - Pendant le cours, aucun de vos professeurs ne vous permet jamais de venir à la Bibliothèque pour chercher un document dont vous auriez besoin ?
(Catherine) : "Non ! on travaille tous ensemble en même temps. S'il manque un document pour notre enquête, le prof ne nous laissera pas sortir, il nous dira d'aller à la Bibliothèque pendant les permanences ou après la classe".
(Yves) :"Le travail qu'on fait ici est complètement séparé de celui de la classe".
 
VERS LE TRAVAIL EN ÉQUIPES ? ...
M/JC. - Mais, Thérèse, aucun professeur ne s'intéresse au C.D.l. ?
Th. - Bien sûr que si, et heureusement pour moi ! Simplement, pour la grande majorité d'entre eux, le C.D.I. n'est qu'une sorte de banque où se trouvent entreposées, à leur disposition, toutes les richesses documentaires du CES.
M/JC. - Tu veux dire que tu ne travailles pas en collaboration avec tes collègues professeurs ?
Th. - Si, il m'est arrivé et il m'arrive encore de collaborer avec des profs, mais pas dans le sens "équipe pédagogique", ce qui supposerait une prise en charge commune des élèves. Mais il existe un travail commun : ils me disent de quels documents ils ont besoin, je leur montre ceux que je possède, ils m'en indiquent d'autres, et ensemble on essaie de voir comment les élèves peuvent les utiliser. Ainsi, il y a deux ans, une jeune prof deSciences Naturelles venait régulièrement consulter les fiches, dossiers et livres, puis envoyait des élèves pour fairedes travaux de groupes en fonction des documents qu'elle avait trouvés. Si les élèves rencontraient des difficultés,je le lui disais, et elle venait les aider à les résoudre. L'an dernier, le professeur de Technologie a "raflé" tousles SBT sur les circuits électriques pour en prendre connaissance ; après les avoir rendus, il envoyait des élèves lesconsulter.
M/JC. - Penses-tu que ta collaboration avec les profs pourra devenir plus importante ?
Th. - Depuis plus d'un an, je travaille avec la prof d'Espagnol. Comme je suis hispanisante de formation, le contact avec les élèves est plus facile. C'est la seule prof qui m'envoie des élèves par groupe pendant les heuresde classe pour un travail de recherche ou la construction d'un travail collectif. En utilisant les 10 %, nous allons commencer un journal avec ses trois classes : nous pourrons peut-être parler plus clairement de travail en équipe.
 
UN REGARD CRITIQUE SUR L'INFORMATION ...
M/JC. - Au milieu de cette salle sont exposés sur une table des documents divers sur les conditions de travail en usine : pourquoi des panneaux justement sur ce sujet, et de là, peux-tu nous préciser sur ce que tu entends parinformation ?
Th. - Je l'ai dit tout à l'heure : j'attache une importance capitale à l'information, et cela, de trois façons :
1) l'information relative à leur travail scolaire (le contenu des programmes des diverses disciplines) ; j'essaie qu'elle soit la plus complète possible, en m'appuyant sur tous les supports officiels qui nous sont proposés par l'intermédiaire des CRDP, CDDP, Ofratème, etc.
2) l’information en fonction des besoins exprimés par les élèves : "Madame, n'est-ce pas que les élèves qui réussissent sont les plus intelligents ? " - Si cette question m'est posée aujourd'hui Janvier 1976), je leur demande deregarder les émissions de Daniel Karlin sur la 2e chaîne : "Des hommes libres" l'on voit des hommes, considérés à l'origine comme débiles et minables, faire des études supérieures et accéder à des responsabilités importantes.Ensuite nous pouvons reparler sur des bases plus précises de ce sujet complexe.
3) quant à l'explication de ces panneaux, elle est simple : les élèves, les adultes aussi, sont agressés par des informations et des publicités brutales, qui ne leur permettent à aucun moment de prendre du recul et d'exercer un regard critique sur l'information reçue : je tente de leur permettre ce regard en leur fournissant les éléments nécessaires à leur jugement. En ce moment, à cause du juge Charette, ils entendent parler à chaque instant des "accidents du travail ", et comme le monde du travail leur est presque totalement étranger, j'ai réuni le pluspossible de documents sur cette question pour qu'ils puissent comprendre pourquoi les accidents du travail sont possibles.
Th. - Je leur parle souvent de la télévision et de ce qu'ils regardent,j'essaie souvent qu'ils m'en parlent, eux ! Ils la regardent, et c'est leur seule source d'information. J'essaie de les faire réfléchir sur leur condition d'écolier,sur ce qu'ils vont faire l'an prochain, sur leur travail et le lycée, sur les relations avec leurs parents, toutes chosesqui sont sous-jacentes. Il suffit qu'on en parle un peu pour qu'ils se mettent à en discuter. Quand on parled'information, il faut bien comprendre que c'est à ce niveau-là que j'essaie d'informer.
M/JC. - Tu veux dire que tu apportes une information si elle t'est demandée, si tu la sens nécessaire pour le gosse ou s'il te semble impossible d'ignorer un sujet, en fonction de l'actualité.
 
UNE GRANDE FACULTÉ D'ÉCOUTE ...
Th. - La Bibliothèque est un endroit où on essaie d'informer sur tous les sujets ; c'est une pratique quotidienne. J'ai du mal à en parler parce que je le vis tellement quotidiennement et en permanence que je l'oublie. Mais il n’y a pas de sujet qui présente quelque intérêt que je ne relève pas. Samedi dernier par exemple, un gosse est venu, et comme je laisse tout le monde circuler partout, ce gamin, que je connais bien, me dit : "Tiens, qu'est-ce que c'est que ça ? ". Il avait regardé sur mon bureau où se trouvait la pétition que nous avions tous signée contre la répression en Espagne. Un élève de 3e, que je ne vois pas très souvent, a fait : "Ha ! ". J'ai demandé "Qu'est-ce que ça veut dire : Ha ! " - Ça veut rien dire ! - Si, si, dis-moi ce que ça veut dire "ha", ça veut dire certainement quelque chose". Alors il m'a répondu : "De toute façon, il n'y a aucune raison de faire grâce à des gars qui ont tué ! ". Et pendant une heure, on a parlé de l'Espagne, de Franco et de sa montée au pouvoir.
M/JC. - Ainsi conçue, la discussion est avant tout un moyen de faire réfléchir sur les "pourquoi" des opinions et des réactions, un moyen de poser des questions et d'apporter des faits sans imposer ta propre opinion ; maisil te faut pour cela une grande disponibilité et une grande faculté d'écoute ! Or, tu es seule documentaliste pour sept cents élèves ...
Th. - Je ne souhaite pas qu'il y ait cinquante gosses dans mon service, qui bousculent tout et auxquels il faille dire de se taire. En ce moment, il y en a une trentaine, mais c'est exceptionnel ! Je souhaite que les gosses qui viennent trouvent une certaine qualité, c'est-à-dire se retrouvent et se sentent bien, qu'ils viennent pour être eux-mêmes : c'est cela que je cherche avant tout.
M/JC. - Comment t'y prends-tu pour ne pas être submergée par le nombre ?
Th. - Je prends le planning du CES, l'organisation de toutes les classes. Je regarde à quel moment chaque classe a des heures d'étude, et en fonction de ces heures d'étude, je détermine le moment de la venue de telle ou telleclasse. Volontairement je fixe les horaires de venue des élèves pour en éliminer un certain nombre. Par exemple :les sixièmes viennent le mardi de 4 à 5 : je sais que viendront les demi-pensionnaires, avant de partir avec le car, et parmi les externes, uniquement ceux qui voudront soit lire pendant une heure soit chercher un livre avant de partir chez eux. Ce la limite le nombre des élèves.
M/JC. - Ainsi ne viennent que les élèves les plus motivés ?
Th. - Oui, et en même temps, cela permet de privilégier un peu les plus défavorisés, les demi-pensionnaires.
M/JC. - Ta pratique pédagogique est soutenue par les idées force de la pédagogie Freinet, mais des limites apparaissent. On vient de voir celle du nombre des élèves, la difficulté des relations avec les professeurs et de l'intégration d'un documentaliste au sein d'une équipe pédagogique. Rencontres-tu d'autres obstacles ?
Th. - Il y a tout ce que je voudrais faire et que je ne peux pas faire : individualiser encore plus le travail, par exemple en ce qui concerne l'audio-visuel. Je voudrais que les gosses puissent regarder des diapos, écouter des disques, mais où et comment ? Eux aussi le souhaiteraient. Ils voudraient rencontrer des gens dans la bibliothèque, discuter davantage, faire des visites, sortir. Tout cela, je ne peux pas le faire.
M/JC. - Le mot de la fin, Thérèse ?
Th. - Vous êtes-vous vraiment demandé ce que peut faire UNE documentaliste-Bibliothécaire pour sept cent quatre vingts élèves et quarante professeurs ?
 
Reportage réalisé par
Jean-Claude EFFROY et Marc LEBEAU
 

 

L'allemand au Second Cycle

Mars 1976

 

La synthèse d'un cahier de roulement « KUDELBUMS » fait l'inventaire des problèmes et propose des solutions.
 
 
L'allemand au second cycle ...
Synthèse du premier tour du cahier de roulement : « Kudelbums » second cycle
PARTICIPANTS
Karin HADDAD, 36 Les Gros Chênes - 91370 Verrières-les-Buissons
Michèle MAURIN, Les Hauts de Magny - Prévessin - 01210 Ferney-Voltaire
Marie-Hélène SAPIN, L'Epine de Rouillé 86480
Muriel TACH, Les peupliers, rue H. Breuil - 63000 Clermont-Ferrand
 
1 - LES PROBLÈMES
a) Problèmes matériels
Exemples :
- salle d'allemand sans rideaux noirs
- pas de casques pour les exercices individuels
- pas de crédits pour les 10 % là où ils existent encore sur le plan officiel (un cas sur quatre)
b) Problèmes des documents : (surtout pour celles qui débutaient cette année en Pédagogie Frei net : deux cas sur quatre)
1) Les articles de journaux tels que "Die Zeit'', "Der Spiegel'' ou "Der Stern" sont trop difficiles
2) Les livres d'écrivains modernes (Brecht, Bôll, Bochert ... ) sont également trop compliqués pour les élèves
3) Problèmes des fiches de grammaire.
 
b) Solutions possibles à ces problèmes
1) Pour souligner les passages importants
- mettre dans les dossiers les références à des textes tirés de manuels scolaires
- employer des articles de journaux scolaires tels que "A olier", "Schups", "Deutschland imBlickpunkt"lettres de "Zeit lupe 20" dans "Die Zeit"
2) Pour
- faire des fiches par thèmes
- couleurs différentes selon le sujet général du livre
- utilisation d'un code de a à z par exemple pour la difficulté.
3) Pour'
- faire faire les fiches par les élèves au fur et à mesure que certains points de grammaire sont abordés.
 
c) Les groupes parlent français entre eux
Solution possible : placer un magnétophone au milieu du groupe et lors des discussions générales.
 
Il - POINTS POSITIFS
- Utilisation possible d'un magnétophone.
- Documents sonores utiles pour l'oral.
ex : exercices structuraux de Robin et Cotet, dialogues et exercices de Chassard et Weil, "Deutschland aktuell "
- Assistant allemand présent dans l'établissement (un cas sur quatre)
- Dias sur les villes allemandes (plus films du Goethe Institut)
- Une expérience intéressante à partir de "Zeitlupe 20"
* chaque élève prépare une lettre
* un éleve prépare le débat en enregistre la discussion
* écoute de l'enregistrement et commentaires
* correction de la bande par le professeur et liste de toutes les expressions
Une deuxième expérience à partir de journaux paraissant le même jour "Bildzeitung", "Die Weit", "Südd. Zeitung" : étude des titres, images, publicité, du vocabulaire.
A titre de conclusion : Les élèves du deuxième cycle ont été intéressés par cette sorte de travail en groupes, même si ce genre de travail les déconcerte un peu audépart. Dans trois cas sur quatre on fait alterner le travail non directif avec un travail plus traditionnel à partir d'un manuel scolaire, le gros problème du prof étant toujours d'arriver à un travail non directif et cependant fructueux.
Synthèse rédigée par :
Marie-Hélène SAPIN
86480 L'Epine-de-Rouillé
 
 
 

 

Enseigner au CET

Mars 1976

 

Après l'examen des finalités (cf. la 1re partie de l'article paru dans le 16), celui des moyens pour amener les jeunes à l'autonomie dans leur formation.
 
 
 
ENSEIGNER EN C.E.T. (2e partie*)
Comment enseigner
Je me contenterai de dégager quelles pourraient être les grandes lignes de notre organisation scolaire.
Puis d'un point de vue de pédagogie spéciale, j'essaierai de dire ce que pourrait être l'enseignement des connaissances mathématiques. Tout ce la compte tenu des différents points relevés dans la première partie.
 
1) MEILLEURE REPARTITION DES "POUVOIRS" (selon le vocabulaire de G. Mendel) À L'INTÉRIEUR DU C.E.T.
On n'apprend pas à monter à vélo sans vélo. On n'apprend pas à exercer des responsabilités sans avoir la charge de véritables responsabilités. A quoi cela sert-il de vouloir développer l'esprit critique si l'on ne permet pas la critique ? Il ne s'agit pas de donner aux élèves des responsabilitésqui ne sont pas de leur compétence mais de leur donner des responsabilités au niveau de leur propre vie scolaire, et peut être même au-delà si l'on ouvrait davantage l'école sur la vie.
 
Organisation de leur travail :
Dans ce domaine la part réservée aux élèves est pratiquement nulle. En mathématiques par exemple la somme des connaissances que je devrais normalement leur communiquer est telle qu'ils n'ont pasla possibilité de chercher à approfondir une notion ou de chercher à revenir sur quelque chose quin'a pas été compris du premier coup sans risquer de ne pas "terminer le programme". J'ai doncdécidé, de mon propre chef, de ramener à quelques « noyaux" fondamentaux (voir travaux A.P.M.) le programme qui nous est imposé. Ce la nous donne une double latitude : tout d'abord pourchaque question le temps ne nous est pas compté d'une manière stricte, ensuite on peut choisir l'ordre dans lequel on aborde les problèmes. Mais tout cela est dérisoire. C'est comme si j'avaisréparti ma confiture dans quelques pots. Tous mes efforts ont pour but d'essayer de nous donnerun peu de temps pour ne pas avoir à les avaler sans les goûter, et de choisir l'ordre de consommationdes pots. Mais ilfaut la manger cette confiture ! Et pour la plupart de nos élèves, rienqu'à la voir ça fait dix ans que leur coeur se soulève. C'est par une modification de structurefondamentale que nous pourrons espérer aller plus loin dans cette prise de pouvoir des élèves auniveau de l'organisation de leur travail. Dans la Chine de Mao, certains collèges techniques arriventà se rendre partiellement indépendants ensubvenant à une grande partie de leurs besoins matériels(jusqu'à 60%). Dans cet esprit, une prise en charge de travaux réels pour l'extérieur ou pour leur propre établissement modifierait complètement les possibilités d'action de nos élèves. Dans monétablissement, l'an dernier j'ai assisté ainsi à une sorte de prise en charge d'un travail par ungroupe d'élèves (12) et un groupe de professeurs (4, dont essentiellement 2).
Il s'agissait d'une réparation importante à effectuer sur une machine assez complexe. La nécessité de la répartition des tâches, le besoin de se communiquer l'état des recherches et des travaux oralementou par écrit (en particulier par schémas), l'appel fait à l'initiative, aux choix, à l’imagination ont provoqué chez les participants, élèves comme professeurs, un déploiement d'énergie tels que pendant trois mois personne ne s'est occupé du temps ou de la peine éprouvée. Il a fallu faire appel aux aptitudes intellectuelles et manuelles, à des connaissances de toutes sortes, à des "êtrecapable de" (voir réforme C.E.T. contrôle continu), mais le jour la machine enfin a tourné, il n'était question ni de notes, ni d'examens, ni de regret pour le temps passé. Il y avait tant de joie sur tous les visages de ceux qui y étaient pour quelque chose que tous ceux qui n'avaient été que spectateurs ne pouvaient s'empêcher d'en être un peu jaloux.
 
Organisation de leur vie collective :
La vie des élèves dans le C.E.T. est toute organisée dans le cadre du "règlement intérieur". Plus il aura été établi en dehors d'eux et plus son application devra faire appel à des procédés autoritaires.
Chaque élève qui entre dans un C.E.T. pour deux ou trois ans doit avoir un double sentiment: celui de se sentir tenu de prendre en charge l'essentiel du règlement établi par ses aînés (on ne recommence pas à zéro tous les ans) et celui d'avoir le pouvoir d'y apporter les retouches,ou les bouleversements que l'exercice de la vie collective qu'il va avoir risque de rendre nécessaires (rien n'est définitif, on doit avoir toujours le souci de la remise en question).
 
2) MEILLEURE COORDINATION DES ENSEIGNANTS
Je n'insisterai pas sur ce point car sauf quelques exceptions la plupart des professeurs en reconnaissent aujourd'hui l'importance. Je dirai seulement que cette coordination est indispensable à  l'éducateur dans sa prise de conscience de ses responsabilités (parallélisme avec le problème desélèves). Pour que cette coordination ait lieu autrement qu'en théorie ou à la sauvette entre deuxportes, il faut lui réserver un temps dans la semaine. Si tous les professeurs d'un même C.E. T.étaient obligés de se retrouver une matinée par semaine pour faire le point sur la semaine passée,préparer la semaine suivante, étudier tous les problèmes de la vie du C.E. T. qui les concernentdirectement etc. on verrait sans doute naître dans le corps enseignant une conscience et une responsabilitéindividuelle qui tendent aujourd'hui à s'éparpiller dans un fonctionnariat étriqué. Il yaurait pour tous une cohérence dont seraient grandement bénéficiaires les élèves. Il en est de l'espritcoopératif comme du reste, il ne sert à rien d'en parler, il faut le vivre.
 
( *) 1ere partie : Pour qui ? Pour quoi ? parue dans le no 16
 
3) MEILLEURES LIAISONS ENTRE LE C.E.T. ET LA SOCIETE QUI L'ENTOURE
Nous sommes de ce point de vue dans une meilleure situation que les lycées ou les universités dont les élèves sont coupés de la vie professionnelle,· du monde concret du travail. On ne peut prendre "certitude du pouvoir, relatif mais efficace, du Moi et du corps sur les choses de cemonde que par un apprentissage progressif des fonctions motrices et sensorielles, apprentissage aucours duquel on apprend dans sa chair au travers d'essais et de tâtonnements et d'échecs, leslimites à l'intérieur desquelles la liberté peut s'exercer". Les lycéens et les étudiants sont souvent de purs esprits entourés de tous les soins et de toutes les prévenances de la société et ils n'ont évidemment rien de plus pressé que de miner les fondements même de cette société, par le simple fait qu'elle représente le support le plus commode sur lequel projeter leur agressivité. Pour nos élèves au contraire ils sont confrontés aux problèmes matériels. Le C.E. T. devrait les aider.
Malheureusement, trop souvent, les méthodes d'enseignement, le contenu même de cet enseignement, sont inadaptées au monde du travail. Les relations avec le monde professionnel sont insuffisantes.Les travaux effectués sont peuou pas motivés, souvent inutilisés. Les élèves et même les professeurs qui osent l'avouer ont l'impression parfois de perdre leur temps, de faire des choses qui ne servent et ne serviront à rien.
Par ailleurs, il faut que les problèmes d'actualité dont les élèves parlent quotidiennement entre eux, puissent être abordés avec les adultes au cours de la vie scolaire. En mettant en place des structures à cet effet on permettrait un échange fructueux entre adultes et adolescents. Les adultes comprendraient mieux ces jeunes qu'ils se doivent par ailleurs de connaître puisqu'ils doivent lesjuger. Et les adolescents auraient sans doute ainsi un point de vue parfois autre que le leur sur desinformations qu'ils reçoivent de toutes parts et qu'ils ne peuvent actuellement que se contenter de commenter entre eux. De tels échanges sont ils dangereux ? Beaucoup le pensent. Ils pensent surtout, dans le cas où il serait question d'informations strictement politiques, que l'on ne pourrait éviter un endoctrinement des élèves et cela irait à l'encontre du deuxième but que j'ai fixé à notre éducation. Mais dans l'optique où je me place nous nous adressons à des élèves capables de "penser, réfléchir, critiquer etc." et surtout capables de construire. Aujourd'hui l'information en général et l'information politique en particulier, ils la reçoivent et ils la subissent de gré ou deforce. Et il y a endoctrinement parce qu'effectivement, les adolescents ne sont pas armés pourfaire la part de leur propre expérience par rapport à cette information. Et nous, nous n'avons en principe ni le droit, ni le temps, ni les moyens, d'échanger avec eux des idées sur leurs préoccupationsquotidiennes, alors que nous sommes pratiquement les seuls adultes avec lesquels ils sont en contact et alors que l'on nous demande de leur ouvrir l'esprit, de former leur responsabilité etleur sens critique. Tout autour de nous le monde de la publicité, de la presse, de la radio, de latélévision hurle ses slogans et nous ne pourrions que faire ceux qui n'entendent rien ! nous devrions être des sourds bienheureux, accrochés à des connaissances si souvent vaines !
 
4) L'ENSEIGNEMENT DES MATHÉMATIQUES AU C.E.T.
Nous sommes constamment pris entre le caractère utilitaire du calcul et la nécessité de "former l'esprit au raisonnement". Or actuellement, quelle que soit notre bonne volonté nous ne pouvons sortir de ce dilemme et nous échouons souvent d'un côté comme de l'autre.
Tout d'abord la globalisation de l'enseignement, la coordination des enseignants n'étant pas réalisés, les besoins des élèves en mécanismes opératoires utilisables dans leur apprentissage du métier ne sont pas satisfaits. Quand ils le sont ce n'est ni au bon moment ni dans le bon contexte.
Par ailleurs, pour apprendre à raisonner il faut exercer son raisonnement. Or les connaissances jugées indispensables par les programmes ne laissent pas le temps nécessaires à cet effet. Les inspecteurs certes disent avec raison que nous pouvons dans le programme donner plus d'importance à certaines questions, mais nos leçons devant être construites dans le but d'acquisitions de connaissances, il n'est pas concevable que l'on puisse s'offrirle luxe d'une heure de "perdue" en tâtonnementsapparemment improductifs et pourtant indispensables.
 
Que peut-on faire alors au C.E.T. ?
Dans le livret présentant la collection des livrets programmés misau point par la commission math. second degré de I'I.C.E.M. et édités par la CEL, on trouve une ,analyse de ce qui est l'essentiel des types d'activités humaines de tous les jours et de tous les temps :
1 - Création, invention.
2 - Décision, choix, organisation.
3 Description, expression, communication.
4 - Simulation, répétition.
Apporter une science élaborée, structurée, affinée, qu'elle soit illustrée d'exemples, voire même active, c'est limiter les activités de l'individu à celles du 3e ou 4e type et par conséquent entraver la construction de la personnalité".
Nous pouvons faire en sorte que nos adolescents "apprennent à s'interroger, à raisonner, à s'informer, à se contrôler d'une manière naturelle c'est-à-dire en exerçant au maximum leurs facultés créatrices, leur imagination, leur logique, leurs connaissances, leur esprit critique, avec l'aide de l'adulte certes, mais encore celle du groupe, qui sont les recours permettant l'approfondissement de chaque initiative de chaque réussite".
Se limiter même à l'apprentissage de connaissances nécessite de faire appel à d'autres méthodes que celles de la répétition, de la programmation (dans le style des fiches etc.) Par exemple l'enseignement des mathématiques se résume souvent à : fais ceci, fais cela, que constates-tu ?conclus.
J'avais écrit déjà l'an dernier un article (voir Brèche n° 5) dans lequel je disais en particulier :
"La simple constatation n'est pas suffisante pour permettre un véritable apprentissage. Elle n'est pas formatrice d'un concept. Pour que le concept soit intégré il faut avoir réalisé un conflit cognitif.
Tous les psychologues aujourd'hui sont d'accord pour affirmer que tout essai de compréhension est une confrontation avec une structure probablement intégrée. S'il n'y a pas ajustement parfait il y a naissance d'une situation conflictuelle et réajustement par essais et erreurs d'où un renforcement de la structure ou une acquisition d'une nouvelle structure. S'il n'y a pas ajustement et construction de la notion il n'y a pas connaissance assimilée. Il ne peut y avoir alors que savoir emmagasiné c'est-à-dire fragile. C'est un savoir qui flotte à la surface de l'esprit et qui ne peut être utilisé pour la compréhension de situations nouvelles. La plupart des exercices utilisés en mathématiques sont des exercices de renforcement de l'unité d'information mais pas des exercices permettant de créer la situation conflictuelle. Dans le sens opposé il faut se méfier des situations trop complexes ou très nouvelles qui ne peuvent être considérées comme des situations conflictuelles car ne se raccrochant à aucune structure antérieure, elles ne conduisent à aucun réajustement".
Pour pouvoir tenir compte de toutes ces données et de celles qui ont été relevées dans les chapitres précédents il faudrait donc :
a) coordonner avec les autres professeurs notre travail afin de pouvoir apporter au bon moment les outils mathématiques dont les élèves peuvent avoir besoin. Si on en faisait l'inventaire, on verraitque finalement il y en a peu. Mais leur nécessité étant ressentie par les élèves eux-mêmes dans l'organisation de leur travail, il ne nous resterait qu'à parfaire l'apprentissage en trouvant les moyens de leur faire faire quelques exercices de répétition : exercices auto-correctifs, mécanismes etc.
b) avoir au début de l'année trois ou quatre grands thèmes mathématiques à explorer. Ces thèmes seraient surtout choisis par rapport aux possibilités intellectuelles de nos élèves sans qu'il y ait forcément souci d'utilisation dans le métier. Nous fournirions aux élèves des pistes de travail très simples, et individuellement ou par petits groupes ils seraient chargés de les explorer eux-mêmes. Ils pourraient fréquemment faire part au groupe classe de leurs conclusions, de leurs échecs, deleurs réussites, de leurs questions. Le travail dans son intégralité depuis son organisation jusqu'à sa mise en forme serait finalement leur affaire. L'idéal serait même qu'entraînés à cette forme deprise en charge ils apportent eux-mêmes leurs propres problèmes. Le maître retrouverait alors sa véritable fonction : aider l'élève selon ses besoins, c'est-à-dire : procurer tout simplement du matériel,mais aussi apporter des suggestions à un moment favorable, fournir l'information quand elle devient nécessaire, prolonger une recherche entreprise, confronter une situation avec d'autres déjàvécues, apporter la bibliographie, provoquer les regroupements, les échanges, valoriser les réussites, etc.
Voilà comment on pourrait répondre à la fois aux deux exigences de notre enseignement mathématique : les mécanismes indispensables d'une part et la formation de l'esprit d'autre part. (Le poisson d'une part et la science de la pêche d'autre part).
C'est en tout cas dans cet esprit que j'essaie de travailler actuellement dans ma classe. Pour cela j'essaie en premier lieu d'avoir les conditions matérielles les plus favorables possibles. Après avoir passé quatorze ans dans le même établissement, avec le même directeur, j'ai aujourd'hui réuni certainesde ces conditions. Je donne à mes élèves (B.E.P. industriels première année) au début del'année, du matériel et nous consacrons au début tout notre temps à des manipulations pargroupes, à des comptes rendus d'expériences, à l'établissement de relations (tout cela en mécanique et en électricité). La mathématique devient le langage indispensable à la traduction, la généralisation etc. de ce qui est ainsi abordé au fur et à mesure. Il me manque cruellement descorrespondants (si cet article pouvait m'en procurer un, je serais ravi. Je viens de commander àla CEL un limographe complet et je compte beaucoup sur lui pour provoquer la nécessité d'uneorganisation au niveau de la transcription, au profit de tous, des différents travaux. Chaque foisque l'occasion se présente, (en particulier grâce à un collègue P.E.T.T. dessin industriel) nousessayons d'examiner une situation concrète vécue à l'atelier sous l'éclairage particulier des lois dulangage mathématique.
J'ai terriblement conscience du gouffre qui existe entre ce que je voudrais qu'il soit et ce que je fais réellement. Mais j'ai tout de même l'impression chaque année d'avancer d'un pas. Si nous étions nombreux, professeurs de C.E.T., à mettre en commun nos idées et nos réalisations, nos réussites et nos échecs, je suis sûr que nous pourrions faire une "brèche" dans ce qui constitue aujourd'hui la politique scolaire des C.E. T. au sujet desquels on peut se poser "des questions graves sur les intentions qui sous-tendent l'application d'une telle politique scolaire" (voir article J. BLION bulletin A.P.M. n° 301).
Pour me résumer je dirai que pour moi une chose est certaine : les élèves de C.E.T. sont pleins de ressources et leurs professeurs en général pleins de bonne volonté, mais l'organisation scolaire est telle qu'ils ne peuvent exprimer les uns comme les autres tout ce dont ils sont capables, ni même ce que les instructions officielles leur font croire qu'ils peuvent faire. Et c'est en définitive toute la société qui en souffre.
 
Jean-Louis BROUCARET
10 rue Gabriel Fauré
17400 Saint-Jean d' Angély
 

 

À propos du FSE

Mars 1976

 

Cette discussion entre deux animateurs de foyers met en lumière les difficultés pour intégrer le F. S.E. à la vie de l'établissement.
 
À PROPOS DU FOYER SOCIO-EDUCATIF
(discussion entre des animateurs de foyers)
THEIX, juillet 1975
Jacques. - Le foyer socio-éducatif dont tu t'occupes fonctionne au 1er cycle, je crois ?
Claude. - Oui, il s'agit d'un CES 1 200
J. - Il y a peut-être des problèmes spécifiques à chaque cycle : je pense au foyer de mon lycée. Je voudrais que nous insistions sur les problèmes, plus que sur les réalisations - tout à fait positives - donc tu as parlé (1) les contacts avec l'écrivain, les activités musicales, le théâtre ...
 
LES RAPPORTS AVEC LES CLASSES ...
J. - J'aimerais par exemple que nous précisions les rapports, ou l'absence de rapports avec les classes : ce qui me gêne dans le foyer où je travaille, c'est que ses activités me paraissent plaquées ; il y a deux activités parallèles : les classes d'un côté, et même quelques classes qui essaient de se moderniser, et de l'autre les clubs autour du foyer. Notre intention a toujours été d'établir des ponts, mais ce n'est pas toujours très facile, et on est très en-deçà de ce que l'on pourrait souhaiter.
C. - Nous avons le même problème, mais à mon sens, il ne dépend pas du foyer que les démarches convergent : les profs sont maîtres dans leurs classes .. . D'une certaine façon le foyer, pour moi, représente la possibilité offerte aux gosses de faire plus que ce que la classe permet
C'est une brèche. Ce peut être un approfondissen1ent de ce qui est fait en classe, par exemple, les 3e qui avaient fait un travail sur les immigrés réalisent une exposition sur les immigrés dansle cadre du foyer. Une autre classe de 3e organise une semaine de la poésie dans le cadre du foyer parce qu'ils avaient fait des recherches en classe. Un certain nombre de travaux de classe peuvent déboucher sur le foyer.
D'autre part ce qu'on a essayé de faire pour essayer de rnêler les activités, c'est d'abord un gros travail d'information au niveau de ce qui- se fait. Je pense que quand un écrivain vient discuter avec les élèves du foyer des problèmes de la création littéraire, il est aberrant que les profs de français ne préparent pas les élèves, et n'exploitent pas cette situation. Quand un gars des expéditions Paul-Émile Victor vient, il est aberrant qu'on n'exploite pas ce qu'il a dit. Alors chaque fois qu'on reçoit des gens, on prévient suffisamment à l'avance les profs pour qu'ils puissent sensibiliser les élèves et qu'ils puissent exploiter l'événement. Actuellement nous essayons d'enregistrer tous les gens qui viennent au CES. Les gosses ont au moins à leur disposition les bandes.
Pour un certain nombre d'activités du foyer on est arrivé à une attitude collective au niveau du CES : lorsqu'il y a une sortie pour un spectacle, lorsqu'il y a une activité culturelle, dans la mesure où les deux-tiers de la classe sont intéressés, les élèves peuvent y aller dans le cadre des cours. Ce qui fait qu'une partie des activités socio-culturelles s'intègre dans les cours, ce qui me paraît fondamental. C'était de toute façon la seule solution : à cinq heures tout le monde s'en va avec le car.
J. - Il y aurait aussi la solution consistant à aménager l'emploi du temps (une demi-journée, quelques heures, ou même que toutes les classes sortent à 16 heures ... ). Nous n'avons jamais réussi à l'obtenir.
C. - Arrêter les cours à 3 h ou à 4 h ce serait sûrement mieux que laisser une demi-journée libre car on sait pertinemment qu'entre une après-midi et des activités culturelles, actuellement les gosses choisiront l'après-midi. Ou alors ceux qui choisiront les activités culturelles c'est ceux qui en ont le moins besoin.
 
{l) cf. page 17 : Un prochain article (La Brèche n° 18) rendra compte de la conférence tenue au F.S.E. par P-J Bonzon ("Un écrivain au C.E.S ")
 
LA PARTICIPATION DES COLLÈGUES
J. - Et la participation des collègues ? ...
C. - Elle est très inégale. Pour l'écrivain, il y a eu toutes les attitudes : de celui qui a dit : "de toute façon c'est un écrivain de seconde zone - même si les gamins lisent essentiellement ça ... - donc je n'en parle pas" à celui qui a fait lire en classe un certain nombre d'ouvrages de manière à ce que les gosses puissent déjà démonter les mécanismes et poser des questions ; et toute la gamme entre ces deux extrêmes.
J. - Et la participation des élèves ?
C. - Elle est très inégale. Le problème c'est que lorsqu'il y a une activité culturelle qui permet de faire sauter les cours, ils choisissent l'activité culturelle, mais on ne peut pas mesurer quelle est la part de l'intérêt réel et la part du désir de faire sauter le cours. Ca ne me tracasse pas dans la mesure où je me dis que s'ils vont au spectacle, au théâtre, voir un ballet, un film intéressant, même si c'est pour faire sauter le cours, il doit toujours  en rester quelque chose.
 
ET LA GESTION ?
J. Il faudrait peut-être que tu précises la structure de ce foyer.
C. Le président de droit c'est le chef d'établissement. Il y a un bureau de neuf à douze membres. C'est le statut des FSE.
J. - Nous, nous avons le statut OCCE : un bureau d'élèves de six membres, qui se réunit toutes les semaines, plus un conseil d'administration formé d'autant de délégués qu'il y a de classes et declubs, et de six adultes (deux administrateurs, deux profs, deux parents) qui se réunit deux foispar trimestre. C'est ce C.A. qui élit un bureau d'élèves. Finalement les adultes jouent un rôle trèsdiscret, beaucoup plus que dans un FSE : nous avons maintenu ce statut malgré les réticences dunouveau proviseur qui arrivait d'un établissement où il était président du foyer ! Nous avons duvoter à nouveau des statuts (identiques aux précédents), nous avons perdu un an à cela. Il fautdire que la "coopé'' était marquée par quelques années de contestation, d'opposition à l'administrationprécédente. Et le proviseur (prévenu par son prédécesseur) est apparu comme venantremettre de "l'ordre" dans la bte ! . C'est pourquoi ce problème d es structures nous parait important: nous sommes restés fermes là-dessus.
C. - C'est important. Au CES, le chef d'établissement est président de droit, mais en fait il n'intervient pas.
J. - Mais cela peut arriver (exemple de Sainte-Maure (1) ... )
C. - Ensuite il y a un animateur et un trésorier adulte ; un représentant des parents d'élèves, et le reste, ce sont des élèves. Je suis arrivé cette année, à faire élire dans presque toutes les classes deux délégués au foyer. Tous les trimestres nous avons une assemblée de délégués au foyer, et tous les mois, il y a une réunion du bureau du foyer à laquelle tous les délégués qui le désirentpeuvent participer (délégués de classes et de clubs). On a également essayé d'équilibrer les "niveaux" : quatre élèves de 3e, quatre élèves de 4e, trois élèves de 5e, trois élèves de 6e, de façon à ce quetoutes les classes soient représentées. Et cette année, nous sommes arrivés à partir du deuxièmetrimestre, à faire prendre en charge les décisions par ce bureau du foyer, ce qui a parfois posé desproblèmes : ils ont refusé à certains profs des subventions parce qu'ils trouvaient que leur club était animé d'une façon qui ne leur convenait pas.
Il y a aussi le problème de la continuité : faire animer dès le troisième trimestre la vie du foyer par les élèves de 4e. On y est arrivé à peu près cette année, mais on ne sait pas trop ce que ça va donner l'année prochaine.
Je m'étais axé là-dessus pour éviter d'avoir à recommencer chaque année et parce que nous avions cette année des 3e, très apathiques, et il a fallu porter le foyer à bout de bras, alors que quand il y a des 3e qui marchent bien, elles prennent les responsabilités au foyer : une année, une de mes classes très active avait pratiquement investi le foyer.
J. - Il est certain que ce sont bien souvent nos classes, ou nos anciens élèves qui prennent en charge le foyer, tellement bien que quelquefois cela a été mal perçu, le foyer devenant le prolongementde nos classes. D'où opposition même au niveau des élèves.
J. - Les délégués sont-ils les mêmes que les délégués de classe officiels ?
C. - C'est possible mais déconseillé : cela permet à quatre élèves d'avoir une activité représentative.
 
(1) Voir L'Educateur n° 7 de janvier 1976, pages 23 à 27
 
LA COOPÉRATIVE
J . - Tu parles à un moment de la "coopérative". Qu'est-ce que cela représente ?
C. - C'est la coopérative de vente, qui est un des éléments du foyer ; c'est elle qui vend des petits pains et des cahiers pas cher, entre autres ...
J. - Mais à ce moment-là la coopérative garde cette connotation mercantile un peu gênante. Est-ce qu'il n'est pas ennuyeux de scinder ainsi le foyer d'un et la coopérative de l'autre?
C. - Le problème (l'aspect mercantile) est le suivant : les gosses dépensent des ronds (il y a un marchand de bonbons en face du CES), est-ce qu'il vaut mieux qu'ils les dépensent à l'intérieur du CES et que le CES en profite, ou à l'extérieur ? ... On m'a dit que le FSE est plus un instrument de consommation qu'un instrument de création, ce qui d'une certaine façon est vrai : on n'a pas réussi, avec les nouveaux règlements de sécurité à laisser des gosses seuls dans des salles... Mais je réponds que, compte tenu du niveau socio-culturel des gamins, si c'est déjà un instrument de consommation culturelle, ça peut être aidant. Le foyer leur permet une ouverture sur certains aspects, de notre monde qui leur resteraient autrement interdits.
 
LES RESSOURCES ?
C. - On demande chaque année une cotisation qui couvre à la fois les assurances l'ASSU, la caisse de solidarité, les diverses cotisations obligatoires.
J. - Chez nous ça n'a pas pu se faire, à cause de la différence de statut entre CASSU et le Foyer : la cotisation au foyer reste volontaire.
C. - Chez nous aussi : elle est de 20 F pour un enfant, 35 F pour d eux enfants, 15 F par enfant à partir de trois enfants ... Le problème c'est que cette année, il. y avait 55 % des enfants qui avaient payé, alors qu'il y a 100 % des enfants qui bénéficient des avantages du foyer : onre la bibliothèque (nous avons acheté des livres), la discothèque. Cela crée des petites tensions.
J . - La bibliothèque ? Est-ce normal ?
C. - Non, mais c'est un choix : ou pas de bibliothèque, ou la bibliothèque financée par le foyer. Il y a un crédit documentation. Chaque année on a 3 000 F de subventions pour la bibliothèque. Mais cela pose des problèmes. Le foyer a· une subvention de l'établissement : 3 500 F cette année ; 3 000 F de subventions des collectivités locales. On sollicite systématiquement tout le monde : mairie, jeunesse et sports chaque fois qu'il y a un voyage à l'étranger , parents d'élèves ... Notre budget doit tourner autour de30 000 F. Ce qui permet de financer les clubs, la bibliothèque, la discothèque, les sorties culturelles, etc.
Pour les sorties : on ne les fait jamais gratuites ; nous estimons qu'il faut un effort de la part des parents. Les sorties du type ski nous ont coûté cette année 1 700 F , les sorties à la maison de la culture nous reviennent à 2 ou 4 F par gosse car nous payons la moitié ou les 2/3 du prix de la place.
J . - Est-ce que vous faites la différence entre cotisants et non cotisants pour tous ces avantages ?
C. - Oui : pour les sorties, on a fait la distinction. Sinon c'est difficile, on essaie de sensibiliser les enfants aux problèmes à travers les profs. Mais certains se contentent parfois de "consommer" ce qu'on leur offre sans jamais parler aux élèves du foyer, de ce qu'il représente.
 
RAPPORTS AVEC LES CLASSES COOPERATIVES
J. - Y a-t-il des rapports avec les classes coopératives, des subventions spéciales ? ... Les classes qui ont une caisse sont-elles indépendantes ?
C. - Oui, mais elles peuvent toujours demander une subvention : par exemple une classe est partie chez ses correspondants ou en Italie, mais c'est un peu au coup par coup. Si c'était systématique, ce serait sûrement très mal perçu par les autres.
J . - Chez nous il y a un tel désintérêt que ce n'est même pas perçu du tout. .. Il y a un contrôle annuel lors de l' Assemblée Générale. Finalement mes classes demandent très peu, à part le voyage de fin d'année.
C. - Avant on distribuait des subventions (80 F par classe) pour voyage scolaire ou sortie. Il y a eu des abus : maintenant on distribue l'argent sur projet. Il y a de toute fon assez peu de projets.
J. - Quels sont les critères ?
C. - C'est très difficile : on veut éviter l'escalade de la subvention établie en fonction du budget de voyage : un voyage à Paris peut être plus cher et moins intéressant qu'un voyage à quelques kilomètres d'ici ... Nous n'avons pas trouvé la solution. On essaie de se centrer, -pour juger , sur l'intérêt du projet et la préparation du voyage. Il reste le problème poccupant de la continuité.
J. - Au lycée c'était moins préoccupant avec la continuité des deux cycles (à par tir de 76 ce
sera terminé, avec la coupure de l'établissement en deux). Mais il y avait d'autres problèmes : le second cycle avait tendance à écraser le premier (bureau constitué d'élèves de second cycle presque exclusivement).
C. - Chez nous ce sont les 3e qui ont tendance à écraser les 6e.
J. - Personnellement je suis de plus en plus sceptique sur ce qu'on peut faire, c'est même une direction que je conteste de plus en plus. Mais je projette sans doute mes problèmes : ma lassitude depuis sept ans que je m'en occupe, que je n'arrive pas à me fa ire aider : c'est à recommencer chaque année, au gré des mutations des collègues. Ça reste à mon avis toujours très superficiel : est-ce vraiment un moyen d'avancer dans un établissement ? N'est-ce pas parfois un alibi pour certains collègues ? Pour l'administration c'est un alibi : de même que les 10%, le foyer permet de faire des choses formidables, mais on ne change rien de fondamental quand on revient en classe. (Personnellement, j’ai commencé par le foyer avant de changer mon attitude et mes méthodes en classe ; mais j'ai assez vite vu le danger de deux activités parallèles et sans liaison entre elles).
C. - Pour mon CES, le foyer a été une incitation dans la mesure ou il a rendu les gosses assez exigeants. Mais il est certain que l'impact sur les classes reste très limité. C'est vrai que c'est unfoyer de consommateurs beaucoup plus que de créateurs ...
J. - Ce qui me paraît nant c'est que c'est une structure qui part d'en haut et qui descend vers les classes, alors que si ça partait de classes actives qui se fédèrent peu à peu, la démarche risqueraitd'être beaucoup plus riche. Ce qui suppose une équipe, une bonne information ...
C. - Cette année, pour la première fois 90%des profs laissent faire l'information du foyer, laissent un quart d'heure pour en débattre.
J . - Nous, nous avons d'énormes difficultés avec notre "feuille de semaine" qui devrait être lue dans toutes les classes et affichée : ça ne doit pas dépasser les 20 %... avec parfois des réactions très hostiles.
C. - Les réactions hostiles, nous en discutons en union de foyer : le bureau a décidé que toute réaction hostile de la part d'un prof entraînerait par exemple un refus de subvention ...
 
L'ATTITUDE DES PARENTS
J. - Attitude des parents ?
C. - Beaucoup considèrent le foyer comme un luxe : seule une frange s'y intéresse, ceux qui sont socio-culturellement favorisés ; alors que je voudrais faire reconnaître ses activités comme une cessité.
J. - Le foyer organise-t-il des manifestations comme kermesses, fêtes ? ...
C. - Non, la dernière que nous avons organisée n'a rapporté que 1 000 F. Pour le travail que ça nous a donné, nous avons estimé que ça ne valait pas le coup.
J. - D'un autre ça me paraît important pour l'animation, pour la vie d'un foyer, pour donner une motivation aux clubs, pour dépasser une simple juxtaposition d'activités et arriver à une certaine fédération, une certaine vie commune. Mais nous n'avons jamais trouvé de formule · satisfaisante. Pendant plusieurs années, nous avons eu une fête (en deux soirées consécutives) à l'intérieur de l'établissement, dans des conditions de fortune : au réfectoire avec une estrade démontable. Comme les règlements de sécurité ont changé, interdiction de continuer l'an dernier.
Nous avons trouvé une autre solution : dans la salle de spectacle d'un groupe scolaire du quartier, répondant aux exigences nouvelles. Mais cela a naturé totalement l'intérêt de la te. D'où cette année une formule originale : une semaine d'animation (de "foire", pour certains), de 13 h à 14 h, le samedi après-midi, avec une estrade prêtée par la mairie, installée dans la cour.Mais on a eu le mauvais temps, et surtout une énorme dépense d'énergie pour une toute petite équipe d'élèves, aide dérisoire des adultes et de l'administration (moi-même j'avais le congrès :une semaine avant Pâques !) ... et très peu de bénéfices. Activités : groupes de musique avecd'anciens élèves, théâtre, projection de films, conférences, chansons, expositions. · Pendant une semaine, des activités variées chaque jour. Cela a été bien perçu, cela a intéressé, a touché tous les élèves, a évité le côté hétéroclite de la fête (rassembler en une soirée des activités extrêmement dissemblables). Encore qu'il y ait eu des fêtes extrêmement intéressantes et qui ont laissé un souvenir durable (par exemple un montage de textes libres de plusieurs classes "mis en scène" par le club théâtre qui avait produit un certain choc). Il est probable qu'on ne recommencerapas la "semaine d'animation" à cause de l'énorme dépense dnergie et le peu de bénéfices ...
A retenir toutefois les expositions dans la salle du foyer : on arrive à un certain cloisonnement : les élèves y vont.
C. - Oui ! Reste à savoir comment tout cela est exploité... et si ça l'est !
Discussion entre C. CHARBONNIER et un camarade du 2d degré.
 
ACTIVITÉS DU FOYER SOCIO-ÉDUCATIF AU COURS DU 1er TRIMESTRE
Clubs : Danses - Émaux - Peinture sur soie - Bijoux - Espagnol - Italien - Chansons - Photo - Musique -Ski - Posters - Scrabble.
La discothèque classique et la bibliothèque sont ouvertes tous les jours de 8 h à 12 heures et de 14 h à 17 h.
Sorties à la Maison de la Culture :
 - "DJEBELLE, : plus de trois cents élèves
- "BLASKA, : plus de trois cent cinquante élèves
Récital : Jean-Claude MONNET au C.E.S. pour les élèves de 4e et 3e
Projection de diapositives : Ceylan - Danemark - Espagne - Norvège - Suède
Quinzaine de la résistance
Une exposition réalisée par le club photo
Une exposition réalisée par le club émaux.
Animation dans les classes : La chanson avec Pierre LE QUEMENT (six classes de 4e et 3e)
Théâtre et action la suite du spectacle DJEBELLE) dans quatre classes.
Participation au fonctionnement de l'Association Sportive (matches du mercredi).
Débats : Le métier de vétérinaire.
 
UN EXEMPLE D'ACTIVITÉ DU FOYER DES ÉLÈVES
Programme de la quinzaine :
LA QUINZAINE DE LA RÉSISTANCE
(25 novembre - 7 décembre)
- L'exposition de l'ANACR, placée dans le hall d'entrée du CES accompagnée de quelques textes (Eluard -Aragon - Chant des partisans, etc.) a été vue par la quasi-totalité des élèves du CES
- Une exposition de livres consacrés à la Résistance en bibliothèque (60 % des élèves)
- Deux présentations, par un professeur d'histoire, de la Radiovision consacrée à la Résistance (deux cents élèves)
- Un débat : le rôle des femmes dans la Résistance avec deux anciennes résistantes (cent cinquante élèves)
- L'intervention dans une classe de trois résistants et d'un ancien déporté
- Une table ronde animée par cinq anciens résistants (cent élèves).
Certains professeurs ont profité de l'organisation de cette quinzaine pour centrer leurs cours sur ce thème. Deux classes de 4e et deux de 3e notamment ont consacré une partie de leurs heures de la quinzaine à un travail sur le thème RÉSISTANCE et POÉSIE.
La séance "Résistance et chansons" et la projection du film " La bataille du rail" ont du être annulées par suite de la grève des PTT.
 

 

Tentative d'approche de la poésie

Mars 1976

 

                                                                                                                                                                                   
Mauricette Raymond retrace le chemin parcouru dans cette tentative de sensibiliser ses élèves au langage poétique.
 
 
                                  Tentatives d'approche de la poésie en 4e et 3e
Année 1974-75
 
Un mot dont les élèves ont parfois appris à avoir peur, comme de l'inconnu, du sacré, comme d'un langage obscur ou différent du leur. Un mot dont nous, surtout, nous avons peur: ça ne s'enseigne pas, c'est personnel. Un mot tabou, en fait.
Le compte rendu qui suit sur mes tentatives d'approche de la poésie recouvre l'année scolaire 1974-75 et les deux premiers mois de cette année. Il ne se veut surtout pas un modèle : la première étape s'est soldée par un échec ; le reste erre dans l'incertitude - l'insécurité. Je vais essayer de montrer, en particulier, d'une part, comment ce travail s'est inséré, à un moment, dans la correspondance scolaire, et les conséquences sur celle-ci ; d'autre part comment il a subi et impulsé mon évolution personnelle, en tant qu'enseignante de I'ICEM.
 
A) PREMIÈRE TENTATIVE D'APPROCHE
1) Cadre : l'organisation de mes classes l'an dernier. Les élèves travaillaient en GROUPES (non en ateliers) : ils s'organisaient par équipes autour de thèmes se rattachant à un centre d'intérêt commun.
2) Conditions : Une classe de 4e de trente-cinq élèves. Une élève écrivait beaucoup de poèmes. Le travail sur la poésie s'est effectué uniquement pendant les heures de TO : dix-sept ou dix-huit élèves, une heure par semaine, de septembre 74 à janvier 75.
3) Déroulement : Le travail a démarré à partir de deux aphorismes de René CHAR, qu'Arlette TESSIER, (classe des correspondants de ma 4e à Cadenet), avait donnés à ses élèves : "La parole soulève plus de terre que le fossoyeur ne le peut" et "Au tour du pain de rompre l'homme".
Sur ces phrases, premières recherches en équipes sur le sens des images, utilisation du dictionnaire, puis mise en commun. Cet exercice, après avoir dérouté, est considéré comme un jeu de devinettes. L'élève qui écrit beaucoup demande que la poésie devienne le travail des cours de TO. Les deux groupes acceptent. Le travail se fera désormais parallèlement dans les deux groupes, pas toujours à partir des mêmes textes, mais suivant une méthode identique.
Etape suivante : recherche sur un texte court, dont le sens n'est pas immédiatement évident, un groupe ·sur "Souvenir" de J. Supervielle et l'autre groupe sur "Redonnez-leur" de René Char.
 
SOUVENIR
//Quand nous tiendrons notre tête entre les mains
Dans un geste pierreux gauchement immortel
Non pas comme des saints - comme de pauvres hommes
Quand notre amour sera divisé par nos ombres
Si jamais vous songez à moi j’en serai sûr
Dans ma tête où ne soufflera qu'un vent obscur
Surtout ne croyez pas à de l'indifférence
Si je ne vous réponds qu'au moment du silence//.
 
REDONNEZ-LEUR
"Redonnez-leur ce qui n'est plus présent en eux,
Ils reverront le grain de la moisson s'enfermer dans l'épi et s'agiter dans l'herbe
Apprenez-leur, de la chute à l'essor les douze mois de leur visage
Ils chériront le vide de leur coeur jusqu'au désir suivant
Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres
Et qui sait voir la terre aboutir à · des fruits
Point ne l'émeut l'échec quoiqu'il ait tout perdu".
 
Là encore, travail en équipes avec dictionnaire, recherche sur le sens des images et, pour "Souvenir", sur la structure grammaticale. On cherche ensuite LE POINT COMMUN des interprétations (ex : dans le texte de Char, la perte de quelque chose, un manque à combler et l'espoir). Aucune solution n'est donnée, on se limite à cette DIRECTION DE SENS qui autorise la polysémie du texte.
C'est surtout un travail de RÉFLEXION sur le langage.
L'étape suivante se fait à partir d'un texte de Jean-Claude Renard : "La Mer" :
 
LA MER
La mer nous mènera dans des pays d'enfants,
Des pays où la mort a de grandes légendes,
Il y aura des innocences.
L'odeur là-bas des longs soleils s'épaissit au milieu des roses,
Il viendra du silence un enfant de la mer,
Un enfant fabuleux qui dira des légendes ...
 
Sur ce texte, on fait le même travail que sur les précédents. Mais c'est surtout un travail d'IMAGINATION à partir du langage.
Ensuite, je donne en vrac, une série de poèmes sur la poésie et le rôle du poète (GUILLEVIC, ALBERT-BIROT, QUENEAU, VIAN, CADOU etc.). C'est le point de départ d'un débat sur lapoésie et le poète. Mais dans un groupe, j'écris au tableau "La poésie est une arme chargée defutur". Incompréhension totale. Cet aspect leur a échappé. Ça me gêne.A ce stade, nous sommes en décembre. Je propose que nous fassions un dossier pour les correspondants.
Dans cette perspective, la correspondance est surtout une MOTIVATION À LA SYNTHÈSE. Mais la suite a prouvé que le véritable dialogue ne pouvait avoir lieu avec un tel dossier pour départ. Celui-ci avait été constitué par les synthèses par les équipes sur les textes étudiés, et par une synthèse, par une équipe, sur notre démarche. Seul embryon de dialogue ,: les élèves envoient la phrase de J.-F. CHABRUN : "Je plains ceux dont les mains ont défait sans frémir les lacets du songe". On leur pose en "devinette". On envoie le dossier.
Là, je propose que nous nous arrêtions. Les élèves refusent et suggèrent deux directions de travail : la découverte de poètes à travers une série de textes du même auteur et des poèmes sur un thème choisi au niveau de l'équipe. Ce travail se prolonge jusqu'en janvier.
Cette première tentative d'approche de la poésie débouche (enfin !) sur une séance d'écriture collective. Cependant, les textes libres se multipliaient. On quitta la poésie ... par lassitude ... à la fin janvier.
Cependant, les élèves s'étonnaient du silence des correspondants sur le dossier. Après un mois, Arlette TESSIER m'apprend leur réaction : après la lecture du dossier, ils marquent une hostilité assez violente à :
 - la poésie, qu'ils avaient cependant abordée avec Arlette, à travers Eluard, Neruda,
etc. en étude collective, mais avaient déjà trouvée "difficile". Désormais, ils ne voulaient plus en entendre parler.
- la correspondance. Ils refusent de répondre ; finalement, une équipe docile prépare une lettre, qui ne sera jamais achevée !
Arlette et moi regrettons de rester sur cet échec. Nous proposons une rencontre des adolescents. Elle ne peut se faire qu'au début du troisième trimestre. C'est la mise au point. Une dizained'élèves de chaque classe se retrouve à Cadenet un mercredi. Journée mémorable, les enfants se disent. Fervents défenseurs et contradicteurs de la poésie s'affrontent et sympathisent ; c'est le sens de la vie aujourd'hui qui devient le centre du débat. La spontanéité était revenue. La correspondancereprenait un sens. D'autres rencontres étaient sollicitées. Mais il était trop tard. C'étaitbientôt les vacances.
4) Bilan : Sur le moment, dans ma classe, j'étais satisfaite : les élèves semblaient aimer la poésie ; ils prenaient à la bibliothèque du CES les rares livres de poésie qui s'y trouvaient. Ils en écrivaient eux-mêmes beaucoup.
Mais plus le temps a passé, plus j'ai renié cette expérience à cause de son INTELLECTUALISME. Bien sûr que la correspondance n'a pas pu marcher, avec une démarche aussi directe et universitaire !
J'ai relu récemment des textes libres d'élèves. Ils avaient, en effet, bien appris leur leçon : ils faisaient des images, du rythme, avec recherche, parce que j'avais voulu qu'ils découvrent ces deux aspects du langage poétique, et ils l'avaient accepté.
 
B) SECONDE TENTATIVE D'APPROCHE : DERNIER TRIMESTRE DE L'AN DERNIER
Cette fois, c'est avec la classe de troisième que j'avais l'an dernier. trente-cinq élèves. Il n'était plus question que je propose la même démarche, intellectuelle et anti-poétique. Quelques mois avaient passé ! Il y a eu une semaine-poésie. La classe s'est divisée en équipes, toutes consacrées à la poésie, mais chacune se définissant son propre travail d'approche. Je me suis contentée d'apporter un maximum de textes, un magnéto et un électrophone. Une vingtaine de numéros de la revue POESIE 1 ; des anthologies (de la poésie française chez Seghers, de CHARPENTA EAU aux éditionsouvrières), des textes polycopiés, ont circulé. Il y a eu des montages, des textes recopiés, desessais de diction à plusieurs, des enthousiasmes... mais aussi des élèves qui se sont ennuyés.
Bilan : Moins négatif que dans le premier cas. Il y a eu beaucoup plus de création, un enthousiasme pour le montage avec musique. Pas d'explication de textes. SI, dans un texte choisi, un passage semblait obscur, l'équipe et moi essayions de l'éclaircir ensemble, c'était tout ; ce n'était pas le but.
Mais, c'est surtout le problème de l'organisation de mes classes que j'ai alors reposé. La poésie, plus que tout autre travail, fait ressortir les inconvénients de mettre une classe entière sur unmême centre d'intérêt, même si cette classe éclate en groupes de travaux différents à partir de ce thème.
A partir de là, j'ai mis ma classe de 4e en travail d'ateliers. C'est elle qui y était le mieux préparée. Un atelier de poésie est né et a fait quinze jours de lecture de poèmes, recopiant les préférés.
C'était la fin de l'année scolaire 1974-75.
 
C) TROISIÈME TENTATIVE D'APPROCHE DE LA POÉSIE : CETTE ANNÉE
1) Cadre : L'organisation de mes classes cette année. Toutes mes classes (une 4e de trente-cinq élèves et une 3e de vingt et un élèves) sont éclatées en ateliers (roman, théâtre, enquête, etc.).Dans chaque classe sont nés un ou des ateliers de poésie. Les ateliers tournent sur une période de trois semaines. La plupart des ateliers ont des fiches de travail. L'atelier de poésie n'en a pas.
2) Déroulement : Au début de chaque période, les élèves qui ont choisi un atelier de poésie définissent eux-mêmes le travail qu'ils ont envie de faire sur la poésie. Des recueils, une boîte avec destextes, des gerbes, sont à leur disposition. Jusqu'à présent, voici ce que j'ai eu :
Un atelier en 4e m'a demandé des textes sur le cheval. J'ai apporté des poèmes de GARCIA
LORCA et de SAINT-JOHN PERSE. Ils ont expliqué des images, puis ont laissé les textes pour écrire eux-mêmes, sur ce thème, collectivement et individuellement.
Une élève s'est vite séparée du groupe : "moi je préférerais la mer". J'ai apporté des textes sur la mer. Elle aussi a vite laissé les textes pour écrire.
Un atelier en 4e a lu les textes de notre boîte à poèmes. Ils ont choisi "Les Écoliers" de M.FOMBEURE et un sonnet de V. HUGO ("Elle était déchaussée, elle était décoiffée ... "). Ils ont refait un texte sur le thème de l'écolier et ont cherché l'image de la femme dans la poésie à partir du texte de HUGO.
Un atelier de 4e a fait un montage au magnéto sur "Chant du Ciel" de Robert DESNOS.
Un atelier en 3e (un élève) a fait un travail sur la calligraphie.
Voilà où j'en suis cette année. Ilest trop tôt pour faire un bilan. En fait, je donne des outils de travail, je réponds aux questions quand il y en a (et que je le peux), j'écoute et je regarde les résultats. Ce n'est pas très sécurisant. Ça donne parfois l'impression de s'en tirer à bon compte et de laisser tomber un atelier. Mais dans l'évaluation, ils ne me le reprochent pas encore. Ca va peut-être venir, et je ne sais pas encore comment je répondrai ! Mais peut-être ceux qui choisissent l'atelier de poésie ont-ils besoin de cette quasi non-directivité pour déboucher sur la création, comme ils le font en ce moment. En tout cas, ça me satisfait mieux que la première approche intellectuelle.
Je ne suis pas sûre que ça me satisfasse vraiment ! Ce qui me semble certain, c'est que tenter d'approcher la poésie dans une classe, de quelque façonque ce soit, c'est prendre le risque de voir un certain nombre de choses remises en question ;pour moi, depuis l'an dernier, le sens de la correspondance a changé ; il se trouve que ma classede 3e correspond avec une classe de 3e d'Arlette TESSIER. Dans les deux classes, d'anciens élèvesde nos 4e de l'an dernier, qui avaient subi l'échec de la correspondance décrit plus haut. Cependant,c'est spontanément qu'ils ont redémarré cette année. Bientôt, nous devons nous rencontrer.
Peut-être parlerons-nous aussi de poésie ? L'organisation de ma classe aussi a changé, en partie grâce à la poésie. Et sans doute ma relation avec bien des élèves également.
A travers mes tentatives d'approche de la poésie, c'est surtout cette évolution que j'ai voulu évoquer, que je trouve importante.
Et ce n'est pas fini. .. Septembre-Octobre 1975
Mauricette RAYMOND
"Les Cardelines"
Le Rocher du Vent
84800 SAUMANE
 

 

Une classe à la recherche de l'autonomie

Mars 1976

 

UNE CLASSE
A LA RECHERCHE DE L'AUTONOMIE
J'ai abordé la Pédagogie Freinet cette année, par très petites doses et ne suis pas parvenu à un modèle très éblouissant.
 
 
Je pense cependant fondamental (par expérience) que le désir de vouloir trop faire et surtout trop rapidement nuit beaucoup à l'accomplissement des comportements et des prises de conscience que nous voulons susciter.
Nos élèves comme nous évoluent entre des types d'éducation (familiaux ou scolaires) très différents et ce sont des réalités qu'il nous faut d'abord comprendre avant ou en même temps quenous les aidons dans leur évolution personnelle.Naturellement les techniques que nous utilisons favorisent cette évolution mais il me semblenécessaire de mettre en place d'abord avec les enfants un "climat" basé sur la confiance et le respect interindividuel. L'explication la plus détendue possible des attitudes, des réactions de chacun (c'est à nous les enseignants d'en être les catalyseurs) doit permettre de dédramatiser les relations entre nous. .. En même temps nous nous déculpabilisons mutuellement et prenons tous en compte les insécurités que nous vivons pour tout changement qui intervient dansla classe.
Ainsi pour illustrer cette réflexion d'intellectuel déformé (mais sans complexe) nous avons procéselon ce schéma pour prendre conscience ensemble des valeurs réelles de la sacro-sainte dictée.
Au premier trimestre j'ai alterné tous les quinze jours une heure de grammaire, leçon-exercices et un heure de dictée. Par petites touches, je distillais (je n'aime pas ce mot) quelques petitesdérogations à ce schéma traditionnel que les élèves connaissaient, par exemple :
- longueurs différentes pour la même dictée selon les élèves
- bonus de points pour les élèves les plus faibles
- texte de dictée emprunté à un texte d'élève ...
Au deuxième trimestre, j'ai espacé le nombre de dictées. Je les remplaçais par des séances de déblocage de l'imagination, (que tout le monde appréciait) et j'ai petit à petit supprimé les leçons de grammaire en leur proposant des recherches grammaticales partir du manuel de Mitterand "Itinéraire grammatical", dont certains exercices sont très bien).
Ce n'est qu'au milieu du 2e trimestre que j'ai introduit le fichier d'ortho de la CEL mais encore pas de fon systématique.Je profitais des erreurs commises dans leurs textes libres pour leur signaler les fiches à faire.
Parallèlement au 2e trimestre, nous avions une heure de travail libre par semaine. La réunion de classe instituée n'est venue qu'à la fin du 2e trimestre. Naturellement la question de la dictée et de la diminution inquiétante pour certains s'est vite posée. Il y a eu débat, puis le plus partisan de son maintien a proposé un sondage dont lesrésultats ont crié à l'évidence la parfaite inutilité de cet exercice (au 3e trimestre).Il est apparu clairement à tous que le seul rapport note influençait favorablement ou non l'idée qu'on avait de cet exercice. Quant à l'efficacité de la dictée pour apprendre l'orthographe, elle est apparue comme nulle. En plus tous ont pris l'engagement d'utiliser en tout ou en partie uneheure libre pour faire des fiches d'orthographe. (Dans les faits, l'engagement a été plus ou moinstenu mais ceci est encore un autre problème qui est l'utilisation que l'on réussit à faire de saliberté).
Cette démarche m'a intéressé car elle est le résultat de mon attitude "au coup par coup". Il y a deux ans (avant le Québec) j'aurais radicalimon attitude au départ et aurais fait le choix de ne pas donner de dictée depuis le début de l'année J'emploie le conditionnel car j'enseignais alors seulement l'anglais). Je n'avais pas non plus prévu l'évolution de cette prise de conscience collectiveet ne l'ai donc pas systématiquement dirigée. J'ai seulement conscience d'avoir donné quelquescoups de pouce et très honnêtement avec les enfants, nous avons cherché à analyser le problème et à en trouver les solutions.
J'ai, je le dis très objectivement, contribué à une prise de conscience individuelle , collective à un engagement de tous et de chacun sur une forme de travail que nous avons rejeté à l'unanimité.
Je vais donc plus loin dans mes conclusions temporaires ; j'ai oeuvré à certains moments dans une perspective autogestionnaire (c'est un bien trop grand mot pour nous !) de notre groupe. Tout au long de ces tâtonnements, je n'ai pas cherché à imposer mes idées et ai montré dans un cas précis (puisque je détiens certaines rênes) que j'étais prêt à reprendre le système une dictée par semaine si nous en décidions ainsi.
C'est je crois la confiance qui a existé en nous qui a permis surtout un heureux mon sens)
dénouement. Je me suis laissé un peu aller à mon travers préféré, le bavardage mais cette petite histoire me paraît très bien illustrer mon comportement de cette année ; ce qui m'a permis avec les élèves de passer une des meilleures années depuis que je suis pédagouine ! Cependant comme d'autres je ressens la difficulté du passage de l'individuel au collectif et tout particulièrement de l’écoute de l'un par tous les autres. C'est une prise de conscience difficile àacquérir pour les adultes, alors pour les enfants !
Nous avons cette année essayé au cours des réunions de classe de rechercher des formes qui aillent vers une meilleure écoute des uns des autres. Tout est en nuance, car si les règles sont trop strictes, cela nuit à la spontanéité.
R. et J .P. SINQUIN
5 65 30 Queven
 

 

 

Libre recherche en mathématiques

Mars 1976

 

UNE LIBRE RECHERCHE MATHÉMATIQUE :
De quelle nature ?
Cet article reste "ouvert" ce qui signifie pour moi qu'il devrait s'y agglomérer des critiques, des compléments, des exemples de toutes sortes... car · il n'est pas une affirmation, ni une déduction d'expériences nombreuses mais seulement des hypothèses basées sur un vécu actuel.
 
Dans une classe de 5e que je suis depuis l'an dernier, cette année scolaire a démarré sur un débat qui s'est organisé sur l'idée centrale suivante émise par les élèves :
" Qu'est-ce qu'on peut faire en libre recherche cette année ?
- On n'a pas toujours des idées ...
- Est-ce qu'on peut faire des recherches à partir de ce que l'on étudie ? ".
J'ai senti s'ouvrir et se confirmer une voie déjà explorée dans le passé, j'ai donc saisi cette occasion pour la renforcer et l'expérimenter.Nous avons conclu que la libre recherche pourra se développer cette année à partir de situationsde natures très différentes que nous qualifions de « Situations réelles" ou "situations abstraites".
Les situations réelles sont bien sûr celles, apportées par l'enfant, qui correspondent à des intérêts, des motivations personnelles (encore que cela ne soit pas toujours exact). Elles sont une ouverture sur la vie, une exploration scientifique du milieu, de l'environnement de l'enfant en quelque sorte. Cela apparaît donc comme une autre approche de la vie, complémentaire au texte libre, à l'enquête, etc.
C'est aussi, progressivement, une prise de conscience que la mathématique est un "outil" au service de cette exploration du monde par l'enfant.
Voici quelques thèmes qui se sont développés depuis la rentrée dans ce genre :
Les courses de chevaux : couplés, tiercé à partir de tickets du PMU.
Les braquets de mon vélo : motivation profonde.
La circulation routière dans la région : à partir d'un document officiel obtenu par un enfant (une carte du trafic)
Comment varient les marées : un souvenir de vacances en Normandie et un calendrier rapporté.
Jeux de cartes : tirer des cartes ...
Les situations qualifées d'abstraites, en opposition aux précédentes, sont celles rencontrées en classe, à l'occasion d'une recherche guidée ou de débats, ou encore de séances de synthèse au cours desquellesdes questions nombreuses sont posées et nous faisons beaucoup appel à l'imagination mais aussi au raisonnement par analogie. Ces recherches libres - peuvent donc naître à tout propos,j'en ai relevé quelques-unes ci-dessous depuis la rentrée :
.. - a propos d'un mot : « bijection"
un enfant représente une bijection quelconque mais Catherine pense qu'on peut en imaginer d'autres avec les mêmes ensembles et s'interroge : combien sont-elles possibles ?
- à propos d'un diagramme : celui de Carroll
Nadine et Fabienne s'interrogent : que représente chaque case de ce diagramme ? Leur recherche est reprise par Emmanuel et s'élargit : quels sont tous les sous-ensembles qu'on peut définir dans ce diagramme ?
- à propos d'un calcul : un constat :
"La division de deux naturels n'est pas toujours un naturel. Tiens !"
Alors naissent les questions : "Quand est-il un naturel ?"
"Si c'est un autre nombre : de quelle nature ? "
et les recherches en posant toutes les divisions possibles pour voir ...
à propos des parties d'un ensemble :
"Combien y a-t-il de parties quand on change d'ensemble ? "
"Quelles sont toutes les inclusions possibles alors ? "
- à propos · de relations :
Eric veut aller plus loin : avec trois ensembles et deux relations comment les représenter ?
Eric, encore lui, représente les relations "supérieur largement" et "supérieur strictement", idée venue à partir d'une définition d'ensemble en compréhension à l'aide d'un encadrement.
- à propos de quadrillage :
Sophie et J.-François dénombrent des carrés contenus dans d'autres ils établissent aussi une relation entre côté et aire ... et observent.
J'ai bien sûr dressé, au fur et à mesure, un catalogue des concepts inconnus de la classe encore et ainsi approchés, mais aussi des concepts ou techniques connus, utilisés alors comme "outil" derecherche, d'exploration, afin de voir comment sont réinvesties les connaissances déjà acquises diversement avant, leur degré d'intégration etc. Ce n'est pas l'objet de cet article, cependant je découvrelà une foule de notions qui interfèrent les unes avec les autres donc une très grande richesse quinaît de la confrontation, des échanges, de - la juxtaposition de recherches parfois très banales. Ainsi :
- la recherche de toutes les bijections amène à utiliser l'arbre comme idéogramme, mais aussi l'approche du dénombrement, par factorielles
- la recherche sur le diagramme de Carroll conduit Emmanuel à la découverte des complémentaires (négations), d'égalité de sous-ensembles, d'écritures et de propriétés : lois de De Morgan et premières approches d'Algèbre de Boole ...
- les recherches de deux équipes sur la division dans N sont déjà à l'origine de nombreuses découvertes pour le groupe :
la division euclidienne : définie avec a = bq + r et la manipulation des couples (a,b) (q,r)
le quotient par 0 : impossible après tâtonnements, rôle du 0
* l'étude des relations complémentaires : "divise" et "ne divise pas" leurs propriétés et le constat que la réunion de leur graphe donne le produit cartésien
les classes de modulo : en observant le tableau des couples (q,r) découverte des nombres donnant le même reste avec tous les restes possibles d'où l'idée de classifications des cent premiers naturels ... (relation d'équivalence, partition ... etc.)
- la recherche sur les parties d'un ensemble : constructions progressives
du triangle de Pascal dans les dénombrements (combinaisons)
du simplexe dans la recherche et représentation de la relation d'inclusion dans l'ensemble des parties d'un ensemble (structure)
- la recherche d'Eric sur les relations : est une première approche de la composition de deux relations et une observation sur des relations d'ordre avec une représentation de cettestructure d'ordre dans un ensemble fini.
- la recherche sur les carrés : elle débouche
sur l'application numérique x x2 avec les aires
• sur les "suites" ou progression (découverte de la raison ... etc.)
Si j'évoque ici ces divers concepts approchés c'est surtout pour révéler l'intérêt de ces recherches libres, sur des situations artificielles ou déjà mathématiques, pour la découverte mathématique· elle-même : en effet de nombreuses notions apparaissent dans ces tâtonnements et c'est un enrichissement pour le groupe.
Mais je voudrais analyser davantage l'intérêt de ces recherches-là, sans nier bien sûr, celui des mathématisations de situations réelles, car il me semble, actuellement qu'elles apportent beaucoup à ma classe de 5e.
D'abord, ce sont des recherches libres, j'insiste, si les départs déjà mathématiques sont artificiels, la démarche de l'enfant reste la même : celle du tâtonnement expérimental. :
- Il choisit le thème qui l'attire. A ce propos il faut reconnaître que cela répond à la curiosité naturelle des enfants de cet âge : ils posent de nombreuses questions et ces situations leur plaisent.
- Il tâtonne, fait ses propres essais ... ses erreurs, les corrige ou les affine lorsqu'il confronte ses expériences soit à celles des autres, soit au fait lui-même.
Ce faisant, il investit ses connaissances, ses acquisitions diverses, les exerce, les confirme ... : elles sont devenues des "moyens" de recherche
Il raisonne par analogie lorsqu'il dit "c'est comme'' ... "si c'était comme ... " etc.
par différence : "ça ne marche pas" pourquoi ?découverte de contre-exemples
- Il structure : Actuellement, en ce début de 5e, on introduit dans des ensemble des relations,
car on sait ce que c'est : on connaît des propriétés de celles-ci (réflexivité ... etc.) et
l'on observe des "structures" différentes comme "équivalence" et "ordre", total ou partiel. .. etc.
'
Mais en plus on complexifie :
des relations sont établies avec des couples pris comme éléments, on leur donne des images... on approche ainsi la structure des lois de composition (exemples et contre-exemples qui s'accumulent pour plus tard)
des relations sont établies aussi avec des ensembles pris comme éléments : c'est l'approche de la structure de simplexe (:P (E) ; c ).
Pour moi, c'est cette démarche qui est essentielle, enrichissante pour l'avenir, car ce sont ces "manipulations", ces mises en liaison qui sont importantes et nécessaires pour déboucher sur desprises de consciences de concepts d'une manière naturelle, mais encore à des prises de consciencede la démarche, telles que celle-ci :
- l'expérience et ses représentations suffisent dans des cas finis, réduits mais devant un grand nombre il faut "trouver une loi" ou faire la preuve autrement ... sans être ainsi formulée, apparaît la nécessité de la "démonstration mathématique".
* Ces recherches-là présentent un autre intérêt : elles sont souvent plus faciles car il n'y a pas à décrypter une situation réelle enfouie dans sa gangue parfois. En effet, une recherche toute banale et courte peut être une réussite pour l'auteur (toutes les bijections par exemple ... ).
Mais encore, à mon avis, ces recherches préparent à un tâtonnement et une recherche plus abstraits pour l'avenir (en 4e, 3e voire au second cycle) par l'attitude qu'elles déterminent : observer, , s'interroger,poser toutes sortes de questions, chercher à relier, chercher la preuve ... etc.
Pour moi, actuellement, ce type de recherche m'apparaît important et le choix quenous nous
sommes donné en 5e entre "situations réelles" et "situations artificielles déjà mathématiques", évite à mon avis les risques de tomber dans un conditionnement néfaste car les deux interfèrent constamment.
J'y découvre de plus en plus d'intérêt :
- un certain enthousiasme des enfants pour "la mathématique" et une activité importante de tous, même si les niveaux sont différents
- une couverture assez importante du programme, tout en le dépassant (vous l'avez vu dans les exemples cités) donc une certaine sécurité. Cet aspect n'est pas à négliger vis-àvis des difficultés et problèmes divers posés à tous par la libre recherche et pour les débutants qui ont parfois à se défendre
- attitude "structuraliste" ou structurante des enfants, pour comprendre et utiliser la mathématique à l'avenir.
Octobre 1975
Edmond Lèmery

 

Avec le magnétophone, libérer l'expression ?

Mars 1976

 

AVEC LE MAGNÉTOPHONE, LIBÉRER L'EXPRESSION ?
 
A) DES EXEMPLES CONCRETS DANS LE PREMIER CYCLE
 
1) "Le magnéto révélateur" :
Chérif vient de transition ; il est en 6e ; il a deux ans de retard. Il est plein de finesse mais il écrit mal et fait plein de fautes. Il ne parle pas ; il lit mal ses rares textes libres ou dit mal les textes appris. Pendant un débat sur une enquête à Avignon il parle longuement de la machine contre la peste : il hésite peu, s'exprime convenablement. Il était au milieu des autres et ne s'était pas aperçu qu'il parlait.
Quand on a écouté le débat j'ai valorisé, par le montage, son intervention : la classe a apprécié : il avait les larmes aux yeux.
C'était parti ; ce fut un Sganarelle formidable : il écrivit de fort bons poèn1es, son écriture était meilleure : il faisait moins de fautes en dictée.
Le magnéto avait joué le rôle de "révélateur". Sans appareil Chérif n'aurait pas eu conscience de ses possibilités :
 
2) "Le magnéto médiateur" :
Josépha, en 5e, venait aussi d'une classe de transition. Grande et charmante, elle ne savait que sourire et rougir sous les sarcasmes des garçons. Elle écrivait beaucoup mais jamais personne n'avait entendu sa voix quand elle disait ses textes. Elle ne voulait plus les lire : c'était la catastrophe : elle n'écrivait plus. Il fallait précipiter l'événement ...
Je choisis son meilleur texte et j'enfermai Josepha dans une classe libre avec un magnétophone et je lui ordonnai de lire son texte ...
Le lendemain, Josepha, rougissante, écoutait sa voix et son texte, sous le regard et l'oreille admiratifs de ses camarades qui l'applaudirent.
Après ce jour-là, elle accepta de s'enregistrer en direct car elle avait beaucoup de choses à dire ...
C'était le magnéto "médiateur" : il avait permis à Josepha de communiquer avec les autres élèves ...
Elle est vendeuse.
 
3) "Le magnéto outil de réussite" :
Christian, petit garçon de 6e souffrait de sa taille et d'un petit frère envahissant. Il échouait toujourrs.
Le jour de l'inauguration du marché il me demanda le magnéto pour la première fois. Il voulait faire une interview. J'étais fort réticent : je ne le voyais pas parler à des inconnus. Il était incapablede formuler une question clairement.
Le lendemain il arrive triomphant : il s'exprimait avec aisance, dialoguait, et les gens répondaient ...
J'étais fort étonné et je le félicitai.
Arrivé à la maison, j'écoutai toute la bande, même le début, et j'entendis la voix de mon Christian. Enfermé dans sa chambre, il s'entraînait à poser des questions et il les reprenait jusqu'à ce qu'ellessoient claires.
C'est de l'élocution, je crois.
Pour Christian, c'est le magnéto, outil de réussite : il a tâtonné, s'est entraîné, a réussi.
 
4) "Le magnéto outil de communication" :
Et pour finir, une expérience collective réalisée au C.E.S. : sept profs se lancent dans l'étude du conte.
Chaque enseignant devait fournir un conte qui serait écouté dans les différentes classes. Certains le racontèrent ou le lurent, d'autres le repiquèrent : la peur du micro, ça existe !
Les enfants écrivirent ensuite des contes. Chaque classe choisit ses représentants et les élèves s'enregistrèrent et présentèrent leurs textes dans les autres classes. Et il y en eut des discussions !
C'était une expression bien canalisée mais le magnéto avait libéré l'expression des profs qui ne se connaissaient pas et avait permis à des élèves de s'exprimer devant un public différent de celui auxquels ils étaient habitués ...
Certains profs ont "repiqué" un conte : ils ont franchi une première étape : ils ont pris contact
avec l'appareil.
D'autres ont lu devant le micro : c'est une deuxième étape, ils ont osé s'enregistrer. D'autres enfin ont raconté devant le micro : c'est une troisième étape : ils n'auront plus besoin de la sécurité du texte écrit face à l'appareil.
Dans cette expérience le magnétophone a permis de nombreuses communications aller et retour entre les groupes nombreux et pendant une longue période... Dans ces exemples vécus et racontés trop brièvement l'emploi du magnéto apparaît comme miraculeux ; il semble qu'onl'introduit et que tout se débloque ... Essayons de préciser ...
 
B) INTÉRÊT PÉDAGOGIQUE DU MAGNÉTOPHONE
1) Le magnéto, objet d'inquiétude :
Il est évident que le maître devra apprendre à maîtriser cet outil et sécuriser l'enfant face à cet engin nouveau et généralement réservé aux adultes.
L'enseignant et le littéraire en particulier n'a pas peur de parler longtemps devant une classe passive : il est sûr de lui ! Mais il a, souvent, peur de la technique, il est effrayé par l'action, d'où son inquiétude devant l'appareil,outil qui ren1et en cause son statut de distributeur de savoir ...
Il utilise les disques en langues ou en français : bien qu'ils soient vite détériorés, il se refuse à faire une copie sur bande plus maniable (on arrête, on revient en arrière sans abîmer ... ).
 
2) Le magnéto, un outil comme les autres :
Quand le magnéto entre dans la classe, souvent, on ne le donne pas à l'adolescent : on lui fait écouter "des voix". C'est un nouveau prof qui parle, avec la présence en moins. L'adolescent ne s'exprime pas, ne s'écoute pas ... Il ne connaît pas l'appareil et ses possibilités ...
Freinet a donné le journal à l'enfant ; ceux qui l'ont suivi lui ont donné la parole. La commission audio-visuelle de l'ICEM, avec ses pionniers, les Dufour, Guérin et les autres lui a donné le magnétophone depuis 1953.
Les rencontres annuelles de la commission et les travaux obscurs de tous les jours ont affiné les outils susceptibles de rénover l'enseignement et de changer les relations maître-élèves, élément fondamental dans l'acte éducatif.
 
3) Le magnéto, un vieil outil :
L'enseignant peut, facilement, en dominer la technique et se libérer de toute appréhension. Il est certain qu'il y a toujours une "notice", en anglais, ou un collègue "qui sait tout, mais rien ne remplacera le tâtonnement, seul, dans une pièce, face à l'engin, comme Christian. Très vite les mystères de l'enregistrement (appuyer sur deux boutons, après avoir branché le micro), de l'écoute, (un seul bouton), repérés par des étiquettes autocollantes vous seront dévoilés.
Après quelques essais il est possible d'affronter l'appareil face aux élèves ... La libre utilisation du magnéto favorisera la libération de l'expression des élèves. Le magnéto rentrera dans la classe comme un simple outil nullement supérieur aux autres (fichier, correspondance, limographe, plan de travail), mais complémentaire. Comment s'y prendre ? cela dépendra du maître, des enfants, de la pédagogie, du matériel, de l'installation, de l'acoustique, des locaux, du temps qu'on veut bien y consacrer. ..
On peut cependant formuler quelques idées ...
 
4) Un outil, au service de l'expression :
* Se rappeler : Lors d'une conférence, d'une enquête, le magnéto peut servir de bloc-notes, d'aide-mémoire : c'est un début.
On considère le magnétophone comme un miroir, utilisation classique de l'appareil pour améliorer la lecture, la diction des élèves.
* S'enregistrer : On peut s'écouter, se corriger, discuter (Christian).
Le texte libre lu au micro est valorisé : l'enfant qui aura vaincu sa peur du micro sera un autre (Josepha). Des moments de débats seront conservés et pourront servir de départ à de nouvelles discussions. Dans le feu de l'action, l'adolescent timide osera s'exprimer. Quand il s'entendra il prendra confiance et un premier pas sera franchi (Chérif).
* Écouter : Ecoute d'enregistrements brefs et divers faits les années précédentes ou prêtés par des collègues, réalisés par des enfants ...
Écoute de BT Son, de repiquages de l'émission de France Culture le dimanche matin à 7 h 30, "les chasseurs de son" où la plupart des documents sortent des classes de nos camarades du Mouvement.
Ce travail peut paraître bien passif, car il n'y a aucune trace affective chez ceux qui l'écoutent mais il ouvre des pistes, donne des idées. Chaque enregistrement sera discuté et de ces débats naîtront forcément des documents ...
* L'interview : Il est plus difficile : il faut oser affronter "l'autre" : on peut le faire à plusieurs, le préparer sans cependant lire les questions. Le prof peut donner le coup de pouce qui ferarebondir la conversation. On peut aussi commencer par dialoguer avec des personnes connues.
* La correspondance : Le magnéto peut aussi vivifier la correspondance qui parfois rebute car elle peut apparaître trop scolaire ... Et se présenter en une ou deux minutes à un ami lointain. il faut le faire ; c'est pas facile ... C'est certainement la partie la plus intéressante des échanges interclasses:
On entend les copains avec leur accent.
On pique sur le vif des réactions à un envoi ; on pose tout de suite des questions.
On communique le résultat de ses enquêtes.
Toutes les discussions, réalisations sont valorisées.
Que de choses dans un quart d'heure d'enregistrement ! A condition toutefois de veiller à la qualité du son et d'être bref !
 
5) Le magnétophone, outil privilégié de création :
Les machines audio-visuelles sont incitatrices et permissives. Ce sont des prolongements et des amplificateurs de l'esprit créatif à condition d'oser les mettre au service de l'enfant.
L'utilisation d'un nouvel outil est toujours une expérience extraordinaire alors, essayez !
Pour la commission audio-visuelle
et avec le concours de nombreux camarades
Georges BELLOT
C.E.S. Jutes Vernes
84130 Le Pontet
 

 

Naissance d'un groupe de création

Mars 1976

 

NAISSANCE D'UN GROUPE DE CRÉATION
Le groupe « MUTANCE » : naissance, travaux, réalisations
 
HISTORIQUE DU GROUPE
La naissance de ce groupe n'est pas due au hasard mais répond à des besoins profonds qui se sont manifestés avec force lors de l'expérience des 10 %, en particulier pour les élèves, et qui rejoignent un ensemble de recherchespédagogiques locales et nationales. Le système scolaire traditionnel semble peu propice à l'expression de la créativitésous toutes ses formes et à un réel épanouissement de l'individu. Et même en dehors du cadre scolaire, lesconditions de vie actuelles entravent souvent les désirs de créer, transformer, échanger, dont beaucoup ressentent l'impérieuse nécessité.
A l'occasion d'une rencontre avec quelques comédiens et administrateurs de la Maison de la Culture de Reims, le problème s'est posé, en début d'année scolaire, d'une façon concrète et pressante. La décentralisation culturelle amorcée récemment par Reims a trouvé des échos ici. Une première réunion s'est donc tenue à la M.J.C. deNoyon, avec la présence d'un animateur et comédien rémois. Les participants à cette réunion se sont retrouvés la semaine suivante et se sont constitués en groupe de création. Dès le départ, d e multiples difficultés se sont présentées: jour, lieu et fréquence des réunions, problèmes de transport, hétérogénéité des membres du groupe (élèves, étudiants, professeurs), problèmes d'ordre financier ... sans oublier le nombre d'heures que chacun estamené à consacrer à cette activité absorbante mais passionnante.
Malgré toutes ces difficultés, le groupe s'est maintenu, s'est accru et continue même de s'étendre. Il reste ouvert à qui souhaite s'y intégrer et il tient à le demeurer.
 
FORME ET CONTENU DU TRAVAIL
La première séance a été consacrée à un jeu qu i est devenu une pratique habituelle lors de la venue de nouveaux membres : l'attribution par le groupe d'un nom à chacun de ses membres.
Le déroulement d'une séance se présente comme suit :
- rappel du travail précédent
- échange des productions réalisées entre temps, lecture et enregistrement au magnétophone des textes crées individuellement ou collectivement, exposition et appréciation des dessins exécutés
- suggestions pour le travail du jour
- créations diverses (poèmes, sketches, chansons, interprétations de textes, associations libres, expression corporelle, dessins, etc.) et approfondissement des créations précédentes
- courte mise au point et projets avant la séparation.
 
BUTS ET RÉALISATIONS
Mais tout ceci ne va pas être limité à des essais gratuits. Le groupe ne perd pas de vue les buts qu'il s'est donnés :
- une revue intitulée "Mutance" (comme le nom du groupe), mensuelle, en préparation
- l'animation de spectacles divers aussi bien dans notre lieu de travail que dans les Maisons de Jeunes, les Foyers de Travailleurs, les villages.
Ce programme est ambitieux, mais il valait la peine d'être tenté. Cela a consommé sans doute beaucoup d'énergie et a réclamé de la disponibilité et du temps. Mais cette activité ne nuira pas, - loin de là -, au travail scolaire.
Au contraire, elle rejaillira dans les classes sous diverses formes et suscitera des initiatives heureuses n'émanant pas nécessairement du groupe. Et surtout les relations élèves-professeurs s'en trouveront enrichies et des liens nouveaux se tisseront entre les élèves eux-mêmes. Bref, pour les uns et pour les autres, aller au lycée, ne sera plus vécucomme une contrainte et une corvée, mais la vie du lycée en recevra une toute autre coloration, du relief, et pourquoi pas ? une autre dimension.
Il est clair qu'il s'est agi ici d'un choix délibéré qui suppose un engagement véritable que le groupe ose assumer.
Cela signifie aussi qu'une formation s'impose : sur place, tables rondes et groupes de réflexion sur les phénomènes de groupes, ne serait-ce que trois fois par an ; ailleurs, stages divers d'expression corporelle, de dynamique des groupes ... Une aide régulière est assurée au groupe de Noyon par M. Soussigne et son équipe de création et d'animationde Reims, qui en outre sont disposés à venir travailler dans les classes et présenter leurs spectacles àNoyon et dans la région. Enfin le groupe peut bénéficier de l'appui de groupes pédagogiques, comme le Mouvementde l'Ecole Moderne.
Finalement, pourquoi s'interdire de tondre ultérieurement toutes les oeuvres et les trouvailles en apparence disparates en une seule ?
Le groupe MUTANCE
 
La rencontre de THEIX 1974 nous a rendus plus conscients de la nécessité majeure de favoriser l'acte de créer. Aussi avons-nous aidé le groupe de création "MUTANCE" à se constituer à Noyon. Autour d'un noyau, soudé deplus en plus fortement, gravitent des jeunes et des moins jeunes, tant notre tentative répond à un besoin réel etpressant. Jusqu'ici nos réunions enregistrées en partie au magnétophone, sont très productives. Nous nous refusons de nous refermer sur nous-mêmes et nous nous rencontrons de plus en plus souvent. Nous tenons néanmoins à ne rien négliger ni dans nos foyers, ni dans notre travail.
Nous avons adressé une lettre aux parents de nos membres mineurs. Nous avons remis à l'administration nos structures.
Nous travaillons avec l'aide de la maison des jeunes de Reims, de Noyon et de Cambronne-les-Ribecourt, le foyer socio-éducatif du lycée Calvin de Noyon.
Le groupe, tout en restant jalousement autonome, s'inspire des méthodes de l'école moderne (Pédagogie Freinet), puisque le responsable adulte A. Coma participe activement au mouvement Freined 2d degré et il tient à continuerà le faire. Il voudrait convaincre tous les membres de "Mutance" que ses amis sont aussi leurs amis.
Nous envisageons un stage à Grenoble avec F. Garnier et R. Seant et Alex C. propose un week-end noyonnais qui rassemblerait les travailleurs freinetistes, les collègues intéressés et, bien sûr, le groupe "Mutance". Nous espérons que ces projets seront réalisés.
Pour l'instant nous travaillons dans les classes. Les membres disponibles participent aux cours, débats, tables rondes des professeurs de "Mutance". Déjà l'atmosphère de certaines sections s'en trouve changée.
 
L'ANIMATION D'UN COURS (EXEMPLE D'ACTIVITÉ)
Le lundi 16/12/74, le groupe est invité par une première A (horaire renforcé) à "animer" leur cours de 16 heures.
D'autres classes (4e, 3e, terminales), des profs (trois) se joignent à nous. L'auditoire est nombreux (près de quatre-vingt-dix personnes). Nous utilisons le petit réfectoire du lycée avec l'autorisation de l'intendant qui nous recommande seulement de laisser les lieux propres et rangés. Nous composons notre programme avec l'aide de l'assistance.
La présence de guitares dans la salle et le souvenir assez vif d'un récital de Yupanqui à la maison de la culture d'Amiens nous pousse à commencer par un poème de Lorca "La guitare", lu en français et en espagnol.
Puis, nous sommes tout naturellement amenés, .par le jeu des questions et des réponses à présenter notre groupe (dix minutes environ). Nous commentons une de nos productions collectives : "Vivre enfin". Nous nous éclatons en groupes de dix pour la réalisation d'un choeur parlé. Chaque petit groupe "travaille" les douze premiers vers.
A 17 heures une partie de l'assemblée quitte à regret le réfectoire pour prendre le car ou le train. Avec le reste nous chantons un air de notre composition : "Calamity-Jane" sur un thème de Jazz. Puis, nous improvisons un nouveau chant. A 18 heures nous rangeons et nous nous séparons, dans l'enthousiasme.
Ce serait une illusion de croire qu'une telle séance, même avec son aspect peu achevé, ne suppose aucun travail. Nous disposions d'un coffret de poèmes particulièrement garni, d'un ensemble de textes ronéotés, pas seulement les textes écrits par nous ! Et de bien des heures exaltantes de recherche en commun. Notre souci principal c'est : d'associer tous les présents au "spectacle", de profiter des conseils, des suggestions, des trouvailles de la salle ; de nous entraîner, de nous former en avançant. Nous pensons que cette démarche est plus enrichissante que celle qui consiste à attendre trois ou quatre mois avant de présenter quelque chose de "parfait". D'autant plus que nos buts sont multiples. Nous pouvons déjà prévoir une exposition d'arts graphiques (permanente à la M.J.C. et auC.D.I.).
 
LA NAISSANCE DE LA REVUE "MUTANCE"
Dans l'immédiat, nous mettons la dernière main à notre revue mensuelle : "Mutance". Le 18/12, avec l'aide du directeur de la M.J.C. nous tirons notre premier numéro. Pour paginer, nous négligeons pour une fois le Ciné·Club. Nous constatons avec surprise que nous avons trop de matière et que le numéro 2 est déjà presque prêt.
Le 19, nous encollons dans la joie. Nous commençons la distribution : elle s'avère plus aisée que nous ne l'avions envisagée. Nous établissons une permanence le 20 lors de la rencontre parents-professeurs. Dans l'enceinte du lycée, compte tenu des élèves du premier cycle, nous avons consenti à offrir une édition expurgée, un poème ayant été jugé un peu trop grossier. .. Le succès, quoi !
Les critiques et les suggestions alimenteront la préface de notre prochain numéro. Nous expliquerons par exemple pourquoi nous refusons de signer individuellement : "Mutance est bel et bien une oeuvre collective et dans laquellejeunes et adultes osent "jouer" le difficile "jeu" de la vérité. Et d'ailleurs toute création n'est-elle pas,peu ou prou, une création collective ? Nous n'avons guère à nous justifier de nos recherches sur le langage. Une illustration plus abondante sera assurée par nous-mêmes. Et comme un professeur de travail manuel nous le suggère, par un concours "du meilleur dessin" dans l'établissement, organisé par les professeurs de dessin. Le jury devrait, être composé essentiellement d'élèves.
Notre schème initial demeure, et ce sera un de nos critères de choix, quelque soit la forme revêtue par nos productions, d'approfondir le drame en trois actes de la vie :
1) La rue pue l'ennui, suinte la mort ...
2) La déviance ou la mort en rose, en rosse !
3) La mutance ou l'existence vraie ...
Quel programme chargé ! Quelle vie pleine aussi ! Rien n'empêche vraiment de tenter. Le vent se lève ...
Alex COMA
Quesny - Guiscard 60640
 

 

Regards sur ...

Mars 1976

 

REGARDS SUR ...
« Pourquoi partir ? » de Michel Grimaud
(Collection "Les chemins de l'amitié")
 
Pourquoi partir ? Laurent, 16 ans, élève de seconde, se pose à peine la question. "Continuer à dire "oui-papa", "oui-maman", suivre sagement leurs traces pour avoir la même petite vie étriquée, j'en ai ras-le-bol !
Je veux faire ce qui me plaît sans avoir à demander la permission à qui que ce soit "Et il s'en va, il quitte le cocon familial et ces êtres "englués dans la grisaille jusqu'au cou". Pour partir à la recherche de la vraievie, de la liberté.
En fait, l'aventure tourne court ... Le sympathique barbu qui lui procure un toit le soulage aussi de son portefeuille, les hippies avec qui il fera un bout de chemin s'avèrent de pauvres loques errantes, les employeursépisodiques qu'il connaît ne sont que d'ignobles exploiteurs... Les copains - et même Valérie, sa petite amie - ne le comprennent plus ... Et comme les parents, au lieu d'ameuter la police et de prôner la vertu du coup de pied aux fesses, saisissent l'occasion pour faire un examen de conscience et entamer avec leur fils un véritable dialogue, tout se termine bien : Laurent rentre au foyer "Je travaillerai cet été et je passerai l'examen pour être admis en première ... j'ai compris que vous étiez chouettes tous les deux".
Le thème du roman était intéressant mais l'entreprise était périlleuse. Michel Grimaud n'évite pas toujours les stéréotypes et le piège des bons sentiments ... Tout s'organise, à la limite, dans le style des romans moralisateurs : Laurent rentre dans le droit chemin, mûri par l'expérience. Avis aux amateurs : il ne fait pas bonvouloir s'émanciper de la tutelle familiale ! ... On pouvait s'attendre à mieux de la part d'un auteur dont on a apprécié les qualités d'analyse dans "La terre des autres" ... Il est un peu facile de mettre en valeur les contradictions des jeunes dans leur quête de la liberté ... Est·ce une attitude positive, propre à les aider dans cetapprentissage difficile ?
Un roman peut-être écrit trop vite, ou alors sans suffisamment le souci de creuser les problèmes des jeunes, de comprendre de l'intérieur leurs réactions, leurs attitudes. Il faut cependant constituer le point de départ de débats intéressants sur l'adolescent face à sa famille, au monde qui l'entoure et sur la difficulté d'atteindre une liberté qui ne soit pas illusoire ... à condition bien sûr que les lecteurs fassent un effort pour dépasser les clichés.
 
« Tu as volé, Jochen » de Hans Georg Noack
(Collection "Les chemins de l'amitié")
Ce roman qui rappelle par instants "Chiens perdus sans collier" traite des adolescents délinquants, à travers l'histoire de Jochen, enfant d'un couple désuni, mais surtout privé de toute communication, de tout amour ...
C'est l'histoire classique des petits larcins, des fréquentations douteuses, du centre dit de redressement qui, en fait, enfonce un peu plus l'individu dans sa marginalité ... En toile de fond, en permanence, la solitude, l'absence d'amour, le sentiment d'être incompris ... Et la machine judiciaire qui s'ingénie à compliquer les choses et qui semble dépourvue de toute espèce d'humanité ... Il aurait pourtant suffi de presque rien, d'un peu de confiance peut-être, pour que Jochen arrive à "s'en sortir" comme on dit.
Le roman est intéressant, direct, sans trop de concessions à la facilité. Quelques extraits d'ouvrages divers et des chiffres récents (1974) permettent d'amorcer une réflexion sérieuse sur les jeunes délinquants. On sait que le thème ne laisse pas indifférents la plupart des élèves ...
 
Signalons enfin la parution en collection « J'ai lu" (n° 611) du roman-reportage de Bernard Clavel "VICTOIRE AU MANS", une des lectures favorites des garçons de 6e-5e.
Claude CHARBONNIER
 

 

Censure et auto-censure

Mars 1976

 

CENSURE ET AUTOCENSURE
Extraits de plusieurs entretiens à propos d'événements quotidiens vécus dans des classes de Langues et posant la question des limites de l'expression libre concernant les problèmes sexuels.
 
 
Karin. - Lors d'une séance de travail libre, les gosses avaient fait un montage sur l'obscénité. Ils avaient découpé un bonhomme en maillot de bain, et avaient mis un canon à la place du sexe. Il y avait aussi un derrière de femme sur lequel ils avaient rajouté des inscriptions, une femme en pied dans laquelle ils avaient placé un gosse tout nu, genre petit Biafrais, il était entre ses jambes, comme s'il naissait d'elle ; en face de cette femme, il y avait un gosse rigolard. Or, ce n'était pas l'image de la mère, mais l'image de la femme plutôt offerte.
J'ai affiché le panneau ; je ne me suis même pas posé la question de savoir si je devais l'afficher. A la fin de l'heure, ma collègue d'Allemand est entrée dans la classe. Elle m'a dit : "Tu ne peux pas afficher ça, tu te rends compte, les parents, l'administration ... " Alors, c'est là que j'ai commencé à paniquer. Le lendemain, j'ai dit aux gosses : « il me semble que ce panneau a besoin de quelques explications". Réponse : " Pourquoi ne voulez-vous pas qu'on affiche ça ? On a de l'éducation sexuelle à l'école ; il n'y a aucune raison qu'on ne puisse pas faire ce genre de choses, que les parents ne l'acceptent pas puisqu'ils acceptent l'éducation sexuelle". Bref, ils m'ont donné tous les arguments que je n'avais pas vraiment réussi à mettre en évidence, vu que j'étais omnibulée par la réaction de ma collègue. Et puis, ils ont dit : "Peut-être une bonne solution serait de demander aux autres élèves qui passent dans la classe carrément ce qu'ils en pensent". Ils ont affiché un questionnaire demandant les réactions de ceux qui voulaient s'exprimer ; et il y a eu des réactions, ça a complètement désamorcé le côté provocation de la chose puisqu'il y a eu discussion.
Mais sur le moment, je dois dire que j'ai eu du mal à encaisser.
Colette. - Est-ce la seule manifestation de ce genre dans ta classe ?
K. - Non ... Il y avait eu un premier panneau qui avait connu un peu le même sort. Il s'agissait de la concrétisation d'une idée choisie collectivement par la classe, à propos de l'amour, et réalisée par deux enfants déjà assez âgés. En particulier, ils avaient découpé des amoureux en train de s'embrasser ; ils les avaient séparés et avaient placé entre leurs bouches une paire de fesses nues. Ils avaient expliqué l'amour comme une affaire de lit. Après coup, pour se justifier aux yeux des observateurs, professeurs et éves, on avait trouvé des titres, en plus d'un texte libre d'accompagnement.
Il est certain qu'il y a carcan de bonnes moeurs que l'adolescent cherche à faire craquer et auquel il se heurte.
En voici un autre exemple. Au bout d'une dizaine de minutes d'un cours, je m'aperçois qu'une partie des élèves ne suit pas du tout ; un élève cache quelque chose sous sa table, sur ses genoux. Il le cache mal, volontairement, pour que je le voie. Il me sort un mensuel "spécialisé", ouvert à la page des "nanas" ; je fais sortir le journal et on en discute. Les gosses ont été très surpris de ma réaction, qui était un essai de compréhension. On a passé l'heure à discuter de ça. Le lendemain, ma collègue d'Allemand, affolée : "Qu'est-ce qui se passe ? On m'a accusée, moi, de faire lire ça dans ma ·classe d'allemand". Les faits avaient été transmis, on ne sait comment, d'une manière subjective. J'ai exposé les faits à· mes élèves ; je leur fais comprendre les dangers d'une information mal transmise ; nous nous sommes entendus sur la nécessité d'une autocensure.
C. - J'ai eu un cas cette année un petit peu curieux. Des élèves de dix-huit ans avaient choisi de faire un exposé sur la transmission de la vie, à cette occasion , on avait parlé de l'acte sexuel, de la contraception, etc. A la suite de cette séance, un professeur s'est plaint à moi personnellement, de les trouver "excités" et "bouleversés".
Or, l'échange de vue avait é té extrêmement calme. A aucun moment, je n'ai senti de nervosité chez eux ni d'excitation. Tout avait été parfaitement courtois et détendu. Il y a donc eu une réaction négative de l'extérieur et il m'est venu à l'esprit que c'était la personne en question qui était bouleversée et qui avait transposé ses propres réactions sur les élèves.
C'est appréhendé par l'extérieur comme une action subversive, parler de l'amour, c'est "de l'obsession d'excité sexuel".
C. - Est-ce que tu as conscience de "décrisper" l'image de "bonnes moeurs" que tu es censée donner en tant que prof ?
K. - Je ne dis pas que je prends le contrepied mais je suis moi-même. Je me suis très vite défaite de cette idée du prof tiré à quatre épingles et obligatoirement habillé d'une certaine manière. J'avoue qu'au départ, je faisais très attention ; j'en suis quand même arrivée - c'est un travail sur moi-même - à me dire que le fait d'avoir des formes, d'être sexuée, ne doit être en aucun cas réprimé en moi.
J'aurais mauvaise conscience à vouloir créer une image de prof ; j'ai eu des réactions de mes élèves qui m'ont prouvé qu'ils me ressentent plutôt comme une personne.
C. - Et au niveau du vocabulaire ?
K. - Je ne pense pas qu'il y ait de barrière ; j'ai, de par moi-même, un vocabulaire assez littéraire ; ce qui ne m'empêche pas, à certain moment, d'utiliser de l'argot et même de dire merde.
Il semble, d'après ces quelques exemples, qu'à partir du moment où des relations interpersonnelles s'instaurent entre profs et élèves, éliminant au maximum la notion de tabou, ils s'exposent à une certaine forme de répression de la part de l'extérieur.
 
Avez-vous vécu des événements du même type ?
Avez-vous découvert des solutions pour éviter le blocage des situations ?
Karin HADDAD et Colette ROY