La polalhera, page 10, février 2013...

 

 expression et création...

vendredi 22 février 2013

Sommaire :
- généralités
- vers une mise en œuvre d’une pédagogie de la créativité
- quelques références bibliographiques

Transcription de l’oral (avec quelques ajouts) par K. Iérémiadis

Généralités

* expression et création forment ensemble un des piliers de la PF, avec le tâtonnement expérimental, la coopération et la communication dont elles sont indissociables.

 
* Expression
 
On parle de l’expression de l’enfant
Expression de quoi ? De son rapport au monde, de sa « vérité », de ses représentations, c’est-à-dire des images qu’il a en lui de « sa situation dans le monde », des images plus ou moins spontanées, élaborées, plus ou moins chargées de conditionnements, sa parole imagée ; le réel vu au travers de sa personnalité et qui s’exprime, trouve forme via le langage au sens large. Cette expression fait surgir une idée, un imaginaire, une émotion, des perceptions, des savoirs, des opinions, etc. Tout cela caractérise la manière singulière dont l’enfant s’inscrit dans le monde, sa façon d’être au monde ; une manière de s’inscrire dans l’histoire d’une famille, l’Histoire des hommes, dans l’espace, dans la langue, etc.
Notre travail de pédagogue consiste à aider l’enfant à maîtriser cette expression, à lui donner une forme aboutie, construite, en passant du spontané à l'intentionnel, qui va lui permettre de développer ses relations avec le monde via un processus de création, dans le cadre de la Méthode naturelle ; l’expression est donc un objectif pédagogique.
 
* Création
 
Un deuxième objectif majeur de la pédagogie Freinet est le respect des processus naturel d’acquisition des connaissances, qui va nous conduire à aborder la notion de création, en particulier avec la loi du tâtonnement expérimental.
Pour Célestin Freinet, « l’enfant est par nature expérimentateur ; il procède par un tâtonnement qui évolue depuis la forme primaire, par essais-erreurs par hasard, vers des formes supérieurs et élaborées » que CF désignait globalement par le tâtonnement expérimental et qui constitue la base de la Méthode naturelle. Un certain nombre de connaissances scolaires peuvent être acquises suivant le même processus naturel que celui qui permet à l’enfant de se tenir debout et de marcher, et ce processus s’appuie sur ce que CF décrivait comme « un torrent de vie », cet « élan vital qui rend l’enfant curieux, chercheur et expérimentateur. Ses réussites l’enthousiasment et cette jubilation le pousse encore plus loin ». Cette loi fait des enfants des CREATEURS de connaissances qui n’attendent pas les leçons de l’adulte pour produire des savoirs. C’est pourquoi la Pédagogie Freinet considère l’enfant comme auteur de ses travaux, de ses recherches, de ses processus et même co-auteur du milieu lui-même.
La Pédagogie Freinet est donc par définition une pédagogie de l’expression et de la créativité, et qui vise l’accroissement de puissance de conquête du monde par l'enfant, en prenant appui sur ses propres rapports avec le monde, en accueillant son expression et en l’aidant à la développer via la création (maîtrise des multiples langages – au cours de ce stage, en tant que stagiaires, lors des ateliers longs et courts, nous avons abordé principalement le langage verbal, le langage visuel, le langage sonore et musical, le langage corporel).
 
* Création, un résultat et un processus.
 
Le mot création désigne en même temps, dans le langage courant, un résultat et un processus, ce qui peut engendrer de l’ambiguïté.
- on parle de création pour désigner une production originale, la forme élaborée donnée à ce qui s’exprime selon un style propre et personnel : par ex. un dessin, un schéma, un texte, une création maths, un modelage, etc. En ce sens, la création est « la forme concrète créée à partir d’une expression ».
- mais création renvoie aussi à un processus de transformation des images, des connaissances (…), et en fin de compte à la transformation de soi ;
Une des conséquences importantes, c’est l’explosion de la hiérarchisation traditionnelle des disciplines et l’attachement des praticiens Freinet à l’interdisciplinarité:
- l’éducation artistique  n’est plus reléguée au second plan ni considérée comme subversive (la folle du logis) ou comme décorative (la cerise sur le gâteau) ….
- quand on parle de création, il peut s’agir d’une création
tout autant mathématique qu’artistique, et des liens sont constamment favorisés entre les différents domaines d’apprentissage.

 

* pas de création et d’expression sans liberté

La liberté de l’expression en pédagogie Freinet ne signifie pas non interventionnisme du Maître (allusion au texte de Paul Le Bohec: "La non non-directivité").
La part du maître doit au contraire s'affirmer pour créer le milieu d’accueil et de libération de l’expression : conditions matérielles et humaines, outils, procédures, posture de l’adulte, etc.

 

Enjeu : libérer l’expression de l’enfant = lutter contre ce qui fait obstacle à la pensée.
Lorsque l’enfant ou l’homme s’exprime et crée, c’est la pensée qui est à l’œuvre et cette pensée se déploie en suivant deux chemins conjoints à prendre en compte en pédagogie: rationalité et sensibilité. Ne pas prendre en compte cette réalité de la pensée constitue un obstacle pour la pensée pédagogique et le développement de la pédagogie Freinet tout particulièrement (« obstacle pédagogique »).

 
Nous abordons le monde avec deux paires de lunettes en même temps
 
 
 
Avec les lunettes
de l’explorateur savant
 
Avec les lunettes
de l’explorateur rêveur
 
Objet de connaissance
le donné réel
le monde réel
l’environnement
les territoires de l’imaginaire
le monde rêvé
Représentations individuelles plus ou moins liées ou insérées dans un imaginaire collectif (famille, groupe, société, etc.)
Dépasser la simple perception pour créer des représentations différentes, au service non plus du réel mais du possible.
«Appréhender l'univers et les hommes, d'inventorier et d'exalter la condition humaine, (…). Les enfants balbutient le monde et l'homme, ils les invoquent, ils les nomment, ils s'identifient à eux, ils les réinventent, ils se les approprient de la même manière à la fois lyrique et hardie que les chasseurs préhistoriques (...) Il y a comme un pouvoir inné de recréer le monde à son image, au rythme de sa joie de vivre, qui révèle l'enfant à lui-même et nous le révèle à nous-mêmes. Parce qu'elle abolit les frontières entre l'imaginaire et le réel, elle décuple ses possibilités créatrices, multiplie ses pouvoirs, accroît son impression de puissance. Laissons l'enfant, comme l'artiste, recréer le monde à son image et prendre, ce faisant, conscience et possession de lui-même. Permettons-lui de maîtriser ses émotions en les exprimant, d'éprouver sa propre certitude d'être existant et pensant, œuvrant le monde et lui-même en toute joyeuse confiance. Soyons assez sages pour ne pas vouloir substituer notre logique desséchante d'adulte à son naïf pouvoir d'enchantement mythique.» L'art enfantin, expression poétique de l'enfant, Madeleine Porquet, Art enfantin n°40, 1967.
Créer des représentations, des images
Pour expliquer le monde
On vise l’objectivité
Pour rêver le monde
On rêve les yeux ouverts
On rêve en sachant qu’on rêve.
exemple
« Le chat a des poils et non des plumes, et il ne porte pas de mitaines…. »

Un chat républicain...
 (par Lilian, GS, Ecole de Saint-Maurice-en-Trièves)
La création s’appuie
Sur le donné réel
sur le perçu
sur l’inouï, le non-vu, l’irréel, l’enfoui en nous, une réalité intérieure
Le champ des possibles
« L’enfant porte en lui une infinie richesse d’imaginaire qui ne demande qu’à se déployer » Elise Freinet
«La vérité est imaginative » Elise Freinet
Créer des images du monde
Sur le mode explicatif, rationnel

exemples vus au cours du stage:

- une stagiaire raconte que deux de ses élèves refusent de croire qu'une femme peut jouer au rugby. Elle permet à sa classe de rencontrer une joueuse de rugby puis de jouer avec elle. Par le recours à cette "documentation vivante", la maitresse fait évoluer, rectifie et enrichit les représentations de ses deux élèves.

Sur le mode de l’invention, en créant de nouvelles combinaisons, opérations et par conséquent, de nouvelles significations.

exemples vus au cours du stage:

- atelier court OULIPO mené par Brigitte (compléter un article de journal découpé dans lequel il manque ou bien le début ou bien la fin de chaque ligne);
-les opérations plastiques de Daniel Lagoutte, évoquées dans l'atelier long d'art visuel (RITA: Reproduire, Isoler, Transformer, Associer).

-

Les obstacles que rencontre la pensée et qui bloquent l’acte de connaître
Les opinions premières
les connaissances figées car non questionnées
les généralisations immédiates

Soit « l’obstacle épistémologique »
(cf. Gaston Bachelard)
Les stéréotypes
Les conditionnements
le conformisme
et en particulier le danger du réalisme,

comme

« obstacle esthétique »,
obstacle majeur condamné et décrit par Elise Freinet
(cf  texte de JB. Avril dans Educateur, 1985).
Car imposer le réel comme modèle condamne l’enfant à la déception et à l’échec. L’enfant n’a pas en général les moyens de la représentation réaliste.
Il s’agit de laisser s’épanouir « l’être esthétique » chez l’enfant, présent à l’état naturel , et pour cela, de rendre justice à la pensée sensible, en développant et en mobilisant chez l’enfant non plus sa capacité à représenter le monde, mais plutôt sa capacité à présenter son monde « à soi » «La pensée enfantine cesse d’être naturelle dès que l’intention de représentation l’emporte sur la nécessité instinctive de la présentation. Il s’agit de rester fidèle à son monde de sensations puissantes, à son univers émotionnel qui reste la base de l’inspiration et de la matière picturale.» Et de préciser que «La sensation (du grec aisthésis), ne l’oublions pas, est la racine de l’esthétique».  (cf. "D'une esthétique climatique", Combet, Art Enfantin de 1961).
L'expérience esthétique est une façon d'être au monde qu’il s’agit d’être capable de traduire en trouvant son propre style.
Jeannette Roudier, membre du secteur arts et créations, nous met en garde : « l’expression libre, ce n’est jamais l’expression d’un déjà-là. La plupart du temps le déjà-là, ce sont les conditionnements, les déterminismes qui précisément entravent l’expression libre. Celle-ci est toujours un travail, au sens de Freinet, c’est-à-dire de la création, de la transformation, de l’investigation, de la recherche. C’est toujours un processus de tâtonnement expérimental. Elle porte souvent sur des formes esthétiques (lignes, couleurs, contrastes, composition…). Lorsqu’elle est véritablement libre, c’est-à-dire avec un minimum ou une absence de contraintes didactiques, et lorsqu’elle se déploie dans un milieu coopératif accueillant et sécurisant, alors elle est presque toujours une plongée exploratoire dans l’inconscient. Inscrite dans la longue durée, elle devient un véritable processus de libération de la vie, et de conquête de sa propre puissance.» (Communication de 2010).
Libérer l’expression revient à :
Créer de nouvelles images ou représentations pour construire :
la lisibilité, l’objectivité du regard ,
la ressemblance
l’adéquation au réel
 
Créer de nouvelles images ou représentations pour construire :
-de l’imaginaire, de l’original, du singulier (à l’image de son monde intérieur, en partie secret et voilé)
 
La démarche de représentation qui est encouragée
Prend comme modèle le réel
Créer à partir du réel
« On ne peut créer que contre le réel »

Duborgel : « L’imagination ne sait pas ce qu’elle va trouver. Ce sont les matériaux qu’elle rencontre qui la constituent en réalité ».

Mise en jeu de
La ressemblance,
l’adéquation,
la convergence ...
La correspondance (métaphores, images qui dévoilent tout en préservant, thèmes poétiques, etc…),
la divergence (Pensée divergente)...
Dans les deux cas, il y a libération et structuration via le langage (au sens large) qui permet de réinterpréter le réel:

-soit sur le mode explicatif
-soit sur le mode symbolique

Conclusion : pour répondre à cette opinion questionnée au cours d’un précédent entretien en grand groupe, selon laquelle « activer l’imagination avant un certain âge pourrait constituer un danger pour l’enfant en entretenant la confusion entre rêve et réalité», nous pensons qu’il n’y a pas d’âge limite pour commencer à rêver, que le rêve est naturel et essentiel pour le développement de la pensée ; ce n’est pas en diabolisant le rêve que l’on peut éduquer en méthode naturelle : « Rêver, ce n’est pas perdre son temps, ce n’est pas le laisser aller ni une source de handicap » (cf. L’enfant artiste, Elise Freinet)

Lecture par Hervé Nunez du Manifeste de l'enfant Créateur

 

Vers une mise en œuvre d’une pédagogie de la créativité

Travail en petits groupes puis en grand groupe.

Qu’est-ce qui, au cours de ce stage, vous a permis ou non de vous exprimer et de créer en tant que pédagogues stagiaires ?

Mise en commun des réponses

Aménager le milieu sur le plan matériel

Espace
Temps
Matériel
Des espaces diversifiés pour :
Expérimenter
échanger
se documenter
Des espaces pour travailler en grand groupe ou en petits groupes
 
possibilité de se déplacer
Cadre temporel explicite
possibilité de choisir
un trame générale fixe mais de la souplesse
Des temps diversifiés pour :
Explorer, tâtonner, réfléchir, observer, analyser, échanger, se documenter
Des temps variés : collectifs / individuels
L’organisation temporelle joue un rôle important pour permettre une continuité pédagogique.
Qualité: diversité, quantité
 
accessible
Aménager le milieu sur le plan humain et développer certaines procédures
 
Climat rassurant
Climat d’échange et de construction mutuelle des savoirs
Climat nourricier
Climat pour encourager
Climat favorisant la création
Pas de jugement de personne
sécurisant
Entraide
écoute
Interaction
contradiction possible
Hétérogénéité
enrichissement mutuel
co-formation

faire émerger l'expertise d'un apprenant par les pairs-> enrichir les ressources par l'expertise des autres- la personne ressource n'est pas vue comme un mentor->ce qui laisse place au débat-> enrichissement mutuel
présence de personnes ressources, de documents mis à disposition
 
Bienveillance
expertises reconnues
dévolution
 

Accent sur le processus et pas seulement sur le produit fini
Utilisation de contraintes libératrices
Possibilité de s’inspirer des autres, d’observer, de coopérer
 

Quelques références bibliographiques

 
Ecrits d’Elise Freinet
L’enfant artiste, livre épuisé mas on peut le trouver en occasion
Autres écrits d’Elise Freinet en ligne sur Coop Icem :
Textes extraits des archives de la revue Art enfantin/CréAtions
Textes extraits des archives de la revue Art enfantin/CréAtions sur L'éducation artistique en Pédagogie Freinet, Développer l'expression libre, Qu'est-ce que l'art enfantin? La part du Maître et la part de l'élève
Les publications de l’Icem sur Education artistique
Gaston Bachelard
(lien WIKIPEDIA)
En particulier :
 
Duborgel Bruno +++
 
Imaginaire et pédagogie : de l'iconoclasme scolaire à la culture des songes
Ed. Sourire qui mord 1983
Gilbert Durand
L’imagination symbolique PUF 1993
 


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