L'Educateur n°1 - année 1965-1966

Octobre 1965

Il faut changer de technique d'apprentissage

Octobre 1965

Si on disait d’un éleveur de chiens que 50% de ses bêtes sont ratées et inaptes à chasser, si les propriétaires d’une écurie voyaient leurs chevaux recalés dans toutes les compétitions, on en conclurait naturellement que c’est la technique de formation et d'apprentissage qui est défectueuse, ou que sont incapables ceux qui l'appliquent, ou plus souvent les deux, car un bon ouvrier n'accepte pas des pratiques qui déprécient sa compétence et son dévouement.

Les techniques actuelles de formation et d’apprentissage scolaires échouent — et les statistiques sont plus pessimistes encore — dans 50 à 75% des cas. L’échec serait total si la vie, non encore totalement pervertie, ne corrigeait les erreurs des pédagogues.

La conclusion naturelle en serait que la technique d’apprentissage est à changer, et que les maîtres devraient être entraînés à travailler selon des méthodes plus efficientes.

Eh bien! non, éducateurs et parents d’élèves sont insensibles à cette évidence. Ils enregistrent l’échec comme s'il ne les concernait pas ou s’ils étaient persuadés d'avance de l'inutilité de leurs efforts. C'est l'enfant qui a tort. Je crois plutôt qu’ils jugent les situations de dressage des bêtes et d’éducation d’enfants comme non comparables, les techniques valables pour des chevaux ou des petits chiens ne pouvant selon eux s'appliquer aux hommes. Pour les enfants, comme autrefois pour les princes, il faut des idées subtiles, prônées et définies par de grands maîtres, des mots qui impressionnent d’autant plus qu'on ne les comprend pas ; il faut qu'on parle d’intelligence, de mémoire, de volonté, d’imagination et d’effort, même si la science psychologique balbutiante est loin d'être d'accord sur le contenu des vocables.

Il ne suffit pas d’analyser, de tester, de peser, d’éprouver un cheval ; il faut surtout lui apprendre à sauter et à trotter, on mesurera après. Pour apprécier la valeur des méthodes, je regarde les résultats. Hélas! depuis cinquante ans que j’enseigne, je n’ai constaté que fort peu de progrès valables dans les méthodes ; la scolastique actuelle en est l’officiel témoignage. Alors ?

Alors, il faut changer de technique d’apprentissage, en concevoir ou en trouver une plus vivante et décisive, si même il fallait pour cela mettre au pilon les livres savants qui nous ont conduits dans cette impasse.

Il ne s'agit pas de savoir si nos théories sont démontrables ou démontrées. Le progrès pédagogique n’est nullement une affaire qui nous soit personnelle, Il nous faut, coûte que coûte, pour la société 1965 une pédagogie 1965.

Tout ce qui peut y servir est souhaitable.

 

Les techniques FREINET ferment de la pédagogie contemporaine

Octobre 1965

Après un long mûrissement, fruit de quarante années d'expériences, nos techniques sont aujourd'hui invoquées partout où l'on considère objectivement la situation difficile de la pédagogie contemporaine, et la nécessité urgente de rattraper un retard qui risque de compromettre à jamais l'éducation démocratique.

Malgré l'acharnement avec lequel les éducateurs en exercice se cramponnent aux vieilles méthodes, nos idées gagnent du terrain à une allure réconfortante : l'expression libre, dont nul n'envisageait la possibilité lors de nos premières réalisations il y a trente et quarante ans, est désormais un élément nouveau de l’éducation ; les fichiers documentaires et autocorrectifs se substituent peu à peu à la vieille pratique des devoirs et des leçons ; les journaux scolaires et la correspondance sillonneront bientôt le monde des enfants ; par les plans de travail et les conférences, les élèves ont désormais la parole et se préparent pratiquement, expérimentalement, à leur fonction d’hommes. Notre obstination à défendre l'esprit libérateur de nos techniques et à condamner du même coup l'abêtissement de la scolastique a aujourd'hui ouvert une brèche. Le problème est posé — officieusement hors de l'Ecole, et même officiellement dans les diverses instances pédagogiques — de la prédominance des éléments culturels sur les acquisitions techniques. Au verbalisme séculaire, on tend à substituer l’expérience individuelle ou en équipe, et le travail.

Or, ces idées ne sont pas nées — elles ne pouvaient pas naître — de spéculations théoriques sur les données stériles d'un passé condamné, Elles ont pris corps parce que, les premiers dans la pédagogie mondiale, nous avons apporté les outils et les techniques qui permettent des formes nouvelles de travail mieux adaptées à notre milieu : imprimerie et journal scolaire, limographe, peintures, fichiers, bibliothèque de travail, magnétophone, bandes enseignantes, etc... Tant que ces outils n'existaient pas, force était aux éducateurs de se contenter des explications intellectuelles et des démonstrations dont ils nourrissaient leurs savantes leçons. Un progrès technique est aujourd'hui possible dans la masse des écoles.

Ce ne sont pas les seules théories qui ont enrichi et modernisé l’équipement industriel de notre pays. Il a fallu certes des recherches théoriques : elles ne sont devenues efficientes que dans la mesure où elles ont débouché sur des réalisations pratiques conséquentes. L’organisation ménagère est en pleine évolution, non par le fait de discours et d’explications mais grâce à la fabrication et à la vente en grande série du matériel nécessaire. Et les campagnes les plus reculées s’équipent de faucheuses et de tracteurs, là même où l’Ecole en reste le plus anachroniquement aux pratiques de 1900.

Par le biais des outils et des techniques de travail au service d'une pédagogie moderne, la rénovation scolaire est commencée parce qu’elle est une impérieuse nécessité, elle peut évoluer désormais à un rythme surprenant. A nous d'orienter cette évolution. Nous n’avons hélas ! que fort peu d’appuis dans le développement de notre action.

Pour des raisons diverses, qu’il ne serait pas inutile d’analyser, notre expérience se développe dans une période de vide pédagogique national et international surprenant. Il y a trente ans seulement, notre pédagogie, si elle avait alors pris forme, aurait pu se confronter à celle d’une quinzaine de grands psychologues et pédagogues qui étaient l'honneur et la promesse d'une époque : Decroly et ses centres d'intérêts, Maria Montessori et ses innovations pour la première enfance ; Cousinet et son travail par groupes ; Ferrière et son Ecole Active ; Pierre Bovet, Claparède et Dottrens, de l’Ecole de Genève ; Miss Pankurst et Washburne aux USA, sans oublier John Dewey, le théoricien d’une conception nouvelle de l'Ecole, Wallon, Piaget, Dalcroze, Freud, Paul Gheeb, avec le prestigieux cortège des grands penseurs qui, à l’époque suivaient de près tous nos travaux : Romain Rolland, Barbusse, Jean-Richard Bloch, Gandhi, Gorki, Tagore.

Comment et pourquoi ce feu dévorant qui nous encourageait et nous nourrissait s’est-il subitement évanoui, et la théorie psychologique et pédagogique vidée de ses prestigieux chercheurs? Faut-il voir là le fait peut-être que les nouvelles générations se sont rendu compte qu’il était vain de suivre les voies du passé, alors que rien ne dessinait encore les chemins de l'avenir? Et serait-ce parce qu’elle s’est attaquée au problème par un biais nouveau, selon des données non encore entrevues, que la pédagogie Freinet, seule dans les perspectives actuelles, porte les espoirs du renouveau?

Les problèmes du recyclage

La rénovation scolaire suppose une reconsidération en profondeur de la pédagogie, un changement radical dans les techniques de travail et de vie, un recyclage, pour employer un mot à la mode, sans lequel la réforme scolaire restera velléité et illusion.

Il ne saurait s’agir en effet d'un simple recyclage technique. S’il suffisait de changer de manuel ou de reconsidérer la forme des leçons, l'opposition des maîtres pourrait n’être que formelle et passagère. Mats c’est toute la conception de l'apprentissage qu'il nous faut changer. Nous devrons mettre au rebut tout ce qu’on nous a appris sur la façon d'aborder la classe et nous engager dans une nouvelle formule de travail et de vie. Pensez à la difficulté que rencontrent les maîtres à formation autoritaire pour reconsidérer sur des bases plus humaines et plus démocratiques la nature des rapports maître- élèves. Que sera-ce quand nous conseillerons aux éducateurs de partir de la vie de l'enfant dans son milieu, et de savoir aider et se taire au sein de l’équipe fraternelle?

Pour les justifications qui s'imposent, il faudrait que nous ayons à côté de nous des intellectuels, des chercheurs, des psychologues, des professeurs aux divers degrés, prêts à étudier psychologiquement et pédagogiquement les problèmes nouveaux qu'ont fait surgir nos techniques : le problème de l'expression libre, celui de la création dans tous les domaines, de l'invention permanente, et partant de l'exaltation de l’imagination, des processus d'apprentissage pour lesquels nous présentons notre théorie du tâtonnement expérimental ; la place de l’enfant et de l’adolescent dans la société nouvelle, et donc à l’Ecole ; le rôle possible des techniques audiovisuelles dans le cadre d'une pédagogie efficiente, l’incidence des films et de la TV.

Tout est à reconsidérer. Des idées très anciennes et solidement assises dans la tradition et les livres sont désormais ébranlées. L’exemple hardi des mathématiques modernes doit nous encourager dans notre effort iconoclaste. Mais il y faut des ouvriers à l'esprit libre et capables de s'attaquer à ce qui est pour faire naître ce qui doit être, et qui sera.

Nous avons l’avantage de présenter une théorie psychologique et pédagogique cohérente, fondée sur une expérience aujourd’hui concluante. Il faut que les plus clairvoyants parmi les éducateurs et les parents d'élèves prennent conscience de l’impasse où se meurt l’Ecole et de la possibilité d’en sortir par une action à la mesure de notre époque dynamique. Il faut, coûte que coûte, rompre le total silence que les livres et les revues font autour des problèmes d’éducation, pourtant si vitaux. Quel bien est plus précieux que l'avenir de l’enfant !

Nous avons créé à Vence un Institut Freinet pour susciter et coordonner les recherches en vue de la formation en profondeur des éducateurs français et étrangers qui y auront recours. Nous donnerons ici une chronique régulière de nos travaux. Mais nous serions heureux que nous écrivent dès maintenant tous ceux qui seraient désireux de participer à cette large confrontation d'expériences et—d’idées—dont—nous tirerons ensemble les conclusions nécessaires.

C.F.

P.S. Je venais de terminer la rédaction de cet article quand j'ai reçu le numéro de L’Ecole Libératrice, consacré aux travaux pédagogiques du SNI.

Après les démêlés de ces derniers mois je m'étais promis de ne rien dire d'une revue qui continue à nous ignorer systématiquement. Mais il y a pourtant des faits que nous devons relever si nous ne voulons pas nous trouver un jour devant des malentendus plus dangereux encore.

Je ne vais évidemment pas produire ici des contre-rapports sans utilité. J'attirerai seulement l’attention des camarades sur quelques points qui ne devraient pas les laisser indifférents : 1°. Comment se fait-il qu'aucun des 70 rapports départementaux que disent avoir reçus les responsables ne fasse état de l’opinion des camarades de notre mouvement? Y a-t-il eu carence totale des nôtres, ce qui m’étonnerait, ou, ce qui est plus probable, les rapporteurs se sont-ils contentés de s’approprier une partie de nos idées et de nos réalisations sans évidemment en citer les auteurs?

La seule mention que je relève c'est : « Les méthodes actives ont la faveur des rapporteurs qui souhaitent un enseignement faisant appel à l'intelligence ».

2°. Tous les rapports, comme sur un mot d'ordre, présentent les « méthodes primaires », qui s’opposent dans l'esprit du SNI aux méthodes modernes que nous avons mises au point. Pourtant le rapport de l’Oise avertit fort justement : « Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises méthodes primaires ; il n'y a que de bonnes et de mauvaises méthodes tout court ».

Or, les rapporteurs ont le front d’affirmer : «Telles que, sur le métier, les maîtres les ont faites, les méthodes en usage dans l'enseignement primaire répondent mieux que jamais à ce que notre époque attend de son école ».

Et c’est avec cette « méthode primaire » éprouvée, que les attardés scolaires atteignent le pourcentage de 53,7% au Cours Moyen (chiffre cité par un des rapporteurs). Les effectifs, les locaux, l’absence de personnel remplaçant sont certainement pour quelque chose dans cet échec — nous avons été les premiers à en dénoncer l'incidence. Mais les méthodes archaïques en usage, même si on les dit éprouvées n’y ont-elles pas leur grande part de responsabilité? Non, de cet échec, les éducateurs ne peuvent pas se laver hypocritement les mains.

3°. Les Instructions récentes recommandent notre pédagogie pour les enseignements spécialisés. Cela n'est pas du goût des rapporteurs qui préconisent à la place : « un esprit et des méthodes inspirées des nôtres» (celles du SNI), on peut aller loin dans ce domaine lorsqu’on ose écrire que les « méthodes primaires » sont des méthodes d'orienteurs, C'est un titre de gloire au moins imprévu pour les méthodes traditionnelles du SNI.

4°. Le problème des classes de transition et terminales embarrasse les rapporteurs. Que n'a-t-on pas dit quand, à la publication des circulaires, nous nous sommes ingéniés à aider les instituteurs inquiets devant leurs nouvelles responsabilités pour lesquelles ils n’étaient pas préparés. Et voilà que le SNI nous imite maintenant. Il s'en excuse : « En mettant à l'étude la pédagogie de ces classes le SNI n’apporte aucune caution à la réforme gouvernementale. Il ne s’installe pas dans les structures actuelles du premier cycle. Il fait face aux responsabilités normales en apportant une aide sur le plan pédagogique aux instituteurs des classes de transition en leur permettant par une adaptation de leurs techniques et de leurs méthodes d’orienter leur effort dans un sens positif qui ménage des possibilités ultérieures de réinsertion ».

C'est là notre propre programme.

5°. Les rapporteurs — et plus spécialement Edmond Mouillet — nous présentent de beaux morceaux de littérature pédagogique et nous ne pouvons que louer leur talent. Mais Montaigne, Rabelais et Rousseau, pour ne citer que nos grands classiques, avaient déjà parlé aussi éloquemment de la fonction éducative ; cela n’a pas empêché notre enseignement de prendre un demi-siècle de retard. Ce qu'ils ont dit, ce que disent les rapporteurs est juste, mais le progrès scolaire nécessite une autre forme d'action sans laquelle la théorie reste théorie, sans action décisive sur la pratique. Jamais on n'avait tant loué ces « méthodes primaires « traditionnelles. Pour les besoins de la cause, elles ennoblissent l'école, et ennoblissent les maîtres aussi, Et nous qui avons osé dire, documents en mains, que les «méthodes traditionnelles» abêtissent! Ah ! qu'elle est belle et efficiente la méthode du SNI ! Et que nous sommes humbles à côté de tant de vertus, nous qui, en maîtres d'école de la base, en avons assez d'être bernés par les belles paroles des théoriciens et des politiciens. Nous qui nous préoccupons, à même nos classes, d'améliorer pas à pas nos techniques de travail, avec le regret seulement de ne pas y être aidés davantage. Surtout par ceux qui prétendent sauver l’Ecole Laïque par une pédagogie primaire dont tout le monde reconnaît aujourd'hui l'insuffisance et les échecs.

C. F.

Thème du prochain congrès de Perpignan :

LES EXAMENS

Il est de notoriété publique que les examens constituent en France le but essentiel de toute scolarité, à tous les degrés.

Le problème vaut d'être étudié. Nous ouvrons une chronique régulière dans L’Educateur pour :

— une étude critique des examens actuels ;

— la recherche expérimentale d'autres techniques, relation d’expériences ;

— techniques employées dans les autres pays ;

— les tests ;

— les brevets et chefs-d’œuvre dont nous étudierons plus spécialement la mise au point ;

— l'activité créatrice de l’enfant dans tous les domaines.

Nous demandons à nos lecteurs de nous envoyer dès maintenant toute documentation utile.

C. F,

 

La trace

Octobre 1965

Dans la première partie de cette étude, parue sous le titre de La Trace dans L'Educateur n° 18-19 du 15 mai-1er juin 1965, Le Bohec montre comment l'activité libre de l'enfant, et même le dessin libre, débouchent sur la géométrie. Voici donc la suite de cet exposé.

La réorganisation du mouvement de L'ECOLE MODERNE

Octobre 1965

Encore ! penseront quelques camarades qui croient qu’un mouvement comme le nôtre a son chemin tout tracé dont on ne saurait dévier.

Rassurons-les.

C'est si nous ne réorganisions pas au fur et à mesure que se modifient les conditions de milieu que nous faillirions à notre tâche éducative.

Quand il y a vingt ou trente ans, nous n'étions pour animer et conduire notre mouvement qu'une centaine de camarades au coude à coude, nous n'avions besoin ni d'organisation ni de réorganisation. Notre travail, dont la CEL et l'ICEM étaient la commune expression, suffisait à nous unir. Et nous rêvons tous encore avec une certaine nostalgie de cette période de notre histoire, dure et parfois dramatique, mais où nous n'avions pas en handicap les problèmes de relations entre camarades qui risquent de nous obséder aujourd'hui.

J'ajoute qu'à ce moment-là notre public n'était pas encore différencié comme il l'est aujourd'hui. Nous en étions tous au même point de nos expériences et de nos recherches. Notre pédagogie n'était encore fixée ni dans ses techniques ni dans son esprit. Il n'y avait pas encore l'équipe qui sait, d'une part, et d'autre part ceux qui viennent pour apprendre et ont parfois des exigences qui gênent la vie de l'équipe. L'Educateur rose pouvait être vraiment l'organe unique de notre mouvement. Nos congrès non plus, moins populeux, ne nous posaient aucun problème particulier d’organisation. Ils étaient la grande rencontre familiale où chacun apporte sa quote-part de travail et de bonne volonté pour, en retour, trouver son dû dans le climat sympathique d’une activité commune.

Les temps sont aujourd’hui bien changés et nous ne pourrons que nous en réjouir si nous sommes en mesure de faire face aux impératifs de la nouvelle situation. Notre pédagogie a pris corps ; on en adopte officiellement les données. Le matériel nécessaire est produit régulièrement à Cannes. On l'acquiert aujourd'hui comme on achète tout matériel didactique, sans être toujours sûr de l’usage qu'on pourra en faire. Les récentes instructions ministérielles n’ont fait qu’accentuer le mouvement. Il y a maintenant chez nous, que nous le voulions ou non, une équipe maîtresse entraînée et chevronnée, et une masse croissante d’éducateurs qui peu à peu s’agrègent à notre mouvement, par nécessité parfois, mais plus souvent, heureusement, dans l'espoir de passer un jour dans le peloton de tête.

L’équipe de tête a une double fonction que lui confère notre succès : celle de répondre au besoin accru de documentation, d'initiation et de recyclage des nouveaux venus, de les accueillir et de les incorporer peu à peu dans le mouvement ; celle aussi — et nous ne pouvons absolument pas le négliger

— de continuer les recherches psychologiques, pédagogiques et techniques sans lesquelles notre pédagogie irait se sclérosant au lieu de progresser et de s’affirmer.

Nos camarades responsables ont été sur le point, ces dernières années, de se laisser subjuguer par la première fonction aux dépens de la deuxième. Et c'est pourquoi nous avons dû faire l'an dernier un nouvel effort vers la culture, dont L'Educateur Magazine et Techniques de Vie ont montré le chemin. C’est à ce double problème, qui ne se posait pas il y a dix ou vingt ans, que nous devons maintenant nous attacher : ressouder sans cesse l'équipe dirigeante. Elle ne doit pas être seulement une équipe de vieux adhérents, mais une équipe à la fois polyvalente et homogène, dont les connaissances, la culture et le dévouement seront le ciment. A elle, doivent sans cesse s'intégrer des nouveaux venus qui accéderont peu à peu à la maîtrise. Cette équipe doit mener à bien en même temps, par tous les moyens, notre fonction de recyclage plus indispensable que jamais.

Nous avions fait un premier effort dans ce sens en créant, il y a quelques années des groupes départementaux et régionaux publiant des Bulletins dont nous fournissons certains supports et devant pourvoir à cette formation des nouveaux venus par tous moyens en leurs pouvoirs.

Nos camarades ont fait le maximum dans ce domaine, sans aucune aide administrative ni syndicale. Selon notre habitude non dirigiste — pour employer un mot pédagogiquement à la mode — nous avons laissé faire l’expérience jusqu'au moment où une fausse manœuvre nous a mis dans l'obligation d'intervenir.

En effet, dans leur souci louable d'attirer et de retenir les jeunes toujours plus ou moins désargentés, nos groupes ont accepté une adhésion locale, avec cotisation minime pour le service du Bulletin départemental ou régional, organe du groupe. Il en est résulté que certains groupes ont eu ainsi à compter avec un très fort contingent d'éducateurs de deuxième zone, qui n’étaient pas adhérents à part entière, et qui s'étaient habitués à tourner en rond autour des seuls problèmes techniques, ignorant totalement l’essentiel de notre mouvement pédagogique, ne connaissant ni L’Educateur ni nos livres et revues, qualifiant dédaigneusement de bla bla bla tout ce qui n'est pas purement technique et ne prenant en somme de notre pédagogie que la pratique pour en ignorer l'esprit, trahissant ainsi, sans le vouloir, mais immanquablement, l'esprit même de tout notre effort.

Si nous voulons éviter l’échec dans l’aventure pédagogique qui nous est imposée, nous devons tout faire pour accéder à un recyclage en profondeur qui préparera les éducateurs nouveaux pour notre Ecole Moderne.

***

Et il y a un autre aspect dangereux à cette fausse manœuvre : cette masse de camarades de deuxième zone, non intégrée à notre travail, à peine adhérente par la marge, s'est cru autorisée à réclamer dans certains départements une « structuration » de notre mouvement en vue d'une démocratisation plus formelle. Autrement dit, certains nouveaux venus, ignorant tout de notre pédagogie, prétendaient orienter notre action.

C’est ce malentendu qu’il nous faut absolument dissiper. Précisons d'abord :

1°, que nous avons une Coopérative de l’Enseignement Laïc, à laquelle les jeunes peuvent et doivent adhérer et qui, elle, fonctionne démocratiquement, l'Assemblée Générale des actionnaires restant toujours, comme dans toutes les coopératives, souveraine.

2°. que nous pourrions certes fonder parallèlement une association spéciale de tous les usagers de la pédagogie Freinet, avec carte d'adhésion, cotisation et élection régulière de tous les responsables. Ce serait une solution qui pourrait avoir ses bons côtés et son utilité. Personnellement je ne peux pas m’y engager car ce serait faire pénétrer dans notre mouvement des considérations extra pédagogiques, syndicales et politiques dont je connais les dangers et qui nuiraient certainement à la cohésion de nos efforts, qui nous importe au premier chef.

3°. qu’il nous faut sauvegarder la vitalité de notre peloton de tête dont dépend la permanence de notre mouvement.

Voyons donc comment, par notre organisation nouvelle, nous pouvons assurer la marche régulière de notre activité complexe pour les fins que nous nous proposons.

Cette organisation avait déjà été soigneusement préparée au cours de notre réunion de cadres de Porspoder, en préface au Congrès de Brest.

Les camarades responsables réunis à Vence cet été, compte tenu des considérations ci-dessus, ont mis au point les directives qui suivent :

1°. La Coopérative de l'Enseignement Laïc a une vie légalement indépendante et autonome, mais il a été rappelé à Brest que la CEL créée au sein de notre mouvement et par nos meilleurs militants doit servir notre activité pédagogique et qu’on ne saurait lui concevoir d’autre but.

2°. Le mouvement de l’Ecole Moderne des Techniques Freinet est administré souverainement par l’institut Coopératif de l'Ecole Moderne (ICEM), association (loi 1901) des responsables désignés par l'Assemblée de Brest, qui décideront eux-mêmes des nouvelles adhésions proposées par des parrains. L'ICEM a la responsabilité des éditions, des périodiques et des services ICEM. Assemblée générale et C.A. de l’ICEM se réunissent régulièrement au Congrès et aux journées de Vence en août.

3°. Tous les éducateurs qui désirent participer à la vie de nos groupes départementaux et régionaux et en recevoir le Bulletin de liaison doivent s'abonner à notre revue L’Educateur.

4°. Les adhérents du mouvement sont groupés départementalement et régionalement pour le travail d’étude, de recherche, d'initiation et d'information que les groupes décident librement:

— Réunions de travail, générales ou par équipes ;

— Visites de classes ;

— Cahiers de roulement ;

— Expositions boules de neige.

5°. Pour faciliter le travail des groupes au sein de l’ICEM, il est prévu :

a) la constitution de groupes départementaux, avec un Délégué départemental choisi par les adhérents parmi les adhérents ICEM ;

b) la répartition des groupes en Groupes régionaux dont les responsables seront également choisis au sein de l'ICEM ;

c) chaque groupe régional éditera un Bulletin régional qui sera servi gratuitement tous les deux mois à tous les abonnés à l’Educateur du groupe. Le centre à Cannes préparera tous les deux mois une partie commune (couverture comprise) plus spécialement axée sur le démarrage des nouveaux venus. Les groupes régionaux y ajouteront librement, comme maintenant, une documentation pédagogique locale et régionale née de la collaboration de tous les adhérents,

L'ICEM assurera les frais de ces diverses éditions.

Nous pensons parvenir ainsi :

— à une meilleure cohésion des groupes au sein de l’ICEM ;

— à une initiation familière et efficace des nouveaux venus dans des groupes qui garderont dans leur cadre le maximum d’initiatives, comme par le passé ;

— à une direction plus efficace de l'ICEM,

Il faut que les nouveaux venus sachent bien que nous ne disposons d’aucun fonds spécial pour les aider dans leur démarrage. Ce que nous tous nous vous apportons sans réserve c'est notre camaraderie, notre dévouement et notre bonne volonté, Ils ne seront efficaces que si vous savez, vous aussi, faire l’effort qui s'impose pour accéder à une éducation moderne dont vous serez satisfaits.

C. F.

 

Le cours par correspondance de l'Ecole Moderne

Octobre 1965

Le cours d'initiation que nous avons assuré au cours de l'année écoulée et qui a été suivi par 300 camarades a rendu de grands services. 80 élèves qui ont répondu à notre questionnaire de fin d’année nous le confirment.

Et c'est avec une grande satisfaction que nous avons constaté qu’une bonne équipe de ces camarades a travaillé avec une grande efficience à notre semaine de programmation de Vence, Nous continuerons donc ce cours d'initiation réservé à tous les débutants qui désirent être aidés pour leur démarrage. Dans notre prochain numéro, sur la base des réponses à notre questionnaire, nous ferons le bilan de cette intéressante expérience.

Et voici, en attendant les principales caractéristiques qui permettront aux débutants de s'inscrire dès maintenant.

Règlement du cours par correspondance

L’organisation se fera sur la base de quelques principes auxquels nous nous efforcerons de nous conformer.

1°) Les cours seront présentés sous forme de bandes, ce qui facilite le travail. Chaque cours comportera une bande technologique et une bande pédagogique.

2°) Ces cours ne demanderont pas plus de quelques heures chacun, ce minimum pouvant être dépassé à volonté par ceux de nos élèves qui veulent pousser plus avant les travaux et les recherches que nous préconisons.

3°) Les cours ne seront pas théoriques, c’est-à-dire que conformément à notre pédagogie, nous ne partirons pas de la théorie, mais du travail effectif que vous serez invités à faire dans vos classes. Nous tâcherons de tirer ensuite de cette pratique tous enseignements théoriques désirables.

4°) Tous les participants au cours doivent être obligatoirement abonnés à notre revue L'Educateur à laquelle nous ferons très souvent référence.

5°) A chaque fin de mois, sur la base des travaux reçus, nous établirons une synthèse qui sera envoyée à tous les inscrits. ,

La correction individuelle sera opérée par le parrain.

6°) Chaque élève en effet aura un parrain, choisi parmi les camarades chevronnés du département ou d’un département voisin.

Le parrain entrera d’ailleurs en liaison avec lui par lettres, envois de journaux scolaires, visites de classes, échanges entre les classes, etc…

7°) Le centre répondra directement aux demandes spéciales qui lui seront adressées par les camarades inscrits.

8°) Des conseils seront donnés sur demande pour la lecture de livres ou revues correspondant aux thèmes proposés.

9°) Les participants à nos stages seront tout particulièrement invités à s’inscrire au cours par correspondance qui leur permettra de parfaire leur initiation.

10°) Plusieurs sections sont prévues : Maternelles, 1er degré ordinaire, Classes de perfectionnement, Classes de transition, CEG.

Tous les participants au cours s’abonnent à L'Educateur (édition 1er degré) quelle que soit la section où ils sont inscrits.

11°) Prix du cours : Droit d’inscription 5 F. Chaque envoi sera accompagné de 3 F en timbres pour frais d’administration et de correspondance.

***

Cette première réussite nous encourage à tenter une autre expérience délicate, mais qui serait pourtant très utile :

UN COURS DE PERFECTIONNEMENT

destiné à tous les camarades déjà rodés et même actifs qui désirent parfaire leurs connaissances psychologiques, pédagogiques et culturelles.

Nous avons donné cette année un certain nombre d'articles culturels dans Techniques de Vie. Mais ces articles étaient servis automatiquement à un nombre important de camarades qui ne s'intéressaient pas tous à ces études. Nous préférons que nous écrivent tous les camarades qui désireraient en bénéficier.

Selon le nombre d'inscriptions reçues nous organiserons notre programme :

— Service gratuit pour tous les parrains qui en feront la demande ;

— Service contre 5 F pour les autres. Faites-vous inscrire dès maintenant.


BULLETIN D'ADHESION AU COURS PAR CORRESPONDANCE INITIATION

NOM:

Adresse :

Ci-joint 5 F

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BULLETIN D'ADHESION SECTION PERFECTIONNEMENT

NOM :

Adresse :

Ci-joint 5 F ou offre de parrainage.

Signature

 

Education physique et rythmique à l'école maternelle

Octobre 1965

 

Poèmes et chants libres

Octobre 1965

 

Le cinéma et nous

Octobre 1965

 

Les mathématiques modernes dans l’enseignement primaire

Octobre 1965

La question des mathématiques modernes nous intéresse et nous intrigue depuis plusieurs années. Nous sentions d'instinct que nous étions là en présence d'une tentative qui risquait de « dégeler » enfin un enseignement qui était plus que les autres encore, paralysé par la scolastique.

Nous avons lu les publications se recommandant de ces mathématiques modernes. Nous avons constaté que, sous le couvert de symboles nouveaux, certains exercices n'étaient bien souvent que du pur traditionnel, et que, avec le calcul vivant, nous avons dépassé ce stade, Nous avons, à diverses reprises, notamment dans nos Congrès de Caen et de Niort, interrogé des professeurs qui avaient étudié la question, mais ils n'avaient pu donner des explications satisfaisantes.

Nous avons alors, intuitivement, lancé une idée : Et si les mathématiques modernes étaient tout simplement un aspect scolaire, et apparemment plus évolué de notre calcul vivant, une réaction naturelle contre une tendance exagérée à partir du nombre, comme on part abusivement des mots dans l’apprentissage du français ? Et si notre méthode naturelle nous apportait en somme la clef de la nouvelle technique ?

J’en étais là de mes idées quand a paru dans l‘Education Nationale (n° du 10 juin 1965) l'article de J.M. Lerner : Enseignement moderne et mathématique du primaire, avec notamment cette observation qui justifie nos méthodes naturelles : « L'analyse montre que les structures d'un langage sont bien plus complexes que celles d'une mathématique élémentaire. Cependant, dès les premières années de sa vie, l'enfant surmonte les difficultés que représente l'apprentissage de sa langue maternelle. On peut donc maîtriser les structures mathématiques ».

A condition que nous découvrions les méthodes et techniques qui permettront cette maîtrise.

J'ai lu alors deux livres récents de Dienes, professeur australien dont parle l'auteur de l’article : la Mathématique moderne dans l’enseignement primaire et Comprendre la mathématique, Ed. O.C.D.L., Paris.

L'auteur de l'article ajoute: «Les méthodes abstractives de Dienes sont supérieures à la fois aux méthodes traditionnelles et aux méthodes se fondant sur le principe de l’analogie (Cuisenaire) ou sur une motivation naturelle (calcul naturel de Freinet) ».

Voyons donc de plus près cette théorie de Dienes, celle qui semble la plus près de nos propres conceptions.

***

Les Mathématiques modernes nous sont dès l'abord sympathiques parce qu'elles condamnent « l’introduction prématurée des symboles, qui semblent paralyser les processus d'abstraction... On peut affirmer à coup sûr que, dans nos classes, nous abusons grossièrement des symboles ».

Les Mathématiques modernes, d'après Dienes, sont une condamnation totale de l’enseignement traditionnel, et nous nous rejoignons déjà dans cette condamnation : « La plupart des jeunes, tout au long de leurs études mathématiques, n'y voient qu'un laborieux processus de conditionnement, dont la seule raison d’être est la préparation aux examens qui ouvrent les diverses carrières. C'est pourquoi, en de nombreux points du globe, on commence à repenser par la base, le rôle de l'enseignement mathématique, en même temps qu’on entreprend dans certains centres une véritable recherche expérimentale à l'intérieur de la classe ; on espère, par cette méthode, démontrer que certaines réformes sont à la fois réalisables et souhaitables. C’est ainsi qu'à l'acquisition traditionnelle des règles acquises par cœur, on a cherché « substituer l’exploration des structures mathématiques fondamentales ».

Nous faisons ces citations, et celles qui suivent, qui ne sont pas une nouveauté pour nous, afin de marquer notre accord total avec Dienes sur les critiques et la condamnation d'un enseignement mathématique dépassé.

« En tous cas, l'apprentissage artificiel de la mathématique tel qu'il est pratiqué actuellement dans notre enseignement comporte un taux d'échecs très important : il y a un manque de compréhension des structures mathématiques. Dans la grande majorité des cas, quand les étudiants écrivent ou prononcent des signes mathématiques, ils ne veulent exprimer rien d'autre que les signes eux-mêmes, et non pas les structures dont ces signes devraient servir de symboles. C'est comme si on apprenait la prononciation et l'orthographe d'une langue et si on était capable de lire ri haute voix n’importe quel texte écrit dans cette langue, mais sans en comprendre la signification ».

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Les Mathématiques modernes amènent au premier plan de notre pédagogie le problème de l'abstraction et des symboles.

Comment parvenir à l’abstraction, selon quelles techniques? Comment acquérir la connaissance des symboles et faire étudier le symbole d'abord, ou bien les situations qu'il exprime — ce qui pose la question toujours délicate de l'apprentissage?

C’est tout le problème des processus d’apprentissage qui est ainsi posé. Le Prof. Dienes condamne les principes traditionnels, mais il ne présente, en échange, aucune théorie sûre et définitive. Cette théorie, c’est notre tâtonnement expérimental qui l’apporte.

« Apprendre, cela consiste en quelque sorte à plonger, la tête la première, dans une masse de phénomènes apparemment incohérents, à réagir sur ces phénomènes, à découvrir, par l'expérience comment il faut s'y prendre pour provoquer l’apparition de certains phénomènes désirés, à exprimer les différentes données du monde extérieur en formulant certaines règles...

C’est le principe de «jeter au grand bain » de la piscine. Si on jette les enfants au « petit bain », ils n'apprennent rien... Bien entendu, si vraiment l'eau est trop profonde, ils s'y noient, mais il est actuellement certain que si on les met face à des situations trop simplifiées, ils font bien moins de progrès que si on les met face à des situations plus complexes ».

Tout cela, nous l’expliquons d’une façon sure et logique par le Tâtonnement Expérimental.

« Il est certain dit l’auteur, que notre aptitude à voir les choses sous forme de répétitions régulières des mêmes schémas, a joué un grand rôle dans la survivance de notre espèce. Certains types de rugissements ou d'odeurs indiquaient à nos ancêtres la présence d'un animal dangereux et les poussaient en conséquence à grimper immédiatement sur l'arbre le plus proche. Si chaque rugissement avait été considéré comme un événement isolé, et non comme un représentant d'une classe de rugissements dangereux, nos chances de survie auraient, de toute évidence, été très petites, dans une jungle infestée de carnivores ».

L'observation est juste, mais elle n'est qu’observation non intégrée à un processus d'apprentissage. Or, nous expliquons cette répétition et ce comportement par notre théorie du Tâtonnement Expérimental : l'expérience réussie, en l'occurrence le danger de l’animal qui rugit, s'inscrit dans le comportement des individus. Deux, trois, dix expériences semblables marqueront d’une façon indélébile ce comportement, de sorte que lorsque l'homme entendra le rugissement, il fera automatiquement les gestes de défense par l'expérience.

Et il est exact que c'est une condition de survie de la race : les actes réussis laissent donc une trace. L’importance et la profondeur de la trace varient selon les individus. Il en est qui sont plus sensibles à l’expérience : ils sont plus intelligents. Ce sont ceux-là qui sauront le mieux et le plus efficacement réagir en face des événements. Mais il est des individus peu sensibles à l'expérience, donc moins intelligents chez qui l’expérience ne laisse qu'un semblant de trace. Ceux-là reparlent toujours à zéro, ou presque.

Seuls les individus sensibles à l'expérience, donc intelligents, font avancer le progrès.

C’est cette notion de sensibilité à l'expérience dans les processus de Tâtonnement expérimental qui apportent les bases scientifiques à cette nouvelle théorie de l'apprentissage.

« Tant que l'on n’a pas effectué ce classement, on se trouve comme devant un puzzle. Que peut-on faire avec un puzzle ? Généralement on commence par tâtonner, « tripoter » au hasard ; on essaie par exemple d'adapter ce morceau-ci dans celui-là et on regarde ce que cela donne. Si on peut opérer en toute liberté, les essais se multiplient, s'organisent et on commence à y voir clair ».

Comment aller du puzzle à l’organisation? Nous l’expliquons par le Tâtonnement expérimental qui donne logique et certitude au processus. C’est cette explication qui manque au professeur Dienes, dont nous approuvons sans réserve des démonstrations que nous avons faites bien souvent et que nous développons encore longuement dans notre livre : Le Tâtonnement expérimental.

« Examinons un instant la différence qu’il y a entre l'apprentissage naturel et l'apprentissage artificiel : nous pourrons alors comprendre les difficultés éprouvées par les enfants au cours de l’apprentissage artificiel. Si un enfant est emmené dans un pays étranger où l'on ne parle pas sa langue maternelle, au bout de quelques mois il saura parler la nouvelle langue aussi bien que ses nouveaux amis parce qu'il l'a apprise naturellement ; tandis que ses parents vont se débattre avec la grammaire pendant des années, essayant d'apprendre la langue « correctement ». Fort heureusement, il est impossible d'apprendre le patinage ou la bicyclette dans les livres, car sinon on verrait bien des gens s’y essayer. «Tripoter » tes données, tâtonner, telle est la seule méthode si on veut éviter de faire une culbute sur la glace, ou de tomber à bicyclette ».

Non, la seule méthode n’est pas de « tripoter » les données, mais d’être attentif aux résultats de l’expérience pour ordonner les tâtonnements qui suivront. Voilà, en tous cas la reconnaissance formelle de la valeur des méthodes naturelles que nous expliquons, nous, logiquement et scientifiquement.

« II nous faut maintenant, écrit Dienes, faire un pas de plus dans l'analyse du processus d’apprentissage ». Mais on verra que ce n'est pas suffisant et que nous pouvons par contre lui donner efficience. « Supposons que, dans des manipulations faites au hasard, nous ayons abouti à la construction d'une ou de plusieurs classes. Naturellement, la manipulation ne se fait pas uniformément au hasard, pendant toute la durée du processus d'apprentissage. La part de travail devient de plus en plus faible — c’est-à-dire que la part de choix volontaire augmente — à mesure qu'on voit apparaître des classifications éventuellement intéressantes. Ces classifications sont mises à l’essai consciemment ou instinctivement, et elles se trouvent ainsi confirmées ou rejetées, jusqu'à ce qu'une structure utilisable finisse par émerger ».

Oui, mais pourquoi la part du travail devient-elle de plus en plus faible, comment procède le choix volontaire, et d’où vient cette volonté, comment les classifications sont-elles confirmées ou rejetées? C'est à ces questions que nous apportons une réponse qui donne une sorte de légitimité au processus.

Il en résulte toutefois — et nous sommes encore là totalement d'accord avec Dienes — que :

— Dorénavant, c'est l’expérimentation qui doit être à la base de la connaissance mathématique.

— « L’ancien point de vue consiste à regarder l’enseignement mathématique comme l'apprentissage de processus mécanisés. Le nouveau point de vue consiste « considérer ces processus comme formant un entrelacement de structures de plus en plus complexes ; il s’agit de mettre les enfants à même de découvrir quelles sont ces structures, comment elles sont constituées et comment elles sont reliées les unes aux autres, et cela en les plaçant dans des situations qui illustrent concrètement ces structures. Pour arriver à ce mode d’enseignement, le maître doit complètement changer d’attitude. La « réponse » correcte passe au second plan ; l’aptitude essentielle consiste à savoir trouver son chemin à travers des situations de plus en plus complexes ; il faut mettre l’accent sur l’activité dynamique de recherche plutôt que sur l'aspect statique de la « réponse ». La vision de la structure des événements est plus importante que le symbolisme formel qui les exprime. L'activité de recherche des enfants, isolés ou par petits groupes, prend le pas désormais sur la leçon magistrale donnée par le maître en face de sa classe ; la discussion collective aboutit à des conclusions dûment enregistrées, à condition que le maître sache respecter le dynamisme constructif de la pensée de l'enfant ».

« Un grand nombre d'instituteurs d’école primaire, dans différentes parties du monde, ont découvert par l'expérience, que, pendant les premières années d’études, les enfants pouvaient acquérir beaucoup de connaissances mathématiques valables, à condition que ces connaissances reposent sur des expériences appropriées ».

Et notre conclusion commune pourrait bien être :

« C'est par sa propre pratique et par sa propre exploration que l'enfant comprend une situation nouvelle et non par des références à l'expérience d'autrui. Les explications n’aident donc pas la compréhension, elles la gênent plutôt en ce qu'elles obligent l'enfant à intégrer deux fois : par rapport à sa propre expérience et par rapport à l'expérience d'autrui. Il faut donc que l'enfant manipule lui-même des situations concrètes : rien ne se substitue à la pratique personnelle pour ce qui est de la compréhension ». C. F.

(à suivre).

 

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