l'auto-évaluation des résultats

Décembre 1965

A propos des examens (Congrès de Perpignan)

L'auto-évaluation des résultats

 

 

Dans l’étude en vue du Congrès du thème des examens nous n’aurons pas à nous attarder à la critique des pratiques actuelles. Les examens se condamnent eux-mêmes par l’usage qu’on en fait et les conséquences scolaires, psychiques, physiologiques, sociales et humaines qui en découlent. Nous citerons encore Bertrand Schwarz, Directeur de l'Ecole Nationale des Mines à Nancy :

« L’examen est paralysant pour un adulte (il l'est tout autant, sinon plus, pour l'enfant) qui est angoissé pur l'épreuve unique qui sanctionne son passé et détermine son avenir. Bien souvent également, il est angoissé par la feuille blanche à remplir. Dans ces conditions, l'examen perd sa valeur de sanction des connaissances.

La perspective de l’examen va accentuer la dépendance de l'étudiant, alors que c’est l'autonomie que nous cherchons à lui donner.

L'examen privilégie, dans les faits et dans l'esprit, les enseignements soumis à des épreuves, au détriment des autres enseignements (dits de développement personnel) essentiels « notre avis, car ils permettent d'établir un lien entre le travail scolaire de l'étudiant et son expérience.

L'examen renforce l’attitude scolaire... »

Les examens actuels sont le fruit d'une conception retardataire de l'éducation, axée seulement sur les acquisitions et les connaissances, et nullement sur la formation et la culture. Ils étaient peut-être valables au début du siècle, quand l'instruction était le but de l’Ecole, puisqu'on croyait cette instruction formative — et elle pouvait l'être à l’époque. On ne prévoyait pas alors que le tonneau si difficile à remplir allait un jour déborder, ou que les connaissances qu’on y verserait le détérioreraient à tel point qu'il ne pourrait plus rien recevoir de scolastique.

Evidemment, il faut aujourd’hui changer de méthode. On mesurait jusqu'à ce jour la quantité du contenu. Il faudrait en mesurer désormais la qualité.

Encore faut-il qu'on se préoccupe de cette qualité, sinon les nouveaux examens n'auront rien à contrôler et seules seront valables alors les anciennes normes quantitatives.

Ce qui est exact, c'est que les examens actuels de mesure des connaissances correspondent à une forme donnée d'école. On peut en améliorer la technique par exemple avec les machines électroniques. Ils resteront toujours aussi obsédants, sinon plus, pour les élèves et pour les éducateurs.

Mesurer la qualité du savoir, sa valeur culturelle, la possibilité de l’acquérir et de l'accroître selon les besoins, son influence sur la formation des individus, suppose évidemment que l’Ecole se préoccupe de cette forme d'éducation, ce qui n’est absolument pas le cas à l’Ecole actuelle. Ce n’est que dans la mesure où évolue l’Ecole que pourra évoluer la technique des examens.

Nous avons pu dire que, en France plus spécialement, les examens conditionnent tout le système scolaire. Mais nous pourrions dire aussi bien, hélas ! que le système scolaire conditionne les examens, et que sont vraiment liés, organiquement, progrès scolaires et progrès dans les systèmes de mesure.

Le mouvement de rénovation que nous avons suscité en France touche aujourd'hui des dizaines de milliers d’écoles. Nous pouvons déjà, pour elles, étudier une réforme réalisable des examens. Ce sera l’essentiel de nos recherches pour les mois à venir.

Nous voyons, dès l'abord, plusieurs possibilités...

i°. Etude de formules nouvelles mixtes d’examens, comportant un certain contrôle de connaissances, toujours nécessaires, mais qu’on dépouillerait de toute prédominance absolue, notamment par la disparition d’épreuves de dictées éliminatoires.

2°. Dossier scolaire, valable en théorie, mais qui n’est actuellement qu’un trompe-l'œil dont nous dirons la vanité.

3°. Brevets et chefs-d'œuvre, que nous continuerons à expérimenter en vue d'en faire une technique valable à tous les degrés.

4°. Auto-évaluation des résultats obtenus, ce qui ne peut se faire d'ailleurs qu’avec des méthodes nouvelles qui supposent l'activité libre, le désir des enfants et des adolescents de s'enrichir et de se développer, avec un changement radical dans les rapports élèves-maîtres. « Dans auto-évaluation, dit B. Schwartz, il y a deux mots : auto et évaluation, c'est-à-dire évaluation par soi-même. Cette auto-évaluation apparaît comme un des éléments les plus essentiels de la pédagogie moderne ».

B. Schwartz l’a expérimentée dans son école, où toute notation a disparu, ce qui ne veut pas dire qu’il n'y ait plus ni appréciation ni évaluation.

Nous nous rendons compte à l’expérience que, dès que sont modifiés les rapports de l'élève et du milieu, lorsqu'il n'y a plus notation autoritaire par un adulte qui décide seul, objectivement, lorsque l’élève ne dépend plus des autres mais de lui-même, nous retrouvons une sûreté naturelle de jugement, d'estimation et d’appréciation de toute première valeur. Dans ce nouveau climat, les élèves sont justes et équitables — et c'est peut-être pour cela qu’ils sont tellement sensibles à l’injustice. Nous dirions même qu'ils sont plus rigoureux et plus droits que les adultes dans leur jugement, autant pour eux-mêmes que vis-à-vis des autres.

Nous conseillons à nos camarades de remplacer de plus en plus dans l’appréciation et le contrôle des travaux de leurs élèves, leur propre note par l'opinion de l’élève intéressé et de ses coéquipiers.

— Un texte libre est fort bien noté par eux, pourvu qu’on n’en restreigne pas la portée au domaine strictement scolaire.

— Lorsqu’un élève a réussi une création originale ou une conférence, nous demandons aux auditeurs de juger.

— Mais c'est surtout pour la synthèse du samedi du Plan de travail hebdomadaire que nous avons recours à cette auto-évaluation à la fois individuelle et collective.

Malgré les conseils que nous avons donnés, c’est trop souvent encore le maître qui se croit habilité à « corriger » le plan pour mettre des notes qui serviront à l'établissement du graphique. C'est une technique longue et fastidieuse qui ne donne satisfaction à personne : ni au maître qui se rend compte que sa « correction » est trop hâtive, ni à l’élève qui se trouve toujours dans la position de celui qui attend la note à intervenir.

Je rappelle alors comment nous procédons, selon le principe d’auto-évaluation.

En cours de semaine, et au fur et à mesure que s'exécutent les travaux du plan, nous demandons aux élèves de se juger, sur appréciation du groupe. En conséquence, nous inscrivons un point à peine visible sur le graphique.

D'autres travaux peuvent en effet amener la mention de points différents. Il nous suffira de faire une moyenne en fin de semaine.

Le samedi, le graphique se fait collectivement : en tenant compte des points ainsi notés, chaque enfant établit sa note et trace son graphique.

Notre expérience nous montre alors que le graphique ainsi obtenu est toujours plus juste que celui que nous établirions d’autorité, qu’il est toujours plus à l'image de la réalité du travail que si nous notions nous-mêmes. Les enfants ont tendance même à se juger ou à juger trop sévèrement. Il nous appartient — puisque nous faisons partie du groupe d’auto-évaluation — d'aménager parfois certains points du graphique.

Cette généralisation de l’auto-évaluation dans les classes — auto-évaluation qui fonctionne aussi sur le plan moral et affectif dans nos conseils de classe — pourrait bien être une des révolutions les plus grosses de conséquences, pour les pratiques scolaires elles-mêmes, pour le recyclage des maîtres, et pour la recherche de nouvelles formules d’examen pour l’accession aux divers degrés d’enseignement.

Nous y insisterons au Congrès, pour lequel nous souhaiterions que de nombreux camarades fassent des expériences et nous en communiquent les résultats. Mais cette critique individuelle ou collective ne risque-t-elle pas de déboucher sur le mouchardage, nous dit-on?

Le vilain mot, qui sent son potache à une lieue, et qui est vraiment à l'image de l'amoralisme ou de l’immoralisme de l’Ecole traditionnelle où fonctionne une discipline formelle à laquelle, comme à l'armée, chacun s'ingénie à se soustraire par tous les moyens licites ou non !

Le mouchardage ne saurait exister chez nous où nos enfants vivent en république, se comportant en bons républicains, soucieux de servir et de défendre l'œuvre commune. Les critiques qu’ils ont à faire, ils les formulent ouvertement en réunion coopérative ou par inscription signée sur le journal mural. Il n'y a pas là mouchardage niais courage civique, tel que nous le souhaiterions à la masse des citoyens qui se taisent prudemment, de crainte de se faire remarquer.

Il arrive certes que le coupable n'ait pas le courage de reconnaître sa faute. Comme il n'ose plus mentir en Assemblée générale, on le voit parfois s’absenter furtivement au moment même où son « affaire » va être appelée. Mais il arrive aussi que nos enfants sachent se critiquer, à la suite justement d'une auto-évaluation qui est toute à leur avantage.

Nous aurons à dire un jour, dans un livre qui nous reste à faire, tout ce que l'expression libre, la coopération et l'auto-évaluation apportent de vraiment éducatif et formatif à une école qui sera alors en mesure de préparer en l'enfant l'homme et le citoyen de demain.

C.F.