L'Educateur n°7 - année 1965-1966

Janvier 1966

L'Ecole Freinet, école expérimentale

Janvier 1966

Le titre d’Ecole expérimentale reconnu officiellement à l’Ecole Freinet n’ajoute rien à ses fonctions et à sa destinée, car, par obligation, dès sa création, l’Ecole de Vence a été une école expérimentale de première zone, pourrait-on dire.

C’est évidemment pour mettre à l’épreuve les techniques Freinet, que l’école a été créée, et jamais elle ne fonctionna aussi bien qu’à ses origines, alors que dans sa période la plus héroïque, à l’écart de l’administration, elle n’était vraiment dépendante que de ses authentiques animateurs. Nos camarades les plus anciens se souviennent certainement de nos stages d’avant-guerre où les enfants et nous-mêmes assurions en toute vaillance et simplicité les charges de l’internat, celles de la classe et aussi les charges sociales d’une école devenue très souvent séminaire pour jeunes moniteurs ou militants syndicalistes, et par surcroît dans la période de pré-guerre, les charges humaines consécutives à la guerre d’Espagne : dès 1937, 80 enfants trouvèrent asile chez nous et notre stage de 1939 fut la démonstration la plus tangible d’une éducation plus encore soucieuse d’humanité que de pédagogie scolaire, plus généreuse et plus haute que la pitié et que le savoir.

Ces toutes dernières considérations situent notre école au niveau intellectuel et moral qui marqua ses débuts. Elles laissent cependant dans l’ombre le travail de militantisme pédagogique centré par la CEL — qu’il fallait faire vivre ! — le militantisme politique et syndical aussi. Toutes fonctions qui grignotaient les journées et les nuits, car rien ne se donne à ceux qui sont délibérément des pionniers. Ils savent qu’à l’exemple de la vie « chacun doit se surmonter lui-même ».

C’est dire que notre Ecole n’a jamais bénéficié intégralement des avantages que notre travail aurait pu lui conférer, sur le plan financier et pédagogique, si nous avions voulu la faire rentable au lieu de l’intégrer, dès le début, à une grande entreprise dont elle supportait hélas ! les aléas. De là des faiblesses inévitables, inhérentes à la pauvreté surtout, mais aussi à un manque grave d’appui intellectuel, au non conformisme de nos conceptions éducatives, et à notre totale indifférence aux honneurs ou au qu’en-dira-t-on. Et de ce fait notre Ecole prenait dès ses débuts une physionomie bien à elle : une école de plein vent et de plein rendement, avec tout ce que cela comporte de réticences et de réprobations de la part des béotiens, mais avec tout ce que cela suppose aussi de biens et de valeurs réels chez les enfants et les adultes, lancés tous ensemble dans une aventure héroïque qui sera comme la trame de notre pédagogie.

Nous avons vécu de ces biens qui sont notre petite et grande histoire, et nous entendons les préserver jusqu’à notre dernier acte de lucidité. Au moment où nos techniques à l’honneur risquent de compromettre l’esprit même de nos efforts, nous tenons à rappeler que l’Ecole Freinet n’est nullement vouée à une pédagogie scolaire d’apprentissage des connaissances et des techniques par la méthode Freinet. Certes, les techniques jouent un rôle déterminant dans notre pédagogie, mais dans le cadre indispensable de l’esprit qui l’anime par une sorte de sanction de l’intelligence qui tend à honorer la vie par tous les moyens.

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On verra plus loin, dans ce numéro de la revue, comment l’Ecole Freinet a su, à travers quarante ans de luttes, rester fidèle à son souci de toujours : sauver les nombreux enfants rejetés par l’Ecole et dont nous faisons ressurgir, par la diversité et la recherche d’outils et de techniques nouveaux, cette part d’intelligence et d’humanité, qui est beaucoup mieux répartie que ne le prétendait l’Ecole et dont nous aidons au perfectionnement et à l’éclatement.

Nous faisons la preuve, par nos réussites — et les classes de perfectionnement et de transition en feront leur profit — que l’intelligence n’est pas logée seulement dans le cerveau, ce qui laisserait croire automatiquement que ceux qui ne réussissent pas dans la zone intellectualiste sont d’une qualité humaine inférieure, avec un quotient intellectuel déficient (il ne faut pas oublier que le quotient intellectuel est basé presque exclusivement sur des tests intellectuels et qu’ils ne peuvent donc témoigner que de cette forme d’intelligence).

Or, nous avons été les premiers à faire remarquer, ce qui devient maintenant de conception courante, qu’il y a de multiples formes d’intelligence, toutes comparables en qualité et importance, même si elles sont diverses en manifestation : I intelligence des mains, de la sensibilité normale et supra-normale, l’intelligence du nombre, des formes, de la couleur, des sons, qui étaient antérieurs à la culture scolaire et nous ont valu cependant les chercheurs qui, depuis des millénaires ont scruté la nature dans tous ses domaines, les artisans émérites, les techniciens créateurs, les musiciens, les sculpteurs, les artistes, les organisateurs, les hommes de bon sens et les sages de tous les temps. La plupart d’entre eux n’avaient bénéficié d’aucune culture scolastique. Ils avaient tiré avantage d’une culture parallèle, d’une culture naturelle qui, de tous temps, a montré sa valeur. Or, au lieu de tenir compte de cette culture naturelle parallèle, l’Ecole actuelle a abordé la démocratisation avec la prétention à une sorte de primauté, seule valable, qui exclut de la culture ceux qu’elle n’en juge pas dignes. Nous assistons alors au drame contemporain : les enfants, qui, peu enclins à l’enseignement exclusivement explicatif des écoles, échouent à la porte étroite des 6e et sont rejetés comme non intelligents. Cette condamnation infamante affecte profondément les parents qui font tout pour que leurs enfants puissent y échapper parce qu’ils sentent, et ils savent que ceux-ci ne pourront plus désormais prétendre qu’à une formation technique, à un destin de deuxième zone qu’ils seraient cependant aptes souvent à dépasser.

Rien de plus dangereux que l’insistance de l’Ecole à essayer de faire comprendre aux enfants ce qu’ils ne peuvent aborder par ce biais, de leur imposer des leçons et des devoirs qui les excèdent, de les rejeter dans une position permanente d’échec qui leur donne en effet le sentiment qu’ils sont moins intelligents que leurs camarades et que s’ils veulent triompher ils devront essayer de le faire par des voies clandestines qui deviendront des voies de protestation et d’opposition, et seront sanctionnées comme telles.

Combien ces enfants se sentiraient revalorisés à leurs yeux et aux yeux de leurs parents si on leur donnait dès l’Ecole des occasions d’éminentes réussites non-spécifiquement intellectuelles, si on leur prouvait par la vie même qu’ils peuvent devenir des artistes qu’on admire, des créateurs aux idées originales qui contribuent au progrès, des chefs d’entreprises tout à la fois audacieux et réalistes — ceux-là même dont la société actuelle a le plus urgent besoin !

L’expérience courante montre qu’il y a dans les individus des ressources infinies, qu’ils peuvent manifester lorsqu’ils sont parvenus à se dégager des handicaps scolastiques — et qu’ils réussiraient dans bien des cas si nous pouvions les y aider par une reconsidération totale et profonde de l’éducation.

Nous montrerons dans cette étude, par des exemples vivants, des réussites décisives dans ce domaine.

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Cette reconsidération de l’éducation est urgente si on veut que la démocratisation actuelle ne soit pas une nouvelle ségrégation, la plus inhumaine et la plus antisociale. Elle préoccupe aujourd’hui une portion croissante d’éducateurs, de techniciens, de parents d’élèves et d’administrateurs pour lesquels l’Ecole Freinet apparaît pour ce qu’elle fut, et ce qu’elle veut rester : le creuset où naissent les idées et les expériences qui conditionnent et conditionneront l’avenir.

Mais que ces éducateurs et ces administrateurs ne se méprennent point ; on ne vient pas à l’Ecole Freinet pour y admirer le spectacle d’une classe bourgeoisement ordonnée, même selon des principes nouveaux, et qui pourrait préfigurer une classe-pédagogie Freinet intégrée comme nous le souhaitons au système scolaire contemporain.

Un creuset, ça bouillonne, en transformant en permanence les éléments dont il se nourrit. L’Ecole-creuset d’aujourd’hui ne ressemble point à ce qu’elle était il y a six mois ou un an.

Elle peut être calme et reposante parfois et l’instituteur finit par croire que tout est arrivé... Mais une idée nouvelle vient tout à coup modifier l’atmosphère quiète de l’adulte. Ce sont les enfants qui les premiers pressentent, avant que surviennent les changements, dans quelle direction il faut aller. Et ils foncent, curieux de créations nouvelles qu’ils devinent plus hasardeuses, moins rassurantes que l’habitude d’hier, mais plus exaltantes à n’en pas douter. Ainsi le calme plat de la bonne petite scolastique qui mijotait sous couvercle de techniques « enfin adaptées », se transforme en actions un peu fiévreuses et impatientes qui visiblement dérangent l’adulte qui s’engageait dans la zone des eaux dormantes.

On devine que le changement n’est bien accepté que par l’éducateur qui a assez d’initiative, d’énergie, de jeunesse pour admettre l’enjeu. Qui a aussi une suffisante culture pour savoir d’avance que tout est changement et que la vie se livre et se délivre à chacune de ses créations. Qui a pris — c’est indispensable — la précaution de lire les ouvrages théoriques qui s’essayent à éclairer la pratique pédagogique des Techniques Freinet. Alors, tout va de l’avant, tout chantier s’organise et s’ordonne car créer n’est pas œuvre de gribouille. Et l’Ecole Freinet remplit pleinement son rôle.

Ne parlons pas du très rare cas où nous jouons de malchance : le collaborateur atterrissant chez nous à cause du soleil de Provence, de charges familiales à alléger ou du poil dans la main... Disons que toute collaboration porte néanmoins ses fruits, plus ou moins nombreux, plus ou moins mûrs ; mais il faut redire que le niveau actuel des instituteurs, sur le plan de la culture, est bien en dessous de celui des collaborateurs qui nous sont venus dans les quinze années qui ont suivi la guerre 1939-1945. Le recrutement des maîtres du primaire est une cause première de la dégradation de l’école publique et l’Ecole Freinet n’y échapperait pas si nous ne restions vigilants.

C’est dire que plus que jamais, nous devons être en alerte pour ne pas laisser se détériorer ce climat de recherche permanente et de mise à l’épreuve qui est nécessaire à toute école expérimentale qui a derrière elle un passé qui garantit l’avenir.

Le maître qui, à l’Ecole Freinet, sait entrer dans le jeu, ne peut que se réjouir de ce renouveau permanent qui change l’atmosphère et fait fleurir des créations qu’il ne soupçonnait même pas. Il se sent porté lui-même par l’ampleur de certains travaux qui n’ont rien de scolaire, et le replongent dans les exigences manuelles et morales d’un artisanat qui ne redoute aucune responsabilité.

Rien n’est plus exaltant que la chaîne dans le travail. Alors l’enfant impose sa vérité dans ce qu’elle a de plus généreux et de plus spontané. Et l’on devient optimiste et confiant dans ce coin de brousse où, en fin d’une existence tout entière vouée à l’enfant, on se sent porté au niveau des patiences et des genèses des œuvres de nature.

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Quelles que soient ses faiblesses momentanées ou irrévocables, l’Ecole Freinet a été jusqu’ici la garante de la valeur d’une pédagogie naturelle qui ailleurs, dans des milliers d’écoles, a fait ses preuves.

Pour des yeux qui savent voir, aucune place n’est vide quand des présences d’enfants s’imposent dans la profusion des désirs, des impatiences, des appels vers l’avenir. Ces enfants qui sont des enfants du soleil et de l’air libre, échappent par leur seul aspect à toute notion de scolastique ; leurs visages éclairés d’intelligence vive, leurs gestes de confiance, leur fierté naturelle dans un laisser-aller vestimentaire impossible à corriger les marquent d’une sorte de noblesse instinctive. Toutes réalités qui ne servent ni leur réputation, ni la nôtre au premier coup d’œil du visiteur... Mais il faut s’approcher pour mieux voir : alors on s’aperçoit que chacun de ces enfants est habité par une grande tendresse de « toute la création et qui n’arrête pas d’engendrer de la joie.

De ces biens-là, on peut vivre pendant une existence entière. Si quelque apaisement peut nous venir au soir d’une destinée bien malmenée, ce sera celui d’avoir pu aider, de toute notre foi, à orienter ces enfants vers la compréhension et le bonheur.

C. et E. FREINET

 

Pour la solution des problèmes pédagogiques urgents : notamment dans les classes de transition et de perfectionnement

Janvier 1966

L’UNE DES CONTRIBUTIONS DE L’ECOLE FREINET

Pour la solution des problèmes pédagogiques urgents :

notamment dans les classes de transition et de perfectionnement

par

C. FREINET

L’Ecole se trouve aujourd’hui sous le coup de deux impératifs :

La démocratisation de l’enseignement devient une nécessité économique, technique et sociale qu’on ne pourra plus longtemps éluder.

Contrairement à ce qu’on a cru parfois, la démocratisation à réaliser ne signifie pas que tous les enfants devront passer par la même filière actuelle, qu’ils devront affronter les mêmes examens, accéder aux mêmes degrés d’enseignement, mais seulement que l’éducation démocratique doit permettre à tous les individus de se développer au maximum dans le sens de leurs tendances et de leurs possibilités.

Nos techniques permettent cette démocratisation,

Or, il est malheureusement un fait, dont on commence à s’inquiéter. Le système actuel, valable autrefois pour une sélection des élites bourgeoises, laisse aujourd’hui en cours de route une véritable armée de 50 % des effectifs scolaires parce que l’Ecole n’a pas su, ou pas voulu, adapter ses méthodes à la masse des enfants. Et que, par une pédagogie trop intellectualiste, elle opère, non seulement au niveau de la 6e, mais bien avant déjà, une injuste sélection entre les privilégiés qui seront les cadres dirigeants et les exécutants qui, rejetés au niveau des machines qu’ils sont appelés à servir, ne pourront plus faire jouer avec profit leur intelligence propre.

C’est dans ce rejet massif que réside le premier acte des processus d’abêtissement dont nous accusons l’Ecole traditionnelle : l’enfant jugé inintelligent n’en est pas moins condamné à subir les leçons qu’il ne comprend pas, et où il échoue fatalement, alors qu’y réussissent les forts en thème. Il en acquiert un dégoût tenace de l’Ecole, de l’étude, du travail, de la culture, un dégoût qui va parfois jusqu’à l’allergie maladive et au dérèglement viscéral. Il devient hostile à tout effort intellectuel ; il s’abêtit.

La vie se charge heureusement parfois de corriger cette injustice et on voit assez souvent des enfants refoulés par l’Ecole exceller dans des sones jusque-là interdites et dont le succès confirme la portée.

Il est au moins regrettable que la vie doive ainsi se défendre contre l’Ecole, alors que l’Ecole devrait aider la vie.

Les récentes Instructions Ministérielles pour l’enfance handicapée et les classes de transition s’appliquent à remédier au mal, et elles le font par une référence officielle à notre pédagogie, la seule à ce jour qui ne se contente pas de conseils et de verbiage.

Préconiser une pédagogie, entrer même dans le détail des techniques et des outils recommandés est certes un premier pas dont nous ne sous-estimons pas l’importance. Mais faire pénétrer dans la pratique de nos classes les conseils théoriques de ces Instructions est une affaire autrement délicate pour laquelle les éducateurs mal préparés aux conceptions nouvelles ont besoin d’exemples, d’éléments d’efficience et de réussite, d’une certitude que nous pouvons aujourd’hui leur donner. Par les qualités et la diversité de son effectif, l’Ecole Freinet peut être considérée comme l’Ecole-type des classes de Transition et de Perfectionnement. D’ordinaire en effet, on ne s’adresse à l’Ecole Freinet que dans les cas désespérés :

— Quand on se rend compte que l’enfant, à 9 ou 10 ans, ne pourra pas affronter l’enseignement normal, et qu’il prend chaque année un retard scolaire toujours plus inquiétant.

— Quand l’enfant, du fait de ce « ratage » :

— ne veut absolument plus aborder aucun travail scolaire ;

— qu’il est sans cesse distrait et absent ;

— qu’il ne veut plus lire ;

— qu’il ne s’intéresse à rien ;

— et que, par suite de son permanent insuccès, et pour d’autres causes aussi, physiologiques ou psychiques, il est nerveux, dissipé, insupportable, sans cesse puni, et, en fin de compte indésirable pour toute une classe ;

— qu’il devient en conséquence, de plus en plus associal ; il devient grossier, commet des larcins qui semblent le promettre à un destin de mauvais garçon.

— Quand cet état de fait est aggravé, pour les dyslexiques, par les complications surtout scolaires qui résultent de cette anomalie considérée hélas ! comme une tare, et pour la guérison de laquelle on essaie toutes sortes de traitements qui ne font qu’aggraver le cas.

— Quand la famille est désunie — ce qui est, hélas ! de plus en plus fréquent et qu’il en résulte pour l’enfant une insécurité qui provoque des troubles graves dont l’école devra tenir compte dans la recherche de nouvelles normes de travail.

— Quand ces enfants ont, en général tellement souffert de l’école qu’ils en ont comme une maladive obsession. Les déconditionner du milieu scolaire sera une nécessité pédagogique urgente. Voilà, mis à part quelques éléments normaux et surnormaux qui bénéficient doublement de notre enseignement, le public enfantin que nous avons à traiter à l’Ecole Freinet, celui-là même qui peuple toutes les écoles spéciales pour lesquelles la réforme a dû prévoir une forme nouvelle d’éducation — la nôtre.

Que faire pour normaliser la vie mentale et scolaire de ces enfants ?

Nous nous placerons là exactement dans la position des sous médecins qui soignent au mieux les malades qu’on leur amène mais qui ne manquent pas de dire aux parents et aux éducateurs qu’ils ont pour devoir de prévenir ces tares et d’en exiger les correctifs et les remèdes.

La santé — d’abord

Dès la création de l’Ecole Freinet, nous avons recherché une synthèse des facteurs les plus favorables à la santé physique et morale des enfants (1).

Le sort de l’éducation ne se joue pas seulement à l’Ecole. L’éducation est toujours un tout, dont les procédés et les pratiques scolaires ne sont qu’un élément.

La base d’une bonne éducation reste toujours la santé, l’équilibre, la vie. Si l’enfant est physiologiquement malade, s’il est excessivement nerveux, s’il a des douleurs passagères ou permanentes, s’il ne lui reste qu’une portion réduite de vitalité, tout juste suffisante pour les processus élémentaires de la vie, il n’a plus la disponibilité nécessaire pour s’intéresser aux autres problèmes physiques et mentaux.

 

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Dans nos recherches incessantes nous avons expérimenté deux innovations scientifiques qui connaissent actuellement un succès grandissant :

— l’eau vibrée de Marcel Violet,

— l’Aurelle du Docteur Tomatis. Arrêtons-nous quelques instants sur ces inventions qui déjà ont fait leurs preuves :

1) L’eau vibrée. L’eau électro-vibrée par le procédé Marcel Violet n’est pas un médicament mais un aliment énergétique qui donne à l’organisme, sous forme homéopathique, des oligoéléments indispensables à son équilibre.

Lorsqu’on soumet de l’eau à l’action d’une électrode métallique quelconque reliée à l’appareil émetteur breveté Marcel Violet, l’électrode se met à fondre en quantités infinitésimales dans l’eau.

Cette eau traitée par des électrodes diverses (cuivre, fer, magnésium, nickel, argent, or, etc...) a une action accélératrice et équilibrante des processus organiques en même temps qu’elle renforce les réactions de défense. L’alimentation irrationnelle et falsifiée de notre inonde moderne plus soucieux de commerce que d’hygiène, expose l’organisme à de graves carences et tout spécialement chez ; l’enfant qui, en période de formation, a besoin d’une ration alimentaire équilibrée.

Dans les hôpitaux, les communautés diverses, l’eau vibrée produit d’incontestables bienfaits.

Depuis trois ans que nous consommons l’eau vibrée jointe à notre régime naturiste, nous avons obtenu une nette amélioration de l’état sanitaire général, et de l’avis même des médecins nos enfants sont en excellente santé.

Mais il y a mieux encore : le climat psychique de la communauté d’enfants est excellent. On peut dire que nous n’avons plus aucun souci ni aucun ennui avec nos grands garçons qui sont d’un commerce très agréable (2).

2) L’Aurelle, selon les découvertes du D Tomatis (3).

Le Dr Tomatis a fait un certain nombre de découvertes que nous résumons ici parce que nous les croyons essentielles pour la rénovation de notre éducation.

a) On parle comme on entend. Ce principe est d’ailleurs parfaitement conforme à notre théorie du Tâtonnement expérimental.

L’enfant améliore et adapte son langage selon le milieu dans lequel il est plongé. C’est exclusivement par ajustement expérimental qu’il apprend avec une sûreté jamais démentie — selon une méthode naturelle — la langue de ses parents, avec toutes ses caractéristiques les plus subtiles.

Nous n’avons d’ailleurs pas de véritable organe de la parole (il y a concours expérimental d’organes multiples), alors que nous avons un organe bien spécialisé pour l’audition. Il en résulte, et c’est précieux pour l’éducateur, que la plupart des troubles du langage — nous devrions dire tous — sont d’origine auditive, et qu’un traitement de certaines tares du langage suppose un traitement de l’audition.

« Nous avons, mis en évidence, écrit le Dr Tomatis, le fait qu’il peut s’introduire, dans l’audition de notre propre discours, des retards que nous avons dénommés “delayed feed back physiologiques”. Ils expliquent pour une large part les troubles du rythme et notamment les bégaiements. Les techniques qui tendent à éliminer ces retards amènent une disparition des troubles observés ».

b) Sur ces principes, le Dr Tomatis a mis au point un appareil : l’Oreille électronique, du nom de l’Aurelle.

Avec cet appareil, et grâce à des mécanismes comparables à ceux qui sont employés dans les laboratoires audiovisuels, l’enfant parle dans un micro et il s’entend sous le casque. Seulement, la voix qu’il entend n’est pas strictement la voix qu’il a émise, c’est une voix améliorée dans les intonations avec toutes les qualités souhaitables. Par tâtonnement expérimental, il ajuste automatiquement sa voix sur la voix modèle qu’il entend et peut ainsi faire de grands progrès (je schématise les explications et m’en excuse).

c) L’Oreille directrice : Le Dr Tomatis a découvert également que chaque individu possède une oreille directrice qui peut être la droite ou la gauche, la droite répondant au réflexe de la partie gauche du corps et inversement. Or, les audiogrammes révèlent que, chez certains individus, il y a chevauchement entre oreille directrice droite et oreille directrice gauche, comme s’il y avait un croisement de nerfs dont l’influence sur l’équilibre — disons spatial — peut être considérable.

Avec l’Aurelle on réduit ce chevauchement et on redonne à l’oreille directrice sa pleine fonction, ce qui conduit à un nouvel et bénéfique équilibre. Nous touchons là aux problèmes de dyslexie dont l’Aurelle facilite le traitement.

«Il existe, dit encore le Dr Tomatis, — qu’on nous pardonne notre affirmation que nous voulons formelle — une oreille directrice dominante dans l’auto-écoute du langage qui voit sa spécification fonctionnelle s’élaborer parallèlement au langage, et que nous tenons pour aussi importante dans l’acquisition de l’homme que la station debout, que la déflexion de la tête, que l’opposition du pouce. Elle est liée spécifiquement au langage articulé dont elle permet l’existence ».

Toutes ces techniques — et celle de l’Aurelle a été pour nous la plus révélatrice — qui tendent à rétablir les circuits normaux : oreille, langage, compréhension, sensibilité, élargissent le champ d’audition (un nombre important des déficients traités ont une baisse très sensible de l’audition des aigus ; ils n’entendent que dans un registre réduit, ce qui leur vaut comme une demi surdité qui n’est certainement pas sans influencer leur comportement et le cours de leurs études).

« L’habitude de la communication avec autrui, née des besoins sociologiques de transmettre et de percevoir des informations, nous a dressés à réguler notre phonation en fonction du but à atteindre, quant à la quantité de son à fournir. Cette prise de conscience, apparue un jour, a tôt fait de susciter l’automatisme pour se libérer de cet appel profond qui nous crie : “plus fort” ou “moins fort”, lors même de notre propre discours. Dès lors, nous savons en fonction de l’ambiance, du public à atteindre, de la distance, accommoder le seuil d’auto-écoute de notre capteur pour nous assurer du dosage de la quantité qu’il convient d’accorder à notre coulée verbale afin que la compréhension de nos auditeurs puisse être sollicitée par la bonne intelligibilité que nous désirons voir susciter. Cette régulation, on le sait, est facilement perturbée, pour peu que l’audition soit modifiée dans ses caractéristiques ; en effet, si l’autophonie est renforcée, comme c’est le cas dans le blocage de l’appareil de transmission, le sujet s’entend de manière démesurée en fonction de ce qu’il peut émettre et sa voix s’amenuise jusqu’à ne plus être intelligible. On se souvient de ces voix sourdes, monocordes, non modulées, des otospongieux. Par contre, si l’appareil de réception est atteint et qu’il nécessite un seuil élevé d’auto-écoute, le sujet se met “à brailler comme un sourd” pour s’entendre, tandis qu’au passage il casse les oreilles de ses malheureux interlocuteurs » (4).

On voit l’importance du rétablissement des circuits auditifs.

3. Les techniques Freinet d’expression libre contribuent au rétablissement des circuits.

Il ne fait pas de doute que les techniques traditionnelles de répétition des signes, des mots, et même de la pensée extérieure produisent une inhibition des circuits dont le Dr Tomatis a révélé la prédominance dans les processus d’éducation et de rééducation. L’enfant qui s’habitue à l’école à la gratuité mortelle de ce qu’il lit ou de ce qu’il dit ne fait plus fonctionner harmonieusement les circuits audition-langage-expression. Ces circuits se bloquent par non-exercice, ou par exercices inhibiteurs. Il y a une sorte de surdité scolaire qui s’implante dans les classes, et contre laquelle doivent tant lutter les maîtres : « Tu n’entends pas... Tu es sourd... Tu as déjà oublié... »

Le désastre serait certainement plus grave si la vie hors de l’école, plus naturelle et plus normale, ne corrigeait avantageusement l’erreur de l’école. Par l’expression libre, l’imprimerie, les échanges interscolaires, l’enfant s’entraîne à nouveau à faire travailler ces circuits. Nos retardés, bloqués par les méthodes traditionnelles, sourds à la vie de la classe, toujours « dans la lune » ont désormais quelque chose à dire ; ils écoutent ce qui se passe autour d’eux. Ils lisent leurs textes et ils voient sur la figure de leurs camarades la réaction que suscite leur voix, ils ajustent en permanence cette voix ; ils l’ajustent dans les conférences, et en s’écoutant au magnétophone.

Notre ami Rauscher, spécialiste à l’Ecole Freinet de l’utilisation des divers appareils, a constaté que nos techniques produisent sur l’audition des enfants, sur la rééquilibration des processus, sur l’élargissement vers les aigus du registre de leur audition, des progrès très nets, plus lents peut-être qu’avec l’Aurelle, mais qui permettent de comprendre que nos enfants modifient peu à peu leur faciès et leur comportement. Cette constatation de la valeur d’une technique à la mesure de toutes les classes est d’une portée considérable, sur la valeur de notre pédagogie d’expériences et de vie.

4. Le travail créateur avec ces enfants à la scolarité difficile l’intelligence, nous l’avons dit, monte des mains et des sens jusqu’aux fonctions intellectuelles les plus hautes.

Mais il ne suffit pas de faire du travail manuel ou de pratiquer des méthodes actives par découpage du papier, ou tressage de joncs. Le travail manuel chez nous est lié à la vie, inclus dans notre plan de travail, avec une large place à l’invention et à la découverte par l’utilisation de nos bandes de travail programmées.

5. Le travail individualisé par l’autocorrection et les bandes de travail

Il libère l’individu de la masse et des maîtres, l’un et l’autre toujours paralysants. L’enfant peut, de plus en plus, régler son propre travail, aller A son rythme, détendu et fier de son œuvre. Un climat nouveau naît dans les classes.

6. L’expression artistique

L’expression artistique sous toutes ses formes est, pensons-nous, un moyen unique d’accrocher et de retenir tous les élèves retardés scolaires. A l’Ecole Freinet, les enfants créent des œuvres d’art, sans effort, comme ils respirent pourrait-on dire. En fin d’année scolaire, on est envahi par la vague des créations à jet continu. Il ne s’agit d’ailleurs pas là de simples travaux scolaires de petite inspiration et petites dimensions, mais de grandes œuvres qui demandent pensée et combat et pour lesquelles il faut parfois accepter de peiner et de souffrir.

Notre musée de Coursegoules, installé dans une vieille demeure restaurée, notre théâtre de plein air avec arcades, bas-reliefs, statues, ont été réalisés avec un entêtement dans le rude effort, dans les lentes patiences, qui impose le respect. Cette année sera peut-être plus encore favorable à l’éclosion d’œuvres vives qui 11e sont là que parce que l’enfant est sûr de ses pouvoirs jusqu’à l’extrême limite de ses pensées les plus généreuses.

On ne fait pas d’éducation sans que l’art vienne à notre aide.

7. Résultante de tout cela : Nous avons changé le milieu scolaire de nos classes en les transformant en classes-ateliers, avec disparition de l’estrade et nouvel aménagement des bancs. Cela n’était pas encore suffisant pour un certain nombre de nos élèves, le local sentait encore trop l’école. Nous les avons totalement déconditionnés dans la salle — laboratoire de M. Rauscher, où il n’y a plus de leçon commune, plus même de tableau — noir ou vert — et où les enfants :

— font leur texte libre, corrigé ensuite par le maître et recopié et illustré ;

— travaillent sous l’Aurelle ;

— composent et impriment leurs textes ;

— préparent leurs conférences ;

— font des montages, des découpages et des inventions ;

— lisent et font leurs bandes de français au nouveau laboratoire de français que nous venons de mettre en service.

Comme vous le voyez sur les photos, (pages suivantes), ce laboratoire est constitué par un ensemble de quatre postes individuels, munis chacun d’un micro et d’un écouteur. De son poste, le maître, ou un grand élève, .suit et dirige les élèves qui peuvent ainsi travailler individuellement ou collectivement.

Dès maintenant, nous distinguons à cette pratique une première possibilité qui va dans le sens de l’Aurelle et qui pourrait déterminer l’implantation de notre laboratoire et de nos bandes dans toutes les classes.

Le seul fait, pour l’enfant, d’être sous le casque, isolé de l’extérieur, détermine une concentration nouvelle pour le travail à effectuer.

Les enfants ont une bande enseignante sous les yeux. Ils la lisent à mi-voix en s’entendant lire ; ils la copient ensuite en la lisant. De temps en temps le maître lit le texte pour servir d’exemple. Les enfants font également sous le casque leurs textes libres. L’expérience nous montre qu’ils y mettent une attention et un plaisir qui devraient influer de façon déterminante sur l’enseignement. .

***

La conclusion de tout cela.

Ces nouvelles possibilités de rééquilibration des individus, la disparition de toutes contraintes scolaires, la suppression de la séculaire opposition maîtres-élèves qui a, de tout temps, déterminé un climat scolaire perturbant, le bonheur enfin de se réaliser en travaillant vraiment et en créant, modifient profondément l’atmosphère de la communauté.

Nous avons connu jusqu’à ces dernières années les perturbations inhumaines que valait à nos classes difficiles la présence d’un certain nombre d’enfants inadaptés pour lesquels nous n’avions pas encore trouvé la technique susceptible de les accueillir humainement dans notre ronde de la vie et du travail.

Nous y sommes aujourd’hui parvenus, notamment avec l’utilisation des bandes qui nous permet la suppression des leçons et personnalise le nouveau travail. 

Toujours est-il que nos enfants les plus difficiles sont devenus aimables et prévenants, fiers de se mettre au travail au sein de la communauté. La coopérative et les réunions du samedi — le Conseil de classe — donnent la mesure du haut niveau de conscience et de responsabilité que nous avons atteint.

Nous pouvons promettre, aux éducateurs qui nous suivront surtout dans les classes de Transition, une autre conception de la discipline et de la vie qui changera totalement le sens de leur dur travail.

Et nos enfants que l’Ecole habituelle abêtissait se redressent, s’animent, s’activent. Ils deviennent plus intelligents. Peut-être même que, par le détour que nous leur avons permis, ils pourront rejoindre un jour prochain les camarades engagés avant eux dans l’exaltation intelligente des personnalités, au service de la vraie culture.

Cette révolution éducative, l’Ecole Freinet l’a techniquement, psychologiquement et pédagogiquement préparée. Elle est désormais au service des éducateurs, au service des enfants du peuple.

C.F.
(1) E. et C. Freinet : Vous avez un enfant. Ed. La Table Ronde.
(2) Marcel Violet : Le secret des patriarches. Laboratoires M. Violet, 5, Boul. des Italiens, Paris IIe.
(3) Dr Tomatis : L’oreille et le langage. Coll. Que sais-je ? PUF.
(4) Dr Tomatis : Bulletin d’information ACERA.

 

 

L'Ecole Freinet, laboratoire humain

Janvier 1966

Nous avons l'avantage à l'Ecole Freinet d’avoir des laboratoires humains de tous les niveaux puisque notre effectif s’étage des enfants de 3 ans et demi aux adolescents de 15 ans et aux jeunes instituteurs de 25 ans.

Ce brassage permanent des êtres d’âges divers et de mentalités différentes est un champ d’expériences infinies.

Ce premier trimestre scolaire qui témoigne d'un bon départ, est pour nous excessivement riche de données psychologiques, pédagogiques, humaines.

Mais il faut savoir se limiter.

Nous donnons en démonstration des possibilités qui s'offrent sous l'effet d'une psychopédagogie naturelle, deux séries d’expériences :

— L'une relate les bienfaits de la libre expression par les techniques Freinet dans le cas d'un enfant surdoué de 6 ans 10 mois et d’une enfant retardée par la lenteur de processus physiologiques.

— L'autre est le compte rendu de travaux d’adolescents retardés scolaires, travaux de plein air et de pleine liberté dans lesquels, tout naturellement, nos garçons font la démonstration de leurs aptitudes à l'action et à la pensée.

— Pour terminer, le cas de G. qui, à l'écart d’une pédagogie de simple, acquisition, pose à l’éducateur des responsabilités spécifiquement humaines.

Nous ferons au préalable quelques remarques psychopédagogiques, valables pour tous les cas d’enfants et peut-être d’adultes.

 

 

Le cas de Yanek, enfant exceptionnellement doué, fait comprendre, ainsi que l'affirme Freinet dans L’Education du Travail, que toutes les aptitudes à l'action et à la connaissance peuvent être, devraient être, éveillées avant huit ans, Yanek a un an devant lui pour dépasser peut-être ces perspectives optimistes. Et ce, sans le moindre effort, par l’effet d'un organisme équilibré et subtil, par l'effet d'un outillage pédagogique qui sert et exalte ces heureuses dispositions, par l'effet aussi de la présence de l’éducatrice attentive au rythme de l'enfant, à son appétit de savoir, et, chose plus subtile, à son besoin d'intégration dans le monde par des actes d’audace permanente. Certes, dans toute école, même la plus traditionnelle, Yanek sera un bon élève, sans doute brillant, Ici, il est plus et mieux car l'apprentissage se fait non à la mesure des programmes scolaires, mais à l'échelle de la vie. Pour l’éducatrice qui sait observer, cet enfant est un prétexte unique de comparaison entre la mentalité de l’enfant et la mentalité de l’adulte qui administrativement a dû se porter responsable de son instruction. Et l’on comprend combien la tâche éducative est chose délicate et complexe dans laquelle le savoir-faire n’a jamais de repos.

En apparence, instruire Yanek n’est pas difficile ; il réussit tout ce qu’on lui fait faire. L’éduquer est chose plus complexe car pour lui, le travail bien fait n'est jamais, ou du moins ne doit jamais être un aboutissement mais un nouveau point de départ.

Chez Yanek la compréhension est instantanée et sans détours : une sorte de clairvoyance qui le met tout de suite « dans le coup ». On n'a rien à lui expliquer. Il récuse d’avance toute explication : « Non, non, dit-il, laisse- moi faire ». Et il fait : intuitivement, par tâtonnement, il accroche le sens de l'expérience, le réajuste, le domine. Rien d'obstiné d’ailleurs dans ses recherches.

Tout en travaillant, il chantonne, mime la vitesse de l’auto ou de l'avion avec lequel il s’identifie. Un film serait à faire sur l’euphorie de la découverte chez un petit enfant de sept ans grisé des biens d'une connaissance qu'il voit s'élargir devant lui.

A côté de Yanek, F... (8 ans 7 m.) personnifie les lenteurs de l'acquisition, mais aussi les pouvoirs d’une volonté tendue vers la préhension du monde, de toutes choses inconnues qui passent à sa portée. Et l’on constate qu'il y a chez elle, comme chez Yanek le même élan vers une vie plus large, cet élan qui déjà existe chez la plante prisonnière qui d'un jet sort de la nuit pour venir capter la lumière de la lucarne.

Et ceci est infiniment rassurant. Chaque jour, en effet, personnellement je constate que les besoins de la vie sont les mêmes pour tous les êtres, que c’est seulement la lenteur des processus physiologiques et mentaux qui diffère, que c’est surtout, dépendant de ces processus, le pouvoir de tension qui dans l'acquisition est essentiel. Et c'est pour finir ce qui manque à F...

Des comparaisons peuvent être faites avec des enfants du même âge que Yanek ou F... Elles nous amèneraient à conclure qu’au départ, c’est la vitesse des processus mentaux qui décident de la richesse du tâtonnement expérimental et donc de la perméabilité à l'expérience, cadre de l’intelligence. On s’aperçoit d'ailleurs que l'enfant intelligent qui pourtant ne se fatigue à vrai dire pas, récuse l'effort qu’exigerait un bachotage imposé dans le but de faire acquérir plus encore de connaissances. Certes ce serait là chose possible pour lui, mais là n'est pas son chemin. Son plaisir évident est de découvrir par lui-même, par tâtonnements, réajustés dans un éclair, avec une célérité déconcertante. La mémoire n’est là que pour porter secours, pour établir des relais pourrait-on dire et non pour prendre en charge un savoir inutile à l'expérience.

Chez Yanek les paliers d'acquisition sont courts, rapides dans leur processus : c'est la vitesse qui les caractérise. Chez F..., les paliers d'acquisition sont longs, se traînent, s’évanouissent pour réapparaître les jours suivants et la mémoire est complètement déroutée, anarchique, d’autant plus que par le forçage, on l’a séparée de l'acte intelligent pour le bachotage d'apprentissage de la lecture. La lenteur dans l'acquisition par suite d'erreurs répétées est le signe que F... n'a pas encore trouvé son chemin de plaine.

Ces constatations psychopédagogiques que nous faisons avec les petits, sont valables pour nos adolescents : quand ils œuvrent dans les sentiers qui sont les leurs, ils sont intelligents, c’est-à- dire aptes à ordonner leurs tâtonnements en séries pleines et selon une dépendance des faits qui a sa logique. Alors, là aussi les choses se font en vitesse et la pensée va de l'avant sans qu'aucune critique puisse la mettre en péril : ils sont sûrs d'eux-mêmes. Mais transportez ces gars, ouverts à l'expérience instinctive, dans les allées rectilignes de la scolastique et ils se sentent perdus. Tout devient opaque devant eux et la transparence du monde qui les rendait heureux devient nuit mortelle. Ils sont incapables de retrouver leurs propres erreurs, leurs faux-pas et ils pataugent comme des malheureux dans le no man’s land d’un savoir qui n’arrive pas à prendre figure et destin.

Comment redonner à de tels enfants leur intelligence naturelle?

Nous faisons ici le compte rendu de deux expériences de plein vent dans lesquelles l’esprit de nos grands garçons se met à l’aise et se sauve par ses propres moyens. La connaissance, on le verra, n’en est pas exclue, bien au contraire et l'art y prend une place d'honneur.

Nous verrions très bien nos garçons entraînés dans ces équipes exceptionnelles qui à travers la France s'engagent à la restauration des « chefs-d’œuvre en péril ». C'est une place enviable,

E.F. 

 

Une pédagogie de tous niveaux

Janvier 1966

http://www.icem-freinet.fr/archives/educ/65-66/7/21-38.pdf

Une science de plein vent

Janvier 1966

http://www.icem-freinet.fr/archives/educ/65-66/7/39-55.pdf

En conclusion...

Janvier 1966

http://www.icem-freinet.fr/archives/educ/65-66/7/56.pdf