XXIe Congrès de l'ECOLE MODERNE BREST - 12-16 Avril 1965 - L’Ecole laïque, chantier de la démocratie

Janvier 1965

Thème général :

L’Ecole laïque, chantier de la démocratie

par C. FREINET

Au cours de nos divers Congrès, nous avons défini notre rôle par une formule dont nul ne conteste plus la portée : Former en l'enfant l'Homme de demain. Evidemment, il sera facile de nous objecter que nous ne faisons ainsi que reculer l'interrogation car, que devra- être l'Homme de demain ?

Ce qui est certain, c'est qu’il ne nous est plus possible de prévoir, dix ans à l'avance, les situations naturelles, physiologiques, techniques et sociales auxquelles l’enfant d'aujourd’hui aura à faire face quand, dans cinq à dix ans, il sera devenu un homme. Nous ne pouvons plus, comme autrefois, le préparer à telle ou telle fonction mais nous pouvons cultiver d’une façon intelligente ses connaissances et ses aptitudes pour qu’il puisse, en toutes circonstances, réagir avec un maximum d'efficience. Ce qui change les données mêmes de la pédagogie.

C'est cette différence de but qui explique et justifie les reconsidérations que l'Ecole Moderne apporte à une pédagogie traditionnelle dont la faillite est aujourd’hui flagrante.

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Mais il est un aspect du problème sur lequel nous voudrions mettre tout particulièrement l'accent.

Quand nous disons nos conquêtes de méthode naturelle de lecture, l’Ecole traditionnelle se dit encore compétitive ; elle enseigne même plus vite que nous les mécaniques. Elle excelle dans l’apprentissage des règles grammaticales dont nous recherchons l’esprit plus que la forme. En calcul aussi, un certain dressage peut faire quelque temps illusion. C’est tout juste si nous osons dire que, dans tous ces domaines, comme pour les examens qui en sanctionnent les nonnes, nous pouvons faire aussi bien que l'Ecole traditionnelle.

Alors, d'où viendrait cette supériorité de l’Ecole Moderne et en quoi vraiment l'Ecole traditionnelle a-t-elle fait faillite? C'est que cette Ecole, moins que jamais, est préoccupée de la formation de l’homme et du citoyen. Elle munit l’enfant de connaissances inutilisables, de techniques désuètes, elle lui impose des pratiques superficielles de répétition, de mémorisation et de servile obéissance, elle ne lui enseigne point à vivre en société, coopérativement, mais à obéir et à servir. Et l'on s’étonne ensuite que, munis de tels viatiques, nos adolescents ne soient ni des hommes ni des citoyens, ou que, voulant, malgré nous le devenir, ils se rebellent parfois violemment contre les parents et les maîtres qui ont tout simplement négligé de leur enseigner à vivre,

A l’Ecole traditionnelle, créée à l’origine pour former des serviteurs dociles aptes à servir une bourgeoisie cultivée, et usant encore des mêmes outils qu’elle s’était patiemment forgée, nous voulons substituer l’Ecole qui aidera les démocrates de demain à réaliser la société de leur rêve, d’où sera exclue l’exploitation de l'homme par l'homme.

Il semblerait qu’un tel projet devrait recueillir l’assentiment de tous les démocrates et qu’apparaîtraient à tous comme suspects a priori une école qui a été fondée par nos ennemis de classe, des outils et des méthodes dont nous avons suffisamment souffert, une discipline inspirée des Jésuites qui est la négation même d'une formation démocratique.

Hélas ! en cette fin du XXe siècle, alors que les neutrons, les atomes, les machines électroniques ont bouleversé toutes nos conceptions ; au moment même où l’homme s’apprête à débarquer sur la Lune ou sur Mars, les instituteurs, livres en mains, devant leurs élèves bras croisés, font réciter des textes, enseignent des notions, imposent des rythmes datant du XVIIIe et du XIXe siècle ! Et plus grave encore, les masses d’éducateurs politiquement partisans d’une démocratie libératrice, dressent encore leurs élèves dans les écoles à des pratiques anti-laïques et antidémocratiques !

Et c’est tout juste si nous pourrons dénoncer cet état de fait sans encourir la hargne de ceux qui en restent les acteurs conscients ou inconscients.

Nous osons.

Première séance plénière

1°. Au cours d’une première séance plénière, nous ferons d'abord le procès objectif de l'Ecole traditionnelle :

— Les outils employés — en l’espèce surtout les manuels scolaires — sont-ils valables et efficients?

— L’instruction bien comprise, les connaissances intelligemment acquises, l’intelligence développée, ne sont-elles pas, par elles-mêmes un acquis incontestable de l’Ecole?

Ce sont les questions que nous examinerons très objectivement :

— L'instruction est-elle bien conduite?

— Les connaissances sont-elles intelligemment acquises?

— L'intelligence, sous ses divers aspects, est-elle développée?

Et en définitive nous poserons la question cruciale :

Une méthode est ou intelligente ou abêtissante.

Dans le premier cas elle est à encourager. Dans le deuxième cas elle est à proscrire comme un obstacle et un danger. La plupart du temps, toutes méthodes sont mitigées, avec une portion intelligente et une portion abêtissante.

A nous d’éliminer peu à peu le mauvais au profit du constructif et du formatif. Mais, conformément à notre pratique, nous nous abstiendrons de porter d'avance une quelconque condamnation. Nous laisserons parler les faits. Partons donc à la recherche des faits.

première enquête :

Les manuels scolaires

Les manuels scolaires ont entre autres deux tares rédhibitoires :

— ils ne sont pas écrits dans une langue accessible aux enfants ;

— ils ont trop souvent la prétention d'enseigner règles et synthèses, débutant ainsi par ce qui devrait être normalement la conclusion de l'étude. Cherches dans les divers manuels que vous avez sous la main (pour les diverses disciplines et pour les divers cours), anciens ou récents, des notions, des phrases, des définitions, des explications et des démonstrations que vous jugez hors de la compréhension des enfants, et parfois même de la compréhension des maîtres.

Il nous faut un véritable inventaire, et nous comptons sur la masse de nos lecteurs pour nous en fournir les éléments.

Deuxième enquête :

L'Ecole traditionnelle est-elle formative ou abêtissante ?

— Avez-vous le spectacle, autour de vous, de pratiques notoirement abêtissantes (telle l'étude dans une classe de cette phrase : « L’acrobate acariâtre de petit acabit, dans les jardins de l’académie saute de l’acacia sur l'acajou »).

— Vos enfants vous racontent-ils des pratiques retardataires dans les CEG, les lycées ou les collèges?

— Connaissez-vous des pratiques disciplinaires notoirement abêtissantes? La moisson devrait hélas ! en être riche et variée. A vous de nous la fournir.

Deuxième séance plénière

De la coopération à l’autogestion

Parmi les pratiques pédagogiques les plus aptes à former le citoyen de demain d'une société démocratique, nous mettons en première place la coopérative scolaire telle que nous la pratiquons. Nous aurons à faire le point à ce sujet sur certaines tendances qui se font jour dans la presse pédagogique en faveur de courants, nés de notre pédagogie et que d’autres voudraient bien exploiter à leur service.

— Y a-t-il vraiment une pédagogie de groupe, ou plus simplement une formule éducative toujours valable qui ne néglige ni l’aspect groupe et équipe, ni l’aspect individuel dont ne s’accommode pas toujours le groupe.

Nous en discuterons ici même pour tâcher de faire le point au Congrès.

Coopérative, Conseil de Coopérative, Autogestion :

Faut-il vraiment envisager des branches séparées pour notre mouvement de coopération scolaire ou regrouper le tout sous une conception générale adaptée aux classes et aux milieux ? Deux anciens adhérents parisiens font grand bruit dans la presse d’une réalisation dont ils auraient eu l’initiative : les Conseils de classe. Nous devrons leur rappeler d'abord que cette initiation, ils en ont eu la révélation à l'Ecole Freinet, et qu’ils en ont perfectionné la technique par tout ce que nous en avons publié dans L’Educateur, en fait de comptes rendus d’expériences dans les classes de toutes natures.

Et nous voudrions éviter qu’on mette ainsi en vedette un élément seulement de l'action coopérative qui n'a de sens et de portée qu'en fonction de la vitalité dans la classe de l'idée coopérative. Nous ne voudrions pas courir le risque de voir un jour des éducateurs substituer les conseils de classe à la coopérative, ce qui serait la négation de toute pédagogie coopérative.

Non pas que nous en soyons pour une formule unique générale et souveraine. Nous ne pensons pas, au contraire, qu'on doive pratiquer la coopération scolaire à l'École maternelle ou préparatoire comme on la pratiquera dans un FE ou un CEG, qu’on ne la pratiquera pas dans une école à deux classes d'un village comme on le ferait dans un FE d'une classe de ville perdue dans un grand ensemble. Nos amis algériens sont arrivés tout naturellement à harmoniser leur coopération scolaire avec le grand mouvement d'autogestion des entreprises sociales. Et nos camarades parlent eux- aussi d'autogestion.

Nous discuterons de tout cela. Nous présenterons d'ailleurs les données du problème dans une BEM : De la coopérative scolaire à l'autogestion qui sortira avant le Congrès et facilitera la discussion.

Mais d’ores et déjà voici notre

Troisième enquête :

Les formes diverses de lu coopération scolaire

— Coopération scolaire telle que nous la pratiquons normalement : les documents ne nous manquent pas, ce qui ne vous empêche pas de donner votre opinion.

— Quelles sont vos expériences plus particulières de Conseils de coopérative ?

— Je sais que des essais de coopérative plus axée sur le commerce scolaire dans certaines classes du secondaire sont en cours. Nous demanderons plus spécialement à nos amis OCCE de nous donner toutes indications à ce sujet.

— Et nous demandons dès maintenant, à nos amis algériens de nous apporter les renseignements les plus complets sur l'autogestion scolaire.

Troisième séance pleinière

La part de l'Ecole Moderne dans le contexte de la réforme scolaire

Dans quelle mesure les pratiques pédagogiques dont nous avons expérimentalement montré l'éminence peuvent-elles être généralisées à de vastes groupes de classes ?

La discussion déjà amorcée continuera... Mais dès maintenant participez à nos enquêtes pour que le Congrès puisse faire, dans ces divers domaines, œuvre utile.

C. FREINET