Inspection

Janvier 1979

 

INSPECTION
 
A la suite des textes parus dans le n° 42 (octobre 1978), voici deux fiches Retorica sur l'inspection
6. Politesse et prudence
7. Maîtrise et stylisation des techniques, par M. X auxquelles sont adjointes des remarques de M. Y incluant le rapport de M.C. sur M. Y. d'octobre 1974.
(Mais non, mais non,  c'est plus des maths !)
 
 
6. INSPECTION - POLITESSE ET PRUDENCE
(Par le camarade X)
La politesse. Nos classes sont ouvertes à tout le monde, y compris aux inspecteurs. Une visite devient un peu théâtrale et ceci disparait quand le visiteur peut s'intégrer au travail de la classe. La peur engendre l'agressivité. Plus nous ouvrons nos classes et moins nous avons peur. Nous mettons alors nos visiteurs à l'aise, nous les aidons à comprendre ce qui se passe, nous profitons des remarques qu'ils peuvent nous faire et quand l'inspecteur survient nous sommes alors mentalement sur un pied d'égalité.
La prudence. On n'échappe au jugement de personne, pas même des camarades dans les visites de classe. Mais la visite d'un inspecteur a d'autres conséquences que celle des camarades. D'où la nécessité d'être prudent. Dans les rapports de M.X ... et de M.B .... dans le dialogue initial ("Faites comme d'habitude/d'habitude je n'ai pas d'inspecteur ... " ) rien n'est improvisé. Le camarade, d'une prudence peuttre excessive, a préparé cette visite. Et si l'inspecteur avait choisi. .. de ne pas choisir, s'en était tenu .. au "Faites comme vous le jugez bon", qu'aurait fait le camarade ?
Interrogé, X ... répond facilement :"Franchement, je ne sais pas, mais il est probable que j'aurais choisi alors l'explication de textes pour montrer ma défiance. J'aurais considéque l'inspecteur ne voulait pas voir la réunion coopérative. Mais cela ne s'est pas passé comme cela et je sais gré à B ... d'avoir fait preuve de curiosité intellectuelle".
Des camarades ont signalé des preuves d'esprit borné chez les inspecteurs et l'institution est incontestablement en crise. On le sait notamment depuis que des enseignants ont rué dans les brancards.
La prudence, c'est essentiellement de ne pas se lancer un jour d'inspection dans une technique que l'on domine mal et dont on ne vit pas de l'intérieur la finalité.
 
6 bis
"Nos classes sont ouvertes à tout le monde, y compris aux inspecteurs ... " (remarques du camarade Y.)
Soit. C'est très précieux pour nous d'ouvrir nos classes aux collègues sympathisants, aux camarades,aux stagiaires des C.P.R. et des centres de formation des P.E.G.C. Cela permet de dédramatiser, pour nous et pour les élèves, la visite d'un inspecteur. Il est arrivé qu'un inspecteur soit pris pour un visiteur habituel ... ce qui peut le vexer ! (souvenons-nous du scandale lorsque les élèves du C.E.G. de Douvres, pris par leur travail d'atelier, n'avaient pas "rectifié la position").
Très souhaitable aussi l'intégration de tout visiteur au travail de la classe. Cela va de soi pour des stagiaires, ou des collègues, fréquemment sollicités par les élèves pour la préparation d'une exposition ou d'un exposé, d'un montage, pour la réalisation du journal.
Mais pour l'instant, cela semble exceptionnel de la part d'un inspecteur. C'est arrivé dans le primaire. Peut-être verrons·nous un jour un inspecteur "libéral" accepter de se mettre de l'encre sur les doigts, demander la parole dans une réunion de coopé ...
Cela changera-t-il le fond du problème ? Dans les conditions actuelles de l'institution et tant qu'il yaura une note à la clé, le climat de confiance, d'égalité"de discussion franche" me parait très utopique.
La preuve en est donnée dans ces réunions avec l'inspecteur, très à la mode depuis deux ou trois ans, avant ou après la série d'inspections dans l'établissement,le visiteur officiel essaie de "dialoguer" avec ses "chers collègues". Si le dialogue tourne vite au monologue,n'accusons pas trop vite la timidité des collègues : les rapports sont faussés à la base par la situation hiérarchique.
Faut-il envisager une "amélioration" de l'inspection ?
L'inspecteur deviendrait un animateur, admettant que chaque collègue a une expérience digne d'intérêt, à confronter et discuter en groupe ...
Mais n'est-ce pas une solution bien illusoire ? Et avons-nous besoin d'un animateur professionnel ? Ne procédons-nous pas régulièrement, dans nos réunions départementales, nos rencontres, nos stages, nos congrès, à une évaluation coopérative fondée sur les échanges, les discussions franches ?
Ce système pourrait être développé. Mais les collègues sont-ils prêts à dépasser leur individualisme et à accepter une confrontation ? Tenter de briser ces barrières, dues à notre formation archaïque, est souvent perçu comme une atteinte à la liberté de chacun.
Pourtant le désarroi et la solitude sont tels que toute initiative, même (ou parce que ? ) modeste, en vue d'un début de concertation, est en général bien accueillie : mise en commun de polycopiés, répartition des classes pour la rentrée, groupe de réflexion pédagogique.
Plusieurs problèmes se posent alors :
- comment dépasser le stade de la discussion et aller vers l'élaboration et la pratique d'outils ?
- Comment concilier nos conditions de travail et la disponibilité nécessaire à ces échanges ?
En tout cas on entrevoit, de façon non utopique, des solutions qui remplaceraient avantageusement le système actuel de l'inspection : une sorte de régulation coopérative des enseignants par eux-mêmes.
En attendant, je veux bien ouvrir mes classes à tout visiteur, à certaines conditions toutefois, avant tout l'honnêteté des uns et des autres :
- discussion approfondie avant, pendant, après,·
- information détaillée sur ce qui se fait, examen des plannings, fiches de travail, livres de vie, cahier de textes (mais oui !) Un cahier de textes bien tenu, bourré de fiches et de documents, peut sauver une' situation délicate ! Mais, d'un autre côté, pourquoi sanctionner un collègue s'il prouve que le cahier de textes lui est inutile et s'il le remplace par des outils mieux adaptés : planning mural, plans individuels et collectifs ...
Encore faut-il que le "Revizor" consente à regarder de près ces documents et comprenne leur rôle.
Certes, mais le changement inopiné d'exercice peut être périlleux (cela s'est vu) si la classe ne comprend pas la nécessité d'un tel bouleversement du planning, surtout si une vie coopérative commence à naitre.
Le dialogue initial entre l'inspecteur et l'inspecté devrait donc passer par le groupe-classe qui a son mot à dire,· ou bien lorsque la visite est prévue ou probable, il serait préférable de poser ce problème de façon collective (faut-il truquer la séance ? que présente-t-on ? Comment ? ... )
 
7. INSPECTION - MAlTRISE ET STYLISATION DES TECHNIQUES (par le camarade X... )
 
Maîtriser une technique, c'est l'avoir pratiquée assez longtemps sans s'arrêter aux premiers échecs toujours inévitables. Mais il faut évidemment réfléchir sur les échecs et on n'avance vraiment qu'à la condition de pouvoir confronter son expérience avec celle des autres.
Ceci se fait de plusieurs manières :
- par la discussion dans le groupe départemental, les stages, les rencontres, les demandes d'explications à tel ou tel camarade qui a écrit dans La Brèche, ou dont on a entendu parler (joindre une enveloppe timbrée).
Cette pratique peut paraître un peu désinvolte, mais c'est par cette confrontation continuelle des expériences que l'on limite au maximum les échecs.
- Par l'ouverture de dossiers spécifiques concernant les méthodes de travail. C'est évidemment une manie de Retorica, mais c'est très agréable au moment de faire un débat dans la classe de consulter son dossier "débats" pour consulter des comptes-rendus d'expérience ou le dossier pédagogique qui s'y trouve.
La stylisation d'une technique est la mise en forme, la présentation, la programmation de la technique qui permet à n'importe quel visiteur entrant dans une classe de comprendre d'où elle vient, comment elle se déroule, quelle finalité elle se propose et finalement ce qu'elle prépare.
Dans des exercices traditionnels (explication de texte, compte-rendu de dissertation), ces quatre fonctions sont sous-entendues, déjà connues et il est inutile de les rappeler.
Mais dans les pratiques nouvelles -travail de groupe ou d'atelier, travail indépendant, réunion coopérative, présentation de montages audiovisuels, jeu dramatique, lecture de texte libre -, il n'en ·va pas de même. Il est bon alors de structurer l'activité de manière à ce qu'à la fin de l'heure on aboutisse à une synthèse, à une conclusion
Cette démarche un peu formelle permet d'éviter l'impression de laisser-aller.
 
7bis Remarques du camarade Y :
N'importe quel visiteur devrait comprendre le sens du travail que nous faisons, quelle que soit la technique employée.
C'est vrai, mais, dans les faits, ce n'est pas si facile.
- Voici d'abord un exemple totalement négatif
 
RAPPORT DE M.C. SUR LE CAMARADE Y
(Octobre 1974)
"La classe de M. Y. ne ressemble pas à une classe traditionnelle.
C'est une sorte de club, dans lequel les élèves groupés par petites équipes, travaillent librement à préparerle prochain numéro d'une revue qu'ils éditent chaque fin de trimestre. Les uns dactylographient, d'autres font de la mise en page, certains dessinent, quelques-uns préparent une enquête sur la science-fiction.
Je suis convaincu de l'utilité formatrice de telles occupations. Mais beaucoup de ces activités pourraient et devraient être exercées en dehors des heures de français, qui en constitueraient l'appui; ainsi la dactylographie, le découpage, le dessin, le tracé de titres, les collages, etc. Car, d'après le professeur lui-même, deux heures seulement sur cinq - et encore, l'une par quinzaine- sont consacrées à ce qui devrait, me semble-t -il, rester l'essentiel d'une classe de français : le contact vivant avec des textes littéraires qui affinent la sensibilité, forment le goût, appellent la réflexion critique, enseigner l'art de l'expression juste et fine.
M. Y. est un professeur ouvert, à juste raison préoccupé de rendre sa classe intéressante pour des élèves et de les laisser définir eux-mêmes ce qui les intéresse. Je crois pourtant, et je le lui redis ici, que la liberté se forge aussi par des contraintes acceptées, le difficile étant de faire comprendre et accepter la nécessiet la valeur formatrice de ces contraintes".
 
- Remarques de Y sur ce rapport : Je passe sur l'idéologie : une heure de discussion serrée m'a proul'inutilité du dialogue quand les points de vue sont aussi divergents. Je passe sur les inexactitudes et le superficiel du rapport.
Il y avait non pas quatre équipes, mais dix. Et sur une trentaine d’élèves, sept à huit seulement s'occupaient du journal. Etc ...
L'inspection proprement dite n'a duré que dix minutes : le visiteur, apparemment surpris et décontenancé par ce type de travail, sans doute nouveau pour lui, a sià faire le tour des divers ateliers. Ne pouvant écouter la parole magistrale et la jauger selon les critères habituels, il a préféré me poser des questions.
Ceci m'a empêché de faire mon travail normal d'aide aux diverses équipes. C'était en fin d'année (fin mai) dans une classe de seconde suffisamment autonome, et tout s'est fort bien passé sans moi (1).
Aucun examen du cahier de textes, des plannings, des fiches de travail...
 
(1) J'ai suivi cette classe en première, elle a brillamment réussi au bac, tant à l'écrit qu'à l'oral.
 
Bref, l'inspecteur n'a pas vu les tenants et les aboutissants, la variété des techniques proposées et pratiquées, la globalité de mon travail. Et je n'ai pas su les lui faire comprendre en plus d'une heure de discussion.
- Comment alors informer rapidement le visiteur sur nos pratiques ?
Le camarade X propose de structurer l'activité plus que d'habitude : j'aurais pu par exemple résever, à la fin de cette séance d'ateliers, un quart d'heure de mise en commun ou de synthèse. Je crois que cette classe aurait mal réagi et trouvé cela artificiel et inutile. Mais ce genre de mise en scène, assez loin de la pratique réelle, n'est pas à proscrire, si l'on veut en discuter au préalable avec la classe. Et c'est rassurant pour le visiteur.
Autres techniques : présenter l'information par l'intermédiaire de fiches de méthode du type Retorica (fiches pour les élèves, fiches pour les maitres .. .). Avantages : c'est une information condensée (format 1/2 feuille).
On peut en quelques fiches montrer les rapports entre diverses techniques. J'ai eu récemment une inspection satisfaisante (séance de textes libres) parce que j'ai pu suggérer ainsi les prolongements de l'expression libre et corriger la vision partielle que peut avoir un visiteur au bout d'une heure.
Le livre de vie, ou tout document analogue, peuvent avoir le même rôle. Cela montre aussique nous sommes très loin du laisser-aller, et que nous avons des exigences de rigueur.
Encore faut-il que l'inspecteur veuille bien s'y intéresser. Ce qui nous ramène au point de départ : l'institution, telle qu'elle est, permet-elle un véritable dialogue ?