L'Ecole Nouvelle de la Coopérative

Octobre 1933

La nécessité où nous avions été de donner en juillet une hâtive information concernant la création prochaine de cette école, ne nous avait pas permis de nous expliquer avec une suffisante clarté. Il en était résulté divers malentendus qui se sont fait jour — et ont été aplanis — à notre Congrès de Reims.

Le bruit s’est répandu d’abord — avec une hâte inconsidérée — que je quittais l’enseignement public pour créer une école privée.

Il n’a jamais été dans mon idée d’abandonner aussi à la légère l’enseignement public. Je crois avoir suffisamment prouvé que je n'avais point par habitude d’agir par coup de tête ou d’obéir à un quelconque sentiment de dépit. Mais je suis en face d'un état de fait : chassé de Saint-Paul, je serai partout, dans les Alpes-Maritimes l’indésirable, que parents et inspecteurs prévenus surveillent de très près pour l’arrêter au moindre geste non conformiste. Ne parlons pas d’expérience pédagogique : le seul fait de laisser les enfants choisir leur place en classe est susceptible, selon l’avis de l'inspecteur d’Académie, de «choquer les parents d’élèves ». Il me sera peut-être même impossible d’employer régulièrement l'imprimerie qui « choque aussi des parents qui n’ont rien connu de ces techniques étant enfants ».

Je sens pourtant, plus impérieux encore que jamais, le besoin de continuer les expériences qui nous ont mené à la technique actuelle. C’est pourquoi j’ai pensé à lu création d’une école dont je ne serais pas forcément le directeur ni le professeur, mais dans laquelle je pourrais suivre de près l’évolution des essais jugés nécessaires.

J’ai vu la possibilité matérielle de créer cette école : j’en ai lancé l’idée que nous nous appliquerons à réaliser.

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Des camarades s’écrient aussitôt : Une école nouvelle pour les enfants riches ne saurait être pour nous une bonne école expérimentale. Nos écoles expérimentales, ce sont les écoles populaires dans lesquelles nous travaillons.

Ils ont partiellement raison : c’est bien malgré moi que je me vois interdire pratiquement la possibilité de poursuivre dans ma classe, connue au cours des années écoulées, mes expériences pédagogiques.

Ils se trompent pourtant quand ils croient que notre école nouvelle sera une école pour enfants riches. Il se peut que, tout comme dans nos classes normales, nous ayons un certain nombre d’élèves de la classe moyenne : nous ne penserions pas à créer une école nouvelle si nous ne voyions pas lu possibilité d’y accueillir une bonne proportion d’enfants de petits fonctionnaires ou d’ouvriers, selon des modalités à envisager.

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Cette école libre ne serait pas forcément une école aristocratique ; elle ne sera pas une école aristocratique, mais une école ouvrière et paysanne. Il faudra certes qu’un niveau économique approprié soit réalisé comme base normale de la vie de notre école, car rien d’effectif ne peut être créé pédagogiquement si on ne combat pas d’abord la misère physiologique qui met dans une intériorité manifeste tant de fils de travailleurs.

Nous pouvons parvenir à ce but sans demander aux parents un prix de pension prohibitif. Nous pensons même accueillir gratuitement un certain nombre de fils d’ouvriers si les concours de tous ceux qu’intéresse cette expérience ne nous sont pas ménagés.

Dans cette école, il sera continué, dans les conditions matérielles à peu près normales, mais dans des conditions pédagogiques beaucoup plus favorables, les expériences que nous poursuivons depuis plusieurs années. Et cela, en collaboration constante avec les écoles de notre groupe. Les éducateurs pourraient d’ailleurs périodiquement, venir visiter leur école, y travailler même à contribuer pratiquement au développement de l'œuvre. Toutes questions à régler pratiquement quand nous serons vraiment à pied d’œuvre.

Nous voudrions, de plus, tenter une grande expérience qui, par-delà l’évolution de nos techniques, influencerait certainement toute la pédagogie : en matérialistes convaincus, nous voudrions récréer cette pédagogie, penser au corps avant de torturer les esprits, agir sur le milieu avant de vouloir façonner des individus ; mettre pratiquement les enfants dans des conditions physiques et économiques susceptibles d’améliorer et de libérer leurs corps; organiser ensuite leur vie de façon à conserver intact cet enthousiasme créateur dont nous avons fait un des pivots de notre pédagogie ; alimenter cet enthousiasme pour que nos élèves se saisissent vigoureusement de la civilisation ambiante et bâtissent ainsi leur pari d’avenir.

Préparer une école nouvelle ne signifie nullement que nous tournions aujourd'hui les yeux vers la bourgeoisie. Nous n’en avons jamais rien obtenu ni rien attendu et nous savons combien il faudrait nous prostituer pour passer à son service.

Notre école ne sera pas une affaire. Nous savons quelle importance spéciale il faut attacher à l’organisation matérielle et économique d’une œuvre semblable et nous nous y employons de notre mieux. Nous ne ferons pour cela aucun sacrifice au régime ni à la classe que nous combattons.

Nous ne voulons certes point créer une institution de pauvres et substituer à. la misère des taudis une misère de l'école. Nous accepterons tous les enfants dont les parents, connaissant nos buts, approuvent nos efforts. Nous ne renierons rien de nos principes pédagogiques, mais nous disons d’avance que nous entendons rester en plein cœur du mouvement pédagogique, que notre école nouvelle sera une école nouvelle prolétarienne ou elle ne sera pas.

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Nous n’ignorons aucun des obstacles que nous pouvons rencontrer. Nous n’irions pas plus loin dans notre projet si nous n’espérions les surmonter.

A vous de populariser l'idée de cette école, de faire connaître ce projet, de nous donner l’adresse des personnes, des groupements qui s’y intéressent — et nous réussirons.