L'Educateur n°7 - année 1963-1964

Décembre 1963

Pour la préparation du congrès d'Annecis (1er- 5 avril 1964)

Décembre 1963

L'école traditionnelle est-elle efficiente?

Nous avons choisi comme thème de notre prochain Congrès d’Annecy, le thème très vaste de l’Ecole traditionnelle est-elle efficiente ? et nous avons publié dans Techniques de Vie des questionnaires :

1. - Les besoins culturels des enfants et des adultes en 1964.

2. - Le procès de l'Ecole traditionnelle.

3. - Scientisme ou tâtonnement expérimental.

4. - Qu'est-ce que le sens scientifique, littéraire, mathématique ou artistique?

5. - Les examens.

6. - L'Ecole doit-elle faire une large part à la culture civique et coopérative ?

Un certain nombre de camarades nous ont déjà répondu. Des questionnaires circulent dans les groupes et chez les étudiants. Il était bon que nous posions ainsi le problème dans son ensemble pour servir aussi de préface et de toile de fonds à nos séances plénières.

Ce n'est pas en séance plénière en effet, que nous pourrons en présence de 1000 délégués, discuter du tâtonnement expérimental, du sens scientifique, ou de la culture civique et coopérative. Ce sont des questions à débattre en commission ou dans des colloques en préparation du Congrès. Ce débat continuera d'ailleurs dans Techniques de Vie.

Il nous faut pour le Congrès, non pas des sujets à conférences qui ne sont que de mornes monologues, mais des thèmes qui intéressent directement la masse des congressistes, qui suscitent réactions et interventions pour que nos séances plénières soient de vrais débats.

La question des examens serait certes d'actualité. Mais elle nécessite des études précises, une documentation nationale et internationale sûre, des expériences concluantes permettant de proposer des solutions nouvelles. Car la critique des examens serait vaine si nous ne proposions des solutions. C'est une question à poursuivre, pour l’année prochaine sans doute, mais pour laquelle il faut dès maintenant organiser recherches et expériences (nous reprendrons notamment l'étude systématique de nos expériences de Brevets et Chefs-d’œuvre) qui pourraient bien être l’apport le plus original et le plus efficient à l’étude de cette question plus que jamais d'actualité.

Par contre un point de nos questionnaires peut être l’objet d’intéressants débats au cours de nos séances plénières du Congrès. Nous allons commencer donc le Procès de l'Ecole traditionnelle.

Le procès de l'Ecole traditionnelle

A l’aube de cette campagne nous prenons à nouveau les précautions oratoires susceptibles de répondre d’avance aux accusations qu’on ne manquera pas de porter contre notre action vigoureuse et décidée.

Par une sorte de solidarité exagérée et d’un esprit de corps qui a de meilleures occasions de se manifester, l'ensemble des éducateurs se considère comme attaqué quand nous exprimons nos réserves et nos critiques sur les pratiques de l'Ecole traditionnelle. Comme si les ouvriers d'une entreprise se tenaient pour offensés si on change leurs vieilles machines — même si elles leur ont rendu tant de services, et s’ils y sont si totalement habitués — par des machines modernes à plus fort rendement.

Critiquer les outils et les techniques de travail ne signifie nullement sous- estimer l’application et le dévouement des ouvriers eux-mêmes, qui ont, au contraire, beaucoup plus de peine il fonctionner normalement dans des installations déficientes qu'avec des installations adéquates aux buts visés.

C’est que critiquer l’école traditionnelle, c'est critiquer leur art, leur artisanat.

Ils n’ont pas, les instituteurs, conscience d’appliquer une pédagogie scientifique qui aurait des règles et des lois, mais plutôt de faire chacun une classe selon leur conviction et leur conscience avec leurs « trucs » dont ils sont si jaloux, la méthode de leur choix parmi toutes celles qui leur sont proposées à l’EN ou par leurs chefs, leur jugement...

Nous souhaitons au contraire que, en toute objectivité, l’ensemble des éducateurs se joigne à nous pour améliorer tout ce qui peut l’être dans les conditions difficiles d'un métier plus que tout autre dépendant des installations et des matériaux qui lui sont imposés.

Nous acceptons de même qu’on critique nos techniques, qu’on nous en signale les imperfections ou le mauvais emploi. Cette critique est une condition indispensable du progrès.

Et l'Ecole laïque ?

Et on ne manquera pas de dire qu'en critiquant ouvertement l'Ecole laïque nous en atteignons le prestige auprès des parents, en face de l'Ecole libre, son ennemie.

Ce qui fait, et fera, la force et le succès de l’Ecole laïque, ce n'est pas une certaine tenue de façade qui masque les réalités dont elle souffre, et dont personne n'est dupe ; ce qui fait sa force c’est le perfectionnement nécessaire de son organisation et de ses méthodes, c'est son rendement non seulement scolaire, mais social et humain, auquel nous sommes tous, directement ou indirectement, intéressés.

L'action que nous entreprenons sert l'Ecole laïque, mieux : elle est indispensable à son succès que nous voulions décisif.

Ce faisant d’ailleurs, nous prouverons la nécessité et l'urgence des diverses campagnes pour la modernisation de l'Enseignement : 25 enfants par classe — meilleure préparation du personnel, et donc d'abord meilleurs salaires — construction et équipement fonctionnels, pour les buts de formation que nous avons à poursuivre.

Il y aurait danger, dans cette campagne à nous attaquer seulement à la forme, à laisser croire qu’il suffit d’interdire les lignes, les verbes, le piquet ou même le bonnet d’âne, pour que l’Ecole fonctionne dans de meilleures conditions. Les parents vous répondront volontiers que, ma foi, ils ont subi ces mêmes punitions, mais que cela ne les a pas tués, et que les classements, les notes et les bons points sont nécessaires pour stimuler des enfants dont on connaît la désaffection pour l’Ecole.

Oui, nous aurons à dénoncer ces pratiques moyenâgeuses, d’ailleurs interdites par les règlements, mais qui n’en persisteront pas moins tant que les éducateurs n’auront pas d’autres possibilités pratiques de maintenir l’ordre nécessaire au travail.

C’est toute la mécanique qu’il nous faut dénoncer, avec ses moyens et ses conséquences : il nous faut montrer qu’elle fonctionne mal, ou tourne parfois même à l’envers, ce qui rend non seulement inefficiente mais dangereuse l’action actuelle de l’Ecole traditionnelle.

De nombreux camarades, notamment dans les classes de perfectionnement, recueillent des dossiers et établissent des statistiques qui disent la valeur thérapeutique de nos techniques (1). Mais, s’il faut une thérapie, c’est que nos enfants sont malades. Quelle est leur maladie, comment se manifeste-t-elle, où prend-elle naissance, où en sont les responsables ?

C’est ce travail que nul n’a fait. On préfère ignorer la maladie, comme si elle n’existait pas, ou si elle n’était qu’un accident, l’effet d’un quelconque virus, introduit dans l’organisme par génération spontanée.

L'Ecole n’a certes pas toutes les responsabilités, mais elle en a sa part. Il nous appartient d’en opérer loyalement le bilan.

C’est ce que nous allons essayer de faire.

Il serait peut-être bon, au préalable, de voir les maladies diverses (au point de vue éducation et culture) dont souffrent les enfants de notre époque.

Nous verrons ensuite la genèse de ces maladies.

Les connaissant et en ayant détecté l’origine, nous serons mieux en mesure de mener alors, dans tous les domaines, l’action thérapeutique.

Quelles sont donc les maladies ou les déficiences dont se plaignent le plus couramment maîtres et parents?

J’essaie d’établir aujourd’hui une liste provisoire. Il faut que vous soyez nombreux à en étudier le contenu pour m’aider à le compléter. Nous engagerons alors l’action contre les causes scolaires et extrascolaires des déficiences constatées.

MALADIES ET DÉFICIENCES

La virulence d’une maladie est fonction du climat et du milieu dans lesquels elle peut se développer ou s'atténuer. Il est ainsi des règles de vie familiale ou des pratiques scolaires qui n’étaient pas profondément perturbantes, il y a trente ou cinquante ans, et qui sont aujourd'hui dangereuses en raison de l’évolution sociale ou technique intervenue. Qu'on ne dise donc pas : on l'a toujours fait. Ce qui était autrefois sans danger peut être cause aujourd'hui de complications dont on ne saurait négliger la portée.

1. - Les enfants d'aujourd'hui sont particulièrement instables. Ils ne parviennent pas à fixer leur attention, ce qui se traduit notamment par l'aggravation incontestable de l’orthographe.

2. - Les enfants n’aiment pas le travail, ni le travail scolaire, ni le travail familial ou social.

3. - Ils sont beaucoup plus énervés, plus déséquilibrés (dans le sens seulement d'une insuffisance d’équilibre et d'harmonie) qu'autrefois.

4. - Ils savent moins qu'autrefois penser par eux-mêmes.

5. - Ils sont pourtant aussi intelligents qu’autrefois — d'aucuns disent qu’ils le sont plus — mais, pour tout ce qui concerne l'Ecole, ils sont éteints et fermés, allergiques même à tout enseignement scolaire.

6. - Le nombre va croissant des enfants normalement intelligents qui ne parviennent pas à lire couramment et à s’exprimer par l’écriture.

7. - Le nombre va croissant des enfants perturbés, c'est-à-dire dont le comportement est troublé, jusqu'à devenir anormal, inquiet, peureux, hésitant, toutes tares qui constituent de graves causes d'échec à l'Ecole et dans la vie.

8. - Les enfants sont plus passifs qu’autrefois, à l’Ecole du moins. Et ils s'en défendent par des réactions agressives violentes, en récréation ou dans la rue.

9. - Les enfants sont aujourd'hui informés de toutes choses, mais ils les connaissent rarement en profondeur, ce qui est cause d’une superficialité, d’une détérioration du bon sens qui sont un grave danger.

10. - Ces diverses faiblesses, apparemment intellectuelles et morales, se traduisent bien souvent :

— par un affaiblissement dangereux du tonus vital ;

— par diverses maladies dont les médecins nous diront l’origine et les incidences ;

— par des anorexies ;

— par des névroses dont on connaît les terribles conséquences.

11. - Les conditions défectueuses de vie et de travail en commun perturbent gravement le comportement social des enfants (voir blousons noirs).

12. - Les examens, notamment, ont des conséquences que psychologues, psychanalystes et médecins nous aideront à dénoncer.

13. - L’autorité formelle du maître suscite elle aussi bien des complications.

14. - En définitive, il faudra voir si certaines pratiques scolaires ou extrascolaires ne sont pas « abêtissantes » (voir télévision, images et pédagogie traditionnelle).

Faire les envois d’urgence avec tous documents, extraits de livres et de revues, etc, à Freinet, Cannes.

C.F.

(1) Collection Bibliothèque de l'Ecole Moderne n° 6 : La santé mentale des enfants.

 

A propos d'une visite aux écoles de Milan

Décembre 1963

L'école Italienne se modernise

Le 22 novembre, j'étais invité à faire une conférence préliminaire à l'ouverture de notre Exposition d'Art Enfantin, qui se tient en ce moment à la Bibliothèque Municipale de Milan.

A cette occasion le Centre Français qui avait organisé notre exposition et notre accueil, a tenu à nous faire visiter quelques écoles de Milan. Les conversations que nous avons eues au cours de la conférence du 23 novembre avec de nombreux éducateurs, nous ont permis de mieux connaître quelques-unes des caractéristiques de l'Ecole italienne actuelle. Si quelques-uns de nos jugements ne sont pas parfaitement justes — ce qui est possible étant donnée la brièveté de notre séjour — nous nous en excusons d'avance, et nous rectifierons bien volontiers si besoin est.

Dans l’ensemble, et compte tenu du fait que nous avons surtout visité des écoles de villes, notre opinion sur l'Ecole italienne est assez favorable.

Un gros effort semble être fait pour la construction et l’équipement des locaux. Le matériel de travail est abondant, et moderne (évidemment nous ne parlons que de Milan).

 

Nous publierons, dans un prochain numéro, le plan d’une école, à notre avis parfaitement compris. A chaque étage se trouve une unité pédagogique de 4 classes débouchant sur une aile spacieuse qui sert de salle de travail (imprimerie, marionnettes, bibliothèque pour travail individuel et préparation des conférences).

Les 4 classes débouchent largement sur l’aula. Elles semblent collaborer dans un excellent esprit.

— Nous avons visité quelques écoles qui pratiquent l'imprimerie et éditent même un journal. Mais ce n'est là qu'un début de Techniques Freinet. Imprimerie et limographe ont été introduits dans ces classes sans changer beaucoup la méthode de travail :

- Il n’y a pas de correspondances.

- L'imprimerie ne semble qu’accidentellement incorporée à l’emploi du temps.

- Le journal scolaire n’est encore qu’un accident.

On peut dire que bon nombre d'écoles, proportionnellement plus que dans les villes françaises, sont sensibilisées à nos techniques. Il suffirait de quelques stages, de quelques publications techniques, d’une bonne organisation de la coopération des éducateurs eux-mêmes, pour que cette première étape soit rapidement franchie et que notre pédagogie moderne influence vraiment les écoles italiennes.

Nous allons nous en préoccuper.

— La discipline nous paraît moins rigide et plus humaine que dans nombre de classes citadines françaises. Dans plusieurs classes visitées les tables ne sont pas alignées scolastiquement face au tableau mais groupées par deux ou par quatre pour un travail d’équipe.

Les relations entre maîtres et élèves nous semblent plus détendues que chez nous, malgré l’impression plutôt défavorable que vaut aux écoles le tablier uniforme et le col, obligatoires pour tous les écoliers.

— On n'y prend pas de récréation. Un goûter est prévu dans la classe pour couper les 4 à 5 heures continues. Il en résulte, pour les classes nombreuses, beaucoup moins de va-et-vient, et donc moins de bruit.

— Il y aurait dans les écoles un fort courant vers le dessin, mais les résultats en sont rudimentaires. Les dessins obtenus, ceux qui garnissent de superbes cahiers, ceux qu’on expose parfois, sont strictement scolaires, tels que nous les faisions au début du siècle, et tels aussi que le pratiquent encore tant de classes françaises.

Et nos camarades se plaignaient justement de ne pouvoir réaliser de dessins grand format, expression vraiment de la pensée et de la sensibilité de l’enfant.

C’est surtout pour répondre à cette inquiétude des maîtres que j'ai axé ma conférence sur l’Art Enfantin dont l'exposition montrait les plus belles réussites.

Le matérialisme scolaire

J'ai été amené de ce fait, à donner un certain nombre de conseils qui ne seraient peut-être pas toujours superflus en France.

On sait l’importance que nous accordons aux outils de travail. Avec le crayon noir, les crayons de couleur ou les pastels on ne risque pas de faire de la « peinture » à bonnes dimensions. Tout au plus obtient-on un dessin colorié.

Mais qu’on donne aux enfants de la gouache facile à manier, qu'on leur offre de larges surfaces, et la peinture reprendra vraiment ses droits.

Or, à notre connaissance, les enfants italiens ne font pas de peinture. Il faudrait en fournir aux écoles, (et nous nous en préoccupons aussi), et y entraîner élèves et éducateurs.

Là aussi, il suffirait de bien peu pour que soit franchi le cap qui accède à la peinture grand format.

Comme on le voit, ce n’est pas par des explications ou des leçons qu'on modifie le climat scolaire, mais par l’introduction à l'école d’outils et de techniques qui élargissent et magnifient le champ 'activité et de création des enfants.

Je crois, d'après ce que je peux lire des livres et revues contemporaines, que l'EcoIe italienne se cherche, qu’elle n’a pas de méthode et utilise un peu au hasard les pratiques recommandées. Je crois que notre pédagogie est susceptible d’apporter une réponse aux divers problèmes qui sont posés aux éducateurs italiens. Il y faut des changements techniques que nous devons préparer et un esprit nouveau à promouvoir. C’est peut- être relativement moins difficile en Italie qu’en France.

C'est à cause justement de cette indécision de la pédagogie officielle que persistent encore dans leur pureté originelle, deux méthodes célèbres, mais qui ont à mon avis fait leur temps : la méthode Decroly et la méthode Montessori.

Nous avons visité une classe qui travaille à 100% selon la méthode Decroly : c'est la méthode globale à peu près intégrale, telle qu’elle est si gravement critiquée en France, avec l’étude de mots représentés par des dessins : la poire, la pomme, etc..., l’écriture et la lecture à l'aide de mots imprimés sur carton.

Sans méconnaître que cette méthode pourrait dans certaines conditions apparaître comme un progrès sur les techniques traditionnelles, nous pensons cependant qu’elle doit évoluer vers la libre expression et la création.

Une école Montessori

Mais l’aventure la plus extraordinaire c’est le spectacle en 1963 d'une image parfaite de la méthode Montessori 1900. C’est une école pour enfants de 4 à 5 ans organisée selon la méthode Montessori dans les locaux mêmes de la grande Firme Falk (16000 ouvriers).

Tout est là strictement construit et installé selon les instructions de Mme Montessori : meubles à la mesure de l'enfant, planchers insonorisés et chauffés, et surtout matériel Montessori spécifique : lettres en relief, emboîtements divers, longueurs et cubes, etc...

Je ne saurais vous dire le malaise et la peine que nous a causés cette résurgence d’une pédagogie 1900 dans le contexte matériel et social 1963. Pas un bruit dans cette école de petits enfants qui sont normalement vifs et pépiants.

Nous pénétrons dans une salle où l’atmosphère funèbre est accentuée par la présence presque immatérielle d'une religieuse. Les enfants sont là, silencieux et tristes, occupés à remuer les pièces d'un encastrement ou à passer les doigts sur les lettres rugueuses. Ils ne parlent pas. Et la religieuse elle-même nous confirme : nous ne leur parlons pas !

C’est une véritable école de sourds- muets.

Il se peut que le matériel Montessori cultive certaines aptitudes de l’oreille, de la vue ou du toucher, mais la pratique elle-même en est aujourd’hui d’une incroyable inhumanité. Là, les enfants sont éteints de bonne heure, rien ne s'affirmera de ce qu'ils portent en eux de cette aspiration générale de l’être vivant vers la lumière, le progrès et la libération.

Une école Montessori pour enfants CE et CM fonctionnant dans la même localité, était par contre plus normale et plus vivante. Là aussi, il suffirait de cet esprit nouveau qu’apportent nos techniques pour qu'une pédagogie Montessori puisse reprendre toute sa valeur formative et humaine : fichiers, imprimerie, limographe, peinture, donneraient une meilleure efficience au travail individuel dont Mme Montessori avait été une des plus éminentes inspiratrices.

Le second degré

Le professeur Visalberghi qui présidait une deuxième conférence, a surtout axé sa présentation sur une des préoccupations de la Scuola Media (l'Ecole moyenne italienne) qui vient d’être créée et pour laquelle on cherche une pédagogie.

J'ai dit tout ce que nos techniques, comme dans les CEG français, peuvent apporter comme documentation, désir de connaître et soif de travail. Il nous faut préciser, ce que je compte faire dans un tout prochain Dossier qui sera consacré aux Techniques Freinet dans les classes terminales, les CEG, l'enseignement technique et le 2e degré.

Nous vivons une période d’intense activité scolaire, qui n'est pas forcément une réconfortante activité pédagogique. On sent que l'Ecole d’hier ne peut plus être l’Ecole d’aujourd'hui et de demain. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette prise de conscience pour laquelle nous avons tant œuvré. Mais rien ne sera fait d’effectif si on se contente de modifier quelque peu l’organisation et la façade, ce qui peut cependant n’être pas inutile. C’est la pédagogie elle-même qu'il nous faut modifier. Et nous seuls pour l'instant apportons des solutions valables, auxquelles il faudra bien un jour ou l'autre qu’on ait recours.

Parce qu’elle est un progrès technique et humain, notre pédagogie s’imposera sous peu à tous les peuples soucieux de leur avenir libérateur. Nous ne sommes pas pressés. Nous préférons qu’agisse progressivement notre expérience qui peu à peu, fera immanquablement boule de neige.

Les critiques systématiques

Et pourtant des obstacles imprévus se présentent toujours pour compliquer notre travail.

Nous ne prétendons pourtant pas avoir réaliser l’idéal et nous trouvons normal qu’on critique nos réalisations, que nous sommes les premiers à remettre sans cesse sur le chantier.

Mais il est des critiques extra-pédagogiques, formulées à la légère et de parti-pris qui n’en troublent pas moins quelques-uns de nos camarades.

La première ne date pas d’hier et elle nous a valu pendant trente ans de regrettables abandons et de tenaces inimitiés.

On nous dit que nos adhérents se passionnent tellement pour leur travail pédagogique qu’ils en négligent leurs devoirs de militantisme social et politique.

Nous les passionnons pour une activité qui fera d’eux et des enfants qu’ils éduquent des hommes conscients qui, en tant que tels, se rencontreront naturellement avec tous ceux qui, par d’autres voies, luttent pour les mêmes buts. La démocratie a moins besoin de suiveurs que de citoyens capables de jouer leur rôle dans la grande lutte libératrice.

L'idéal serait certes que nos militants soient en même temps des militants syndicaux, politiques, laïques ou culturels. Il appartient à nos camarades de choisir selon leurs forces, leurs affinités et leurs possibilités. Mais nous pensons que l’éducateur doit se passionner d’abord à son métier.

Et il est une accusation qui serait risible si elle ne surprenait la bonne volonté de certains camarades.

On nous dit : Par vos techniques et vos réalisations, vous semblez laisser croire qu'une pédagogie moderne peut revivifier l’Ecole en régime capitaliste et le gouvernement gaulliste sera satisfait d’un progrès technique dont il ne manquera pas de se prévaloir.

On critiquera notre pédagogie pour les classes de transition, sous prétexte que ces classes seraient une impasse, comme si toutes les classes n’étaient pas des impasses pour qui ne peut pas, dans ce régime, bénéficier des conditions de travail et de vie dont jouissent seulement un certain nombre de privilégiés.

De toute façon, en toute confiance, des éducateurs dignes de ce nom ne sauraient saboter le travail de formation et de libération dont ils sentent la virtuelle possibilité.

Et si, par nos réalisations, nous regonflons le régime gaulliste, que feront les centaines de milliers d’éducateurs qui font grève pour une augmentation de salaire : pourquoi des grèves générales qui vaudront aux travailleurs quelques avantages pécuniers? Et pourquoi l’Assemblée Nationale a-t-elle voté à l’unanimité un projet de loi dont le gouvernement ne manquera pas de se prévaloir ?

A ceux qui, faute de connaître et de comprendre notre pédagogie, argumentent contre vous des accusations sans fondement, vous répondrez le cas échéant avec bon sens et sûreté. Mais le mieux ne serait-il pas de ne pas répondre puisque les accusateurs sont insensibles à nos raisons? Ils ont leurs raisons à eux que notre raison n'accepte pas.

C.F.

 

" L 'Arte a scuola "

Décembre 1963

 

L'enfant a besoin de réussir

Décembre 1963

une visite à faire

Je déduis donc du texte :

« J'ai « sali » la bonne femme, je rigole, et la bonne femme est morte », que l'enfant faisait une opposition à sa mère. Supposition peut-être toute gratuite. Mais ce que je sais déjà des rapports mère-enfant m'incline à penser que je ne me trompe guère.

Mais puis-je aller trouver la mère? Est-ce que j'aurai cette audace ?

A la réflexion, oui : je suis déjà depuis dix-sept années dans le pays, je suis accepté, la mère me connaît.

Je la connais aussi depuis une bonne dizaine d’années parce que j'ai eu ses aînés en classe. Et nous avons plusieurs fois pique-niqué ensemble lors des promenades de l’Amicale. Et j'ai beaucoup de copains dans son quartier qui m'est familier.

Mais jusqu’où vais-je pouvoir aller dans cette entreprise délicate? Je verrai bien. Je pense qu'il y a une chance de progrès sur le plan psychologique, aussi, je suis décidé à tenter cette chance.

J'arrive, le garçon regarde la télé : il ne s'occupe pas de nous, on va donc pouvoir parler.

D’emblée, la mère me dit son chagrin de l’infirmité de son garçon. Elle a peur, elle est angoissée. On la comprend aisément parce qu’elle a de bonnes raisons d’avoir peur.

En effet, l’oncle de l’enfant était devenu bègue à l’âge de six ans dans les circonstances suivantes : « Mes parents étaient partis boire le café chez des voisins pendant que mon frère jouait avec des camarades. Mais la nuit est tombée et il n'y avait personne à la maison quand mon frère est rentré. Il s'est mis à hurler de frayeur. Et quand mes parents sont revenus, ils l’ont trouvé noir, défiguré, et à partir de ce jour, il a bégayé ». 

La mère est malheureuse. Elle sait qu’il existe des écoles de rééducation, mais elle craint que ça ne réussisse pas à son garçon qui serait perdu s’il était arraché brutalement à sa famille.

C’est que le garçon est sensible à beaucoup de choses. A la télé surtout. Il quitte souvent la salle pour-ne pas voir certaines scènes de films.

Je ne puis m’empêcher de dire qu'il y a peut-être une corrélation entre le renforcement du bégaiement et l'achat de la télé.

— Peut-être bien. Pourtant, il ne voit que les informations et les séances du jeudi ».

Hum, les séances du jeudi ! avec l'horrible film de Rintintin qui épouvante les gosses fragiles et les démolit. Et les informations : rien que des catastrophes ! Il n’en faut pourtant pas beaucoup à ce garçon. Quand je dis d’une voix un peu spéciale :

« Dans Arles, où sont les Aliscamps
Quand l’ombre est rouge sous les roses »
il dit: « Oh! là, là! J'ai peur».

L’enfant n’a pas non plus de très bonnes conditions familiales parce que l’un des frères est taquin à l’extrême ; il se venge peut-être ainsi de la trop grande attention accordée au demier-né.

Je me sens un peu dans la situation de celui qui ne consent à s’occuper d’un malade, seulement quand il a été condamné par la médecine officielle. En effet, la mère a beaucoup « suivi » le petit, le faisant lire chaque soir et écrire, et calculer et lui donnant des dictées, etc... Mais elle reconnaît qu'elle a échoué dans son enseignement sur le plan de l’écriture ; elle renonce. Et sur le plan de l’élocution, c’est la catastrophe. Pourtant, elle a essayé de corriger l’enfant en le reprenant à chaque fois, en le faisant parler lentement. Peine perdue, jamais le bégaiement n’a atteint ce degré. Je dis :

— Je m'en suis aperçu. Mais j'ai su que ça n'allait pas pour une seconde raison : jamais ses textes libres n'ont été aussi perturbés». Et je cite le fameux texte.

— Mais où peut-il bien aller chercher tout ça? Et cette bonne femme, qui est-ce? C'est peut-être moi?

— Ce n'est pas impossible. Voyez-vous quelqu'un d’autre?

— Non, c’est peut-être moi.

— Est-ce qu’il accepte, de grand cœur, ce travail du soir, sous votre direction?

— Généralement oui, assez bien. Mais parfois, il a des crises de colère. Hier soir, par exemple, il a balayé d’un revers de main tout ce qu’il y avait sur la table ».

Elle a les larmes aux yeux, la maman. Et je la sens prête à faire n’importe quoi pour qu’il y ait une amélioration.

Nous bavardons sur le bégaiement : elle sait par son expérience personnelle, par la télé et par des voisins bien informés que des chocs psychologiques peuvent être à l’origine de bien des troubles de comportement.

De mon côté, je lui dis le peu que je sais, et mon opinion personnelle que le bégaiement est à classer dans la même catégorie que le tic dont l’enfant est affligé et qui se produit uniquement à la maison. Cela traduit une perturbation sur le plan psychique. Mais il peut y avoir également une perturbation sur le plan physiologique. Or, je ne suis ni orthophoniste, ni analyste. Je ne peux donc faire de miracle.

Nous nous mettons d’accord pour essayer de travailler au maximum, sur le plan psychologique, d’ici le printemps, époque à laquelle l’enfant ira à Paris dans une école de rééducation.

Mais que faut-il faire?

— D’abord, vous rassurer sur deux plans. Premièrement, sur le plan scolaire, vous pouvez avoir confiance : votre garçon se débrouille très bien en lecture. Son écriture sera certainement très belle d’ici la fin de l’année, grâce au planning. En orthographe, cela va bien. En français, il a des idées, et en calcul, il se débrouille. Il faut donc le laisser tranquille à la maison et ne pas le tracasser. D'ailleurs, même si vous le poussez, il freinera. Sa mauvaise écriture, c'est peut-être une façon de freiner. Et peut-être pour une petite part, il joue avec votre inquiétude de son bégaiement.

Il faudrait que vous vous rassuriez également sur ce plan. Maintenant, le bégaiement, ça se guérit. Et je sais que celui de votre garçon est du type guérissable puisque, en chant libre, en jeu dramatique, en lecture, il ne bégaie plus du tout. Alors il ne faut plus être inquiète pour rien. Votre inquiétude elle-même nuit à votre enfant qui la ressent très profondément.

— Pourtant, je le gâte; jeudi, il voulait une boite de peinture, je la lui ai achetée immédiatement.

— Mais ce qu'il lui faut peut-être ne peut s'acquérir avec de l'argent : c’est un peu d'indépendance ».

La mère a compris. Elle a essayé et une amélioration s’est immédiatement produite sur le plan des textes libres.

Moi aussi, de mon côté je vais essayer de faire l'impossible. Je vais lui donner beaucoup d'occasions de réussir en classe, en gym, en math, en théâtre. Il faut qu’il ait beaucoup de succès.

Je ne sais ce que cela va donner d’ici le printemps. Evidemment, il y a le problème du frère qui est très important lui aussi. Il faudrait que quelqu'un, le père peut-être, le choie davantage pour l’équilibrer.

Réussirons-nous? Non, certainement, pas nous tout seuls. Mais j'ai cependant déjà réussi puisque j’ai desserré l’étreinte maternelle.

Seconde entrevue

Après une amélioration passagère, l’enfant a rechuté brusquement. Et, cette fois, le tic se manifestait même en classe.

Je suis retourné voir la mère de l'enfant ; le père était également présent.

Nous avons cherché ensemble. Et nous avons compris que ce n'était pas le « je » de l’enfant qui était malade, mais le « nous » de la famille (L. Bonnafè). Le garçon bégaie uniquement en face d’un interlocuteur parce qu'il manque de confiance en lui. Et cela parce qu'il n'a jamais u faire d’expériences. La mère l'a couvé, et elle est maniaque de la maison, des vêtements, du travail scolaire. Le père est maniaque de l’ordre dans son jardin et son atelier (c’est un ancien marin).

Un jour, son fils avait fait germer des haricots dans une boîte, contre un mur. Et le père les avait balancés parce que ça faisait sale.

— Que diraient les gens?

Et, en ce début d’année, le maître qui a la peur pédagogique inscrite dans les tripes était maniaque de la présentation et des « résultats ». Il n’était plus si aidant que l’année précédente.

La rechute de l'enfant s'explique facilement. La mère ne pouvait, en une seule fois, changer de technique de vie. Le garçon non plus ne peut subitement abandonner ses techniques ersatz. Il faut pour changer de technique de vie une claire conscience de l’imperfection de la solution adoptée. Et surtout la certitude de déboucher vraiment sur une solution plus rentable sur le plan de l’affirmation de la personnalité (1).

Maintenant, nous sommes trois à vouloir changer le milieu.

La mère va faire rééquiper le petit vélo pour que l'enfant remporte une victoire à laquelle il tient beaucoup. Le père va se préoccuper du frère et il va donner au petit des outils, du ciment, des cailloux et un endroit pour ses constructions. Et le maître va faire réussir l'enfant. Que voulez-vous qu’il fît contre trois?

P. Le Bohec

(1) voir " Essai de psychologie sensible appliquée à l'Education ” C. Freinet.

 

LES BREVETS à l'exposition de fin d'année

Décembre 1963

 

Parrainages "solidarité et Amitié"

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Les classes de transition / Boites enseignantes

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Le beau palmarès de nos activités sonores

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Pour ceux qui ne sont pas riches

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Questions et réponses

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Paul Rigobert

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